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19/12/2004 - Discours prononcé à Béziers (Hérault), à l'occasion de l'inauguration de la statue de Jean Moulin

Monsieur le Maire,
Monsieur le Député,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs,

C'est le jour de Noël, le 24 décembre 1941 à Londres, que le général de Gaulle rédige un nouvel ordre de mission ainsi rédigé :

« Je désigne M. Jean Moulin, préfet, comme mon représentant et comme délégué du Comité national pour la zone non directement occupée de la métropole.

Monsieur Moulin a pour mission de réaliser dans cette zone l'unité d'action de tous les éléments qui résistent à l'ennemi et à ses collaborateurs.

Monsieur Moulin me rendra compte directement de l'exécution de sa mission. »

Signé : Général de Gaulle

Lourde et immense tâche ! Mais le destin rencontre un homme qui deviendra le symbole de la République des catacombes. En cet hiver 1941, une année à peine après le choc de l'effondrement de la France, rien alors n'est réglé : ni l'indispensable unité de la Résistance intérieure, ni la reconnaissance de l'autorité du général de Gaulle. La France est plongée dans la nuit et le froid de la défaite.

Jean Moulin, à qui nous rendons aujourd'hui hommage, est devenu pour nous tous le visage même de la Résistance.

Vingt ans après les liesses de la Libération, un samedi 19 décembre 1964, il y a exactement 40 ans, jour pour jour, les cendres de Jean Moulin entrent au Panthéon. André Malraux invoque « le pauvre roi supplicié des ombres », celui qui avait été Rex ou Max. Ses cendres rejoignaient ainsi « celles de Carnot avec les soldats de l'An II, celles de Victor Hugo avec les Misérables, celles de Jaurès veillées par la Justice... ».

La veille de ce 19 décembre 1964, vers midi, le Président de la République Charles de Gaulle se rend au columbarium du Père Lachaise. Il s'incline devant la petite urne funéraire sortie de la case 3 857 avant qu'elle ne soit placée dans un cercueil couvert d'une étamine tricolore.

Deux heures plus tard, ce même cercueil est déposé à la pointe de l'île Saint-Louis, à l'entrée du mémorial des martyrs de la déportation où vont se relayer, de quart d'heure en quart d'heure, une garde d'honneur de 187 compagnons de la Libération.

A 21 heures, un engin de reconnaissance blindé débarrassé de sa tourelle porte, dans un lent cortège, le cercueil jusque sur les hauteurs de la montagne Sainte-Geneviève.

Là, au Panthéon de la République, sur le péristyle, devant les portes de bronze grandes ouvertes, débute une seconde veillée solennelle avec le peuple de Paris dont la première garde est assurée par le général Kœnig et Pierre Messmer.

Le lendemain, c'est-à-dire le 19 décembre, la cérémonie officielle proprement dite commençait. Cette cérémonie est gravée à jamais dans notre mémoire nationale.

Le gros bourdon de Notre Dame sonne le glas, comme au jour de la Libération de Paris à l'arrivée sur la place de l'Hôtel de Ville des trois premiers chars de la 2ème Division blindée. Louis Mangin, un compagnon de la Libération qui avait occupé les fonctions importantes de délégué militaire national, porte sur un coussin les 4 décorations de Jean Moulin :

- la Légion d'honneur obtenue en février 1937,

- la croix de la Libération conférée dès novembre 1942 mais qui ne pourra lui être remise qu'en février 1943, à Londres, par le Général de Gaulle en personne,

- la médaille militaire,

- la médaille de la Résistance.

500 porteurs de torches éclairent ce cortège funèbre qui remonte la rue Soufflot plongée dans l'obscurité mais que regarde la France entière.

Puis ce fut le verbe flamboyant d'André Malraux, rythmé par les tambours du chant des Partisans. André Malraux, sublimement inspiré, dispute à la tribune les feuillets de son discours au vent qui tourbillonne autour du cénotaphe. Comme si les éléments de la nature, eux aussi, s'associaient à l'hommage solennel de la France pour mieux faire flotter la multitude de drapeaux tricolores.

Ces mêmes drapeaux glorieux de nos armées nous entourent aujourd'hui à Béziers. Dans quelques instants, leur mat va s'incliner et je rends hommage aux hommes et aux femmes qui les portent. Je salue l'héroïsme et le courage de tous les membres de cette armée de l'ombre qui a, dans le sillage de Jean Moulin, permis à la France d'être assise à la table des vainqueurs.

A travers Jean Moulin, c'est la France du redressement national que nous honorons aujourd'hui, la France de la lutte dans l'honneur, une France qui ne renonce pas et qui tourne le dos à la défaite.

Le temps passe inexorablement mais la reconnaissance de la nation reste et doit demeurer toujours aussi vive. Le message de la Résistance, loin de s'épuiser, doit persister. Car c'est en temps de paix, quand la tentation de la facilité et du lâche renoncement s'installe que l'exemple de la France libre et combattante doit être exalté, doit être rappelé !

« Je ne savais pas qu'il était si simple de faire son devoir quand on est en danger », écrit Jean Moulin dans une lettre à sa mère en juin 1940. Cette phrase résume la grandeur d'âme du préfet Jean Moulin qui, le 11 juin 1940, a fait placarder sur les murs de Chartres l'affiche suivante :

« Les élus et les fonctionnaires se doivent de donner l'exemple. Aucune défaillance ne saurait être tolérée ».

Cet homme, un haut fonctionnaire qui a eu le courage et la lucidité de dire NON au régime de Vichy, Jean Moulin, fut héroïque par deux fois :

- comme chef de la Résistance, mort sous la torture sans parler, alors qu'il savait tout,

- et, trois ans plus tôt, comme préfet d'Eure-et-Loir, torturé en juin 40 par les Allemands qui voulaient lui faire signer une fausse proclamation accusant d'atrocités des tirailleurs sénégalais.

Pour que la France se relève, qu'elle retrouve son rang et son indépendance parmi les Alliés, il fallait que la Résistance intérieure qui n'était d'abord, selon le mot d'André Malraux, qu'un « désordre de courage », soit unifiée autour du général de Gaulle. Cette unification de la Résistance, point de départ du renouveau national, restera l'œuvre capitale de Jean Moulin. Le renouveau de la France passait par le redressement de l'État de la même manière que son affaiblissement provenait d'une déliquescence de ses institutions. Et ce n'est pas, dès lors, une simple coïncidence, que le premier chef de la Résistance fut un préfet d'une République qui n'avait pas abdiqué. C'est le signe qu'il ne pouvait y avoir de sursaut sans renaissance de l'Esprit républicain, prélude au retour de l'État républicain.

Ainsi, cette unification de la Résistance a d'abord une dimension éminemment politique, même si ses conséquences opérationnelles furent majeures sur le terrain. « J'en fus à l'instant même plus fort », écrira le général de Gaulle. Tout le paysage de la France d'après guerre se dessine dès cet instant.

Les Résistants savaient avec de Gaulle que la liberté et la souveraineté d'un peuple dépendaient aussi de sa capacité à se libérer lui-même ! De sa capacité à rétablir l'ordre et à se reconstruire !

De cette union de la Résistance intérieure, la France combattante tirera sa pleine légitimité. De cette union, la République des catacombes tirera l'énergie et la force pour redevenir la France du grand jour !

Mesdames et Messieurs,

Mes chers amis,

l'histoire a surnommé Lazare Carnot « l'organisateur de la victoire ». C'est pourquoi André Malraux a dit de Jean Moulin qu'il était « le Lazare Carnot de la Résistance » : ce n'est pas lui qui l'a créée, mais c'est lui qui l'a organisée.

Cette belle statue, qui honore l'enfant glorieux de Béziers, nous unit dans le souvenir des pages les plus tragiques de notre histoire. Je forme aussi le vœu qu'elle puisse rappeler à nos enfants d'aujourd'hui ce que fut l'œuvre immense de la Résistance. Une œuvre non seulement de lutte contre l'occupant, mais une formidable œuvre aussi de reconstruction des institutions de la France. Nous lui devons notre liberté. La Résistance, ce fut aussi la camaraderie au-delà des frontières partisanes, le compagnonnage dans la clandestinité, la même espérance enfin dans un fraternel et unique combat pour le salut de la Patrie.

Je vous remercie.