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26/11/2003 - Réception donnée à l'occasion de la publication des "Fées de la République"

Marianne est devenue, par la grâce d'un décret de 1792, le symbole de la République, l'allégorie de la liberté, de l'égalité, de la fraternité.

Sous le faisceau des peintres, le marteau des sculpteurs, le crayon des dessinateurs, elle a pris mille et un visages rassemblés par Jean-Michel Renault dans l'ouvrage dont nous célébrons aujourd'hui la parution. Ces Mariannes de bois, de papier, de marbre, de pierre ou de bronze sont bien ici, à l'Assemblée nationale, chez elles. Marianne n'est-elle pas, en effet, la représentation familière, simple et vivante, accessible à tous, de la loi, de nos lois républicaines, des règles supérieures qui expriment la volonté générale de notre nation ?

Depuis la période révolutionnaire, Marianne a inspiré de nombreux artistes faisant la preuve que ce qu'elle symbolise touche non seulement notre intelligence, notre raison, nos convictions mais aussi notre sensibilité et notre cœur. Comment ne pas songer en évoquant Marianne à ce magnifique tableau où Delacroix la représenta guidant le peuple sur les barricades de la révolution de juillet 1830, symbole depuis lors des aspirations du XIXe siècle à la liberté individuelle et à l'indépendance des nations ? Comment ne pas évoquer la Marianne guerrière sculptée par François Rude sur le pilier droit de l'Arc de Triomphe en hommage à ces soldats de l'an II surgis des profondeurs de la nation pour défendre la République à Valmy ?

L'ouvrage de Jean-Michel Renault rend hommage à tous les artistes, connus, inconnus ou méconnus, célébrés ou oubliés, qui depuis plus de deux siècles ont peint, dessiné, parfois caricaturé Marianne, l'ont rendue présente par la sculpture sur tant de place de nos villes ou de nos villages, dans les mairies, dans les écoles. Mais surtout, ce livre nous permet de relire notre Histoire à travers le prisme particulier de la représentation de Marianne dans l'iconographie révolutionnaire où elle occupe une place centrale, dans les caricatures publiées par l'Assiette au beurre, dans les images destinées à renforcer l'union nationale pendant la Grande Guerre, dans les caricatures acides de l'entre-deux guerres qui nous la présentent en victime d'une classe politique inconséquente, dans les allégories de redressement national à la libération.

Le livre de Jean-Michel Renault nous emmène à travers la France, à la rencontre de toutes les statues de Marianne que les municipalités ont installées de la place Carnot à Lyon à la place de la République à Paris sur laquelle fut érigée, en 1883, l'imposante statue de Morice au pied de laquelle le Général de Gaulle, le 4 septembre 1958, rendit public le projet de Constitution de la Ve République. Et c'est encore une Marianne libérée de ses chaînes qui devait inciter les Français à voter en faveur de ce projet lors du référendum du 28 septembre 1958.

Je voudrais maintenant rendre hommage à Jean-Michel Renault pour son travail sans précédent d'inventaire des représentations allégoriques de la République à l'Assemblée nationale. Marianne se devait tout particulièrement d'être présente dans l'hémicycle. Elle occupe, entre l'Histoire et la Renommée, le centre du bas-relief que Lemot a réalisé en 1798 et qui orne la tribune des orateurs. Elle est également le sujet d'un bas-relief de Roman situé derrière "le Perchoir" qui la représente protégeant les sciences, les arts, le commerce, l'agriculture et l'industrie. C'est encore Marianne que le sculpteur Armand Martial a choisie pour le monument aux députés et anciens députés morts pour la France pendant la Seconde Guerre Mondiale installée dans la Salle des Quatre Colonnes.

Je voudrais, enfin, rappeler aux promeneurs qu'ils peuvent admirer une statue de Feuchère symbolisant la Loi sur la place du Palais Bourbon et une Marianne de Cortot entourée de la Force et de la Justice sur le fronton visible depuis la place de la Concorde.

La lecture de ce livre consacré à l'Histoire de la France à travers celle de Marianne ne doit pas laisser croire que ce symbole républicain appartiendrait au passé. Nous avons le devoir de faire vivre la République et ses valeurs dans notre société qui doute trop souvent d'elle-même. C'est pourquoi j'ai été particulièrement sensible à la démarche d'un groupe de jeunes filles, issues de quartiers difficiles, qui ont souhaité, l'année dernière, donner à leur action en faveur de l'émancipation des femmes issues de l'immigration un éclat particulier en acceptant de poser en Mariannes de la modernité pour des photographies qui ont orné le péristyle du Palais Bourbon l'été dernier. En revendiquant ainsi l'héritage républicain de notre pays, ces jeunes femmes ont choisi de manifester leur confiance dans la capacité de nos institutions à les protéger des violences qui pèsent sur leur intégrité physique, à leur permettre de choisir librement leur destin. La République est seule porteuse des valeurs autour desquelles les Français aspirent à se rassembler quelles que soient leurs origines, leurs convictions ou leurs croyances : la liberté, l'égalité, la fraternité, la solidarité, la laïcité. En se réclamant de Marianne, Riva, Clarisse, Samira, Gladys et leurs camarades ont choisi de réaffirmer la primauté de la loi en toutes circonstances.

Merci à tous ceux qui ont contribué à la parution de ce très bel ouvrage de l'avoir clos par les images de ces modernes Mariannes qui renouvellent l'iconographie républicaine. C'est à l'une d'elle que je voudrais laisser le dernier mot : "Marianne s'affirme par l'idéal républicain... Elle donne d'elle-même pour construire une France plus juste".