Accueil > Archives de la XIIe législature > Discours de M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale

20/01/2005 - Ouverture du colloque du Groupe d'amitié France - États-Unis « Quelles relations transatlantiques avec la deuxième administration Bush ?  »

Mesdames,
Messieurs,

L'Histoire des États-Unis nous montre que le second mandat d'une administration réélue est souvent l'occasion d'inflexions politiques importantes, en particulier dans le domaine de la politique extérieure. Ce moment est donc particulièrement bien choisi pour réfléchir aux perspectives de la relation transatlantique. Je remercie tout particulièrement Axel Poniatowski d'avoir pris l'initiative de nous réunir ce matin pour réfléchir à l'avenir du partenariat qui nous unit aux États-Unis depuis la fondation de ce pays.

L'année 2004 nous a donné l'occasion de célébrer le 60ème anniversaire des débarquements alliés en Normandie et en Provence qui, au prix d'un immense effort humain et matériel, ont ouvert la voie de la Libération de notre pays au terme de quatre années d'occupation nazie et constitué le premier acte de l'effondrement hitlérien. L'année qui commence nous donnera bientôt l'occasion de commémorer la libération des camps de concentration et la victoire décisive des Alliés qui devait permettre la renaissance d'une Allemagne démocratique vivant en paix avec ses voisins.

La célébration de ce combat commun contre les forces obscures du totalitarisme, de la destruction et de la négation de l'humanité nous fait mesurer la profondeur du lien qui nous unit depuis toujours à l'Amérique pour la défense de la liberté, de la démocratie et de l'indépendance des nations.

La chute du communisme en Europe de l'Est et la fin de la guerre froide ont, certes,, profondément modifié le contexte des relations transatlantiques. Les inquiétudes ou les sollicitudes américaines se sont, pour partie, déplacées vers le Moyen-Orient, vers les grands ensembles économiques qui émergent en Asie et en Amérique du Sud, la Chine, l'Inde, le Brésil.

Je vois dans ce contexte transformé une chance historique pour l'Europe et pour notre pays de construire ou de reconstruire une identité politique propre sans risquer, comme naguère, d'être pris en otage par le conflit est-ouest. J'observe d'ailleurs que nous nous trouvons dans une situation que le général de Gaulle avait pressentie lorsque, à la fin des années 60, il entrevoyait le retour d'une Russie dé-soviétisée et l'apparition de relations internationales débarrassées des stigmates idéologiques que le communisme faisait peser sur elles.

C'est donc à nous Français, Européens, de définir ce que nous sommes et ce que nous voulons pour assumer une relation transatlantique libérée de tout complexe et susceptible d'être, pour le monde, un facteur d'équilibre.

Je veux dire très nettement à ceux qui seraient tentés de globaliser l'affaire irakienne, d'opposer le modèle français au modèle américain, que la France n'a pas vocation à devenir le leader des pays non-alignés, que Paris en 2005 n'est pas Bandung en 1955. La France est depuis toujours et demeure l'alliée des États-Unis. Souvenons-nous qu'au lendemain du 11 septembre 2001, Jacques Chirac fut le premier chef d'État occidental à se rendre à New-York pour, aux côtés de Gorge Bush, se recueillir devant les décombres des tours du World Trade Center.

Les Français sont les alliés des Américains, et c'est le caractère fondamental et intangible de cette alliance fondée sur une civilisation et des valeurs partagées, héritées du siècle des Lumières, qui nous donne le droit de veiller à la préservation de nos intérêts vitaux, civils ou militaires, le droit de défendre des positions spécifiques sur des problèmes auxquels nous attachons une importance particulière - que l'on pense à la défense des accords de Kyoto sur l'environnement ou au projet défendu par le Président de la République et le Président Brésilien pour renforcer la solidarité entre pays riches et pays pauvres.

La France n'a d'autre souci, ce faisant, que de favoriser un équilibre mondial dont les Américains ont autant besoin que nous. Pas plus que nous, les Américains n'ont intérêt à voir se multiplier les frustrations, les rancœurs, les abcès de fixation qui nourrissent le terrorisme ou les conflits d'aujourd'hui ou de demain. Puissent-ils le comprendre comme tel. C'est en alliée de l'Amérique que la France demande que soient traités, dans un esprit d'équilibre et de justice, les problèmes ou les situations dont la non prise en compte fragilise autant l'Europe que les États-Unis et gonfle les rangs de ceux qui s'enrôlent sous la bannière des ennemis déclarés du monde occidental dans son ensemble, monde occidental qu'ils combattent par les moyens du terrorisme de masse.

L'engagement de la France en Afghanistan, la coopération étroite qu'elle a nouée avec tous ses alliés dans la lutte contre le terrorisme ou la prolifération des armes de destruction massive font de notre pays un partenaire à part entière des États-Unis dans leur recherche d'un monde meilleur et plus sûr.

La connaissance et les liens que la France a tissés dans certaines régions sensibles au fil d'une longue Histoire donnent à ses analyses un poids qu'il serait regrettable de négliger. Savoir dire « non » à une erreur, ou parce que l'intérêt national l'exige, c'est donner tout son prix au « oui » que l'on accorde quand les circonstances le commandent. Pour en revenir à l'Histoire, c'est bien son souci de l'indépendance nationale qui donna toute son importance au soutien que le général de Gaulle apporta sans délai ni hésitation au Président Kennedy lors de la crise des missiles à Cuba. Et pour en rester à l'actualité, c'est parce qu'elle n'entend pas abdiquer sa liberté d'analyse et de jugement que la France a manifesté son désaccord avec le recours à une intervention militaire en Irak, intervention dont elle avait anticipée les risques de déstabilisation qu'elle pouvait faire courir à une région déjà soumise à de vives tensions.

L'évolution des relations entre les deux rives de l'Atlantique dépendra donc autant de ce que voudra la seconde administration Bush que de notre capacité à dépasser des analyses sommaires qui voilent trop souvent à nos yeux la diversité et la richesse de la société américaine.

La prochaine visite du président des États-Unis en Europe témoigne, en tout état de cause, que l'Europe reste une priorité de l'administration américaine. Et nos relations avec les États-Unis, qui sont aujourd'hui, qu'on le veuille ou non, l'hyperpuissance par excellence, demeurent une priorité et doivent dépasser les mouvements d'humeur. Ceux qui se sont manifestés bruyamment outre-atlantique comme en France peuvent être aujourd'hui surmontés.

Je crois, pour ma part, pouvoir affirmer une réelle aspiration de la France, en tant qu'alliée respectée et écoutée, à bâtir, aux côtés des États-Unis, une société des nations fondée sur la liberté, la démocratie et la justice.