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N° 1096

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 septembre 1998.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1)
sur la mission effectuée par une délégation de la Commission
en
Russie

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. JEAN-LOUIS BIANCO ET RENÉ ANDRÉ

Députés

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Affaires étrangères

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Alain Bocquet, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Laurence Dumont, M. René Rouquet, secrétaires ; Mme Michèle Alliot-Marie, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, Jacques Blanc, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadelis, Mme Monique Collange, MM. Yves Dauge, Jean-Claude Decagny, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Jacques Desallangre, Paul Dhaille, Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Michel Lefait, Jean-Claude Lefort, Guy Lengagne, François Léotard, François Loncle, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, MM. Jacques Myard, Dominique Paillé, Mmes Françoise de Panafieu, Nicole Pery, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Mme Yvette Roudy, MM. Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Philippe de Villiers, Aloyse Warhouver.

SOMMAIRE

Avertissement : Pour des raisons techniques, l'annexe 1 (carte de la Fédération Russie) n'a pas pu être reproduite sur le site.

INTRODUCTION 5

I - LE DISCOURS DOMINANT DE L'OCCIDENT EST INADAPTÉ
   A LA REALITÉ
7

A - LA THÉRAPIE DE CHOC N'A PAS PERMIS L'ÉMERGENCE
     D'UNE VÉRITABLE ÉCONOMIE DE MARCHÉ
7

B - POURTANT, LA DÉMOCRATIE RUSSE EXISTE 7

II - LA TRANSITION ÉCONOMIQUE EN RUSSIE DOIT ETRE REPENSÉE 10

ANNEXES

Annexe 1 - Carte de la Fédération de Russie Erreur! Signet non défini.

Annexe 2 - Principaux indicateurs économiques de la russie en 1992-1997 13

Annexe 3 - Programme de la visite 13

Mesdames, Messieurs,

Notre mission a pu rencontrer à Moscou des personnalités-clés de la vie politique russe 11) ce qui témoigne du désir de la classe politique de maintenir un dialogue étroit avec l'Ouest et en particulier avec la France alors que la Russie se trouve dans une situation très difficile et est peut-être à la veille d'une réorientation de sa politique économique qui risque d'être mal comprise à l'étranger.

Notre conviction est que les pays occidentaux doivent en effet réviser leur jugement sur l'état de ce pays afin d'être prêts à jouer un rôle stabilisateur dans la période qui s'annonce.

I - LE DISCOURS DOMINANT DE L'OCCIDENT EST INADAPTÉ À LA RÉALITÉ

Au début des années 1990, l'esprit du temps a conduit beaucoup d'occidentaux à énoncer un théorème absurde : privatisations et ouverture sur l'extérieur devaient conduire à l'économie de marché, laquelle conduirait ipso facto à l'instauration de la démocratie dans tous les territoires de l'ancien pacte de Varsovie. Dans cette optique les "bons" gouvernements étaient ceux qui souscrivaient à cette nouvelle religion alors que tous ceux qui examinaient ce dogme avec circonspection ou hostilité étaient suspectés, à tort ou à raison, de conservatisme.

Cette illusion, déjà contestable appliquée aux pays d'Europe centrale et orientale, s'est révélée, après 7 années de transition, particulièrement nocive s'agissant de la Russie. Les recettes libérales ont eu assez peu de prise sur l'économie réelle ; elles ont favorisé le développement d'un capitalisme spéculatif qui a perverti la démocratie et précipité le marasme actuel.

A - La thérapie de choc n'a pas permis l'émergence d'une véritable économie de marché

Les Occidentaux ont incité la Russie à libéraliser brutalement une économie totalement administrée avant même de construire un Etat et sans mettre en place des mécanismes de régulation. Cette conception était partagée par les réformateurs russes, persuadés que cette thérapie porterait rapidement ses fruits. Sept ans après, force est de constater que la Russie n'a pas connu le même redressement que d'autres pays d'Europe centrale et orientale. Bien avant le déclenchement de la crise monétaire du mois d'août, certains économistes comme Jacques Sapir avaient dressé un constat accablant.

La liberté des prix, conjuguée à l'ouverture des frontières, a favorisé la croissance rapide des importations de biens de consommation créant une prospérité artificielle dans certains centres urbains (10 % de la population), laissant à l'écart le reste du pays et créant une dépendance dangereuse à l'égard de l'extérieur.

Les privatisations quant à elles, ont favorisé, au lieu d'une nouvelle classe d'entrepreneurs, l'émergence d'oligarchies rivales. Ces oligarchies entravent aujourd'hui la définition d'une politique économique axée sur l'intérêt général. Quelques conglomérats constitués autour d'un homme rassemblent, au hasard d'un monopoly étendu à l'échelle du pays, banques, médias, industrie primaire et import-export. Certains de ces hommes sont devenus des "King makers", comme on dit à Moscou.

Le démantèlement des entreprises n'a pas tenu compte du rôle social qu'elles jouaient dans l'ancien système. Ainsi, alors qu'une petite minorité s'est enrichie par le commerce et le placement de sa fortune sur des comptes off-shore, la majorité du peuple russe a fait l'expérience de la précarité capitaliste la plus noire.

Par la suite, notre appréciation des performances économiques russes a été trop optimiste. Sans doute, l'inflation a reculé et, à l'automne 1997, on pouvait penser que la récession avait atteint un plancher. Mais le PIB a reculé de 50 % depuis 1991, la pauvreté a augmenté, frappant retraités, enseignants, chômeurs et jeunes. L'espérance de vie masculine à la naissance a diminué de quatre années entre 1991 et 1996, phénomène sans précédent dans un pays en paix.

Cette récession n'a même pas créé les conditions du redressement. L'investissement dans l'économie réelle est resté faible et les capitaux étrangers investis ont atteint un niveau très bas : 3,5 milliards de dollars, soit un petit plus que la Hongrie. On estime que la fuite des capitaux a atteint 60 milliards de dollars au cours des cinq dernières années, soit les deux tiers de l'aide occidentale.

Le seul point fort de l'économie russe -l'exportation de matières premières et d'hydrocarbures- dépend du marché international. Or, à la fin de l'année 1997, les prix ont fortement baissé.

Les finances publiques n'ont jamais été assainies à cause du recouvrement insuffisant de l'impôt. En attendant le vote d'un nouveau code fiscal -qui traîne depuis deux ans- les impôts sont définis par des décrets. Beaucoup d'entre eux sont manifestement trop élevés et leur recouvrement incombe aux régions faute d'une administration du trésor, d'où des prétextes et occasions multiples de non recouvrement. De ce fait, l'Etat a été dans l'incapacité de payer ses fonctionnaires, les retraités et tous ceux qui dépendent encore des subsides publics.

A partir de 1996, le déficit a été financé par des émissions d'obligations à court terme (GKO) à des taux d'intérêt élevés, ouvertes aux investisseurs étrangers, créant une pyramide à la merci du moindre choc extérieur. Les non-résidents détenaient le tiers des 67 milliards de dollars de GKO en circulation.

Les banques occidentales ont fait preuve d'un aveuglement stupéfiant en plaçant près de 1200 milliards de francs sur le marché russe, en particulier à la bourse de Moscou dopée par une extraordinaire euphorie.

La crise monétaire du mois d'août a donné le coup de grâce à cette économie de casino. Dès la fin du second trimestre, la situation financière de la Russie conduisait inéluctablement à un krach qui a été reculé grâce à un versement du FMI.

La chute du rouble a frappé de plein fouet les banques russes, trop engagées en devises, tandis que la crise de confiance a provoqué l'effondrement du marché des obligations à court terme. La dévaluation et la hausse des prix ont provoqué la chute des livraisons de biens de consommation par les fournisseurs occidentaux et la réapparition des pénuries dans les centres urbains. Moscou -qui importe 70 % de ses biens- est particulièrement affectée alors qu'elle donnait une vision erronée du redressement de la Russie et nourrissait les illusions occidentales.

B - Pourtant, la démocratie russe existe

Notre visite nous a permis de constater l'attachement des forces politiques à la légalité constitutionnelle en dépit d'une crise économique et sociale dramatique. L'armée, malgré la crise profonde qu'elle traverse, est jusqu'ici restée neutre et passive. L'expression "démocratie", aux yeux de l'opinion est devenue synonyme de corruption, désordre et faillite, mais l'attachement aux libertés et aux mécanismes concrets de la démocratie reste fort dans le discours qui nous a été tenu par les dirigeants politiques, par les experts et par les journalistes russes. Le général Lebed s'est surtout présenté comme un recours, en aucun cas comme un putschiste.

Au moment de notre visite, il était clair que la crise trouverait une solution constitutionnelle et probable qu'un compromis entre la présidence et la Douma était en phase de maturation.

L'hypothèse que le Président choisirait l'affrontement demeurait d'actualité mais paraissait peu probable en raison des aléas d'une dissolution qui aurait accru le désordre et sans doute profité au parti communiste. Parallèlement, l'opposition parlementaire ne demandait plus le départ du président. Elle n'envisageait l'engagement de l'impeachment qu'en réponse à une menace de dissolution. Une troisième candidature de Victor Tchernomyrdine n'aurait pas manqué d'enclencher un tel processus.

Ainsi, pendant cette journée, nous avons été les témoins d'une crise parlementaire qui rappelait les plus mauvais jours de notre IVème République mais n'apparaissait pas comme annonçant une crise de régime. Chacun de nos interlocuteurs, plaidait pour son champion ou se livrait au petit jeu des pronostics.

Outre Victor Tchernomyrdine, la partie se jouait entre sept "premier ministrables".

Iouri Loujkov, maire de Moscou, 61 ans, candidat évident à la présidentielle, très populaire dans sa capitale, critique à l'égard des privatisations, allié avec les communistes pour la gestion de sa ville dont la direction serait revenue à son suppléant communiste s'il avait été nommé premier ministre.

Egor Stroïev, président du Conseil de la Fédération, communiste, 61 ans, en bons termes avec le Président.

Iouri Maslioukov, ministre communiste du gouvernement Kirienko, 60 ans, ancien responsable du Gosplan, partisan du soutien à l'industrie nationale, proposé par le PC comme premier ministre.

Victor Guerachtchenko, ancien président de la banque centrale soviétique, limogé en 1994, soutenant tour à tour la monnaie et l'industrie, 60 ans.

Grigor Iavlinski, président de Iabloko, économiste, réformateur de centre-gauche, auteur du programme des 500 jours sous Gorbatchev, 46 ans.

Alexandre Lebed, au gouvernement en 1996 puis limogé, gouverneur de la région de Krasnoïarsk depuis 1998, 48 ans.

Evgueni Primakov, ministre des affaires étrangères, membre du politburo en 1989-1991, ancien chef des services secrets.

Les partisans de Tchernomyrdine soulignaient son expérience et la volonté du Président de ne pas plier devant la Douma. Le maire de Moscou, Loujkov, apparaissait susceptible de réunir une majorité mais son ambition présidentielle aurait rendu invivable la cohabitation avec le Président Eltsine. En outre, il n'était pas assuré qu'il eut accepté cette fonction à un moment où la vitrine moscovite volait en éclats. Ni le général Lebed, candidat probable à l'élection présidentielle, ni Iavlinski ne pouvaient non plus être acceptés par le Président, d'autant que Iavlinski manquait de soutien parlementaire.

Le Président n'étant ni assez faible pour accepter un premier ministre fort, ni assez fort pour affronter la Douma, les noms les plus souvent cités étaient ceux de personnalités respectables mais sans équation personnelle forte. Tout paraissait se jouer entre Stroïev, Maslioukov, Guerachtchenko, Primakov ou une personnalité "exotique", proche du Président mais neutre, un gouverneur de région...

Ce suspens ne s'est pas dénoué avant notre retour mais le choix de M. Primakov paraissait plausible (absence d'ambition présidentielle, pas de responsabilité dans les évènements d'octobre 1993, l'artisan d'une politique étrangère mieux acceptée par la Douma que celle de son prédécesseur). Il avait en outre l'avantage d'avoir été proposé par Iavlinski et Ziouganov avait publiquement admis la pertinence de sa candidature. Seule ombre au tableau : son inculture économique qui tranche avec l'étendue de son expérience et de ses connaissances internationales.

Il fallait aussi que fut levée l'hypothèque d'une candidature communiste. Ziouganov était sans doute déterminé à l'empêcher en raison de ses ambitions présidentielles mais on ne pouvait exclure une candidature dissidente.

Sur un plan général, cette solution préserve la fonction présidentielle. Boris Eltsine est malade et politiquement affaibli mais son successeur héritera de l'essentiel de ses pouvoirs constitutionnels. Accessoirement, Boris Eltsine peut espérer entrer dans l'histoire comme l'homme de l'apaisement et de la stabilisation.

Elle marque également une revanche de la Douma sur octobre 1993. On ignore encore si les deux pouvoirs maintiendront l'accord politique intervenu entre Boris Eltsine et les forces parlementaires. Celui-ci prévoit de donner une base légale aux pouvoirs de la Douma pour la désignation des membres du gouvernement. Il prévoit aussi que le Président et la Douma renoncent l'un et l'autre à renverser le gouvernement jusqu'à la fin de la législature (décembre 1999). Conclu dans l'hypothèse d'une nomination de Tchernomyrdine, il n'est pas certain que cet accord s'appliquera à Primakov.

Cependant, il paraît probable que la crise aboutira à un rééquilibrage durable des pouvoirs. Cette perspective est à la fois rassurante et inquiétante. La Douma peut être une garantie contre un réformisme au forceps mais elle peut aussi bloquer toute évolution de la législation.

Les premières nominations confirment l'impression d'un compromis entre Eltsine et les communistes : Eltsine a nommé par décret 4 ministres : Igor Ivanov aux Affaires étrangères qui est un proche de Primakov ; Stepachine confirmé à l'Intérieur ; Sergueïev confirmé à la Défense et le premier ministrable communiste Maslioukov comme premier vice-premier ministre. Par ailleurs, le premier ministrable Guerachtenko a été nommé chef de la banque centrale et le groupe Iabloko a refusé de participer au gouvernement alors qu'il était à l'origine de la proposition de désigner Primakov.

Cette première impression peut être contrebalancée par la nomination d'Alexandre Chokhine, 46 ans, au poste de vice premier ministre chargé des finances. Il s'agit d'un membre du parti de Tchnernomyrdine, proche de Eltsine, qui a appartenu au gouvernement russe de la mi 91 à fin 94.

Le gouvernement Primakov sera un gouvernement de transition en attendant les législatives de la fin 1999. Mais l'essentiel est de savoir quelle politique il mènera et si les réformes seront désormais adoptées par consensus avec la Douma.

II - LA TRANSITION ÉCONOMIQUE EN RUSSIE DOIT ÊTRE REPENSÉE

Il appartient à la Russie de définir une nouvelle politique économique mais elle a besoin de notre aide concrète et de notre soutien intellectuel. Toutes les forces politiques russes conviennent que la construction d'une économie de marché ouverte sur l'extérieur demeure l'objectif à terme. C'est le cas aussi du parti communiste, du moins de ses principaux dirigeants. Mais il faut s'attendre à ce que les autorités reviennent à un certain dirigisme, du moins provisoirement, et qu'elles bannissent de leur langage un réformisme incantatoire qui excède l'opinion.

L'Occident ne doit pas redouter ou diaboliser ce réajustement avant d'en apprécier l'exacte portée concrète. Après tout, l'inflexion à laquelle M. Primakov a procédé dans le domaine de la politique étrangère avec un large consensus interne montre qu'il a su faire respecter la Russie sans rompre l'entente avec l'Ouest.

La nouvelle équipe devra retrouver la confiance du peuple russe et pas seulement celle du FMI. Elle devra aussi incarner l'autorité de l'Etat, malmenée par les oligarchies et par un fédéralisme déséquilibré.

Au chapitre des réformes de structures, le recouvrement de l'impôt, dimension essentielle de l'autorité de l'Etat, revêt une importance particulière dont on peut s'étonner qu'elle n'ait pas pris le pas sur l'impressionnant programme de privatisations réalisé par les précédents gouvernements. En 1997, l'Etat russe n'a perçu que 20% de ses recettes fiscales théoriques.

La solution passe par l'adoption d'un code fiscal dont la Douma n'a approuvé que la première partie. Il s'agit d'aboutir à un système simple. En particulier, la taxation de la valeur ajoutée devra porter sur les échanges réels, sans exclure les opérations de troc qui ont pris une ampleur exceptionnellle (50% des échanges inter-entreprises). On peut imaginer aussi que des taxes puissent être instituées sur les importations, l'alcool et les produits de luxe. Si le gouvernement Primakov parvient à vaincre les réticences de la Douma d'ici la fin de la législature il aura contribué à une évolution importante pour les finances publiques et le fonctionnement de l'économie réelle.

A notre sens, les relations entre l'Etat et les 89 sujets de la fédération doivent également être réexaminées. Les rapports de forces mais aussi un certain mimétisme pro-américain ont conduit à un système anarchique. L'impôt est recouvré par les régions faute d'une administration du trésor. La péréquation entre les régions fonctionne mal.

Mais le gouvernement devra également prendre des mesures d'urgence s'agissant du secteur bancaire et de la dette. L'objectif de la Russie est de sortir du moratoire prononcé par Kirienko, décision qui avait d'ailleurs contribué à sa chute, car la Russie ne veut pas rompre les ponts avec l'extérieur.

En tant que Premier ministre par intérim, Victor Tchernomyrdine avait annoncé des mesures combinant curieusement le dirigisme et le maniement de la planche à billets dans un premier temps, avant d'en revenir à l'orthodoxie libérale et monétariste, avec l'adoption du "currency board" qui aurait lié le rouble au dollar. Cette annonce s'est avérée incapable de freiner la chute du rouble.

La plupart de nos interlocuteurs n'ont pas su nous présenter un ensemble de mesures économiques et financières précises. Néanmoins, tous sans exception, y compris les libéraux, sont favorables à des mesures dirigistes à court terme, en particulier à l'égard des milieux bancaires. Aucun ne s'est déclaré favorable au currency board suggéré par le FMI.

Seul M. Ryjkov a donné un contenu à ce nouveau dirigisme qui consiste à brandir la menace de la nationalisation contre les acteurs économiques qui font preuve d'incivisme. Ainsi, certains exportateurs ont cessé depuis un mois de rapatrier leurs revenus. Certaines banques ont également placé leurs devises à l'étranger et utilisé les crédits de la Banque centrale à la spéculation sur le change. Des lois pourraient également garantir l'épargne populaire et des mesures administratives contrecarrer les effets de la crise d'approvisionnement. Selon lui, ces mesures ne remettent pas en cause l'économie de marché, ni l'ouverture sur l'extérieur, mais sont justifiées par l'urgence et la menace de la famine.

On devine l'accueil qui risque d'être réservé à cette politique par les tenants de l'ultra-libéralisme. Pourtant ces mesures, à condition de ne pas cacher un retour en arrière, risquent d'être temporairement nécessaires pour que la Russie construise une économie de marché socialement orientée, selon l'expression, hélas récente et donc tardive, de l'Union européenne.

Ce changement doit aussi être l'occasion de réviser notre propre politique d'assistance technique à la Russie. L'Union européenne doit orienter davantage son aide vers le développement des infrastructures : le logement, les transports, les télécommunications. Le programme Tacis emploie trop d'"experts", trop de consultants anglo-saxons qui n'ont aucune expérience de la gestion publique. Les Etats européens, la France en particulier, peuvent proposer les compétences de leurs fonctionnaires pour l'édification d'une administration performante et d'une législation moderne.

Par ailleurs, la situation de la Russie justifie une aide publique car les crédits privés ne sont pas près de revenir dans ce pays. Les banques allemandes en particulier auraient perdu l'équivalent de 100 milliards de francs. Les intérêts français sont proportionnellement moins affectés mais pour certaines entreprises le choc est rude : par exemple, Moulinex qui avait trouvé un débouché salvateur en Russie, ou les producteurs de porcs français.

Le Président de la Commission a autorisé la publication du présent rapport d'information.

ANNEXE 2 - PRINCIPAUX INDICATEURS ECONOMIQUES DE LA RUSSIE EN 1992-1997.

 

1992

1993

1994

1995

1996

1997(*)

PIB

- 14,5

- 8,7

- 12,6

- 4,0

- 5,0

1,0

Production industrielle

- 18,8

- 16,2

- 22,8

- 4,7

- 5,0

n.d.

Production agricole

- 9,0

- 4,0

- 12,0

- 8,0

- 7,1

n.d

Formation brute de capital fixe

- 40,0

- 12,0

- 24,00

- 10,0

- 18,0

- 5,0

Ventes au détail

- 3,5

1,9

0,1

- 7,2

- 4,0

0,7

Indice des prix à la consommation (moyenne annuelle)

1.526

875

307,4

197,7

47,7

17

Déficit budgétaire (en % du PIB)

- 21,6

- 7,2

- 10,4

- 5,5

- 8,3

- 8,0

Exportations (millions de dollars)

Importations (millions de dollars)

n.d.

n.d.

44.400

34.900

69.600

48.500

81.500

64.000

88.200

65.100

n.d.

n.d.

Solde commercial

(en millions de dollars)

n.d.

+ 9.500

+21.100

+17.500

+23.100

n.d.

Investissements directs étrangers nets (en millions de dollars)

700

400

600

2.000

2.000

n.d.

Dette extérieure (millions de dollars, fin d'année)

107.700

112.700

119.900

120.400

125.000

n.d.

Taux de chômage

4,7

5,5

7,5

8,9

9,3

9,1

Sources : "Le courrier des pays de l'Est" n° 428-429, mai 1998.

(*) prévisions

ANNEXE 3 - PROGRAMME DE LA VISITE

- 9 h : séance de travail à la résidence.

- 11 h : rencontre avec M. Iavlinski (président du groupe Iabloko).

- 13 h : rencontre avec Mme Aparina (groupe communiste, vice-présidente du groupe d'amitié Russie-France de la Douma).

- 13 h 30 : rencontre avec M. Selezniev, Président de la Douma (groupe communiste).

- 14 h 30 : rencontre avec M. Ryjkov, premier vice-président de la Douma (groupe "Notre maison la Russie").

- 15 h : rencontre avec M. Loukine, président de la Commission des Affaires étrangères (groupe Iabloko).

- 15 h 30 : rencontre avec M. Morozov, président du groupe "Régions de Russie".

- 16 h : rencontre avec M. Chokhine, président du groupe "Notre maison la Russie".

- 20 h : dîner en présence de politologues et de journalistes russes (M. Bounine, M. Kouzmine, M. Migranian, M. Vennediktov).

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N° 1096.- Rapport d'information de MM. Jean-Louis Bianco et René André, déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission des affaires étrangères, sur la mission effectuée par une délégation de la Commission en Russie.

1 1) Voir liste en annexe