Accueil > Archives de la XIIe législature > Discours de M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale

11/12/2004 - Ouverture du Forum de la Réussite des Français venus de loin

Messieurs les Ministres,

Madame la Présidente,

Chers collègues,

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi tout d'abord de vous dire tout le plaisir que j'ai à vous accueillir ce matin, ici, à l'Assemblée nationale, à l'occasion de ce forum de la Réussite des Français venus de loin et de me réjouir de l'initiative prise par le Haut Conseil de l'intégration et de sa présidente, Blandine Kriegel, que je salue tout particulièrement.

L'intégration est, pour un pays comme le nôtre, une question fondamentale mais également une tradition ancienne. Notre République, comme le proclamaient haut et fort nos devanciers de la Révolution Française, et comme l'affirme toujours notre Constitution, est une et indivisible.

Bien sûr, dans l'esprit de ses auteurs, cette formule s'appliquait d'abord au territoire, alors sous la double menace des invasions étrangères et de la sécession girondine.

Mais cette formule s'applique aussi à la communauté nationale dans son ensemble.

Cette communauté de citoyens, notre communauté nationale doit être soudée par les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité devenues aujourd'hui notre devise, car ces trois éléments constituent les conditions de l'épanouissement individuel et collectif.

Pendant des siècles, notre pays, fidèle à ces principes, a accueilli, a agrégé à la communauté nationale des étrangers venus de toute part.

Pendant la Révolution, Constituants et Constitutionnels, sans doute persuadés de l'universalité des valeurs qu'ils défendaient, ont mis un point d'honneur à proposer la nationalité française à ceux que l'on appelait les "patriotes", quel que soit leur pays d'origine. Parce qu'ils étaient habités par la même soif de liberté, ils leur ont accordé l'égalité des droits et les ont accueilli en frères.

Et en scrutant avec un peu d'attention la riche histoire de notre pays, on peut voir combien d'illustres généraux, de brillants scientifiques, d'artistes célèbres, d'hommes politiques, étrangers ou d'origine étrangère, ont contribué à la grandeur et au rayonnement de notre pays : Mazarin, Lully, le Maréchal de Saxe, le Général Poniatowski, Gambetta, Savorgnan de Brazza, et tant d'autres encore...

Mais au-delà de ces noms illustres, dont regorgent nos manuels d'Histoire, combien de centaines, de milliers de destins plus modestes ont contribué à dessiner les paysages de nos villes et de nos campagnes, ont participé au développement économique et à la prospérité de notre pays, ainsi qu'à la défense de son sol.

Bien entendu, cette intégration ne s'est pas réalisée sans heurts ou sans secousses, mais ce mouvement s'est opéré, qu'on le veuille ou non, de façon continue.

Or, depuis maintenant une bonne vingtaine d'années, ce modèle d'intégration à la française semble remis en cause.

Le constat est maintenant largement partagé. Les multiples difficultés auxquelles sont confrontées les populations concernées, ses conséquences sont trop visibles, sont unanimement dénoncées : errance, zones urbaines dégradées, violences, délinquance, trafics en tous genres.

Notre société, sa cohésion en sont profondément ébranlées.

L'immigré, l'étranger, ou réputé tel, est souvent perçu comme en étant la cause et donc un peu plus rejeté comme le montrent les phénomènes d'intolérance, de discrimination qui se multiplient.

Face à cette situation, il serait facile de baisser les bras, de se replier sur son propre confort, de se retrouver chacun entre soi, au sein de sa petite communauté qu'elle soit familiale, géographique, sociale ou ethnique, sans se préoccuper de ce qui se passe autour.

Mais alors que serait cette République, à quoi ressemblerait notre pays ?

C'est justement pour éviter cette perspective inacceptable d'une société française morcelée, d'une société éclatée, que l'intégration doit être au cœur de nos préoccupations, qu'il s'agisse de l'intégration des jeunes, de l'intégration des nouveaux arrivés ou tout simplement de l'intégration de celles et ceux qui sont plus fragiles que les autres.

Cette intégration doit être une véritable intégration et non un alibi.

Elle doit permettre de donner, à celles et ceux qui en sont les bénéficiaires, les moyens de surmonter leurs faiblesses ou leurs handicaps et de trouver leur juste place dans notre société, notamment en leur permettant d'accéder plus particulièrement au travail et à l'emploi. Et ce n'est pas en instaurant d'éventuels quotas que l'on réglera durablement ce problème. L'opinion française y est, je le crois, hostile. Il faut donner à ces jeunes issus de l'immigration les moyens de se confronter, si je puis dire, à armes égales à leurs compatriotes du même âge afin que le meilleur puisse l'emporter, quelle que soit son origine.

Cette politique, pour réussir, doit être globale, c'est-à-dire s'attaquer à toutes les problématiques auxquelles un individu d'origine étrangère peut être confronté : accueil, maîtrise de la langue, connaissance de nos lois et du fonctionnement de nos institutions, logement, accès au marché de l'emploi.

Elle doit s'appuyer sur des priorités clairement définies,
qui vont de pair avec la mise en œuvre d'une véritable politique de contrôle des flux migratoires et de lutte contre l'immigration clandestine.

Enfin, elle doit s'appuyer sur une ambition forte, fondée sur la conviction du caractère irremplaçable de l'apport à notre communauté nationale de celles et ceux qui ont fait le choix de s'y agréger.

En effet, si la politique d'intégration menée depuis 50 ans n'a pas toujours produit des fruits à la hauteur des espérances ou des moyens investis,

si, comme dans la plupart des domaines de l'action publique, il est possible de faire mieux, peut-être même beaucoup mieux,

on ne peut pas dire, pour autant, que notre politique d'intégration a échoué ou qu'elle serait en faillite.

Car s'il est de bonne guerre de dénoncer ce qui ne fonctionne pas, encore faut-il avoir l'honnêteté intellectuelle de reconnaître ce qui est satisfaisant.

Or, dans le domaine de l'intégration, et encore aujourd'hui, on ne peut qu'être surpris et étonné du nombre de jeunes et de moins jeunes qui ont, quelles que soient leurs origines, réussi à s'insérer parfaitement dans notre société et ont parfois connu des succès professionnels retentissants, dépassant le cadre de nos frontières.

Comme peuvent en témoigner ce matin les membres des différents jurys, les lauréats, le nombre impressionnant de candidats, vous-même, Monsieur le Ministre, ces réussites, plus ou moins grandes, sont bien réelles et innombrables. Elles doivent, comme ce forum, redonner espoir.

Elles doivent redonner espoir, d'abord à celles et à ceux qui, venus de loin, peuvent avoir le sentiment d'être rejetés par notre société alors même qu'ils désirent s'y épanouir. Je souhaite ardemment, que ce forum, que ces réussites puissent servir de repères, de références, notamment aux plus jeunes pour les aider à bâtir leur projet professionnel.

Elles doivent redonner espoir aussi aux acteurs politiques en leur montrant que les efforts considérables déployés depuis des années, par l'État, par les élus locaux, par tous les acteurs associatifs ne l'ont pas été en vain et qu'ils peuvent donc continuer à s'investir.

Alors, pour conclure, je voudrais adresser un grand merci à toutes celles et à tous ceux qui nous montrent aujourd'hui que l'intégration dans notre pays est possible, que l'on peut y réussir, quelles que soient ses origines et leur rendre un hommage appuyé pour les efforts extrêmement importants qu'ils ont dû déployer afin d'y parvenir.