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21/01/2007 - Allocution de Monsieur Jean-Louis Debré à l'Assemblée populaire nationale algérienne

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Chers amis,

Permettez moi de vous remercier de l'accueil particulièrement chaleureux que l'Assemblée populaire nationale et les autorités algériennes nous ont réservé dès notre arrivée sur le sol de votre beau pays. Nous y sommes tous, je tiens à le souligner, particulièrement sensibles.

Le Président de la République nous a fait l'honneur de nous accorder ce matin un long entretien. Il nous a exprimé son attachement au développement des relations qui lient nos deux Nations et nous avons constaté une grande convergence sur les questions internationales que nous avons évoquées. Cet entretien représente pour moi un moment exceptionnel.


Je souhaite aussi vous dire combien j'apprécie le privilège qui m'est donné de m'exprimer devant vous, les représentants d'une grande nation.

Les discussions que nous avons déjà eues démontrent, à l'évidence, tout l'intérêt, et même la nécessité, du renforcement du dialogue entre les parlementaires français et algériens pour bâtir des relations exemplaires entre nos deux assemblées, dans l'esprit des rencontres entre le Président Abdelaziz Bouteflika et le Président Jacques Chirac en 2000 et 2003.


La visite effectuée par le Président de la République française en mars 2003 a fait franchir une nouvelle étape à nos relations, aussi bien par le retentissement qu'elle reçut dans nos deux pays que par l'adoption d'un texte fondateur dont elle fut l'occasion.

C'est en effet le 2 mars 2003 que les deux Chefs d'Etat signaient la Déclaration d'Alger, dans laquelle la France et l'Algérie convenaient, « sans oublier le passé, de jeter les bases d'une relation globale forte, confiante et résolument tournée vers l'avenir ».

Sur le plan économique, tout d'abord.

Forte d'une population nombreuse et jeune, riche de ressources naturelles, partenaire stratégique dans le domaine de l'énergie, l'Algérie s'est par ailleurs lancée dans une politique de modernisation et de réformes courageuses. Avec tous ces atouts, l'Algérie offre des perspectives qui ne sauraient laisser indifférents, et la France se félicite d'être le partenaire économique majeur pour votre pays.

Certes, alors que la France est votre premier fournisseur, je sais que vous souhaitez que l'accent soit désormais mis sur les investissements.

Nos entreprises sont toutefois loin d'être absentes puisqu'elles sont déjà au premier rang des investisseurs étrangers hors secteur hydrocarbures. Mais nous devrions pouvoir, effectivement, faire mieux, assez rapidement me semble-t-il, dès lors que la visite à Alger du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie en décembre dernier, puis une réunion à Paris présidée par le ministre français des Affaires étrangères, ont permis de mettre au point un aide-mémoire sur le partenariat économique et financier puis de désigner quatre filières prioritaires pour les investissements français.

Sur le plan culturel ensuite, domaine essentiel en qu'il touche à l'âme des peuples et les rapproche.

De nombreux projets importants dans le domaine de la coopération culturelle, scientifique et technique ont été réalisés ou progressent. Ils devraient recevoir un cadre à leur mesure avec la signature prochaine d'une nouvelle convention de coopération. Il en va ainsi notamment dans le domaine de la coopération universitaire et des projets d'université franco-algérienne, avec en particulier un institut supérieur de technologie et un institut pour les hautes études médicales, inspirés du modèle de l'école supérieure algérienne des affaires, montée en partenariat avec la France.

Notre coopération militaire et de défense progresse également, comme en témoigne le récent exercice « Rais Hamidou », conduit par nos deux marines en novembre dernier. Aussi bien nos deux pays devraient-ils pouvoir signer dans un avenir proche, du moins je l'espère, une convention de coopération en matière de défense, symbole fort du nouveau cours de nos relations.

Une autre forme de coopération a pris par ailleurs une dimension spectaculaire, la coopération décentralisée, qui implique un nombre croissant de collectivités locales françaises et joue un rôle déterminant dans le rapprochement entre nos deux peuples et nos sociétés.

Dans ce nouveau cours, nous voulons ouvrir une nouvelle page en y ajoutant les relations interparlementaires, car nos deux assemblées, expressions de la volonté populaire, ont un rôle essentiel à jouer.

Certes, depuis 2000, les relations entre nos deux assemblées ont été marquées par une progression constante, des rencontres entre députés et organes parlementaires, ou des actions de coopération interparlementaire.

Mais nous pouvons certainement faire plus et mieux. C'est pourquoi je suis heureux d'avoir signé cet après-midi avec le Président Amar Saadani, un protocole-cadre qui pose les bases et fixe les objectifs d'une coopération renforcée.

Il poursuit deux objectifs essentiels :

- Accroître la coopération technique, à l'intention notamment de nos services respectifs et de nos fonctionnaires parlementaires.

- Promouvoir le dialogue entre députés français et algériens sur les relations entre nos deux pays ainsi que sur les grandes questions internationales d'intérêt commun.

Je ne doute pas que nous aurons beaucoup à nous dire et que nous pourrons ainsi apporter une contribution irremplaçable au partenariat d'exception dont nous avons l'ambition et que tout justifie.

Tous ces progrès accomplis et ceux qui se préparent nous ont, incontestablement, fait bien avancer sur le chemin qui nous conduira à un partenariat d'exception.

Je ne saurais pour autant méconnaître l'importance et la sensibilité que garde un autre chapitre de nos relations. Celui relatif à l'histoire et au travail de mémoire. Nous avons un effort à faire sur le devoir de mémoire. Car, si nous avons une histoire partagée, nous n'avons pas encore une mémoire commune. Et il faut que nous arrivions à cette mémoire commune.

La loi du 23 février 2005 adoptée par le Parlement français a suscité nombre de malentendus et de divisions qui, pourtant, n'étaient pas dans l'intention du législateur. Le Président de la République, vous le savez, m'avait demandé de recevoir toutes les parties, de mener une large concertation et de lui proposer une solution pour surmonter ces difficultés. Il a bien voulu suivre mes propositions et abroger les dispositions les plus controversées de l'article 4 de ce texte, car il n'appartient pas à la loi d'écrire l'histoire. Ce travail revient aux historiens.

Nous devons donc encourager et poursuivre une démarche exigeante et rigoureuse de vérité, qui, avec le temps, conduira au rapprochement des mémoires. Ce travail a déjà commencé, de nombreux débats ont été menés en France à ce sujet, et je note que l'étude scientifique de l'histoire coloniale est devenu un champ d'activité majeur des historiens français. Un jour, je l'espère, une lecture commune et apaisée de notre histoire passée sera possible.

Tout grand pays se doit d'assumer son histoire, les pages glorieuses comme les épisodes les plus sombres. La France comme bien d'autres nations, ne faillira pas à cette exigence. La France et l'Algérie ne peuvent ni ne doivent oublier leur passé. La France et l'Algérie ne œuvrent, ni doivent oublier leur passé commun. J'espère de tout mon cœur que viendra le jour où ce passé ne sera plus une résistance à la préparation d'un avenir commun, de notre avenir partagé. Ce sera d'autant plus facile qu'en commun, nous aurons assumé cette histoire. Le dépôt, ce matin, d'une gerbe au Monument aux Martyrs est un élément de ce devoir de mémoire que nous faisons ensemble. Je souhaite d'ailleurs que la France dans le cadre des lois, permette aux historiens et aux chercheurs l'examen des archives de cette période. Pourquoi ne pas imaginer la constitution d'une commission mixte franco-algérienne pour travailler ensemble sur cette période, et pour ensemble rechercher les causes, les conséquences, et établir ensemble la vérité.

Avec l'indépendance de l'Algérie, nos deux pays ont petit à petit, après une séparation douloureuse, emprunté le chemin du rapprochement tout en effectuant l'indispensable travail de mémoire. Travaillons désormais ensemble comme deux grandes Nations doivent le faire, dans la dignité et le respect, à rechercher la réalité de cette histoire. Inscrivons la relation d'exception que nous souhaitons avec l'Algérie dans un esprit de confiance et dans une vision d'avenir. Car nous avons d'innombrables liens et une affection qui dépasse les vicissitudes de l'Histoire.

Nombreux sont les Algériens en France - et nous saluons la contribution qu'ils ont apportée et apportent activement à la société française et à sa prospérité. Nombreux sont les Français d'origine algérienne, et ils constituent entre nos deux pays un pont irremplaçable.

Nos deux pays sont voisins. Ils partagent le même espace méditerranéen et y attachent la même importance. Alors essayons de retrouver ce rêve d'un avenir partagé. Vous savez combien je souhaite que l'Union européenne, en s'élargissant, ne perde jamais de vue l'importance stratégique de sa dimension méditerranéenne. L'Europe se construit. L'Europe s'inscrit dans l'Histoire. L'Europe se construit vers le Nord et vers l'Est. Mais elle ne sera pas véritablement elle-même si elle oublié la méditerranéenne. L'Europe ne sera forte, que si elle tend la main au peuple de la méditerranée.

Or si la Méditerranée est chère à nos cœurs, si nous souhaiterions qu'elle soit véritablement une zone de paix et de prospérité partagée, nous ne pouvons oublier les nombreux et graves défis qui la traversent.

Les situations de crise et de conflit se multiplient tout d'abord, et notamment au Proche et Moyen-Orient : l'engrenage des violences en Irak, qui peuvent faire craindre de voir ce pays sombrer dans une guerre civile ;  la fragilité de la situation au Liban après le conflit de l'été dernier ; les préoccupations que suscitent le développement de programmes nucléaires clandestins en Iran et les appels intolérables à effacer de la carte un Etat membre des Nations Unies ; mais aussi et surtout l'impasse dans le conflit israélo-palestinien, le plus grave défi aujourd'hui, le point géométrique où se concentrent les sentiments d'injustice et toute l'incompréhension entre les mondes.

Tout cela nous impose, à nous Français et Européens d'entamer un dialogue. Et c'est ensemble que nous devons faire comprendre aux différents peuples que nous voulons apporter la paix, plus de justice et de solidarité.

Ne laissons donc pas prospérer les peurs, les incompréhensions, les réactions passionnelles, luttons contre les stéréotypes réducteurs, et n'oublions pas que nous avons toujours beaucoup à apprendre les uns des autres, ainsi qu'une Histoire millénaire nous l'apprend.

Carrefour de civilisations depuis la plus haute antiquité, aujourd'hui en marche vers la modernité, l'Algérie est un grand pays écouté sur la scène international. Les deux grandes Nations méditerranéennes que nous sommes se doivent de répondre ensemble aux défis qui traversent cet espace commun.

Nous avons donc, j'en suis convaincu, le même intérêt à valoriser ce qui nous unit, avec un souci, celui de l'apaisement, et une exigence, celle du dialogue et du respect mutuel que l'on se doit entre nations indépendantes et souveraines.

Notre diversité culturelle, sociale et religieuse est notre richesse ; mettons là au service des valeurs universelles dont la Méditerranée a été le creuset et construisons ainsi une communauté de destin.