Accueil > Archives de la XIIe législature > Discours de M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale

01/04/2004 - Palais des Congrès - Clôture de l'Assemblée générale de la CAPEB

Monsieur le Président,
Chers collègues parlementaires,
Mesdames, Messieurs,

Je n'irai pas par quatre chemins pour vous dire qu'intervenir devant vous ce matin constitue pour moi un grand honneur et un réel plaisir. Honneur que vous me faites en m'invitant aujourd'hui à clôturer vos travaux. Plaisir de vous retrouver, Monsieur le Président, et de rencontrer toutes celles et tous ceux qui représentent l'artisanat du bâtiment dans notre pays.

En me donnant la parole en conclusion des travaux de votre Assemblée générale, vous me donnez l'occasion de rendre hommage à l'ensemble des professions et des professionnels du bâtiment que regroupe la CAPEB.

En temps qu'élu local, je mesure pleinement, à Évreux comme dans tout le département de l'Eure, le rôle que vous jouez et la place que vous occupez. Je les mesure d'autant mieux que l'un des vôtres, comme vous venez de le rappeler, Monsieur le Président, siège au sein de mon Conseil municipal.

Avec vous tous, je veux d'abord saluer ce matin les artisans locaux de notre croissance et du développement de nos territoires. Bien sûr, vous êtes beaucoup moins souvent sous les feux de l'actualité et sous les projecteurs des médias que les grandes entreprises de notre CAC 40. Mais cela ne saurait signifier que vous jouez pour cette raison un rôle mineur ou secondaire. Bien au contraire. Vos quelque 310 000 entreprises, toutes professions confondues, comptent dans notre paysage économique. Mieux même, elles y occupent une place capitale.

Et cela d'abord parce que vous constituez le maillage le plus précieux qui soit pour tous nos territoires. Parce que vos 310 000 entreprises et leurs 610 000 salariés sont présents aux quatre coins de la France. Dans nos zones rurales les plus reculées, comme au cœur de nos villes et de nos quartiers. Tout cela est parfaitement logique puisque vous vous installez, par définition et par nécessité, au plus près de la demande. Celle de toutes nos collectivités publiques qui investissent quotidiennement dans l'amélioration de leurs infrastructures, et j'en sais quelque chose pour ce qui concerne le budget d'investissement de la ville d'Évreux. Celle de tous les Français pour lesquels les dépenses liées au logement représentent une part significative de leurs engagements financiers.

Voilà pourquoi vous vous imposez naturellement comme de formidables relais territoriaux de notre croissance et de vitalité économique de nos espaces ruraux, comme urbains. Voilà pourquoi vous reflétez aussi fidèlement et précisément l'état de santé général de notre économie. À tel point que l'on dit souvent, à juste titre si j'en crois mon expérience personnelle, que lorsque le bâtiment va, tout va. Et là encore, rien d'illogique puisque l'investissement dans le logement représente, pour tout ménage, une dépense lourde qui ne saurait être engagée que lorsque l'avenir paraît dégagé. Lorsque la confiance et le moral sont là.

Mais votre rôle ne s'arrête pas à la dynamisation de nos territoires ; vous êtes aussi de puissants animateurs de notre marché de l'emploi et un réel facteur de cohésion de notre société. Et cela d'abord parce que vous connaissez parfaitement chacun de nos bassins d'emplois. Par votre localisation, par la diversité de vos professions, vous êtes les mieux à même d'évaluer les besoins et d'ajuster localement l'offre à la demande.

Pour peu que l'on redonne à vos métiers leurs lettres de noblesse. C'est pour nous tous un véritable défi pour les années à venir, tant le retard pris par notre pays en ce domaine est grand. Il n'est pas de grandes ou de petites carrières, il n'est que des carrières réussies de chefs d'entreprises ou de salariés épanouis dans leur travail de tous les jours. Seul cela compte. C'est pourquoi nous devons collectivement mettre un terme à l'ostracisme dont vos professions et vos métiers ont trop longtemps souffert. Vous devez être mieux reconnus dans le rôle qui est le vôtre de transmission des savoirs et des savoir-faire, alliant tradition et modernité, avec l'éternelle passion du travail bien fait. Vous devez être mieux reconnus dans votre rôle de formation professionnelle et technique de nos jeunes générations pour qui vous devez incarner l'épanouissement personnel, et non, comme je l'entends parfois, la résignation de n'avoir pas trouvé autre chose. En y réfléchissant bien, n'est-ce pas mieux tout de même de réussir dans l'artisanat plutôt que d'attendre pendant des années sur des voies de garage qui ne débouchent sur rien ou de se retrouver relégué durablement dans l'assistance et la désespérance ?

Voilà pourquoi je souhaitais vous rendre hommage aujourd'hui. Parce que vous êtes un facteur essentiel d'équilibre et de dynamisme pour tous nos territoires et un facteur non moins essentiel de cohésion pour notre société.

*

Si je profite de l'occasion que vous me donnez pour vous faire part de ma reconnaissance et de l'attention que je porte à vos préoccupations et à vos attentes, il est tout à fait légitime que le Président LARDIN profite de ma présence pour interpeller le législateur que je représente.

Avant d'en venir à quelques sujets qui vous sont chers et que vous venez d'évoquer, Monsieur le Président, permettez-moi de revenir quelques instants sur les principes simples qui doivent, à mon avis, guider en permanence l'action du Gouvernement et du Parlement.

Comme je ne cesse de le rappeler - et cela ne date pas de mon élection à la Présidence de l'Assemblée nationale -, il nous faut, dans notre pays, légiférer moins et légiférer mieux.

Légiférer moins, voilà une tâche ardue. Car vous le savez aussi bien que moi, chaque ministre qui passe rêve bien souvent de laisser derrière lui une loi qui porte son nom. C'est humain, soit, comme vous venez de le souligner. Mais se pose-t-on toujours la question de savoir si le texte nouveau est absolument indispensable ? Assurément non. D'autant que l'adoption de la nouvelle législation ne s'accompagne pas, le plus souvent, au préalable ou en parallèle, d'un toilettage de la législation ancienne. D'autant également que l'examen d'un nouveau projet de loi donne bien souvent lieu, par voie d'amendements, à une inflation législative qui dépasse, et de loin, la volonté initiale du ministre.

Légiférer mieux, c'est légiférer plus simple, plus lisible et plus clair. Et surtout s'en tenir, dans la loi, à l'essentiel. Je sais que tels sont vos souhaits, comme ceux de tous les chefs d'entreprises, quelle que soit la taille de l'entreprise qu'ils dirigent ou le secteur de leur activité. Tout cela me paraît parfaitement légitime, car ce qui est anormal est qu'un chef d'entreprise soit contraint de s'adjoindre ou d'avoir recours aux services d'un conseiller juridique pour décrypter les textes en vigueur. Il faut ajouter que la simplicité et la clarté de la législation sont aussi une attente de tous nos concitoyens, pour eux-mêmes et pour leur vie quotidienne. Cette exigence de simplicité et de clarté vaut aussi, permettez-moi de le souligner au passage, pour l'action réglementaire du Gouvernement, comme pour la législation européenne, toujours plus nombreuse et diverse.

Sachez que je suis convaincu qu'il est de notre devoir de faire évoluer ces pratiques. J'ajouterai, par voie de conséquence et pour répondre à une autre de vos préoccupations que si nous passions moins de temps à examiner de nouveaux textes, nous pourrions en consacrer davantage au suivi de l'application des dispositions que nous avons votées, comme d'ailleurs à leur évaluation.

Vous avez parfaitement raison d'insister sur l'application des textes adoptés, d'autant qu'il arrive, nous le savons par expérience, que l'esprit de la loi se perde dans les dédales des administrations centrales, à tel point que le texte d'origine ressort dénaturé par décrets d'application interposés. Le Parlement doit donc demeurer en permanence vigilant et en éveil. C'est son rôle, c'est l'une de ses missions qu'il néglige bien souvent, à tort. Et c'est pourquoi l'Assemblée nationale a récemment décidé de mettre en place un dispositif de suivi systématique de l'application des lois dont aura la charge chacun des rapporteurs des projets. Cette réforme va dans le bon sens et je souhaite qu'elle entre rapidement dans les faits.

Si tel était le cas, vous ne vous trouveriez pas dans l'obligation de me demander, Monsieur le Président, pourquoi certains décrets d'application de la loi sur l'initiative économique, promulguée depuis plus de neuf mois, ne sont toujours pas parus. Sachez juste, Monsieur le Président, et vous pouvez me faire confiance, que je ne manquerai pas d'interroger, dès que possible, le nouveau ministre du commerce et de l'artisanat sur ce sujet et de lui demander de faire le nécessaire pour que des dispositions aussi importantes que celle sur la protection du patrimoine personnel du dirigeant d'entreprise entre rapidement dans les faits.

La loi doit donc redevenir un cadre général, et non s'installer comme carcan et j'insiste sur ce point. Pour vous, comme pour toutes les entreprises, elle doit se limiter à créer un environnement économique, social et fiscal favorable à l'initiative, et non le contraire.

Sur ce point, les orientations prises depuis deux ans vont incontestablement dans le bon sens. Bien sûr, nous sommes encore loin du compte. Mais il faut aussi souligner, pour être juste, que le retard pris en la matière était immense, que certaines décisions prises dans un passé récent ne nous facilitaient pas la tâche et que tout ne pouvait être fait en aussi peu de temps.

L'esprit, comme les orientations des mesures prises, sont les bons parce que nous avons la volonté de vous simplifier la tâche, de vous faciliter la vie, de vous permettre de créer, d'innover et de produire davantage, et dans de meilleures conditions.

Les simplifications administratives sont en marche, vos relations et vos démarches, notamment auprès de l'administration de Bercy et de l'administration fiscale, devraient s'en trouver rapidement facilitées.

La première loi sur l'initiative économique, à laquelle vous faisiez allusion tout à l'heure, poursuit un objectif identique. La protection du patrimoine personnel du dirigeant d'entreprise constitue une avancée majeure que vous attendiez, me semble t-il, depuis bien longtemps. Ce premier texte sera suivi d'un second dans les prochains mois, qui répondra là encore à des attentes que vous exprimez depuis des années. Je veux parler du statut du conjoint ou de la transmission d'entreprise, question cruciale s'il en est, à l'heure où un chef d'entreprise sur deux va devoir passer la main dans les prochaines années. Voilà des défis auxquels il nous faut répondre sans attendre.

D'autres questions en suspens ont trouvé des réponses au cours de ces deux années. La réforme du code des marchés publics en est une.

Je crois pouvoir dire que tout a été fait, par cette réforme, pour ouvrir davantage, à vos entreprises comme à toutes les petites et moyennes entreprises, les portes des marchés passés par les collectivités publiques. Qui plus est, je ne voudrais pas vous laisser croire, Monsieur le Président, que le Parlement est resté totalement en dehors de cette réforme. Ce qui ne correspond pas à la réalité puisqu'un groupe de parlementaires et d'élus locaux a apporté une pierre essentielle à ce nouvel édifice.

Entre autres décisions qui vous concernent plus particulièrement, la prorogation de l'application du taux réduit de TVA aux travaux réalisés dans les logements. Mesure pour laquelle vous vous êtes mobilisés, en nombre, et à juste titre, et que nous avons défendue avec la plus grande fermeté face à la Commission européenne et face à nos partenaires européens.

Ne doutez donc pas un seul instant de notre détermination à obtenir sa pérennisation dans l'avenir. Parce que nous sommes tous convaincus de son efficacité économique comme de son utilité sociale.

Je voudrais terminer ce rapide tour d'horizon de notre action par quelques mots sur la décentralisation et les responsabilités locales dont vous avez largement débattu ce matin. C'est un sujet sur lequel j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer à plusieurs reprises et sur lequel vous connaissez certainement mon sentiment. Je ne vois aucune objection à ce que de nouvelles compétences soient transférées aux collectivités locales. A la condition que ces transferts s'accompagnent des financements nécessaires. Et, sous la réserve expresse qu'ils ne mettent pas en cause, ou même en pièces, le rôle qui ne saurait revenir qu'à l'Etat, de garant de l'égalité de traitement des territoires et des hommes et des femmes qui les peuplent. Une fois ce principe posé, tout est dit.

Comme vous pouvez le constater, nous ne sommes pas restés depuis 2002 les deux pieds dans le même sabot. Et nous n'avons pas non plus l'intention d'en rester là. La modernisation de notre pays doit être poursuivie sans aucun doute. Elle passe certainement par un dialogue plus approfondi et plus en amont avec toutes les forces économiques et sociales que compte notre pays. Elle doit aussi éviter, plus que jamais, de laisser au bord du chemin de la croissance et de l'emploi des pans entiers de nos territoires et un nombre croissant de nos salariés et de nos jeunes.

Dans cette perspective, soyez assurés, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, que nous serons plus que jamais à votre écoute. Parce qu'il y va de notre croissance et de la cohésion de notre société. Parce que l'intérêt supérieur du pays l'exige.

Je vous remercie de votre attention.