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1er/12/2003 - Colloque sur l'Intelligence économique

Mesdames, Messieurs,
Cher Bernard,

Permettez-moi, tout d'abord, de vous dire le plaisir que j'ai d'ouvrir ce colloque consacré à l'Intelligence économique.

Je voudrais remercier tout particulièrement Bernard Carayon, député du Tarn, maire de Lavaur d'en avoir pris l'initiative et l'en féliciter.

En effet, Cher Bernard, ce colloque que tu as voulu, dans la préparation duquel tu t'es beaucoup investi arrive à point nommé, quelques mois après que tu aies remis au Premier ministre ton rapport, qui fut très remarqué, et alors que certains experts, quelques brillants esprits reprennent en chœur la thématique du déclin de la France au moment où elle traverse quelques turbulences économiques.

Le lien entre les deux sujets n'est pas neutre, vous le savez bien, car, en matière d'intelligence économique, au-delà des questions de sécurité qui bien sûr sont et doivent demeurer fondamentales, se pose la question des moyens de conserver les positions acquises dans un certain nombre de secteurs économiques, industriels et même diplomatiques et de reconquérir les positions perdues.

Lorsque l'on aborde la question de l'intelligence économique en France, le premier sentiment que l'on éprouve c'est que l'on en parle souvent, depuis longtemps. Cela fait plus de dix ans, depuis en particulier le rapport Martre, que tu cites très à propos, cher Bernard, que le sujet revient périodiquement sur le devant de la scène. Et pourtant, rien ne semble bouger, rien ne semble avancer, ou si peu, ou si lentement.

C'est un constat et il est largement partagé. J'espère que le colloque de cet après midi, les débats qui vont suivre permettront d'aller au-delà, ne serait-ce qu'en analysant les causes de ce phénomène :

- est-ce le résultat de l'ignorance des responsables politiques et économiques, je ne le crois pas et la multiplicité des études sur le sujet vient démontrer le contraire ;

- est-ce de la naïveté qui trouverait son origine dans une croyance trop forte, la suprématie d'un génie français, je ne le pense pas non plus car notre société est aujourd'hui très ouverte ;

- est-ce parce que chaque fois que l'on a voulu parler de ce sujet, on a formulé des exigences trop fortes, ça l'a peut-être été sur certains points ;

- est-ce encore en raison d'un défaut de coordination et de direction, c'est en partie possible.

C'est de la réponse à cette question que découleront en grande partie les mesures qui permettront d'aller de l'avant.

L'occasion m'est donnée cet après-midi pour vous livrer quelques réflexions sur cette question.

Mon premier sentiment, c'est que l'intelligence économique est un concept trop abstrait, qui ne parle pas suffisamment à nos concitoyens et qui, de surcroît, est ambigu puisqu'il recouvre des réalités très dissemblables : la protection et la sécurité de l'information et des systèmes de production, la recherche et la diffusion du renseignement, la réflexion prospective. Surtout, selon qu'on le prend dans son acception anglo-saxonne ou dans la nôtre, ce concept a des connotations très différentes. Certes, m'objecterez-vous, vous autres spécialistes, vous le savez et cela ne vous gêne pas, mais je crois que si l'on veut progresser dans ce domaine, il faut être en mesure de faire partager nos préoccupations au plus grand nombre, il faut que nos concitoyens s'approprient le sujet car, et Bernard Carayon le dit très justement dans son rapport, l'intelligence économique doit être l'affaire de tous. Les termes employés ne le facilitent pas.

Le second point que je voudrais évoquer devant vous tient au fait que l'intelligence économique recouvre un champ extrêmement vaste, peut-être trop... L'efficacité commanderait sans doute de le restreindre ou de le scinder : la protection... la diffusion de l'information... la prospective et il me semble que sur chacun de ces points, il doit être possible de progresser rapidement. Globaliser le problème n'aide pas à le résoudre et une démarche cartésienne paraîtrait plus adaptée.

Le troisième point - qui me paraît découler du précédent, l'Intelligence économique manque de leader. Elle manque de chef de file. Qui dans notre système administratif, quel ministre dispose de la légitimité pour piloter l'ensemble de ce sujet, mis à part le Premier ministre ?

Quatrième point - cette problématique, ces interrogations sur l'Intelligence économique émergent dans un contexte où l'Etat perd de sa légitimité auprès des entreprises, aujourd'hui totalement émancipées pour intervenir dans le domaine économique dans un secteur qui aspire à plus de liberté après tant d'années et tant de décennies de dirigisme plus ou moins éclairé. Avec la mondialisation, avec la construction européenne, mais aussi avec la décentralisation, l'État est devenu un partenaire parmi tant d'autres et nombre de nos concitoyens lui dénient une légitimité particulière. Alors, dans ces conditions, comment envisager un rôle fédérateur dans un contexte aussi divers.

Cinquième point - Une de nos difficultés vient peut-être également du fait que l'on a de la compétitivité une approche trop réductrice : elle ne résulte pas exclusivement du coût de la main d'œuvre, du poids des taxes et des charges ou du cours de la monnaie. D'autres éléments sont importants, voire même déterminants et l'on a peut-être trop tendance à l'oublier. L'information sur les procédés et techniques de fabrication, sur les marchés, sur les réglementations en cours d'élaboration joue un rôle grandissant et l'on n'y prête pas suffisamment attention. Il est vrai qu'il est plus facile et plus rapide de jouer sur les coûts de la main d'œuvre ou le poids des charges que d'intervenir sur la maîtrise de l'information, que d'organiser sa mutualisation.

Sixième point - et c'est peut-être le plus important, c'est que même si le tableau qui vient d'être esquissé peut paraître sombre, peut-être même très sombre, la situation n'est pas pour autant désespérée et un certain nombre de points positifs méritent d'être notés. Je crois à cet égard que ton rapport, cher Bernard, même s'il est très récent, a permis d'ores et déjà plusieurs avancées comme en témoignent certaines circulaires récentes du Premier ministre, les projets relativement avancés auxquels réfléchissent plusieurs ministères ou les prochaines assises des initiatives régionales.

Je crois que les discussions que vous allez avoir cet après midi dans le cadre des différentes tables rondes permettront d'approfondir ces différents points et je suis très impatient de disposer du compte rendu de ces travaux que je lirai avec beaucoup d'intérêt et d'attention.

Je vous remercie.