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25/09/2006 - 2èmes journées parlementaires européennes de la sécurité routière

Mesdames,

Messieurs,

Au nom de l'ensemble de mes collègues, je veux souhaiter à toutes et à tous la bienvenue au Palais-Bourbon, au cœur de notre démocratie parlementaire, et plus particulièrement à nos collègues étrangers qui représentent 12 des 24 pays de l'Union. Ils témoignent par leur présence de l'intérêt que suscite chez nos voisins européens l'expérience menée en France depuis 2002.

Ces journées européennes arrivent à point nommé pour nous, députés français. Elles vont nous permettre en effet de faire le bilan d'une expérience menée depuis 3 ans et d'en comparer les effets avec des pays qui se sont lancés depuis plus ou moins longtemps dans des entreprises analogues.

En 2002, le Président de la République française, alors que la France déplorait près de 8.000 morts sur ses routes, soit cependant moitié moins qu'en 1972, année où étaient enregistrés 16 000 victimes, dénonçait une hécatombe indigne d'un grand pays civilisé.

L'Union européenne pourrait reprendre à son compte ce constat car il ne peut être accepté que dans des pays où les idéaux de progrès, de liberté, de défense de la personne humaine, ont été le moteur de notre histoire commune, on déplore chaque année plus de 40.000 morts, dont 10.000 de moins de 24 ans et plus 1.700.000 blessés.

Ce n'est donc pas sans raison que la commission européenne s'est emparée de ce dossier et a élaboré un programme d'actions pour la sécurité routière pour la période 2003-2010.

L'insécurité routière n'est nullement une fatalité dès lors qu'il y a une volonté et des moyens pour la combattre.

L'expérience française le prouve.

Qu'on ne se méprenne pas sur la portée de ce colloque.

Il ne s'agit nullement de faire l'apologie d'un modèle plutôt que de tel autre, mais de nourrir notre réflexion de nos expériences respectives.

Il ne s'agit pas non plus de préparer je ne sais quel revirement ou assouplissement de la politique menée depuis 3 ans dans la perspective des prochaines échéances électorales.

Nous sommes aujourd'hui, ici, entre législateurs chargés dans nos pays respectifs d'écrire la loi mais aussi d'évaluer les textes que nous votons, d'en mesurer l'acceptabilité et l'efficacité afin, le cas échéant, de les modifier pour les améliorer.

Notre rencontre va donc permettre de confronter l'expérience française pour laquelle nous disposons de trois années de recul avec celle plus récente de pays qui se sont certes inspirés de notre démarche comme l'Espagne ou la République Tchèque mais également avec ce que vivent des pays où la sécurité routière est depuis longtemps une préoccupation majeure, notamment les pays du nord de l'Europe.

Aujourd'hui, dans notre pays, les progrès sont considérables. L'insécurité routière a reculé de façon spectaculaire et continue à décroître, ce dont on ne peut que se féliciter. En trois ans, le nombre de personnes tuées sur les routes a baissé de plus de 30 %, celui des blessés de 20 %.

Ce résultat a été acquis, d'abord et avant tout, par une politique de répression accrue (il faut dire que dans ce domaine la France était en retard). Elle a été rendue possible par l'automatisation : automatisation du constat des infractions grâce à de nouveaux radars fixes ou mobiles mais aussi automatisation du traitement des procès verbaux et par la modification des procédures de contestation de façon à éviter la paralysie de l'ensemble des tribunaux par un contentieux de masse.

Cela a nécessité une concertation interministérielle particulièrement poussée et la mobilisation de l'ensemble des acteurs publics autour de ce chantier dont le Président de la République avait fait une des trois priorités de son quinquennat.

Cette politique de sanctions s'est donc traduite par une augmentation brutale et considérable du nombre d'infractions constatées, du nombre de points retirés 7.500.000 en 2005 soit une augmentation de 139 % par rapport à 2002 et donc par voie de conséquence, au bout de quelque mois, du nombre de permis retirés, 55.000 en 2005 soit plus de 3 fois plus qu'en 2002. Aujourd'hui, ce sont grosso modo un peu plus de 600.000 P.V. d'infractions au code de la route qui sont dressés chaque mois et près du tiers des conducteurs français a perdu depuis 2002 au moins un point sur un permis qui en a 12.

Aujourd'hui, tout nous montre que l'on peut encore aller plus loin dans la réduction du nombre d'accidents et de victimes mais un certain nombre de questions doivent nous inciter à nous interroger sur la façon d'y parvenir.

Le bilan positif que je viens de dresser ne doit pas occulter pour autant des phénomènes qui pourraient contrecarrer à terme la tendance observée.

Si la vitesse moyenne a décru depuis trois ans, on note qu'elle a tendance à repartir à la hausse sur les autoroutes. Surtout un nombre croissant des conducteurs adaptent leur comportement à la multiplication des radars et ne réduisent plus leur vitesse que quelques centaines de mètres avant et après les radars fixes et les radars mobiles quant ils sont repérés.

Plus grave, des fraudes se font jour : le nombre de conducteurs sans permis augmente, la falsification des permis progresse, la substitution d'identité des conducteurs des véhicules flashés atteint des proportions non négligeables comme semble en témoigner l'augmentation du nombre de points retirés à des personnes de plus de 65 ans.

Le courrier que je reçois tous les jours me démontre que l'acceptation du système n'est pas totale. Un certain nombre de nos concitoyens n'adhèrent à cette politique que du bout des lèvres, s'y résignent avec difficultés, quand ils ne la contestent pas purement et simplement.

Ne nous laissons pas pour autant abuser. Même si les réfractaires sont particulièrement bruyants, ils n'en restent pas moins minoritaires et les sondages effectués démontrent une large adhésion à cette politique.

Il faut cependant veiller à ce que cette contestation aujourd'hui limitée ne prenne pas demain une ampleur qui pourrait remettre en cause cette politique.

Une politique, quelle qu'elle soit, pour être efficace doit être acceptée. C'est pour cela qu'une évaluation lucide est nécessaire.

Il convient d'éviter qu'un sentiment d'injustice ne se développe en particulier parce qu'échapperaient à cette rigueur plusieurs catégories d'usagers de la route : je pense notamment aux conducteurs de véhicules étrangers qui sont à l'origine d'une part importante du nombre d'infractions constatées ou aux motocyclistes ou à certains conducteurs infractionnistes, en particulier ceux qui conduisent sous l'emprise de l'alcool ou de stupéfiants.

Une réflexion rigoureuse doit être menée sur les limitations des vitesses décidées à certains endroits lorsque l'on constate que malgré l'installation de radars le nombre de P.V. ne diminue pas significativement.

De plus il conviendrait de vérifier si notre système ne pèche pas par un excès de rigueur à l'égard des automobilistes ayant perdus la totalité de leurs points et si tel est le cas, les expériences étrangères pourraient nous aider à trouver des pistes de solutions.

Enfin, et j'ai déjà eu l'occasion de le dire, il me semble qu'une étude devrait être menée avec les assureurs afin de voir comment ils pourraient accompagner cette politique. En effet, un certain nombre d'automobilistes ne perçoivent pas l'avantage qu'ils peuvent retirer de l'amélioration de la sécurité routière puisque si celle-ci permet d'épargner des vies et des blessés, ces gains restent abstraits tant que l'on a pas été éprouvé dans sa chair ou dans son cœur les conséquences d'un accident. Si l'évolution des primes d'assurances pouvait tenir compte de l'évolution du nombre des victimes ou du nombre de points détenus, il y aurait peut-être là un stimulant qui viendrait désamorcer un certain nombre de critiques.

Aussi, je vous souhaite une journée fructueuse et vous assure que je prendrai connaissance avec attention du résultat de vos travaux.