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19/06/2003 - Allocution à l'occasion de la Réception donnée en l'honneur de Monsieur François CHENG

Monsieur le Premier Ministre et Chancelier de l'Institut de France,
Messieurs les Ambassadeurs,
Madame le Secrétaire Perpétuel de l'Académie Française,
Mesdames et Messieurs les Membres de l'Académie Française,
Cher François Cheng,

François CHENG a souhaité fêter son admission au sein de « l'immortelle compagnie » ici, à l'Hôtel de Lassay. Ce choix peu académique, si j'ose dire, peut surprendre. L'Assemblée nationale n'abrite aucune coterie littéraire, elle ne prétend pas donner le ton en matière de goût ou de courants artistiques, et son Président aura l'humilité et le réalisme de ne pas s'aventurer sur le terrain de la critique.

Certes, il s'agit d'une élection mais d'une élection dont la logique et les ressorts obéissent à des règles non écrites, infiniment plus subtiles que les modes de scrutin, même les plus complexes, dont nous débattons souvent.

Plus sérieusement, je crois, pour ma part, que François CHENG, en sa qualité de jeune citoyen français - 30 ans ! - a choisi avec acuité et pertinence l'une des institutions qui incarnent par excellence notre République et notre démocratie.

Il me revient donc de souligner la portée à proprement parler nationale que revêt l'élection à l'Académie française, au fauteuil d'un descendant de Saint-Louis et du Duc de Bourgogne, d'un écrivain d'origine chinoise qui choisit, il y a près de 30 ans, de devenir Français. Je suis donc particulièrement heureux et honoré, Cher François CHENG, que vous ayez choisi l'Assemblée nationale pour, qu'à travers l'hommage qui vous est rendu ce soir, soit réaffirmée la vocation séculaire de la France à s'ouvrir à toutes les cultures du monde.

En effet, la France n'est jamais davantage elle-même que lorsqu'elle manifeste sa capacité à s'incorporer des talents tels que celui de François CHENG qui, pour autant, n'a pas eu à renier sa langue maternelle, sa culture, sa première patrie, en un mot ses racines.

La francophonie, dont nos élites ont parfois du mal à saisir l'envergure et l'enjeu véritables, ne se résume pas à une liste de pays partageant notre langue. Elle est ce lien culturel - je dirais même spirituel - qui fait que des pays aussi divers que la Moldavie, le Québec, le Vietnam, le Sénégal et tant d'autres à travers le monde estiment avoir quelque chose d'essentiel en commun.

Cet esprit vous l'avez fait vivre par vos travaux de traduction de poètes français en chinois : Baudelaire, Rimbaud, Apollinaire, Saint-John Perse, René Char ou encore Henri Michaux ont ainsi, grâce à vous, trouvé des lecteurs fervents en Chine. Vous avez également contribué à diffuser auprès du public francophone la poésie chinoise mettant en œuvre votre conviction profonde que toute civilisation, toute culture, « pour évoluer, se doit de dialoguer avec la meilleure part de ce qui vient d'ailleurs ».

Vous avez ainsi, à trois siècles de distance, effectué de l'Orient vers l'Occident le chemin parcouru en sens inverse par les missionnaires jésuites si bien campés dans votre œuvre qui furent les premiers à nouer un dialogue entre l'Occident et la Chine, s'imprégnant eux-mêmes de culture chinoise pour mieux toucher l'universel en chacun de leurs interlocuteurs.

François CHENG, vous avez ainsi choisi d'être, au sens étymologique du terme, un « traducteur », un apôtre inlassable du dialogue à l'heure où d'autres en appelleraient à la rivalité des cultures et des civilisations. Vous avez choisi d'habiter la langue française qui ne prétend pas à l'hégémonie ou même à la supériorité mais qui appelle au respect de la diversité.

La diversité est d'ailleurs inscrite dans votre œuvre qui mêle essais et livres d'art, calligraphie ou romans et surtout ces poèmes dans lesquels, pour reprendre les mots d'un de vos personnages, « on sent quelque chose qui vous est unique, un don du ciel aussi précieux que la beauté chez la femme ».

Poursuivant cet emprunt à vos propres mots, je suis convaincu que « vos meilleurs écrits réjouiront vos contemporains, étonneront éventuellement les générations à venir. Ce sera, comme vous le disiez, votre manière de servir ».

François CHENG, merci d'avoir servi et de servir encore la littérature française. Pour vous, et pour votre œuvre, l'immortalité « ne sera pas de trop ».