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03/06/2004 - Réception d'une délégation de Louisiane et remise des insignes de Chevalier de la Légion d'Honneur à Monsieur Manuel CURRY

Monsieur le Lieutenant-Gouverneur,
Monsieur le Ministre conseiller,
Chers amis,

C'est pour moi un très grand plaisir de vous accueillir, ici, à l'Assemblée nationale, dans ces lieux chargés d'histoire, d'une histoire mouvementée, à l'image de celle de la France.

J'espère, Monsieur le Lieutenant-Gouverneur, chers amis de Louisiane que tout au long de votre séjour en France, aujourd'hui à Paris, dans quelques jours en Normandie, vous trouverez un accueil aussi chaleureux que celui qui m'a été réservé à la Nouvelle Orléans et que vous garderez de ce déplacement un souvenir très fort, à l'image des liens qui unissent nos deux pays et de ces moments d'histoire partagée.

Ce plaisir est pour moi d'autant plus grand que cette réception s'inscrit dans le cadre des célébrations qui marqueront le 60ème anniversaire du débarquement de Normandie et de la libération de la France auxquels prirent part de nombreux soldats de Louisiane.

Ces célébrations sont l'occasion pour la France, entourée de ses alliés, de rappeler le souvenir mais également l'héroïsme et le sacrifice de tous ceux qui vinrent à son secours, parfois de très loin, comme les soldats des Etats-Unis, pour l'aider à recouvrer la liberté.

Ces commémorations doivent être l'occasion de rappeler la force des liens qui, depuis maintenant plus de 200 ans, nous unissent aux Etats-Unis et depuis bien plus longtemps encore au territoire que vous représentez, Monsieur le Lieutenant-Gouverneur.

Ces liens se sont forgés au long d'une histoire commune de plusieurs siècles qui s'est construite dans de permanents allers et retours entre les deux rives de l'Atlantique. Bien avant Lafayette, Rochambeau, il y eut Cavelier de la Salle et tous ceux qui, dans son sillage, après avoir découvert les rives du Mississipi s'y sont installés.

Il y eut tous ceux qui acceptèrent de soutenir l'Indépendance des Etats-Unis en venant combattre aux côtés des Insurgents.

Il y eut aussi, on le sait moins, ces Américains séjournant à Paris qui furent les témoins, parfois enthousiastes, de la Révolution française.

Il y eut plus près de nous, pendant la Première Guerre Mondiale, Pershing et ses hommes qui participèrent aux combats sur la Marne, dans les environs de Château-Thierry ou autour de Saint-Mihiel pour résorber ce que l'on appelait alors le Saillant.

Il y eut le débarquement de 1944, Eisenhower, Bradley et Patton et les innombrables Gis qui découvrirent le sol français en prenant pied en Normandie.

Mais ces épisodes guerriers ne sauraient faire oublier la vigueur et l'intensité des échanges entre nos deux pays tout au long de ces siècles, échanges qui participèrent et participent toujours à développer et à enrichir nos cultures respectives.

La vigueur de ces liens, souvent scellés par le sang, ne peut se comprendre si l'on fait abstraction du caractère universel des valeurs que nos deux peuples défendent, valeurs de liberté et de démocratie, concepts qui se sont élaborés progressivement en Grande Bretagne, en Amérique et en France au cours des 17ème et 18ème siècles, et dont aujourd'hui nous sommes tous les légataires indivis et qu'il nous revient, à ce titre, de défendre et de faire partager.

Ces commémorations, au-delà du souvenir des combats passés qu'elles rappellent, doivent être aussi l'occasion pour notre jeunesse d'une magistrale leçon d'histoire et de civisme.

En effet, si pour nous autres acteurs ou témoins de cette époque, ou enfants de la Libération, le souvenir de cette période, des sacrifices qu'elle a demandés est encore bien présent, tout laisse penser que parmi les plus jeunes aujourd'hui, ces événements sont désormais lointains et de plus en plus méconnus.

L'image que les jeunes ont de cette période se réduit souvent à de rares documents d'archives diffusés par la télévision et surtout à quelques super productions cinématographiques comme les studios américains savent en produire.

La guerre, les souffrances qu'elle a engendrées, les dizaines de millions de morts que notre monde a déploré pendant la Deuxième Guerre Mondiale n'ont bien souvent pour eux pas plus de réalité que des héros de western ou de films d'anticipation.

Ces tendances sont bien naturelles et compréhensibles puisque notre pays connaît depuis maintenant 60 ans la paix sur son sol.

Mais il n'est pas sain pour une démocratie que ses citoyens et ses futurs citoyens ne sachent pas que sa défense et sa préservation peuvent avoir un coût et que l'attachement à certaines valeurs et la solidarité peuvent mener au sacrifice.

Il n'est pas sain que notre jeunesse ne sache pas que l'Histoire de son pays est certes faite de grands moments mais aussi parfois d'indicibles tragédies.

C'est pour cela que les témoignages des survivants, qu'ils soient vétérans, anciens résistants ou déportés, voire modestes témoins de leur époque, revêtent tant d'importance car par leur présence, les acteurs de cette époque lui conservent une dimension quasi charnelle. Il est étonnant de voir combien, notamment les plus jeunes, sont sensibles à la parole de ces grands témoins.

C'est pourquoi, je me réjouis d'autant plus que notre rencontre de ce soir me permet d'honorer un des soldats qui se sont illustrés en venant libérer il y a 60 ans notre pays.

Et avant de vous remettre, Monsieur Manuel CURRY, au nom du président de la République Française, la croix de Chevalier de la Légion d'Honneur, la plus haute distinction de notre pays, je voudrais, rapidement, évoquer ce que furent votre carrière et votre engagement.

Enfant de la Nouvelle Orléans, vous êtes incorporé dans l'armée à 18 ans, en juin 1943.

Vous quittez les Etats-Unis en janvier 1944 sur le navire Aquitania qui vous débarque quelques jours plus tard en Ecosse.

Vous découvrez la France, le 6 juin, à Omaha Beach et êtes le témoin de la férocité des combats qui marquèrent le début du débarquement sur cette plage désormais célèbre.

L'unité dans laquelle vous servez, le bataillon médical du 175ème Régiment d'infanterie de la 29ème division d'infanterie sera particulièrement éprouvée puisque dans les premières 24 heures qui ont suivi le débarquement elle aura perdu une grande partie de ces cadres.

Malgré les difficultés des premières heures, vous aurez la chance de participer à la libération de la Normandie et de combattre sur les champs de bataille du Nord de la France, des bords du Rhin et en Allemagne. Vous serez blessé en octobre 1944.

Vous quittez l'armée en décembre 1945; Vous allez alors intégrer la police de la Nouvelle Orléans, police au sein de laquelle vous allez servir pendant 47 ans, pour ainsi dire dans le quartier qui vous a vu naître et grandir jusqu'à votre départ pour l'Europe.

Vous êtes, cher Monsieur Curry, très représentatif de cette jeunesse américaine, qui, à l'âge où elle aurait dû songer à s'amuser ou à s'établir dans la vie, a été brutalement, et quasiment sans préavis, jetée dans la tourmente de la guerre, loin et parfois très loin de sa terre natale.

Vos états de services militaires, comme la longueur de votre engagement au sein de la police de la Nouvelle Orléans témoignent de votre ardeur à défendre les valeurs qui fondent nos démocraties occidentales et les nombreuses distinctions qui vous ont été décernées sont à la mesure de vos convictions et de votre courage.

C'est pourquoi, je suis heureux et fier de vous remettre la plus prestigieuse des distinctions françaises, pour la part que vous avez prise à la libération de notre pays et en hommage à tous vos camarades qui n'ont pas eu la chance de survivre à ces moments.

C'est pour moi l'occasion de vous dire, Cher Monsieur Curry, ma gratitude pour ce que vous avez fait et à travers vous, d'exprimer Monsieur le Ministre conseiller, Monsieur le Lieutenant-Gouverneur, la gratitude de la France pour tout ce qu'ont fait les Etats-Unis d'Amérique pour sa libération et celle de l'Europe.