ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

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RAPPORT D'INFORMATION

Présenté à la suite de la mission effectuée en Estonie
du 11 au 14 juin 2001

par une délégation du

GROUPE D'AMITIÉ FRANCE- ESTONIE (1)

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(1) Cette délégation était composée de M. Bernard Schreiner, Président, M. Gérard Grignon, Secrétaire et de M. Jacques Brunhes 

SOMMAIRE

CARTE DE L'ESTONIE 5

INTRODUCTION 7

I. PRESENTATION GENERALE DE L'ESTONIE 9

A. Aperçu historique : 9

B. 1991-2001 : dix ans de démocratie 10

1. Des institutions démocratiques 10

2. Une vie politique stabilisée 11

3. Les échéances électorales 12

C. Une transition économique réussie malgré de lourds handicaps 12

1. Une situation économique en amélioration 13

2. Les faiblesses de l'économie estonienne 13

3. La poursuite des réformes 13

D. La politique extérieure estonienne : l'ancrage à l'ouest 13

1. La coopération régionale : baltique et scandinavie 13

2. L'enjeu de l'adhésion à l'Union européenne 13

3. Les relations avec la Russie : une normalisation tempérée par la candidature d'adhésion à l'O.T.A.N. 13

E. Des relations franco-estoniennes de plus en plus développées. 13

1. La France, un partenaire pour l'adhésion à l'Union européenne 13

2. Des relations économiques qui demandent à se développer 13

3. Des relations culturelles privilégiées 13

II. PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS DÉGAGÉS PAR LA MISSION 13

A. L'élargissement : une volonté forte du gouvernement mais une opinion publique sceptique 13

B. Une gestion des minorités exemplaire 13

1. Les russophones en Estonie 13

2. Une législation sous influence européenne 13

3. La difficile question de la langue 13

4. Le programme gouvernemental d'intégration 13

C. Des collectivités locales impliquées dans le processus d'élargissement 13

1. Les collectivités locales en Estonie 13

2. Saaremaa, une île tournée vers l'Europe 13

D. Des atouts économiques à renforcer 13

E. Vers une politique française plus ambitieuse 13

ENTRETIENS 13

ENTRETIEN AVEC LES COMMISSIONS DES AFFAIRES EUROPÉENNES ET DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 13

ENTRETIEN AVEC LE GROUPE D'AMITIÉ ESTONIE-FRANCE 13

ENTRETIEN AVEC LES REPRÉSENTANTS DES COLLECTIVITÉS LOCALES DE KURESSAARE, ÎLE DE SAAREMAA 13

ENTRETIEN AVEC MME KATRIN SAKS 13

III. ANNEXES 13

Fiche signalétique de l'Estonie 13

Programme de la mission 13

Introduction

Une délégation du groupe d'amitié France-Estonie de l'Assemblée nationale s'est rendue à Tallinn et à Saaremaa du 11 au 14 juin 2001, à l'invitation de Mme Kristiina Ojuland, Présidente du groupe d'amitié Estonie-France du Riigikogu, le parlement estonien.

Conduite par M. Bernard Schreiner, député (RPR) du Bas-Rhin, Président du groupe d'amitié, elle était en outre composée de M. Gérard Grignon, député (UDF) de Saint-Pierre-et-Miquelon, Secrétaire et de M. Jacques Brunhes, député (C) des Hauts-de-Seine. Ils étaient accompagnés de Mlle Sandrine Espinet, administratrice-adjointe, secrétaire du groupe d'amitié.

Cette mission répondait au souhait de pouvoir mieux appréhender la réalité estonienne avant l'élargissement de l'Union européenne. De plus, l'année 2001 marquait la première décennie du retour à l'indépendance de la République estonienne.

Le programme élaboré par le Riigikogu s'est révélé en tout point remarquable et les membres de la délégation ont été extrêmement touchés par l'accueil chaleureux qu'ils ont reçu à Tallinn comme à Saaremaa. Ils tiennent à exprimer leurs remerciements aux membres du groupe d'amitié Estonie-France, et plus particulièrement à Mme Kristiina Ojuland, Présidente, et à M. Andres Herkel, vice-Président ainsi qu'aux présidents et membres des commissions qui les ont reçus.

La délégation tient aussi à remercier le gouvernement et les représentants des collectivités locales de Saaremaa et de la ville de Kuressaare pour l'accueil exceptionnel qu'ils lui ont réservé, et les députés tiennent à féliciter en particulier Mme Urve Tiidus, maire-adjoint pour la qualité et la diversité du programme proposé.

Remerciements qu'ils adressent également à Mme Katrin Saks, Ministre de la population et des minorités ethniques. Ils ont apprécié la courtoisie, la disponibilité et l'efficacité de Son Exc. M. Jean-Jacques Subrenat, Ambassadeur de France et souhaitent l'en remercier ainsi que le personnel de l'Ambassade.

Enfin, les membres de la délégation voudraient remercier Tanja Espe, secrétaire du groupe d'amitié Estonie-France et Piret Hein, l'interprète qui les a accompagnés tout au long du séjour.

Cette mission qui s'est déroulée à Tallinn et dans le comté de Saaremaa a permis à la délégation de constater les difficultés mais aussi les atouts de l'Estonie en tant que pays candidat à l'Union européenne , de découvrir l'originalité et le rôle des collectivités locales et de souligner les efforts du gouvernement estonien en matière de politique d'intégration de la minorité russophone. Enfin tout au long de leur séjour, les membres de la délégation ont pu appréhender les divers aspects de la politique de coopération de la France .

*

* *

I. PRESENTATION GENERALE DE L'ESTONIE

A. Aperçu historique :

Pays stratégiquement placé au c_ur du carrefour de la Baltique orientale, l'Estonie a eu une histoire mouvementée car l'occuper était s'ouvrir « une fenêtre sur l'Europe », nom que lui avait donné Pierre le Grand.

Peuplé dès la fin du IIIème millénaire avant J.C. par les Estes, peuple finno-ougrien, le territoire de l'Estonie est colonisé au XIIIème siècle par les Allemands, qui vont fonder l'ordre des Chevaliers teutoniques. Cependant en 1219 les Danois occupent Lindanisa, qui devient Tallinn (la ville des Danois). Les chevaliers porte-glaive reprennent le dessus à la fin du XIIIème siècle et la Livonie (région de l'Estonie) passe sous la domination des barons baltes allemands.

Au XVIème siècle, la Réforme prend une grande importance, les Estoniens deviennent majoritairement luthériens. Une série de guerres entre les Polonais, les Russes et les Suédois entraînent une colonisation suédoise. L'événement essentiel de cette période (1629-1710) est en 1632 la fondation de l'Université de Tartu. Mais dès le XVIIIème siècle, suite à la grande Guerre du Nord (1700-1721) entre la Russie et la Suède, l'Estonie perd plus de la moitié de ses habitants, la peste s'ajoutant aux déportations. L'occupation russe commence et l'empire des Tsars impose le servage aux paysans estoniens, la noblesse allemande ayant tous les pouvoirs politiques et judiciaires. A cette époque, la langue officielle est l'allemand. Au début du XIXème siècle, suite à la Révolution Française, les provinces baltes obtiennent l'abolition du servage (1819) mais le prix des loyers de la terre se traduit par une aggravation de la condition des Estoniens.

Dès cette période, débute un réveil national dirigé à la fois contre la domination de la noblesse allemande et contre la russification entreprise par l'empire des Tsars. La langue estonienne est codifiée et la littérature se développe avec notamment la poétesse Lydia Koidula. En 1869 a lieu le premier « laulupidu » (festival de chant). La répression des mouvements de 1905, la Grande Guerre et la prise du pouvoir par les soviets avec la création de la République Soviétique d'Estonie augmente le sentiment national et la guerre de libération commence. L'armée estonienne se bat à la fois contre la tentative d'annexion allemande et l'armée rouge avec l'aide des Finnois et de la marine anglaise. En 1920, victorieuse, l'Estonie signe avec la Russie le traité de Tartu et la première République d'Estonie est fondée. Elle deviendra membre de la Société des Nations en 1921.

Le premier grand acte de la République fut la réforme agraire et la redistribution des terres aux paysans. Mais la crise de 1929 conduit la jeune Estonie à évoluer vers un régime plus autoritaire sous la présidence de Konstantin Päts.

Envahie par les soviétiques en juin 1940 suite au pacte Ribbentrop-Molotov, l'Estonie devient une République soviétique et le 14 juin 1941 a lieu la première grande déportation en Sibérie (10000 personnes). L'armée de Hitler envahit l'Estonie le 22 juin et l'occupe jusqu'en 1944 . A partir de 1944 et jusqu'au 20 août 1991, l'Estonie est une République de l'Union soviétique. Cependant une résistance s'organise et durera jusqu'en 1953. L'immigration souvent forcée de russophones voulue par Staline dans les années cinquante change la structure de la population . Dans les années 80 commence la « révolution chantante », le parti de l'Estonie indépendante est fondé en 1988 et en 1989, le Soviet suprême reconnaît l'estonien comme langue officielle. En mars 1990, le douzième Soviet suprême de la République Soviétique d'Estonie proclame la période transitoire pour la restauration de la République d'Estonie qui conduira à l'indépendance de l'Estonie en 1991. Le 3 mars 1991 un référendum sur l'indépendance donne une large majorité aux partisans du oui et le 20 août 1991, l'Estonie recouvre son indépendance.

B. 1991-2001 : dix ans de démocratie

1. Des institutions démocratiques

L'Estonie a rapidement adopté de nouvelles institutions et dès octobre 1992, le Riigikogu (parlement monocaméral), clé de voûte du système constitutionnel élit le Président de la République, Lennart Meri. Cette démocratie parlementaire repose en effet sur des pouvoirs étendus donnés au Riigikogu (101 membres élus pour 4 ans à la représentation proportionnelle). Celui-ci adopte les lois, décide de la tenue de référendums, élit le Président de la République, ratifie les traités, investit le gouvernement, les juges de la cour suprême, peut exprimer sa défiance au gouvernement, au Premier ministre ou à un seul ministre.

Le Président, élu pour 5 ans à la majorité des deux tiers par le Riigikogu (un mandat renouvelable une fois), a surtout une compétence pour les affaires internationales et la défense. Il désigne le premier ministre et les membres du gouvernement. Dans ses relations avec le parlement, il a un pouvoir de dissolution très encadré, qu'il peut exercer notamment lors du vote de défiance au gouvernement ou au Premier ministre. Le gouvernement met en _uvre la politique de l'Estonie, a une initiative des lois partagée avec le Riigikogu et le Président . Il peut par ailleurs engager sa responsabilité sur un projet de loi. Si la « question de confiance » n'est pas votée, il doit démissionner.

La démocratie est renforcée par l'existence du « chancelier de la légalité » qui est une autorité indépendante nommée pour 7 ans par le Riigikogu sur proposition du Président. Il a pour mission de contrôler la légalité et la constitutionnalité des actes du parlement, du gouvernement mais aussi des collectivités locales ainsi que les modalités d'application. D'autre part, il existe un bureau officiel chargé du contrôle de l'utilisation des biens publics dont le président est nommé par le parlement sur proposition du Président de la république pour 5 ans. Un deuxième élément important de la vie démocratique en Estonie est la stabilisation rapide de celle-ci.

2. Une vie politique stabilisée

Dès les deuxièmes élections libres au Riigikogu, l'Estonie a connu l'alternance politique. Au gouvernement ultra-libéral de Mart Laar en place depuis 1992, succède en 1995 une union de centre-gauche (parti de la coalition) conduit par Tiit Vahi. Ce gouvernement tentera parallèlement aux réformes libérales d'introduire des aspects sociaux. Mais la majorité obtenue avec le parti du centre et de la réforme ne fonctionnera pas et en 1997, Tiit Vahi, démissionnaire, est remplacé par Mart Siimann. Cependant cette instabilité n'a jamais remis en cause les choix essentiels de l'Estonie en matière de politique intérieure comme extérieure.

Les dernières élections législatives de 1999 ont ramené au pouvoir Mart Laar, soutenu par une majorité composée du parti de la réforme (18 députés) de Siim Kallas, du pro patria (18 députés) qui est le parti du premier ministre et du mõõdukad (modérés, 17 députés) de Andres Tarand. Ces élections législatives ont réduit le paysage politique puisque, contrairement aux législatures précédentes où plus de dix partis participaient au Riigikogu, le neuvième parlement ne compte que 7 partis. Jusqu'à récemment ce gouvernement montrait une grande stabilité. Cependant, il convient de souligner le rôle d'« arbitre » que joue Lennart Meri, Président de la République depuis 1992, garant des institutions. Mais cette stabilité pourrait être remise en question car l'Estonie entre dans une période de trois années d'élections importantes.

3. Les échéances électorales

En octobre 2001 auront lieu les élections présidentielles. Celles-ci ont une importance majeure car d'une part, Lennart Meri ne peut se représenter et d'autre part, le prochain Président sera sans doute celui qui verra l'entrée de l'Estonie dans l'Union européenne. Les partis désignent actuellement leurs candidats mais c'est surtout la personnalité qui fera la différence au suffrage indirect.

En 2002 se dérouleront les élections locales qui auront une importance particulière dans les régions à majorité russophone (nord-est) et à Tallinn (un tiers de la population de l'Estonie). En 2002-2003 pourrait en outre avoir lieu le référendum concernant l'entrée dans l'Union européenne.

Mais ce sont les élections législatives de 2003 qui devraient être le point fort de la politique estonienne avant l'adhésion à l'Union européenne. En effet, le sujet de l'Europe pourrait être au centre de la campagne, modifiant sensiblement le paysage politique

C. Une transition économique réussie malgré de lourds handicaps

Comme dans le domaine politique, l'Estonie a très rapidement pris les mesures nécessaires à la transition vers une économie de marché. Elle a été le premier pays à mettre en place plusieurs réformes libérales notamment dès 1992 la réforme monétaire. Cette réforme permet aujourd'hui aux Estoniens d'avoir une monnaie stable, la couronne estonienne, rattachée au mark allemand de la façon suivante : un mark est égal à huit couronnes (EEK).

1. Une situation économique en amélioration

L'Estonie a su réorienter ses échanges et créer les conditions d'une économie ouverte . Cela explique pourquoi en 1999 l'Estonie est devenu le 135ème membre de l'Organisation mondiale du commerce. En effet, si en 1991, 95 % des échanges se faisaient avec la Russie et les pays de la C.E.I., à la fin 2000, le principal partenaire est l'Union européenne avec plus de 70 % des échanges, suivie des pays baltes (7.1 %), de la Russie et des pays de la C.E.I. (7.3 %) et des autres pays (15.1 %). Il convient de noter que les pays scandinaves membres de l'Union et l'Allemagne sont les premiers partenaires de l'Estonie.

Depuis 1995, l'Estonie a renoué avec la croissance même si la crise russe de 1998 a entraîné une récession en 1999. Mais l'Estonie, grâce à son orientation vers l'Europe de l'ouest et à sa compétitivité sur les marchés à l'exportation a eu une croissance de plus de 6 % en 2000. L'amélioration la plus sensible est sans aucun doute la baisse de l'inflation grâce à une politique de stabilisation des prix et de la monnaie exemplaire. Il faut rappeler qu'en 1992 l'inflation était de 1076 %.

Baisse de l'inflation , croissance et salaire moyen en Estonie (PEE de l'ambassade de France et Banque centrale d'Estonie)

 

1995

1998

1999

2000

2001(pré-visions)

Croissance (%)

4.3

4.7

-1.1

6.4

5.5

Inflation (%)

29.0

8.2

3.3

4.0

4.8

Salaire moyen (euros)

152

263

284

321

Non com

Mais un problème structurel est apparu avec l'augmentation continue du chômage qui est passé de 9.7 % en 1995 à plus de 13 % en 2001, chômage qui touche essentiellement les ouvriers de plus de 50 ans employés dans les vieilles industries du nord-est du pays.

2. Les faiblesses de l'économie estonienne

Le problème essentiel de l'économie estonienne reste une dépendance énergétique très forte vis à vis de l'extérieur notamment la Russie. Les produits énergétiques (gaz, pétrole) représentent 32 % des importations russes en Estonie, d'où l'importance de la définition d'un plan énergétique à long terme.

Une deuxième faiblesse découle de l'atout essentiel de ce pays c'est-à-dire son ouverture vers l'extérieur. Les crises, comme en 1998 en Russie, ont un impact immédiat. La structure des exportations estoniennes, composées essentiellement d'électronique et de produits liés au bois peut aussi amener un ralentissement car l'Estonie est très dépendante de la demande des partenaires et donc de leur situation économique.

Enfin, le coût des réformes sociales nécessaires pour renforcer la classe moyenne naissante risque d'être très élevé.

3. La poursuite des réformes

Depuis plusieurs années le secteur bancaire a été assaini et la plupart des entreprises privatisées. Le secteur privé représente 80 % de l'économie estonienne. Les télécoms ont été privatisées. Cependant, la privatisation des chemins de fer, en cours de discussion au Riigikogu, semble poser certaines difficultés. La question de l'accompagnement social des réformes reste posé en particulier face à l'augmentation du chômage.

D. La politique extérieure estonienne : l'ancrage à l'ouest

La situation géopolitique de l'Estonie détermine en grande partie les priorités de la politique extérieure estonienne. Si l'Estonie s'est tournée naturellement vers ses voisins baltes et scandinaves, son objectif prioritaire reste l'entrée dans l'Union européenne et l'O.T.A.N. Cependant les relations avec la Russie restent un élément essentiel eu égard à la présence d'une importante minorité russe sur le territoire estonien.

1. La coopération régionale : baltique et scandinavie

La dimension nordique de l'Estonie a trouvé plusieurs modes d'expression. D'une part la Finlande, pays culturellement et linguistiquement très proche, est aussi le premier partenaire commercial. D'autre part, le Conseil des Etats de la Baltique, créé en 1992, regroupant les Etats baltes, la Scandinavie mais aussi l'Allemagne, la Pologne et la Russie, représente le mieux cette partie de la politique extérieure estonienne. Les domaines d'intervention les plus importants pour l'Estonie sont l'eurofaculté (programme d'échanges universitaires où participe l'université de Tartu), le programme transport (notamment la viabaltica) et surtout le développement de structures d'acheminement d'énergie de la Scandinavie vers les Etats baltes, à travers la mer baltique.

Par ailleurs, cette coopération a permis de mettre en place une force régionale de lutte contre le crime organisé. Ayant une grande expérience dans le domaine des technologies de l'information, l'Estonie a été chargée de la création de la base de données sur l'espace baltique. La mise en place d'une coopération environnementale, la mer baltique participant au programme des mers régionales élaboré après la convention de Montego Bay sur le droit de la mer, complète ce dispositif.

Une coopération existe entre les deux Etats baltes (Lituanie et Lettonie) et l'Estonie qui ont une histoire commune, avec une assemblée interparlementaire (1991) et un conseil des ministres balte (1994). En fait il s'agit d'une structure de coordination qui sert à préparer les élargissements de l'Union européenne et de l'O.T.A.N. La majorité des programmes concernent la défense (bataillon inter-pays baltes BALTRON ou force d'intervention internationale pour le maintien de la paix BALTBAT).

2. L'enjeu de l'adhésion à l'Union européenne

Dès 1992, l'Estonie signait un accord de coopération mais c'est en 1995 que les relations avec l'Union prennent un nouvel essor avec la signature d'un accord d'association et la candidature officielle de l'Estonie à l'adhésion. Depuis lors, cet objectif a influencé la politique intérieure comme extérieure de ce pays.

Les négociations ont commencé en 1998 et depuis l'Estonie fait plutôt figure de bon élève. En effet en juin 2001, 19 chapitres ont été déjà provisoirement clos (le dernier étant celui concernant l'environnement). Certains domaines semblent néanmoins poser problème comme la question de l'agriculture ou le chapitre de l'énergie. Cependant, le troisième rapport de la Commission en novembre 2000 est favorable à l'Estonie.

Les structures qui accompagnent cette préparation à l'adhésion sont notamment le conseil d'association, chargé de veiller à l'application de l'accord, le comité parlementaire composé de 12 députés européens et de 12 députés estoniens, qui formule des recommandations et le comité d'association, organe plus technique de travail avec les ministres et les hauts fonctionnaires, où sont prises les décisions.

Il convient de noter que sur un plan parlementaire il y a au Riigikogu une commission spéciale chargée des affaires européennes, présidée par Tunne Kelam.

3. Les relations avec la Russie : une normalisation tempérée par la candidature d'adhésion à l'O.T.A.N.

Dès son indépendance, l'Estonie a axé ses relations avec la Russie autour de deux priorités : le retrait des troupes soviétiques et la question frontalière.

Le premier point a été réglé dès 1994 avec un accord qui prévoyait d'une part le retrait des troupes soviétiques du territoire estonien et d'autre part le démantèlement du réacteur nucléaire de Paldiski, ce qui fut fait fin 1995. La deuxième question était beaucoup plus délicate. En effet, les Estoniens voulaient un retour au traité de Tartu de 1920 et donc une redéfinition des frontières ce qui était refusé par les Russes. En 1996, un accord est trouvé mais la référence au traité de 1920 disparaît : les frontières de l'Estonie resteront celles de 1940, celles de l'Estonie soviétique. En 1999 des cartes ont été tracées mais pour l'instant l'accord n'est ni signé ni ratifié. Malgré cette question, les relations entre les deux Etats se sont nettement améliorées, en particulier grâce aux efforts faits par le gouvernement estonien pour intégrer la minorité russophone.

Ainsi, en 1998, une commission mixte intergouvernementale a été mise en place . Elle a pour objet trois domaines de travail : la coopération commerciale et économique, les questions sociales et humanitaires et la coopération culturelle. Les réunions de cette commission ont permis la signature de plusieurs accords de coopération technique (assistance dans les formalités douanières, reconnaissance des diplômes ou transports routiers et aériens). La venue de Mart Laar à Saint-Pétersbourg en 2000 lors d'une sesssion de la commission est un signe de cette amélioration. Cependant celle-ci pourrait être remise en question par la perspective de l'élargissement de l'O.T.A.N., auquel la Russie est opposée.

Les pays baltes, dès le premier élargissement à l'Europe centrale, ont tenu à faire connaître leur volonté d'obtenir des garanties de sécurité et de participer aussi à l'Alliance atlantique. En 1999, au sommet de Washington, les pays baltes sont reconnus comme candidats. Un sondage récent montre que l'opinion publique estonienne est largement favorable à l'adhésion à l'O.T.A.N. (59 %) et ont une grande confiance dans les forces armées (51 %) et les gardes-frontières (59%). L'Estonie espère que la question de l'élargissement de l'Alliance atlantique sera réglée lors du sommet de 2002. En effet, les pays baltes craignent de se retrouver « coincés » entre une Alliance atlantique renforcée et une communauté de défense de la C.E.I. largement composée par l'armée russe.

Cependant, ces liens privilégiés avec les Etats-Unis (une charte de coopération a été signée depuis 1998) n'empêche pas l'Estonie de s'intéresser aux projets européens de défense, notamment à l'initiative française de défense européenne (I.D.E.).

E. Des relations franco-estoniennes de plus en plus développées.

La France avait reconnu dès 1921 la première indépendance de l'Estonie et dès le début de la re-indépendance, en 1991, un ambassadeur français était nommé, son Exc. M. Jacques Huntzinger. Les visites officielles se sont succédées avec notamment la visite du Président François Mitterrand à Tallinn en 1993 ou de Lennart Meri à Paris en 1994, 1997 et 1999. Le Président Jacques Chirac se rendra fin juillet dans les trois pays baltes. Cette relation étroite avec la France est accentuée par le fait que Lennart Meri, Président de la république estonienne depuis 1992, est francophone.

1. La France, un partenaire pour l'adhésion à l'Union européenne

La France, pays fondateur et essentiel de la construction européenne, est pour l'Estonie un partenaire important. Les ministres des affaires européennes français se sont rendu en Estonie et une coopération accrue s'est mise en place entre les deux pays, la France participant financièrement aux programmes PHARE à hauteur de 18%. Elle aide en particulier la mise en place d'un système d'information sur l'agriculture et le renforcement des structures du ministère des finances.

D'autre part dans le cadre de l'appui à la reprise de l'acquis communautaire, la France travaille avec le ministère de la justice et participe à la formation de hauts fonctionnaires estoniens aux procédures de l'Union européenne. Tous ces éléments techniques viennent s'ajouter à d'autres coopérations plus larges. La France joue aussi un rôle dans les programmes de défense baltes (BALTNET). D'un point de vue parlementaire, l'Estonie, comme tous le pays candidats, a reçu la visite du Président de la délégation française à l'Union européenne de l'Assemblée nationale, M. Alain Barrau en novembre 2000.

2. Des relations économiques qui demandent à se développer

Ces relations sont encore relativement peu intenses mais il faut noter qu'entre 1995 et 2000 la France est passée de 0.9% de parts de marché à 2.1 %, les investissements français qui ont lieu via des filiales nordiques n'étant pas comptabilisés dans les statistiques. La France est néanmoins à la 12ème place des partenaires commerciaux, loin certes derrière la Finlande (36 % de parts de marché). Ce commerce est favorable à la France. Elle exporte des machines et des équipements électroniques, des moyens de transport (28 % des exportations en 2000 étaient des automobiles), des produits chimiques et de l'alimentaire « de luxe ». L'Estonie exporte vers la France pour 50% du total des produits issus du bois, du matériel électronique et des meubles.

En 2000 il faut noter la nette remontée des investissements français qui a fait passer la France de la 34ème à la 14ème place. Les principaux investisseurs sont Saint-Gobain, TDF, Dalkia.

Face à la concurrence vive des pays scandinaves, la France essaye de s'organiser dans les pays baltes. En juin 2001 a eu lieu une exposition sur la technologie française à Riga ( France baltique Technologie, Franbaltech). En 2000 le CAFE (club d'affaires franco-estonien) a vu le jour. Outre des rendez-vous réguliers sur les questions commerciales, le CAFE a été à l'initiative de la création du IBCE (international business council of Estonia) qui vise à représenter les intérêts commerciaux étrangers en Estonie et à développer l'échange d'information sur des points juridiques par exemple. Cependant, des efforts restent à faire pour conquérir ce marché stratégiquement situé au c_ur de l'Europe baltique, à deux pas de Saint-Pétersbourg.

3. Des relations culturelles privilégiées

Ce domaine est de loin le plus actif dans les relations bilatérales. Outre l'Alliance française, il existe un centre culturel français à Tallinn depuis près de 10 ans. Le gouvernement français aide les lycées qui enseignent le français. En effet en 1999, 2000 jeunes estoniens apprenaient le français et ce chiffre est en constante augmentation (6 % des élèves). . En France, la langue estonienne est enseignée à l'INALCO, qui a été à l'origine de la création de l'association France-Estonie. Au niveau universitaire, des échanges d'étudiants se déroulent chaque année. Mais ces relations culturelles ont aussi favorisé la traduction en français d'auteurs estoniens et d'auteurs français contemporains en estonien, permettant un meilleur accès aux deux cultures. L'ouverture de l'institut estonien à Paris en 2001 devrait permettre de faire mieux connaître la culture estonienne en France.

II. PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS DÉGAGÉS PAR LA MISSION

La mission du groupe d'amitié France-Estonie s'est déroulée dans un contexte particulier juste après le référendum irlandais et au moment de la ratification du traité de Nice par le parlement français.

A. L'élargissement : une volonté forte du gouvernement mais une opinion publique sceptique

Les divers échanges avec les représentants nationaux et locaux ont permis à la délégation de constater un certain euroscepticisme de l'opinion publique estonienne malgré une volonté politique marquée face à l'entrée dans l'Union européenne. Le centre estonien d'information sur l'Union européenne a commandé plusieurs sondages qui montrent clairement une augmentation sensible des eurosceptiques.

Etat de l'opinion publique sur l'entrée dans l'Union européenne, sondages Saar Pool et estonia today

 

Pour %

Contre %

Sans opinion %

Ne voteront pas %

1998

26

14

41

n.c.

1999

30

23

43

5

Avril 2000

34

26

32

8

Nov 2000

44

46

12

7

janv 2001

46

43

11

7

Si une stabilisation des positions semble se faire jour, elle doit être recoupée avec des différentiations importantes par âge, salaire ou nationalité. Ainsi les non-estoniens sont en janvier 2001 56 % pour l'entrée de l'Estonie dans l'Union européenne, 29 % opposés et 15 % ne savent pas. Les 18-24ans sont à 69 % pour, les 50-64 ans à 53 % contre. Enfin les personnes qui gagnent plus de 3000 kroons par mois (environ 1300 F) sont pour à 66% alors que les personnes qui gagnent moins de 1000 kroons par mois (environ 300 F) sont contre l'entrée de l'Estonie dans l'Union à 51 %.

Un autre élément de comparaison peut être trouvé avec la très forte adhésion à l'O.T.A.N., passée de 56 % en septembre 2000 à 62 % en janvier 2001.

Il est apparu à la délégation française qu'une information de l'opinion publique est nécessaire. Cette information doit être à la fois interne mais les pays membres peuvent jouer un rôle non négligeable en participant à des séminaires d'information et en faisant mieux connaître l'Union européenne et les conditions réelles de l'adhésion lors des divers déplacements officiels. Notamment les Estoniens sont très attachés à leur souveraineté retrouvée et perçoivent négativement une trop grande dépendance vis à vis de l'Union européenne, en particulier à travers les normes imposées par le droit communautaire. La préservation de leur identité dans une Europe élargie est aussi un élément important.

Les rares personnalités politiques opposées à l'entrée dans l'Union européenne s'appuient sur les risques pour l'agriculture estonienne et sur une comparaison « Union européenne »/ « Union soviétique » en disant que Bruxelles remplacerait Moscou. Les non-estoniens voient pour leur part l'Europe comme le protecteur de leurs droits (notamment grâce au rôle joué par l'O.S.C.E.), ce qui explique leur adhésion massive au projet européen.

D'autre part il apparaît que la politique d'information doit utiliser les médias, en particulier la presse qui a relayé les informations sur les crises agricoles et sanitaires, mais il est aussi nécessaire qu'elle soit mieux adaptée aux diverses catégories en raison des différences au sein de l'opinion publique. Il semble que les représentants nationaux et locaux que la délégation a pu rencontrer aient pris conscience de cette nécessité et qu'une politique d'information active se mette en place en Estonie d'autant plus que l'enjeu européen pourrait devenir un thème des campagnes électorales à venir tant la politique intérieure de l'Estonie depuis son indépendance a été menée en relation avec cette adhésion prochaine.

B. Une gestion des minorités exemplaire

La population estonienne comprend 1.4 millions de personnes appartenant à plus de 100 ethnies différentes. A la fin de l'an 2000, la répartition entre les minorités les plus importantes était la suivante :

Estoniens : 65.3%

Russes 28 %

Ukrainiens : 2.5%

Biélorusses : 1.5%

Finnois 0.9%

Tatars : 0.2%

Lettons : 0.2%

Polonais : 0.16%

En 1934, pour information, les Estoniens représentaient 88%, les Russes 8.22%, les Allemands (1.4%) et les Suédois (0.6%) étaient une minorité importante alors qu'il y avait très peu d'Ukrainiens et de Biélorusses.

Les questions liées au statut et aux droits des minorités, notamment russophones, ont été au centre des relations entre l'Estonie et l'Europe, qu'il s'agisse du Conseil de l'Europe ou de l'Union européenne. La volonté d'intégration dans l'Union européenne en particulier a conduit les Estoniens à adopter des lois appropriées et à mettre en place un plan d'intégration. Lors de son entretien avec Mme Katrin Saks, Ministre de la population et des minorités ethniques, la délégation française a pu constater les efforts faits par le gouvernement estonien pour intégrer les minorités.

1. Les russophones en Estonie

La répartition des 30% de russophones (Russes, Ukrainiens, Biélorusses) est très inégale. Située essentiellement dans le Nord-Est du pays où elle est largement majoritaire (plus de 80% de russophones), la minorité russophone est quasi inexistante au sud et à l'ouest du pays. Tallinn, la capitale, compte environ 28% de russophones. Cette inégalité géographique s'explique d'une part par la proximité de la frontière russe (Narva est séparée d'Ivangorod par un pont) mais aussi par la présence le long de la côte nord-est du pays de centres industriels et de bases militaires ex-soviétiques.

Une autre typologie doit être avancée : elle permet de distinguer les russophones selon leur citoyenneté. Sur environ 563000 russophones, 125000 ont choisi la citoyenneté russe et 103000 ont obtenu la citoyenneté estonienne (après examen), 330000 se partageant entre les personnes non-citoyennes ayant un permis de séjour permanent ou temporaire (la majorité) et le statut de « sans-papiers ».

2. Une législation sous influence européenne

La législation sur la langue et le statut des minorités nationales ainsi que sur la citoyenneté estonienne a été très influencée par les remarques des institutions européennes. En effet, l'Estonie, en devenant dès son indépendance membre de l'OSCE, puis en 1993 du Conseil de l'Europe et en obtenant un statut de membre associé de l'Union européenne en 1994, a dû assouplir progressivement ses lois sur les questions relatives aux minorités. Ainsi dès 1993, la loi sur la citoyenneté et la langue estonienne a été largement modifiée suite aux recommandations du Conseil de l'Europe. De plus, la signature en 1995 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l'Europe a conduit l'Estonie à réviser sa législation. Ainsi dès 1993, a été établie une conférence des représentants des minorités ethniques et des apatrides résidant en Estonie. Cette conférence est associée aux projets de programme d'intégration et consultée sur les questions politiques liées à ce sujet.

La Constitution reconnaît la non discrimination et l'égalité de tous devant la loi. La loi sur l'autonomie culturelle des minorités nationales de 1993 fixe le cadre d'un multiculturalisme, les minorités pouvant organiser des établissements d'enseignement, des lieux de culte dans leur langue ou publier des journaux en langue maternelle.

Pour les non-citoyens, il existe depuis 1995 un passeport de non-citoyens et les règles d'obtention d'un permis de séjour permanent ont été assouplies. D'autre part depuis juillet 1999, un amendement à la loi sur la citoyenneté voté par le Riigikogu permet aux enfants nés après février 1992 de parents non-citoyens d'être estoniens par naturalisation. Cette nouvelle disposition concernerait 8000 personnes.

3. La difficile question de la langue

Dès 1992, la Constitution a posé dans son article 6 : « l'estonien est la langue nationale ». Cela entraîne plusieurs remarques : d'une part, contrairement à certaines ex-républiques soviétiques, la présence d'une forte minorité russophone sur son territoire n'a pas conduit l'Estonie à choisir deux langues officielles dont le russe (comme en Biélorussie, au Kazakhstan ou au Kirghistan). D'autre part, la connaissance de l'estonien est une donnée incontournable dans la politique d'intégration. Par exemple, les députés russophones élus au Riigikogu doivent s'exprimer uniquement en estonien dans l'enceinte du parlement.

La loi sur la langue de 1993 pose clairement dans son article 2 que toute autre langue que l'estonien est une langue étrangère.

Cette position très stricte sur la langue est liée à la conception « germanique » de la nation pour les Estoniens. La nation est définie par sa langue. De plus il ne faut pas oublier que les « petites » nations ont tendance à défendre leur langue et leur culture.

L'utilisation de la langue estonienne dans l'administration donne la possibilité dans les régions à majorité russophone d'employer la langue de la minorité nationale (ceci par accord mutuel, en cas de désaccord avec le fonctionnaire, la discussion se fera en estonien avec interprète aux frais de la personne non-estonophone). La connaissance de l'estonien est obligatoire pour travailler dans l'administration gouvernementale mais dans les administrations territoriales, certains emplois sont accessibles uniquement avec le russe (mais pas les emplois d'encadrement).

Dans l'éducation, si l'enseignement primaire et secondaire peut être fait en langue maternelle non officielle, dès l'université il faut connaître l'estonien (qui est de toute façon deuxième langue obligatoire dans les écoles russophones par exemple).

Cependant, la promulgation fin 1999 d'un amendement à la Constitution qui rend obligatoire l'estonien comme langue professionnelle dans tous les postes officiels, y compris locaux, et ceci malgré le désaccord de l'OSCE et du juge constitutionnel, risque d'écarter de nombreux non-estonophones de la vie professionnelle.

Pourtant, les jeunes russophones sont de plus en plus nombreux à connaître le russe et l'estonien . Ils sont de plus ceux qui passent avec succès les examens d'obtention de la citoyenneté estonienne.

La création en 1997 d'un ministère des relations ethniques semble montrer la volonté de l'Etat estonien de gérer au mieux cette situation. En 1998 le Riigikogu a adopté un texte sur la politique d'intégration, qui a abouti à un « plan d'action gouvernemental d'intégration des non-estoniens ».

4. Le programme gouvernemental d'intégration

Ce programme « intégration dans la société estonienne 2000-2007 » a été approuvé par le gouvernement et soumis au Riigikogu.

Les objectifs de ce programme sont :

- réduire le nombre de non-citoyens et améliorer la connaissance de la langue estonienne

- une meilleure participation des non-citoyens à la vie nationale

- une meilleure reconnaissance des cultures minoritaires

Ce programme s'adresse aux Estoniens et aux minorités. En effet, le gouvernement demande aux Estoniens de s'impliquer dans la formation et de communiquer avec les russophones afin de permettre aux « barrières de tomber ». Une politique de cours d'estonien pour adultes et d'immersion totale pour les écoliers des écoles russophones a été mise en place.

Il convient de souligner que l'opportunité pour les étudiants de participer aux programmes PHARE de l'Union européenne a poussé nombre d'entre eux à passer les examens de langue estonienne.

A cela s'ajoutent des échanges entre catégories professionnelles (policiers russophones et estonophones, infirmières etc....), ou la révision du test de langue pour l'obtention de la citoyenneté estonienne afin de le rendre plus lisible.

Ce programme est financé pour plus de la moitié par l'aide internationale, soit sur un budget de 4 141 936 Euros, 2 148 007 euros venant de PHARE, du PNUD et d'aides bilatérales (Canada, Danemark, Suède, Finlande, Norvège et Royaume-Uni) et pour le reste par l'Etat estonien, en particulier dans le volet éducation. Il faut souligner que l'aide internationale finance plus de 90% du volet de formation d'adultes à la langue estonienne. Depuis la mise en place de ce programme des progrès très net ont été constatés. Cependant les divers entretiens qu'ont pu avoir les députés en Estonie montrent que les événements en Russie, qu'il s'agisse de politique intérieure ou de ses relations avec l'Estonie ont une forte influence sur les relations entre Estoniens et non-estoniens même si des conflits réels entre communautés sont quasi inexistants.

C. Des collectivités locales impliquées dans le processus d'élargissement

La délégation française s'est rendue à Saaremaa où elle a pu avoir des contacts tant au niveau du comté que de la ville (Kuressaare). Cependant, avant de présenter les constatations faites à Saaremaa, il convient de préciser le statut et le rôle des collectivités locales en Estonie.

L'Estonie est une république unitaire. Néanmoins, il existe une administration d'Etat décentralisée et des collectivités locales. Les représentants des collectivités locales participent à l'élection du Président de la république estonienne avec le parlement (Riigikogu). Il convient de souligner qu'il n'y a plus depuis l'adoption de la Constitution de 1992 de collectivité locale au niveau régional. En effet si de 1989 à 1992, l'autonomie régionale était formée de 15 comtés et de six villes indépendantes, aujourd'hui le niveau régional est représenté par des services de l'Etat.

La structure territoriale de l'Estonie est fixée par la Constitution mais les modalités d'application sont définies dans la loi sur l'autonomie locale de 1993 ainsi que les lois sur les budgets municipaux, les taxes locales et les relations budget national/ budget local de 1993 et 1994.

1. Les collectivités locales en Estonie

a) Le niveau régional : une administration d'Etat décentralisée

Il y a actuellement 15 comtés en Estonie dirigés par des gouverneurs nommés pour cinq ans par le gouvernement sur proposition du Premier Ministre et avec l'approbation des collectivités locales présentes dans le Comté. Ce gouverneur ne peut exercer aucune autre charge publique. Il représente l'Etat dans son comté, coordonne la coopération des services administratifs régionaux et des collectivités locales. D'autre part, il informe le gouvernement et les autorités locales de la politique régionale suivie dans le comté. Enfin il exerce un contrôle de légalité sur les réglementations édictées par les collectivités locales du comté et sur l'utilisation des biens de l'Etat par celles-ci. Pour le seconder, le gouverneur dispose d'un exécutif composé d'un bureau et des services administratifs (une centaine de personnes).

b) Les collectivités locales proprement dites

Rétablies après 1989, les collectivités locales sont au nombre de 247 (205 communes rurales et 42 villes) dont la plus importante est Tallinn (440 000 habitants), la moyenne étant de 1000 à 3000 habitants.

Outre les municipalités, il existe en Estonie l'équivalent des communautés urbaines françaises : les associations régionales et les associations nationales. Conformément à la Constitution, les collectivités locales disposent de l'autonomie. Cette autonomie se traduit par un budget et des organes locaux.

(1) Les organes locaux :

Ils se composent

- d'un conseil local : « conseil municipal » estonien, il comprend entre 7 et 31 membres (64 à Tallinn) élus au suffrage universel direct pour un mandat de trois ans. Ce conseil élit un président, qui ne peut cumuler cette charge avec celle de maire.

Il convient de souligner que pour ces élections locales peuvent voter les citoyens estoniens mais aussi les citoyens de nationalité étrangère, possédant un permis de résidence permanent ou temporaire et qui résident dans la collectivité locale depuis au moins 5 ans (ils représentaient 18.6% des votants aux élections du 17 octobre 1999). Cependant, seuls les citoyens estoniens peuvent être élus.

- d'un exécutif dirigé par le maire ou le « chef », élu par le conseil local pour 3 ans

(2) Les compétences des collectivités :

Elles sont nombreuses : éducation maternelle, primaire et secondaire, assistance sociale, services sociaux, logement, approvisionnement en eau et réseaux d'assainissement, entretien des espaces publics et des voies publiques locales, aménagement du territoire, transport public local, bibliothèques, musées, services des sports et loisirs. Pour mettre en _uvre ces politiques, la collectivité gère son budget, instaure des impôts et taxes et en assure le recouvrement.

(3) Les ressources des collectivités locales :

Elles sont pour 10% des ressources propres, la majorité provenant d'une quote-part des impôts et subventions de l'Etat. Par exemple, 56% de l'impôt sur le revenu, 100% de la taxe foncière sont reversés aux collectivités locales par l'Etat. Selon la loi sur les taxes locales de 1994, neuf sortes d'impôts locaux peuvent être fixées et perçues par les municipalités. Il s'agit essentiellement de la taxe locale sur les ventes, la taxe sur les bateaux ou l'impôt local sur le revenu.

Comme en France, il existe en Estonie un fonds national de péréquation qui vise à équilibrer les différences structurelles existant entre collectivités. La composition des recettes d'une collectivité locale type est la suivante : 53% impôts de l'Etat, 14% fonds de péréquation, 9.5% subventions de l'Etat, 7.8% prêts, biens municipaux 5.7%, activités économiques 3.4%, impôts locaux 0.8%, autres environ 6%. Actuellement, sur un plan budgétaire, le problème principal est de réduire la part des emprunts importants qui ont été contractés par certaines collectivités, poussant celles-ci quasiment à la faillite.

2. Saaremaa, une île tournée vers l'Europe

Saaremaa représente 6.5 % du territoire estonien (2922 km2) et 2,06 % de sa population, c'est à dire 39575 habitants, dont 97 % sont Estoniens (2 % Russes). Constitué par de nombreuses îles dont la plus importante est Saaremaa (94 % de la population et de la superficie), le comté de Saaremaa comprend une ville (Kuressaare, 16111 habitants) et 15 municipalités. Ce nombre devrait diminuer car afin d'adapter les dimensions des régions aux exigences des fonds régionaux européens, l'Estonie tente de faire des regroupements de municipalités et de régions. Par exemple, pour Saaremaa, il devrait y avoir 6 collectivités locales à moyen terme.

Saaremaa est située au centre de la région baltique et à ce titre elle a une stratégie clairement orientée vers l'ouverture européenne.

a) La stratégie régionale : atouts et faiblesses

Cette stratégie régionale tend à renforcer l'industrie de tourisme en prenant en compte les impératifs du développement durable. A cet effet, l'écotourisme est encouragé, favorisé par les ressources naturelles de la région mais aussi par le classement par l'U.N.E.S.C.O. de Saaremaa comme réserve de la biosphère mondiale. De plus, afin de permettre la mise en place de services de bonne qualité, la ville de Kuressaare finance une école spécialisée dans les métiers du tourisme et de l'hôtellerie.

D'autre part, le gouvernement de Saaremaa cherche à favoriser les productions liées à l'histoire et qui utilisent les ressources locales : l'industrie liée à la pêche mais aussi à la navigation (construction de bateaux par exemple) ainsi que le bois (53 % de Saaremaa est constitué de forêts et le bois pour le papier est exporté vers la Finlande).

Cependant, deux grands problèmes constituent un frein aux investissements : d'une part les transports et le lien avec l'Estonie continentale, même si l'aéroport de Kuressaare se développe et d'autre part, le manque d'énergie qui pousse les autorités locales à tenter la mise en place d'éoliennes pour diminuer les coûts de cette importation.

b) Projets européens et coopération décentralisée

La ville de Kuressaare a mis en place une politique de coopération décentralisée et grâce à l'aide européenne, des projets mixtes ont vu le jour.

Afin de se préparer à l'entrée dans l'Union européenne, les collectivités locales et les régions doivent mettre aux normes européennes plusieurs types d'installations, ce qui nécessite des investissements souvent coûteux pour de petites communautés. Les députés français ont pu constater que les collectivités font des efforts particuliers pour que ces investissements ne soient pas payés par les contribuables locaux. Pour cela certains projets ont obtenu des aides européennes, soit multilatérales (PHARE, SAPARD) soit bilatérales (avec les pays scandinaves membres de l'Union).

Des accords de coopération ont été signés avec des villes finnoises, suédoises, danoises et belge (Kuurne). A travers ces accords, Saaremaa a pu obtenir des aides nationales. De plus en tant qu'île, Saaremaa a développé une coopération bilatérale avec des îles proches comme Gotland en Suède mais aussi avec la conférence des régions maritimes périphériques depuis 1996 et INSULA (programme de l'UNESCO pour le développement des îles). Enfin, au niveau régional existe la coopération des îles de la Baltique qui travaille avec l'Union européenne sur les questions liées au tourisme, au développement durable et à la gestion de l'eau potable.

Les représentants des collectivités locales de Saaremaa ont regretté que la France ne soit pas plus impliquée à travers ses régions insulaires dans ce type de coopération.

Parmi les projets que la délégation française a pu appréhender, il convient de citer la réfection du système d'eau et d'assainissement de la ville de Kuressaare (à laquelle ont collaboré le ministère de l'environnement finlandais et l'Union européenne), le port et le centre municipal de thalassothérapie (PHARE et le ministère de l'environnement finlandais), le centre social de jour (PHARE et Danemark) et le théâtre municipal (investissements privés scandinaves et aide européenne).

D. Des atouts économiques à renforcer

La délégation française a eu l'occasion lors de ses visites au Riigikogu et à la salle du Conseil des Ministres de constater que l'utilisation des technologies de l'information était très répandue en Estonie. Ainsi 53 % de la population estonienne possède un ordinateur et 19 % sont connectés à Internet. Toutes les écoles estoniennes ont une connexion. L'Internet est aussi très utilisé au travail (95 % des employés du secteur public). Il est intéressant de constater que les conseils des Ministres estoniens se déroulent via une connexion protégée. Ainsi, un ministre en déplacement peut « participer » au Conseil des Ministres.

Cela est dû à plusieurs aspects : d'une part l'Estonie a toujours été spécialisée dans les petits composants électroniques qui constituent encore une partie importante de ses exportations, d'autre part, il existe en Estonie de très bons spécialistes en télécommunication et en informatique, qui n'ont pas hésité à suivre des formations complémentaires en Suède, Finlande, Allemagne ou aux Etats-Unis. Enfin, dans ce pays où beaucoup ont un membre de leur famille qui habite à l'étranger, l'Internet est un moyen de communication mais aussi d'ouverture au monde non négligeable.

Le deuxième atout pour l'Estonie est sans aucun doute le tourisme. Tallinn, la capitale attire chaque année de plus en plus de touristes, en majorité scandinaves, allemands ou américains. La délégation a pu noter que peu de francophones viennent en Estonie. 1/3 des emplois du tertiaire créés à Tallinn le sont dans le secteur du tourisme. 3,18 millions de touristes visitent chaque année l'Estonie dont 2,5 millions Tallinn (1999). En 1999, le revenu lié au tourisme international a atteint 10 milliards de couronnes estoniennes (environ 3 milliards de francs). 80 % de ce revenu concerne Tallinn.

Le tourisme environnemental ainsi que balnéaire devrait se développer notamment dans les îles, Pärnu et le parc national de Lahemaa. Le développement durable est une des priorités des régions estoniennes.

E. Vers une politique française plus ambitieuse

La délégation française a pu constater durant son séjour les nouvelles orientations de la politique française en Estonie. Deux éléments ont particulièrement intéressé les députés : d'une part la professionnalisation de la politique francophone en Estonie, d'autre part le pont que pourrait jouer la France entre l'Estonie et le pourtour méditerranéen.

Depuis quelques années la France tend à proposer un enseignement plus professionnel du français. Cela répond à la volonté de la France de renforcer l'usage du français dans les organismes européens et internationaux. En particulier la France a lancé en 2000 un projet de formation linguistique des fonctionnaires estoniens qui auront à travailler dans le cadre de l'O.T.A.N. (où le français est à égalité avec l'anglais comme langue officielle) et de l'Union européenne. Le premier ministère concerné est le ministère des affaires étrangères. Ainsi, les 250 diplomates estoniens suivent ou vont suivre dans les trois années à venir des cours de français professionnel. D'autres ministères devraient avoir accès à la même formation.

Dans le cadre des relations entre les deux parlements, la délégation française a souligné qu'il serait intéressant de pouvoir développer la coopération interparlementaire avec l'Estonie en proposant des stages techniques (dans les commissions ou les services administratifs spécifiques par exemple) aux fonctionnaires estoniens du Riigikogu..

Les personnalités que la délégation française a rencontrées ont tenu à préciser que la France, de par sa tradition historique de pays méditerranéen, est un partenaire particulièrement intéressant pour l'Estonie qui voudrait diversifier ses relations internationales. La position géographique de l'Estonie qui est un atout apparaît aussi comme un obstacle à un accès au pourtour méditerranéen. Cet espace semble intéresser les Estoniens pour plusieurs raisons : d'une part, cette région concerne une partie de l'Union européenne et de sa politique avec le dialogue euroméditerranéen, d'autre part, cette région donne accès à des espaces économiquement intéressants pour l'Estonie, notamment au niveau énergétique, enfin le rapport entre pays tiers méditerranéens et nouveaux candidats de l'Europe centrale, orientale et balte est surtout un rapport de concurrence actuellement. L'Estonie a donc plusieurs raisons pour se rapprocher de cet espace et la France pourrait jouer ce rôle de « pont » entre sud et est.

ENTRETIENS

Entretien avec les commissions des affaires européennes et des affaires étrangères

sous la présidence de M. Tunne Kelam, vice-Président du Riigikogu, Président de la commission des affaires européennes et de M. Andres Tarand, Président de la commission des affaires étrangères

Les personnes présentes lors de cet entretien étaient :

- pour la Commission des affaires étrangères : M Andres Tarand (mõõdukad), Président ; M. Ülo Nugis (coalition) ; Mme Mari-Ann Kelam (pro patria) ; Mme Liis Klaar (mõõdukad) ; M. Vladimir Velman (parti du centre)

-pour la Commission des affaires européennes: M. Tunne Kelam (pro patria), Président ; Mme Liia Hänni (mõõdukad) ; Mme Valve Kirsipuu (parti de la réforme) ; Mme Liina Tõnisson (parti du centre)

M. Tunne Kelam, après avoir souhaité la bienvenue à la délégation française, présente les membres estoniens et rappelle l'excellence des relations de l'Estonie avec la France dues en particulier au rôle de Son Exc. M. Jean-Jacques Subrenat, Ambassadeur de France à Tallinn. Mais il souligne l'importance des rapports directs entre parlementaires des deux pays.

M. Bernard Schreiner rappelle que la France et l'Estonie ont désormais un avenir commun vers une Europe unie. En tant que vice-Président de la délégation française à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, il se réjouit du rôle qu'a pu jouer cette organisation depuis la fin de l'Union soviétique. Il félicite l'Estonie pour les efforts qu'elle fait pour adhérer à l'Union européenne et remercie Son Exc. M. Jean-Jacques Subrenat pour son action en faveur du rayonnement de la France. Enfin, il présente la délégation française.

M. Tunne Kelam précise qu'afin de préparer cet entretien, les deux Commissions ont déjà tenu une séance en commun sur le thème des structures européennes. Il souhaite que cette rencontre permette un échange de points de vue avec les représentants français.

M. Andres Tarand présente le compte-rendu de cette réunion commune . En premier lieu, la réunion a permis de dégager les priorités de la politique étrangère estonienne aujourd'hui. Il s'agit de l'entrée dans l'O.T.A.N. et de l'adhésion à l'Union européenne.

Un travail important est fait au plan parlementaire et gouvernemental dans ce sens. Cependant, le processus d'élargissement n'est pas encore terminé. Le projet des membres des deux commissions est de réussir à convaincre dix parlementaires amis de l'Estonie dans chaque parlement de pays membres, ceci de façon symbolique pour expliquer la position de l'Estonie. Pour la délégation française, en trouvant chacun trois amis dans l'Assemblée nationale, le « contrat d'amitié et de soutien » sera rempli. Cela est important dans la perspective de la ratification des traités dans les pays membres, surtout lorsque cela se fait par la voie parlementaire.

Par ailleurs, un autre point de la politique étrangère intéresse la position de la France. La situation géographique de l'Estonie est telle qu'elle a du mal à diversifier ses liens internationaux. En effet, si elle est idéalement placée pour servir de pont entre les pays scandinaves et l'Europe orientale voire la Communauté des Etats Indépendants, elle veut aussi renforcer ses liens avec le pourtour méditerranéen où la France joue un rôle particulier. Par exemple, les parlementaires estoniens seraient favorables à une participation en tant qu'observateur aux rencontres euro-méditerranéennes et espèrent que les représentants français pourront les aider en ce sens .

M. Bernard Schreiner rappelle le rôle de M. Gabriel Kaspereit, précédent Président du groupe d'amitié et rappelle que le parlement français va ratifier le traité de Nice qui a pu être adopté suite au travail de la Présidence française. Celle-ci a eu comme ambition de tracer une voie concrète pour l'adhésion et de montrer que l'élargissement était possible.

M. Jacques Brunhes souligne que si le projet européen tient à c_ur au gouvernement estonien, une adhésion de l'opinion publique à ce projet est nécessaire. Il faut donc, parallèlement au travail technique de préparation à l'adhésion, faire des efforts d'information auprès de l'opinion.

M. Tunne Kelam précise que l'exemple irlandais montre l'importance de l'opinion et la nécessité d'une compréhension par le peuple estonien de ce processus d'élargissement. Concernant l'adhésion à l'Union européenne, il règne aujourd'hui une certaine confusion dans l'opinion publique. Mais il convient d'informer les gens sur les thèmes qui les intéressent et de faire appel à des personnes motivées par le projet européen pour la présentation. Par exemple certains Estoniens craignent une augmentation du coût de la vie, d'autres se posent des questions sur l'imposition de normes sanitaires et d'hygiène strictes suite aux récentes crises agricoles qui ont frappé les pays de l'Union européenne.

Mme Valve Kirsipuu  s'interroge sur la nature de l'Europe à laquelle l'Estonie va adhérer : sera-t-elle une fédération ? D'autre part, elle rappelle que les députés estoniens ont été choqués par l'action de l'Union européenne face à l'Autriche concernant sa politique intérieure.

M. Bernard Schreiner souligne qu'il ne faut avoir aucune crainte face à la construction européenne. De nombreux pays comme le Portugal, la Grèce, l'Espagne ou l'Irlande ont profité de la solidarité européenne pour voir augmenter leur niveau de vie. Certains partis se servent de cette peur populaire mais il faut rassurer les Estoniens sur les buts de la construction européenne.

Mme Valve Kirsipuu remercie M.Bernard Schreiner pour ses paroles et précise que la réaction irlandaise est due à la présence d'une partie dans le traité de Nice sur la politique commune de sécurité à laquelle les Irlandais ont réagi négativement car ils restent attachés à leur neutralité, et non pas à une peur réelle face à l'élargissement de l'Union.

M. Gérard Grignon prend l'exemple de Saint-Pierre-et-Miquelon qui n'est pas intégré complètement mais bénéficie du soutien de l'Union européenne, des fonds de développement européens. St-Pierre-et-Miquelon n'est pas couvert par la politique commune de la pêche. Ainsi à l'OPANO (Organisation des pêches de l'Atlantique du nord- ouest), la France a un siège qui incombe à Saint-Pierre-et-Miquelon. L'Estonie est également représentée dans cette organisation. En quelque sorte la France et l'Estonie sont les représentants de l'euro et de l'Europe. Par ailleurs, M. Gérard Grignon se demande quelle est la nature des aides en matière économique que perçoit l'Estonie en application de l'accord d'adhésion.

M. Tunne Kelam  souligne que l'aide existe mais qu'elle est souvent retardée par les lourdeurs administratives. C'est notamment le cas en matière d'aide agricole. Il remercie les députés français et souhaite un bon séjour en Estonie à la délégation.

M. Bernard Schreiner remercie les représentants des deux commissions et espère que des échanges avec les commissions françaises et la délégation à l'Union européenne pourront se renforcer.

Entretien avec le groupe d'amitié Estonie-France

Sous la présidence de M. Andres HERKEL, vice-Président du groupe d'amitié

Les personnes présentes lors de cet entretien étaient M. Andres HERKEL (Pro patria), M. Arvo SIRENDI (parti de coalition) et M. Vladimir VELMAN (parti du centre).

M. Andres Herkel souhaite la bienvenue aux représentants français et prie d'excuser Mme Kristiina Ojuland, Présidente du groupe d'amitié, qui ne peut être présente pour raisons de santé. Il souligne qu'au regard de l'actualité, cette rencontre aura aussi comme thème principal l'élargissement de l'Union européenne.

M Bernard Schreiner remercie le groupe d'amitié pour son accueil chaleureux et rappelle qu'au delà du traité de Nice, certains sont partisans d'aller plus loin. Cependant la grande question semble être celle de la majorité qualifiée. Les institutions actuelles sont celles du traité de Rome et avec l'élargissement elles doivent pouvoir évoluer. La difficulté tient au nombre de nations et au respect nécessaire de toutes les traditions et toutes les cultures. Les discours du Président Jacques Chirac et du Premier ministre, Lionel Jospin, vont dans ce sens, avec l'idée d'aller vers une fédération de nations. Une majorité du parlement français est favorable à l'élargissement mais le problème est d'avoir des institutions adéquates. Bien sûr, la visite du Président de la République dans les pays Baltes fin juillet va être un symbole fort.

M Andres Herkel  insiste sur l'importance de la visite d'un Président d'un grand pays européen. En fait en 1991 beaucoup de présidents sont venus. Maintenant au fur et à mesure que la date d'adhésion se rapproche, les gens viennent à nouveau. Mais l'important est de convaincre l'opinion publique. Il rappelle que si la question de la forme institutionnelle de l'Union européenne, de sa structure, est essentielle pour les représentants politiques estoniens, l'opinion publique estonienne s'intéresse davantage aux conditions d'adhésion présentées par l'Union européenne.

M. Bernard Schreiner précise qu'il est nécessaire qu'il n'y ait pas de structures différentes selon la date d'adhésion des pays. Il s'agit d'une intégration à part entière comme pour les dernières adhésions. Quant aux conditions d'adhésion, il convient que le pays candidat soit une démocratie parlementaire qui organise des élections libres et qui possède une économie de marché fiable. En contrepartie de ces engagements, l'Union européenne aidera les nouveaux pays membres pour un véritable partenariat. Le détail du nombre de commissaires, en quelque sorte les « ministres » de l'Union, n'est pas essentiel. Les problèmes plus spécifiques et techniques pourront être réglés après l'adhésion, comme par exemple les normes d'eau potable. Une certaine progressivité dans la mise en conformité des diverses installations aux normes européennes est tout à fait envisageable.

M. Andres Herkel souligne qu'en ce qui concerne la démocratie en Estonie et les élections libres il n'y a aucun problème. Mais pour les questions économiques, une coopération entre pays candidats et pays membres s'avère indispensable. En effet les pays candidats demandent des périodes de transition sur certains points comme par exemple la libre circulation des travailleurs.

M Arvo Sirendi met en avant la difficulté d'expliquer l'Europe à certaines catégories de l'opinion publique qui dans sa majorité réagit assez positivement à la question de l'élargissement. Les paysans, par exemple, ont l'impression qu'avec l'entrée dans l'Union européenne, beaucoup de bureaucratie va s'ajouter au travail agricole lui-même. De même pour le commerce libéral les règles de droits frontaliers correspondant aux normes commerciales de l'Union apparaissent plus strictes qu'actuellement. Pour les commerçants le gouvernement estonien va être amené à accepter un compromis sur l'idée de libre marché. D'autre part l'opinion publique estonienne a mal compris l'intervention de l'Union dans la politique intérieure autrichienne. Enfin il ne faut pas oublier que tout ce qui se passe en Europe a une influence sur les Estoniens. Par exemple, la crise de la vache folle, l'épidémie de fièvre aphteuse ont été largement relayées par la presse estonienne.

M. Bernard Schreiner insiste sur le fait que l'entrée dans l'Union européenne n'a appauvri aucun des Etats, bien au contraire. Sur la question autrichienne la France a réagi pour éviter une dérive vers l'autoritarisme. Mais depuis plus d'un an les relations franco-autrichiennes se sont normalisées.

Son Exc M. Jean-Jacques Subrenat souligne que les pays candidats devraient avoir conscience qu'ils seront bénéficiaires net de l'élargissement. Par exemple l'Irlande, pour un milliard d'euros versés depuis son adhésion, a reçu quatre milliards. Mais il est vrai qu'en Estonie, le rôle des médias et en particulier de la presse est fondamental dans la formation de l'opinion publique.

M. Jacques Brunhes rappelle qu'une des questions principales est aussi de savoir vers quelle Europe à 25 se dirige-t-on et s'il s'agit d'une Europe de progrès .

M. Gérard Grignon demande quelle position l'Estonie défend-elle face au projet américain de bouclier anti-missiles (N.M.D.) 

M. Andres Herkel explique qu'il n'est  pas membre de la Commission de la défense mais que les Estoniens sont plutôt en faveur d'une politique forte de défense, et en particulier pour un élargissement de l'O.T.A.N.

Entretien avec les représentants des collectivités locales de Kuressaare, île de Saaremaa

Sous la présidence de M. Peeter JALAKAS, Président du conseil de la ville de Kuressaare

Les personnes présentes à cet entretien étaient : M. Peeter JALAKAS, Président du conseil de la ville de Kuressaare ; Mme Urve TIIDUS, maire-adjoint chargée de l'éducation et de la culture ; M. Argo KIRSS, maire-adjoint chargé des questions sociales ; M. Hannes HAAVEL, président de la commission des affaires sociales ; M. Meelis POLDA et M. Ülo VEVERS, membres du conseil municipal.

M. Peeter Jalakas accueille la délégation et précise que les membres du conseil de la ville présents représentent tous les partis. Saaremaa a de nombreux atouts. Tout d'abord c'est une ville balnéaire qui est réputée pour ses boues curatives et une ville touristique grâce à la forteresse. Il faut rappeler que la frontière de l'Union soviétique passait à côté de Kuressaare et que l'île de Saaremaa était une zone fermée où personne ne pouvait venir, sauf autorisation. Actuellement le port de plaisance est en reconstruction pour s'adapter aux demandes des étrangers, en particulier pour accueillir les grands yachts.

D'un point de vue institutionnel, le conseil de la ville de Kuressaare fonctionne de la façon suivante. Six commissions permanentes font des propositions dans divers domaines, les partis politiques sont représentés à travers les groupes politiques. Chaque année des priorités sont fixées pour le budget. Les recettes de celui-ci, qui sont d'environ 100 millions de couronnes, se décomposent entre l'impôt sur le revenu et les diverses subventions que donne l'Etat pour l'éducation. La moitié du budget est consacrée au développement de l'éducation. Cependant, comme les besoins sont supérieurs aux moyens, la collectivité a mené une politique de privatisation des établissements qui n'étaient pas jugés indispensables au fonctionnement de la ville. La ville reçoit aussi des fonds du programme PHARE et aussi des investissements du Ministère de l'environnement finlandais. En effet, sept villes de Saaremaa sont jumelées avec des villes finlandaises, suédoises, danoises ou belges. Il est regrettable que de tels échanges n'existent pas avec la France.

M Bernard Schreiner remercie et fait remarquer qu'au-delà de l'excellent accueil de Kuressaare, le dynamisme encourageant des collectivités locales estoniennes apparaît comme un élément positif dans la perspective de l'Union européenne. L'importance de la coopération décentralisée est essentielle, il faut tisser des liens au niveau local. Il rappelle que tous les membres de la délégation française sont ou étaient encore récemment des élus locaux.

M. Gérard Grignon explique que beaucoup de points communs rapprochent Saaremaa et Saint-Pierre-et-Miquelon, en particulier la pêche et les industries de transformation. Saint-Pierre a les mêmes problèmes de baisse des ressources et de développement du tourisme. Il demande quelle est la part des financements européens dans les programmes d'assainissement .

M. Peeter Jalakas souligne qu'il connaît bien les problèmes de pêche car il dirige une firme de transformation des poissons, l'ancienne société de pêche « les pêcheurs de Saaremaa » qui est aujourd'hui privée. Le domaine de la pêche est essentiel pour Saaremaa. Pendant la période soviétique le chiffre d'affaires des industries liées à la pêche était énorme, le poisson était exporté vers les autres républiques. Maintenant deux problèmes sont apparus.

D'une part si le marché russe est gigantesque il comporte des risques énormes et la politique douanière russe est très défavorable aux exportations. D'autre part, la diminution des ressources est importante et ceci est lié aux limites posées dans l'Atlantique. Par ailleurs le travail lié à la pêche souffre du fait que les installations doivent être modifiées pour répondre aux normes européennes, et que les débouchés qui pourraient être trouvés dans les pays de l'Union européenne sont limités par cette exigence de qualité qui demande de gros investissements.

En ce qui concerne l'assainissement, depuis deux ou trois ans l'aide du ministère de l'environnement finlandais a permis d'avoir de l'eau potable de bonne qualité. Malheureusement, tous les secteurs de la ville ne sont pas encore raccordés. De plus après ces travaux de raccordement, il faut refaire les travaux de voirie, le pavage. Jusqu'en 2002 la ville bénéficie pour ces projets de l'aide de PHARE, de SAPARD et du ministère de l'environnement finlandais.

M Gérard Grignon demande si un financement extérieur existe pour mettre aux normes les ateliers de production.

M Peeter Jalakas précise que des financements, liés en fait avec l'aide européenne à l'agriculture, existent pour la pêche.

M. Jacques Brunhes s'interroge sur la difficulté de monter des dossiers financiers au regard de la brièveté du mandat local en Estonie, c'est à dire trois ans.

M. Hannes Haavel qui représente  le groupe de la réforme considère que le mandat de trois ans est court. Il souligne que la collaboration avec l'ambassade de France a permis aux entreprises de Saaremaa de participer à la foire de Riga organisée par la France. En tant que Président de la commission des affaires sociales, il souhaite avoir plus d'information sur le mandat et le rôle des élus locaux et sur l'action sociale menée par les communes françaises. Il rappelle qu'au moment de l'indépendance de l'Estonie, il y avait à Kuressaare un seul travailleur social.

M. Bernard Schreiner explique qu'en réalité en France il faut compter deux mandats pour voir la fin des projets. Quant au système d'aide sociale il se répartit entre départements, villes et régions ainsi que l'Etat. Il existe une collaboration entre les différents niveaux.

M. Jacques Brunhes prend l'exemple de sa commune, Gennevilliers, qui compte 45000 habitants. Deux centres médico-sociaux avec une cinquantaine de médecins et des assistantes sociales composent une structure sociale importante. Suite à la remarque de Mme Urve Tiidus qui a précisé que l'éducation couvrait la moitié du budget, il demande à la délégation estonienne d'expliciter les éléments entrant dans ce budget éducation et notamment si les enseignants et l'entretien des bâtiments est inclus.

Mme Urve Tiidus qui est responsable de l'éducation et de la culture à Kuressaare explique que, selon le droit estonien, le pouvoir local est chargé de l'éducation. La scolarité obligatoire est de neuf ans. La maternelle, le primaire et le secondaire dépendent des collectivités locales ainsi que les écoles spécialisées en musique, art, ou sport par exemple. Les collectivités sont responsables de l'entretien des bâtiments ou plus exactement elles doivent assurer des conditions matérielles correctes pour l'éducation, cela comprenant également la fourniture de manuels ou la gestion des cantines. Les parents doivent payer 160 couronnes estoniennes (environ 70 francs) par mois pour le jardin d'enfants, nourriture incluse. Mais le souci principal des collectivités est d'obtenir les moyens pour les investissements immobiliers. Avec l'adhésion à l'Union européenne il faut par exemple mettre aux normes les cantines scolaires, ce qui correspond à un investissement de trois millions de couronnes. Plus de 3000 enfants vont à l'école à Kuressaare et 800 au jardin d'enfants. Il existe aussi des jardins d'enfants privés. De plus, la ville a mis en place un collège d'enseignement technologique qui est spécialisé dans l'hôtellerie et le tourisme, deux atouts pour pouvoir travailler à Saaremaa.

M. Jacques Brunhes souhaite savoir si l'école est laïque en Estonie. Mme Urve Tiidus répond positivement mais en précisant que si les parents le souhaitent il est possible de faire un enseignement religieux.

M. Jacques Brunhes s'interroge sur les 160 couronnes mensuelles et demande s'il existe des aides pour les parents qui  n'auraient pas les moyens de payer . Mme Urve Tiidus précise que  les pouvoirs locaux ont prévu dans leur budget une proportion de 10% d'enfants pour lesquels l'école est entièrement gratuite (cela comprenant également les écoles spécialisées).

M. Argo Kirss, maire-adjoint chargé des questions sociales, présente la situation de Kuressaare.  4000 personnes ont moins de 17 ans, les retraités sont 3000 et les handicapés 1000. Cela représente 3.7% du budget de la ville et 3.7 millions de couronnes réparties de la façon suivante :

- 2.8 millions pour l'aide sociale, les services sociaux et la nourriture des enfants qui ne peuvent payer la cantine

- 0.9 millions pour le centre des personnes âgées et des handicapés.

Une aide spécifique de 2000 couronnes (environ 800 francs) est donnée pour tout enfant qui naît à Saaremaa. Cela est dû à la forte baisse de la natalité. Il existe aussi une allocation pour l'alimentation en eau potable des gens qui ne sont pas raccordés et qui utilisent les camions distributeurs d'eau. Les services sociaux de la ville s'occupent aussi du transport des personnes âgées, des pompes funèbres, des interprètes en langue des signes ou pour les plus pauvres la soupe populaire ou le sauna gratuit.

D'autre part les collectivités locales reversent des allocations qui viennent de l'Etat. Si le revenu est inférieur à 500 couronnes (environ 200 francs), une aide de garantie est mise en _uvre. Pour information le salaire minimum en Estonie est de 1600 couronnes (environ 600 francs). Actuellement 500 familles à Saaremaa reçoivent cette aide.

M. Hannes Haavel demande quelle est la part de budget local consacrée au social en France . M. Bernard Schreiner explique que cela est très variable, et dépend de la situation économique dans la commune et de l'orientation politique des responsables. Dans le cadre du département qui est en charge des grands problèmes sociaux, par exemple dans les départements alsaciens, sur un budget de 3.6 milliards de francs environ 30 % sont consacrés à l'aide sociale soit 1.2 milliards.

M. Jacques Brunhes précise qu'une différence entre les villes et les communes et entre les villes petites et grandes existe. Cela dépend aussi de la composition sociologique de la ville. Gennevilliers est une ville communiste depuis 1934. Le premier maire a été fusillé en 1941. Cette ville fait partie de la traditionnelle « banlieue rouge » autour de Paris. Mais quelles que soient les collectivités le travail de terrain est essentiel.

M. Peeter Jalakas explique que sous le régime soviétique,lors des élections locales le taux de participation était de 100% et le vote allait au parti unique. Aujourd'hui ce taux est de 44 %. En effet la vie politique est encore très politisée, et l'évolution vers le modèle français de l'élu de terrain assez apolitique commence à peine. Avec l'ouverture vers l'Union européenne, cela va s'améliorer même si des craintes persistent vis à vis de cette « union ».

Son Exc. M. Jean-Jacques Subrenat souligne que dans chaque aide européenne, la France participe à hauteur de 18%. Par ailleurs le terme « union » utilisé à la fois pour l'Union soviétique et l'Union européenne est identique mais la nature de ces deux unions est bien différente et la crainte des Estoniens de se retrouver à demander à Bruxelles les autorisations demandées autrefois à Moscou sont infondées.

M. Peeter Jalakas remercie la délégation française et l'informe qu'elle aura l'occasion de voir deux des derniers grands investissements de la ville : le théatre et le centre de soins et thalassothérapie.

Entretien avec Mme Katrin SAKS

Ministre de la population et des minorités ethniques

Mme Katrin Saks, Ministre de la population et des minorités ethniques a reçu la délégation française. Après avoir souhaité la bienvenue à la délégation, Mme la Ministre présente la situation de l'Estonie en matière de minorités. Après le Luxembourg, l'Estonie est le deuxième pays en Europe ayant le plus de personnes sur son territoire qui soient nées à l'étranger. La majorité sont des russophones (35% de la population totale).

La situation d'avant-guerre était différente puisque 97% de la population était estonienne. La part des non-estonophones dans la société a augmenté tout au long du régime soviétique jusqu'aux 35% qui est la situation en 2001. Dans ce changement démographique il convient de distinguer entre les migrants de la première génération, dans les années 50, qui découlaient de la politique de russification menée par Staline et ceux de la seconde génération, qui correspondent plus à une immigration économique. Aujourd'hui pour ces deux catégories se pose la même question, celle de l'intégration.

Pendant la première moitié des années 90, l'idée prédominante était que les russophones étaient opposés à l'indépendance estonienne et allaient repartir vers leurs pays d'origine, notamment la Russie ou l'Ukraine. Mais le temps a passé et cette minorité est restée en Estonie. Il est apparu clair alors que la situation démographique allait perdurer.

Dans la deuxième moitié des années 90, la nécessité de créer la communication entre les deux communautés devenait évidente car les russophones et les Estoniens vivaient séparément et les risques de conflits se renforçaient. Deux problèmes ont été mis en avant : d'une part, le trait principal des non-estoniens est qu'ils ne parlent pas la langue estonienne. Ainsi en 1991, 14 à 15 % étaient estonophones. Depuis 50 % ont appris à parler estonien mais la question de la langue reste essentielle. D'autre part, se pose la difficile question de la citoyenneté estonienne et du statut d'apatride parmi la communauté russophone.

Le gouvernement a donc cherché à construire un pont entre les deux communautés et il y a deux ans, il a commencé à développer le concept d'intégration des minorités dans la société estonienne. Un programme détaillé a été mis en place sur 2000-2003 pour atteindre ces objectifs. Ce programme concerne plusieurs ministères et institutions, notamment la fondation sur l'intégration créée en 1998 qui travaille sur des projets précis. Un suivi du processus permet grâce à des études scientifiques d'avoir des statistiques fiables et des éléments sur l'évolution de l'intégration. Ces analyses sont faites sur commande de l'Etat.

Quatre sous-programmes ont été dégagés mais les plus importants sont le programme sur l'éducation et celui sur la formation des adultes en langue estonienne. La totalité du programme d'intégration est financé par 50 millions de couronnes estoniennes (environ 20 millions de francs) dont 50% viennent des moyens fournis par l'Etat estonien et 50% correspondent à l'aide internationale (PHARE, pays nordiques, Etats-Unis).

Parmi les projets en cours il y a la publication de matériaux pédagogiques pour les professeurs d'estonien. En effet il faut rappeler que pendant la période soviétique l'estonien n'était pas considéré comme langue étrangère et donc il n'existe aucun manuel adapté de cours d'estonien pour des russophones. A cela s'ajoute la formation en estonien langue étrangère des enseignants puisque c'est une approche très différente .

Un autre exemple est la mise en place de colonies de vacances et de camps de langue pendant l'été. Les enfants russophones ont la possibilité d'aller un ou deux mois à la campagne pour pratiquer la langue estonienne. Dans ce domaine, le gouvernement estonien s'est beaucoup inspiré du modèle canadien pour l'enseignement du français. Des « bains de langue » permettent aux enfants de commencer à 100% en langue estonienne puis progressivement la langue russe est introduite et en cinquième classe (fin CM2) le rapport estonien-russe est de 50% / 50%. Ainsi un bilinguisme se développe ce qui est un atout pour les intéressés mais aussi pour l'Estonie. Actuellement quatre écoles fonctionnent sur ce modèle en Estonie mais dès l'automne, ce nombre devrait s'élargir. Tous ces projets sont décrits annuellement dans un rapport législatif.

Monsieur l'Ambassadeur intervient afin de préciser la composition des russophones qui se divisent en apatrides, citoyens estoniens et citoyens russes ou autre (ukrainien etc...). Mme Katriin Saks souligne que pour la minorité ukrainienne la question de la langue est d'autant plus aiguë qu'ils doivent à la fois travailler sur la différentiation ukrainien-russe et apprendre la langue estonienne.

M. Bernard Schreiner félicite le gouvernement estonien pour l'esprit du programme qui vise à réunir les deux communautés car cela n'est pas évident au regard de l'histoire et des haines ou des rancunes qui peuvent s'être accumulées. En tant qu'alsacien, il souligne que le règlement dans la concertation et l'utilisation des « bains » linguistiques lui semblent être une excellente méthodologie. Il demande à Mme la Ministre de bien vouloir préciser le terme d'apatride et de donner un chiffrage de la répartition des groupes citoyens estoniens et russes ainsi que des mouvements de population ( les Russes repartis en Russie et les Estoniens revenus en Estonie).

Mme Katrin Saks rappelle que juridiquement la république estonienne a repris les règles en vigueur avant 1940, ainsi en matière de citoyenneté s'applique la loi sur la citoyenneté de 1938. Cette loi permet l'acquisition soit par la naissance si au moins un des deux parents est estonien soit par naturalisation. Une majorité de gens, environ un million, sont estoniens (dont 30000 à 40000 russes d'origine). Une partie des gens ont obtenu une naturalisation pour avoir soutenu ou contribué à l'indépendance estonienne. Mais les règles générales de naturalisation sont les suivantes : il faut résider depuis au moins cinq ans en Estonie dont trois ans avec le permis de séjour permanent et passer l'examen de la langue estonienne et de connaissance de la Constitution. 115000 naturalisés vivent en Estonie ce qui fait qu'1 115 000 personnes sont de citoyenneté estonienne. 100000 sont citoyens d'un autre Etat, en majorité la Russie mais aussi la Finlande ou la Grande-Bretagne. Les autres sont apatrides, avec un passeport gris. Ils invoquent pour la plupart leur incapacité à apprendre la langue estonienne ou des liens trop étroits avec la Russie. En effet jusqu'à présent, ces personnes pouvaient aller en Russie sans visa alors qu'avec un passeport estonien ils auraient dû en demander un. Maintenant cela leur pose problème car la Russie exige un visa pour les porteurs de passeports gris.

Début 2001, ces apatrides sont 175000 dont 105000 ont plus de cinquante ans. Ces personnes n'ont aucune motivation pour apprendre la langue estonienne, ils sont en majorité retraités. De plus les droits sociaux de base leur sont garantis, à égalité avec les citoyens, qu'il s'agisse de la retraite, des allocations ou de l'assurance médicale. Les deux seules différences entre les non-citoyens estoniens et les Estoniens sont l'impossibilité de voter aux élections législatives et de travailler dans la fonction publique. Cependant le gouvernement estonien travaille avec ceux qui ont moins de cinquante ans notamment les étudiants. Par exemple, l'an dernier, l'examen de langue que passent les lycéens avant de rentrer à l'université a été considéré comme valable comme examen de la langue pour obtenir la citoyenneté.

M. Jacques Brunhes souligne qu'au regard des progrès accomplis, le nom du ministre devrait devenir Ministre de l'intégration. Toutefois, il s'interroge sur les possibilités d'intervention de Mme la Ministre dans les activités intergouvernementales et sur la difficulté de jouer ce rôle spécifique de travail transversal. Mme Katrin Saks met en avant le fait que la coopération entre plusieurs ministères pose quelque difficultés. Aujourd'hui ce programme concerne quatre à cinq ministères et le temps où l'intégration était géré dans un petit bureau est révolu. Néanmoins il convient de souligner que la coopération est à la fois horizontale et verticale avec les collectivités locales. Mais il est vrai que le programme a pris du retard dans certains domaines car il faut convaincre les autres ministères. Par exemple dans ce programme il y a une participation du ministère de l'éducation mais aussi de l'agriculture. En effet, une aide est accordée aux fermiers qui acceptent de recevoir des enfants russophones pendant un ou deux mois. Cette activité est d'ailleurs devenue alternative aux cultures agricoles dans certains villages. De même, le ministère de la défense intervient dans le programme en formant les conscrits.

M. Gérard Grignon demande quel est l'état de l'opinion estonienne et si la xénophobie est une réalité en Estonie. D'autre part il s'interroge sur les relations futures avec la Russie. Mme Katrin Saks souligne que 80 % des Estoniens sont pour l'intégration et la proportion est identique chez les russophones. 2 % dans les deux communautés sont totalement opposés au programme. Les autres sont indifférents. Une enquête récente sur la période 1997-2000 a montré l'absence de conflits violents. 6.5% des Estoniens et 6.7 % des russophones ont répondu oui à la question « avez-vous subi des conflits avec les représentants de l'autre communauté ? ». Mais les réponses sur la nature dudit conflit étaient les suivantes : pour les Estoniens « des disputes » et pour les russophones « les personnes estoniennes ont été impolies ou le service rendu était mauvais ». Bien sûr il existe le phénomène des bandes mais le facteur ethnique ou linguistique n'est pas la source du conflit, il s'agit plutôt des zones d'influence.

En ce qui concerne les relations avec la Russie, chaque événement intérieur ou portant sur les relations entre l'Estonie et la Russie a un impact sur les relations entre les deux communautés. Une majorité d'Estoniens craignent la Russie et cela influence leur attitude. Il est donc vrai de dire que la clé, sur laquelle le programme d'intégration a peu de prise, des rapports entre les deux communautés, est en Russie.

III. ANNEXES

Fiche signalétique de l'Estonie

Géographie :

Superficie : 45 227 km²

Distance de Tallinn :

-Helsinki : 85 km

-Saint-pétersbourg : 395 km

-Paris : 2900 km

Population : 1.44 millions habitants

(Estoniens 65%, Russes 28 %, Ukrainiens 3%, Biélorusses:2 %)

Densité : 32.6 hab/km²

Villes principales : Tallinn 415 000 hab (30 % population)

Tartu : 100 000 hab

Narva : 74 000 hab

Langue officielle : l'estonien (le russe est la langue maternelle d'environ 30% de la population)

Institutions :

Démocratie parlementaire (Constitution du 28 juin 1992)

Président de la République : Lennart Meri depuis 1992

Premier ministre : Mart Laar

Président du Riigikogu Toomas Savi

Données économiques (2000)

PIB (M Euros) : 5400

PIB/habitant (euros) : 3500

Taux de croissance (%) : 6.4

Inflation (%) : 4.0

Chômage (%) : 13.7

Salaire moyen mensuel (euros) : 337

Dette externe publique/PIB (%) : 5.3

Importations (M euros) : 4617

Exportations (M euros) : 3442

Programme de la mission

lundi 11 juin

20h45 :

Arrivée de la délégation, accueil par Tanja Espe, conseiller au Riigikogu, secrétaire du groupe Estonie-France et Son Exc. Jean-Jacques Subrenat, Ambassadeur de France à Tallinn

mardi 12 juin

09 h 00:

Rencontre avec la Commission des affaires étrangères et la commission des affaires européennes, présidence de M. Tunne Kelam, vice-Président du Riigikogu et de M. Andres Tarand, Président de la commission des affaires étrangères

10 h 00:

Tour de ville de Tallinn, visite de l'Hotel de ville

11h 30 :

Rencontre avec M. Peeter Lepp, vice-gouverneur de Tallinn

13h 00 :

Déjeuner offert par Mme Kristiina Ojuland, Présidente du Groupe parlementaire Estonie-France

15h 00 :

Rencontre avec les membres du groupe Estonie-France

16h 00 :

Visite du Riigikogu et salut en séance

16h 30 :

Départ pour Saaremaa

19h 30

Arrivée à Saaremaa

20h 00

Dîner offert par M. Jüri Saar, gouverneur de Saaremaa, à la ferme traditionnelle de Jurna

MERCREDI 13 JUIN

10h 00 Rencontre avec les élus de Kuressaare

12h 00 Déjeuner offert par Mme Urve Tiidus, maire-adjoint chargée de l'éducation et de la culture

13h 30 Visite du centre municipal de thalassothérapie

14h 30 Visite du théatre municipal

15h 30 Tour de la réserve naturelle du cratère de la météorite

16h 30 Visite du village de pêcheur de l'île de Muhu

17h 30 Retour à Tallinn

20h 00 Dîner offert par Son Exc. M. Subrenat, à la Résidence de France

JEUDI 14 JUIN

10h 00 Rencontre avec Mme Katrin Saks, Ministre de la population et des minorités

11h 00 Visite du Stenbock, bâtiment du gouvernement et présentation de la salle du conseil des ministres

13h 00 Déjeuner offert par M. Bernard Schreiner, Président du groupe d'amitié France-Estonie

15h 00 Concert-commémoratif des 60 ans de la première déportation

du peuple estonien par le régime stalinien dirigé par Neeme Järvi, salle Estonia

16h 30 A cette occasion, salut de M. Mart Laar, Premier ministre et de M. Arnold Rüütel, artisan de la rupture avec l'Union soviétique

17h 35 Départ de l'aéroport vers Paris

Une délégation du groupe d'amitié France-Estonie s'est rendue en Estonie du 11 au 14 juin 2001, à l'invitation du groupe d'amitié Estonie-France du Riigikogu..

Après le sommet de Nice sur l'élargissement de l'Union européenne, cette mission a permis de mieux appréhender la prochaine adhésion de l'Estonie. Par ailleurs, les divers interlocuteurs que la délégation a rencontrés ont appelé à un renforcement de la coopération bilatérale .

Ce rapport dresse le tableau d'un pays qui, dix ans après la dissolution de l'Union soviétique, a su surmonter les difficultés de la transition démocratique et du passage à l'économie de marché, grâce à une politique volontaire et courageuse.

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Rapport d'information de M. Bernard Schreiner présenté à la suite de la mission effectuée en Estonie du 11 au 14 juin 2001 par une délégation du groupe d'amitié France-Estonie.


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