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Colloque « Quelle loi pour la Société de l'Information ? »
à Paris - Maison du Barreau le mercredi 31 octobre 2001

Message de M. Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Je vous prie d'abord de pardonner mon absence. Des obligations et des engagements de longue date ne me permettent malheureusement pas d'être parmi vous aujourd'hui. Mais je me félicite de la tenue de cette journée de conférences, car les questions dont vous vous êtes entretenus ce matin et les sujets dont vous allez débattre cet après-midi sont importants pour notre pays. Ils sont au coeur des préoccupations de nos concitoyens. C'est la raison pour laquelle, d'une façon certes un peu singulière, par écran et caméras interposés, j'ai souhaité participer à cette rencontre. Soyez néanmoins convaincus que ma présence n'a rien de virtuelle et que je prendrai connaissance des conclusions de vos débats avec intérêt.

Car je suis convaincu que les nouvelles technologies de l'information et de la communication sont une chance pour notre pays. La révolution numérique offre un extraordinaire espace de liberté et d'expression démocratique ; elle est le pivot d'une nouvelle économie qui, malgré la prudence dont nous devons faire preuve, reste riche de promesse d'emploi et d'activité ; elle a d'ores et déjà permis de repenser les rapports de l'Etat et des citoyens, en facilitant notamment la poursuite des démarches administratives.

Mais la Société de l'Information ne nous livrera ses bénéfices et ne restera à la hauteur de nos espoirs qu'à la condition de demeurer, avant toute chose, une société de confiance. Qu'à la condition de respecter les droits à la liberté et à la sécurité de nos concitoyens. Pour le républicain que je suis, pour le défenseur des libertés individuelles que j'ai toujours été, ce respect des droits de la personne et de sa dignité trouve sa plus juste expression, mais aussi sa meilleure alliée, dans la sagesse des lois. Nous devons aujourd'hui réussir à imaginer les règles de la société électronique. Nous devons proposer les principes de la citoyenneté en réseaux. Nous devons associer à la technologie numérique la vision politique indispensable, pour la mettre au service d'une société harmonieuse, dans le respect des droits des individus.

C'est depuis de longs mois l'ambition du Gouvernement de Lionel Jospin. Le Secrétaire d'Etat à l'Industrie, Monsieur Christian Pierret, vous a présenté ce matin le projet de loi relatif à la Société de l'Information. Ce soir, Madame Marylise Lebranchu, Ministre de la Justice, viendra conclure vos travaux et aborder la difficile question de la législation en matière de cybercriminalité. Leurs interventions sont l'expression du souci et de la volonté du Gouvernement d'inscrire la question des nouvelles technologies et de leur régulation dans un projet politique ambitieux, responsable et digne de notre pays.

« Quelle loi pour la Société de l'Information ? » : cette question est aujourd'hui au coeur de vos débats et de vos discussions. Je suis convaincu que Madame Lebranchu et Monsieur Pierret, dans leurs domaines d'intervention respectifs, vous apporteront des réponses riches, précises et substantielles. Président de l'Assemblée nationale, parlementaire, je souhaite vous répondre d'abord avec franchise et simplicité. Quelle loi pour la Société de l'Information ? En aucun cas, une loi autoritaire, fermée et sclérosante, qui nous interdirait de bénéficier de toutes les ressources des nouvelles technologies. Qui nous empêcherait aussi d'intégrer leurs contraintes propres et particulières. Je souhaite au contraire une loi ouverte, réactive, fruit de la discussion et de la concertation. Le débat doit bien sûr avoir lieu en commission et dans l'hémicycle. Mais il doit aussi pouvoir se tenir hors des murs du Palais Bourbon, et associer les pouvoirs publics, les entreprises, les associations d'usagers et les citoyens. Nous devons trouver des formes de régulation qui associent à la décision de légiférer une large concertation. Nous devons promouvoir l'échange et le dialogue, pour imaginer les lois les mieux adaptées aux défis inédits lancés par les progrès de la technologie. Le rendez-vous d'aujourd'hui est une illustration des rencontres que nous devons multiplier si nous voulons concevoir les lois justes, fortes et cohérentes dont la France et les Français ont besoin. Je veux remercier publiquement les organisateurs et tous les participants de cette initiative : elle enrichit une réflexion qui est, pour nous parlementaires, particulièrement précieuse.

Car j'ai parlé de défis inédits. Ils sont aussi particulièrement remarquables et redoutables pour le législateur. Ils représentent des contraintes juridiques et administratives qu'il faut examiner avec attention. Ils invitent à des décisions importantes concernant, par exemple, l'arbitrage entre droit à la sécurité et respect des libertés. Ils posent des questions décisives sur l'application de la justice, aux niveaux national et international.

Mais je veux exprimer devant vous toute ma confiance. Car d'abord, je connais la qualité des parlementaires de notre pays. Ensuite, parce que la France dispose sur toutes ces questions d'une expérience incomparable. En 1978, la loi « Informatique et Libertés » faisait encore figure d'exception. J'en ai été, à l'époque, le porte-parole attentif pour le compte de l'opposition. Elle a, depuis, servi de modèle et de référence à de nombreux pays dans le monde. L'ensemble des pays de l'Union européenne se sont ainsi dotés au fil des ans d'une loi proche de la nôtre et d'une autorité de contrôle indépendante similaire à la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés. Je souhaite rendre hommage au travail de la CNIL qui a su, au cours de toutes ces années, faire la preuve de sa sagesse, de sa compétence et de son autorité.

Mais la France doit aujourd'hui aller plus loin et poursuivre son action législative, à la lumière des récents progrès technologiques et à l'aune des menaces nouvelles que ces progrès ont suscitées. Ces questions sont importantes, et urgentes : en matière de commerce électronique, de protection des données personnelles, de communication publique, comme en matière, aussi, de cybercriminalité. Les tragiques événements du 11 septembre dernier sur le sol des Etats-Unis ne me démentiront pas. Il est établi que les protagonistes de ce drame utilisaient toutes les ressources de la toile pour échanger des informations et préparer leur terrible dessein. Les institutions judiciaires et policières connaissent malheureusement trop bien les capacités criminelles des réseaux. Nous devons faire face à ces menaces et trouver les solutions juridiques et policières adaptées.

Mais j'entends rappeler le rôle majeur que l'Assemblée nationale doit jouer dans ces débats. Elle est l'expression de la souveraineté de la nation. Elle incarne la représentation démocratique de nos concitoyens. Si les instances de régulation et de recommandation comme la CNIL sont importantes, si les initiatives et les propositions du Gouvernement sont bien sûr décisives, il importe de rappeler que le vote aura lieu devant le Parlement, garant du bon fonctionnement de la démocratie et du respect des droits des individus. Je pense par exemple au projet de loi sur la sécurité quotidienne, comportant un certain nombre de mesures pour prévenir la cybercriminalité et donner à la police les moyens nécessaires pour agir. Si la sécurité de nos concitoyens représente une exigence vitale, impérieuse en ces temps troublés, elle doit être assurée, de façon juste et équilibrée, dans le respect de leurs libertés.

Cette défense et ce respect des libertés fondamentales sont à mes yeux un symbole tout aussi fort et précieux à opposer à la barbarie des fanatiques du terrorisme. L'Assemblée nationale est dans son rôle quand elle prend la défense des valeurs de la République et de la démocratie.

Mesdames, Messieurs, sur ces questions importantes, je suis convaincu que la richesse et la qualité de vos travaux éclaireront l'action et les décisions des parlementaires. Je vous souhaite donc bon courage et je vous remercie.