Accueil > Archives de la XIIe législature > Discours de M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale

15/05/2003 - Les 3 chantiers du Président de la République : Le Handicap

Mesdames, Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président
Mesdames, Messieurs les députés,
Mesdames, Messieurs,

J'ai grand plaisir à accueillir au sein de l'Assemblée nationale, ce second colloque organisé par la Commission des Affaires culturelles, familiales et sociales et consacré aujourd'hui à la question du handicap, dans tous ses aspects.
Le Président de la République a souhaité que l'insertion sociale des personnes handicapées soit considérée comme une grande cause nationale, comme une priorité de l'action gouvernementale de son quinquennat.
Le Parlement sera une enceinte privilégiée de l'élaboration de cette politique, notamment à l'occasion de la prochaine révision de la loi du 30 juin 1975, mais aussi à travers le vote des budgets publics et sociaux qu'il examine chaque automne.
Aussi je voudrais remercier ceux qui ont pris l'initiative de ce colloque au sein de notre institution.
Je tiens à saluer particulièrement le Président Jean-Michel Dubernard, Jean-François Chossy, Président du groupe d'études sur l'intégration des personnes fragilisées par le handicap
Mesdames et Messieurs,
Les personnes qui dans notre pays sont fragilisées par un handicap attendent aujourd'hui de la représentation nationale qu'elle assure avec solennité et célérité la priorité de protection qui leur est due, l'intégration dans toutes les composantes de la société, dans l'école, dans l'emploi, ou dans des établissements adaptés pour ceux auxquels le destin a imposé les handicaps les plus graves.
La proportion de nos concitoyens qui sont affectés d'un handicap est importante et elle devrait retenir, de notre part, une plus grande attention.
Les personnes handicapées ne sont pas une catégorie à part qui serait isolée du reste de la population par une frontière. On passe progressivement de la personne en bonne santé à celle qui souffre d'un léger handicap, enfin à la personne totalement dépendante. Et, une même personne au cours de sa vie peut passer par ces trois stades.
Pour tous ceux qui, à un moment donné ou tout le long de leur vie, ont besoin d'une main secourable, le législateur a le devoir d'assurer une pleine et entière assistance.
Ce soutien nécessite assurément une législation posant les bons principes, suppose des budgets offrant les aides financières adéquates, mais aussi - et peut-être plus encore - une volonté, celle de nos concitoyens, mais aussi celle des maires, des élus locaux, du législateur, d'intégrer les personnes handicapées dans notre vie quotidienne.
La loi est importante pour favoriser cette intégration et manifester notre volonté en ce domaine.
Celle du 30 juin 1975 a été et reste une grande loi dont les acquis doivent être conservés. Il s'agit aujourd'hui d'entrer dans une nouvelle étape.
La révision législative qui se prépare sera un moment fort pour les parlementaires, plusieurs ministères sont concernés ainsi que six ou sept codes législatifs, et de nombreux thèmes seront abordés: annonce du handicap, scolarisation, emploi, vieillissement, politique de compensation.
Par ailleurs, ainsi que l'avait souhaité le Président de la République, certaines formes très lourdes de handicap seront étudiées de manière spécifique, tels le polyhandicap, l'autisme ou les séquelles de traumatisme crânien.
Cette loi doit être le reflet de la volonté des députés, des sénateurs et du gouvernement : pour simplifier les démarches, les procédures et rendre les droits plus lisibles; pour favoriser la cohérence entre tous les acteurs ; mais aussi pour faciliter l'innovation et non l'étouffer comme cela se voit encore trop souvent actuellement.
Ce travail législatif se fera en concertation avec les personnes handicapées, les associations qui les représentent, et les organisations professionnelles.
Je souhaite que le gouvernement puisse annoncer très rapidement son calendrier d'élaboration du projet de loi et que notre Assemblée puisse l'examiner dans les délais les plus rapprochés. Car, il y a, dans ce domaine, une réelle urgence.
Ensuite, il convient d'assurer un financement adéquat des prestations, des aides financières et des établissements.
Les prestations et aides actuelles ne permettent pas toujours aux personnes handicapées de faire face à l'intégralité des dépenses liées à la compensation de leur handicap. L'insuffisance des prestations légales conduit, comme l'ont souvent souligné les rapporteurs parlementaires, les personnes handicapées et leurs familles à un véritable « parcours du combattant » pour obtenir des allocations complémentaires de la part des fonds d'action sociale des collectivités locales et des organismes sociaux.
Les places offertes dans les établissements ne sont pas assez nombreuses. Beaucoup d'enfants n'ont pas accès aux établissements spécialisés qui leur seraient nécessaires et restent sur des listes d'attente: les élus locaux connaissent nombre de familles confrontées à cette épreuve. Les places en CAT ou ateliers protégés manquent.
Des moyens financiers supplémentaires devront donc être dégagés.
L'objectif doit être celui de la revalorisation du budget global du handicap car si les sommes que notre protection sociale consacre au handicap sont conséquentes, elles restent insuffisantes par rapport aux besoins.
A l'occasion du dernier projet de loi de Financement de la Sécurité sociale, le gouvernement s'est efforcé de financer une première étape, en privilégiant une augmentation du nombre de places offertes en établissements et le renforcement des aides à l'insertion. Le budget public du handicap a progressé plus vite que le budget général soit une progression de 5,6%. C'est une première satisfaction qui devait être soulignée et je rends hommage à Madame Marie-Thérèse Boisseau d'avoir défendu ce budget devant le Parlement avec talent et conviction.
A l'heure actuelle, en raison de l'extrême diversité des ressources qui alimente ce budget global du handicap, dans l'ensemble de notre protection sociale, il est malaisé d'en connaître le montant exact. Certaines estimations l'évaluent à environ 35 milliards d'euros. Des études montrent que la part globale du financement du handicap a baissé en termes relatifs dans la richesse nationale. De 2,1% du PIB en 1985, elle est passée à 1,7% en 2001. Je crois que nous devons nous fixer l'objectif ambitieux de reconquérir cette part perdue.
Aujourd'hui, nous devons envisager une meilleure compensation globale du handicap.
Je me félicite qu'un travail important de réflexion soit en cours concernant cette compensation du handicap qui peut être considérée soit comme une aide (nous sommes alors dans le registre de l'aide sociale), soit comme un droit, et nous parlons alors de protection sociale.
Cette compensation peut être variable selon le type de handicap: aide individuelle et adaptation de l'environnement pour les handicapés physiques ou sensoriels, réponse plus globale pour les personnes handicapées mentales, psychiques ou polyhandicapées.
Mais toute revalorisation des financements consacrés au handicap devra s'exercer, au cours des prochaines années, dans un contexte de finances publiques et sociales extrêmement contraint.
Dans ce contexte, notre responsabilité à l'égard des personnes handicapées, c'est à dire les personnes les plus fragiles de notre société, c'est d'établir une hiérarchie des priorités.
Je ne suis pas sûr que notre pays ait toujours placé ses priorités dans le bon ordre.
Est-il normal, pour ne prendre qu'un seul exemple, que le budget total consacré par la France au financement du handicap ne soit, en fin de compte, guère supérieur à celui consacré à la compensation de la réduction du temps de travail ?
Ne doit-on pas affecter prioritairement les ressources de notre protection sociale à ceux qui sont en situation de grande dépendance physique et n'ont pas les revenus personnels pour assumer la charge que représente un accueil digne et humain en établissement ?
Oui, la France doit avoir le courage de hiérarchiser ses vraies priorités sociales. Prétendre ne pas vouloir choisir, c'est choisir au détriment du plus faible.
Mais, au-delà des textes et des ressources financières, nous, législateur, ne devons pas oublier, pour reprendre une formule célèbre, que la société ne se change pas par décret.
Nous devons œuvrer patiemment, constamment, pour une pleine acceptation des personnes handicapées dans notre communauté, dans nos écoles, dans nos entreprises, dans la vie quotidienne de nos villes.
Oui, il faut apprendre à mieux vivre ensemble partout.
Pour réussir cette transformation de nos mœurs et de nos habitudes, il faut une volonté politique forte, comme celle manifestée par le Président de la République, basée sur les propositions des acteurs situés au plus près du terrain. Les tables rondes organisées aujourd'hui à l'initiative de Jean-Michel Dubernard et Jean-François Chossy sont ainsi parfaitement en phase avec cette problématique.
L'école doit jouer un rôle fondamental, non seulement en réalisant l'impératif d'intégration scolaire, mais aussi en transformant la qualité du regard par la compréhension des difficultés.
Cette attitude d'intégration nécessite souvent plus une attention permanente aux besoins des autres que l'affectation de grandes ressources financières. Pourtant les obligations de la loi ne sont pas toujours respectées. Prenons l'exemple lancinant de l'accessibilité. On trouve aujourd'hui encore, des bâtiments récents, d'usage collectif ou recevant du public, qui n'ont pas été conçus d'emblée en pensant à l'accessibilité des personnes handicapées. Dans la plupart des cas, cette mise aux normes n'implique aucun coût particulier ou exorbitant.
On pourrait faire la même réflexion sur l'insertion professionnelle des handicapés en milieu de travail ordinaire, dans les entreprises privées comme dans les administrations publiques où le taux d'emploi requis par la loi - 6 % - est loin d'être atteint. Le taux réalisé n'est que de 4% en moyenne.
Oui, nous devons nous mobiliser pour réussir, ensemble, l'intégration éducative, professionnelle et sociale des personnes handicapées et leur donner toute leur place dans notre communauté nationale.
Vos travaux de ce jour arrivent au bon moment et seront utiles pour la mise en oeuvre par le Parlement et le gouvernement de cette volonté politique forte affichée par le Président de la République, qui correspond à une immense attente des personnes handicapées, de leurs familles, des nombreuses associations qui les aident et les soutiennent et, par de là, de tous ceux qui veulent, pour notre pays, le développement d'une vraie communauté solidaire, pour mettre réellement en œuvre la devise inscrite au fronton de nos mairies, de nos écoles, en particulier cet idéal de "fraternité".
Je souhaite plein succès à vos travaux.