Accueil > Archives de la XIIe législature > Discours de M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale

16/01/2003 - 12èmes rencontres parlementaires sur l'Épargne

Monsieur le Rapporteur général,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi tout d'abord de vous dire que c'est avec le plus grand plaisir que j'ai répondu à l'invitation de notre Rapporteur général de la Commission des finances, Gilles CARREZ, lorsqu'il m'a proposé d'ouvrir, à ses côtés, les travaux de ces 12èmes Rencontres parlementaires sur l'épargne.

Je profite de l'occasion qui m'est ainsi donnée pour saluer l'excellent travail qu'il a accompli tout au long de notre « session budgétaire ». Je tiens également à le remercier d'avoir repris le flambeau de ses prédécesseurs - dont plusieurs participeront d'ailleurs à vos différentes tables-rondes - pour l'organisation de ce rendez-vous annuel sur l'épargne. Manifestation dont on peut dire qu'elle s'est muée, au fil du temps, en une véritable institution. Comme en témoigne la qualité des intervenants de ce jour... mais aussi des participants inscrits. Comme en atteste toujours la hauteur de vue de vos réflexions, de vos propositions et de vos conclusions. Je suis convaincu que ces 12èmes rencontres parlementaires sur l'épargne ne dérogeront pas à la règle.

*

Avant de vous livrer mon sentiment sur quelques-uns des thèmes que vous aborderez au cours de cette journée, je souhaite faire devant vous trois constats liminaires :

L'épargne reste encore trop souvent chez nous cantonnée dans une fonction résiduelle. Il n'y a donc rien de surprenant, dans ces conditions, à ce qu'elle occupe une place secondaire dans le discours politique, loin derrière la consommation ou l'investissement. C'est regrettable, car l'épargne est au cœur du financement de notre économie, et par conséquent un élément important du dynamisme de notre croissance. Ni le niveau de l'épargne, ni l'orientation de ses flux ne sont donc indifférents pour l'économie française.

Deuxième constat. Nous avons collectivement, à bien des égards, me semble-t-il une vision encore trop franco-française de l'épargne. Et c'est là encore regrettable. Je pense que, sur ce point, nous n'avons pas mesuré toutes les conséquences de la libération totale des marchés de capitaux, encore amplifiée par le passage à l'euro.

Dernier de ces trois constats. L'épargne est encore trop souvent conçue comme une simple base taxable et comme une simple source de recettes fiscales. C'est oublier qu'elle est d'abord et avant tout la principale source d'un financement dynamique de nos entreprises et de notre économie.

C'est dire qu'il nous faut opérer un véritable changement dans notre conception du rôle de l'épargne si nous ne voulons pas prendre le risque de fragiliser le financement de notre économie et d'affaiblir notre compétitivité. Je sais que le gouvernement a la ferme intention d'y parvenir et de donner à l'épargne le rôle majeur qui lui revient pour le développement de l'économie.

*

À cette fin, la première des hypothèques à lever est de restaurer sa sécurité, malmenée depuis quelque temps. Recréer les conditions de la confiance, mise à mal par une baisse quasi continue des marchés d'actions observée depuis l'an 2000, par des faillites retentissantes et la révélation de pratiques de gouvernement d'entreprise douteuses et condamnables. Restaurer la confiance, voilà l'urgence.

Pour cela, de nouvelles règles s'imposent. Et je suis de ceux qui saluent l'initiative du gouvernement de soumettre très prochainement au Parlement un projet de loi sur la sécurité financière qui contribuera, je l'espère, à remettre un peu d'ordre dans le fonctionnement de nos marchés financiers.

Car le marché n'est efficient que s'il est bien régulé. Telle est ma conviction profonde. C'est pourquoi la mise en place d'un régulateur moderne, l'Autorité des marchés financiers, doté de pouvoirs de contrôle et de sanction accrus et de moyens renforcés, répond à une vraie exigence et à une attente légitime des épargnants, des investisseurs et de tous les acteurs économiques.

De nouvelles règles s'imposent aussi car l'allocation des ressources financières ne peut se faire de manière optimale si l'information financière est tronquée, ou pire, truquée. Le projet de loi qui sera présenté par le gouvernement vise à responsabiliser, dans ce domaine, l'ensemble des acteurs du marché et c'est une bonne chose.

Nous savons bien entendu que les dispositions législatives ne règlent pas tout, même si j'ai un très bon législateur à mes côtés. Que les acteurs du marché doivent aussi être capables de s'imposer à eux-mêmes des règles déontologiques plus strictes, afin d'obtenir des pratiques financières plus saines.

Enfin, personne n'ignore que les efforts que nous faisons pour améliorer le fonctionnement de nos marchés financiers ne suffiront pas à eux seuls pour garantir leur sécurité et leur stabilité. La concertation doit être renforcée et l'harmonisation recherchée à l'échelle des grandes puissances financières pour éviter que n'apparaissent des formes détournées de protectionnisme ou de discrimination. Le risque existe en effet et nous ne devons pas le sous-estimer. L'exemple en a été donné récemment par les Etats-Unis qui avaient menacé d'interdire de cotation à New-York les sociétés étrangères qui ne se soumettraient pas aux dispositions de la loi Sarbanes-Oxley, adoptée l'été dernier pour répondre aux inquiétudes nées des faillites récentes de grandes sociétés américaines. Certes, le régulateur américain, la SEC, vient de montrer des signes d'ouverture vis-à-vis des entreprises européennes, mais la vigilance reste de mise. On ne peut donc que se féliciter de la décision prise par le Président de la République de faire de la stabilité et de la sécurité des marchés financiers un des thèmes majeurs de réflexion et de propositions du G7 qui commence sous présidence française.

*

Pour le reste et sans déflorer le contenu de vos travaux, je m'en tiendrai au défi majeur auquel nous sommes confrontés.

Je veux parler de l'achèvement du marché unique européen des services financiers.

Dans cette perspective, la France doit, à mon avis, poursuivre deux objectifs :

Premier objectif, contribuer de façon active à l'adoption de la directive sur la taxation des revenus de l'épargne. Un pas important avait été accompli sous la présidence française au deuxième semestre 2000. Malgré de longues négociations avec certains pays tiers, dont la Suisse, la présidence danoise n'a pu parvenir à un accord en décembre dernier. La reprise des négociations lors du prochain Ecofin doit ouvrir la porte à un accord au plus vite. Ce dossier est capital, car la concurrence à laquelle nous devons tous faire face n'est supportable que si elle s'accompagne d'une élimination des pratiques les plus déloyales, notamment en matière fiscale. Naturellement, je ne sous-estime pas sur ce point la difficulté de l'exercice, ni les résistances qui peuvent exister ici ou là, à l'intérieur, comme à l'extérieur de l'Union européenne. Mais je connais aussi la détermination du gouvernement sur cette question. Et il faut réussir.

Deuxième objectif à poursuivre : adapter notre système fiscal pour le rendre plus attractif. L'enjeu n'est pas mince puisqu'il s'agit à la fois de retenir les capitaux français sur notre territoire et d'attirer les capitaux étrangers.

La fuite des capitaux ne saurait être raisonnablement évoquée sous le seul angle de l'évasion fiscale et avec pour seule réponse la sanction, même si elle est évidemment nécessaire. La fuite des capitaux - et donc des capacités de financement de nos entreprises - pose un autre problème plus crucial : celui de l'adaptation de notre fiscalité de l'épargne et du capital à un contexte de concurrence qu'il ne faut pas avoir la naïveté de découvrir...

Voilà la vraie question qui se pose à nous, et à laquelle nous devrons répondre sans tabou, ni exclusive, en ayant pour volonté de faire évoluer notre système fiscal en profondeur. La plupart de nos partenaires ont entrepris de telles réformes au cours des cinq dernières années. Il nous appartient, et c'est notre responsabilité, de faire de même sans retard, non pas pour viser un quelconque alignement par le bas, mais pour faire le choix de la compétitivité et de l'attractivité de notre pays. Nos entreprises ont de nombreux atouts à faire valoir mais encore faut-il, pour que ceux-ci retiennent l'attention des investisseurs, que notre fiscalité ne joue pas le rôle de repoussoir ! Je sais que le gouvernement a à cœur de s'attaquer à ce grand chantier. Les premières pierres devraient d'ailleurs en être posées avec le projet de loi sur l'initiative économique dont l'examen commencera début février.

De la réponse que nous apporterons à ce défi dépend notre capacité à mobiliser notre épargne, comme celle qui s'investira sur notre territoire, au service des entreprises, grandes ou petites, et du développement local. Il faut bien comprendre et intégrer que dans cette affaire notre compétitivité et notre croissance sont en jeu.

*

Sur ces quelques points, comme sur tous ceux que vous évoquerez aujourd'hui, je ne doute pas que ces rencontres feront apparaître des lignes de fracture, comme elles dégageront des convictions fortes et des propositions innovantes. Et je me réjouis à l'avance de la contribution majeure qu'elles apporteront à la réflexion économique et, je l'espère, à la décision politique. Parce qu'aujourd'hui, le temps de l'action est arrivé.