Créée à l’initiative du Président de la commission des affaires économiques Serge POIGNANT (UMP, Loire-Atlantique), la mission présidée par Mme Pascale GOT (SRC, Gironde) et dont Mme Catherine VAUTRIN (UMP, Marne) et M. François LOOS (UMP, Bas-Rhin) sont co-rapporteurs, a rendu aujourd’hui son rapport sur le prix des matières premières, inscrivant son approche dans le cadre d’une réflexion plus générale opérée au niveau du G 20.
Au fil des auditions et des déplacements effectués dans ce cadre, les membres de la mission ont constaté une augmentation importante du cours des principales matières premières, minérales comme agricoles. Cette hausse s’est doublée d’une forte volatilité au cours des années 2000, dont l’importance doit toutefois être relativisée par l’observation de long terme. Cette volatilité, qui désigne les variations de prix brusques et de forte amplitude, dépend de facteurs conjoncturels (une demande mondiale qui s’est redressée plus rapidement que prévu après le début de la crise économique de 2008, des phénomènes météorologiques ayant des répercussions sur le cours de très nombreuses matières premières agricoles, des événements politiques affectant les pays producteurs) et de tendances de fond (croissance des pays émergents, liaison de plus en plus forte entre cours des matières premières et mouvements des marchés financiers).
La forte concentration des places spécialisées ainsi que la tendance à considérer les matières premières comme des actifs au même titre que n’importe quel autre actif financier ont accru la volatilité des marchés de matières premières. Par la constitution de stocks de matières premières, notamment minérales et énergétiques, les sociétés financières contribuent également aux tensions affectant les prix sur les marchés mondiaux. La multiplicité des échanges touchant un même lot de matières premières contribue par ailleurs à créer une disproportion entre les volumes échangés sur les marchés dérivés et la taille des marchés physiques.
Pour autant, et contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord, la spéculation est rarement le facteur initiateur de la volatilité des cours des matières premières : elle joue bien plus souvent un rôle d’amplificateur des déséquilibres de l’économie réelle.
Compte tenu de ces observations et souhaitant accorder leurs positions avec les grandes orientations définies dans le cadre du G 20, les membres de la mission ont souhaité faire plusieurs propositions propres à permettre de définir une meilleure régulation du cours des matières premières au niveau international.
Présentation du rapport : voir pièce jointe
Lien vers le dossier :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/controle/com_affeco_mi.asp#m4
Contact Presse : Marion TALLINAUD: mtallinaud@assemblee-nationale.fr / 01 40 63 64 36
ASSEMBLÉE NATIONALE
Mission d’information sur le prix des matières premières
Parisdkrjgtaris, le 6 avril 2011
Paris, le 19 octobre 2011
PRÉSENTATION DU RAPPORT
La Commission des affaires économiques, à l’initiative de son Président Serge POIGNANT, a décidé de créer une mission d’information sur le prix des matières premières, chargée notamment d’étudier les causes et les moyens de remédier à la volatilité qui a pu être constatée tant sur les matières premières minérales et énergétiques qu’agricoles. Inscrivant ses travaux dans le cadre du G 20 (qui doit se réunir à Cannes les 3 et 4 novembre prochains), cette mission a vu son périmètre accru puisqu’un des sujets d’étude a été, outre les matières agricoles et les matières premières énergétiques, celui des métaux (secteur non étudié par le G 20).
Présidée par Mme Pascale GOT, cette mission comporte deux rapporteurs : Mme Catherine VAUTRIN, chargée du volet spécifiquement agricole, et M. François LOOS, chargé de la partie consacrée à l’énergie et aux métaux.
La mission a conduit environ 90 auditions et a effectué de nombreux déplacements tant aux Etats-Unis qu’en Chine, à Londres, à Bruxelles et à Berlin. Elle a également entendu les responsables ou représentants des grandes places de marché, les principaux régulateurs, de grandes entreprises mondiales productrices et consommatrices (comme Rio Tinto, Rhodia, Baosteel, Eramet, Nexans…) mais également les spécialistes des marchés physiques et financiers, des organisations syndicales, sans oublier les représentants de la Commission européenne (à commencer par Michel Barnier), de la Banque mondiale, du FMI, de la FAO et de l’Agence internationale de l’énergie.
Le pré-rapport présenté aux membres de la Commission des affaires économiques le mercredi 19 octobre 2011 peut se subdiviser en deux grandes parties.
I. – Constat et explications de la situation actuelle sur les marchés des matières premières.
1. - Constat
Au cours de la décennie 2000, les principales matières premières ont toutes connu une hausse importante des cours, qui s’est conjuguée à une très forte volatilité (à la hausse comme à la baisse).
Ainsi, le prix du baril de pétrole a été multiplié par 7 entre 2000 et 2008 pour atteindre actuellement environ 100 dollars le baril ; de même, le prix du gaz naturel a explosé, augmentant de près de 80 % sur le seul marché américain entre septembre 2007 et juin 2008 (avant de connaître une forte baisse par la suite).
Il en est allé de même pour les matières premières agricoles : ainsi, le cours du blé a fortement augmenté (la tonne de blé ayant par exemple gagné près de 10 dollars en une seule journée, au cœur du mois de juillet 2011), de même que celui du maïs (la tonne étant passée de 155 euros en octobre 2006 à plus de 238 euros la tonne en juillet 2011) ou celui du coton (qui a atteint ses plus hauts niveaux depuis la Guerre de Sécession).
Citons également le cours de l’aluminium qui est passé de 1 500 dollars au début de l’année 1998 à un peu plus de 2 500 dollars à la mi-2011
Au cours de la période 2008-2011, les cours des matières premières ont baissé trois fois plus que lors d’un cycle moyen, en quatre fois moins de temps que d’habitude, rebondissant ensuite bien plus rapidement que d’habitude. Trois facteurs d’explication peuvent être avancés à cette évolution inédite :
- le premier d’entre eux tient au redressement plus vif que prévu de la demande mondiale, notamment grâce à la très forte stimulation de la politique macroéconomique ;
- le deuxième facteur d’explication réside dans le fait que les pays émergents consomment une part croissante de la production mondiale de produits de base. En particulier, le redressement des pays émergents d’Asie a été plus rapide que prévu ;
- le troisième facteur est la plus grande synchronisation des cours des matières premières avec les mouvements des marchés boursiers. Selon le FMI, ce phénomène s’explique principalement par le fait que l’ensemble des marchés présente une plus grande sensibilité à l’évolution économique générale.
Même si ces hausses de prix et ces variations doivent être corrigées, notamment par l’inflation, il n’en demeure pas moins que les hausses constatées au cours de la décennie 2000 sont inédites.
2. - Explications
Les hausses de prix et les variations enregistrées sont dues à des facteurs multiples qu’on peut regrouper en deux ensembles :
Les aléas conjoncturels
Il s’agit notamment des phénomènes météorologiques (qui ont tous joué une réelle influence sur le cours des matières premières agricoles : sécheresse en Russie en juillet 2010, inondations en Australie et aux Etats-Unis en décembre 2010, sécheresse au Texas en juillet 2011, pluies diluviennes au Pakistan en août et septembre 2011…). C’est également le cas de l’accident nucléaire de Kukushima, qui a poussé certaines matières premières fossiles à la hausse.
Il s’agit également des phénomènes géopolitiques. En premier lieu, c’est le pétrole qui, produit à 90 % dans des pays présentant un risque politique et soumis aux arbitrages de l’OPEP, subit cette influence considérable. Ce sont également les matières premières agricoles, qu’il s’agisse du blé (la décision russe de stopper les exportations de céréales à l’été 2010 ayant entraîné une hausse des cours) ou du cacao (qui a souffert de la crise ivoirienne, la Côte d’Ivoire étant le premier producteur mondial). Ce sont enfin les terres rares, qui ont souffert des différends entre Chine et Japon en octobre 2010.
Les tendances de fond
Ont à ce titre une influence déterminante sur les cours des matières premières la demande toujours croissante de la Chine et des autres pays émergents, l’insuffisance de l’offre (qui crée notamment des tensions sur les marchés énergétiques), l’opacité des marchés physiques (qui entraîne, en raison du manque de transparence et de fiabilité des informations, des réactions disproportionnées sur les marchés).
Au final, un constat est essentiel : les variations et hausses de prix des matières premières est moins la conséquence de la spéculation (qui amplifie mais ne crée pas des mouvements préexistants) que des fondamentaux des économies (notamment les déséquilibres entre l’offre et la demande).
II. – La financiarisation croissante des marchés de matières premières et les mesures de régulation souhaitées.
Les marchés dérivés de matières premières présentent un certain nombre de caractéristiques :
- ce sont des marchés de plus en plus concentrés (importance des bourses chinoises comme Dalian, Shanghai et Zhengzhou et anglo-américaines, qui demeurent les plus influentes) ;
- les acteurs financiers ont massivement investi dans les matières premières depuis le milieu des années 2000, les matières premières étant devenues une classe d’actifs à part entière, au même titre que les actions ou les obligations ;
- les montants engagés sur les marchés dérivés de matières premières représentent néanmoins une faible part des transactions globales de produits dérivés : moins de 2 % de l’ensemble des contrats, même lors du pic de 2008 ;
- depuis 2005, accroissement significatif des investissements sur les marchés de gré à gré, qui sont beaucoup plus opaques que les marchés organisés.
Le débat sur le rôle de la spéculation
- aucune étude n’a pu démontrer un lien de causalité entre l’activité sur les marchés à terme et l’évolution des prix au comptant. Deux arguments sont fréquemment avancés pour expliquer cette situation : les spéculateurs présentent une utilité (car ils assurent la contrepartie à l’activité de couverture des acteurs commerciaux) et ils ont souvent un temps de retard sur les prix ;
- un quasi-consensus existe en revanche pour reconnaître aux marchés à terme un rôle d’amplificateur des déséquilibres résultant de l’économie réelle ;
- plusieurs arguments plaident en faveur d’un rôle important de la spéculation dans les évolutions de prix : on estime par exemple que le premier propriétaire mondial de stocks pétroliers n’est pas Aramco ou une autre compagnie nationale mais une société financière privée, en l’occurrence Morgan Stanley. La spéculation a incontestablement joué un rôle important dans la hausse du cours du baril de pétrole entre 2000 et 2008. Il en va de même sur le marché du cuivre ;
- plusieurs études mettent en avant le rôle des fondamentaux économiques dans l’évolution du prix de telle ou telle matière première, la spéculation ayant un rôle d’amplificateur de phénomènes préexistants.
Le rôle central des marchés financiers dans la formation des prix des matières premières
- le prix d’un certain nombre d’opérations commerciales est dérivé du prix des contrats à terme. Ainsi, le prix du pétrole pour livraison immédiate, sur le marché physique, cesse d’être négocié en tant que tel et dépend de manière croissante du prix anticipé sur les marchés à terme pour des livraisons plus lointaines.
- apparition de nouveaux produits d’investissement qui commencent à déstabiliser les marchés : ce sont les ETF (Exchange Traded Funds), qui sont des certificats d’investissement qui ont pour contrepartie un stock physique de métaux. Les principaux gestionnaires de ces fonds, Goldman Sachs et JP Morgan, créent intentionnellement de la pénurie en retirant le métal du marché.
Propositions des rapporteurs pour limiter l’instabilité des cours des matières premières
Elles ont pour objet de nourrir la réflexion qui est conduite actuellement tant dans le cadre du G 20 qu’au sein de la Commission européenne ou aux États-Unis, qui ont adopté en juillet 2010 la loi Dodd-Frank. Elles s’organisent autour de deux objectifs :
- Premier objectif : apaiser les tensions sur les marchés physiques
Trois outils peuvent être utilisés : l’amélioration de l’approvisionnement de l’Union européenne en matières premières, la réduction de l’opacité des marchés physiques, l’institution d’un minimum de régulation sur ces marchés.
- Deuxième objectif : prévenir les risques d’instabilité en provenance des marchés financiers
Deux outils peuvent être utilisés : l’amélioration de l’information relative aux acteurs et aux opérations, l’extension du champ de la régulation.
Trois axes de réflexion en particulier paraissent essentiels :
1. Améliorer l’information sur l’identité des acteurs intervenant sur les marchés de matières premières et la nature des opérations auxquelles ils se livrent
2. Conférer le pouvoir aux régulateurs financiers de fixer des limites de position sur l’ensemble des marchés dérivés de matières premières (organisés et de gré à gré)
3. Sécuriser les transactions réalisées sur les marchés de gré à gré. Il convient en particulier de renforcer la protection et la supervision des chambres de compensation, afin d’éviter la survenance de conflits d’intérêt et surtout d’un risque systémique.
Il faut enfin préciser que ces pistes de régulation ne parviendront à limiter les excès de volatilité que grâce à une stratégie coordonnée à l’échelle internationale. Sans le concours de l’ensemble des instances de régulation financière et des principales places de marché, on assistera à une fuite de capitaux vers des marchés moins régulés, notamment en Asie. C’est pourquoi il est essentiel que, lors du sommet de Cannes, les 4 et 5 novembre prochains, les États membres du G20 missionnent le Conseil de stabilité financière pour coordonner l’action de régulation sur l’ensemble des marchés de matières premières.
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Compte tenu de ces différents éléments, Mmes GOT et VAUTRIN ainsi
que M. LOOS souhaitent insister sur les propositions suivantes :
Proposition n° 1 : Élaborer une stratégie commune à l’État et aux industriels destinée à améliorer la sécurité d’approvisionnement en matières jugées critiques.
Proposition n° 2 : Dans le cadre de la nouvelle PAC (Politique agricole commune), favoriser la connaissance des principales données relatives aux matières premières agricoles et l’état des stocks sous l’égide de l’AMIS (« Système d’information des marchés agricoles ») afin de fluidifier les marchés et de mieux anticiper les mouvements de prix pouvant les affecter.
Proposition n° 3 : Lorsque, sur un marché donné, il n’existe pas de régulateur sectoriel, étendre les compétences du régulateur financier à l’analyse des fondamentaux des marchés physiques sous-jacents et à la surveillance des transactions réalisées sur le marché au comptant.
Proposition n° 4 : Confier aux régulateurs financiers l’encadrement des agences d’évaluation des prix et contrôler tant leur mode de gouvernance que leur degré de transparence et d’impartialité.
Proposition n° 5 : Mandater l’Autorité européenne des marchés financiers afin qu’elle réalise un suivi des fonds indiciels ETF et ETC portant sur les matières premières.
Proposition n° 6 : Instituer une obligation de déclaration des opérations réalisées sur les marchés dérivés de matières premières auprès d’un registre central, chargé de collationner les données, afin de sanctionner les abus de marché et d’optimiser la formation des prix.
Proposition n° 7 : Conférer aux régulateurs financiers le pouvoir de fixer des limites de position sur l’ensemble des marchés dérivés de matières premières (organisés et de gré à gré). Définir des modalités d’application garantissant un équilibre entre la prévention des abus de marché et le maintien d’une liquidité suffisante.
Proposition n° 8 : Missionner le Conseil de stabilité financière pour coordonner l’action de régulation sur les marchés de matières premières, y compris en ce qui concerne le niveau d’information à mettre en œuvre sur le marché physique.
Proposition n° 9 : Inciter les acteurs à chercher, au sein des filières et dans une logique de contractualisation, les moyens de déterminer un prix d’équilibre des matières premières agricoles qui soit de nature à garantir un revenu suffisant aux agriculteurs tout en limitant l’impact de la volatilité au bénéfice des consommateurs.