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Vingtième anniversaire de l'abolition de la peine de mort
Colloque sur les longues peines
à l'Assemblée nationale le samedi 6 octobre 2001

Discours de M. Raymond FORNI, Président de l'Assemblée nationale

Madame la ministre, Monsieur le ministre,

Mesdames et Messieurs les présidents,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs, chers amis,

Soyez les bienvenus à l'Assemblée nationale, où j'ai grand plaisir à vous accueillir, à l'occasion du colloque proposé par le collectif « Octobre 2001 », réuni sous l'égide de l'Association française de criminologie. Permettez-moi tout d'abord d'en féliciter les responsables, qui m'ont invité à ouvrir vos discussions et à prendre part à vos échanges. Je les remercie sincèrement de me donner ainsi l'occasion de vous dire l'importance que j'attache au sujet dont vous allez débattre.

Je veux saluer tout particulièrement Madame Marylise Lebranchu, Garde des Sceaux, à qui j'adresse mes plus chaleureux remerciements pour son amicale présence. C'est avec intérêt et enthousiasme qu'elle a répondu à notre invitation, et accepté d'évoquer devant nous les grandes orientations du projet de loi sur la peine et le service public pénitentiaire. Je ne doute pas que nos travaux et vos propositions de ce jour contribueront grandement à éclairer la réflexion du Gouvernement et de la Représentation nationale sur la difficile question des longues peines.

Avant d'évoquer plus longuement ce sujet, je souhaite rappeler que nous sommes aujourd'hui réunis, aussi et surtout, pour célébrer le vingtième anniversaire de l'abolition de la peine de mort. Je crois que nous ne pouvions trouver de lieu plus symbolique que l'Assemblée nationale, où fut votée cette grande loi de la République, pour commémorer cette illustration exemplaire de la victoire de la justice et du droit sur la cruauté et la barbarie dans notre pays.

Personne n'a oublié ce jour d'automne de l'année 1981 où, avec le soutien de députés de tous les bancs de l'hémicycle, Monsieur Robert Badinter - que je suis heureux de saluer - fit bannir à jamais la peine de mort des prétoires. Avec audace et obstination, il a admirablement servi la cause de l'abolition, en menant jusqu'à son terme le grand combat contre la peine capitale. Un combat que j'eus l'immense honneur d'accompagner et de suivre à ses côtés, comme rapporteur de la loi du 9 octobre 1981.

Ce jour là, la Représentation nationale écrivit une grande page de l'histoire de notre pays, de la République et de la démocratie. C'est avec émotion et fierté que je me rappelle ces moments, parmi les plus forts qu'il m'ait été donné de vivre. A cette occasion, je souhaite saluer la mémoire et rendre hommage au courage de François Mitterrand qui, avant son élection à la Présidence de la République, avait fait connaître à tous sa détermination à faire abolir la peine de mort, alors même que l'opinion n'y était pas majoritairement favorable. En saisissant le Parlement d'un projet de loi abolissant la peine capitale, il avait immédiatement respecté l'engagement pris devant les Français qui lui avaient accordé leur confiance. C'était là son exigence et sa fidélité à la parole donnée.

Vingt ans après, le combat porté par les partisans de l'abolition n'est pas achevé. La lutte contre l'effroyable droit de tuer demeure une urgence et une nécessité dans tous les pays où il est encore en vigueur.

Dans la longue marche vers l'abolition universelle, le premier Congrès mondial contre la peine de mort qui s'est tenu le 25 juin dernier au Parlement européen de Strasbourg marque une étape historique. Je rappelle que quarante-cinq Présidents de Parlements ont signé un appel en faveur d'un moratoire universel des exécutions. Je suis heureux et fier de m'être associé à cet appel de générosité et de solidarité, et j'espère que notre message sera entendu sur tous les continents.

Cette action s'inscrit dans la tradition du magnifique combat que les grands humanistes et les fervents abolitionnistes ont mené, en France, pendant plus deux siècles. Convaincu que la loi du 9 octobre 1981 ne prend tout son sens qu'à la lumière de cette longue lutte, j'ai souhaité en retracer l'histoire, à l'occasion de ce vingtième anniversaire. Pour commémorer cette « grande loi de la République », l'Assemblée nationale présente une exposition où l'on retrouvera le courage et l'audace des grandes voix qui se sont élevées pour faire reculer le spectre de la barbarie : Hugo, Jaurès, Clemenceau, Gambetta... Mais aussi l'hostilité ou la frilosité exprimées par ceux qui n'étaient pas convaincus de l'absolue nécessité de faire disparaître de notre arsenal juridique la peine capitale. Je souhaite que ce témoignage puissant d'un douloureux combat fasse progresser la cause de l'abolition.

Mesdames et Messieurs, vingt ans après la disparition de la peine de mort, les organisateurs de ce colloque ont souhaité qu'une réflexion s'engage sur les « très longues peines ».

Avant même la tenue de ce colloque, son titre a suscité réaction et controverse. « Vingt ans après l'abolition de la peine de mort, comment sanctionner les crimes les plus graves ? » Il est vrai que cette interrogation recèle une certaine ambiguïté qui n'a pas échappé à un bâtonnier destinataire d'une invitation. Il m'a fait part de son indignation, l'intitulé laissant entendre, selon lui, que vos travaux porteraient sur la recherche d'une peine de substitution à la peine de mort. Afin de lever tout malentendu, je tiens à affirmer que telle n'est aucunement l'intention des organisateurs de cette rencontre. Bien au contraire. L'idée même d'une peine de remplacement à la peine de mort demeure formellement exclue, comme Monsieur Robert Badinter en avait convaincu les Assemblées lors du vote de la loi du 9 octobre 1981.

Je tiens à saluer les associations réunies autour du collectif de l'Association française de criminologie, qui ont choisi d'aborder ce sujet difficile des questions que pose l'enfermement de longue durée.

Difficile, car ce sujet suscite en général peu d'intérêt au sein de l'opinion. Nos concitoyens sont attentifs aux condamnations prononcées pour sanctionner les crimes, mais les conditions dans lesquelles les détenus exécutent leur peine sont largement méconnues des Français.

Difficile, aussi, car le monde carcéral, il faut l'avouer, a longtemps été ignoré par le Parlement. J'en veux pour preuve qu'il ait fallu attendre plus d'un siècle pour que des parlementaires consacrent, en dehors du vote annuel sur le budget de la justice, des travaux sur la question pénitentiaire. Ce temps, fort heureusement, est révolu.

Créée en février 2000, la commission d'enquête parlementaire sur la situation dans les prisons françaises, qu'a présidée Louis Mermaz et dont le rapporteur était Jacques Floch, s'est emparée de la question avec une ardeur et un sérieux exemplaires. Je tiens à rappeler que ses membres ont souhaité visiter le plus grand nombre d'établissements pénitentiaires de la métropole et des Antilles, afin d'appréhender la réalité de la vie en prison, pour les détenus comme pour les personnels.

Ces visites de « terrain » ont donné lieu à la rédaction d'un rapport, « La France face à ses prisons », qui rassemble de nombreuses propositions pour améliorer la situation dans les prisons françaises. Les sénateurs, eux aussi, ont conduit un travail d'enquête sur cette question et ont publié un rapport intitulé : « Les prisons : une humiliation pour la République ». Ces contributions parlementaires remarquables ont suscité l'intérêt de la presse, qui a relayé leurs conclusions auprès de l'opinion et contribué à faire sortir de l'ombre l'univers pénitentiaire.

Ces propositions ont, certainement, éclairé les travaux consacrés par la Chancellerie à l'amélioration des conditions de détention. J'observe d'ailleurs que le Gouvernement a d'ores et déjà prévu, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2002, de consentir un effort sans précédent pour l'administration pénitentiaire, qui disposera ainsi des moyens nécessaires pour mener les actions décisives qui s'imposent.

Les rapports parlementaires soulignaient aussi, avec force, que la question du sens de la peine n'avait jamais été un enjeu du débat politique. A la lumière de leurs recommandations, je me réjouis qu'une réflexion s'engage aujourd'hui sur les finalités de la sanction pénale et, plus particulièrement, sur la durée et le régime des longues peines.

On constate en effet que ces longues peines sont prononcées plus souvent et pour un temps plus long. En vingt ans, la durée moyenne de la détention a presque doublé. En 2001, on comptait 7 186 condamnés à une peine de 10 à 30 ans et 591 condamnés à perpétuité.

Il est vrai que depuis 1970, à l'exception de l'abolition de la peine de mort, la législation pénale s'est caractérisée par un durcissement des peines de longue durée. En 1992, le code pénal crée une nouvelle peine de 30 ans de réclusion criminelle et porte de nombreuses peines correctionnelles à 10 ans et plus. En 1978, on y introduit les périodes dites de « sûreté », pendant lesquelles toute mesure d'aménagement de la peine est exclue. Par la suite, ces périodes seront même allongées pour certaines infractions.

Je pense que le temps est peut-être venu de revoir ces périodes intangibles qui accompagnent de manière automatique les condamnations de plus de 10 ans, et de laisser à la juridiction le soin de décider ou non d'une période de sûreté et, si elle l'a prescrit, d'en déterminer la durée. Cette suppression du caractère automatique serait plus conforme au principe constamment affirmé de l'individualisation des peines.

J'ai la conviction, pour ma part, que la durée de détention ne doit pas être trop longue, sinon elle risque de mener le détenu à une sorte d'exclusion sociale qui rendrait impossible toute réinsertion. Il faut absolument préserver à l'homme, enfermé pour une longue durée, un espoir raisonnable, car sa désespérance pourrait devenir dangereuse pour lui-même et pour les autres. Mais surtout, j'y insiste, car la peine privative de liberté a aussi pour finalité de donner au détenu, une fois son temps accompli, les moyens de se réadapter pour retrouver une place dans la vie sociale.

Pour conclure, je voudrais souligner que nos parlementaires ne sont pas seuls à se préoccuper du sort des détenus. Nos concitoyens peuvent y être attentifs et les plus jeunes sont particulièrement sensibles à cette question. J'en veux pour preuve la réflexion et le travail conduits par les 577 députés juniors, élèves d'écoles primaires, qui ont siégé au Parlement des enfants, en mai 2001.

Avec une sensibilité et un sérieux exemplaires, ils ont choisi, parmi un grand nombre de propositions de loi, celle qui visait à préserver les liens familiaux entre les parents incarcérés et leurs enfants, en réservant dans chaque établissement un lieu d'accueil pour partager un moment d'intimité familiale. J'espère que ce texte deviendra, comme la coutume le veut, une loi de la République et je souhaite que cet élan de solidarité et de générosité éclaire la voie que nous tracerons, ensemble, aujourd'hui.

Je vous souhaite de bons et fructueux travaux et je passe la parole à Madame Lebranchu.