ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE

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RAPPORT D'INFORMATION

Présenté à la suite de la mission effectuée en Arménie
du 16 au 22 avril 2000

par une délégation du

GROUPE D'AMITIÉ FRANCE-ARMÉNIE

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Cette délégation était composée de M. Jean-Paul Bret, Président, MM. Richard Cazenave, Roger Meï, Guy Teissier, vice-présidents, Mme Michèle Rivasi, secrétaire.

SOMMAIRE

Avant-propos

5

   

Introduction

7

   

I - l'évolution du contexte institutionnel

 

1- La longue mise en place de nouvelles institutions
(1991-1997)

11

2- Une timide stabilisation politique (1998-1999)

14

3- L'attentat du 27 octobre 1999 et ses conséquences

16

   

II - une situation économique en voie d'amélioration

 

1- Le difficile passage à un nouveau système économique

19

2- Une lente amélioration au niveau macro-économique depuis 1995

20

3- Des atouts certains qui valoriseraient des réformes indispensables

22

   

III - l'absence de règlement au conflit du haut-karabagh

 

1- Un conflit aux répercussions internationales multiples

27

2- Des négociations qui progressent lentement

29

   

Conclusion

31

   

Annexes

 

Composition de la délégation

33

Programme de la mission

37

AVANT-PROPOS

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Je suis devenu président du groupe d'amitié France-Arménie à l'Assemblée nationale parce que, depuis longtemps, les liens qui m'unissent à la communauté arménienne de France sont chargés de respect et d'estime. C'est grâce à elle et à ses invitations au voyage que j'ai découvert l'Arménie, un an seulement avant qu'elle ne devienne une république indépendante et qu'elle soit la première des républiques de l'ex-Union soviétique à accéder à son autonomie. C'était en juillet 1990. Dans l'avion qui m'emmenait à Erevan, se trouvait Paradjanov qui avait décidé de rejoindre dans la mort le sol d'une Arménie enfin libre.

Je ne savais pas que je referai souvent le voyage et qu'à chaque départ, il me serait donné de vivre des moments singuliers d'émotion : souvent la démesure dans le rire et les larmes, cette démesure caractéristique des peuples déchirés, des familles éclatées qui ne savent pas quand elles se reverront, cette démesure qui naît de l'éloignement et des séparations trop longues. J'ai tout de suite aimé l'Arménie, une Arménie excessive en tout : glaciale l'hiver, caniculaire l'été, aride, tortueuse, trop généreuse, presque trop accueillante. Je me souviens de ce mois de juillet 1995 où, à Latchine, entre l'Arménie et le Haut-Karabagh, nous avions attendu des heures pendant que les bulldozers creusaient la route et qu'à la fin de la journée, d'un commun accord, les camionneurs et les automobilistes nous avaient proposés de démarrer les premiers et d'ouvrir le convoi parce que nous étions Français, que nous avions attendu longtemps et qu'à leur sens, nous avions déjà suffisamment baigné dans la poussière. Ils avaient dû penser que, contrairement à nous, ils étaient plus aguerris et qu'il fallait donc nous épargner un peu.

Avec le temps, les liens s'affirment. J'ai pensé que je pourrais aider l'Arménie en lui offrant ce que j'avais appris dans la tranquillité démocratique d'un pays comme la France. Dans ma démarche, il n'y avait rien d'emphatique ni d'outrecuidant. Je souhaitais simplement apporter un regard objectif car je savais qu'à toute aventure humaine, qu'elle soit individuelle ou collective, il manque souvent ce regard extérieur et amical qui ouvre ensuite sur des discussions honnêtes, saines, sans flatterie, ni complaisance, ni morale. C'est ainsi qu'à l'Assemblée nationale j'ai conçu ma mission de président du groupe d'amitié France-Arménie. C'est dans cet état d'esprit aussi que j'ai imaginé le voyage de notre délégation parlementaire. Car, s'il est vrai que l'expérience des uns sert finalement peu aux autres, elle peut parfois permettre d'accélérer la marche ou tout du moins d'adapter son pas dans un monde qui va si vite et qui n'épargne pas ceux qui prennent peu ou mal la mesure du tourbillon.

Initialement, la délégation devait se rendre en Arménie en novembre 1999. Le matin du 27 octobre, j'ai rencontré Edouard Nalbandian, l'ambassadeur d'Arménie en France, pour clore l'organisation de notre séjour. Dans l'après-midi, nous sont parvenues les premières nouvelles d'un drame sanglant. Un attentat dans le Parlement, plusieurs députés retenus en otage, l'assassinat de Vazguen Sarkissian et de Karen Demirdjian. Les informations étaient bouleversantes. Avec nos consciences d'occidentaux, nous avons parfois du mal à comprendre ce qui se passe à quatre mille kilomètres de nous, dans ce Caucase tumultueux et stratégique, dans cette petite Arménie à la démocratie balbutiante et à l'incroyable violence. Mais d'ores et déjà, avant tout commentaire, nous avons tous compris que cette tragédie brisait des années d'efforts et qu'il faudrait du temps à l'Etat arménien et à son peuple pour dépasser cette nouvelle blessure.

Interrogé par la presse, quelques jours après ces événements, et alors que le voyage de la délégation parlementaire venait d'être reporté à la demande de l'Arménie, j'ai répondu que le groupe d'amitié France-Arménie tiendrait sa place et jouerait pleinement son rôle d'ami dans ce moment de deuil et de reconstruction. C'est ce qu'il a fait, je crois.

Introduction

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Une délégation du groupe d'amitié France-Arménie de l'Assemblée nationale s'est rendue en Arménie du 16 au 22 avril 2000.

Elle était conduite par M. Jean-Paul Bret (S, Rhône), son président, et composée de MM. Richard Cazenave (RPR, Isère), Roger Meï (C, Bouches-du-Rhône), Mme Michèle Rivasi (App. S, Drôme) et de M. Guy Teissier (DL, Bouches-du-Rhône).

Au cours de son séjour, elle a rencontré des personnalités politiques et plus particulièrement :

M. Robert Kotcharian, Président de la République

M. Aram Sarkissian, Premier ministre

M. Armen Katchatrian, Président de l'Assemblée nationale

M. Haïk Haroutunian, ministre de l'intérieur

Elle a aussi été reçue par Karekine II, Catholicos de l'église apostolique arménienne.

A l'Assemblée nationale, la délégation s'est entretenue avec des membres du groupe d'amitié Arménie-France, présidé par M. Andranik Markarian, et de la commission des Affaires étrangères, présidée par M. Hovahnnes Hovahnnissian.

Les discussions ont porté sur les perspectives de négociation sur le Haut-Karabagh, l'entrée de l'Arménie au Conseil de l'Europe, l'échange d'expériences législatives entre les Assemblées, la coopération et le développement économiques, les investissements étrangers en Arménie, la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Elle s'est recueillie devant la tombe de M. Karen Demirdjian, ancien Président de l'Assemblée nationale, tué lors de l'attentat du 27 octobre 1999.

A l'issue de l'émouvante visite du mémorial du génocide et avant de déposer une gerbe au pied du monument, le président de la délégation a inscrit sur le livre : S'il y a une initiative dont je suis fier, c'est bel et bien d'avoir été, à l'origine, en France, du texte de loi reconnaissant le génocide arménien de 1915. Ce 29 mai 1998, à l'Assemblée nationale, mes combats politiques et mes engagements personnels ont pris un sens particulier. Aujourd'hui, à Erevan, dans ce musée du génocide, je mesure encore davantage combien le travail de réflexion sur l'histoire est essentiel. Tout ce qui fait _uvre de mémoire est parole d'espérance.

Les députés ont effectué plusieurs déplacements hors d'Erevan. Ils ont tout d'abord visité deux entreprises agro-alimentaires à Abovian où ils se sont entretenus avec les autorités locales. La délégation s'est également rendue à Gumri où elle a visité l'orphelinat catholique au sein duquel des enseignantes françaises retraitées dispensent des cours de français, et l'école en français renforcé qui accueille 1200 élèves dont une cinquantaine dans une filière bilingue. Elle a aussi rencontré des professeurs de la chaire de français de l'Institut pédagogique. Un entretien avec les autorités locales a permis de faire le point sur la lenteur de la reconstruction de cette région qui reste fortement marquée par le tremblement de terre de décembre 1988. La délégation s'est enfin rendue dans la région de Vayotz Dzor, au sud du pays, où elle a rencontré des viticulteurs, visité une coopérative agricole et s'est entretenue avec les autorités locales sur les perspectives de développement économique, notamment dans le secteur du tourisme, compte tenu de la beauté des paysages et de la richesse du patrimoine architectural.

A la demande de M. Jean-Paul Bret, M. Michel Legras, Ambassadeur de France en Arménie, a réuni les acteurs de la francophonie lors d'une table ronde au cours de laquelle ils ont exprimé leurs difficultés et leurs espoirs. S'il existe des organismes de formation enseignant le français à des étudiants (filières classiques d'interprétariat) ou à des adultes (programmes accélérés pour l'acquisition du français courant et professionnel), des associations diffusant la culture française en Arménie, des initiatives de l'Ambassade de France pour publier les traductions d'écrivains français et diffuser la littérature française contemporaine, des projets ambitieux comme la création d'une université franco-arménienne, il faut toutefois souligner l'absence de liens entre les différentes infrastructures et leurs projets. Bien souvent, les acteurs de la francophonie méconnaissent ce qui se passe dans les organismes voisins et amis. Il semblerait judicieux de créer des passerelles entre chacune de ces structures ne serait-ce que pour donner corps à la communauté francophone.

Il faut donc faciliter les partenariats, les discussions, les rencontres au sein de ce tout petit monde francophone qui s'ignore : c'est un rôle que pourrait jouer l'Ambassade de France. L'Ambassadeur s'est effectivement dit prêt à organiser des rencontres régulières où les acteurs de la francophonie pourraient débattre de leurs préoccupations, imaginer des manifestations communes, s'ouvrir aux nouvelles pratiques du français, améliorer leurs connaissances de la culture française moderne ou contemporaine et tout simplement discuter à bâtons rompus sur un sujet d'actualité ou sur un auteur. Car cette table ronde a également fait apparaître que certains acteurs de la francophonie cultivaient une idée somme toute désuète de la culture française. Pour beaucoup d'entre eux, leur connaissance de la littérature s'arrête au seuil du XXème siècle. Nos grands écrivains contemporains sont inconnus. Il y a donc ici un terrain d'expérimentation et d'ouverture qu'il ne faut pas négliger.

A toutes les personnes rencontrées, la délégation exprime sa gratitude pour la cordialité de l'accueil reçu. Elle adresse également ses remerciements à M. Michel Legras, Ambassadeur de France en Arménie, à ses collaborateurs ainsi qu'aux fonctionnaires du Parlement arménien qui, par leur compétence et leur courtoisie, ont contribué au bon déroulement de son séjour.

Cette mission, par la diversité de ses approches de la réalité arménienne, a permis à chacun des membres de la délégation de mesurer le chemin parcouru depuis l'indépendance mais aussi les difficultés auxquelles demeure confronté ce pays pour engager un développement durable tant qu'un climat pacifié et confiant ne sera pas instauré dans le Caucase.

L'Arménie recouvra son indépendance en 1991 avec l'éclatement du bloc soviétique et se retrouva alors dans les frontières étroites dessinées par le traité de Kars de 1921 entre la Russie bolchevique et la Turquie kémaliste.

L'Arménie dut, en 1991, surmonter les mêmes difficultés que les autres Etats du Caucase :

mettre en place des institutions démocratiques, en l'absence de traditions politiques, en organisant la séparation des pouvoirs et en introduisant le pluralisme des partis ;

transformer une économie planifiée dans le cadre de l'URSS en une entité économique autonome et assurer le passage à une économie de marché dans une situation de pénurie ;

délimiter des frontières dans un espace où s'imbriquent les populations par delà un découpage historique arbitraire et trouver une solution pour les enclaves comme le Haut-Karabagh.

I - L'évolution du contexte institutionnel

1- La longue mise en place de nouvelles institutions (1991-1997)

Une fois l'indépendance obtenue, l'Arménie a dû se doter de nouvelles institutions.

La première étape de ce long processus intervint dès octobre 1991 avec la première élection présidentielle qui assura la victoire de M. Levon Ter Petrossian, alors membre influent du Comité Karabagh (groupe choisi par la population pour diriger le mouvement démocratique).

Plus de quatre ans furent alors nécessaires pour parvenir à un accord sur la future organisation des pouvoirs. La nouvelle constitution ne fut en effet adoptée qu'en juillet 1995. Elle s'inspire sur bien des points de la Constitution française.

l La Constitution

Elle prévoit l'élection au suffrage universel direct du président de la République, selon un scrutin majoritaire à deux tours, pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois.

Elle lui attribue des pouvoirs étendus : non seulement il nomme et révoque le Premier ministre et préside le Conseil des ministres, mais il peut également renvoyer un texte voté en demandant de nouvelles délibérations. Il a en outre la possibilité de prendre des décrets et ordonnances immédiatement exécutoires. Il dispose enfin du droit de dissoudre l'Assemblée et nomme les membres et le Président de la Cour constitutionnelle. Il exerce enfin le commandement suprême des forces armées et répond de la sécurité nationale.

Le Parlement de la République se compose d'une seule chambre, l'Assemblée nationale, qui exerce le pouvoir législatif, vote le budget et en contrôle l'exécution au cours de deux sessions ordinaires par an. Elle dispose, concurremment avec le gouvernement, de l'initiative législative mais n'est pas maîtresse de son ordre du jour.

Elle peut enfin censurer le gouvernement qui doit démissionner en cas de vote d'une motion de censure à la majorité absolue.

C'est dans un contexte marqué par le conflit du Haut-Karabagh et les difficultés économiques que se sont déroulées les premières consultations électorales.

l Les élections législatives de juillet 1995

Les précédentes élections générales à l'ancien Soviet suprême s'étaient tenues avant l'accession à l'indépendance et le Conseil suprême resta en place jusqu'au vote en 1995 de la nouvelle loi électorale. Environ 1500 candidats issus de nombreux partis étaient en lice pour les 190 sièges à pourvoir (150 au scrutin majoritaire à deux tours et 40 à la proportionnelle). Dix partis ne purent pas participer au scrutin pour vice de procédure. Le parti nationaliste, Fra-Dachnaktsoutioun, interdit, ne put pas présenter ses candidats.

Les élections se déroulèrent dans un climat tendu, ponctué de violences, et les observateurs internationaux exprimèrent des réserves sur le déroulement de la campagne et sur l'établissement des listes électorales. Elles eurent lieu en même temps que le référendum sur la Constitution.

Le Bloc républicain, bloc pro-gouvernemental de 6 partis proches du président Levon Ter Petrossian, sortit grand vainqueur avec 119 sièges.

La Cour constitutionnelle se mit en place en janvier 1996 et la loi relative à l'élection du Président de la République fut adoptée en avril de la même année.

l Les élections présidentielles de septembre 1996

La loi électorale introduisit plusieurs innovations d'ordre financier ou politique et, tirant parti des critiques formulées à l'encontre des précédents scrutins, améliora la sûreté et la transparence des opérations électorales.

La campagne vit, schématiquement, s'opposer au président sortant, M. Levon Ter Petrossian, soutenu par le bloc républicain, M. Vasken Manoukian, ancien Premier ministre, qui représentait l'Union nationale démocrate. Les débats politiques s'apparentèrent plus à des rivalités personnelles qu'à de réelles divergences sur les principales orientations. En effet, trois candidats avaient appartenu au Comité Karabagh et deux autres avaient participé au gouvernement de M. Levon Ter Petrossian. En outre, la population, désorientée par les bouleversements économiques et sociaux des dernières années, ne semblait pas se passionner pour ces débats.

Les observateurs de l'OSCE constatèrent de graves irrégularités, notamment concernant le vote des militaires, et la victoire de M. Levon Ter Petrossian sur M. Vasken Manoukian (par 51,75%) fut contestée.

Le mouvement de protestation dégénéra en émeute, si bien que les rassemblements furent interdits et les permanences des partis d'opposition fermées. Au printemps 1997, plusieurs manifestations se déroulèrent au centre d'Erevan pour contester la légitimité du Président et réclamer une nouvelle élection présidentielle. Malgré le remplacement en mars du Premier ministre par M. Robert Kotcharian, Président de la République autoproclamée du Haut-Karabagh, qui bénéficiait d'une grande popularité en raison de son soutien à l'unification de l'enclave à l'Arménie, le Président Ter Petrossian n'a pas su enrayer la crise politique et sociale dans un pays soumis au blocus de la Turquie et de l'Azerbaïdjan et miné par le chômage. Sa prise de position en faveur d'un compromis avec l'Azerbaïdjan sur la question du Haut-Karabagh l'a éloigné encore davantage de l'opinion et l'a séparé de son Premier ministre qui s'est alors allié avec le ministre de l'intérieur et de la défense, M. Vazguen Sarkissian autour d'une ligne intransigeante dans le règlement du conflit, acculant un président isolé et contesté de toutes parts à la démission le 3 février 1998.

Aux termes de la constitution, il revenait au Président de l'Assemblée nationale, M. Ararktsian, d'assurer l'intérim ; mais ce proche du président démissionnaire fut à son tour conduit à démissionner et c'est au Premier ministre qu'échut alors la fonction suprême.

La mise en place des nouvelles institutions politiques fut donc longue et difficile. Depuis, on observait une certaine stabilisation jusqu'à l'attentat au parlement du 27 octobre 1999.

2 - Une timide stabilisation politique (1998-1999)

l Les élections présidentielles de mars 1998

Après une campagne électorale qui a davantage porté sur la situation économique et sociale que sur la question du Haut-Karabagh, les élections présidentielles des 19 et 30 mars 1998 ont vu s'affronter au deuxième tour M. Robert Kotcharian et M. Karen Demirdjian, ancien dirigeant du parti communiste de l'Arménie soviétique dont le retour en politique suscita bien des espérances. M. Vasken Manoukian, qui n'était arrivé qu'en troisième position, ne put pas entrer en lice pour le second tour.

Le scrutin s'est déroulé sous la double surveillance de l'OSCE et du Conseil de l'Europe. Les observateurs étrangers ont constaté qu'en dépit d'irrégularités, des progrès avaient été accomplis dans l'organisation et le déroulement du scrutin. M. Robert Kotcharian a été élu Président de la République avec 59,49% des suffrages contre 40,51% pour son adversaire.

A la suite de cette élection, une quarantaine de députés qui soutenaient le président démissionnaire ont adhéré au bloc Yergrapagh, proche de M. Vazguen Sarkissian, ministre de la défense, qui avait soutenu Robert Kotcharian contre la politique de compromis avec l'Azerbaïdjan prônée par l'ancien Président Ter Petrossian. Ayant su rassembler les partisans de l'intransigeance sur le Haut-Karabagh au sein du Parlement comme du gouvernement, le Président de la République a bénéficié d'une certaine stabilité politique qui lui a permis d'éviter une dissolution.

Il a ainsi mis fin à l'interdiction (en 1994) du parti nationaliste Dachnak, qui lui apporta son soutien, tout comme le parti républicain d'Arménie, animé par le ministre de la défense. Le parti populaire de M. Demirdjian et le parti communiste d'Arménie de M. Badalian représentaient les principales forces d'opposition.

l Les élections législatives de mai 1999

L'enjeu de ces élections était d'actualiser le paysage politique arménien après les élections présidentielles de 1998 et de mesurer le poids électoral de nouveaux partis ou alliances comme celle du ministre de la défense, M. Vazguen Sarkissian, et de l'ancien dirigeant du parti communiste, M. Karen Demirdjian.

Selon l'OSCE, le déroulement de ces élections a fait apparaître un réel progrès démocratique, le scrutin ayant moins souffert de l'existence de fraudes que d'un manque réel d'organisation (lenteur de la publication des résultats définitifs, erreurs et omissions sur les listes électorales), ce qui devrait influencer favorablement la candidature de l'Arménie au Conseil de l'Europe.

La nouvelle loi électorale avait fixé à 131 le nombre de sièges à pourvoir, 75 au scrutin majoritaire et 56 à la proportionnelle.

La coalition Unité, dirigée par MM. Vazguen Sarkissian et Demirjian, a obtenu 45% des sièges. Cette majorité relative s'est transformée en majorité absolue avec l'apport de députés indépendants réputés proches de M. Sarkissian.

Les partis situés dans la mouvance nationaliste entrent au Parlement, comme le parti Dachnak, très implanté dans la diaspora, le parti Droit et Unité, proche de M. Samuel Babayan, ministre de la défense du Haut-Karabagh, le parti Pays de Droit, proche de M. Serge Sarkissian. A l'exception du parti communiste, la plupart des anciens partis ont connu une déroute, notamment le Mouvement national arménien de l'ancien président Levon Ter Petrossian.

M. Vazguen Sarkissian est nommé Premier ministre le 11 juin, tandis que M. Demirjian est élu à la tête du Parlement, réunissant 110 voix sur 131, ce bon score laissant présager une confortable majorité pour le nouveau gouvernement.

La composition du gouvernement confirme l'influence prédominante du Premier ministre dont la marge de man_uvre s'élargit ainsi au détriment de celle du Président de la République.

Mais en contrepartie, la responsabilité de la gestion de la politique économique et sociale du pays repose sur le gouvernement, comme l'a déjà relevé le Président.

3 - L'attentat du 27 octobre 1999

l L'attentat du 27 octobre 1999 au cours duquel ont été assassinés le Premier ministre, proche des militaires, le Président du Parlement, un ministre et cinq députés, s'il dépasse par son ampleur tout précédent, s'inscrit néanmoins dans un contexte de violence : le 6 août 1998, le procureur général d'Arménie était assassiné ; cinq mois plus tard, c'était le tour du vice-ministre de la défense. Le 9 février 1999, le vice-ministre de l'intérieur était tué. Et ces meurtres, qui traduisent sans doute des luttes entre clans, n'ont jamais été éclaircis.

Cette tuerie a profondément ébranlé la scène politique et a fait apparaître les profondes divergences qui opposaient le Président et son ancien Premier ministre.

Lors du remplacement des victimes de l'attentat, le Président Kotcharian, très critiqué, avait pris grand soin, pour calmer le jeu, de ne pas modifier les équilibres précédents, même si les personnes nommées n'avaient pas une expérience politique de haut niveau. Au poste de Premier ministre, M. Aram Sarkissian, frère de son prédécesseur ; à la présidence du Parlement, M. Armen Khatchatrian, proche collaborateur de son prédécesseur.

l Ce geste d'apaisement n'a pas empêché une fragilisation de la position du Président Robert Kotcharian face à la contestation du Parlement et des militaires :

L'enquête sur l'attentat du 27 octobre 1999 illustre cette montée de la tension. L'armée a vite obtenu les démissions des ministres de l'intérieur et de la sécurité ainsi que celle du procureur général, personnalités proches du Président et leur remplacement par des amis de l'ancien Premier ministre assassiné tandis que l'opposition serrait les rangs autour de ce dernier. A la demande du ministre de la défense, l'enquête a été confiée au procureur militaire. Elle a donné lieu à dix-huit inculpations dont celles de quelques proches du Président. Le chef de cabinet du Président a ainsi été inculpé mais a dû être relâché faute de preuves. Les déclarations du procureur militaire déplorant des pressions autour de l'enquête n'ont fait qu'accroître la tension.

Face à l'interdiction faite à ce dernier par le Président d'évoquer devant le Parlement le déroulement de l'enquête, le Parlement, le 26 avril, a menacé d'engager à son encontre une procédure de destitution. Le Président a riposté en menaçant de dissoudre la Chambre.

Six mois d'investigation et la participation de deux enquêteurs russes n'ont pas permis d'éclaircir les causes de cet attentat. Certains ont vu derrière cet acte de violence la main de Moscou pour empêcher l'Arménie de répondre au chant des sirènes occidentales et d'échanger la paix au Haut-Karabagh contre une aide économique. A l'opposé, d'autres ont voulu y impliquer le Président dont la politique jugée pro-occidentale aurait été contrée par le Premier ministre et le Parlement. La classe politique, quant à elle, semble se réfugier dans le silence ou dans le non-dit et préfère s'en tenir à la version d'une action de Kamikazes, de desperados isolés, d'un acte de désespoir face à la misère du peuple.

l Face à la contestation de son autorité, le Président Kotcharian a pris deux initiatives.

Afin de reprendre en main la direction militaire, il a tout d'abord, le 16 mars, procédé à de nouvelles nominations aux postes de vice-ministres de la défense en dénonçant la politisation de l'armée.

Afin d'élargir sa marge de man_uvre politique, il a également mis fin le 2 mai aux fonctions de deux de ses principaux détracteurs, le Premier ministre et le ministre de la défense les accusant d'avoir cherché à saper les fondements de l'Etat. En application de la constitution arménienne, la démission du Premier ministre entraîne celle de tout le gouvernement.

Le 12 mai, le Président a nommé au poste de Premier ministre Andranik Markarian, chef du parti Unité, qui au Parlement présidait le groupe d'amitié Arménie-France.

Lors de son séjour, la délégation a pu constater le climat tendu qui règne sur la scène politique et mesurer la distance qui séparait les analyses du Président de la République et les propos du Premier ministre.

S'il est encore trop tôt pour savoir si cette initiative du Président Kotcharian suffira à sortir le pays de la crise, le retour à la stabilité politique apparaît un préalable indispensable à toute amélioration de la situation économique

II - Une situation économique en voie d'amelioration

1 - Le difficile passage à un nouveau système économique (1991-1994)

La rareté des ressources actuelles, l'étroitesse du marché intérieur et l'isolement géographique n'ont pas empêché l'Arménie d'atteindre sous l'ère soviétique un certain niveau de développement.

Dans le cadre de la division du travail organisée à l'échelle de l'URSS, l'Arménie participait à l'élaboration de composants dans plusieurs secteurs (chimie, constructions mécaniques, électroniques, textile, agro-alimentaire) sans avoir à se préoccuper des débouchés ou du coût du transport.

Pour l'Arménie, comme pour d'autres républiques excentrées de l'Union soviétique, l'éclatement de l'URSS s'est traduit par un effondrement économique et financier que sont venus aggraver le conflit du Haut-Karabagh et le blocus mis en place par l'Azerbaïdjan et la Turquie.

Avec l'indépendance, l'Arménie a non seulement perdu les marchés de l'ex-URSS mais elle s'est également retrouvée avec un appareil de production industriel totalement inadapté qui s'est vite effondré. Un grand nombre de ses entreprises a dû arrêter la production et licencier leur personnel. D'autres ont relancé leur production grâce à des prêts publics mais face aux impayés, elles n'ont pu rembourser leur dette, d'autant que les taux d'intérêt étaient très élevés.

La voie pour se transformer d'une sous-entité économique au sein d'un ensemble en une économie de marché autonome allait s'avérer longue et difficile. La première équipe gouvernementale mit en route cette transformation en commençant par procéder à la privatisation des terres dès le printemps 1991. Fin 1993, environ 90 % des terres agricoles étaient privatisées, le dixième restant étant géré par les municipalités.

On estime qu'actuellement 320.000 exploitations indépendantes disposent en moyenne de 1,3 ha. Outre l'insuffisance de taille des exploitations, la répartition du matériel des fermes collectives, l'absence d'entretien des canaux d'irrigation, la pénurie d'énergie ou d'engrais soulevèrent des difficultés telles que la production agricole, après une période de croissance, recula. A partir de 1994, intervint la seconde phase du processus avec la privatisation des commerces et des petites entreprises qui, elles aussi, ont tout d'abord souffert de la crise énergétique résultant de la fermeture de la centrale nucléaire de Medzamor à la suite du séisme de 1988.

Parallèlement, la libération des prix commença dès le début de l'année 1992, non sans provoquer mécontentement populaire et tension sociale.

Restée jusqu'alors dans la zone rouble, l'introduction du nouveau rouble conduisit l'Arménie à mettre en circulation sa propre monnaie, le dram, en novembre 1993. Après une érosion initiale de sa valeur, le dram se stabilisa ensuite sous l'influence d'une politique monétaire et de crédit stricte. Le système bancaire a été progressivement restructuré avec la création de nombreuses banques commerciales privées.

Mais ces mesures, pour bénéfiques qu'elles furent, ne purent empêcher une forte contraction de la production et la montée du chômage qui ont fait reculer le revenu et le niveau de vie des ménages. Les salaires de ceux qui avaient encore un emploi n'ont pu suivre l'inflation galopante, les subventions publiques aux produits alimentaires et énergétiques ont été réduites. Le PIB a ainsi reculé des deux tiers entre 1991 et 1994 tandis que la hausse des prix a atteint un sommet de 5270 % en 1994. On estime que les salaires réels ont diminué de 60 % en 1992, de 42 % en 1993 et de 76 % en 1994.

Ces premières années d'indépendance se caractérisent par une faillite de l'Etat, incapable de verser le salaire des fonctionnaires ou les retraites et les allocations sociales. Il en est résulté une situation dramatique pour une partie de la population.

2 - Une lente amélioration au niveau macro-économique depuis 1995

l Grâce aux efforts des gouvernements successifs, une certaine normalisation macro-économique est intervenue depuis 1995. Elle résulte pour une large part d'une politique d'austérité conforme aux recommandations des institutions internationales et a permis le rétablissement des grands équilibres.

La stabilité monétaire est désormais assurée et l'inflation, qui s'élevait encore à près de 180 % en 1995, est inférieure à 10 % depuis trois ans.

La croissance, qui a été stimulée par la construction et la production industrielle, est en moyenne supérieure à 5 % depuis 1995.

Même le déficit budgétaire, qui est depuis 4 ans limité à moins de 6 % du PIB, devrait avoisiner 4 % en 2000. Le budget pour 2000 prévoit ainsi des recettes de 370 M$ pour des dépenses de 462 M$. Le déficit commercial et le niveau d'endettement extérieur restent néanmoins préoccupants. En 1999, les importations ont légèrement dépassé 800 M$, alors que les exportations atteignaient 233 M$. La dette extérieure quant à elle est passée de 134 M$ en 1993 (13,5 % du PIB) à environ 900 M$ en 1999 (49 % du PIB). Reste donc à réaliser un assainissement général de l'économie.

l En outre, ce rétablissement ne semble pas avoir sensiblement modifié les conditions de vie de la plupart des Arméniens.

Le niveau de vie des Arméniens reste très bas. Le PIB par habitant est de 500 $ et le salaire officiel mensuel moyen ne dépasse pas les 30 $. Le niveau de vie réel de la population est difficile à évaluer en raison du fort développement de l'économie souterraine.

Pendant l'ère soviétique, le montant des loyers était très faible et il n'y avait pas de compteurs, si bien que les Arméniens avaient l'habitude de consommer l'eau, l'électricité et le gaz sans compter. Il leur a fallu apprendre à payer ces consommations et ce fut une véritable révolution culturelle, pas encore totalement admise.

Les hausses inéluctables des tarifs de l'électricité et de l'eau affectent une part de la population, notamment les chômeurs.

Le manque de transparence entourant plus spécialement les privatisations accentue la méfiance de la population à l'égard de ces opérations, d'autant que l'écart entre une minorité de riches et une majorité de pauvres se creuse.

Le pays a d'ailleurs recours de façon croissante à l'assistance internationale et aux transferts issus de la diaspora : il serait même le premier bénéficiaire de l'aide internationale par tête d'habitant, pour un total proche de 330 M$ par an.

l De même, l'agriculture et les petites entreprises vont mieux depuis la réouverture de la centrale nucléaire. Malgré l'érosion des sols résultant d'une utilisation intensive d'engrais, la plaine de l'Ararat reste relativement fertile et produit des fruits, des légumes, des cultures maraîchères et du tabac. En dépit d'une mécanisation insuffisante et du mauvais état des infrastructures, la production agricole amorce donc un redressement.

Dans l'industrie, les secteurs de l'énergie, de la métallurgie non ferreuse et des matériaux de construction ont enregistré des résultats plus satisfaisants.

3 - Des atouts certains que valoriseraient des réformes indispensables

l L'Arménie dispose de quelques atouts pour engager un développement économique durable.

Par sa position géographique, l'Arménie se situe tout d'abord au carrefour de deux axes d'échange, le premier de la Russie à l'Iran, le second de l'Asie centrale à la Turquie, ce qui devrait favoriser le développement d'une industrie de transit et de services bancaires. Mais l'absence de règlement politique sur le Haut-Karabagh empêche une levée du blocus économique qui seul permettrait de mieux valoriser ce premier atout.

L'Arménie dispose également de quelques points forts parmi lesquels l'énergie, l'agriculture et l'agro-alimentaire, le tourisme.

L'Arménie n'a que très peu de ressources naturelles. En matière énergétique, elle ne possède ni pétrole ni gaz et a dû rouvrir la centrale nucléaire. Si actuellement sa production d'énergie électrique dépasse ses besoins, la fermeture de la centrale, prévue en 2004, exige la définition et la mise en _uvre d'une politique de diversification faisant appel aussi bien à la co-génération à partir du gaz des pays voisins qu'à la réhabilitation de nombreuses centrales hydroélectriques ou aux micro-centrales, voire à l'énergie solaire.

L'agriculture comme l'agro-alimentaire constitue un autre levier potentiel du développement économique de l'Arménie. La présence de l'eau et du soleil sont des atouts qu'il faut valoriser par l'irrigation, une meilleure formation des agriculteurs, une modernisation du matériel et une amélioration des infrastructures. C'est en relevant le défi de la qualité que ce secteur peut espérer valoriser sa production. Telle est d'ailleurs, nous l'avons constaté, la démarche amorcée dans la région d'Areni pour produire un vin de qualité constante élaboré à partir d'un cépage unique.

De même, le tourisme, qui a connu un essor certain sous l'ère soviétique avant de s'effondrer en 1994 en raison de la dégradation des infrastructures et de la perte de la clientèle russe, peut redémarrer en s'appuyant sur la beauté des paysages de certaines régions, le patrimoine architectural religieux ou la présence de nombreuses sources thermales. Mais là encore son développement gagnerait à s'inscrire dans une perspective régionale englobant les pays limitrophes et suppose des investissements étrangers pour mettre les structures d'accueil aux normes internationales.

D'autres secteurs comme les matériaux de construction, la construction mécanique et la métallurgie des non ferreux pourraient également servir de points d'appui pour ancrer le redressement économique. Mais pour assurer un développement économique durable, ces atouts, pour nécessaires qu'ils soient, ne sauraient suffire.

Les autorités arméniennes doivent tout d'abord réaliser effectivement l'important programme d'adaptation de pans entiers de la législation, qui demeurent inchangés depuis l'époque soviétique, pour les mettre en conformité avec les normes européennes. Il s'agit notamment du système judiciaire, du code civil, du code pénal, du code du travail, du droit social ou fiscal. Des réformes sont déjà intervenues, d'autres sont en cours d'examen. Il faut poursuivre dans cette voie pour attirer les capitaux étrangers indispensables.

l Le niveau d'endettement du pays, le déficit croissant de la balance commerciale, la baisse probable de l'aide internationale, la reprise de l'émigration des élites font plus que jamais reposer la croissance de l'Arménie sur les investissements étrangers.

Si les autorités semblent avoir pris conscience de cette nécessité et soulignent que la poursuite du processus de privatisation crée les conditions d'un essor des investissements étrangers, elles ne semblent pas en avoir tiré toutes les conséquences.

Il est tout d'abord indispensable que les autorités dressent un état des lieux pour déterminer les secteurs et les régions qui offrent les meilleures perspectives de développement.

Il faut ensuite prospecter les investisseurs étrangers pour les convaincre d'investir en Arménie plutôt qu'ailleurs en sachant valoriser les atouts sectoriels ou régionaux.

Il importe enfin de restaurer la confiance en dissipant le climat d'inquiétude né de l'absence de transparence, du clientélisme et de la corruption. Pour ce faire, il convient de réduire l'insécurité juridique des contrats signés avec des sociétés étrangères. Sur ce point, le climat actuel est loin d'inspirer confiance aux investisseurs, comme nous avons pu le constater. La situation des sociétés étrangères implantées en Arménie n'est pas assurée tant sur le plan juridique qu'administratif. L'absence de sécurité contractuelle et le harcèlement administratif dont elles sont souvent victimes conduisent à réclamer l'établissement de véritables règles du jeu et leur respect dans le temps. Plusieurs exemples d'entreprises françaises montrent que les engagements contractuels ou les règles de la concurrence ne sont pas respectées :

Le groupe Pernod-Ricard, qui a racheté pour 28 millions de $ l'usine de brandy (ou cognac arménien) d'Erevan, lors de sa privatisation il y a deux ans, reproche ainsi au gouvernement arménien, ancien propriétaire, de ne pas avoir fait cesser la production sous la même marque dans deux usines qu'il possède encore en Russie, comme l'y obligeait le contrat de privatisation. Concurrencée sur son marché principal la Russie (80 % des ventes) par une production qui porte la même étiquette que le cognac arménien mais qui est en fait réalisée en Russie, l'entreprise a, en novembre dernier, demandé aux autorités arméniennes de prendre rapidement des mesures. Celles-ci ont récemment créé une commission interministérielle chargée d'examiner l'affaire et de mener des négociations avec les usines en cause et avec les représentants russes.

De même, la société Pigeon SA a acheté deux microcentrales hydroélectriques pour produire à terme 8 mégawatts, le contrat initial fixant le prix de rachat de l'électricité. Un fois l'équipement réalisé, ce prix avait été unilatéralement abaissé, ne laissant comme option qu'un investissement déficitaire ou une vente à perte, à moins d'obtenir rapidement le respect des engagements initiaux.

L'Arménie a du mal à se projeter dans l'avenir. Elle vit résolument au présent comme si, faute de savoir ce que sera demain, elle prenait ce qui se passe sans aucun questionnement. De fait, elle donne l'impression d'être plus préoccupée par le maintien des acquis ou des intérêts à courte vue que par le développement à long terme et finalement par l'intérêt collectif. La crise économique, l'instabilité politique, l'application aléatoire du droit semblent avoir engendré une société sans morale ni espérances. D'une manière générale, les entrepreneurs locaux s'engagent dans la vie politique non pas pour faire bénéficier de leur expérience ou apporter leur contribution dans l'édification de nouveaux dispositifs économiques mais, et ils ne s'en cachent pas, pour consolider leur pouvoir. Ils développent effectivement des empires financiers mais réinvestissent peu ou pas sur le territoire arménien dont ils mesurent la fragilité. Le peuple, sans travail, observe amer. Il existe à Erevan des marchés des pauvres où les familles qui n'ont plus rien vendent leurs pommeaux de porte, des fils électriques ou toutes sortes de petites choses dont elles auraient l'utilité mais qui peuvent leur permettre de gagner quelques drams pour tenir la journée. C'est toute une société qui, d'un bout à l'autre de l'échelle sociale, en est réduite à jouer à " sauve qui peut ". Pour l'Arménie, chaque jour qui passe est une fuite en avant. A plusieurs reprises, la délégation a insisté sur cette nécessité de changer d'état d'esprit, de poser aujourd'hui les fondations de la société de demain, de penser l'avenir. C'est dans ces conditions seulement que l'Arménie pourra réellement amorcer un développement économique et social durable susceptible de réduire le chômage, d'améliorer les conditions de vie de ses habitants et de mettre fin à l'émigration aujourd'hui dramatique.

III - L'ABSENCE DE RÈGLEMENT AU CONFLIT DU HAUT-KARABAGH

Le Haut-Karabagh est une région montagneuse de la Transcaucasie d'environ 4400 km². Peuplé de 150.000 habitants dont 80 % d'Arméniens en 1989 mais rattaché à l'Azerbaïdjan dans le cadre des compromis russo-turcs de 1921, ce territoire a fait l'objet d'une guerre qui a duré de 1988 à 1994 et a causé la mort de 20.000 personnes et le déplacement d'au moins 500.000 réfugiés. Le cessez-le-feu de 1994 a gelé une situation militaire favorable aux Arméniens qui ont obtenu une indépendance de fait du Karabagh et occupent des territoires environnants (entre 15 et 20 % de l'Azerbaïdjan) dont notamment un couloir reliant l'enclave à l'Arménie.

1 - Un conflit aux répercussions internationales multiples

l Ce conflit ne peut pas être compris s'il n'est replacé dans l'histoire de la conscience nationale du peuple arménien qui, comme tous les peuples victimes de tentatives d'éradication, est hanté par l'obsession de sa survie et la défense de son identité. C'est, en effet, par référence à cette histoire que beaucoup d'Arméniens considèrent le Haut-Karabagh comme le bastion irréductible de l'arménité. Les communautés de la diaspora ont d'ailleurs joué un rôle de caisse de résonance pour mobiliser les relais d'opinion.

l Il convient en second lieu de prendre en considération la proximité des puissances régionales, à savoir la Russie, l'Iran et la Turquie, qui se sont rapidement et à des degrés divers impliquées dans le conflit.

Les relations entre la Russie et l'Arménie sont anciennes. L'empire tsariste, dès le début du XIXe siècle, a encouragé la présence des chrétiens arméniens dans le Caucase pour contrebalancer l'implantation de populations de culture islamique. Après le génocide de 1915, elle a servi de refuge aux Arméniens fuyant l'empire ottoman et l'URSS assura ensuite la protection du pays pendant soixante-dix ans. Après l'éclatement de l'URSS, l'Arménie, dont une large partie de la population parle et comprend le russe, demeure le principal point d'appui de la Russie en Transcaucasie. L'attitude russe au cours du conflit du Haut-Karabagh n'est toutefois pas dénuée de toute ambiguïté. Après avoir cherché à maintenir de bons rapports avec l'Azerbaïdjan, elle s'est tournée d'une manière plus déterminée vers l'Arménie en fournissant armes et appui logistique aux combattants du Haut-Karabagh.

L'Iran entend lui aussi défendre ses intérêts stratégiques dans la région. Il redoute qu'un Azerbaïdjan fort et prospère favorise l'irrédentisme d'une région, au nord du pays, peuplée en quasi totalité d'Azéris qui pourraient être tentés par un rattachement à l'Azerbaïdjan. Pour éviter de mécontenter cette minorité, il a lui aussi adopté une position assez ambiguë plutôt favorable à l'Arménie, tout en apportant son aide aux réfugiés azéris.

La Turquie, quant à elle, considère la Transcaucasie comme une zone d'intérêts stratégiques. Elle soutient l'Azerbaïdjan, pays de civilisation islamique dont la langue et la culture sont proches. Par solidarité, elle a soumis l'Arménie à un blocus économique qui a renforcé l'enclavement du pays. Les marchandises turques passent toutefois par la Géorgie et sont très présentes sur le marché arménien. La Turquie et l'Arménie viennent d'ailleurs d'esquisser un rapprochement en signant un accord de coopération économique en début d'année. Mais il ne s'agit pas encore de rouvrir les frontières communes.

l Il faut également tenir compte de l'émergence de l'Azerbaïdjan comme acteur du marché pétrolier avec les découvertes de réserves d'hydrocarbures de la mer caspienne sur lesquelles les Américains ont acquis une position dominante. Or les conflits qui affectent le Caucase constituent une menace sur l'évacuation de ces ressources et fragilisent la sécurité et la rentabilité des investissements projetés. Si l'on s'accorde sur la nécessité de construire un nouvel oléoduc, plusieurs tracés sont en concurrence : la Russie défend la voie du Nord Caucase bien qu'elle traverse des zones qu'elle a du mal à contrôler (Tchétchénie) ; les Etats-Unis et l'Europe soutiennent l'axe méridional passant par l'Azerbaïdjan et la Géorgie ou par l'Arménie pour atteindre le port turc de Ceyhan mais cette option se heurte également à l'absence de règlement des conflits du Haut-Karabagh, d'Abkhazie ou d'Ossétie du sud. Reste l'évacuation des hydrocarbures de la Caspienne et de l'Asie centrale (notamment du Kazakhstan) par la traversée de l'Iran que vient de proposer ce pays. Elle serait nettement moins coûteuse et ouvrirait au pétrole de cette zone l'accès par la voie la plus courte du marché asiatique, dont la croissance potentielle dans les prochaines décennies est la plus prometteuse. Ce tracé n'a pas le soutien des Américains mais les Russes n'y seraient pas hostiles.

2 - Des négociations qui progressent lentement

l La France s'est impliquée de plus en plus pour trouver une solution négociée. A l'origine de la création du Groupe de Minsk de l'OSCE dès 1992, elle a été en 1997 nommée aux côtés des Etats-Unis et de la Russie pour former la présidence de ce groupe, chargée de relancer les négociations par une médiation active. La France y a défendu la recherche d'un compromis entre les parties (autonomie la plus large du Haut-Karabagh et maintien de l'intégrité territoriale azerbaïdjanaise, garanties de sécurité pour l'enclave) ainsi que l'idée de coopération régionale qui seule peut favoriser la stabilisation du Caucase.

Plusieurs propositions de règlement ont été effectuées par la co-présidence. Deux de ces plans ont été refusés par les Karabaghtsis ; le dernier qui reprenait la proposition russe d'Etat commun l'a été par les Azerbaïdjanais.

l La multiplication des rencontres entre les Présidents Aliev et Kotcharian (en tête à tête en juillet et en août 1999 en Suisse puis à Yalta en septembre et enfin à la frontière arméno-azerbaïdjanaise le 11 octobre dernier. Les deux Présidents se sont à nouveau rencontrés en janvier 2000 en marge du sommet de la CEI à Moscou et lors du forum de Davos) constitue à l'évidence un élément encourageant. La confidentialité maintenue autour des dernières conversations témoigne d'un souci de progresser en abordant les questions de fond et d'éviter les interférences. Par ailleurs, dans les crises politiques qui ont secoué le Karabagh depuis l'été 1999, M. Kotcharian semble avoir apporté son soutien au " Président modéré " du Karabagh, M. Ghoukassian, victime d'un attentat en mars dernier, face au ministre de la défense, M. Babayan, le " faucon ", qui a été écarté puis inculpé. Enfin, des prisonniers de guerre ont été libérés, de part et d'autre, dans le courant du mois de septembre 1999.

Alors qu'il semblait envisageable d'aboutir à un compromis pour le sommet OSCE d'Istanbul (18-19 novembre), l'attentat du 27 octobre dernier au Parlement d'Erevan, sans qu'il soit lié directement à la question du Karabagh, a néanmoins singulièrement ralenti les négociations, qui semblent actuellement s'enliser.

Dans un discours prononcé devant le Parlement géorgien, le Président Kotcharian a toutefois proposé d'associer les Etats-Unis et l'Union européenne au processus de sécurité dans le Caucase sud. Il convient d'encourager toute initiative dans la voie de la négociation, l'opinion publique, ainsi que certains éléments de l'armée ne semblant pas forcément favorables à l'idée même de compromis.

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CONCLUSION

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Le séjour en Arménie aura permis à des parlementaires français de se rendre compte par eux-mêmes de la réalité de la vie arménienne même s'il est évident qu'à l'issue d'un séjour aussi court, il faut savoir rester modeste. Cinq jours ne suffisent pas à connaître un pays. Et les rencontres avec la population restent rares et fugaces. Pour ma part, j'ai eu ce privilège de pouvoir retrouver quelques-uns de mes amis dont le propos et les explications m'ont amené à approcher un peu mieux la situation actuelle et quotidienne. Car, de ministère en ministère, de déjeuner officiel en dîner d'honneur, il n'est pas toujours facile de comprendre ce qui se passe autour de soi.

On peut en avoir l'intuition, la certitude moins, encore moins dirais-je dans un monde qui a le sens des convenances et qui se sert facilement du silence pour répondre aux interrogations gênantes. Quelques-unes de nos questions ont pu paraître abruptes à nos interlocuteurs, voire insistantes. L'étonnant dialogue, qui en a découlé quelquefois, témoigne de nos différences de culture, de nos différences dans la manière de concevoir la vie politique, de cette rencontre entre les représentants d'une société heureuse à qui il faut des gages et les représentants d'une autre société à l'histoire turbulente et qui a aujourd'hui besoin de l'Europe pour vivre.

Nous avons tendance, il est vrai, à oublier que nous avons mis deux cents ans à donner une assise à notre démocratie. Et nous voudrions que l'Arménie, qui n'a pas encore fêté le dixième anniversaire de son indépendance, ait accompli tout ce chemin en quelques années seulement. Ce n'est pas l'outrecuidance qui nous amène à réagir ainsi. Je crois plus simplement que notre réaction vient de ce que nous aimons bien l'Arménie et que nous voudrions qu'elle ait enfin dépassé les aléas inhérents à tout début pour pouvoir se consacrer exclusivement au bonheur de son peuple.

A N N E X E S

Composition de la délégation

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M. Jean-Paul BRET, Président du groupe d'amitié, Député (S) du Rhône depuis janvier 1990

M. Richard CAZENAVE, Vice-Président du groupe d'amitié, Député (RPR) de l'Isère depuis décembre 1988

M. Roger MEÏ, Vice-Président du groupe d'amitié, Député (C) des Bouches-du-Rhône depuis octobre 1996

M. Guy TEISSIER, Vice-Président du groupe d'amitié, Député (DL) des Bouches-du-Rhône depuis juin 1988

Mme Michèle RIVASI, Secrétaire parlementaire du groupe d'amitié, Députée (App. S) de la Drôme depuis juin 1997

PROGRAMME DE LA MISSION

Dimanche 16 avril : 20 h 35 : Arrivée à l'aéroport " Zvartnotz ".

Lundi 17 avril

9 h 45 - 11 h 15 : Entretien avec les membres du groupe d'amitié Arménie-France de l'Assemblée nationale d'Arménie

11 h 15 - 11 h 45 : Entretien avec les membres de la Commission des Affaires étrangères

12 h 00 - 13 h 00 : Dépôt d'une gerbe sur la tombe de Karen Demirdjian, ancien Président du Parlement

14 h 30 - 16 h 30 : Entretien à l'ambassade de France

15 h 45 - 17 h 15 : Dépôt d'une gerbe et visite du mémorial du génocide

17 h 30 - 19 h 00 : Visite de la fabrique Pernod-Ricard à Erevan

19 h 15 - 20 h 00 : Conférence de presse

20 h 00 : Dîner à l'ambassade de France

Mardi 18 avril

9 h 30 : Déplacement dans la ville de Gumri, ville touchée par le séisme de 1988 ; entretien avec les représentants des autorités locales ; visite de l'école " française " - école à l'enseignement approfondi de la langue française.

17 h 30 : Départ pour Erevan

20 h 00 : Dîner organisé par le pasteur Leonian représentant des associations " Espoir pour l'Arménie " et " Solidarité protestante France-Arménie "

Mercredi 19 avril

10 h 00 : Départ pour Etchmiadzine

11 h 00 - 11 h 45 : Entretien avec le Catholicos à Echmiadzine

11 h 45 - 13 h 00 : Visite de la Cathédrale et du musée de la Résidence

15 h 15 - 16 h 00 : Entretien avec M. Hayk Haroutunian, ministre de l'Intérieur

16 h 30 - 18 h 30 : Visite de la fabrique de bière " Castel " à Abovian. Visite de la fabrique de glace " Tamara ".

18 h 30 - 19 h 45 : Entretien avec les autorités locales

Jeudi 20 avril

11 h 00 - 12 h 00 : Entretien avec M. Aram Sarkissian, Premier ministre

12 h 15 - 13 h 15 : Entretien avec M. Armen Katchatrian, Président de l'Assemblée nationale

15 h 00 - 16 h 00 : Visite du Maténadaran, Centre de recherches des anciens manuscrits

16 h 30 - 17 h 30 : Entretien avec M. Robert Kotcharian, Président de la République

17 h 45 - 18 h 15 : Visite de l'école maternelle française d'Erevan

18 h 30 - 19 h 30 : Table ronde sur la francophonie

19 h 30 - 20 h 00 : Conférence de presse

20 h 30 : Dîner offert par le groupe d'amitié Arménie-France

Vendredi 21 avril

9 h 00 : Déplacement dans la région Vayotz Dzor (160 km) : entretien avec les représentants des autorités locales ; visite de la coopérative vinicole " Areni ". Visite des monastères de Khor Virap et de Novarank.

19 h 00 : Cocktail à l'Ambassade de France

20 h 30 : Dîner offert par M. Arthur Baghdassarian, Vice-président du groupe d'amitié Arménie-France

Samedi 22 avril : 7 h 45 : Départ de la délégation pour l'aéroport.

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Rapport d'information de M. Jean-Paul Bret, présenté à la suite de la mission effectuée en Arménie du 16 au 22 avril 2000 par une délégation du groupe d'amitié France-Arménie.


© Assemblée nationale