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04/01/2007 - Palais de l'Élysée - Voeux de M. Jean-Louis Debré et du Bureau de l'Assemblée nationale au Président de la République

Monsieur le Président de la République,

Pour la cinquième année consécutive, je suis heureux de vous présenter au nom du Bureau de l'Assemblée nationale et de l'ensemble des députés, pour vous-même et votre famille, mes vœux les meilleurs et les plus sincères.

Souhaitons que cette année permette à notre pays de poursuivre son redressement avec une croissance durable et soutenue qui, seule, peut faciliter la baisse du nombre de chômeurs et permettre à nos comptes publics de revenir à l'équilibre et nous donnera les moyens d'accroître nos efforts envers nos concitoyens les plus nécessiteux.

Souhaitons aussi, puisque l'année 2007 sera marquée par des échéances politiques majeures, que les Français auront à cœur d'y prendre part pour opérer les choix qui permettront à la France d'assurer les moyens de son développement et de son rayonnement en Europe et dans le monde.

Monsieur,

Je suis toujours étonné, mais pas forcément surpris du nombre de nos politiques qui, depuis des décennies, se complaisent dans des débats institutionnels et de voir se multiplier, à droite comme à gauche, les propositions et les projets de réformes institutionnelles.

Ici l'on propose de changer purement et simplement de Constitution, de passer à la VIème République, là de modifier des pans entiers de celle de 1958 et de bouleverser les équilibres institutionnels qu'elle a mis en place.

Je ne peux que m'interroger sur ce que recherchent les auteurs de ces propositions.

S'agit-il d'améliorer, de moderniser, d'adapter notre Constitution, si tel est le cas, ces intentions sont louables et méritent d'être étudiées et soutenues.

S'agit-il, au contraire, de changer notre régime politique, d'ôter au Gouvernement les moyens de mener la politique pour laquelle il a été désigné ? Dans ce cas là, nous devons y être très hostiles.

La Constitution de la Vème République repose sur un équilibre, forcément fragile, sur un équilibre entre un Gouvernement disposant des moyens de gouverner et, donc, de la stabilité et de la durée et un Parlement chargé de voter les lois nécessaires pour la mise en œuvre de cette politique et d'en contrôler l'application.

Le rôle du Parlement n'est pas, dans la Vème République, de gouverner mais de légiférer et de contrôler. Pourtant, force est de constater que bien des projets qui nous sont proposés aujourd'hui visent à introduire une confusion dans le fonctionnement de nos institutions et, au prétexte de revaloriser la fonction parlementaire, à amener les députés à empiéter sur le domaine de l'exécutif.

Souvenons-nous pourtant des conséquences que ce mélange des genres a eu sur le fonctionnement de la IVème République qu'il a fini par paralyser, entraînant le discrédit d'un Etat incapable de décider.

Monsieur,

Que dans le fonctionnement de nos institutions, près de 50 ans après leur création, il soit nécessaire de revoir les règles régissant les rapports entre le Gouvernement et le Parlement, personne n'en doute mais pour cela, point n'est besoin de toucher à la Constitution.

Plusieurs orientations pourraient être examinées.

I - La première concerne le rôle du Premier ministre. J'ai lu, ici ou là, qu'il faudrait supprimer la fonction de Premier ministre. Ce serait une erreur.

Le chef du Gouvernement joue un rôle essentiel. Bien sûr, il doit assurer l'indispensable coordination de l'action gouvernementale.

Dans un pays où chaque catégorie socioprofessionnelle aspire à la reconnaissance par la désignation d'un ministre dédié, ce rôle du Premier ministre est fondamental.

La coordination de l'activité gouvernementale est un travail nécessaire. Qu'il s'agisse de la préparation des textes de lois, des textes réglementaires, de l'annonce d'un programme d'aide à telle ou telle région sinistrée, tout est sujet à arbitrage. Cela nécessite de la part de celui qui est amené à les rendre une autorité incontestable.

Surtout, dans un pays comme le nôtre où nos concitoyens, à la faveur du moindre fait divers, sont prompts à remettre en cause l'action de l'Etat et l'autorité de ses représentants, le Premier ministre doit être un rempart politique pour le Chef de l'Etat et le protéger de ces critiques perpétuelles qui, inlassablement, jour après jour, finiraient par saper sa légitimité et l'autorité même de l'Etat.

II - Il importe, et c'est la deuxième orientation, face à la prééminence de l'exécutif, de renforcer les pouvoirs du Parlement. Pour cela, point n'est besoin, là non plus, de réformes constitutionnelles.

Ce renforcement des pouvoirs du Parlement nécessite, je ne cesse de le répéter, de faire un effort pour rendre les lois plus lisibles.

· C'est un effort qui concerne le Gouvernement comme les députés. Le Gouvernement doit veiller à ne pas proposer au Parlement des lois trop longues qui ne sont qu'une incitation à les préciser davantage ou à les amender, à ne déposer que des textes qui ne contiennent que des principes essentiels en évitant d'y inclure des déclarations sans aucune portée.

De la même façon, le Gouvernement doit se montrer plus vigilant qu'il ne l'est sur la nature des amendements qu'il accepte et veiller à ce qu'ils n'accroissent pas la complexité d'un ordonnancement juridique déjà passablement obscur.

La réhabilitation de l'image du Parlement suppose aussi de la part de certains fonctionnaires de l'Etat un comportement plus respectueux de celles et ceux qui ont été élus pour représenter la Nation.

Je suis, pour ma part, parfois un peu choqué de voir, à l'Assemblée nationale et notamment dans l'hémicycle, la façon dont se comportent certains commissaires du Gouvernement pendant les débats. Mais je le suis sans doute davantage encore par les propos et par les écrits de ceux qui, se drapant dans un soi-disant savoir dont ils seraient les seuls détenteurs, quelquefois même avec la caution des institutions auxquelles ils appartiennent, prétendent donner des leçons de bonne pratique législative à nous autres, modestes députés qui n'aurions pas eu la chance de suivre les mêmes études qu'eux et d'intégrer les corps prestigieux dont ils relèvent. Ils oublient sans doute un peu vite que la seule légitimité est la légitimité démocratique et que nous engageons notre responsabilité par notre action quotidienne au service de nos concitoyens !

· Si on ne veut pas délégitimer les institutions et leurs représentants, on doit également éviter de les démanteler et de miner leur autorité. Chaque fois qu'un problème difficile se pose, chaque fois qu'il faut régler une question quelque peu sensible, soit on crée des autorités administratives indépendantes -on en dénombre aujourd'hui 39 et 10 ont été créées depuis 2002 !-, soit on institue de nouveaux organismes extraparlementaires : nous en avons créé 47 sous cette législature. Ce qui conduit soit à allonger les procédures lorsqu'il s'agit d'instances consultatives, soit à transférer purement et simplement le pouvoir de décider à des cénacles de spécialistes, juridiquement irresponsables.

III - Enfin, et c'est peut-être la plus importante des orientations qu'il convient de suivre, il importe que les députés réinvestissent le Parlement. On ne peut espérer renforcer les pouvoirs du Parlement si les députés ne consacrent à leur mission de faire la loi et de contrôler le Gouvernement qu'à peine quelques heures par semaine.

Aujourd'hui, l'on ne cesse de déplorer la crise des institutions qui se manifeste par des taux importants d'abstention, par le développement d'un sentiment antiparlementaire, et par le recours, comme ultime protestation, aux votes extrêmes.

Bien sûr cette crise a des causes multiples, mais il ne faut pas oublier que, dans notre société hyper médiatisée, le développement de cet antiparlementarisme se nourrit des images abondamment diffusées d'un hémicycle souvent très dégarni.

· Je ne suis pas convaincu que l'interdiction du cumul des mandats soit la solution, bien au contraire. Priver le député de l'enracinement local que lui donne son mandat, si l'on ne modifie pas le mode de scrutin, c'est l'amener à rechercher un surcroît de légitimité et à assurer son assise locale par un travail encore plus intense dans sa circonscription.

Je crois que pour ramener nos collègues au Palais-Bourbon, il faut une profonde modification de nos habitudes et de nos comportements.

· Il importe d'abord de modifier nos méthodes de travail, c'était le sens des propositions de modification du règlement que j'avais suggérées. Il faut que nos collègues puissent avoir une visibilité suffisante sur l'ordre du jour et disposer d'un rythme de travail qui permette d'alterner selon une périodicité raisonnable travail à Paris et présence en circonscription.

Si l'on veut, en effet, que les parlementaires s'impliquent davantage dans l'activité législative, il faut qu'ils puissent avoir une idée plus précise de la durée des débats, du temps qu'ils prendront et du moment où seront discutés les sujets qui les intéressent. Car, ne nous y trompons pas, entre la participation à un débat et la présence à une manifestation importante en circonscription, si cela n'est pas programmé à l'avance, c'est toujours la deuxième qui aura la préférence.

· Il importe également de transformer notre façon de légiférer. L'absence d'organisation dans la conduite de nos débats nous amène, presque systématiquement, à consacrer un temps qui n'est pas forcément justifié aux premiers articles d'un texte de loi, trop souvent déclaratifs, et aux premiers amendements inscrits, au détriment des articles ultérieurs dont la portée pratique est parfois bien plus considérable.

· Il est nécessaire, enfin, de renforcer la fonction de contrôle du Parlement. D'importants progrès ont été faits durant cette législature, notamment grâce à la création des missions d'information de la Conférence des Présidents, grâce au pluralisme que j'ai institué à la tête des commissions d'enquête ou des missions d'information, ou bien encore, grâce à la faculté dont dispose désormais les rapporteurs des textes de loi d'en suivre l'application et la déclinaison réglementaire.

Mais, force est de constater que sur bien des sujets la plupart de nos collèges se contente en guise de contrôle d'exiger que le Gouvernement dépose sur le Bureau de l'Assemblée un rapport sur l'exécution de la loi votée. Notre corpus législatif compte aujourd'hui 242 dispositions qui prévoient, selon une périodicité variable, le dépôt d'un rapport. Mais, en 5 ans, seuls 232 rapports ont été déposés alors qu'il aurait dû y en avoir plus de 500. Aucune sanction n'est prévue pour le cas où le Gouvernement ne déférerait pas à l'obligation légale qui lui est faite. Le dépôt du rapport, quand il intervient, ne donne que très rarement lieu à débat, même en commission.

Ainsi personne ne s'est jamais ému que le rapport annuel sur les équipements cinématographiques, pourtant prévu par la loi, n'ait jamais été déposé sous la présente législature. Trop souvent, la tendance qui prévaut est qu'une fois la loi votée, on considère le problème réglé.

De même, la désignation de parlementaires dans un certain nombre d'organismes extraparlementaires est une fausse sécurité car l'absentéisme y est tout aussi répandu que dans l'hémicycle.

Nous, députés, devons apprendre à contrôler, à exiger des comptes. Le Parlement comme le Gouvernement, l'opposition comme la majorité, y gagneraient.

· Mais je suis désormais convaincu que nous ne parviendrons à ces changements que si nous acceptons de mettre en place des mesures coercitives.

Aujourd'hui, le règlement intérieur de l'Assemblée permet d'infliger des sanctions financières à celles et ceux qui ne se montreraient pas assez assidus. Jusqu'à présent, elles n'ont jamais trouvé matière à application puisque seule est prise en compte la participation aux scrutins solennels. Pour ma part, au début de ma Présidence, j'ai hésité et je regrette aujourd'hui de ne pas l'avoir fait.

D'autres parlements le font. Je sais bien que « comparaison n'est pas raison » mais je crois que sans vouloir transposer ce que font le Parlement européen ou le Bundestag, on pourrait réfléchir à un système qui soit adapté à notre mode de fonctionnement et ne se cantonne plus à la participation à certains scrutins.

IV - La dernière orientation que je souhaite évoquer devant vous, Monsieur le Président, c'est la nécessité d'un véritable statut de l'opposition à l'Assemblée nationale.

C'est une question difficile car l'appréciation de la nécessité de ce statut varie selon que l'on est dans la majorité ou dans l'opposition.

Là encore, pendant cette législature, je me suis employé à faire progresser les choses. J'ai imposé le pluralisme au sein des missions d'information et des commissions d'enquête, je me suis efforcé, chaque fois que c'était possible, de désigner dans les organismes extraparlementaires des députés de la majorité et des députés de l'opposition, mais cela ne saurait suffire. Il faut aller plus loin, revoir par exemple l'organisation de nos séances de questions d'actualité en laissant le même temps à la majorité et à l'opposition. Je sais que cette proposition ne convient pas à tout le monde, surtout dans la majorité. Mais peu importe, il s'agit de rénover le Parlement. Il faut, par ailleurs, prévoir, sans forcément aller jusqu'à confier à l'opposition des présidences de commission même si cela s'est déjà fait par le passé, de créer pour l'opposition dans chacune des commissions un poste de vice-président, chargé justement du contrôle.

Il faudrait, pour que ce dossier progresse significativement, qu'un consensus se dégage. Mais lorsque l'on est majoritaire, l'on ne voit pas pourquoi l'on concèderait des droits nouveaux à l'opposition. Et lorsque l'on est dans l'opposition, on a forcément du mal à accepter des évolutions considérées comme toujours trop limitées ou trop timorées.

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Monsieur le Président,

Comme vous le voyez aujourd'hui, je suis toujours aussi convaincu de la nécessité et de l'urgence d'adapter nos institutions afin de lutter contre la désaffection pour la chose publique que manifestent nos concitoyens et contre le discrédit dont souffrent injustement la démocratie représentative et ses représentants.

Je suis convaincu que, pour y parvenir, il n'est pas besoin de grand soir, de révolutions, de ruptures mais simplement d'une modification de nos comportements.

Je me suis employé, tout au long de ces cinq années de cette législature à tenter de faire évoluer les mentalités et, aujourd'hui certains résultats ont été obtenus. Ils sont insuffisants.

Mais, au terme de ces cinq années, je ne peux m'empêcher de ressentir une certaine amertume de voir que des calculs politiciens, que des raisonnements souvent à courte vue n'ont pas permis d'aller aussi loin que ce qui aurait été souhaitable. Aujourd'hui, à chaque débat difficile, j'entends certains de mes collègues dénoncer les manœuvres d'obstruction des uns et regretter l'allongement inconsidéré des débats dû aux autres alors que ce sont eux-mêmes qui ont refusé la réforme du temps globalisé que je leur proposais.

C'est le propre, je le sais, de toute action politique. Ce doit être, à mon avis, une invitation à persévérer et à demeurer optimiste sur la capacité de nos députés à rénover le travail du Parlement.

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Monsieur, recevez mes vœux les plus respectueusement affectueux.

Monsieur le Président de la République, le Bureau de l'Assemblée nationale et l'ensemble des députés vous souhaitent une heureuse année, pour vous et pour la France.