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03/062004 - Maison de la Chimie - 13èmes Rencontres parlementaires sur l'Épargne : « Dépense publique, investissement et épargne : quel équilibre ? »

Monsieur le Rapporteur général, cher Gilles CARREZ,
Mes chers collègues,
Messieurs les Professeurs,
Mesdames, Messieurs,

Il est difficile pour moi de m'exprimer après l'intervention de notre Rapporteur général. Sa compétence incite à la modestie, d'autant que j'ai aussi à mes côtés le Président MÉHAIGNERIE et que je me trouve face à vous tous qui êtes des spécialistes et en présence d'éminents universitaires. C'est dire que je me sens un peu en liberté surveillée et que je ne suis pas loin d'éprouver le même sentiment que celui que je ressentais quand, il y a de nombreuses années, je passais des examens et des concours.

Par conséquent, je vais simplement parler comme un élu, qui cherche à y voir plus clair et à dégager quelques remarques et quelques orientations de bon sens sur des sujets qui souvent, trop souvent, sont réservés aux spécialistes.

En vous intéressant aux liens et aux équilibres entre ces trois données économiques essentielles que sont la dépense publique, l'investissement et l'épargne, vous avez, en réalité, choisi d'ouvrir l'un des principaux débats auxquels doivent faire face les décideurs publics, à savoir celui de la gestion publique, celui du fonctionnement et du financement de la sphère publique.

Débat ô combien sensible dans notre pays et qui n'est pas loin de relever du domaine de l'interdit. Probablement parce que l'intervention publique, et donc la dépense publique, appartiennent d'abord dans notre inconscient collectif au champ des questions de société dont il est quasiment indécent de vouloir évaluer l'efficacité, les conséquences et même le coût économique. Probablement aussi parce que ce débat a été, ces dernières années, à ce point accaparé, d'un côté par les défenseurs inconditionnels de la dépense publique, de l'autre par ses pourfendeurs systématiques, qu'il s'en est trouvé dénaturé, parce que caricaturé. Certainement enfin parce qu'il fut occulté sous la précédente législature pour cause de conjoncture favorable.

Pour autant, ce débat ne peut plus attendre. Il doit être abordé de manière mesurée et raisonnable, à l'évidence, en échappant aux a priori idéologiques de tous bords. Mais il doit l'être aussi avec la plus grande détermination.

Ouvrir le débat et engager l'action, parce que la situation de nos finances publiques l'exige. Et, à cet égard, je dois dire que le ralentissement brutal de notre croissance depuis 2001 aura peut-être été salutaire, en dépit des conséquences qu'il a entraînées pour notre économie et notre société. Il aura peut-être aidé à prendre conscience qu'il n'est pas tenable, sur le long terme, que nos dépenses publiques, et plus particulièrement nos dépenses de fonctionnement, continuent à croître à un rythme supérieur à celui de l'augmentation de la richesse de notre pays. Sauf à considérer que l'État et l'administration peuvent durablement vivre au-dessus de leurs moyens, et donc des nôtres, et que la progression du poids de nos dépenses publiques dans notre PIB est inexorable.

Il aura aussi montré qu'il n'est pas normal que nos comptes publics soient en déséquilibre permanent quelle que soit la conjoncture. La majorité de nos partenaires de la zone Euro sont parvenus, à la fin des années 90, à rétablir des excédents de leurs finances publiques. Pourquoi n'en serions-nous pas capables ? Là encore, je ne suis pas un fanatique de l'excédent des comptes publics mais je considère que si les déficits peuvent être conjoncturels, ils ne doivent pas être structurels.

Il n'est enfin pas sain d'être contraint de recourir à l'emprunt pour financer les dépenses courantes de l'administration. De la même manière qu'il n'est pas sain que les dépenses d'investissement public, qui sont autant de dépenses d'avenir, servent presque constamment de variable d'ajustement dès lors que les dépenses de fonctionnement de l'État dérapent.

C'est dire que nous ne pouvons pas continuer éternellement à sous-estimer, voire même à ignorer, les conséquences sur notre économie et sur notre compétitivité de comptes publics structurellement déficitaires. Nos déséquilibres, s'ils venaient à être acceptés et considérés comme permanents, constitueraient un frein évident et durable pour notre croissance. Ils représentent, il faut bien le dire, pour tous les agents économiques, ménages comme entreprises, un facteur d'incertitude, une épée de Damoclès qui décourage l'investissement et la consommation et incite à l'épargne. Notons au passage que le taux d'épargne brute des ménages français n'a cessé d'augmenter depuis près de vingt ans, alors qu'il a diminué ces dernières années chez un grand nombre de nos partenaires européens, notamment chez ceux qui ont enregistré des excédents de leurs comptes publics. S'il n'est pas de certitude en économie, peut-être faut-il voir une corrélation entre ces deux évolutions.

Sur un autre plan, les déséquilibres de nos comptes publics conduisent à capter au profit de l'État, et pour le financement de ses dépenses courantes, une partie de l'épargne nationale qui serait, à l'évidence, plus utile et plus efficace, si elle venait s'investir dans le développement de nos entreprises pour améliorer leur compétitivité.

La situation de nos comptes publics, comme ses conséquences sur les comportements des agents économiques et sur le financement des activités de la sphère productive appelaient une vigoureuse action de redressement. Je me félicite qu'elle ait été engagée et que la voie de la maîtrise de nos dépenses publiques et de nos dépenses de fonctionnement ait été choisie. C'était une décision de sagesse pour stopper l'effet « boule de neige » des déficits et de la dette. Bien sûr, nous constatons tous que les résultats ne sont pas encore là, puisque la dette publique a encore progressé l'année dernière en pourcentage de notre richesse nationale et que nos déficits publics rapportés au PIB ne devraient entamer leur décrue que cette année. Mais la politique conduite n'est pas en cause et les difficultés budgétaires que nous connaissons depuis deux ans sont la conséquence directe et mécanique du ralentissement de la croissance qui a touché la quasi-totalité de nos partenaires européens et auquel nous n'avons pas échappé.

L'action de redressement nécessite de la constance, tout comme le changement des comportements de l'administration doit s'inscrire dans la durée.

Le chemin choisi est, à cet égard, le meilleur moyen de rétablir, dans le temps, la confiance et le moral des agents économiques, tout comme il constitue le plus sûr moyen de dégager des sources de financement supplémentaires pour les investissements productifs et d'alléger la pression sur le coût de l'argent à long terme. Il permet aussi de restaurer les capacités d'investissement des administrations publiques qui sont indispensables pour l'avenir de notre Nation. Sous la réserve expresse que nous ne cédions pas à la tentation, comme nos prédécesseurs, de faire subir aux budgets d'investissement le même sort qu'ils ont connu dans le passé, au motif que la dépense publique doit être stabilisée en volume et dans son ensemble ; ce qui ne saurait signifier de manière uniforme. Les dépenses d'investissement prévues par les lois de programmation sont, à cet égard, un garde-fou qu'il nous faut préserver.

Les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement - la recherche en est un exemple - n'ont ni la même portée, ni la même efficacité économique. Elles ne doivent donc pas être traitées de manière identique. Ce jugement vaut pour notre cadre national, comme il doit aussi s'imposer au plan européen. Je pense en particulier aux modalités d'application du Pacte de stabilité auxquelles il nous faut réfléchir, en concertation avec nos partenaires, bien entendu, pour les adapter aux évolutions de la conjoncture et à la nature des dépenses engagées. Je sais que des initiatives seront prises prochainement par la France, à l'initiative du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur ce dossier et je souhaite vivement qu'elles permettent d'aboutir à un accord. Il y va de l'intérêt de la France, comme de celui de tous nos partenaires européens.

Voilà les orientations de long terme que nous avons choisies et qu'il nous faut poursuivre pour dégager des capacités d'investissement nouvelles, publiques comme privées, qui sont les meilleurs gages pour garantir la compétitivité de notre appareil de production et préparer l'avenir.

Bien sûr, ces choix, fussent-ils indispensables, n'épuisent pas l'action qui doit être la nôtre. Il nous faut aussi développer les synergies entre les fonds publics et les capitaux privés qui peuvent être particulièrement efficaces lors des créations d'entreprises, pour des opérations de développement ou pour des investissements bien spécifiques, notamment en matière de recherche et d'innovation. Dans cette perspective, le rapprochement actuellement à l'étude des structures de la BDPME, de l'ANVAR et de l'APCE me semble répondre à cette préoccupation.

Parallèlement, nous devons nous efforcer d'orienter toujours davantage l'épargne disponible vers les investissements productifs, créateurs de richesses et d'emplois. Là aussi, des réflexions sont en cours sur l'adaptation et la modernisation de certains de nos produits d'épargne, comme cela avait été fait dans le cadre de la loi sur l'initiative économique. Je souhaite vivement que ces réflexions débouchent sur des propositions concrètes qui pourraient être mises en place dans les meilleurs délais.

Sur tous ces sujets et sur bien d'autres encore que vous évoquerez tout au long de cette journée, je suis convaincu que vos treizièmes rencontres parlementaires sur l'épargne éclaireront le débat et contribueront à faire émerger de nouvelles idées qui inspireront dans les mois qui viennent, j'en suis certain, l'action publique.