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13/07/2006 - Inauguration de la rue capitaine Dreyfus à Montreuil-sous-Bois

Monsieur le Maire,

Monsieur le Préfet,

Messieurs les Parlementaires,

Mesdames, Messieurs,

Il y a cent ans, le 12 juillet, la Cour de cassation réhabilitait le capitaine Dreyfus. Le lendemain une loi était votée pour le réintégrer dans l'armée avec le grade de chef d'escadron. Quelques jours plus tard il recevait la Légion d'honneur. Ainsi, prenait officiellement fin l'affaire Dreyfus. Enfin Dreyfus était reconnu innocent d'un crime qu'il n'avait pas commis.

Pour autant, cet arrêt, cette loi, cette Légion d'honneur, pouvaient-ils effacer pour cet homme l'infamie de la dégradation subie dans la cour d'honneur de l'École militaire, les années de déportation à l'Île du Diable, les flots d'injures, d'insultes et de calomnies ?

Cet arrêt, cette loi, cette Légion d'honneur, pouvaient-ils faire oublier pour sa famille et ses amis tant d'épreuves.

Cet arrêt, cette loi, cette Légion d'honneur, pouvaient-ils effacer cette affaire qui traumatisa, qui divisa profondément, durablement notre pays à un moment où la question de l'Alsace-Lorraine était toujours posée, à une époque où la menace allemande était bien réelle et accaparait l'attention de tous les états-majors ?

Cet arrêt, cette loi, cette Légion d'honneur, pouvaient ils mettre fin au déferlement de tant de passion, de tant de haine, de tant de violence ? A l'évidence non. A peine la loi votée, la séance tourne au pugilat dans l'hémicycle et se termine par un duel au cours duquel le jeune Albert Sarrault est blessé. Surtout, le 4 juin 1908, lors de la cérémonie du transfert des cendres de Zola au Panthéon, Dreyfus est blessé par un exalté. Il fallut encore bien des années pour que les esprits s'apaisent.

La commémoration de ce soir, qui suit de quelques heures l'hommage solennel que vient de rendre le Président de la République nous rappelle que l'affaire Dreyfus n'est pas un simple fait divers.

L'affaire Dreyfus n'est pas un simple fait divers dont la presse, celle d'hier comme celle d'aujourd'hui, aime à se délecter, sans se soucier toujours de savoir si elle ne va pas, ce faisant, broyer la vie d'innocents.

L'affaire Dreyfus, pour notre République, c'est d'abord un traumatisme. Un traumatisme qui ébranla les institutions : le Gouvernement, le Parlement, l'armée, la justice. Un traumatisme qui divisa la société, brisa des familles ...qui n'épargna personne.

Et pour bon nombre de Républicains, l'affaire Dreyfus ce fut un combat, un combat de douze ans.

Douze ans pour briser la conspiration, la machination, l'engrenage implacable du mensonge de personnages qui parfois cachaient leur médiocrité ou leur antisémitisme derrière la raison d'État.

Raison d'État qui n'a servi bien souvent qu'à dissimuler la revanche des ennemis de la République.

Douze ans, c'est le nombre d'années qui fut nécessaire pour faire surgir la réalité, imposer la vérité, triompher la Justice.

Douze ans pour sauver une République menacée par un mal qui la rongeait, l'antisémitisme.

*

* *

Ma présence ici, ce soir, vient rappeler que dans ce combat le Parlement fut souvent, si ce n'est toujours, en première ligne et que l'hémicycle fut le théâtre de bien des épisodes, et non des moindres, de cette affaire.

En effet, l'affaire Dreyfus, ne fut pas seulement une bataille judiciaire. Ce fut aussi un combat parlementaire.

Rappelons nous la séance du 22 janvier 1898 au cours de laquelle Jaurès, fut frappé à la tribune par le comte de Bernis.

Nous ne pouvons oublier la séance du 7 juillet 1898, au cours de laquelle le ministre Cavaignac crut mettre fin à l'Affaire en produisant devant les députés de prétendues « preuves accablantes », dont il découvrit quelques semaines plus tard qu'il s'agissait de faux, fabriqués par son administration.

Le 25 octobre 1898, la démission en pleine séance du général Chanoine, ministre de la Guerre hostile à toute révision qui fit tomber par là même le Gouvernement auquel il appartenait, restera dans nos annales, comme la séance du 13 juillet 1906, au cours de laquelle les députés prenant acte de la réhabilitation d'Alfred Dreyfus, votèrent, sur le rapport d'Adolphe Messimy, ancien officier devenu député, sa réintégration dans l'armée et décidèrent de transférer les cendres d'Émile Zola au Panthéon.

De cette épreuve, la République fut incontestablement ébranlée et c'est d'ailleurs l'argument que les anti-dreyfusards ne cessèrent de mettre en avant pour s'opposer à la manifestation de la vérité.

C'est en vain pourtant qu'ils invoquèrent la Patrie, l'honneur de l'armée, comme si l'amour de son pays excluait toute justice. A la question classique de savoir s'il faut préférer une injustice à un désordre, la démocratie répond que l'injustice constitue en soi un désordre, le plus inacceptable de tous.

Mais de cette épreuve, la République sortit renforcée. La jeune République venait de montrer que ses institutions étaient capables de préférer la vérité et la justice à la raison d'État et de rétablir dans ses droits l'innocent injustement accusé et condamné.

Comme le disait Péguy, « l'immortelle affaire Dreyfus » n'est pas une péripétie lointaine de la Troisième République, mais un moment décisif de notre histoire nationale.

Elle montre que la détermination et la persévérance d'hommes intègres, la liberté de la presse mais aussi l'indépendance de la justice et le contrôle parlementaire peuvent venir à bout de l'injustice.

L'affaire Dreyfus c'est une épreuve finalement surmontée par la France, par sa justice et son Parlement.

L'affaire Dreyfus c'est la victoire de la justice, le succès de la démocratie parlementaire, donc le triomphe de la République.

L'affaire Dreyfus, c'est aussi l'exaltation du courage, courage de ces hommes qui ont su se dresser et faire front. Je pense à Zola, à Anatole France, au peintre Debat-Ponsan, à Léon Blum, à Jaurès, à Clemenceau, à Lucien Herr, à Charles Péguy, à Bernard Lazare et à tant d'autres comme le lieutenant-colonel Picquart.

C'est ce que rappellera aux habitants de Montreuil et à tous ceux qui emprunteront cette rue, la plaque que nous allons maintenant dévoiler.