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03/01/2005 - Palais de l'Élysée - Voeux de M. Jean-Louis Debré et du Bureau au Président de la République

Monsieur le Président de la République,

Alors que débute l'année 2005, je suis heureux de vous présenter au nom du Bureau de l'Assemblée nationale nos vœux les plus sincères et permettez-moi de vous adresser mes souhaits chaleureux et affectueux de bonne année pour vous et votre famille.

Les députés, vous le savez, ont été dans leur département des artisans de la solidarité nationale à l'égard des victimes du drame survenu en Asie.

Monsieur le Président de la République,

Cette année sera placée sous le sceau de l'Europe. Le référendum sur la ratification du projet de Constitution européenne donnera au peuple français, parce que vous l'avez voulu, le soin d'engager ou non une nouvelle étape d'un projet européen que le travail patient de plusieurs générations de responsables politiques a rendue possible.

L'Assemblée nationale ne sera pas absente de ce grand débat puisque nous aurons à examiner, dès le mois de janvier, la révision constitutionnelle qui nous permettra d'adapter nos procédures intérieures aux exigences institutionnelles contenues dans le traité. Exigences qui constituent pour le Parlement français et l'ensemble des parlements nationaux autant d'avancées politiques sur la voie d'une reconnaissance de notre rôle majeur dans l'architecture des pouvoirs européens.

Je me félicite à cet égard, comme l'immense majorité des députés, que les Parlements nationaux se voient confier par le projet de Constitution européenne la fonction essentielle de garants du respect du principe de subsidiarité. Les nouveaux droits qui nous sont dévolus à ce titre, qu'il s'agisse de la possibilité d'émettre une « alerte précoce » ou de former un recours contre un acte européen devant la Cour de justice des Communautés européennes, ouvrent des perspectives réelles. Il nous incombera d'en faire usage, le cas échéant, avec fermeté, mais aussi avec le sens des responsabilités.

En tout état de cause, il y a lieu de se réjouir que le Parlement soit, par les instruments ainsi imaginés, en mesure d'être mieux associé à l'élaboration comme au contrôle des actes européens. L'Europe pourra, dès lors, mieux s'ancrer dans la réalité des peuples qui la composent et commencer à combler le déficit démocratique qui la mine depuis tant d'années. Nos compatriotes attendent en effet de cette grande idée non pas un surcroît de réglementation ou d'interdictions mais, bien au contraire, un surcroît d'influence et de puissance, une capacité à peser davantage dans les affaires du monde. L'émergence d'une conscience européenne est à ce prix.

Si le débat référendaire sera, à n'en pas douter, l'occasion d'éclairer la nature de l'Europe à construire, le débat parlementaire qui le précédera doit y avoir aussi sa part. Celle-ci sera d'autant plus perceptible que la révision constitutionnelle sera brève, bien énoncée et précise dans sa rédaction. Puissions-nous avoir, collectivement, le souci de maintenir la cohérence et l'architecture équilibrée de notre loi fondamentale, sans l'alourdir au-delà de ce qui est strictement nécessaire à son adaptation aux réalités du monde. Je sais que c'est votre souhait. Je voudrais qu'il soit toujours partagé.

Car nous avons besoin, pour rendre à la politique toute sa noblesse et aux travaux parlementaires tout leur intérêt, de nous consacrer à l'essentiel. Ce qui est vrai pour l'Europe est, à cet égard, vrai pour la France. La complexité des procédures, la technicité des mécanismes, la multiplication des centres de décisions diluent la responsabilité et éloignent le citoyen de ses représentants. Notre tâche, immense, est de remettre de l'ordre dans cette machinerie qui semble avoir échappé à notre maîtrise pour s'emballer à un rythme effréné.

C'est la raison pour laquelle j'avais appelé à de multiples reprises l'attention du Gouvernement sur la nécessité de légiférer mieux, quitte à légiférer moins. Je constate avec un début de satisfaction que le message que j'avais lancé au nom des députés a été en partie entendu. Mais il reste beaucoup à faire en ce domaine, tant il est vrai qu'il s'agit d'un combat quotidien.

Monsieur le Président de la République,

Qu'il me soit permis en cette circonstance de mettre l'accent sur trois points qui me tiennent particulièrement à cœur et qui sont, à tort, trop souvent oubliés :

- le respect de la frontière entre l'article 34 et 37 de la Constitution, c'est-à-dire entre le domaine de la loi et du règlement. J'ai déposé une proposition de loi constitutionnelle pour interpeller le Gouvernement sur la nécessité qu'il y aurait à mieux en garantir l'application, le cas échéant par des moyens renouvelés. Une réflexion s'impose à l'évidence sur cette question.

- Deuxième point, important à mes yeux : la limitation du phénomène nouveau et alarmant que constitue le dépôt tardif d'amendements par le Gouvernement, c'est-à-dire après l'expiration du délai et, parfois, très peu de temps avant leur discussion. Cette pratique doit rester exceptionnelle et ne pas se généraliser, sauf à admettre que le débat parlementaire soit bâclé et mené dans l'improvisation la plus totale. Je resterai, ainsi que les Présidents de groupe parlementaire et les Présidents de commission, vigilant sur ce point car il y va de la qualité du travail législatif. Je souhaite que le Gouvernement le comprenne, dès lors que ses prérogatives ne sont pas remises en cause.

- Troisième point important : le soin apporté, enfin, à la publication des décrets d'application. Rien ne sert de légiférer si les conséquences n'en sont pas tirées rapidement sur le plan de l'action de l'Administration. Il faut malheureusement attendre en moyenne 10 mois pour que les décrets d'application d'une loi soient publiés au Journal Officiel et donc rendre cette loi applicable. Ce délai trop long n'est pas compris par nos concitoyens. Lorsque la loi est votée par le Parlement, il pense que son application se fera rapidement. Il faudrait que l'administration comprenne que le temps des politiques n'est pas le même que son temps à elle et il conviendrait de réduire ainsi les délais nécessaires à l'application de la loi par la publication de décrets qui s'y rapportent. C'est pourquoi, à mon initiative, le Règlement de l'Assemblée nationale a étendu l'action du rapporteur d'un projet de loi au-delà de son examen par le Parlement, le temps pour lui de s'assurer que le texte voté est bel et bien appliqué et de le signaler, dans le cas contraire, avec force, aux administrations compétentes. Nous exerçons ainsi un premier contrôle sur l'action du Gouvernement qui fait partie intégrante de notre mandat.

Monsieur le Président,

Si nous parvenions à progresser dans ces trois directions, nous ferions œuvre utile non seulement pour la démocratie parlementaire, mais aussi, et surtout, pour la lisibilité de l'action réformatrice du Gouvernement.

Car, Monsieur le Président de la République, le rôle du Parlement évolue. La mission de législateur tend à se réduire tandis que la fonction de contrôle est appelée à se développer, indépendamment de la mise en cause de la responsabilité politique du Gouvernement. L'Assemblée nationale a tout à gagner à se donner les moyens d'évaluer les politiques publiques et d'en contrôler les effets. Ce rôle d'évaluation et de contrôle peut d'ailleurs déboucher sur une recommandation à légiférer. Les récentes missions que l'Assemblée nationale a menées à bien en fournissent plusieurs illustrations concrètes. La réforme de l'assurance maladie a été préparée par un travail parlementaire préalable de grande qualité. La loi sur l'accompagnement de la fin de vie est le fruit d'une réflexion unanime de la Représentation nationale.

Je vois, dans les résultats positifs et parfois immédiats de ces missions, un puissant encouragement à continuer dans cette voie. Nous avons récemment créé deux nouvelles missions, l'une sur les OGM et l'autre sur l'ensemble des questions liées à la parentalité et à la famille. Je m'étonne que certains s'en étonnent. Il serait paradoxal que l'on puisse débattre des sujets de société à la télévision, à la radio, dans les foyers, dans les écoles et qu'on soit condamné au silence au Parlement. A quoi serviraient des députés qui seraient des muets du sérail ? Poser la question, c'est y répondre.

Voilà, Monsieur le Président, quelques-unes des réflexions que m'inspire l'aube de cette année. En vous renouvelant, au nom du bureau, mes vœux les plus sincères, qui sont aussi, vous le savez, des vœux personnels, je souhaite vous redire que l'Assemblée nationale exercera, en 2005, comme elle l'a fait depuis le début de la législature, pleinement ses missions, toutes ses missions, qu'elle le fera avec exigence toujours, avec impertinence parfois, mais -soyez-en assuré- dans le respect absolu de nos Institutions.