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Colloque « Terrorisme et responsabilité pénale internationale »
le mardi 5 février 2002 à l'Assemblée nationale

Discours d'ouverture de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Madame la Déléguée générale de SOS Attentats,

chère Françoise Rudetzki,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs,

L'Assemblée nationale est heureuse de vous accueillir aujourd'hui pour évoquer une question particulièrement importante et complexe : le terrorisme et la responsabilité internationale.

Le 11 septembre dernier, des actes terroristes sans précédent ont secoué les Etats-Unis d'Amérique et l'ensemble des peuples du monde. Nous avons tous ressenti la douleur des victimes, nous avons tous manifesté notre solidarité, nous avons tous exprimé notre résolution à combattre le terrorisme.

Je tiens à réaffirmer, au nom de l'Assemblée nationale, avec la plus grande fermeté, notre condamnation absolue et sans réserve du terrorisme, quelles qu'en soient les formes, les motivations et les manifestations. Ces attentats constituent une attaque contre nos sociétés ouvertes, démocratiques, tolérantes et multiculturelles.

La tragédie du 11 septembre a été mûrie par des terroristes redoutables qui haïssent nos valeurs les plus chères : la tolérance et la liberté qui en découle, l'écoute et le respect de l'autre, le droit à la différence et à l'identité. Ils refusent tout ce qui fait notre engagement commun : la volonté de paix, la démocratie, l'Etat de droit, la protection des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Certains sont morts pour tuer, animés par la volonté fanatique d'anéantir ces valeurs.

Nous connaissions déjà les dangers effrayants du terrorisme international qui s'était attaqué, dans le passé, à de nombreux pays et notamment au nôtre, la France. Le choc du 11 septembre a incité la Communauté internationale à perfectionner les moyens de le combattre efficacement dans toutes les institutions et organisations internationales, sous l'égide des Nations Unies.

Vous le savez, la France et l'Union européenne se sont engagées avec détermination dans ce combat contre les multiples et dangereuses facettes du terrorisme. A la suite de l'adoption d'un plan d'action contre le terrorisme par le Conseil européen extraordinaire du 21 septembre dernier, une approche multidisciplinaire, se traduisant notamment par 79 actions, a été engagée et se concrétise à un rythme soutenu.

La réponse au terrorisme ne peut en effet être que globale et multilatérale. Cette lutte doit se réaliser au travers d'instruments de coopération juridique efficaces, de sorte que ceux qui planifient, financent ou commettent des actes de terrorisme ou encore qui en sont les complices, ne puissent rester impunis.

Depuis plus de 25 ans, la Communauté internationale a élaboré avec succès un ensemble de Conventions antiterroristes sectorielles, concernant des catégories particulières d'actes de terrorisme : la Convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile (1971) ou bien encore la Convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de la navigation maritime (1988)...

Ensemble, ces Conventions constituent un acquis juridique important, visant à répondre de manière pragmatique et efficace aux différentes formes d'apparition du phénomène.

Les événements du 11 septembre ont toutefois montré que l'imagination criminelle des terroristes nous oblige plus que jamais à combler les lacunes qui subsistent encore. Aucune Convention générale couvrant tous les aspects de la question n'existe pour le moment. Un projet de texte couvrant le plus largement possible les actes considérés comme terroristes, en y incluant le principe de la menace terroriste comme infraction en soi, est en cours de négociation. Nous souhaitons qu'il aboutisse le plus rapidement possible.

L'objectif poursuivi par le gouvernement français, soutenu par la Représentation nationale, consiste à développer davantage les règles internationales portant sur la responsabilité individuelle pour des crimes terroristes, afin que, quel que soit le pays où elles se trouvent, les personnes responsables de ces crimes puissent être traduites en justice et punies.

Pour renforcer la lutte contre une éventuelle impunité des terroristes, les Etats doivent s'efforcer, autant que possible, de répondre de manière positive aux demandes d'extradition concernant des personnes impliquées dans des actes de terrorisme. A cet égard, nous souhaitons la mise en oeuvre rapide des nouvelles procédures de mandat d'arrêt européen et d'extradition d'auteurs d'actes de terrorisme, la définition commune du terrorisme et la reconnaissance mutuelle des décisions de justice.

Mais ce cadre juridique européen et international destiné à lutter contre le terrorisme ne saurait être complet sans la mise en place effective d'une Cour pénale internationale. Plus que jamais, nous avons besoin d'un instrument nouveau et efficace pour sanctionner et prévenir les crimes les plus graves qui affectent la Communauté internationale.

Ces crimes les plus graves, le statut de Rome les énumère : génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre, crime d'agression. En ce qui concerne les crimes contre l'humanité, le statut précise qu'il s'agit d'actes commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile. Quand les valeurs essentielles de la Communauté internationale sont attaquées, quand les règles les plus fondamentales du droit international, du droit humanitaire et des Droits de l'Homme sont violées, cette même Communauté internationale ne peut rester passive.

Certes, le statut de Rome affirme, à juste titre, la responsabilité première des Etats d'assurer le respect de ces droits et d'en sanctionner la violation. Mais en complément de cette responsabilité nationale et surtout lorsque les Etats n'agissent pas, la Cour remplira un rôle de première importance.

En mettant fin à l'impunité, la Cour renforcera la primauté du droit et contribuera à en assurer le respect. Elle fera oeuvre de prévention et contribuera à la promotion du droit international humanitaire et des Droits de l'Homme. Elle contribuera également au maintien de la paix et au renforcement de la sécurité internationale, conformément aux objectifs et aux principes de la Charte des Nations Unies.

A ce jour, 43 Etats ont ratifié le statut de Rome. Le seuil des 60 ratifications, acceptations ou adhésions, requis pour son entrée en vigueur approche rapidement. Il est hautement probable que cette entrée en vigueur se réalise au cours de cette année. Notre Assemblée se félicite de cette dynamique et espère qu'elle va encore s'accélérer.

Permettez-moi, avant de conclure, de rappeler que la lutte contre le terrorisme doit se faire dans le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, même dans des situations exceptionnelles exigées par des opérations antiterroristes.

Il y a, il me semble, deux dangers à éviter. Le premier risque, c'est de perturber ou de déformer notre démocratie en remettant en cause les principes de notre Etat de droit. Lutter contre le terrorisme de manière plus efficace, oui, mais sans porter atteinte aux principes de nos sociétés ouvertes. Un deuxième danger consisterait à permettre à certains Etats de confondre la lutte contre le terrorisme avec une dérive autoritaire, préjudiciable à l'efficacité même de ce combat.

Voilà, Mesdames et Messieurs, quelques-unes des questions, ô combien complexes et délicates, qui vous attendent tout au long de cette journée de réflexion. Nos concitoyens, profondément bouleversés par les attentats du 11 septembre, sont en droit de s'attendre à nous voir progresser de manière substantielle dans nos travaux.

Je suis convaincu qu'avec l'aide de l'association SOS Attentats et de sa déléguée générale Françoise Rudetzki, grâce à l'expérience et à l'expertise de tous les participants à cette journée, nous serons mieux à même de répondre à ces attentes. C'est pourquoi, je tiens à vous confirmer que vous pouvez compter sur l'engagement et l'esprit constructif de la Représentation nationale, dans le combat difficile mais essentiel, que nous devons mener ensemble, contre le terrorisme.