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19/12/2004 - Discours prononcé à Caluire (Rhône), à l'occasion de l'inauguration de la statue de Jean Moulin

Monsieur le Garde des Sceaux
Monsieur le Président du Conseil régional,
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs,

Funeste journée que ce 21 juin 1943 où la tragédie du drame personnel qui se noue le dispute au caractère sordide d'une arrestation brutale, arrestation brutale qui aurait pu renverser le cours de l'histoire de la Résistance.

C'est donc ici, à Caluire, le 21 juin 1943, que Jean Moulin dit Max tombe aux mains du Sicherheitsdienst, le service de renseignements et de sécurité du IIIe Reich.

Aux alentours de 15 heures, sortant de trois tractions avant noires, une dizaine d'hommes de la Gestapo commandés par Klaus Barbie, encerclent la villa du Docteur Dugoujon, place Castellane, où se tient une réunion clandestine organisée autour de Jean Moulin. L'objet de cette réunion de Caluire devenue si tristement célèbre était de prendre des mesures conservatoires après l'arrestation du général Delestraint, le chef de l'armée secrète, arrêté le 9 juin 1943 à Paris.

De ce rendez-vous fatal de Caluire, on retiendra que Jean Moulin fut en retard de trois quarts d'heure à la "consultation spéciale" du Docteur Dugoujon ; la Gestapo prévenue, en retard de trois quarts d'heure aussi...

Un seul des huit résistants parviendra à s'échapper. Les sept autres, dont Raymond Aubrac, aujourd'hui membre éminent du jury qui a sélectionné la statue que nous allons dévoiler dans quelques instants, les sept autres résistants sont transférés à la prison de Montluc à Lyon. Le 25 juin, usant de méthodes barbares, Klaus Barbie parvient à percer l'identité de Max, alias Jean Moulin qui est transféré à Paris à la fin du mois. Jean Moulin, martyr de la Résistance, l'homme qui ne parlera pas même sous la torture, meurt vraisemblablement le 8 juillet en gare de Francfort lors de son transfert à Berlin.

Jean Moulin, à qui nous rendons aujourd'hui hommage, est devenu pour nous tous le visage même de la Résistance.

Vingt ans après les liesses de la Libération, un samedi 19 décembre 1964, il y a exactement 40 ans, jour pour jour, les cendres de Jean Moulin entrent au Panthéon. André Malraux invoque « le pauvre roi supplicié des ombres », celui qui avait été Rex ou Max. Ses cendres rejoignaient ainsi « celles de Carnot avec les soldats de l'An II, celles de Victor Hugo avec les Misérables, celles de Jaurès veillées par la Justice... ».

500 porteurs de torches éclairent ce cortège funèbre qui remonte la rue Soufflot plongée dans l'obscurité mais que regarde la France entière.

Puis ce fut le verbe flamboyant d'André Malraux, rythmé par les tambours du chant des Partisans. André Malraux, sublimement inspiré, dispute à la tribune les feuillets de son discours au vent qui tourbillonne autour du cénotaphe. Comme si les éléments de la nature, eux aussi, s'associaient à l'hommage solennel de la France pour mieux faire flotter la multitude de drapeaux tricolores.

Ces mêmes drapeaux glorieux de nos armées nous entourent aujourd'hui à Caluire. Dans quelques instants, leur mat va s'incliner et je rends hommage aux hommes et aux femmes qui les portent. Je salue l'héroïsme et le courage de tous les membres de cette armée de l'ombre qui a, dans le sillage de Jean Moulin, permis à la France d'être assise à la table des vainqueurs.

A travers Jean Moulin, c'est la France du redressement national que nous honorons aujourd'hui, la France de la lutte dans l'honneur, une France qui ne renonce pas et qui tourne le dos à la défaite.

Les Résistants savaient avec de Gaulle que la liberté et la souveraineté d'un peuple dépendaient aussi de sa capacité à se libérer lui-même ! De sa capacité à rétablir l'ordre et à se reconstruire !

De cette union de la Résistance intérieure, la France combattante tirera sa pleine légitimité. De cette union, la République des catacombes tirera l'énergie et la force pour redevenir la France du grand jour !

Pour que la France se relève, qu'elle retrouve son rang et son indépendance parmi les Alliés, il fallait que la Résistance intérieure qui n'était d'abord, selon le mot d'André Malraux, qu'un « désordre de courage », soit unifiée autour du général de Gaulle. Cette unification de la Résistance, point de départ du renouveau national, restera l'œuvre capitale de Jean Moulin. Le renouveau de la France passait par le redressement de l'État de la même manière que son affaiblissement provenait d'une déliquescence de ses Institutions. Et ce n'est pas, dès lors, une simple coïncidence que le premier chef de la Résistance fut un préfet d'une République qui n'avait pas abdiqué. C'est le signe qu'il ne pouvait y avoir de sursaut sans renaissance de l'Esprit républicain, prélude au retour de l'État républicain.

Le temps passe inexorablement mais la reconnaissance de la nation reste et doit demeurer toujours aussi vive. Le message de la Résistance, loin de s'épuiser, doit persister. Car c'est en temps de paix, quand la tentation de la facilité et du lâche renoncement s'installe que l'exemple de la France libre et combattante doit être exalté, doit être rappelé !

André Malraux voyait dans l'unité de la Résistance le moyen capital du combat pour l'unité de la nation. « C'était peut-être affirmer, disait-il, ce qu'on a depuis appelé le gaullisme ». C'était certainement proclamer la survie de la France !

Cette belle statue, dont le Jean Moulin amateur d'art et artiste lui-même aurait sans doute apprécié l'élégance, l'émotion et la force qu'elle dégage, cette belle statue jalonne désormais l'endroit même où commença le supplice de Jean Moulin. Cette statue nous unit aujourd'hui dans le souvenir des pages les plus tragiques de notre Histoire.

Je forme aussi le vœu qu'elle puisse rappeler à nos enfants d'aujourd'hui ce que fut l'œuvre immense de la Résistance. Une œuvre de lutte contre l'occupant, mais aussi une formidable œuvre de reconstruction des institutions de la France. Nous lui devons notre liberté. La Résistance, ce fut aussi la camaraderie au-delà des frontières partisanes, le compagnonnage dans la clandestinité, la même espérance enfin dans un fraternel et unique combat pour le salut de la Patrie.

Je vous remercie.