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N° 1781

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 juillet 1999.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN (1) en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle constituée le 3 février 1999 (2),

ET PRÉSENTÉ

PAR M. DIDIER MIGAUD,

Rapporteur général,

Député.

--

ANNEXE N° 1


LA POLITIQUE AUTOROUTIÈRE

Rapporteur spécial : M. Jean-Louis IDIART

Député

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

(2) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Parlement.

INTRODUCTION 5

I.- LA POLITIQUE AUTOROUTIÈRE À L'ÉPREUVE DES RÉALITÉS FINANCIÈRES 7

A.- L'OPTION DU FINANCEMENT EXTRABUDGÉTAIRE 7

B.- L'ABSENCE DE POLITIQUE GLOBALE DES TRANSPORTS 9

1.- L'inapplication de la loi d'orientation des transports intérieurs 9

2.- Un mode de décision à réformer 9

II.- UN MODE DE FINANCEMENT PARTICULIER 12

A.- LA REMISE EN CAUSE DE L'ADOSSEMENT 12

B.- LE RECOURS À L'EMPRUNT ET L'ENDETTEMENT DES SOCIÉTÉS D'AUTOROUTES 14

1.- Le recours à l'emprunt 14

2.- La dégradation de la trésorerie des sociétés d'autoroutes 14

C.- L'ENDETTEMENT DU SECTEUR AUTOROUTIER 15

III.- REDÉFINIR LE SYSTÈME ROUTIER 19

A.- APPLIQUER LA LOI D'ORIENTATION DES TRANSPORTS INTÉRIEURS 19

B.- RÉFORMER LA FISCALITÉ ASSISE SUR LES AUTOROUTES 20

C.- PROMOUVOIR UNE UTILISATION DYNAMIQUE DES PÉAGES 21

AUDITIONS 25

1.- Audition de M. Christian Leyrit, directeur des Routes au ministère de l'Équipement, des Transports et du Logement (18 février 1999) 25

2.- Audition de M. Nicolas Jachiet, Chef du service des participations à la Direction du Trésor du ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie (18 février 1999) 39

3.- Audition de M. Bernard Val, Président-Directeur général de la société des autoroutes du sud de la France (4 mars 1999) 53

4.- Audition de M. Jean Mesqui, Président-Directeur général de la société des autoroutes de Paris-Normandie (4 mars 1999) 73

5.- Audition de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'Équipement,
des Transports et du Logement (29 avril 1999) 83

6.- Présentation du rapport de la Cour des comptes (24 juin 1999) 105

Laisser cette page blanche sans numérotation

INTRODUCTION

La mission d'évaluation et de contrôle mise en place par la commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a retenu comme premier thème de ses travaux la politique autoroutière. Ce choix se justifie par l'ampleur des dotations, l'importance des autoroutes au sein des différents modes de transport ainsi que par l'enjeu qu'elles représentent pour l'aménagement du territoire.

Stricto sensu, les autoroutes ne ressortissent pas de la politique budgétaire. L'État a en effet retenu la solution de la concession au bénéfice de sociétés d'économie mixte, avec un financement extrabudgétaire fondé sur l'autorisation d'emprunts et une tarification assise sur les usagers. Il a exercé néanmoins un rôle déterminant dans la sélection des projets, leur tracé et, au final, la garantie des emprunts. Comme le soulignait la Cour des comptes dans son rapport public de 1990, ce système a permis un développement rapide du réseau national, puisque ce dernier était passé de 1.600 kilomètres en 1960 pour atteindre 5.460 kilomètres en 1989 et 9.000 kilomètres en 1998. Mais en contrepartie, il a généré un endettement considérable, en raison d'une conception confuse de l'actionnariat public, de l'impossibilité pour les sociétés d'économie mixte de disposer d'une autonomie de gestion, d'une comptabilité dérogatoire et d'un niveau de péages sans rapport avec le coût des autoroutes.

Cet endettement provient indéniablement d'un décalage entre les contraintes financières et l'importance des autoroutes pour l'aménagement du territoire. L'État a privilégié l'équipement du territoire en acceptant un endettement croissant, qu'il considère toutefois comme maîtrisable.

Pour la mission d'évaluation et de contrôle, la question est moins de porter un jugement sur une politique désormais en voie d'achèvement que d'essayer d'obtenir un éclaircissement sur le coût des derniers tronçons à construire. Le rapport public de la Cour des comptes de 1990 et celui, plus récent, de juin 1999 ont analysé les dérives de notre système de concessions. En revanche, notre pays est confronté à des choix portant sur plus de 100 milliards de francs d'investissement, s'il veut achever le réseau ferroviaire à grande vitesse, développer le fret ferroviaire et le ferroutage ou moderniser les transports collectifs urbains. Dans ce contexte, toute rationalisation des décisions d'investissement autoroutiers donne plus de marge à la réalisation d'autres projets.

L'analyse de la politique autoroutière permet enfin de s'interroger sur les modes de décision des administrations centrales. Au cours des auditions qu'ils ont conduites, vos Rapporteurs ont constaté que le Comité des investissements économiques et sociaux (CIES) jouait un rôle de coordination et de décision, mais que les différences d'approche du ministère des Transports, du ministère de l'Economie et des Finances et du ministère de l'Environnement généraient des suppléments de coûts par rapport aux évaluations initiales. En outre, il apparaît que les modèles de prévision utilisés par le ministère des Transports n'ont pas toujours été conformes à la réalité des trafics. La rationalisation des procédures de décision du Gouvernement peut en ce domaine conduire à une utilisation plus pertinente des ressources publiques.

Le présent rapport paraît quelques jours après la publication du dernier rapport de la Cour des comptes sur la politique autoroutière française. Même si la mission d'évaluation et de contrôle n'est pas régie par les mêmes règles que la Cour, son analyse est proche de celle-ci, ce qui n'est guère étonnant, tant les causes des difficultés financières des autoroutes sont connues, et leurs conséquences à moyen terme prévisibles.

*

* *

I.- LA POLITIQUE AUTOROUTIÈRE À L'ÉPREUVE DES RÉALITÉS FINANCIÈRES

Si la commission des Finances de l'Assemblée et la Cour des comptes se sont intéressées simultanément au même sujet, c'est en raison du montant de l'endettement des sociétés autoroutières. Il atteint 134,7 milliards de francs, mais ce chiffre ne résulte pas d'une dérive. Il résulte de choix délibérés des différents gouvernements qui ont autorisé le financement des programmes autoroutiers.

A.- L'OPTION DU FINANCEMENT EXTRABUDGÉTAIRE

Le montant considérable des investissements destinés à réaliser le réseau autoroutier depuis 1960 a conduit l'État à privilégier un financement extrabudgétaire, plutôt qu'à utiliser le budget de l'État ou des collectivités locales. Ce choix s'est accentué ces dernières années, au point que le volume annuel des autorisations d'emprunt des sociétés d'autoroutes a souvent dépassé les crédits en faveur des routes :

CRÉDITS BUDGÉTAIRES EN FAVEUR DE L'INVESTISSEMENT ROUTIER

(en millions de francs)

 

Chapitre 53-43

Chapitre 63-42

 

AP

CP

AP

CP

1993

       

Crédits ouverts en LFI

     

78

Crédits disponibles

14.641

16.088

108

66

1994

       

Crédits ouverts en LFI

6.418

4.934

65

176

Crédits disponibles

13.580

13.196

330

102

1995

       

Crédits ouverts en LFI

5.186

4.281

136

226

Crédits disponibles

1.055

10.603

201

150

1996

       

Crédits ouverts en LFI

4.553

4.705

210

381

Crédits disponibles

10.622

11.565

267

188

1997

       

Crédits ouverts en LFI

3.392

4.187

115

272

Crédits disponibles

9.757

11.375

117

 

1998

       

Crédits ouverts en LFI

3.054

4.231

-

-

Crédits disponibles

-

-

-

164

1999

       

Crédits ouverts en LFI

2.765

3.760

135

-

Source : Ministère de l'Équipement, du Logement et des Transports.

AUTORISATIONS DU FDES/CIES RELATIVES AU SECTEUR AUTOROUTIER

(en millions de francs)

 

Engagements de sections nouvelles

Dépenses d'investissement

Enveloppe d'emprunts

1993

(P) 10.950

(P) 12.141

dont ICAS 2.890

(R)12.059

11.400

1994

(P) 13.950

(R) 13.954

(P) 14.000

dont ICAS 2.860

(R) 14.118

12.600

1995

(P) 13.960

(R) 15.961

(P) 16.500

dont ICAS 2.704

(R) 16.508

17.834

1996

 

(P) 17.597

(R) 17.543

 

1997

 

(P) 16.442

(R) 16.251

(P) 17.293

au titre du programme de construction

+ 774 d'emprunts spécifiques de refinancement (1)

(R) 16.920

au titre du programme de construction

+ 774 d'emprunts spécifiques de refinancement (1)

1998

 

(P) 13.646

(P) 14.355

1999

 

(P) 13.377

(P) 12.592

P : Prévisions

R :Réalisations

ICAS = investissement complémentaire sur autoroute en service

(1) Emprunts de la SAPRR pour faire face aux besoins de refinancement du groupe au titre de l'exercice 1996 (728 millions de francs pour la SAPRR, 46 millions de francs pour AREA)

Source : Cour des comptes.

L'avantage pour l'État a été double : il s'est affranchi des contraintes liées au déficit budgétaire et a pu mener des opérations à long terme, dans des délais rapides qui ne coïncidaient pas obligatoirement avec les rythmes d'un financement budgétaire. Le réseau routier financé par le budget général s'est, en revanche, dégradé, au point que le Gouvernement actuel fait de l'entretien de ce réseau une priorité. La concession, financée sur emprunt et fondée sur le système de l'adossement, a assuré le développement de la plus grande partie du réseau autoroutier. En contrepartie, l'État peut être conduit à mettre en jeu sa garantie si les sociétés d'autoroutes ne sont plus en mesure de faire face à leurs échéances de remboursement. Ce mécanisme n'est pas de pure hypothèse, car le système de l'adossement n'est plus conforme au droit communautaire.

B.- L'ABSENCE DE POLITIQUE GLOBALE DES TRANSPORTS

1.- L'INAPPLICATION DE LA LOI D'ORIENTATION DES TRANSPORTS INTÉRIEURS

Le recours à la concession autoroutière a été accentué en raison de l'absence de politique globale des transports. Malgré l'existence de la loi d'orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982, les gouvernements successifs n'ont pas établi de schéma général pour les différentes infrastructures de transport. Seuls le schéma directeur routier et le schéma directeur des TGV ont été élaborés, sans pour autant avoir été soumis au Parlement.

Cette inapplication se heurte incontestablement à des pesanteurs de longue date. Coordonner la politique des transports, c'est opérer des choix sur le long terme, qui signifient l'abandon de certains projets, ce que les élus locaux ne peuvent admettre. Pourtant, la contrainte financière ne permet pas d'assurer l'ensemble des programmes autoroutiers, routiers, ferroviaires, fluviaux et intermodaux. Il est donc de nécessité absolue que le Gouvernement applique la loi du 30 décembre 1982 précitée, afin de déterminer une politique globale des transports. Cette politique doit permettre de coordonner au mieux la desserte des régions, abaisser le coût global du transport et prendre en compte la protection de l'environnement. L'Allemagne, l'Italie et les Pays-Bas disposent déjà de schémas à cette fin.

La structure de l'administration accentue l'indécision gouvernementale. Le ministère des Transports juxtapose une direction des Routes et une direction des Transports terrestres, cette dernière étant principalement chargée des transports ferroviaires. Le ministère a certes constitué une cellule informelle réunissant les directeurs chargés des transports, mais elle n'a pas permis de progrès décisif.

2.- UN MODE DE DÉCISION À RÉFORMER

Les auditions conduites par vos Rapporteurs ont révélé l'absence d'unité administrative dans l'élaboration des projets d'autoroutes. L'instruction d'un dossier s'effectue par étapes successives, sans réelle coordination, et ce n'est qu'à l'étape ultime - le Comité des investissements à caractère économique et social - que l'ensemble des ministères compétents sont réunis. A ce stade, les projets sont en réalité quasiment instruits. Vos Rapporteurs ont également constaté que les différents services de l'État n'obéissaient pas aux mêmes modes de décision. Enfin, de fortes critiques se sont exprimées à l'encontre des modèles utilisés par le ministère des Transports.

On rappellera que la procédure d'instruction des dossiers comprend les études préliminaires, l'avant-projet sommaire, la déclaration d'utilité publique, le suivi et l'avant-projet autoroutier. Interviennent ensuite les travaux, puis le bilan économique, social et environnemental. Si la consultation des services déconcentrés de l'État (transports et environnement, principalement) est prévue dès le départ des études préliminaires, votre Rapporteur estime, à l'instar de la Cour des comptes, que la concertation interministérielle est peu satisfaisante. Elle aboutit à ne tenir compte que du coût initial des projets, dans la mesure où les effets sur l'environnement ne sont pris en compte que tardivement, parfois même au stade ultime de la procédure. De nombreuses études sont ainsi remises en cause à l'occasion de l'instruction mixte à l'échelon central, et le règlement de ces dernières se traduit par une majoration de leur coût. Il apparaît que chaque ministère obéit à sa propre logique - développer le réseau routier ou protéger l'environnement - en l'absence d'autorité coordinatrice.

Par ailleurs, les études du ministère des Transports se fondent sur des modèles d'évolution de trafic qui souffrent de nombreuses imprécisions. Les critiques émanent de la direction de la Prévision, du ministère de l'Environnement et de la Cour des comptes, et portent sur les bases d'évaluation (extrapolation d'études partielles), la nécessité d'adapter les paramètres d'affectation du trafic, l'impact de nouvelles liaisons, l'effet de la tarification et de la fiscalité sur les hypothèses de trafic. La concertation avec le public est également jugée insuffisante. Le ministère des Transports est en relation avec les services administratifs locaux et les élus, mais rarement avec les citoyens. Le ministère de l'Environnement déplore l'absence de solutions alternatives. Or, la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement confère force législative à l'organisation d'un débat public en amont des décisions d'aménagement. Mais une partie des décrets d'application n'est toujours pas publiée, et les dispositions déjà applicables ne sont pas toujours prises en compte par les circulaires de la direction des Routes.

Le fractionnement des projets par sections constitue en outre un obstacle à la rationalité et à la transparence des décisions. Bien que le décret du 25 février 1993 relatif aux études d'impact et au champ d'application des enquêtes publiques dispose que « lorsque la réalisation d'un programme est échelonnée dans le temps, l'étude d'impact de chacune des phrases de l'opération doit comporter une appréciation des impacts de l'ensemble du programme », la pratique révèle que les études ne sont pas suffisamment détaillées pour autoriser une telle appréciation.

Enfin, il n'existe apparemment pas de modèle incontestable d'évaluation de la rentabilité économique et sociale d'un projet autoroutier. Cette évaluation est une obligation prévue par l'article 14 de la loi d'orientation sur les transports intérieurs précitée, qui précise que « les grands projets d'infrastructures et les grands choix technologiques sont évalués sur la base de critères homogènes permettant de procéder à des comparaisons à l'intérieur d'un même mode de transport et entre différents modes ou combinaisons de modes ». Or, la direction de la Prévision a clairement mis en cause les modèles utilisés par la direction des Routes, la Cour des comptes relevant pour sa part de fortes disparités entre les évaluations des deux directions. Le stade parfois tardif des études méconnaîtrait certains facteurs, comme la relocalisation des activités économiques ou les stratégies d'utilisation des véhicules. La Cour met par ailleurs en cause les conditions de réalisation des études, jugeant que les prévisions de croissance du trafic, leur transparence insuffisante, l'absence de mesures destinées à réguler le trafic ou la sous-évaluation des coûts externes conduisaient à une appréciation erronée des montants financiers des projets.

Au-delà des critiques ponctuelles adressées à certains services ministériels (auxquelles ceux-ci n'ont pas manqué de répondre), vos Rapporteurs constatent l'absence d'unité de l'État dans la définition et la conduite des projets autoroutiers. Les procédures d'arbitrage n'interviennent qu'à la fin de l'instruction des dossiers. Il est évident qu'une réforme administrative s'impose, qu'il s'agisse d'une meilleure coordination des services ou de l'instauration d'une instance interministérielle de sélection et d'instruction des projets.

II.- UN MODE DE FINANCEMENT PARTICULIER

La politique autoroutière est fondée sur le système de la concession autoroutière au profit de sociétés d'économie mixte (SEM) et d'une société privée, Cofiroute. L'État est actionnaire des SEM par l'intermédiaire de la holding Autoroutes de France et de la Caisse des dépôts.

Ce système a été le principal outil de réalisation du réseau autoroutier, notamment lorsqu'il a fallu mettre en _uvre le schéma directeur du réseau routier national approuvé par le Gouvernement en 1992. 2.600 kilomètres d'autoroutes nouvelles étaient prévus. Pour parvenir à cet objectif, les concessions ont été réorganisées en 1994 afin d'utiliser les excédents des sections déjà amorties. Le rythme des investissements est passé de 13 milliards de francs par an sur la période 1989-1993 à près de 20 milliards de francs par an en 1996 et 1997. Il n'a cependant pu être respecté que par un recours massif à l'emprunt. De 100 milliards de francs en 1995, l'endettement des sociétés d'autoroutes est passé à 130 milliards en 1999 et est estimé à 160 milliards de francs pour 2005.

A.- LA REMISE EN CAUSE DE L'ADOSSEMENT

Le système d'adossement constitue une forme de péréquation financière, qui s'est substituée aux subventions, avances et emprunts garantis par l'État. L'adossement consiste à attribuer les concessions d'autoroutes nouvelles à des sociétés existantes, qui financent une partie de l'investissement par les recettes provenant des tronçons en service. Il nécessite en règle générale un allongement de la durée de la concession existante, afin de dégager des ressources supplémentaires. Or le contexte juridique a été modifié, fragilisant ainsi l'ensemble du montage financier mis en place pour les autoroutes.

Ce sont en premier lieu les règles communautaires qui ont exigé le respect du principe de concurrence. La directive n° 89/444/CEE du 18 juillet 1989, modifiée par la directive n° 93/37/CEE du 14 juin 1993 prévoit que « les pouvoirs adjudicateurs désireux d'avoir recours à la concession de travaux publics font connaître leur intention au moyen d'un avis. » Au plan national, l'article 38 de la loi du 29 janvier 1993 dispose que « les délégations de service public des personnes morales de droit public sont soumises par l'autorité déléguante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes. » Le décret d'application (31 mai 1993) a précisé que la collectivité déléguante définissait les caractéristiques quantitatives et qualitatives du cahier des charges, avec les conditions de tarification de la concession.

Juridiquement, l'adossement n'est ni explicitement prévu, ni expressément interdit par les textes statuant sur l'attribution des concessions de travaux publics. Mais à l'évidence, ses conditions de mise en _uvre peuvent entraîner une inégalité de traitement des candidats à la concession. Ainsi, une société d'économie mixte en place dispose déjà de relations privilégiées avec l'État concédant et peut en outre faire bénéficier l'usager d'économies d'échelle.

De même, la Commission des Communautés européennes estime qu'un allongement de la concession doit être considéré comme une concession nouvelle et doit être soumis à concurrence, dans la mesure où il prive un candidat éventuel du bénéfice de l'exploitation de la concession initiale et la date résultant de l'allongement. L'allongement des concessions existantes procure en effet aux sociétés un avantage financier de plusieurs milliards de francs.

A la demande de la Commission européenne, saisie en 1995 d'une plainte à l'encontre de l'extension de la concession de Cofiroute, le Gouvernement français s'est engagé à abandonner tout adossement par allongement de concession qui ne serait précédé d'une publicité européenne. Les appels à candidature pour la concession de nouvelles sections autoroutières ont, d'après le Gouvernement, strictement respecté les directives communautaires.

Le régime d'adossement a permis un développement rapide du réseau, avec l'avantage paradoxal de la soustraire aux impératifs de rentabilité financière. C'est un choix politique délibéré, et il faut l'admettre comme tel, d'autant que l'État n'engageait pas de crédits budgétaires, et que les emprunts contractés par les SEM ne sont pas comptabilisés dans la dette publique. Mais la fin du système original d'adossement, combinée à une rentabilité moindre des nouveaux tronçons ainsi qu'à l'endettement croissant des SEM pourrait conduire l'État à mettre en jeu sa garantie. Les membres de la mission d'évaluation et de contrôle ont émis l'hypothèse, devant les représentants de la direction du Trésor, de difficultés de remboursement par les sociétés autoroutières. Il leur a été répondu que l'État, jusqu'à présent, avait rallongé les concessions plutôt que de jouer son rôle de garant, mais qu'il n'y avait pas de certitude absolue sur une décision favorable de Bruxelles en ce sens, jusqu'en 2040.

B.- LE RECOURS À L'EMPRUNT ET L'ENDETTEMENT DES SOCIÉTÉS D'AUTOROUTES

1.- LE RECOURS À L'EMPRUNT

Les sociétés d'autoroutes sont essentiellement financées par l'emprunt depuis le début des années soixante-dix. Le volume des émissions est fixé par le comité des investissements à caractère économique et social (CIES). Ce comité est une instance interministérielle et constitue le seul stade de la procédure de décision où l'ensemble des ministres (Transports, Environnement, Économie) sont présents. La Cour des comptes a relevé que l'évaluation de la rentabilité économique et sociale des projets était récente (depuis 1997, date de la réforme de l'ancien FDES). Cette évaluation marque donc un souci de rigueur plus grand de l'État, mais ne laisse pas d'interroger sur les conséquences financières des autorisations quasi automatiques de lancements de tronçons d'autoroutes avant 1997.

De 1990 à 1997, l'enveloppe d'emprunts annuels est passée de 9,29 milliards de francs à 17,29 milliards, avant de revenir à 12,59 milliards de francs en 1999, soit un rythme de progression de 18 % par an entre 1993 et 1996. 90 % des dépenses du secteur autoroutier concédé sont financés par cette voie.

Or, les emprunts sont gagés sur les péages perçus sur les usagers et leur remboursement dépend de l'état de la trésorerie des sociétés d'autoroutes.

2.- LA DÉGRADATION DE LA TRÉSORERIE DES SOCIÉTÉS D'AUTOROUTES

Le montant des péages est fonction du trafic enregistré sur les sections d'autoroutes, et ce trafic détermine lui-même la rentabilité desdits tronçons. Les premières autoroutes ont été lancées sur des axes fréquentés et le mécanisme de l'adossement a permis la construction de liaisons moins rentables, dans un souci d'aménagement du territoire.

La rentabilité d'une autoroute s'apprécie au regard de son coût de construction, de la durée de la concession et de son trafic. Au fur et à mesure de l'avancement du programme autoroutier, les liaisons ont été bâties sur des territoires plus accidentés, dans des zones à moins fort potentiel économique. S'il est difficile d'établir un seuil incontestable de rentabilité, il est admis qu'un minimum de 1.500 véhicules par jour permet de couvrir les frais de péage. Près de 5.000 véhicules autorisent la couverture de l'équilibre d'exploitation ; enfin, 15.000 à 20.000 véhicules sont nécessaires pour couvrir la totalité des frais, y compris le remboursement des emprunts. A cet égard, aucune des opérations nouvelles décidées entre 1990 et 1997 n'est conforme aux seuils indicatifs de rentabilité. Les trafics sont notamment inférieurs aux prévisions, ce qui minore les recettes de péage.

Le second élément ayant concouru à la dégradation de la trésorerie des sociétés d'autoroutes réside dans l'alourdissement de leur fiscalité, avec la création du Fonds d'investissement pour les transports terrestres et les voies navigables (FITTVN).

On rappellera que le Fonds est alimenté par deux taxes, l'une sur les ouvrages hydrauliques concédés, l'autre sur les autoroutes concédées, dont le taux a été fixé à quatre centimes par kilomètre parcouru par l'article 44 de la loi de finances pour 1996. Contrairement aux intentions exprimées par le législateur, le FITTVN n'a que très peu financé de projets nouveaux, mais a abouti à un saupoudrage de crédits sur des actions engagées, pour lesquelles existaient déjà des lignes budgétaires à la section « Transports » du budget du ministère de l'Équipement, du Logement et des Transports. Comme le confirme la Cour des comptes, « les ressources du FITTVN ont été largement consacrées au financement d'opérations relevant du budget général ». En d'autres termes, le Fonds a surtout opéré une débudgétisation au prix d'un alourdissement de la fiscalité. Pour les sociétés d'autoroutes, le montant de cette fiscalité est désormais supérieur à leurs frais de personnel.

Dès lors, se pose la question du maintien de son existence. La Cour n'a pas proposé sa suppression, demeurant ainsi dans son rôle d'analyse et d'évaluation de l'efficacité de la dépense publique. La mission d'évaluation et de contrôle, opérant le même constat d'échec, peut en revanche demander au Gouvernement de rétablir l'orthodoxie budgétaire. La suppression de la taxe sur les autoroutes relève en effet de l'initiative du Gouvernement.

C.- L'ENDETTEMENT DU SECTEUR AUTOROUTIER

Au 31 décembre 1997, l'endettement des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes s'établissait à 134,7 milliards de francs. Cet endettement atteindra 148,7 milliards de francs en 2004 et sera résorbé en 2019. Ce schéma est toutefois grevé d'une double incertitude, financière et politique.

L'environnement économique et fiscal des sociétés ne doit pas varier : toute augmentation de la taxe au profit du FITTVN (s'il était maintenu) doit être exclue. Par ailleurs, les hypothèses d'évolution de trafic à moyen et long terme auront à être confirmées. Il s'agit à cet égard d'une forte marge d'incertitude, tant les coûts de construction, les frais d'exploitation, les taux d'intérêt ou les habitudes de transport peuvent être modifiées pendant les vingt années à venir. La Cour relève d'ailleurs - pour le regretter - que les études et hypothèses en la matière « n'ont pas été menées sur la base de scénarios contrastés d'évolution des paramètres économiques ».

L'incertitude politique provient de l'absence de choix clairs dans la détermination des infrastructures de transport : même s'il apparaît que la politique autoroutière arrive à son terme, la construction de nouveaux tronçons autoroutiers (non rentables) peut se poursuivre, accentuant encore l'endettement global des sociétés d'autoroutes.

DETTES INSCRITES AU BILAN DES SEMCA ( hors SFTRF) POUR L'EXERCICE 1997

 

ASF

ESCOTA

SAPRR

AREA

SANEF

SAPN

ATMB

Total

Dettes financières

               

Emprunts (1)

32.620.577

10.657.325

36.192.338

8.529.374

19.899.842

11.560.498

1.020.000

120.479.952

Augmentation des dettes financières (pertes de change)

26.480

1.264

23.416

       

51.161

Diminution des dettes financières (gains de change)

- 9.313

- 574

- 4.491

 

- 718

- 68

 

- 15.164

sous-total

32.637.745

10.658.016

36.211.263

8.529.374

19.899.124

11.560.430

1.020.000

120.515.952

Avances des collectivités territoriales (indexation comprise)

       

80.000

 

720.902

 

Avances de l'État (indexation comprise)

205.334

435.568

98.708

     

212.308

 

Avances du groupe (indexation comprise)

 

2.138.667

 

1.716.731

 

113.600

3.855.398

 

sous-total

205.334

2.574.235

98.708

1.716.731

80.000

113.600

0

4.788.608

Avances à recevoir de l'État

             

0

Avances à recevoir des collectivités territoriales

 

5

         

5

Autres dettes (2)

1.288.498

477.960

2.033.584

447.442

764.845

591.023

20.321

5.623.672

sous-total

1.288.498

477.965

2.033.584

447.442

764.845

591.023

20.321

5.623.677

Dettes d'exploitation

               

Dépôts et cautionnements

10.437

2.671

10.666

8.921

2.583

 

60

35.337

Dettes sur achats/prestations/comptes rattachés

117.451

26.476

87.007

30.395

53.396

8.770

43.066

366.561

Dettes fiscales et sociales

316.275

59.649

151.415

46.774

153.947

29.532

15.680

773.273

Autres dettes

28.888

3.416

170.673

1.173

3.798

10.703

25.104

243.754

Avances et acomptes reçus sur commandes en cours

     

2

23.562

 

515

24.078

sous-total

473.051

92.212

419.761

87.264

237.285

49.005

84.425

1.443.003

Dettes hors exploitation

               

Dettes sur immobilisations et comptes rattachés

178.465

             

Autres dettes (3)

269.927

             

sous-total

448.392

40.428

285.801

57.234

164.197

69.358

275.431

1.340.841

                 
 

1.932.046

725.142

2.232.640

538.090

1.382.474

41.423

 

6.851.714

 

116.310

60.870

614.234

38.787

30.599

159.813

230

1.020.843

 

269.927

 

1.338

4.018

   

204.014

479.297

(1) dont emprunts à moins d'un an

(2) dont soldes créditeurs de banques et avances de trésorerie inter s ociétés

(3) dont fonds de concours restant à payer

Source : Cour des comptes.

Jusqu'à présent, le remboursement de la dette a pu être reporté, en raison de la restructuration des sociétés mixtes, de l'adossement et du système des charges différées. La fin prévisible de l'adossement rend obligatoire ce remboursement à échéance ; compte tenu des frais financiers et des charges différées, l'échéancier pour les sociétés s'établit ainsi :

 

Date de fin
de concession

Date
de remboursement de la dette totale

Date de résorption des charges différées

Solde de trésorerie avant impôt en fin de concession

(en millions de francs)

AREA

2017

2017

 

2.428

SAPRR

2017

2017

 

6.200

ESCOTA

2014

2014

 

2.805

ASF

2019

2019

 

14.050

SAPN

2016

non remboursée en fin de concession (4.275 millions
de francs)

charges non résorbées en 2016 (4.546 millions
de francs)

 

Source : Cour des comptes.

Ainsi que l'ont précisé vos Rapporteurs, l'apurement de la dette est soumis à plusieurs conditions, parmi lesquelles la prolongation de l'adossement pour la Société des autoroutes Paris-Normandie (SAPN), qui restera endettée à la fin de sa période de concession, et la réduction du rythme d'investissement du secteur autoroutier. La Cour des comptes rappelle en effet que « dans l'hypothèse où serait maintenue la décision d'accélérer la réalisation du programme autoroutier avec l'engagement de l'ensemble du programme autoroutier d'ici 2003, soit un montant d'investissement, hors investissements complémentaires sur autoroutes en service, de 116 milliards de francs sur la période 1997-2003, la dette des six principales SEMCA atteindrait un maximum de 215 milliards de francs en 2016 selon les études « extension » réalisées en 1997. Cependant, si l'on élargit le champ des concessions à de nouvelles sections, le remboursement de la dette devient très aléatoire car il dépend encore plus de l'évolution des différents paramètres économiques, imprévisible à un horizon aussi éloigné. Au demeurant, une telle hypothèse ne paraît plus envisageable, compte tenu du nouveau contexte juridique qui ne devrait plus permettre la poursuite de l'adossement par allongement des concessions. »

Si le Gouvernement n'a pas remis en cause le schéma autoroutier, le ministre des transports a précisé devant l'Assemblée nationale, le 22 octobre 1998, qu'il devrait tenir compte des évolutions juridiques tant au niveau national qu'au niveau européen. Au cas où l'intégralité du programme serait maintenue, la charge de la dette serait accrue, et pèserait sur le budget de l'État, après mise en jeu de sa garantie.

III.- REDÉFINIR LE SYSTÈME ROUTIER

Ainsi que l'on constatera à la lecture du rapport de la Cour des comptes, et des comptes rendus d'auditions de la mission, la nécessité de maîtriser l'endettement des sociétés d'économie mixte, alors que le contexte juridique sera modifié exige une réforme du secteur autoroutier. Mais cette réforme est inséparable d'une redéfinition de la politique des transports et de la politique routière.

A.- APPLIQUER LA LOI D'ORIENTATION DES TRANSPORTS INTÉRIEURS

La plupart des dispositions de la loi d'orientation des transports intérieurs permettrait de mieux coordonner les choix d'infrastructures. Mais comme le relevait Montesquieu, « une loi doit être conforme aux m_urs ». La pression des élus locaux et la facilité procurée par un financement extrabudgétaire ont conduit à lancer de nombreux projets, sans les inscrire au sein d'une réflexion sur l'intermodalité.

La contrainte de l'endettement devient désormais pressante puisque les S.E.M. ne pourront plus, à terme, bénéficier de l'adossement. Au delà de l'équilibre financier de ces sociétés, les nouvelles règles juridiques exigent que l'État fasse les choix politiques qui s'imposent, après le débat parlementaire (qui n'a toujours pas eu lieu) sur les schémas d'infrastructure, en définissant clairement les liaisons routières, autoroutières, ferroviaires, aériennes et fluviales qui irrigueront le territoire, compte tenu des disponibilités financières.

L'application intégrale du dispositif de la loi d'orientation sur les transports intérieurs constitue une première réponse. Cette loi exige en effet une coordination des vecteurs de transport en tenant compte de l'intermodalité, et prévoit le principe d'une intégration des coûts économiques, sociaux et environnementaux dans le calcul de rentabilité des projets. Le corollaire de sa bonne application réside dans la modernisation des outils d'évaluation, notamment les modèles de prévision, et surtout dans l'amélioration de la coordination des services de l'État. Sans cette coordination, la loi ne sera jamais correctement mise en _uvre, car les différentes directions des ministères des Transports, de l'Environnement et de l'Équipement continueront à travailler dans la seule logique qui relève de leur compétence.

Le Gouvernement a indiqué à la Commission des Communautés européennes les principes directeurs qui guideront désormais la politique autoroutière :

- inscrire le financement, la réalisation et l'exploitation de son réseau autoroutier dans le cadre du partenariat public-privé ;

- organiser la mise en concurrence transparente pour l'attribution des concessions des nouvelles sections autoroutières ;

- assurer une plus grande neutralité des choix entre types d'investissement et entre modes de transport.

Pour respecter pleinement les principes de transparence et de concurrence issus du droit européen, le gouvernement français ne recourrait plus au système d'adossement « sous sa forme actuelle » mais ferait « appel à des aides publiques nécessaires à l'équilibre financier des futures concessions d'autoroutes notamment sous forme de subventions ». L'annonce par M. le ministre des Transports du « nouvel objet autoroutier » (liaison rapide ayant des caractéristiques techniques proches de celles d'une autoroute) est une conséquence de cette contrainte financière. Elle vise à achever le programme routier, mais on peut regretter qu'elle ne participe pas d'une redéfinition du schéma national des infrastructures.

B.- RÉFORMER LA FISCALITÉ ASSISE SUR LES AUTOROUTES

Le FITTVN fait l'objet de critiques constantes. Pour autant, son existence est maintenue alors qu'il a opéré une débudgétisation et que, globalement, le montant des crédits consacrés aux routes dans le FITTVN et dans le budget général ne cesse de diminuer.

RÉCAPITULATION DES CRÉDITS DES ROUTES

(en millions de francs)

 

1998

1999

 

AP

CP

AP

CP

Budget général

4.924

7.399

4.756

7.009

FITTVN

1.835

1.835

1.590

1.590

Total

6.759

9.234

6.346

8.599

De manière générale, le FITTVN n'a contribué qu'à stabiliser les dotations allouées aux transports et sa présentation tend surtout à masquer le véritable débat, qui porte sur les investissements dont notre pays a réellement besoin au regard de ses ressources budgétaires. A ce jour, le FITTVN se révèle comme un marché de dupes, dans la mesure où il a seulement alourdi la fiscalité sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes et les gestionnaires d'ouvrages hydroélectriques, sans apporter de réponse aux problèmes essentiels. La politique consiste à dégager des priorités et à les financer. Le FITTVN n'a que l'appellation de compte d'affectation spéciale, mais il ne finance aucune politique spécifique. Il conviendrait de le supprimer. Cette suppression ne saurait cependant intervenir de manière aveugle, sur le seul principe de l'unité budgétaire. Il importe que le Gouvernement, en liaison avec le Parlement, poursuive la réflexion sur ses choix et établisse le schéma directeur des transports, qui contiendra clairement les projets d'infrastructures que la Nation souhaite retenir, compte tenu des moyens budgétaires. Ces moyens devront ensuite être inscrits aux différentes lignes du seul budget du ministère des Transports, dont la vocation est de retracer les dépenses de l'État.

En raison de l'article 40 de la Constitution, le Parlement ne peut proposer de sa propre initiative la suppression de la taxe assise sur les sociétés d'autoroutes et les gestionnaires d'ouvrages hydroélectriques. Il appartient au Gouvernement de proposer une telle mesure. Celle-ci serait logique, dans la mesure où les contraintes juridiques et financières entraîneront le ralentissement du programme autoroutier. Les besoins de financement étant moindres, le prélèvement sur la trésorerie des autoroutes ne se justifiera plus.

C.- PROMOUVOIR UNE UTILISATION DYNAMIQUE DES PÉAGES

A de rares exceptions, les péages sont actuellement conçus comme une fiscalité assise sur les usagers, dans le seul but de permettre l'entretien des autoroutes et le remboursement des emprunts. Or, le secteur des transports connaît de profondes évolutions, liées notamment à l'urbanisation croissante de notre pays. Les liaisons sont de plus en plus intra-urbaines, ce qui génère des investissements lourds dans des espaces réduits, avec des contraintes liées à l'environnement. Les usagers recourent eux-mêmes à plusieurs modes de transport, en fonction des commodités et de la tarification qui leur sont offertes.

La demande de transport a une élasticité certaine avec les prix et la fiscalité. Qu'il s'agisse du transport inter ou intra-urbain, la modulation des péages peut orienter les voyageurs d'un mode vers l'autre. Le principe d'une nouvelle tarification pourrait reposer sur :

- la segmentation de la clientèle potentielle, notamment sur les trajets courts. Une connaissance plus exacte des voyageurs permettrait d'alléger le trafic autoroutier d'une agglomération pour l'orienter vers les transports en commun ;

- faire acquitter le prix du transport et non le prix du seul vecteur de transport. Les usagers conçoivent un déplacement et choisissent ensuite le mode de transport qui leur est proposé. Les progrès techniques permettent par exemple de concevoir la mise en place d'une carte de transports donnant accès au réseau autoroutier et ferroviaire à l'échelon régional ;

- lier la tarification des autoroutes non au seul trajet kilométrique mais à la qualité des services rendus.

*

* *

Si la politique autoroutière arrive à son terme, la maîtrise de l'endettement est grevée d'incertitudes. Des mesures ponctuelles sont certes envisageables, mais l'essentiel réside dans un changement plus global de la politique des transports.

· Élaborer un schéma national des infrastructures

Les ressources de la Nation sont limitées, et l'on ne peut financer l'ensemble des liaisons routières, autoroutières, ferroviaires et fluviales. Il faut définir l'ensemble des priorités à l'aune des disponibilités budgétaires, dans le cadre de la dernière loi d'aménagement du territoire.

· Présenter au Parlement, avant le projet de loi de finances pour 2001, un projet de loi de programmation des infrastructures de transport.

Il s'agit de soumettre au vote du Parlement un schéma complet d'infrastructure de transport, indiquant, en autres dispositions, le coût des différentes liaisons autoroutières, définissant celles qui ne sont pas rentables mais qui présentent un intérêt pour l'aménagement du territoire, et établissant les principes d'un mode de tarification urbaine. Dans l'attente du vote de cette loi, aucune autoroute nouvelle ne doit être lancée.

· Développer le nouvel objet autoroutier qui permet de construire des liaisons rapides à moindre coût.

· Réaffecter la taxe d'aménagement sur le territoire, assise sur les sociétés d'autoroutes, à son objet initial.

Cette taxe, qui pèse sur les sociétés d'autoroutes, a été créée pour financer des programmes nouveaux d'investissements, en sus de ceux prévus par le budget général. Or, elle a simplement masqué la diminution des crédits budgétaires, alloués aux transports. Telle n'était pas l'intention du Parlement dont le vote n'ainsi pas été respecté.

· Réformer les procédures d'instructions et de décision de l'État. La mission d'évaluation et de contrôle a constaté - et regretté - le fractionnement excessif des stades d'instruction, la dispersion des services de l'État, l'absence totale d'unité de l'État. Votre Rapporteur préconise la mise en place d'une instance interministérielle d'instruction des projets autoroutiers, associant les principaux ministères intéressés : Transports, Environnement, Économie et Finances.

· Informer le Parlement de la situation financière des sociétés d'autoroutes afin que celui-ci ait connaissance de leur situation financière.

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AUDITIONS

1.- AUDITION DE M. CHRISTIAN LEYRIT, DIRECTEUR DES ROUTES
AU MINISTÈRE DE L'ÉQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT.

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 18 février 1999)

Présidence de M. Philippe Auberger, Président

A l'invitation du Président, M. Christian Leyrit est introduit. Le Président lui rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il donne ensuite la parole, pour une première question, à M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial de la commission des Finances de l'Économie générale et du Plan sur les crédits des transports terrestres.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Monsieur le directeur, le recours au système de concessions a permis de concrétiser de nombreux programmes autoroutiers jusqu'à ce jour. Cependant, n'est-il pas devenu une facilité, notamment au regard de la stagnation du budget des routes ? A-t-on sciemment privilégié l'autoroute pour des raisons budgétaires ?

M. Christian Leyrit : En effet, la France a choisi, depuis 1955, de réaliser les infrastructures autoroutières par voie de concession. Il convient de rappeler qu'en 1963, il y avait, en France, soixante kilomètres d'autoroute, alors qu'il y en avait plusieurs milliers en Italie, en Allemagne et en Angleterre.

Lorsque ce système a été mis en place, il y a trente ou quarante ans, l'État a donc dû verser des avances de trésorerie aux sociétés concessionnaires et garantir les emprunts. Les gouvernements successifs ont décidé d'encourager le développement des réseaux autoroutiers au fur et à mesure de leur réalisation, en prolongeant les concessions : l'échéance est aujourd'hui 2017-2020.

Ce système a permis de rattraper un retard considérable, mais présente une facilité par rapport au financement budgétaire. Du fait de la prolongation des concessions, c'est l'usager de 2020 qui paiera les infrastructures d'aujourd'hui. Il convient d'y ajouter des financements à 100 % sur crédits d'État, notamment pour les autoroutes du Massif Central et pour le plan routier breton. Par ailleurs, certaines autoroutes gratuites sont financées dans le cadre des contrats de plan État-Région, à moitié par chaque partie contractante.

Actuellement, la plupart des pays du monde font appel au financement par l'usager. Selon de récentes études, 84 % des Français considèrent qu'il est logique de faire financer les grandes infrastructures non pas par le contribuable, mais par l'usager. Si nous voulions réaliser le même programme autoroutier en faisant appel au contribuable, cela conduirait à augmenter l'impôt sur le revenu de tous les foyers fiscaux de 1.500 francs par an.

M. Philippe Auberger, co-président : Je ne suis pas sûr que vous ayez répondu exactement à la question du rapporteur : n'a-t-on pas privilégié l'autoroute, dans la mesure où il est plus facile de financer un kilomètre d'autoroute qu'un kilomètre de renforcement coordonné, c'est-à-dire de route nationale à quatre voies ?

M. Christian Leyrit : Le système français par adossement était une facilité, puisqu'on équilibrait la concession sur un paquet global ; mais cette période est révolue. Cependant, si l'on analyse bien le schéma autoroutier, je ne suis pas sûr que l'on puisse dire que beaucoup de liaisons n'auraient jamais dû être réalisées.

Aujourd'hui la situation est complètement différente, puisque depuis le 1er janvier 1998, et à la suite de discussions que nous avons eues à Bruxelles entre 1995 et 1997, ce système d'avenant à des concessions globales est terminé. Les nouvelles concessions devront être isolées et équilibrées en elles-mêmes. Cela veut dire que si une opération n'est pas équilibrée financièrement dans le cadre de la concession, le tronçon d'autoroute en cause devra bénéficier de subventions publiques de l'État et des collectivités locales ; la meilleure solution devra donc être choisie. Dans le système précédent, il est exact que le principe de financement induisait assez largement les choix.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis de la commission de la Production et des Échanges sur les crédits de l'Équipement et des transports terrestres : Monsieur le directeur, quels sont les éléments qui fondent la décision de lancer une autoroute, et quelle est la part, dans cette décision, du dimensionnement des ouvrages, des considérations d'aménagement du territoire, de la rentabilité économique et du coût d'entretien ?

M. Christian Leyrit : Depuis de nombreuses années, existe un schéma directeur routier national, dont le projet de loi d'orientation sur l'aménagement et le développement durable du territoire prévoit d'ailleurs le remplacement par des schémas de services.

Ce schéma est préparé à partir d'études menées notamment par le ministère de l'équipement et le ministère des finances. Il est élaboré par le Gouvernement, soumis aux conseils régionaux et à un certain nombre d'organismes, tels que le conseil national des transports, puis approuvé définitivement par le Gouvernement.

Bien entendu, les études préalables prennent en compte, notamment, l'évaluation de la rentabilité socio-économique des projets qui vise à déterminer quel est l'intérêt pour la collectivité, dans son ensemble, du projet - sur le plan du gain de temps, de la sécurité, des perturbations du nouveau projet, etc.

A la suite du rapport de la Cour des comptes de 1992, qui soulignait la nécessité de rénover les outils d'étude à notre disposition, l'on a mis en _uvre un dispositif extrêmement important d'amélioration des études socio-économiques. C'est ainsi qu'une récente circulaire prescrit de prendre en compte la traduction monétaire des effets sur l'environnement, notamment le bruit, l'effet de serre et la pollution ; elle a été signée à la suite du rapport de la Cour des comptes et d'une étude commandée à M. Marcel Boiteux.

Les études de rentabilité financière, quant à elles, visent à déterminer l'intérêt pour un opérateur donné de réaliser tel ou tel projet.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis : Comment les évaluations socio-économiques sont-elles chiffrables ? Par ailleurs, vous n'avez pas répondu à la question concernant les coûts d'entretien et la dimension des ouvrages.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Le recours au régime autoroutier n'a-t-il pas entraîné, dans certaines circonstances, un surdimensionnement des ouvrages ?

M. Christian Leyrit : S'agissant du dimensionnement des ouvrages, lorsque le schéma directeur prévoyait une autoroute - concédée ou non - les projets étaient réalisés en fonction du trafic à long terme - 15 ou 20 ans. Généralement, les autoroutes réalisées étaient à deux fois deux voies. Néanmoins, lorsque le trafic était modéré à l'horizon de 10 ou 15 ans, et que des ouvrages importants étaient déjà prévus, il est arrivé, fréquemment, que l'on réalise ces ouvrages à deux voies, quitte à les doubler ultérieurement. Mais cette façon de procéder coûte plus cher.

Nos études visaient à savoir si l'on pouvait tenir suffisamment longtemps avec un ouvrage à deux voies, de façon à déterminer si le différé d'investissements était suffisamment important pour permettre globalement une économie.

M. Philippe Auberger, co-président : Les normes autoroutières actuelles ne sont-elles pas supérieures aux normes applicables aux routes ? Le fait de passer à l'autoroute n'induit-il pas des coûts techniques supplémentaires ?

M. Christian Leyrit : Il est exact qu'aujourd'hui, lorsque, pour un projet autoroutier, le trafic à la mise en service est de 8.000 à 10.000 véhicules-jour, on a le sentiment que la taille des projets pourrait être un peu plus réduite. C'est la raison pour laquelle nous sommes en train d'étudier, pour des trafics relativement modérés, inférieurs à 10.000 véhicules-jour, « un nouvel objet autoroutier », dont le cahier des charges est le suivant : il doit s'agir d'un ouvrage qui puisse être concédé, qui présente un excellent niveau de sécurité - pas d'accès à des riverains, pas de carrefours à niveaux, avec séparateur central -, mais qui puisse être adapté au trafic, c'est-à-dire qui puisse être, par exemple, réalisé à deux fois une voie, avec une bande d'arrêt d'urgence et des créneaux de dépassement adaptés au trafic. Nous nous sommes fixés pour objectif d'atteindre, avec ce nouvel objet autoroutier adapté au trafic de transit relativement faible, une économie de 30 %.

Il est tout à fait exact qu'entre 1991 et aujourd'hui, le coût des autoroutes a augmenté de manière considérable, en liaison avec la demande croissante des populations, et également avec l'ensemble des lois sur l'environnement - lois sur l'eau, sur le paysage, sur les études d'impact, le bruit. Alors que dans les années 1990-1991, le coût moyen d'une autoroute classique à deux voies était de l'ordre de 32 millions de francs, il est aujourd'hui de 45 millions de francs. Compte tenu de cet accroissement important du coût, la mise en _uvre à titre expérimental du « nouvel objet autoroutier » permettra de déterminer quel prix les citoyens accepteraient de payer pour un objet qui n'est pas tout à fait une autoroute, mais qui présente un très bon niveau de service et de sécurité.

L'opinion publique a le sentiment que les autoroutes que nous construisons aujourd'hui ont un trafic à la mise en service beaucoup plus faible que par le passé. Cela est totalement faux. J'ai ici la moyenne des trafics des nouvelles liaisons concédées ouvertes à la circulation l'année qui suit la mise en service. Entre 1975 et 1979, le trafic moyen était de 7.500 véhicules-jour ; entre 1985 et 1989, il était de 8.200, et entre 1990 et 1994, de 9.100.

Le potentiel de croissance pour un certain nombre de liaisons est, évidemment, différent. Mais les niveaux de trafic à la mise en service ne sont pas plus faibles qu'il y a 20 ans.

Le Président Augustin Bonrepaux : Monsieur le directeur, faites-vous systématiquement une comparaison entre l'amélioration des routes nationales et le projet autoroutier ? Par ailleurs, avez-vous fait des comparaisons de coûts entre les autoroutes françaises et celles des autres pays ?

M. Christian Leyrit : En ce qui concerne la comparaison des autoroutes concédées et non concédées, depuis trois ou quatre ans, dans tous les dossiers d'enquête publique des autoroutes concédées, on fait une évaluation de la solution d'aménagement sur place, c'est-à-dire de la solution gratuite. Or, contrairement à ce que beaucoup pensent, l'écart entre la mise en route express ou en autoroute d'une route existante et le coût d'une autoroute concédée nouvelle est souvent faible, de 10 à 15 %.

En outre, l'aménagement d'une route existante se heurte à des contraintes extrêmement importantes. Les problèmes de voisinage, d'environnement sont alors beaucoup plus difficiles à résoudre que lorsqu'on réalise un projet autoroutier au tracé totalement neuf, pour lequel on peut véritablement choisir son terrain. Ainsi, dans la région Midi-Pyrénées, lorsqu'on a voulu transformer en autoroute la liaison entre Muret et Martres-Tolosane, les coûts finaux n'étaient pas très éloignés - ils pouvaient même être plus élevés - de ceux qu'aurait entraînés la construction d'une véritable autoroute en tracé neuf. Et les contraintes pour l'ensemble des populations ont été très fortes.

Evidemment, cela ne veut pas dire qu'une telle transformation n'est jamais une bonne solution. Simplement, depuis trois ou quatre ans, systématiquement, nous faisons une comparaison entre un tracé neuf et l'aménagement de la route nationale.

En ce qui concerne les comparaisons internationales - je participe au club des directeurs des routes de l'Europe occidentale - la direction des routes, pour les quinze pays de l'Union, a réalisé une étude comparative que je pourrai vous faire parvenir, et qui permet de constater que les coûts sont en général plus élevés dans les autres pays européens.

Nous réalisons également des comparaisons avec les États-Unis et le Japon. Or le coût des autoroutes au Japon est à peu près trois fois plus élevé que les projets les plus coûteux en Ile-de-France. Je rappelle que le coût de construction de certains tronçons de l'autoroute A 86 en Ile-de-France varie entre 500  millions de francs et un milliard de francs le kilomètre, pour des autoroutes à deux fois trois voies.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : En 1990, la Cour des comptes a souligné l'insuffisance des études en matière économique. Jusqu'à quel coût, au kilomètre, considère-t-on que l'usager choisira de rester sur l'autoroute ? Par ailleurs, sait-on à partir de quel prix il utilisera plutôt le rail ?

M. Christian Leyrit : La réponse n'est pas simple. Il convient tout d'abord de distinguer la rase campagne du milieu urbain. Un certain nombre de projets en milieu urbain - en Ile-de-France, à Marseille ou à Lyon - visent à faire gagner du temps à l'usager. Le prix que les usagers sont prêts à payer est donc différent en zone urbaine et en rase campagne. Je vous rappelle que le tarif moyen des péages en rase campagne est de l'ordre de 40 centimes le kilomètre, alors qu'il est de 2 ou 3 francs en zone urbaine.

Prenons l'exemple de l'autoroute A 14 entre Orgeval et la Défense : le tarif est de 37 francs pour 15 kilomètres. Or étant donné qu'il s'agit d'une autoroute à péage que l'on doit rendre totalement fluide, nous allons être conduits, le 1er mars, à augmenter le tarif de ce péage, en raison de la saturation (bien entendu, il existe des formules d'abonnement qui permettent de réduire le coût des deux tiers). Cela veut dire qu'un grand nombre d'usagers estiment que payer 37 francs pour gagner trois quarts d'heure est encore intéressant, la fiabilité du temps de parcours étant jugée très importante en Ile-de-France. Les usagers qui restent sur le réseau gratuit bénéficient eux aussi d'un trafic plus fluide.

En rase campagne, nous ne disposons pas d'études sur l'élasticité du niveau du trafic par rapport à la demande. Nous constatons que le trafic augmente de manière importante sur les autoroutes concédées de plus de 4,5 % en 1998. Il augmente plus vite sur les autoroutes concédées que sur le réseau national. Je ne pense donc pas, sauf cas très particulier, que les tarifs des péages soient dissuasifs. J'ajouterai que le péage ne représente que 2 % du coût annuel d'un véhicule.

Dernier point, entre 1980 et 1998, les tarifs des véhicules légers ont augmenté légèrement moins que l'inflation, alors que ceux des poids lourds ont augmenté davantage. Depuis quatre ou cinq ans, les tarifs des péages ont augmenté plus vite que l'inflation. L'une des raisons en est la compensation du doublement de la taxe d'aménagement du territoire : le Parlement a décidé, en février 1995, d'instituer un prélèvement, de deux centimes par kilomètres parcouru, sur les sociétés autoroutières, dont le tarif a doublé en 1996.

Le Gouvernement a décidé alors, compte tenu des difficultés financières des sociétés autoroutières, de compenser ce doublement. Nous avons étalé la hausse liée à cette compensation sur 1996-1999. Elle est de l'ordre de 1 %, ou de 1,5 % pour certaines sociétés. A partir de l'an 2000, sauf élément fiscal nouveau, le prix des péages devrait augmenter moins rapidement.

M. Pierre Méhaignerie : Monsieur le directeur, je vous poserai trois questions. En investissement par habitant - routes et autoroutes -, la France dépense-t-elle plus que ses voisins européens ?

Deuxièmement, le problème majeur n'est-il pas la concurrence et le choix entre les quatre modes de transport ? S'agissant du TGV Lyon-Marseille, pensez-vous qu'au-delà de 500 kilomètres il faille concurrencer le transport aérien ?

Enfin, existe-t-il en Europe des références de transport sur rail qui peuvent donner des chances de succès à la grande mode du multimodal ?

M. Christian Leyrit : S'agissant du montant des dépenses par habitant, je rappellerai que l'ensemble des moyens consacrés aujourd'hui au réseau routier national (30.000 kilomètres de routes nationales et 8.000 kilomètres d'autoroutes concédées) est de l'ordre de 33 milliards de francs. Sur ce montant, le budget de l'État représente environ 9 milliards de francs. Les recettes des péages,elles, s'élèvent à 28 milliards de francs. Les dépenses par habitant, dont je ne détiens pas le chiffre aujourd'hui, sont inférieures à la moyenne européenne.

En ce qui concerne la comparaison entre le ferroviaire et l'aérien, je ne suis pas le plus compétent. Je puis cependant vous dire que nous avons réalisé des études intermodales sur deux grandes liaisons : la vallée du Rhône et le corridor nord entre Paris et la frontière Belge, afin de déterminer quels pouvaient être les éléments d'un transfert modal, tant pour les voyageurs que pour les marchandises. Il est difficile de mesurer l'impact de la tarification sur ces éléments.

Pour le développement du transport de marchandises, le transport combiné doit être encouragé, mais il convient d'être conscient de ses limites. Il pose un problème à la fois de coût et de souplesse. Le trafic moyen des poids lourds sur l'autoroute est de l'ordre de 70 kilomètres. Il est donc évident que des infrastructures extrêmement lourdes pour le transport de marchandises sont très bien adaptées pour le tunnel sous la Manche ou le franchissement des Alpes, soit pour des distances longues. On considère, par exemple, pour qu'une autoroute ferroviaire trouve sa pleine efficacité, qu'il faut parcourir une distance d'au moins 500 kilomètres.

Les études que nous avions menées montrent que le coût d'un projet ferroviaire, totalement dédié au transport de marchandises, entre Dijon et Orange, serait de l'ordre de 23 milliards de francs. Ce projet permettrait, à l'horizon 2015, d'éviter la présence de 5.000 poids lourds par jour dans la vallée du Rhône, alors que l'on en prévoit environ 15 000.

Sur ce point, nous avons mené, ces derniers temps, des études très intéressantes sur les perspectives d'évolution des parts de marché de la route, du fer et de la voie d'eau, à l'horizon 2020, en fonction, d'une part, de l'évolution économique - du PIB - et, d'autre part, d'une politique de transport plus ou moins volontariste. Nous avons tenu compte des perspectives d'évolution du PIB établies par l'Insee, des travaux économétriques et intermodaux existants, ainsi que de plusieurs scénarios de politiques de transport très contrastés : une politique au fil de l'eau, une politique prévoyant une hausse relativement modérée du gazole et une faible croissance du prix du fret routier, et une politique extrêmement volontariste envisageant le prix du carburant, en 2020, à 14 francs et un prix du transport routier qui augmenterait de 64 %.

Ces différents scénarios nous ont permis d'évaluer la croissance du trafic routier, ferroviaire et aérien. On a constaté à cette occasion que pour que la hausse du trafic routier - notamment de marchandises - soit plus modérée qu'aujourd'hui, il convenait de prendre des mesures extrêmement volontaristes. Je vais vous donner un ou deux chiffres assez parlants.

La croissance du trafic routier sur les routes nationales, entre 1972 et 1997, a été de 260 %. Le scénario au fil de l'eau, sans mesure draconienne, prévoit qu'en 2020, avec une augmentation du PIB de 2,3 % par an, les transports de voyageurs et de marchandises augmenteraient entre 90 et 100 %. Le scénario assez volontariste - augmentation du gazole de 60 % et relèvement de 17 % des prix du fret routier - conduirait à un accroissement de 80 %. Enfin, le scénario extrêmement volontariste - arrêt des constructions d'autoroutes en 2005, augmentation importante du prix des carburants et du fret routier, de 60 % pour ce dernier - conduirait à une augmentation du trafic de voyageurs de 40 % et du trafic des marchandises de 60 %. Cela veut dire que même si ce scénario extrême se réalisait, la part de marché de la route ne baisserait pas.

Voilà des études très intéressantes à prendre en compte pour arrêter des décisions dans la politique des transports qui ne peut pas être isolée de la politique économique et sociale.

Mme Nicole Bricq : Vous nous avez dit que l'usager était prêt à payer un prix assez fort pour un gain de temps important. Mais que se passe-t-il quand l'usager se révolte, comme à Lyon et à Toulouse ?

Par ailleurs, vous n'avez pas répondu à la question du rapporteur pour avis relative aux coûts d'entretien. Êtes-vous en mesure de nous donner les coûts d'entretien par rapport au prix du péage, par catégorie de véhicule - je pense notamment aux poids lourds ?

M. Christian Leyrit : Dans toutes les évaluations économiques les coûts d'entretien sont évidemment pris en compte. Prenons l'exemple d'une autoroute concédée : sur 100 francs de péage, 57 francs sont consacrés aux remboursements des emprunts, 18 francs aux dépenses d'exploitation et d'entretien, 19 francs aux impôts et taxes et 6 francs aux grosses réparations.

Les exemples de Lyon et de Toulouse sont des cas extrêmement particuliers. A Lyon, tout d'abord, il s'agissait d'une opération menée non pas par l'État, mais par la communauté urbaine de Lyon, je n'en dirai donc que peu de choses. Les usagers se sont révoltés, car au moment de la mise en place du péage, la capacité précédemment disponible a été réduite afin d'inciter les usagers à prendre l'autoroute à péage. Une telle action est évidemment inacceptable.

L'autoroute A 14 permet d'améliorer la situation, non seulement pour les usagers qui paient, mais également pour ceux qui ne paient pas, puisque l'autoroute A 13 est déchargée d'une partie du trafic. Je n'irai pas jusqu'à prétendre qu'il convient de développer le péage urbain. Je crois même qu'il ne s'agit pas d'une bonne solution à long terme, et je suis convaincu qu'il convient de trouver de nouvelles solutions, car lorsqu'une partie du réseau est à péage et l'autre gratuite, il est extrêmement difficile d'obtenir une optimisation de l'utilisation de l'infrastructure, un biais très important étant induit par le péage.

En Ile-de-France, depuis 1989, certains projets sont apparus si coûteux, si difficiles à financer que le péage a été considéré comme la seule solution possible - ce qui est un moindre mal plutôt que de ne rien faire.

A Toulouse, il s'agissait de la mise à péage d'infrastructures déjà existantes, aménagées et gratuites. L'opposion des usagers a conduit à la suppression du péage et au rachat de celui-ci par les collectivités locales.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis : Monsieur le directeur, l'organisation administrative de l'État au niveau des transports terrestres, en particulier, permet-elle d'avoir une vision globale du choix des infrastructures ? Est-elle de nature à privilégier telle ou telle décision en faveur des routes, du ferroviaire ou des voies navigables ?

De récentes études montrent qu'au niveau des coûts externes exprimés en tonnes-kilomètres, le choix se porte cinq fois plus sur l'autoroute que le rail. On peut également douter d'un certain nombre de choix lorsqu'on sait qu'en 18 ans, d'après les rapports de la commission des comptes des transports de la nation, le réseau routier représente 65 % des investissements réalisés, le rail, 20 %, et les voies navigables, 6 %. Dans le cadre de la loi sur l'aménagement du territoire, cela est devenu un problème majeur.

M. Christian Leyrit : Depuis cinq ou six ans, un comité des directeurs transports, présidé par M. Brossier réunit tous les mois et demi l'ensemble des directions du ministère des Transports. L'existence de cette instance a permis de mener les études que j'évoquais précédemment sur l'évolution de la répartition modale en fonction d'un certain nombre de paramètres, de critères économiques ou d'un volontarisme plus ou moins grand en matière de transport. Je ne suis pas certain que ce type d'études existe dans beaucoup de pays d'Europe.

Les études intermodales très poussées que nous avons menées sur la vallée du Rhône et le corridor nord entre Paris et la frontière belge ont permis d'approfondir les recherches, le sujet étant extrêmement difficile : le changement du mode de transport, les conditions tarifaires ou l'organisation de la chaîne logistique. Il y a toute une série de paramètres qu'il est toujours difficile à appréhender pour réaliser des prévisions.

Aujourd'hui, la manière d'appréhender les problèmes de transports intermodaux est satisfaisante au sein du ministère des transports ; mais il s'agit de progrès récents. Depuis quelques années, un travail collectif permet de mieux éclairer les choix du Gouvernement. Il s'agit non pas d'un problème de structure, mais d'un état d'esprit.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Monsieur le directeur, le bilan du Fonds d'intervention des transports terrestres et des voies navigables (FITTVN) est très décevant, contrairement à l'intention du législateur. Il a conduit à une débudgétisation tout en affaiblissant la trésorerie des sociétés d'autoroutes. Sa suppression ne vous semblerait-elle pas plus conforme à l'orthodoxie budgétaire ?

M. Christian Leyrit : Le FITTVN a été créé en 1995. Ses recettes, d'un montant global de 3,9 milliards de francs, proviennent d'une part de taxes prélevées sur les sociétés d'autoroutes - 2 centimes par kilomètre la première année, 4 centimes à partir de la deuxième année, ce qui représente 2,2 milliards de francs - d'autre part de l'électricité, notamment d'EDF.

Les prélèvements sur le secteur autoroutier ne sont pas négligeables, puisqu'ils représentent près de 10 % des recettes de péage. C'est d'ailleurs ce qui a conduit le Gouvernement à introduire une compensation tarifaire.

Comment ces fonds sont-ils utilisés ? Depuis 1996, les recettes du FITTVN affectées aux routes sont de l'ordre de 1,5 milliard de francs. Elles sont consacrées pour une part très importante aux autoroutes du Massif Central (l'autoroute A 75 Clermont-Ferrand-Béziers, l'autoroute A 20 Vierzon-Brive), à la route nationale 7, et maintenant à la mise en autoroute de la nationale 10 dans les Landes ; auparavant, toutes ces routes et autoroutes étaient financées par le seul budget de l'État.

Par ailleurs, une partie du FITTVN permet de financer un certain nombre d'opérations des contrats de plan État-Région.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Certes, mais il ne s'agit pas d'un plus, puisque la création du FITTVN visait à améliorer la politique de l'aménagement du territoire, avec des ressources extra-budgétaires. Or, il a surtout conduit à une débudgétisation. Il n'est donc pas utile et sa suppression serait souhaitable.

M. Christian Leyrit : Il est vrai que la création du FITTVN ne s'est pas traduite par une augmentation des moyens consacrés à l'investissement sur le réseau routier national.

M. Yves Deniaud : Le système de l'adossement a pris fin le 31 décembre 1997 ; maintenant les nouveaux projets seraient limités à la seule section concernée, pour le calcul de sa rentabilité, ce qui nécessitera vraisemblablement l'attribution de subventions d'équilibre sur fonds publics.

Par ailleurs, j'ai sous les yeux la courbe de l'endettement des sociétés autoroutières : il est vrai que le ralentissement des projets, d'une part, et l'augmentation du trafic, d'autre part, font que leur situation financière va vraisemblablement s'améliorer dans les années qui viennent ; elles dégageront donc des résultats.

Avez-vous la garantie que les excédents des sociétés autoroutières seront recyclés dans le financement d'infrastructures routières, ou bien vont-ils être absorbés, au nom du principe de l'universalité budgétaire, dans la masse générale des ressources budgétaires ?

M. Christian Leyrit : Comme vous le savez, le Gouvernement a décidé d'engager une réforme du système de financement des autoroutes, à la suite, notamment, de la fin de l'adossement, avec la modification du régime comptable dit "des charges différées", qui est un peu particulier. L'objectif du Gouvernement est de réformer ce système de façon que les sociétés d'économie mixte d'autoroutes se rapprochent de plus en plus des sociétés de droit commun. Le capital des sociétés d'économie mixte est de 1,4 milliard de francs, alors que leur chiffre d'affaires est de 24 milliards de francs et leur endettement de 130 milliards de francs.

La fin de l'adossement conduit à un choc important que certains jugeront positif, d'autres négatif. Il procurait, pour le réseau autoroutier, une facilité réelle ; dorénavant, chaque fois que l'on souhaitera réaliser une opération non-rentable, il conviendra de faire appel à des subventions publiques, qui pourront atteindre, pour certains projets, 50 % du coût. Le Gouvernement est en train de négocier à Bruxelles le changement de système.

Je ne parlerai pas ici du problème de la TVA - dont le système est dérogatoire -, mais on pourrait se poser la question de son évolution. J'évoquerai le problème du système comptable et de la fin de l'adossement.

Le passage de l'ancien système au nouveau a tout de même un coût pour notre pays. Or nos infrastructures sont capitales non seulement pour les Français, mais également pour l'ensemble des Européens. C'est pourquoi nous négocions à Bruxelles une prolongation ultime des durées des concessions des sociétés d'économie mixte d'autoroutes jusqu'à 2040.

Cette prolongation permettrait, progressivement, d'en faire de véritables sociétés de droit commun dégageant des dividendes ; étant donné que l'État détient 99 % du capital, cela permettrait à court terme de dégager des moyens non négligeables sous forme de dividendes et d'impôts sur les sociétés.

Actuellement, nous travaillons avec le ministère des finances sur les dispositifs à mettre en oeuvre et sur l'utilisation qui pourrait être faite de ces dividendes et impôts sur les sociétés.

M. Marc Laffineur : Nous n'avons pas parlé du problème de la sécurité. Quelle est l'amélioration de la sécurité que permet une autoroute par rapport à une route normale ?

M. Christian Leyrit : Pour un même nombre de kilomètres parcourus, il y a quatre fois moins de morts sur l'autoroute que sur le réseau traditionnel. Les autoroutes concédées apportent une amélioration importante : elles sont très sûres, malgré une petite augmentation du nombre de tués en 1998, essentiellement liée à la vitesse. Sur 8.300 tués en France en 1998, 400 sont morts sur les autoroutes - qui supportent 25 % de l'ensemble du trafic.

Le Président Augustin Bonrepaux : Monsieur le directeur, pensez-vous que les tarifs appliqués aujourd'hui aux poids lourds compensent les coûts d'entretien ? Avez-vous fait une comparaison avec les pays voisins : les tarifs des autoroutes françaises ne sont-ils pas moins élevés ?

M. Christian Leyrit : L'écart des tarifs entre les poids lourds et les véhicules légers est de 1 à 2,3. Néanmoins, il existe, pour les poids lourds, des formules d'abonnement généralisées qui permettent d'obtenir une réduction de 30 % sur l'ensemble des déplacements. Si bien que dans la pratique, l'écart n'est que de 1 à 1,80.

Dans le contrat de plan 1995-1999, cet écart s'accroît, mais de manière relativement modérée. Par ailleurs, il est plus faible que dans la plupart des autres pays européens.

Enfin, vous m'avez demandé si les poids lourds payaient « le juste prix », en quelque sorte. Une étude assez récente du conseil général des Ponts et Chaussées conclut que, globalement, les poids lourds paient à peu près le juste prix, c'est-à-dire la quasi-totalité des charges qu'ils génèrent sur les autoroutes concédées, si on inclut le péage. Il existe d'assez nombreuses études sur ce point, pas toutes concordantes : elles sont à votre disposition.

Je vous remercie.

M. Philippe Auberger, co-président : Monsieur le directeur, je vous remercie.

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2.- AUDITION DE M. NICOLAS JACHIET, CHEF DU SERVICE DES PARTICIPATIONS À LA DIRECTION DU TRÉSOR DU MINISTÈRE DE L'ÉCONOMIE, DES fINANCES ET DE L'iNDUSTRIE.

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 18 février 1999)

Présidence de M. Philippe Auberger, Président

A l'invitation du Président, M. Nicolas Jachiet est introduit. Le Président lui rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il donne ensuite la parole, pour une première question, à M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial de la commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan sur les crédits des transports terrestres.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : M. Jachiet, en tant que parlementaires, nous sommes heureux d'accueillir « physiquement » le Trésor, car son accès n'est pas toujours facile ! Ma première question sera simple : à quoi sert le comité des investissements à caractère économique et social ? Quel est son rôle dans la programmation du réseau autoroutier ? Est-il à l'initiative des programmes ou simplement le réceptacle des décisions politiques ?

M. Nicolas Jachiet : Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les Députés, le comité des investissements est un comité interministériel - il réunit physiquement les ministres concernés -, et la réforme intervenue en 1996 a eu pour objet d'un faire un véritable lieu de décisions.

Se réunissent les ministres concernés par les investissements des entreprises publiques à monopole - les transports, l'énergie, le secteur autoroutier -, c'est-à-dire, outre le ministre de l'économie et des finances qui préside le comité, les ministres chargés de l'aménagement du territoire, des transports et de l'environnement. Ces ministres sont entourés d'un nombre très limité de fonctionnaires : le directeur du Trésor rapporte, avec l'assistance d'un fonctionnaire de sa direction, sur la base de travaux administratifs qui ont rassemblé les différentes administrations concernées.

Ce comité ne mène pas d'études, il les rassemble. Les comités spécialisés qui précèdent le CIES permettent de confronter les points de vue et de préparer la réunion des ministres de façon qu'ils n'aient plus qu'à arbitrer. Ils arbitrent les enveloppes d'investissements pour les différentes sociétés d'autoroutes et, le cas échéant, la question des nouvelles sections.

M. Philippe Auberger, co-président : Le comité fixe-t-il simplement un curseur une fois qu'une liste de projets possibles a été envisagée - c'est-à-dire qu'il va décider si telle année l'on va lancer 120 et 150 kilomètres d'autoroutes -, ou regarde-t-il de façon plus précise quels sont les différents tronçons proposés et quel est leur intérêt ?

M. Nicolas Jachiet : Le comité, qui se réunit deux fois par an, doit se prononcer sur le montant annuel des investissements - au printemps il décide du montant des investissements pour l'année suivante, et à l'automne il le révise éventuellement - et sur l'examen des nouvelles sections.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis de la commission de la Production et des Échanges sur les crédits de l'Équipement et des transports terrestres : L'explosion de l'endettement autoroutier est source d'inquiétude. La dette est actuellement de l'ordre de 130 milliards de francs et elle devrait atteindre les 160 milliards de francs en 2005. Ce montant va-t-il encore augmenter ou, au contraire, décroître ? Par ailleurs, l'endettement est-il maîtrisable ? Enfin, avait-on anticipé un tel niveau de dette ?

M. Nicolas Jachiet : Pour les concessions actuelles, c'est-à-dire hors nouvelles sections, les chiffres que vous avez évoqués sont tout à fait exacts : en 2004, la dette sera de 155 milliards de francs.

Institutionnellement, l'administration à laquelle j'appartiens a toujours plaidé dans le sens d'une modération de la progression de la dépense. Est-ce à dire que cet endettement est excessif à la date d'aujourd'hui ? Les « études-bilans » réalisées chaque année pour toutes les sociétés d'autoroutes, qui consistent à refaire un scénario complet jusqu'à la fin des concessions pour déterminer si les sociétés seront capables de rembourser leurs dettes, montrent que seules deux sociétés en seront incapables à l'issue de leur concession.

Bien entendu, ces études sont menées avec les paramètres macro-économiques d'aujourd'hui. Il suffit d'une déviation relativement faible de tel ou tel paramètre pour modifier la capacité d'une société à faire face à ses remboursements. En l'état actuel des calculs, les deux sociétés qui ne sont pas en mesure de rembourser leurs dettes avant l'échéance sont la SAPN et la SFTRF. La première est devenue la filiale d'une autre société d'autoroutes, et la société du tunnel de Fréjus a bénéficié d'une recapitalisation ; leur redressement est donc en cours.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : La Cour des comptes a fait allusion, en 1990, à l'inefficacité des contrôles de l'État, malgré leur multiplicité. Quels contrôles exerce pour sa part la direction du Trésor ? S'est-elle sentie concernée par la remarque de la Cour ?

M. Nicolas Jachiet : La direction du Trésor est amenée à intervenir dans le domaine autoroutier à deux titres : d'abord au comité des investissements à caractère économique et social et ensuite comme représentant de l'État en tant qu'actionnaire de ces sociétés d'autoroutes. Nous sommes donc, de même que les autres administrations concernées - la direction des routes et la direction du budget -, représentés dans les conseils d'administration de ces sociétés, dans lesquelles nous veillons à l'évolution de leurs équilibres financiers. Cela permet de donner l'alerte sur d'éventuelles dérives.

Il est évident que des dérapages sur des coûts de travaux et des erreurs dans les prévisions de trafic ont conduit certaines sociétés à des situations financières difficiles. Ce qui importe, c'est de rétablir la situation en prenant les mesures nécessaires. Dans le nouveau cadre tracé par les directives, il est envisagé un changement du cadre comptable qui accroîtra la responsabilité des sociétés, ainsi que celle de l'État actionnaire et des conseils d'administration, puisque ces sociétés dégageront un vrai résultat. Aujourd'hui, ce résultat est, par construction, en équilibre.

Par ailleurs, il convient, dans la vie courante de ces sociétés, que le conseil d'administration joue davantage le rôle que lui assigne le droit des sociétés.

M. Philippe Auberger, co-président : Le rapport de la Cour des comptes de 1990 précise que les conseils d'administration sont, non pas de vrais conseils d'administration, mais des instances de coordination interministérielle entre les différents ministères représentés aux conseils d'administration. A votre avis, une réforme n'est-elle pas nécessaire dans ce domaine ?

Par ailleurs, le fait de donner systématiquement la garantie de l'État à tous les emprunts des sociétés d'autoroutes, n'est-il pas démotivant pour ces dernières, et ne peut-on pas craindre une atténuation de leur vigilance en ce qui concerne la rigueur de la gestion, tant au niveau des investissements que du fonctionnement ?

M. Nicolas Jachiet : Je ne suis pas membre de conseils d'administration des sociétés d'autoroutes - mes collaborateurs présents aujourd'hui, eux, le sont. Très franchement, nous faisons en sorte que les conseils d'administration jouent leur rôle et que la coordination interministérielle, lorsqu'elle doit avoir lieu, ait lieu dans un autre cadre, éventuellement en amont. Cependant, il est vrai qu'il s'agit d'un effort de longue haleine et qui n'est pas évident.

Le conseil d'administration doit arrêter les comptes, et prendre position sur un certain nombre d'éléments de la vie de l'entreprise, étant entendu que d'autres décisions sont prises au niveau des ministres.

Les garanties d'emprunts sont effectivement un vrai problème. Bien entendu, elles sont supprimées pour les nouveaux emprunts. L'honnêteté oblige de reconnaître que, les sociétés étant des entreprises publiques détenues, indirectement ou directement, par l'État, les prêteurs n'ont pas manifesté une grande inquiétude sur leur solvabilité.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Pouvez-vous nous dire, tout d'abord, si ces garanties d'emprunts ont joué et pour quel montant ?

M. Leyrit nous a précisé que des avances de trésorerie avaient été nécessaires pour lancer le système de concession : pourriez-vous nous situer le montant de ces avances ? Ont-elles été remboursées ?

M. Nicolas Jachiet : Non, pas dans leur totalité, puisque 420 millions de francs ne sont toujours pas remboursés.

Les emprunts des sociétés d'autoroutes passent par la Caisse nationale des autoroutes qui ne bénéficie plus, aujourd'hui, de la garantie de l'État. Mais comme il s'agit d'un établissement public, les prêteurs sont confiants.

Les garanties d'emprunts n'ont jamais été amenées à jouer, mais, de fait, au fil des ans, lorsque les situations financières des autoroutes étaient déséquilibrées, des prolongations de concessions ont pu être décidées. La responsabilité financière de l'État s'est donc manifestée dans le traitement de la situation financière des entreprises qui rencontraient des difficultés.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Pouvez--vous nous préciser les sommes que cela peut représenter ? Par ailleurs, quelles sont les conséquences de la réglementation européenne par rapport à cette facilité dont pouvait bénéficier l'État ?

M. Nicolas Jachiet : S'agissant des allongements de concessions, il est possible de leur donner une valeur pour déterminer l'effort que cela représente pour l'État. On peut calculer le flux de recettes nettes que représentent plusieurs années de concession. Je n'ai pas les éléments ici, mais nous pouvons vous les communiquer.

Le nouveau système établi dans le cadre des directives européennes aura la conséquence suivante : l'allongement ultime des concessions, que l'on espère obtenir, devra être calculé de telle façon que les sociétés puissent faire face à leurs obligations de remboursement sans difficulté. Nous devons donc prendre une marge suffisante pour être sûrs, si les paramètres économiques sont défavorables, que le remboursement intervienne.

Après cet ultime allongement, si de nouvelles difficultés survenaient, il reviendrait à l'État actionnaire de prendre ses responsabilités.

M. Philippe Auberger, co-président : Etes-vous sûr, si l'allongement des concessions est autorisé par Bruxelles - jusqu'en 2040, si j'ai bien compris -, que toutes les sociétés seront en mesure de rembourser et donc d'équilibrer leurs comptes ?

M. Nicolas Jachiet : Avec les durées actuelles des concessions, seules deux sociétés ne sont pas en mesure de rembourser leurs dettes d'ici à la fin de leur concession. Bien entendu, la certitude, dans ce domaine, n'est jamais absolue, car une dérive très importante de certains paramètres - de la croissance économique ou de l'évolution des trafics, par exemple - pourrait conduire au non-remboursement. Cela dit, un allongement des concessions jusqu'en 2040 devrait mettre les sociétés dans une situation confortable.

M. Marc Laffineur : Le risque pour les sociétés d'autoroutes de ne pas pouvoir rembourser leurs dettes est donc faible.

M. Nicolas Jachiet : Avec la durée des concessions actuelles, le risque est faible, mais pas inexistant. Une dérive de certains paramètres économiques pourrait perturber nos prévisions.

S'agissant des prélèvements de l'État, nous avons évoqué la réforme comptable, qui est à l'étude, et qui consisterait à appliquer aux sociétés d'autoroutes le droit commun. Elle suppose de calculer les amortissements de façon plus progressive et plus adaptée au profil économique réel, ce qui devrait permettre de dégager des résultats, c'est-à-dire des dividendes et de l'impôt sur les sociétés. Les résultats seront traités comme ceux de n'importe quelle société, et une partie pourrait être laissée à la société.

M. Philippe Auberger, co-président : Actuellement, l'une des caractéristiques des sociétés d'autoroutes, c'est qu'elles ne distribuent pas de dividendes. Cela vous paraît-il une situation normale ? Ne s'agit-il pas, pour Bruxelles, d'une atteinte à la concurrence ? Quelle est l'évolution envisagée dans ce domaine ?

M. Nicolas Jachiet : J'avoue ne pas savoir si, pour Bruxelles, la distribution de dividendes est un élément important. En revanche, la Commission exige que les nouveaux tronçons soient accordés dans le cadre d'un appel à la concurrence équitable.

Actuellement, une réforme comptable des sociétés d'autoroutes est en cours d'étude. Le conseil national de la comptabilité a été amené à travailler sur ce sujet. La réforme consisterait à supprimer un système tout à fait particulier, dit « des charges différées ». Année après année, si les charges que supportent les sociétés d'autoroutes excèdent leurs ressources, une partie de ces charges est mise à l'actif du bilan et différée ; elle ne sera imputée au compte de résultat que plus tard, ce qui permet d'assurer un résultat nul.

Renoncer purement et simplement à ce système entraînerait la création de pertes et mettrait les sociétés en faillite. Il convient, aussi, de trouver un profil d'amortissement qui soit plus représentatif de la réalité économique de la vie d'une concession, c'est-à-dire un système d'amortissements progressifs.

Les simulations que nous avons effectuées montrent que si nous réformions les amortissements et que nous renonçions aux charges différées, les sociétés d'autoroutes dégageraient des résultats et donc des dividendes. Cette réforme n'est pour l'instant qu'à l'étude, mais il est probable que l'on s'orientera dans cette direction.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis : L'économie des concessions autoroutières repose sur une croissance annuelle de 3 %, en moyenne, de 1995 à 2015. Or il ne me semble pas que le trafic augmente dans la même proportion. La démonstration que vous venez de nous faire, jusqu'à 2040, ne serait-elle pas remise en cause ?

M. Nicolas Jachiet : Des études bilans sont effectuées chaque année, société par société. Les paramètres macro-économiques qui les sous-tendent sont réajustés chaque année. Pour cette année, les études sont actuellement en cours, et nous ne disposons pas encore des résultats. Cependant, les premières indications laissent à penser qu'ils sont plus justes que l'an dernier. Mais il est évident qu'une révision importante des paramètres macro-économiques conduit à des résultats différents.

Je ne dispose pas ici des chiffres exacts qui figuraient dans la dernière vague d'études, mais le taux de croissance devait être de 2,5 %.

M. Philippe Auberger, co-président : La parole est à Mme Bricq.

Mme Nicole Bricq : M. Jachiet, avez-vous envisagé des scénarios intermédiaires pour le cas où la Commission de Bruxelles accepterait l'allongement de la concession, mais jusqu'en 2030 ?

M. Nicolas Jachiet : Plus l'allongement est long, plus il procure des résultats, et donc des dividendes et de l'impôt sur les sociétés. Plus la durée est longue, plus les sociétés bénéficient d'un certain confort en cas de dérive défavorable de certains paramètres. Quel que soit le scénario, la différence réside dans l'excédent total dégagé par les sociétés d'autoroutes. Si vous le désirez, nous vous ferons parvenir toutes les études qui ont été menées.

Mme Nicole Bricq : Etes-vous sûr que la Commission acceptera d'allonger la durée jusqu'en 2040 ?

M. Nicolas Jachiet : Non !

M. Philippe Auberger, co-président : Messieurs les rapporteurs : peut-être pourriez-vous vous procurer la dernière étude réactualisée, l'analyser et nous dire ce que vous en pensez : en effet, la mission n'a pas pour vocation d'examiner elle-même chaque étude particulière.

M. Pierre Méhaignerie : Puisque mes collègues sont sensibles à l'équilibre financier des sociétés d'autoroutes ; puisque l'État n'a aucune chance de voir diminuer ses prélèvements budgétaires ; puisque nous ne souhaitons pas l'augmentation du prix des péages ; puisque M. Menasseyre se demandait si les investissements étaient bien dimensionnés, je vous pose cette question : la direction du Trésor peut-elle faire des propositions sur les sections futures qu'il serait souhaitable de supprimer pour réunir toutes ces garanties ?

M. Nicolas Jachiet : Notre rôle institutionnel se situe du côté de la prudence financière, mais il est normal que d'autres, dans l'appareil d'État, aient un rôle différent qui met plus en lumière les besoins liés à l'aménagement du territoire.

L'administration a la mission de mettre les éléments de la décision sous le regard du décideur gouvernemental, afin qu'il puisse faire les arbitrages en toute connaissance de cause. C'est ce que nous essayons de faire. Je ne vous cache pas que, régulièrement, lors des réunions du CIES, les directions du ministère de l'économie et des finances soutiennent le lancement d'un moins grand nombre de sections autoroutières que l'administration du ministère de l'équipement et des transports. Mais c'est naturel. L'important, c'est que les données techniques et financières aient été mises sur la table, afin que les ministres puissent trancher en toute connaissance de cause.

Au niveau d'avancement du programme autoroutier auquel nous sommes aujourd'hui parvenus, les nouvelles sections sont d'une rentabilité faible, voire négative, sans un apport extérieur. Le lancement d'une section est donc une décision éminemment politique.

M. Pierre Méhaignerie : Justement, quelles sont les sections qui sont, à votre avis, les plus contestables ?

M. Nicolas Jachiet : Cela dépend à quel niveau l'on fixe la subvention et le taux de subvention acceptable !

M. Philippe Auberger, co-président : Existe-t-il des études rétrospectives d'un certain nombre de tronçons lancés dans le passé ? Par ailleurs, avez-vous vérifié si les hypothèses qui avaient été avancées - concernant le coût, le trafic, etc. - ont été validées ou invalidées, et si les résultats d'une telle analyse vont peser sur les choix futurs ?

M. Marc Laffineur : Je me permets de revenir sur la question de Pierre Méhaignerie, parce que le rôle de notre mission est de déterminer les tronçons d'autoroutes qui ne sont pas rentables ! Je vous pose donc la question clairement : quels sont, à votre avis, les tronçons d'autoroutes qui vont être lancés et qui n'auraient pas lieu d'être réalisés ?

M. Nicolas Jachiet : S'agissant des études rétrospectives, il y en a très peu. On a toujours regardé une société d'autoroutes de façon globale, grâce au système de l'adossement et de l'allongement des durées de concessions ; l'essentiel était de vérifier que, dans la durée, la société remboursait ses emprunts.

En ce qui concerne les nouvelles sections qui n'auraient pas lieu d'être réalisées, je ne peux que confesser mon embarras. Tous les projets à l'étude, dans le cadre des normes techniques autoroutières actuelles, supposent, pour s'équilibrer, des subventions, soit directes, soit indirectes, par adossement à des concessions existantes rentables. Puisqu'aucun projet n'est rentable, il faut ensuite décider où l'on place le curseur en termes de concours publics.

M. Jean-Jacques Jegou : En fonction des réponses qui ont été données tout au long de cette audition, on peut en déduire qu'il n'y a pas de contrôle !

M. Nicolas Jachiet : Je puis demander au ministre de vous fournir, tronçon par tronçon, les calculs de rentabilité.

M. Pierre Méhaignerie : Ce n'est pas un jugement de valeur, car l'on peut très bien admettre que le ministre de l'aménagement du territoire ait une vocation politique - pour des raisons régionales, d'aménagement du territoire ou de cohésion sociale - à autoriser la construction d'un tronçon supplémentaire malgré sa non-rentabilité. Simplement, votre rôle, ici, est de nous révéler quelles sections sont le plus éloignées de l'équilibre que l'on souhaite.

M. Nicolas Jachiet : Je n'ai pas sous les yeux la hiérarchisation des différents projets envisagés et de leur taux de déficit, et donc de la subvention nécessaire, mais elle existe. Et l'on peut vous la fournir. Ensuite, il s'agit d'une décision qui relève de l'autorité politique, en fonction d'autres considérations que des considérations financières.

M. Raymond Douyère : Je comprends que vous ne puissiez nous donner les noms des sections avant d'en référer à votre ministre. Néanmoins, vous pourriez nous dire, en pourcentage, quel est l'éloignement par rapport au point d'équilibre : se situe-t-il au-delà de 50 %, de 60 % ?

M. Jean-Jacques Jegou : Ne pourrait-on pas poser la même question à M. Christian Leyrit, puisqu'il est encore présent. MM. Jachiet et Leyrit pourraient ainsi confronter leurs points de vue ?

M. Philippe Auberger, co-président : M. Jachiet, représentant de la direction du Trésor, n'est pas en mesure de nous donner, tronçon par tronçon, les chiffres exacts. Je lui demande donc de bien vouloir transmettre tous ces éléments à MM. les rapporteurs, afin qu'ils puissent les étudier ; ils jugeront ensuite de l'opportunité d'une confrontation avec le directeur des routes.

Par ailleurs, on peut également demander à M. Leyrit de fournir aux deux rapporteurs les éléments précis qu'il détient à ce sujet.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Monsieur le président, l'intérêt de notre mission est de pouvoir faire les choses en direct. M. Leyrit pourrait donc, s'il détient ces éléments, nous les fournir dès aujourd'hui.

Et l'on peut constater que, malheureusement, l'administration qui est censée contrôler dispose de moins de renseignements que celle qui dépense !

M. Christian Leyrit : Je peux, en effet, vous fournir quelques éléments dès à présent.

Parmi les autoroutes actuellement en cours de réalisation dont le taux de rentabilité socio-économique est faible, je citerai l'autoroute Le Havre-Amiens-Saint-Quentin, pour laquelle le trafic prévisionnel est relativement faible ; mais la décision a été prise compte tenu de l'importance que revêt cette autoroute pour le port du Havre, qui est un enjeu national.

Parmi les projets qui ne sont pas en cours de réalisation, je pense à la liaison Troyes-Auxerre et à l'autoroute Bordeaux-Clermont-Ferrand, pour laquelle les niveaux de trafic sont assez différents selon les tronçons. Mais il s'agit là d'une grande opération d'aménagement du territoire.

M. Philippe Auberger, co-président : Monsieur Leyrit, je vous remercie. Je suggère à nos deux rapporteurs d'analyser tous les documents qui leur seront communiqués à ce sujet, et peut-être pourrait-on poser la même question à M. Gayssot, lors de son audition.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Si l'on convient, à l'avenir, qu'un certain nombre de liaisons routières nécessiteront des subventions publiques, cela remet en cause le financement du système autoroutier tel qu'il était prévu en 1955. Nous sommes donc amenés à nous poser le problème du choix, à partir du moment où le contribuable intervient, entre ce qui relève de l'autoroute à péage et de l'aménagement d'une route nationale. Nous sommes là au coeur du rapport coût-efficacité.

Le ministère de l'économie et des finances mène-t-il une réflexion à ce sujet et a-t-il des propositions à formuler ?

M. Nicolas Jachiet : Il est clair qu'à partir du moment où les nouveaux tronçons supposent, d'une façon ou d'une autre, une contribution publique, se pose la question du mode de financement et des évolutions techniques.

La direction du Trésor n'est pas, institutionnellement, en charge d'arbitrer des problèmes budgétaires, je m'aventure donc un peu en dehors de mon domaine de compétence. Encore une fois, il convient de mettre en face le coût pour le contribuable d'une solution concédée et le coût d'une solution d'aménagement du réseau routier existant ou d'une construction en dehors du financement concédé. Et tous les éléments budgétaires et socio-économiques doivent être présentés aux ministres. Il y a non pas de réponse dans l'absolu, mais des choix à opérer, liaison par liaison.

Je voudrais revenir sur la question des tronçons dont l'équilibre financier n'est pas assuré. Nous allons rassembler les éléments concernant cette question, mais ils ne sont pas différents du ministère de l'équipement, puisque nous travaillons sur les mêmes données - ce qui est d'ailleurs l'un des progrès de ces dernières années. Mais sachez que nous ne prenons connaissance du projet qu'au stade de la décision en CIES - c'est-à-dire au moment du lancement de ce qui va avoir un impact, dans l'année à venir, sur les comptes des sociétés. Nous n'avons pas pour rôle de connaître les projets plus en amont.

M. Philippe Auberger, co-président : Pourriez-vous nous préciser la répartition des compétences entre la direction du Trésor et la direction de la prévision ?

M. Nicolas Jachiet : J'aurais dû, effectivement, vous parler de la direction de la prévision, car nous ne voulons pas nous attribuer des travaux réalisés par d'autres. Tous les calculs économiques sont effectués par la direction de la prévision, qui participe activement aux travaux préparatoires des réunions du CIES. Elle a travaillé ces dernières années avec la direction des routes sous l'égide, notamment, du groupe animé par M. Boiteux pour rapprocher les méthodes d'appréciation.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Ne pensez-vous pas qu'il serait utile de supprimer le FITTVN, ce qui apporterait de l'oxygène aux sociétés autoroutières ?

M. Nicolas Jachiet : Une telle décision n'est pas de notre compétence. Mais nous n'y sommes pas très favorables, car elle pèserait sur les sociétés d'autoroutes, même s'il y a une compensation en termes de péage. Simplement, c'est une toute petite partie du sujet. Il convient également de tenir compte des problèmes d'allocation des moyens budgétaires, d'assiette de ressources publiques, qui dépassent très largement la question de l'équilibre des sociétés d'autoroutes.

Notre préoccupation est de nous assurer que le prélèvement au titre du FITTVN ne pèse pas sur la situation des sociétés d'autoroutes et donc que les évolutions des péages nécessaires interviennent en temps utile pour en compenser l'effet.

L'arbitrage entre des crédits strictement budgétaires et des crédits du FITTVN ne relève pas de notre compétence.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Selon certains chiffres, en 1997 les sociétés concessionnaires n'auraient rien coûté au contribuable et auraient rapporté environ 10 milliards de francs. Pourriez-vous nous confirmer ce chiffre pour l'année 1998 ? S'il est confirmé, on ne peut pas ne pas le mettre en rapport avec le chiffre qui a été cité tout à l'heure de 9 milliards de francs consacrés par l'État à l'entretien de son réseau national.

M. Nicolas Jachiet : Je ne suis pas en mesure de confirmer ce chiffre qui doit effectivement additionner des prélèvements de nature diverse sur les usagers des autoroutes. Mais si vous l'avez, c'est qu'il est certainement exact.

C'est tout le problème des concessions et de la domanialité. L'État, et donc derrière lui le contribuable, met à la disposition des sociétés qui perçoivent l'argent des péages installés sur le domaine public. On pourrait aussi imaginer que l'État perçoive cet argent et finance lui-même. Là, on ne voit pas apparaître l'ensemble de l'équilibre qu'il convient de réaliser dans la durée. L'État concède au lieu de dépenser budgétairement.

M. Philippe Auberger, co-président : Monsieur Jachiet, je vous remercie. La parole est à M. le Premier président de la Cour des comptes.

M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes : Nous allons publier dans moins de trois mois un rapport qui répond à un grand nombre de questions que vous venez de poser.

Je crois normal que les hauts fonctionnaires ici présents, interrogés par vous avec insistance, ne puissent pas donner des réponses à des questions dont l'aspect technique disparaît à partir du moment où ces questions ont fait l'objet de débats dans des instances où ces mêmes fonctionnaires avaient le rôle de fournir des éléments de décision.

J'ajoute que nos travaux nous ont conduits à travailler avec la direction de la prévision. Je prendrai l'exemple de la partie de l'autoroute A 41 qui va d'Annecy à Saint-Julien-en-Genevois. Les avis sont partagés sur l'ampleur du gouffre entre les recettes qui pourraient être perçues et les dépenses qui seraient à couvrir. Mais tout est remis en cause par le fait que, si jusqu'à présent le principe de l'adossement permettait de repartir sur des bases nouvelles en permanence - en prolongeant la durée de concession -, maintenant tout est totalement transformé par des directives européennes relatives à la fois aux règles de la concurrence et aux règles d'aide.

Ce sont donc les programmes d'autoroutes de demain qui vont être éclairés par les observations faites sur les autoroutes d'hier, ou en construction. Nous sommes entièrement à votre disposition. Les travaux de contradiction ont déjà eu lieu en partie, nos échanges de correspondances avec les services des différents ministères doivent être maintenant validés par un échange de correspondances avec les ministres, auxquels je vais bientôt écrire. Ils auront un mois pour répondre, et naturellement, nous vous fournirons le résultat de nos travaux à bref délai.

Nous sommes, en ce moment, dans une incertitude totale. Nous parlons d'un allongement des concessions jusqu'à 2040, ce qui donnera un certain confort aux sociétés. Si l'allongement ne va que jusqu'en 2030, il y aura moins d'aisance, et s'il est refusé, c'est la crise ! Or personne ici ne peut savoir ce qui va se passer, personne ne peut donc vous répondre. Je vous remercie.

M. Philippe Auberger, co-président : Messieurs, je vous remercie.

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3.- AUDITION DE M. BERNARD VAL, PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SOCIÉTÉ DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 4 mars 1999)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

A l'invitation du Président, M. Bernard Val est introduit. Le Président lui rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il donne ensuite la parole, pour une première question, à M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial de la commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan sur les crédits des transports terrestres.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial des crédits des Transports terrestres : dans le système d'attribution des concessions, de quelle façon les services de l'État vous interrogeaient-ils lorsqu'ils envisageaient l'extension du réseau autoroutier ?

Quelle est votre part de travail dans l'analyse de l'utilité et de la rentabilité du réseau ? Êtes-vous simplement récipiendaire des décisions de l'État ou jouez-vous un rôle plus actif ?

M. Bernard Val : la logique de réseau d'abord, ensuite la solidité financière des sociétés, permettaient de se prononcer sur la décision d'agréger une liaison au domaine d'une société existante. Par exemple, ASF a un domaine allant de Nantes en passant par Lyon jusqu'à la Côte d'Azur ; toute liaison dans cette zone lui était attribuée ; d'autant qu'ayant une excellente santé financière, elle n'a jamais eu de difficulté pour financer des tronçons qui, dans le sud-ouest de la France, sont moins rentables que dans les zones frontalières de l'Est ou du Nord.

Notre participation au calcul du taux de rentabilité entre dans les négociations entre le concédant et le concessionnaire. Nous fonctionnions, avant l'accord Pons-Monti, sur la base de l'adossement : l'ensemble de la concession venait équilibrer la section nouvelle qui nous était attribuée, la société concessionnaire faisait valoir ses arguments en termes d'investissement, de trafic et de durée de remboursement de cette section sur la totalité de la concession.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis de la commission de la Production et des Échanges sur les crédits de l'Équipement et des transports terrestres : le concédant vous attribue, sur un territoire donné, des autoroutes. Vous a-t-on imposé, dans un passé encore récent, de construire des tronçons d'autoroutes dont vous ne vouliez pas, en particulier parce que vous aviez déjà évalué son défaut de rentabilité ?

Par ailleurs, avec quels services de l'État travaillez-vous ? Quels types de relations au quotidien existent entre ASF et ceux-ci, et dans quels domaines interviennent-ils plus précisément ?

M. Bernard Val : On ne nous a jamais rien imposé. Dire que nous avons toujours eu des discussions faciles avec l'État serait exagéré.

Quand nous estimons que la rentabilité d'une section est faible, nous négocions globalement notre concession. Nous venons de le faire, par exemple, à travers l'avenant signé il y a un an pour l'ensemble de notre réseau. Nous discutons avec pugnacité avec l'État des taux de croissance de trafic, des taux d'évolution tarifaire en fonction des sections. Nous n'avons aucune raison de refuser une section, à priori.

La discussion avec le concédant est parfois difficile. Mais c'est la règle du jeu. Nous discutons avec la Direction des Routes, notre interlocuteur naturel, et celle du Trésor, qui est plus logiquement notre interlocuteur aux Finances que celle du Budget.

La Direction des Routes, les directions du Trésor et du Budget sont toutes trois représentées au conseil d'administration d'ASF.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis de la commission de la Production et des Échanges sur les crédits de l'Équipement et des transports terrestres : les prévisions de trafic et de recettes de l'État sont-elles toujours validées ?

M. Bernard Val : On a pu vérifier qu'elles étaient sous-estimées, dans la mesure où les calculs effectués prennent en général moins bien en compte l'effet réseau.

Quelques exemples.

Au contraire de la SNCF, qui est obligée de mettre un réseau complet en service, nous le faisons par sections. Au départ les sections ont de faibles trafics, qui s'additionnent bien sûr au fur et à mesure que nous allongeons les tronçons. Or, nous l'avons constaté sur différentes liaisons : l'A72 (Clermont-Ferrand-Saint-Etienne), l'A64 (Toulouse-Bayonne), l'A83 (Nantes-Niort). Dès lors que nous bouclons une autoroute en réseau, il se produit un effet d'amplitude sur des trafics en général sous-estimés.

Mais les modèles mathématiques pour les prévisions de trafic sont suffisamment fiables pour que nous puissions les vérifier dans la durée. Bien sûr, nous ne pouvons pas comparer ces prévisions d'une année à l'autre : pendant deux ans (1986/1987), nous n'avons pas eu d'augmentation de trafic, mais ils on augmenté de 4 % l'année dernière et 5 % cette année. Sur une période de cinq à dix ans, la croissance du trafic est conforme aux prévisions.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Pouvez-vous nous donner quelques exemples en termes de rentabilité très négatifs, et d'autres positifs ?

M. Bernard Val : Il faut avant se livrer à une explication de texte :

Par exemple, l'A89, programme de 21 milliards de francs : nous devons le rembourser sur la durée de notre concession, c'est-à-dire avoir remboursé la totalité de nos emprunts en 2016. Nous mettrons en service la totalité de l'A89 en 2007 : en 12 ans, il faudra l'avoir payée entièrement.

Dans le bilan financier, les parties rentables de notre réseau, notamment la Vallée du Rhône où le trafic moyen dépasse 60.000 véhicules/jour, viennent aider au remboursement de l'A89.

Si ASF était une société privée, lorsqu'elle aurait à prendre la concession de l'A89, elle demanderait très naturellement une durée de concession de 50 ans, qui permettrait d'équilibrer parfaitement ses comptes. Ce n'est pas une durée extraordinaire, c'est celle des concessions de tunnels, et des concessions de barrages EDF. Actuellement, l'État vient d'attribuer l'A86 avec une durée de 70 ans.

Lorsque l'on dit "la rentabilité de l'A89 n'est pas assurée", on confond avec la durée de remboursement. Le programme montera en puissance sur vingt ans, alors qu'il faudra le rembourser en 12 ans : si nous ne procédions pas par adossement, nous ne pourrions pas le faire. Mais si nous isolions l'A89 du reste du réseau autoroutier, nous proposerions sans doute une concession de 50 ans, et un amortissement sur cette durée.

Sur notre réseau, existent des sections parfaitement rentables et qui dégagent des excédents. Lors de son ouverture, il y a trente ans, la vallée du Rhône avait un trafic de 8.000 véhicules/jour alors qu'il est aujourd'hui de plus de 60.000, avec des pointes à 160.000. Cette section dégage des excédents qui, dans une logique de réseau, viennent financer la continuité du réseau d'ASF.

La logique d'adossement est la même, pour nous, que celle de l'industriel qui décide de faire construire une usine automobile en Chine, forcément déficitaire, et qui l'adosse à son groupe pour la financer. Simplement, les durées de remboursement demandées aux sociétés publiques sont extrêmement courtes, et ne tiennent pas compte des règles d'amortissement technique.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Comment sont organisés votre contrôle interne de gestion et la part du contrôle technique qui vous incombe ?

M. Bernard Val : Nous utilisons un logiciel très connu, SAP, appliqué aux grands groupes nationaux et internationaux. Il gère la rentabilité de la totalité de nos activités par nature, par section, par trafic. Nous fournissons à l'État, chaque mois, des comptes rendus chiffrés de notre exploitation ; nous pouvons ainsi lui remettre des éléments extrêmement précis sur tous nos trafics, sur toutes nos gares et sections, sur toutes nos recettes et sur nos coûts sur chaque section de notre réseau. Le suivi est très pointu.

Ce logiciel, l'un des plus performants du marché, a été mis en service le 7 janvier 1999.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis : Je vous ai demandé quelles relations vous aviez avec les services de l'État. De quelle manière ce dernier s'implique-t-il dans l'organisation de votre société, et comment exerce-t-il son droit de contrôle sur la gestion ?

M. Bernard Val : L'État a un représentant permanent dans les sociétés d'autoroutes : le Contrôleur d'État, qui exerce la tutelle au nom du ministre des Finances. Naturellement nous lui soumettons nos budgets, il examine nos comptes, il demande des explications sur chacune de nos lignes comptables. Il exerce un contrôle financier.

Ensuite, le contrôle de la Direction des Routes, sous l'angle technique et financier, est permanent. Il ne faut pas oublier que nous achetons les terrains et construisons pour le compte de l'État.

La modification d'un échangeur, d'une gare, le nombre de couloirs de péage nécessitent un accord préalable de la Direction des Routes, selon une procédure classique. Nous envoyons aux services de contrôle des autoroutes des dossiers synoptiques très précis. L'engagement des travaux est subordonné à l'accord préalable de la Direction des Routes sur les dispositions techniques et les montants financiers.

Notre politique de personnel est également soumise à un contrôle très étroit : pour les évolutions salariales, nous sommes obligés de demander à notre tutelle un accord formel. De manière générale, le contrôle de l'État sur notre gestion est permanent.

M. Jean-Jacques Jegou : Je voudrais revenir sur la première question de nos rapporteurs. Pour l'attribution, j'ai compris qu'il y avait des secteurs de répartition. Ce qui nous intéresse, c'est la réalité économique et l'efficacité de la dépense.

Vous avez répondu que lorsque l'État vous demandait quelque chose, vous refusiez rarement. C'est donc qu'il vous impose. Quand un projet vous paraît totalement en dehors de la réalité économique, faites-vous valoir à l'État ses errements en matière économique et financière, ou est-ce que votre souci, à partir du moment où vous savez que vous ne refuserez pas, est d'améliorer les conditions de concession ?

Quel est l'endettement de votre société ?

M. Bernard Val : Je précise que nous avons changé de système. L'adossement induisait une répartition par secteurs géographiques, mais ce système est caduque. Depuis les accords Pons-Monti, les appels d'offres devront faire apparaître la part des subventions publiques sur les nouvelles sections.

Nous n'avons pas d'états d'âme pour le réseau d'ASF, puisque toutes les sections, à terme, seront rentables. Nous négocions fermement dans les termes de notre concession avecnos l'État, mais c'est normal, chacun est dans son rôle. Ma société doit présenter des comptes équilibrés et, à la fin de sa concession, rendre à l'État, un réseau en bon état. Certes, elle est, d'une certaine façon, protégée, puisque l'article 37 du contrat de concession précise que l'État garantit les dettes ultérieures d'ASF. Mais je ne serais dans mon rôle si je ne me battais pas pour négocier les conditions globales de la concession, en vue d'obtenir une certaine garantie de bonne fin, pour qu'au terme de la concession en 2019, l'équilibre financier soit atteint, et que soit alors remis à l'État un Groupe ASF Escota, en bon état de marché, capable de poursuivre sa mission.

Nous couvrons nos frais d'exploitation à partir de 6.000 véhicules/jour : or, actuellement, le trafic moyen est de 27.000 véhicules/jour sur notre réseau et nous n'avons pas en construction de sections où le trafic prévu soit inférieur à ce chiffre de 6.000 véhicules/jour. Ce niveau de trafic nous permet de faire face aux frais d'exploitation et aux prélèvements fiscaux qui représentent 23 % des recettes.

Nous n'aurons pas de difficulté à financer et exploiter les 660 km de sections que nous avons à construire. Par contre, pour assurer l'équilibre complet et rembourser l'investissement, il faut que nous atteignions, au minimum, 18.000 véhicules par jour à mi concession.

Actuellement, quelle est notre projection sur les sections les plus faibles ? Par exemple, sur l'A89, le trafic est d'une nature différente selon les sections. Les prévisions de trafic dans le contournement de Clermont-Ferrand sont de 7.500 véhicules/jour en 2010. Sur la section à proximité de Bordeaux, elles sont de 13.000 véhicules/jour à la mise en service. Ces chiffres sont suffisamment intéressants pour considérer que sur la base d'une concession de 40 à 50 ans, l'A89 sera remboursée.

L'endettement d'ASF était en 1998 de 30 milliards. Il passera en 1999 à 33 milliards, et en 2000 à 35 milliards. Sur la durée de la concession jusqu'en 2019, nous avons 50 milliards d'investissement à réaliser. L'endettement d'ASF fera apparaître en 2007 un pic de 50 milliards. Mais chaque année, 60 % de nos recettes sont consacrés au remboursement de nos emprunts. Nous avons 18 % de frais d'exploitation, 23 % de prélèvements fiscaux, et le reste est consacré au remboursement de notre dette. Notre capacité de remboursement est très importante. Dès lors que nous arrêterons de construire, nous aurons des excédents substantiels.

M. Jérôme Cahuzac : J'ai beaucoup entendu parler des autoroutes allégées. S'agit-il d'une vue de l'esprit, ou une entreprise comme la vôtre s'apprête-t-elle à en construire, avec des contraintes allégées et donc à vitesse plus limitée ? Cela vous paraît-il crédible ?

Vous avez beaucoup insisté sur l'adossement. Le système dans lequel vous avez travaillé tant qu'il était possible a conduit à de bons résultats, puisqu'un tronçon perçu comme non rentable était quand même fait dès lors qu'il était intégré dans un réseau qui, lui, l'était au-delà de la seule nécessité de sa propre rentabilité.

Dès que cet adossement n'existe plus dans le réseau qui vous était dévolu, les autoroutes de Normandie, par exemple, pourront-elles construire des tronçons ? Avez-vous déjà envisagé cette perspective ? A cet égard, vous avez parlé du contournement de Clermont-Ferrand et du taux moyen journalier de véhicules. Il a été beaucoup dit que le trafic journalier sur cette autoroute traversant le Massif Central serait insuffisant pour que sa rentabilité soit assurée. Confirmez-vous ou pas cette information ? Comment envisagez-vous l'avenir dans ces conditions ?

Enfin, existent à ma connaissance des fonds de concours. J'aimerais savoir quel est leur montant vous concernant en 1998 et en 1999. Selon quelle procédure, bien évidemment transparente et publique, a lieu l'utilisation de ces fonds de concours ?

M. Bernard Val : Les autoroutes allégées ne sont pas un concept propre aux secteurs concédés. Actuellement, une réflexion est conduite par la Direction des Routes sur des caractéristiques, plus faibles, compte tenu des trafics, mais évolutives. Il faut bien concevoir les autoroutes allégées comme une solution adaptée au trafic inférieur à 8 ou 9.000 véhicules/jour sur le moyen ou long terme,ce concept devrait permettre d'abaisser le coût de construction de 20 ou 30 %.

Nous avons assisté à une certaine dérive des coûts autoroutiers compte tenu de l'empilage des textes législatifs qui se sont imposés au secteur autoroutier, notamment en matière d'environnement, d'eau, de bruit, etc... De ce fait, depuis une dizaine d'années, le prix du kilomètre s'est envolé.

Il restera ensuite à étudier, dans le cadre d'appels d'offres totalement ouverts qui feront apparaître des subventions publiques, s'il sera plus intéressant de concéder ces sections ou de les faire sur des crédits d'Etat.

Ce n'est pas forcément parce qu'on baisse de 30 % le coût de construction d'une autoroute que l'équilibre financier de la concession sera assuré, car on est obligé de diminuer aussi le tarif du péage. Il est en gros de 40 à 50 centimes du kilomètre sur le secteur concédé, ce prix ne pourra probablement pas être appliqué sur une autoroute avec des caractéristiques réduites.

A un moment, on n'équilibre jamais la concession. Au final, l'intérêt public sera certainement de réaliser ces aménagements sur crédits publics.

Maîtriser certains équipements, envisager l'évolution des caractéristiques en fonction de celle du trafic : cela me paraît assez sain. Ces dispositions ont été prises déjà, dans ce sens, sur l'A89 et l'A20 pour s'adapter à l'évolution du trafic.

A l'inverse, sur des axes comme l'A9 ou l'A7, nous proposons à l'État de réaliser des aires entièrement dédiées aux poids lourds, parce que leur trafic est très important et que la demande de stationnement est très forte, notamment pour respecter la nouvelle réglementation.

Donc, plutôt que d'avoir des caractéristiques autoroutières figées, essayons de les adapter au trafic et à sa nature.

L'adossement était un excellent système. Il a permis, sans coûter un franc au budget de l'Etat de doter la France d'un réseau autoroutier de 7.000 km, en faisant supporter 20 % du coût par des non résidents.

L'adossement se raisonne souvent en termes de durée, mais il peut aussi être tarifaire. Si nous avons besoin de faire des extensions dans la Vallée du Rhône, elles pourraient très bien se faire par modulation tarifaire.

Nous avons toujours, jusque-là, parlé d'adossement en termes de durée. Il peut être tarifaire. Si nous avons besoin de faire des extensions dans la vallée du Rhône, il peut très bien y avoir une modulation tarifaire.

Le taux de péage kilométrique d'ASF est l'un des plus faibles : 39,79 centimes. Dans d'autres sociétés, il est de 54 centimes. Nous pourrions, grâce à cette souplesse, arriver à un taux moyen de 42 ou 43 centimes. C'est aussi une forme d'adossement. Nous pouvons très bien avoir à négocier avec le concédant un adossement en termes tarifaires.

Par contre, il est bien clair que pour chaque liaison les termes de l'équilibre financier caractérisant la concession devront clairement apparaître : ils se traduiront soit par la subvention de l'État si la section n'est pas rentable, soit par l'équivalent en termes d'adossement, en durée ou en tarif, permettant l'équilibre de la section. Mais ces conditions devront être au préalable transparentes et indiquées dans l'avis d'appel d'offres. Ce sont les dispositions imposées par Bruxelles pour respecter la transparence et la mise en concurrence. Elles ne nous gênent pas.

M. Jérôme Cahuzac : J'ai posé une question sur les fonds de concours.

M. Bernard Val : oui. Nous avons été mis à contribution par le biais de fonds de concours. Par exemple, sur l'A64 l'État nous a imposé un fonds de concours pour la section Muret - Martres, section gratuite, d'une trentaine de kilomètres. L'État a demandé un fonds de concours de 400 MF au motif que cette section participait à la dynamique de notre réseau.

Aujourd'hui, avec la mise en place du nouveau système, l'État ne peut plus l'exiger de la part d'un concessionnaire. Je serais donc amené à m'opposer à une demande de l'État qui me conduirait à verser un fonds de concours situé en dehors du périmètre de ma concession.

M. Pierre Méhaignerie : Je ne reviendrai pas sur le bilan globalement positif des efforts faits sur les télécommunications et le réseau autoroutier. Le problème aujourd'hui se pose au niveau des coûts de production et de la compétitivité des États européens. Comment les réduire ?

Quelles seraient les meilleures mesures, à votre avis, qui permettraient de réduire le coût collectif pour la puissance publique de l'ensemble du système des transports ? Est-ce en ralentissant le programme autoroutier ? Au lieu de Bordeaux-Clermont-Ferrand, aurait-il fallu faire la route plus au nord, par exemple ? Ou faut-il rechercher des complémentarités entre les trois modes de transport ? Où est-il possible de réaliser les économies collectives les plus efficaces ?

M. Bernard Val : Il ne me paraît pas possible d'apporter la même réponse pour les autoroutes de liaison, les autoroutes en périphérie urbaine ou les autoroutes situées en zone urbaine.

Le système autoroutier a été basé à l'origine sur les autoroute de liaison. Le maillage du schéma actuel conduira la France à être correctement couverte d'autoroutes de liaison en 2007 et correspondra à une réalité économique et d'aménagement du territoire.

L'A89, par exemple, dessert un million et demi de personnes dans quatre départements, sur une bande de 30 km, dans une zone où il n'y a pas d'autre moyen de transport, ni train, ni avion. Elle répond très certainement à un objectif cohérent, sous l'angle de l'aménagement du territoire conçu de façon multimodale, en offrant au moins une infrastructure de bonne qualité à cette zone du territoire national.

La réponse est complètement différente en périphérie de ville ou en zone urbaine. En 2005, 85 % de la population française vivra en périphérie urbaine ou en zone urbaine. Les sections que nous exploitons dans des agglomérations comme Lyon, Montpellier, Marseille, Toulouse, Bordeaux, montrent que nous ne pouvons pas raisonner en termes de flux autoroutiers, mais qu'il faut raisonner en termes de déplacements.

Un rééquilibrage est nécessaire entre le transport en commun et l'automible ; il faut doper le transport en commun. Dans les principales agglomérations françaises,on estime à 200 milliards de francs les besoins en financement pour couvrir les problèmes des dix prochaines années, alors que l'endettement total du secteur autoroutier sera à son maximum de 150 milliards de francs. Cela montre l'ampleur des investissements à réaliser en zone urbaine pour couvrir les moyens de déplacement, transport en commun, stationnement et voie rapide urbaine.

On ne pourra éviter de penser à une solution introduisant un péage de zone. Pour entrer dans les grandes agglomérations, la voiture serait, sous une forme ou une autre, taxée et les recettes agrégées et mises dans un pot commun, de façon à équilibrer l'ensemble des investissements consacrés aux déplacements dans une agglomération.

L'Europe a lancé des programmes de cette nature, actuellement testés par les Italiens. Florence, Rome et Bologne, ont déjà introduit le péage de zone, qui permet, avec une seule carte à puce, de prendre le transport en commun, d'utiliser sa voiture ou de payer le stationnement.

Toutes ces ressources sont alors agrégeables dans une structure commune qui permet de développer notamment les transports en commun. Actuellement il y a moins de 20 % de déplacements qui se font en transport en commun dans nos agglomérations. Pour qu'elles soient équilibrées, il faudrait probablement atteindre 30 ou 40 %, comme dans les villes du nord de l'Europe citées généralement en exemple.

Pour trouver les 200 milliards de financement nécessaires pour faire face aux équipements liés aux déplacements dans les grandes agglomérations, il faudra sans doute revoir les modes les modes de financement, nous n'y échapperons pas.

Par ailleurs, nous n'éviterons pas non plus une autre évolution vers un péage pour le transit des poids lourds. Il sera testé, l'année prochaine, en Allemagne et en Angleterre. Il y aura des portiques avec des antennes pour détecter le passage des poids lourds. L'Autriche a déjà adopté la vignette et va passer au badge électronique d'ici à deux ans, la Suisse également.

Nous ne ferons pas l'économie d'une réflexion de cette nature en France, notamment pour les autoroutes qui ne sont pas aujourd'hui à péage. Ce système permettrait d'au moins couvrir les dépenses d'exploitation des autoroutes actuellement gratuites, du réseau national.

Ma réponse est un peu longue, mais elle ouvre des perspectives.

M. Gilles Carrez : Vous avez évoqué un taux de charges fiscales de 23 %. Comment se décomposent ces charges entre la TVA, la taxe professionnelle, les taxes d'aménagement, et comment ont-t-elles évolué au cours des dix dernières années ?

Par exemple, en Ile-de-France, où, actuellement, on prépare le Contrat de Plan, les financements disponibles pour les voies rapides représentent à peu près le dixième des besoins exprimés. Face à un tel écart, on ne pourra que reposer la question des modes de financement. Avec les financements publics traditionnels, il n'est pas possible de faire face aux besoins, même si l'on veut un rééquilibrage au profit du transport en commun.

M. Bernard Val : Je vais d'abord répondre à votre deuxième question. Voilà un système expérimental italien, financé par l'Europe (M. Val montre divers objets), avec un badge et une carte à puce. On peut choisir son mode de transport : transport en commun, bus, train et/ou voiture avec accès à la zone dans laquelle vous voulez entrer, y compris le stationnement.

Nous exploitons une partie du périphérique lyonnais ; nous nous sommes livrés à un calcul pour voir l'incidence d'un tel dispositif sur l'agglomération de Lyon, et en considérant que le coût mensuel serait équivalent à celui de la carte de transport locale, de 320 francs par mois, c'est-à-dire 10 francs par jour. Quel serait l'effet de levier ?

Il serait de 1,2 milliard par an. Ces ressources couvriraient les deux lignes de tram supplémentaires à construire et le bouclage du périphérique. Ces recettes nouvelles cautionneraient 10 milliards d'investissement sur quinze ans.

En région parisienne, le raisonnement serait le même.Cessons d'opposer le transport en commun et la voiture. Pensons, en priorité, aux conditions de vie de nos concitoyens. Ce n'est pas non plus notre intérêt d'avoir des routes encombrées. Etablissons un meilleur équilibre entre les modes, et agrégeons les recettes, pour mener une politique cohérente de dépenses couvrant l'ensemble des transports.

En 1998, les recettes d'ASF ont été de 9 milliards de francs ; la même année, nous avons payé 2 milliards d'impôts, les fonds de concours représentaient un solde de 65 millions de francs, le fonds de concours gendarmerie 158 millions de francs, la taxe professionnelle 320 millions de francs, la contribution au FITTVN 940 millions de francs (finançant notamment les autoroutes gratuites), les impôts et taxes diverses 17 millions de francs, et la TVA 446 millions de francs. Nous avons donc versé 1,955 milliard sur notre compte d'exploitation, et 790 millions de francs non récupérables sur nos travaux, puisque nous ne récupérons pas la TVA sur nos investissements, soit un versement global de 2,7 milliards à l'État en 1998.

M. Didier Migaud : La Cour des comptes, dans des rapports déjà anciens, mais qui sont sur le point d'être actualisés, faisait observer que les frais généraux des sociétés concessionnaires d'autoroutes étaient peu maîtrisés, ainsi que les sous-concessions.

Est-ce que des mesures ont été prises par votre société pour organiser mieux le contrôle de gestion en la matière ?

Sans remettre en cause le mode de financement adopté pour les autoroutes, et sachant que la rentabilité n'est pas un critère exclusif de la décision de créer une autoroute, compte tenu de la dimension aménagement du territoire, la Cour des comptes a fait observer également que le mode de financement par la concession avait pu conduire à un surdimensionnement de certaines réalisations, en clair que des projets avaient coûté plus cher qu'ils n'auraient coûté avec un autre mode de financement.

Quelle est votre appréciation ?

M. Bernard Val : Qui dit que les frais généraux sont mal contrôlés ne dit pas forcément qu'ils sont excessifs. Nous avons mis en place, depuis deux ans, des contrôles. Nos sept directions régionales. Elles gèrent 5.000 personnes à titre permanent et 3.000 à titre occasionnel, soit au total environ 8.000 personnes ; dans chaque direction régionale il y a un contrôleur de gestion.

Depuis le 7 janvier, un nouveau logiciel nous permet de radiographier tous les éléments de notre gestion, allant de la simple commande aux frais de siège de la société. Ces informations sont, en permanence, accessibles au contrôleur d'État.

Nous avons également recruté un auditeur interne, qui ne dépend que des mandataires sociaux, le Directeur Général et le Président, et auquel nous confions des missions d'audit, de trois mois environ, sur des sujets particuliers sur lesquels nous souhaitons être éclairés.

Nous estimons avoir ainsi mis de notre côté tous les atouts nécessaires pour surveiller notre gestion au plus près.

La deuxième question concerne les sous-concessions. Nous avons un service de contrôle. La redevance des concessionnaires est liée à leur chiffre d'affaires. Pour la petite histoire, nous sommes les plus gros vendeurs de nougats de France, puisque les nougatiers de Montélimar font 70 % de leur chiffre d'affaires sur l'aire de l'A7.

Nous avons besoin de contrôler les quantités de nougats écoulées et leur qualité ; notre service de contrôle est en charge de ces tâches. C'est indispensable : sur certaines aires, nous recevons par jour, pendant les grandes migrations, plus de 40.000 personnes, soit l'équivalent de la population d'une ville moyenne. Nous leur offrons beaucoup de services, ils doivent être en permanence en état de fonctionner et offrir une certaine qualité.

Par exemple, pour les restaurateurs, nous éditons un guide de la restauration d'autoroute rédigé par Jean Ferniot, critique gastronomique ; nous décernons des poêlons aux restaurants d'autoroute, et des lauriers aux stations-service. Un autre service gère le contrôle des chiffres d'affaires à partir desquels nous taxons les sous-concessions.

La troisième question porte sur le surdimensionnement.

On a critiqué une dérive des coûts, il peut s'agir d'une dérive de l'interprétation de certains textes.

Un exemple touchant la loi sur l'eau. Sur l'A20, dans la traversée du département du Lot, sur 100 km, on nous demande une autoroute totalement étanche, dans l'hypothèse conjuguée d'un orage centennal et du renversement d'un camion de toxiques de 38 tonnes. A côté, 4.000 km de routes départementales du Lot n'ont aucune protection.

La probabilité qu'un accident de cette nature se produise est, sur ce tronçon, d'une fois tous les 3.250.000 ans ; sur les routes départementales, un camion peut se renverser à chaque instant. Nous supportons un surcoût indiscutable et disproportionné pour la construction des ouvrages.

Si l'État avait à construire la même autoroute sans péage, j'imagine qu'on lui appliquerait les mêmes règles, mais je n'en suis pas tout à fait certain : il y a au nord une section État où de telles contraintes ne sont pas imposées..

La différence de coût entre l'autoroute à péage et de celle hors péage est d'environ 15%. Nous avons des emprises plus larges, des protections phoniques pour le trafic prévu à la fin de notre concession. Nous construisons au départ beaucoup plus lourdement que si nous avions simplement à suivre l'évolution du trafic.

Enfin, le coût de nos installations de péage s'ajoute évidemment au prix d'une autoroute gratuite. Voilà pourquoi l'écart de prix à la construction est de 15 %.

M. Gérard Saumade : Deux postes sont extrêmement importants, la taxe professionnelle et la TVA.

Comment est versée la taxe professionnelle, dans quelles conditions, à qui : aux communes, aux départements ? C'est un cas type où il faudrait revoir le régime juridique pour assurer la péréquation.

Une deuxième question plus locale. Dans la région du Languedoc-Roussillon, l'autoroute A9 est sursaturée, elle est dangereuse, en particulier entre Nîmes et Sète. Et, par ailleurs, l'autoroute en construction de Clermont-Ferrand est gratuite. Est-ce que vous ne craignez pas une concurrence entre ces deux autoroutes, dès lors que le passage par le Massif Central raccourcit de 50 km la distance de Béziers à Paris ? Cette concurrence ne risque-t-elle pas de limiter les investissements que vous pourriez faire, en particulier le long de la vallée du Rhône, par la Basse-Ardèche ?

M. Bernard Val : Pour le calcul de la taxe professionnelle, la longueur du réseau est prise en compte ; pour une gare de péage, ce sont les équipements techniques qui entrent dans le calcul de la TP. Son produit est réparti entre l'ensemble des bénéficiaires traditionnels (départements, communes, etc.).

Vous avez évoqué la concurrence de l'A75. L'exploitation d'une concession se fait dans la durée, sur dix, quinze ou vingt ans. Or, l'A75 supporte déjà un gros trafic. Chaque été il y a 30 km de bouchons à Millau. L'effet de sa réalisation sur la vallée du Rhône est un ralentissement et non un arrêt, de la croissance du trafic.

Cette année, nous avons eu 5 % d'augmentation en moyenne sur notre réseau. Le trafic de la vallée du Rhône n'a augmenté que de 3,7 %, alors que l'A75 est déjà montée en puissance. Les perspectives actuelles d'écoulement du trafic dans la vallée du Rhône dans les dix prochaines années sont inquiétantes. Il y a saturation, quand il faut deux fois plus de temps que la normale pour parcourir une distance donnée. Or, pendant 31 jours par an, nous atteignons le seuil de saturation sur A7. Nous avons écoulé, en jours de pointe, l'année dernière, 160.000 véhicules sur 2 x 3 voies. C'est considérable ! Ce phénomène n'ira qu'en s'amplifiant.

Ces perspectives sont très inquiétantes, car nous ne maîtriserons pas un accident conséquent dans la vallée du Rhône le jour où elle est saturée. Les conditions dans lesquelles nous exploitons cette liaison sont extrêmement tendues. 40.000 personnes transitent dans une journée de pointe sur une aire de service. Nos personnels gèrent cette situation avec un stress anormal, préjudiciable à un bon écoulement du trafic et une bonne sécurité.

Chaque fois que se produit un incident - il y en a eu un encore cet hiver avec la chute de sept lignes à haute tension - nous provoquons une trombose majeure dans la Vallée du Rhône. Or les perspectives à dix ans, même en ralentissant la croissance du trafic, sont redoutables et appellent des décisions politiques importantes. Ce n'est pas l'A75 qui résoudra le problème, ne serait-ce que parce que les poids lourds ne l'emprunteront pas, ses dénivelés ne s'accommodant pas à leur trafic. Or, la croissance du trafic poids lourds dans la vallée du Rhône a été de 6,7 % en 1998.

Même si ce phénomène se ralentit, nous n'arriverons pas à passer en position de décroissance, pour retrouver une situation d'exploitation également normale propre à assurer une sécurité convenable.

Chaque nuit, il n'est pas rare de voir 180 camions stationner sur des aires de 60 emplacements. Il est absolument nécessaire de trouver des solutions, et nous en avons suggéré à la Direction des Routes pour la vallée du Rhône.

M. Gérard Saumade : Pourrait-on les connaître ? Les trafics espagnol et portugais se développent, avec l'Afrique du Nord le trafic des poids lourds va s'accroître encore de façon dramatique, avec des risques d'accidents monumentaux.

M. Bernard Val : Nous avons proposé une solution tout à fait originale, inspirée des exemples américains. Nous pouvons, sur les emprises actuelles de l'A7, réaliser deux voies supplémentaires, totalement dédiées aux poids lourds.

Vous connaissez bien le phénomène sur l'A9 : les poids lourds se doublent, et comme ils représentent 23 à 24 % du trafic, ils immobilisent deux files de circulation et réduisent considérablement le débit des véhicules légers qui n'ont plus que la troisième voie pour circuler. Or, entre la frontière espagnole et Lyon, deux files sont, en permanence, occupées par les poids lourds, d'où un débit et des capacités qui se réduisent à mesure que ces axes se saturent.

Entre Orange et Valence, sur 60 km, le tronçon spécifique aux poids lourds pourrait être réalisé sur les emprises actuelles de l'autoroute A7. Ensuite, on pourrait reprendre l'itinéraire de l'A49 et de l'A5 pour contourner l'agglomération lyonnaise, dans la logique du schéma imaginé à un moment, lors de la réalisation de l'A5, pour désengorger l'autoroute A6.

Le Président Augustin Bonrepaux : Sur les autoroutes tout le monde est intarissable, mais nous sommes une mission d'évaluation et de contrôle, il faudrait revenir à des questions précises, je pense que les deux rapporteurs ont encore à en poser.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis de la commission de la Production et des Échanges sur les crédits de l'Équipement et des transports terrestres : Nous étions tous très intéressés par les propos tenus. Je reviens sur les péages. De quelle façon s'évalue leur montant dans votre société ? Correspondent-ils à vos besoins ? Si vous en aviez la maîtrise totale, comment les évalueriez-vous aujourd'hui ?

M. Bernard Val : Évidemment les péages sont entièrement soumis à la tutelle de l'État, c'est lui qui fixe leur montant. Jusqu'à maintenant, ASF est considérée, à juste titre, comme la société qui a la meilleure santé financière, puisque c'est celle qui a le moins investi en proportion de ses capacités. C'est la dernière société à investir aujourd'hui massivement ,en construisant 660 km dans une partie du grand sud-ouest. Elle a d'excellents résultats. L'État pèse, à bon escient, pour que nos péages soient parmi les plus bas. J'ai cité le nôtre tout à l'heure, il est de 39,79 centimes/km quand d'autres sociétés sont à 54 centimes, mais elles doivent rembourser les investissements qu'elles ont déjà réalisés.

Nous négocions avec l'État, à l'occasion du contrat de plan, l'évolution de nos tarifs de péage pour une période de cinq ans en fonction de l'équilibre de notre concession et de notre programme d'investissement. Le contrat de plan prévoit que nous ne pouvons faire évoluer nos tarifs de péage de 0,85 % de l'inflation hors tabac, l'indice d'inflation hors tabac étant le moins élevé.

Un nouveau contrat de plan va s'appliquer. En période de basse inflation, le Président que je suis a envie de proposer à l'État une évolution des tarifs en fonction du niveau de service offert.

Je m'explique. Si nous sommes obligés de réaliser des aires supplémentaires pour les poids lourds dans la Vallée du Rhône, nous devrions logiquement être autorisés à faire évoluer le tarif poids lourds en conséquence.

Si, pour des raisons de sécurité, nous développions le système de la radio du 107.7, qui démontre toute sa valeur, notamment pendant les périodes saturées - il n'existe actuellement que sur un tiers du réseau ASF - son développement est très cher, puisqu'il suppose un service, des patrouilles 24 heures sur 24 qui offrent une meilleure sécurité à nos clients. Nous devrions nous orienter vers une évolution de nos tarifs en fonction du niveau de service offert. Les Italiens ont mis en place un système de cette nature.

Par ailleurs, nous devrions aussi pouvoir faire bouger plus fortement nos tarifs sur l'ensemble du réseau. Nous pourrions faire de la régulation dans la Vallée du Rhône où il y a 31 jours de saturation par an. Si nous pouvions surfacturer ces jours là et réduire à du concurrence les jours creux, nous aurions probablement une meilleure fluidité correspondant à un gain économique plus important pour l'ensemble de la société.

Nous allons proposer à nos tutelles des mesures de ce type pour le prochain contrat de plan 2000-2005.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Je reviens sur les surcoûts. Par rapport à l'estimation initiale, ils sont importants. Est-ce que le sujet est convenablement abordé en amont ? N'est-ce pas dû à un manque d'appréciation technique ?

M. Bernard Val : Un exemple très clair, celui de l'A89. On cite les chiffres de 14, 18 et 21 milliards. Ils ne recouvrent pas la même réalité, pourtant ils sont tous publics. Le jour où l'État décide de déposer le dossier d'enquête d'utilité publique, il fait une évaluation en général, selon le poids sec de l'autoroute avant enquête publique : pour l'A89, cette évaluation était de 14 milliards.

A l'issue de l'enquête publique, l'État est amené à prendre des engagements pour tenir compte des observations formulées. Il se produit déjà une première dérive des coûts.

Ensuite, il y a une deuxième dérive, car des lois s'additionnent entre la première évaluation faite au moment de la DUP et le moment où l'État transfère le dossier au concessionnaire.

Les programmes ont tous été évalués, par exemple, avant la loi sur l'eau. L'incidence de celle-ci a fait dériver de 25 à 30 % les coûts du kilomètre d'autoroute durant les cinq dernières années. Ces coûts n'ont pas été pris en compte au moment de l'évaluation, d'où un passage de 14 à 18 milliards, puis à 21 milliards pour l'A89. Mais on oublie qu'il y a eu deux DUP et qu'on a ajouté 42 km pour le contournement de Clermont-Ferrand. Tous ces chiffres sont justifiables, il faut simplement les expliquer.

Quand la société concessionnaire hérite du dossier, elle s'attache à mettre en forme les engagements de l'État, elle effectue des études complémentaires pour essayer de limiter au maximum les coûts des ouvrages d'art. Elle va même proposer à l'État certains phasages, par exemple sur l'A89 sur la section entre Brive et Périgueux pour la construction d'ouvrages d'art liés à l'évolution du trafic, et ce pour limiter les coûts d'investissement.

Parallèlement, la Direction des Routes a mis en place des missions de contrôle des coûts, dirigées par des ingénieurs généraux de l'Équipement, qui, en permanence, valident les coûts de construction des sociétés d'autoroutes. Chaque dossier de chaque section fait l'objet d'une discussion contradictoire pas toujours facile entre l'État et ASF, pour évaluer l'enveloppe à partir de laquelle nous serons autorisés à construire une section. Et cela est valable sur la totalité des 660 km que nous avons à construire.

Nous sommes ainsi conduits à proposer à l'État de différer certaines réalisations d'aires de repos, des économies ou des évolutions de caractéristiques fonction du trafic. C'est d'ailleurs ce qui a naturellement conduit à mettre en place un groupe de travail sur les autoroutes dites allégées, à caractéristiques évolutives.

M. Jean-Louis Idiart, rapport spécial : Je suis un peu surpris de ce surcoût de 25 à 30 % à la suite des différentes lois. J'aimerais avoir des précisions supplémentaires, car je trouve vos chiffres un peu forts.

M. Bernard Val : Il ne m'appartient pas de discuter du bien fondé des lois, nous constatons leur coût : nous sommes passés de 33 millions de francs du kilomètre à 44 millions de francs. Les coûts sont parfaitement décomposés. En ce qui concerne les terrassements et les chaussées, ils ont plutôt diminué, mais sur tous les autres postes, ils ont augmenté.

Je suis, c'est vrai, un peu réducteur quand je parle de 25 % à 30 % dus à la loi sur l'eau. Il faut aussi prendre en compte le 1 % pour le paysage - développement, et les 2 points supplémentaires de TVA, la loi sur le bruit, etc... Tous ces éléments sont naturellement à votre disposition, avec les graphiques montrant l'évolution des coûts moyens autoroutiers.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis de la commission de la Production et des Échanges sur les crédits de l'Équipement et des transports terrestres : Nous avons bien compris le fonctionnement. Vous partez d'un prix de 14 milliards évoluant au fur et à mesure. Nous connaissons tous, dans nos circonscriptions, des communes qui ne peuvent pas obtenir le passage d'un pont pour une voie communale, parce que la société concessionnaire n'en a pas forcément les moyens. Il en résulte parfois un vrai problème d'aménagement du territoire.

Comment appréciez-vous les méthodes de concertation dans le cadre de l'enquête publique, avec les riverains, les associations, les services associés ? Sont-elles en cause pour vous ? Si oui, que souhaitez-vous pour une meilleure appréciation locale du développement des autoroutes ?

M. Bernard Val : Ce n'est pas la société concessionnaire de l'autoroute qui refuse, elle construit, pour le compte de l'État, strictement ce qu'il lui demande.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis de la commission de la Production et des Échanges sur les crédits de l'Équipement et des transports terrestres : Je connais des communes de ma circonscription auxquelles la société concessionnaire refuse de faire passer un pont.

M. Bernard Val : L'État ne nous autorise pas à financer un pont supplémentaire qui n'est pas prévu dans la déclaration d'utilité publique. Sur chaque liaison, une DUP nationale fait l'objet de cinq ou six recours contentieux.

Il faut comprendre la position de l'Etat face à un processus susceptible de remettre en cause une DUP nationale pour ajouter ou retirer un ouvrage. On constate parfois quelques insuffisances, mais elles peuvent être corrigées une fois l'autoroute mise en service, par des DUP locales. C'est quand même plus facile.

Pour construire actuellement de grands programmes comme l'A20, l'A89 ou l'A87, j'ai le sentiment que la concertation au stade de l'enquête publique et de la DUP est très complète, ne serait-ce que parce que je vois le coût augmenter considérablement entre l'évaluation des services de l'État à l'origine et le résultat final, quand la DUP est prise et que le Conseil d'État a validé ou n'a pas validé chaque réponse de l'État sur chaque observation du commissaire enquêteur. Si la réponse de l'Etat est insuffisante, le Conseil d'Etat l'oblige à tenir compte, dans la déclaration d'utilité publique, des observations du commissaire enquêteur.

A mon sens, sur l'ensemble des sections actuelles, les réponses apportée sont très satisfaisantes. Je ne dis pas qu'ensuite ne s'ajoutent pas des besoins, mais ils sont réglés au coup par coup.

M. Raymond Douyère : Quel est le coût moyen d'un péage ? Quelle économie pour les sociétés d'autoroutes et quelle disparition d'emplois engendreront les nouvelles techniques consistant à détecter le passage avec une carte éventuellement installée sur la voiture ?

M. Bernard Val : Le système de péage français n'est pas fermé, à la différence du système italien. Par exemple, vous entrez à la frontière franco-italienne, vous sortez à Naples, vous ne payez qu'une fois. En France, le système est plus compliqué et nécessite toujours des barrières de péage en pleine voie car notre système est très souvent ouvert alternant des sections payantes et des sections gratuites.

Les sociétés d'autoroutes privilégient l'emploi sur ces barrières. Plus de 55 % de nos paiements sont faits en monétique. Nous conservons néanmoins un nombre de personnel important, pour des raisons très claires de maintien de l'emploi, et nous n'avons pas l'intention de modifier ce comportement.

Cependant, nous devons offrir des facilités de transit par des systèmes techniques automatiques. Ils se justifient essentiellement dans un cas : lorsque les péages sont périurbains. Une transaction manuelle nous coûte 3,50 francs. Sur une petite distance en périphérie urbaine pour un trajet domicile-travail de 3 francs, nous perdons 50 centimes sur chaque transaction. Un péage avec un système de vignette électronique coûte de 50 à 80 centimes. Si nous installons, en périphérie urbaine, des systèmes de télépéage, nous pouvons établir des abonnements domicile-travail qui diminuent le coût de 50 %. Nous ne jouons pas alors sur le tarif, mais sur le volume du trafic. Mais cela suppose que nous abaissions le coût de la transaction et que nous ayons des systèmes automatiques.

Je vous ai également indiqué que les Allemands, les Anglais et les Autrichiens envisageaient d'installer des péages de transit. Comme, à l'origine, la construction de leur réseau ne comportait pas de péage, il leur est impossible d'avoir un système de péage du type du nôtre : ils sont obligés d'installer des systèmes sur portique multi voies, multi classes. Les systèmes expérimentés à l'heure actuelle associent le téléphone GSM et le positionnement GPS. Le péage deviendra alors totalement transparent.

M. Raymond Douyère : Quel est le taux de fiabilité ?

M. Bernard Val : Transroute, dont nous sommes actionnaires, va mettre en service dans deux mois un système de ce type à Melbourne, sur le périphérique, pour 60.000 véhicules/jour. Je pourrai vous répondre très précisément, mais la technologie est actuellement parfaitement maîtrisée.

Le Président Augustin Bonrepaux : Je vous remercie, ainsi que vos collaborateurs.

4.- AUDITION DE M. JEAN MESQUI, PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SOCIÉTÉ DES AUTOROUTES DE PARIS-NORMANDIE

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 4 mars 1999)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

A l'invitation du Président, M. Jean Mesqui est introduit. Le Président lui rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il donne ensuite la parole, pour une première question, à M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial de la commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan sur les crédits des transports terrestres.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial des crédits des Transports terrestres : Monsieur le Président, la Cour des comptes, dans son rapport public de 1997, a fait état de dépassements financiers pour la construction de l'autoroute d'Orgeval.

Êtes-vous d'accord avec ses conclusions ? Ces dépassements étaient-ils inévitables ? Quelle méthode envisagez-vous pour ne pas sombrer dans ces errements ?

M. Jean Mesqui : L'autoroute A14 relie Orgeval à La Défense sur une longueur de 16 km. Elle passe sous la terrasse de Saint-Germain, dans un secteur extrêmement sensible.

Les dérives enregistrées par la Cour des comptes sont tout à fait réelles. Le montant du projet en 1988 était de 1,2 milliard, et en 1993 il a terminé à 4 milliards, d'où une dérive considérable, dans laquelle la société n'a pas de responsabilité. Elle est entièrement due à des ajouts successifs d'ouvrages de protection, de tunnels, inscrits à la suite de concertations entre les élus et le Gouvernement. S'il fallait tirer les conclusions, il vaudrait mieux qu'il n'y ait ni élus ni État !

Cette autoroute a une existence tout à fait particulière, qu'il n'est absolument pas possible de comparer à d'autres, elle a eu une genèse extrêmement difficile. Pendant un an, le chantier a été arrêté, avec des coûts très importants supportés par la société. C'est finalement une belle autoroute, qui respecte totalement son environnement.

Si je pouvais tirer une conclusion a posteriori, je dirais que le projet de base établi en 1984 ou 1985 n'était pas le bon.

En rase campagne, une autoroute a un coût moyen de 45 millions de francs du kilomètre. L'A14 a coûté 250 millions de francs du kilomètre, l'A86, un peu plus urbaine, 500 à 600 millions de francs. Donc, finalement, le coût de l'A14 se situe entre les deux. A mon avis, c'est normal.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Vous n'avez pas répondu à la question sur la méthode. Vous allez être confrontés au problème chaque fois que vous aurez à construire des autoroutes en milieu urbain. Les sujétions sont acceptées.

M. Jean Mesqui : L'ouvrage déclaré d'utilité publique a été modifié par la suite. Vous vous rappelez que le Président de la République lui-même a décidé, en 1991, après la DUP, une modification très substantielle du projet. Je suis vraiment désolé, je n'ai pas de méthode pour empêcher cela.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis de la commission de la Production et des Échanges sur les crédits de l'Équipement et des transports terrestres : De quelle manière les services de l'État vous interrogeaient-ils précédemment lorsqu'ils envisageaient un projet de nouvelle autoroute ? Quelle était votre part dans l'analyse, l'utilité, la rentabilité ? Etiez-vous un simple récipiendaire des décisions de l'État ? Quel était votre rôle ? Comment votre société a-t-elle fonctionné dans ces conditions ?

M. Jean Mesqui : La SAPN est une petite société par rapport à la société des Autoroutes du sud de la France. Nous n'avons pas une très grande expérience du prolongement des concessions, nous en avons connu deux, l'A29 entre le Havre et Neufchâtel-en-Bray, et l'A14 entre Orgeval et La Défense. Le caractère extrêmement spécifique de cette dernière a fait que les relations entre l'État et la société concessionnaire en particulier pour la définition de l'ouvrage, la durée de la concession, le montant du péage, ont été tout à fait atypiques.

En revanche, pour l'autoroute A29, tout s'est passé normalement. L'État a établi l'avant-projet sommaire et, à partir de là, a proposé à la société de prendre en charge la concession de l'autoroute A29. Sur cette base, la société a mené des études financières, compte tenu des éléments prévisionnels, et a proposé une durée de fin de concession à l'État. Elle a négocié avec lui, ensuite, pour déterminer la durée finale de la concession. Je ne dois pas cacher que ces négociations ont été très dures.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Avec quels services de l'État travaillez-vous pour la préparation ? Quelles relations avez-vous et dans quels domaines interviennent-ils plus précisément ? Quel est le lien entre l'État et vous ?

M. Jean Mesqui : Les services de l'État peuvent intervenir dans tous les domaines, puisque aujourd'hui, au travers de la Société des Autoroutes de l'est et du nord de la France, l'État est notre seul actionnaire. Il est présent par le commissaire du gouvernement qui siège au conseil, par les représentants de l'administration, c'est-à-dire la Direction du Trésor, la Direction du Budget et le ministère de l'Équipement.

Dans la vie quotidienne, la Direction des Routes a une fonction de contrôle très efficace en matière de coûts de fonctionnement et de construction, et nos relations avec la Direction du Trésor se sont renforcées, au fil du temps, depuis les années 90, dans la mesure où la notion d'allongement de concessions prenait une importance déterminante.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Quel est le rôle effectif du commissaire du gouvernement au sein de votre conseil d'administration ? Quelles sont vos relations avec le Trésor ?

M. Jean Mesqui : Le commissaire du gouvernement est au conseil d'administration pour représenter le gouvernement et donner les éléments de sa politique. Ce n'est pas à ce titre-là que le ministère de l'Équipement exerce sa plus grande tutelle, mais au travers des pièces que nous lui communiquons, à la fois sur nos budgets, nos prévisions d'investissement, nos coûts de construction.

Le Trésor intervient essentiellement au niveau du CIES pour examiner les emprunts annuels de la société d'autoroutes, et la vie, la durée, la négociation de chaque concession.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis : Comment votre société est-elle organisée en interne, pour conduire son propre contrôle de gestion et le contrôle technique des installations ? Vous incombent-ils totalement d'ailleurs ? De quelle manière l'État s'implique-t-il dans l'organisation de votre société ? Comment conduit-il son propre contrôle de gestion ?

M. Jean Mesqui : Je vais vous répondre d'abord au titre de la société. Elle comportait, jusqu'il y a quelques mois, un pôle de maîtrise d'ouvrage très fort, qui va disparaître puisqu'elle ne construit plus actuellement. Ce pôle exerçait le contrôle des coûts, la maîtrise technique des projets, leur direction administrative et financière. La société est dotée d'autre part d'un contrôle de gestion, fonction extrêmement importante dans le cadre des comptes de résultat.

Cette organisation nous permet d'avoir des ratios de gestion les meilleurs de l'ensemble des sociétés d'autoroutes. Nous sommes une grosse PME de sociétés d'autoroutes à excellents ratios de gestion.

Comment l'État assume-t-il le contrôle de la société ? Il le fait au travers du contrôleur d'État, placé au-dessus de nous, et du Service de contrôle des autoroutes, dépendant de la Direction des Routes, qui a à donner un avis sur toutes les décisions importantes de la société, à la fois en termes d'investissement, de fonctionnement et de grosses réparations.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Le système autoroutier est lourdement endetté. Quel est le montant de votre endettement propre ? Comment s'est-il constitué ? Sa gestion est-elle maîtrisée, sinon maîtrisable ?

M. Jean Mesqui : Notre endettement est de 12 milliards de francs, pour un chiffre d'affaires en 1999 de 1,280 milliard.

Aujourd'hui nous n'investissons plus, cet endettement montera au maximum à 14 milliards, parce qu'il nous reste des opérations à terminer.

La gestion technique de la dette est assurée, comme pour l'ensemble des sociétés d'autoroutes, par la Caisse nationale des autoroutes, dépendant de la Caisse des Dépôts et de la Direction des Routes. De ce point de vue-là, nous avons une excellente gestion de la dette, basée sur un suivi du marché au jour le jour très précis, avec une capacité de bien dimensionner les emprunts par rapport aux capacités de financement.

Reste le problème de la dimension de la dette par rapport à la taille de la société et son chiffre d'affaires, et à sa capacité de remboursement.

Ce n'est un mystère pour personne, à la Direction des Routes et à la Direction du Trésor, que si au début des années 90, la SAPN était considérée comme riche, avec une espèce de trésor de guerre, l'A13, elle s'est considérablement endettée en très peu de temps, de 1990 à 1997, à la suite de deux opérations, l'autoroute A14 et l'autoroute A29, auxquelles s'ajoute un milliard de francs de fonds de concours versé à l'État de 1991 à 1995, montant considérable par rapport à notre chiffre d'affaires. Cet argent a alimenté les contrats de Plan des régions Haute et Basse-Normandie pour permettre le doublement de certaines routes qui deviennent des autoroutes sans péage.

Voilà la composition de la dette, qui a conduit le Gouvernement en 1994 à restructurer les sociétés pour permettre aux filiales de s'adosser sur les sociétés mères. Annuellement nous percevons des avances de trésorerie qui nous permettent de faire face à la dette. Seuls, nous ne pourrions y parvenir.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis : Nous allons aborder un autre domaine, celui des péages. Comment est évalué leur montant ? Correspondent-ils aux besoins propres de votre société ? Si vous en aviez la maîtrise totale, quelle évaluation en feriez-vous ?

M. Jean Mesqui : Des textes donnent la totale maîtrise des péages à l'État. Pour les autoroutes normales A13 et A29, les péages sont réglés par des dispositions contractuelles entre l'État et la SAPN, intégrés dans son cahier des charges relevant du Contrat de Plan signé en 1994 et 1999, prévoyant une évolution du taux kilométrique moyen annuel sur l'ensemble du réseau.

Nous sommes partis historiquement d'un péage faible sur l'autoroute de Normandie. Jusqu'aux années 1993-1994, l'État a toujours considéré que la société étant relativement riche et bien implantée, il pouvait limiter les niveaux d'augmentation annuels du péage, de telle sorte qu'aujourd'hui le taux kilométrique moyen est inférieur à celui des autres autoroutes.

A la fois pour les autoroutes A13 et A29, les modalités sont déterminées par des coefficients de variations annuelles et de celles d'un indice kilométrique d'une autoroute par rapport à l'indice du réseau.

La situation de l'autoroute A14 est totalement différente, puisque d'emblée nous avons proposé à l'État une tarification totalement atypique. Il fallait équilibrer un ouvrage très cher pour peu de kilomètres, et la logique du péage ne pouvait pas être la même que celle du péage interurbain. Ce n'est pas du tout le même produit proposé à l'utilisateur. En périurbain, s'impose une logique de gain de temps et pas simplement de confort. L'autoroute A14 fait l'objet d'un examen annuel de la Direction des Routes et de la Direction de la Concurrence et des Prix.

Quelle évolution souhaiterais-je ? Il faut distinguer les autoroutes interurbaines et l'A14. Pour les premières, nous ne pouvons pas augmenter de façon considérable les péages, même si financièrement cela se justifie. Nous sommes tous convaincus, dans le monde autoroutier, que nous sommes presque à la limite de l'acceptable, et qu'il ne faudrait pas trop augmenter les tarifs kilométriques sous peine de voir le trafic nous échapper. Les modalités actuelles de détermination des péages sont bonnes pour les autoroutes interurbaines.

Pour l'A14, nous avons des positions atypiques, en particulier sur la modulation tarifaire que nous souhaitons renforcer au fur et à mesure pour avoir une logique très forte heures pleines - heures creuses.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Pourriez-vous nous indiquer les coûts d'investissement et d'entretien au kilomètre sur les différentes autoroutes à votre charge ?

M. Jean Mesqui : L'autoroute A29 a coûté relativement cher, de l'ordre de 60 millions de francs le kilomètre, par rapport à une moyenne, toutes zones confondues, de 44 millions de francs. Et le coût de l'autoroute A14 est de 250 millions de francs le kilomètre, donc beaucoup plus important.

Comment s'expliquent les surcoûts ? L'autoroute A29 est, pour l'essentiel, sur un plateau. Lorsqu'elle redescend dans les vallées, en particulier celle de la Seine, elle touche des secteurs écologiquement fragiles, et la zone industrielle du Havre, qui a demandé des investissements assez importants pour une protection.

Il a fallu prévoir plusieurs ouvrages complémentaires pour éviter, par exemple, de remblayer un vallon. Je n'aime pas employer les termes de surcoûts environnementaux, parce que j'estime que l'environnement fait partie du coût de l'autoroute.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Pourriez-vous nous donner le pourcentage des surcoûts environnementaux ?

M. Jean Mesqui : C'est un exercice auquel malheureusement je déteste me livrer. Lorsqu'on commence à décomposer un coût kilométrique entre les coûts normaux et les surcoûts dus à l'écologie, l'archéologie, etc., la répartition n'est pas très bonne. Si le projet avait d'emblée été établi avec les deux viaducs supplémentaires, il n'aurait pas connu de surcoûts écologiques.

Toutes ces mesures de protection globalement ont dû revenir sur cette autoroute à peu près à 15 millions de francs le kilomètre. Sa réalisation a commencé dans la grande vague des années 91-92, où l'écologie était très fortement à l'ordre du jour. Et sur toute sa longueur, les services de l'État, avec lesquels nous avons discuté, ont toujours interprété de façon extrêmement restrictive les textes relatifs à la protection de l'environnement, et nous avons toujours été conduits à faire le mieux, le plus en matière d'écologie.

M. Bernard Val citait tout à l'heure le cas des fossés bétonnés tout au long de l'autoroute. Ils nous ont été également imposés par les services de l'État pour l'autoroute A29. Ils sont extrêmement coûteux, de l'ordre de 1 million de francs du kilomètre. A posteriori, même les services de l'État diraient que ces fossés ne sont pas totalement justifiés, et qu'après tout, 10 ou 20 mètres de terre pourraient peut-être mieux jouer le rôle de filtre. Même dans ce domaine-là, les appréciations peuvent varier en fonction de l'époque et des interlocuteurs que nous avons.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis : Nous allons aborder un autre domaine, avec la suppression de la méthode de financement par adossement. Même si votre société n'a plus de perspectives d'investissement, il n'empêche que le paysage autoroutier français sera dessiné différemment. Comment voyez-vous l'avenir de votre société ?

Étant donné son niveau d'endettement, réfléchissez-vous éventuellement à un regroupement des sociétés d'autoroutes ?

M. Jean Mesqui : Je commence par l'aspect tout à fait général, la disparition de l'adossement. Ce système a permis de réaliser le réseau des autoroutes actuel. Mais le nouveau régime va conduire à plus de clarté dans les relations entre le concessionnaire et son concédant. En particulier, il va induire plus de transparence quant à la rentabilité des sections nouvelles à construire, et donc dans la détermination des durées de concession.

Pour la SAPN, malgré nos demandes réitérées à l'État, nous avons obtenu une concession jusqu'en 2015 pour l'autoroute A14, qui est passée de 1,2 milliard à 4 milliards. En comparaison, les durées de concession évoquées aujourd'hui pour l'autoroute A86 vont de 50 à 70 ans ; ceci montre l'écart entre l'ancien et le nouveau système.

M. Didier Migaud, Rapporteur général : Comment expliquez-vous cette différence de traitement ?

M. Jean Mesqui : C'est une approche différente des services de l'État sur une concession et son évolution. Dans les années 90, ceux-ci étaient extrêmement restrictifs, il valait mieux brider les concessions pour éviter les dérives. Volontairement le système des concessions publiques a été bridé dans ses capacités d'augmenter les durées de concession.

Aujourd'hui la situation est différente. Les prévisions de trafic, qui partaient de taux de 10 % annuels, se sont largement tassées. En 1996, pour la première fois il y a eu des progressions négatives, - 0,5 % sur l'autoroute A13. Jamais personne ne l'aurait imaginé en 1990. C'est ce qui a expliqué le changement d'attitude des services de l'État.

La loi Sapin et la nouvelle approche de Bruxelles ont contribué à modifier la situation.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis : Comment voyez-vous l'avenir de votre société dans ce contexte, et de l'ensemble du réseau concédé ?

M. Jean Mesqui : Notre société est déjà regroupée avec la Société des Autoroutes du nord et de l'est de la France. Il existe une solidarité très forte entre nous, les décisions sont prises de façon collégiale, un comité directeur se réunit tous les mois. Tout est harmonisé. Les grands chapitres, en particulier la politique d'emprunts, sont traités au niveau de la société mère.

La SAPN va redevenir ce qu'elle a été de 1976 à 1986, c'est-à-dire une société d'exploitation, d'entretien, de fourniture de services aux utilisateurs. C'est un métier comme un autre. Dans le secteur autoroutier, le métier de l'exploitation n'est pas moins "noble" que celui de la construction.

M. Yves Deniaud : Dans une précédente audition, il nous a été dit que la SAPN était la seule société autoroutière qui ne parviendrait pas à solder ses dettes avant la fin de sa concession. Le confirmez-vous ?

Sur les deux autoroutes que vous avez présentées comme chargées en coûts, l'A14 et l'A29, est-ce que l'évolution du trafic et surtout des recettes conduit à des perspectives meilleures ? Est-ce que les nouvelles sections ouvertes sur l'A29 conduisent à une progression du trafic à la mesure du coût kilométrique ?

Dans le cadre de la nouvelle donne, c'est-à-dire hors adossement, vous considérez-vous comme encore capables de soumissionner des appels d'offres pour des autoroutes ?

M. Jean Mesqui : Plusieurs réponses rapides.

S'il vous a été dit que la SAPN était la seule société à ne pas pouvoir rembourser ses dettes, je le regrette un peu. Employer des mots aussi définitifs... La SAPN est la seule à ne pas rembourser ses avances à la société mère, mais toutes ses dettes aux créanciers seront remboursées en 2014. Il n'est pas question qu'elle soit en dépôt de bilan en 2016.

Il est probable que ce mécanisme d'avances sera avantageusement remplacé, soit par une recapitalisation de la filiale, soit par des modalités financières différentes, évitant cet affichage malheureux du non remboursement de dettes. Je répète que la SAPN ne devra rien à l'extérieur.

Quel sera notre avenir ? Nous sommes à l'intérieur d'un groupe, il faut réfléchir à l'organisation, ce n'est pas la peine d'avoir deux directions de la construction. En revanche, il est très important d'avoir une société régionale proche, qui puisse assurer les contacts locaux.

Je ne peux rien vous dire sur l'appel d'offres et la soumission, les candidatures n'ont pas encore été déposées. Mais il va de soi que la SAPN aura toujours, à l'intérieur du groupe, un rôle de proximité à jouer.

M.Yves Deniaud : Et l'évolution des recettes sur l'A14 et l'A29 ?

M. Jean Mesqui : Heureusement nous avons dépassé le cap difficile de l'année 1995. Depuis 1996, nous remontons doucement la pente, avec l'an dernier un peu plus de 4 % d'augmentation et des recettes légèrement supérieures.

Sur l'A29, la situation, en revanche, est plus critique, puisque nous sommes en dessous des prévisions établies en 1990. L'avant-projet de l'État prévoyait alors sur les premières sections un trafic de 9 à 10.000 véhicules/jour aujourd'hui il est de 5.000.

Sur des autoroutes inspirées par des considérations d'aménagement du territoire, où il est illusoire de croire que la croissance du trafic va être exponentielle, la durée normale de l'amortissement devrait être de 50 ans. Je pense qu'un grand réseau de transport a besoin d'une cinquantaine d'années, voire plus pour s'équilibrer.

Si la situation de l'A29 n'est pas bonne, celle de l'A14 l'est, puisque la progression du trafic suit nos prévisions, avec un petit problème : elle a presque trop de succès aux heures de pointe et pas assez aux heures creuses, d'où notre volonté de renforcer un peu la différence.

Plus nous avons de bons résultats, plus nous améliorons notre situation à terme, et mieux nous assainissons nos relations mère/fille. Pour modifier brutalement l'état de la société, il faudrait allonger de façon importante les durées de concession.

Mme Nicole Bricq : Vous avez parlé de la qualité de l'exploitation, aussi importante que celle de la construction dans votre métier. Quelle est votre offre de service ? Quelles sont vos marges de progression et de rentabilité dans ce domaine ?

Qu'est-ce qui influence directement l'évolution des trafics ? Vous avez parlé des baisses en 1995-1996, avez-vous identifié les facteurs ?

M. Jean Mesqui : Nous avons traditionnellement une offre de service de "cantonnier", nous sommes de très bons cantonniers, nous entretenons bien la route, nous apportons un service de proximité correct aux automobilistes. C'est l'offre de service de base.

Je pense personnellement qu'en termes d'évolution de notre type d'exploitation, nous avons à faire beaucoup d'efforts, non pas tant en matière de productivité car nous sommes assez bons, mais de qualité d'accueil et de relations commerciales avec les utilisateurs. Je suis toujours frappé que les autoroutes aient une image très ambiguë pour ceux-ci : à la fois elle offre des services, mais aussi elle taxe et elle est le relais de l'État dans une fonction de percepteur.

Notre attitude n'est pas, pour le moment, commerciale, comme l'est celle de la SNCF sur son réseau. Nous avons des marges de progression. Nous avons de services, notamment d'information. Toutes les sociétés d'autoroutes ont mis en place la radio 107.7, nous améliorons le dépannage, etc.

Lorsque nous gagnons en productivité au niveau du péage, notre activité commerciale nous permet d'absorber ce gain de productivité, et, globalement, de raisonner à effectif constant, avec un trafic croissant.

Quant aux raisons de l'évolution du trafic, elles tiennent à l'activité certes, avec un certain décalage, donc pas toujours avec la même amplitude, mais le lien existe.

Un deuxième facteur joue très nettement, le moral. Lorsqu'un Parisien n'a pas le moral à cause de l'ambiance, il a moins tendance à aller passer le week-end sur la côte normande, d'où une baisse très nette, en particulier dans les années 95-96 où on a constaté un creux dans le moral des Français, et des événements extérieurs, en 1995 la grève de la SNCF, en 1996 l'opération des routiers dont l'impact a été chaque fois colossal. La grève de la SNCF a complètement paralysé Paris, et plus aucun Normand n'empruntait l'autoroute, d'où des baisses de trafic très importantes.

Le Président Augustin Bonrepaux : Je vous remercie, Monsieur le Président Directeur général, ainsi que vos collaborateurs.

5.- AUDITION DE M. JEAN-CLAUDE GAYSSOT, MINISTRE DE L'ÉQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT

(Extrait de procès-verbal de la séance du jeudi 29 avril 1999)

Présidence de M. Philippe Auberger, Président.

A l'invitation du Président, M. Jean-Claude Gayssot est introduit. Le Président lui rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il donne ensuite la parole, pour une première question, à M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial de la commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Monsieur le Ministre, grâce au système de la concession, le réseau français qui comptait 1.600 kilomètres d'autoroutes à la fin des années 60 dépassait 9.000 kilomètres en 1998. Estimez-vous qu'il faille poursuivre la progression de ce réseau au même rythme au regard, d'une part, de considérations d'aménagement du territoire et, d'autre part, des contraintes financières ?

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Le réseau autoroutier s'est développé très sensiblement au cours des vingt dernières années. Il compte actuellement 8.400 kilomètres dont 7.000 concédés, mais on peut parler de 9.000, et même plus, puisque les travaux en cours vont amener à dépasser les 9.000 kilomètres.

Est-ce que l'on doit poursuivre étant donné le coût et les réalisations ?

Etant donné les perspectives de croissance des déplacements, il ne peut être question d'arrêter le programme autoroutier en considérant que maintenant le pays est suffisamment bien équipé.

A l'évidence, tant le rythme des réalisations que les alternatives possibles aux réseaux d'autoroutes, placent devant des choix nouveaux. En effet, pour les parties d'autoroutes dont la réalisation est envisagée, les
perspectives de trafic ne sont plus les mêmes.

En d'autres termes, pour des raisons d'équilibre financier et de rentabilité socio-économique, il nous faut prendre en compte des formules alternatives éventuelles.

Les besoins routiers forts qui demeurent ont un contenu qualitatif, en termes d'aménagement, de sécurité, de protection de l'environnement et d'entretien, qui indiscutablement prendront de plus en plus de place dans la réflexion sur les infrastructures routières et autoroutières.

Ceci étant, la tendance à la diminution des investissements routiers et autoroutiers est engagée maintenant depuis plusieurs années.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Quelle est votre position par rapport au schéma autoroutier ? Souhaitez-vous le respecter ou le modifier ? En tout cas, ne vous semble-t-il pas judicieux, notamment, de pouvoir y associer de façon plus étroite la représentation nationale ? Si nous avions à discuter ou à nous prononcer à ce sujet, ce serait le moyen de faire avancer les choses. Quelle est votre position ?

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Je suis tout à fait favorable à ce que la représentation nationale soit associée à la réflexion sur les perspectives et la façon dont on doit faire évoluer le réseau.

Il n'est pas question à priori d'arrêter le programme autoroutier, mais de voir ce qu'il est aujourd'hui possible ou non de réaliser dans les meilleures conditions : ce n'est pas la même chose.

Je suis bien obligé de tenir compte de la représentation nationale : c'est elle qui a voté la loi Sapin. Je suis bien obligé de tenir compte des directives européennes, notamment de la directive « travaux » de 1993 qui soumet à des règles nouvelles les conditions d'attribution des marchés de travaux.

Le choix du Gouvernement n'est pas simplement subjectif. La réflexion intègre un choix politique : sur le réseau routier national, des efforts sont à faire en matière d'aménagement, d'entretien, de sécurité, d'environnement. Nous avons la volonté de ne pas arrêter le programme autoroutier ; en même temps nous sommes obligés de tenir compte des lois et des directives nouvelles applicables.

M. Philippe Auberger, co-président : Plus précisément, pouvez-vous nous donner un objectif chiffré de rythme de lancement pour cette année et 2000 ? Etes-vous sur une tendance de 250 kilomètres de lancement par an ? 150 ? 200 ? Un peu moins ?

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Nous sommes sur un rythme moyen de 250 kilomètres par an.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis : Monsieur le ministre, la suppression du système d'adossement est une vraie révolution dans le financement des autoroutes. Avez-vous envisagé des réformes pour y faire face ? Plus généralement, réfléchissez-vous à une réforme du financement des infrastructures ? Certains envisagent l'instauration d'une taxe additionnelle qui permettrait de financer un peu plus de kilomètres.

Par ailleurs, nous savons que dans les contrats de plan, la pression des conseils régionaux sur les routes et sur les autoroutes est très forte. La réflexion par rapport à ces investissements est donc importante. Dans quelles perspectives vous situez-vous pour remplacer le système de l'adossement ?

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : La réponse est tout à fait liée à la question précédente. Bien évidemment, nous sommes dans la situation que vous décrivez.

Tout d'abord, je constate que le développement rapide du système autoroutier français a été rendu possible par la pratique qui a consisté à confier, par voie d'avenant, au concessionnaire d'une section d'autoroute déjà en service le soin de réaliser l'extension de cette autoroute, avec en contrepartie un allongement de la concession globale. C'est le système de l'adossement.

Depuis la loi Sapin, sont intervenues la directive 93-122 du 29 janvier 1993 et la directive 93-37 du 14 juin 1993 relatives à la procédure de passation des marchés de travaux publics. Leur application conduit à une expérience tout à fait récente : l'A86 en région parisienne. Malgré les décrets qui avaient été signés par mes prédécesseurs il a fallu arrêter parce que le Conseil d'État a estimé que l'appel d'offres n'avait pas été fait dans des conditions normales par rapport aux directives de 1993. Ni le principe du tracé ni le principe de la concession n'ont été remis en cause.

Nous venons de tirer les conséquences de cette évolution et d'adapter le cadre juridique. Nous avons engagé cette réflexion pour rénover le système de financement.

Les évolutions que nous envisageons doivent répondre à quatre priorités.

Premièrement, améliorer la transparence et la rationalité des choix d'investissement entre autoroutes concédées et/ou aménagement en deux fois deux voies d'une route nationale.

Deuxièmement, accroître sensiblement les moyens d'entretien, d'exploitation, de remise à niveau du réseau routier qui constitue souvent le parent pauvre du secteur des routes.

Troisièmement, définir une politique ambitieuse de sécurité routière dont l'objectif est la réduction du nombre de victimes sur les routes de France. L'an prochain, nous ferons de la sécurité routière une grande cause nationale.

Quatrièmement, maintenir à un niveau suffisant, dans le cadre d'une politique de transport multimodal, l'effort de la Nation consacré au réseau routier, compte tenu de son importance dans l'économie nationale.

Nous avons besoin de décloisonner les moyens financiers. Depuis un an, nous avons engagé des discussions avec la Commission européenne sur les évolutions nécessaires. Nous étudions en particulier la possibilité d'allonger substantiellement la durée des concessions de toutes les sociétés autoroutières, les SEMCA, en contrepartie d'une normalisation comptable et fiscale qui leur permettra de présenter, pour les futurs projets autoroutiers, des offres comparables aux offres qui émanent des sociétés privées. Aujourd'hui, les SEMCA ne s'inscrivent pas totalement dans des pratiques de concurrence loyale.

Par ailleurs, la normalisation comptable permettra aux sociétés d'économie mixte d'avoir un résultat d'exploitation positif et de verser des dividendes qui seront recyclés dans le financement des infrastructures autoroutières. L'actionnaire essentiel de ces sociétés étant l'État, directement ou indirectement, les dividendes seront affectés au développement d'investissements routiers sur les bases que j'ai indiquées tout à l'heure.

Evidemment, vous me posez la question de la TIPP. Quand les ressources budgétaires sont plus réduites, le recours à cette taxe apparaît comme un moyen possible. L'idée mérite d'être étudiée, mais vous savez comme moi que je ne peux répondre à une telle question sans dire que cela concerne directement le ministère des Finances.

M. Philippe Auberger, co-président : Si vous permettez une question très précise à laquelle vous pouvez d'ailleurs répondre par oui ou par non : dans le cadre de cette évolution européenne, est-il possible que des capitaux étrangers, par exemple, allemands, viennent faire un investissement autoroutier en France ?

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Oui.

M. Philippe Auberger, co-président : Quelle serait votre réaction ?

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Il y a déjà des choses qui se passent. On peut apprécier positivement ou négativement. Je suis de ceux qui pensent que plus nos sociétés pourront être performantes et être choisies quand il y a des appels d'offres, mieux ce sera. En même temps, nous nous situons dans le cadre de la construction européenne. Dans le groupement constitué par Bouygues pour l'A86, il y avait des capitaux étrangers.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Les travaux de notre mission ont montré que l'instruction des projets autoroutiers était fractionnée entre plusieurs ministères, ce qui entraînait des évaluations différentes de leur coût.

Ne pourrait-on mettre en place une coordination plus étroite entre les ministères des Transports, des Finances, et de l'Environnement, pour obtenir, dès le départ, une estimation plus réaliste des coûts des projets ?

J'ajouterai même que pendant certaines de nos auditions, nous avons entendu parfois remettre en cause la compétence de certains des services de l'État, et de votre ministère en particulier. On a dit que, trop souvent, ils manquaient de pratique et que la matière grise en était un peu partie.

J'aimerais savoir comment on pourrait parfaire ce travail d'estimation de la part de l'État ?

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Si j'avais à répondre par oui ou par non à la question de savoir si on peut mettre en place une coordination plus étroite, je répondrais oui. Vous savez que l'évaluation des coûts des projets autoroutiers est de la responsabilité du ministère de l'Équipement. Ni le ministère des Finances ni le ministère de l'Environnement ne disposent pour cela d'expertise en la matière.

En revanche, plusieurs ministères sont impliqués, à un stade ou un autre, dans le processus de décision et d'évaluation.

Pour la détermination des équilibres financiers, le ministère des Finances est un partenaire du ministère de l'Équipement dans l'exercice de la tutelle des sociétés concessionnaires. Toutefois, les estimations des opérations autoroutières retenues dans le cadre de la tutelle résultent des procédures techniques du ministère de l'Équipement.

Par ailleurs, les projections de trafic faites par l'Équipement sont examinées en CIES, ce qui permet aux directions des ministères des finances, et notamment la direction de la Prévision, de faire valoir leur point de vue.

Concernant la maîtrise des coûts, les demandes complémentaires d'adaptation d'un projet faites par le ministère de l'Environnement peuvent être d'ailleurs à l'origine de coûts supplémentaires par rapport au projet initial.

Je souhaite voir vraiment s'améliorer très en amont les pratiques du dialogue entre ces deux ministères, de sorte qu'on ne soit ni retardé ni surpris par des évolutions des coûts des projets. C'est la raison pour laquelle des réunions régulières sont désormais organisées entre la direction des routes et les directeurs du ministère de l'Environnement concernés par les projets routiers afin de traiter le plus en amont possible les éventuels problèmes relatifs à la protection de l'environnement.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Je voudrais rebondir sur l'une des questions de M. Idiart concernant les calculs de rentabilité financière.

En fait, ces calculs se fondent sur un taux d'actualisation de 8 %, appuyé sur des taux d'intérêt beaucoup plus élevés qu'ils ne le sont aujourd'hui. Y a-t-il une réflexion au ministère de l'Équipement, en liaison avec le ministère du Budget, sur ces sujets ?

Avez-vous fait des calculs de rentabilité sur la base de taux d'actualisation un peu moins élevés qu'auparavant ?

Les autoroutes qui restent à construire dans le schéma autoroutier ne sont pas les autoroutes les plus rentables : c'est le moins que l'on puisse dire. Vont se poser des problèmes encore plus difficiles compte tenu de la réglementation européenne ; on s'en est bien aperçu à l'occasion de quelques projets. L'État est obligé de dire ce qu'il est prêt éventuellement à mettre sur la table pour le financement de telle ou telle autoroute.

Lorsque nous avons posé cette question à M. Leyrit, il nous a parlé d'un nouvel objet autoroutier et nous a dit qu'il fallait imaginer éventuellement la réalisation de voies rapides avec des caractéristiques techniques moins lourdes pour en amoindrir le coût. Pourriez-vous nous apporter quelques précisions sur ce nouvel objet autoroutier, s'il fait bien partie des projets du ministère de l'Équipement ?

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Sur la question de la rentabilité, il y a souvent une confusion entre le taux de rentabilité financière et le taux de rentabilité socio-économique. La rentabilité financière se calcule à partir de la rémunération des capitaux engagés par un opérateur. Le taux de rentabilité socio-économique n'est pas tout à fait la même chose. Il fonde l'intérêt collectif d'un projet en prenant en compte le bilan à la fois pour la collectivité, l'État, l'usager et l'opérateur ; il repose en partie sur des éléments non marchands.

Pour une même opération, les deux taux peuvent être largement différents ; le taux de rentabilité financière peut être très bas et le taux de rentabilité socio-économique bien plus élevé. Dans la détermination du choix, il sera important d'avoir cette double vision.

Ainsi, par exemple, l'élargissement d'une autoroute peut présenter un intérêt collectif évident, le taux de rentabilité financière peut être réduit et le taux de rentabilité socio-économique élevé. L'intérêt financier peut même être nul puisque le tarif sera inchangé et que le trafic sera peu affecté, mais on aura gagné, notamment, en sécurité.

Le taux de 8 % est le seuil à partir duquel un projet est considéré comme rentable du point de vue socio-économique ; il est fixé par le commissariat général au Plan. Vous vous demandez, à juste titre, si ce taux, calculé à un moment où l'inflation était plus importante qu'aujourd'hui, ne pourrait pas être revu. On peut considérer que le taux d'actualisation de 8 % procure, compte tenu du niveau actuel des taux d'intérêt à long terme, une marge de précaution raisonnable. C'est d'ailleurs l'approche retenue par un groupe de travail associant la direction de la Prévision, et le ministère des Transports pour l'investissement des infrastructures ferroviaires.

Cependant, pour une entreprise dont la structure financière serait fragile, le taux d'actualisation prudentielle devrait être de l'ordre de 12 à 16 %. Ces considérations ont été développées dans la circulaire du 8 octobre 1995 relative à l'harmonisation des méthodes d'évaluation des grands projets d'infrastructures.

La deuxième partie de votre question concerne le nouvel objet autoroutier. La direction des Routes a travaillé sur cette idée et la mission du Sénat sur les infrastructures l'a reprise, considérant qu'elle pourrait être une réponse adaptée.

D'une part, les projets d'autoroutes nouvelles n'ont pas un taux de rentabilité financière aussi important que les premières réalisations, et d'autre part, nous ne pourrons plus appliquer la pratique d'adossement pure et simple pour les raisons que j'ai dites tout à l'heure. Dans ces conditions, le choix est ouvert entre l'autoroute concédée et la mise à deux fois deux voies. Par exemple, pour Rouen-Alençon, (A28), j'ai lancé l'appel pour la mise en concurrence des propositions à l'échelle européenne. Que va-t-il se passer ? Des sociétés vont répondre à cet appel, faire leur proposition et exprimer leurs attentes de financement public. Par exemple, si le besoin de financement public est évalué à 3 milliards de francs, faudra-t-il utiliser la dotation pour réaliser cette autoroute concédée ou pour faire une deux fois deux voies sans péage ?

Le directeur des routes a envisagé des réalisations qui ne seraient pas obligatoirement à deux fois deux voies, mais deux fois une voie avec des créneaux de dépassement, qui coûteraient de l'ordre de 20 à 30 % moins cher, et qui nécessiteraient aussi un certain péage ?

Nous n'avons pas encore d'expérimentation de ce nouvel objet autoroutier mais nous envisageons d'y procéder ; je suis très attentif à éviter qu'il soit vécu par les utilisateurs comme une autoroute du pauvre, une demi-mesure ou une régression. Et en tout état de cause, s'il y a expérimentation, celle-ci devra être très vigilante sur le maintien des objectifs de sécurité.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis : Monsieur le Ministre, vous avez évoqué tout à l'heure la recherche de la transparence des choix entre la construction de routes ou d'autoroutes. Les travaux de la mission, au cours de ces derniers mois, nous ont un peu fait douter des modèles pris en compte, des critères précis qui déterminent les choix entre routes et autoroutes, par rapport à d'autres modes de transport. Comment ces choix s'exercent-ils ? Les modèles trafics économiques, les coûts externes sont-ils pris en compte dans ces choix ?

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Oui. Dès le stade des documents de planification, une analyse de la demande de transport voyageurs, marchandises, volume, origine et destination, est menée afin de mesurer l'intérêt d'une amélioration de l'offre existante, soit par l'amélioration de l'exploitation d'une infrastructure existante, soit par la construction d'une infrastructure nouvelle, ou encore en rapport avec d'autres modes de transport.

De ce point de vue, une évolution est en cours. Il s'agit de ne pas reproduire simplement des schémas directeurs modaux sans se préoccuper des autres modes de transport. Cela demande qu'on apprécie la réponse à des besoins de transport non seulement en prenant en compte l'existant, mais en intégrant des réponses qui peuvent être différentes selon le mode de transport. Les futurs schémas de service de transports vont répondre à cette préoccupation.

La confrontation de l'analyse des besoins avec les possibilités offertes par chaque mode de transport doit conditionner, le cas échéant, l'infrastructure qui doit être retenue.

Je prendrai l'exemple de la liaison Lyon-Saint-Étienne, où la situation du trafic est difficile, et dont la desserte par l'A47 peut être améliorée, mais avec des limites.

Certes, il y a la perspective de l'A45 mais nous savons bien qu'elle ne sera pas faite en quelques mois. Il faut donc regarder les aménagements qui peuvent être apportés à l'A47 et les moyens d'améliorer l'offre de transport ferroviaire sur la ligne Firminy-Saint-Étienne-Lyon, ce qui permettrait d'absorber une partie du trafic de cette autoroute, évaluée à 8 %. C'est une démarche complémentaire.

Si l'opportunité d'un aménagement autoroutier est retenue, celui-ci devra être confirmé à chaque fois par une évaluation socio-économique. Cela s'inscrit dans le processus du débat national sur les opportunités d'investissement, les choix de fuseaux, etc. C'est d'ailleurs pour ces raisons que les études doivent tenir compte de l'incertitude qui peut peser sur les trafics et sur les coûts.

Ainsi, l'instruction de la direction des Routes du 20 octobre 1998, sur les méthodes d'évaluation économique, prévoit quatre hypothèses de croissance de trafic correspondant à des scénarios contrastés. Elle prévoit également des tests sur les coûts des ouvrages, prenant en compte, le cas échéant, plusieurs situations de référence ; l'établissement des bilans de dépenses et de recettes des opérateurs des réseaux routiers publics et des opérateurs des autres modes de transport.

A chaque étape préparatoire du choix, il ne s'agit plus de sélectionner le meilleur projet, mais de progresser dans l'instruction d'un éventail de possibilités.

M. Pierre Méhaignerie : Une précision et une question. La précision : je n'ai pas compris ce que vous entendiez par concurrence déloyale tout à l'heure. Entre qui et qui ? Il y a une clarté et une transparence nécessaires.

Ma question est celle-ci. La négociation des contrats de plan est en cours. Normalement, à l'intérieur des régions, elle devrait conduire à faire des choix clairs, responsables, et bien compris, plutôt qu'une somme de démagogies. Or aujourd'hui, nous sommes en plein brouillard, dans cette préparation, car nous ne savons pas très bien ce que veut la puissance publique et quelle est l'inflexion qu'elle va faire sur la politique routière. Nous savons parfaitement qu'aucun pays ne peut mener de pair les six grandes infrastructures de communication que sont les routes, le rail, la voie fluviale, la voie aérienne, les transports de centre ville et les autoroutes de la communication.

Ne serait-il pas possible d'avoir une plus grande clarté sur ce que se souhaite vraiment la puissance publique et sur les priorités qu'elle accorde ? Va-t-elle, dans le prochain plan, diminuer les crédits routiers et autoroutiers de 10 % ou de 35 % ? Ces éléments nous permettraient d'avoir un vrai débat dans les régions au cours des prochains mois.

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Si vous avez le sentiment que nous sommes dans le brouillard, cela me conduit à être prudent dans ma réponse (sourires). Une partie du brouillard s'explique par le retard pris dans le précédent contrat de plan sur la réalisation des engagements de l'État. Vous savez comme moi que malgré la prolongation d'un an, nous n'avons pas pu aller au bout de la réalisation des prévisions des engagements financiers de l'État. Nous sommes à 80 %.

Les opérations qui n'ont pas été réalisées dans le précédent contrat de plan, dans la mesure où elles sont confirmées, seront réalisées dans le contrat de plan État-région qui va être adopté d'ici la fin de l'année.

Globalement, avons-nous des éléments suffisants pour y voir clair ? Le Premier ministre a annoncé un montant global de 105 milliards de francs, c'est-à-dire, soit dit en passant, un peu plus que ce qui a été réalisé dans le précédent contrat de plan. Vous voyez déjà que le brouillard se dissipe un peu sur la totalité.

En revanche, nous sommes encore dans l'inconnu en ce qui concerne les enveloppes qui seront attribuées à chaque région. La décision sera prise au moment du CIADT du début d'été. Mais d'ores et déjà, des indications ont été données sur des évolutions qualitatives. On a notamment marqué la priorité pour la politique intermodale, le développement du trafic ferroviaire, y compris des transports collectifs en milieu urbain, afin d'avancer des réponses aux problèmes qui nous sont aujourd'hui posés, comme l'accroissement du trafic des poids-lourds ou l'asphyxie de nos villes par la circulation automobile.

Cela ne signifie pas qu'il y aura des coupes claires ou qu'on ne fera plus de routes ou d'autoroutes. Le Premier ministre a même déclaré que là où il y a des besoins réels, notamment de désenclavement, il faudra réaliser.

Je ne vous cache pas que j'espère, sur les routes, avoir une enveloppe de l'ordre de 27 ou 28 milliards de francs sur 7 ans et, en même temps, que les montants d'investissements dans le transport ferroviaire seront doublés.

M. Francis Delattre : Monsieur le Ministre, sans que vous soyez précisément en cause, je voudrais dire que l'A86 illustre bien tous les dévoiements des systèmes de concessions autoroutiers. Qu'est-ce l'A86 ? C'est le bouclage du super-périphérique de la région parisienne. Il traîne depuis des années parce qu'un certain nombre de personnes se sont opposées, dans l'ouest de Paris, à son passage, alors que, dans le nord et dans l'est, on ne nous a pas demandé notre avis ? Comment le finance-t-on ? Trouvez-vous normal qu'on aille chercher des crédits pour faire ce super-bouclage dans l'ouest de Paris en augmentant la durée de concession de Paris-Orléans, et même de Tours et du contournement d'Angers ? Je trouve cela anormal.

Comme ancien conseiller régional d'Ile-de-France, je puis vous dire que c'est la responsabilité des grandes infrastructures de la région Ile-de-France et que vous, comme ministre, vous auriez pu remettre en cause le système d'adossement, absolument scandaleux dans ces conditions.

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Pardonnez-moi, mais je ne veux pas que vous poursuiviez sur une erreur.

M. Francis Delattre : Dans le système Cofiroute que vous avez retenu, vous avez donné des compensations à Cofiroute par l'augmentation de la durée de concession. Ne dites pas le contraire.

M. Philippe Auberger, co-président : Laissez-le répondre à la première partie de votre question, puis vous continuerez.

M. Francis Delattre : J'aimerais aller jusqu'au bout.

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Mais c'est une erreur.

M. Francis Delattre : Je ne dis pas que c'est vous qui êtes en cause.

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Bien entendu, c'est pour cela que je ne réagis pas négativement. Avec l'A86, nous ne serons pas dans le système d'adossement, ce sera une concession spécifique.

M. Francis Delattre : Vous jouez sur les mots ! Il faut trouver un financement spécifique et vous augmentez...

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Je ne joue pas sur les mots !

M. Francis Delattre : Regardez comment cette affaire est montée, en augmentant la durée de concession d'autres secteurs dits rentables de Cofiroute dont Paris-Orléans, Orléans-Tours.

Philippe Auberger, co-président : Terminez votre question et le Ministre répondra globalement.

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Vous vous trompez !

M. Francis Delattre : Je suis sûr de ne pas me tromper !

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : J'insiste : vous vous trompez. Il n'y a pas d'allongement ailleurs. La durée de concession, prévue pour l'A86, est de l'ordre de 70 ans, ce qui n'est pas anormal dans ce cadre, mais le financement ne se fait pas par un allongement de concession de Cofiroute ailleurs. Vous vous trompez.

M. Francis Delattre : Le montage a même été annulé par le Conseil d'État et vous l'avez repris pour l'essentiel. Dans le système Bouygues, on disait que Cofiroute donnerait tant comme concessionnaires par an pour faire un équilibre entre les offres. Le système est resté, ne me dites pas le contraire.

Une partie de ce super-bouclage est financée, et je le maintiens, avec des augmentations de durées de concession et des augmentations de tarifs sur d'autres secteurs de Cofiroute. C'est anormal.

Il aurait été plus logique que Cofiroute améliore son réseau, notamment entre Tours et Orléans, où la circulation de nombreux camions, notamment espagnols, rend très dangereux le secteur à deux voies, plutôt que de se lancer dans une affaire dans laquelle Cofiroute n'a rien à faire, qui est une affaire de la région parisienne.

On me dit aujourd'hui que le traité de concession de 70 ans est normal. C'est quand même quelque chose !

Deuxième question : le problème des autres sociétés dont les capitaux sont essentiellement publics. Quelle est la raison qui s'oppose à ce qu'on leur donne de véritables capitaux qui permettraient de financer un peu plus sainement un certain nombre d'investissements autoroutiers ?

Une dernière question, vraiment mineure, sur le revêtement des autoroutes, puisque vous êtes ministre de la sécurité routière. Certes, les autoroutes sont plus sûres que le réseau secondaire. Il n'empêche que des secteurs sont pourvus de revêtements dits drainants et que d'autres n'en ont pas ; sur ceux-ci, avec la pluie et les camions, les autoroutes commencent à être dangereuses. N'y a-t-il pas un moyen d'imposer dans les cahiers des charges l'obligation d'utiliser des revêtements plus sûrs ?

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : A la suite de l'annulation par le conseil d'État de la concession accordée à Cofiroute pour l'A86, le nouvel appel d'offres a suscité deux candidatures. Il s'est déroulé dans des conditions que je considère comme normales et qui intègrent bien les règles nouvelles posées par les directives européennes et la loi Sapin.

Je n'ai pas répondu à la question de M. Méhaignerie sur le sens de l'expression « concurrence déloyale ». Les règles applicables en matière de concession, y compris aux sociétés d'économie mixte, imposent que tous les opérateurs, publics ou privés, soient placés sur un pied d'égalité. Il faut à la fois normaliser les règles comptables et fiscales et, à l'inverse, allonger les durées de concession des SEMCA qui sont en général plus courtes que celles des concessions privées.

Dans le projet de réforme, il est prévu de doter les SEMCA de fonds propres plus élevés par l'affectation d'une partie des dividendes. Le niveau actuel des fonds propres n'est, en effet, pas suffisant. Pour les six SEMCA, l'endettement va atteindre 154 milliards en 2003 et les fonds propres sont de l'ordre d'un milliard.

Pour opérer le choix entre les deux compétiteurs, j'ai demandé, en plus des conditions habituelles d'examen des appels d'offres, la constitution d'une commission chargée de donner un avis, immédiatement rendu public dans un souci de transparence de la gestion des affaires publiques.

Un contentieux a été engagé par un compétiteur et le tribunal administratif lui a donné tort. Il y a actuellement un référé au conseil d'État, dont j'attends la position.

M. Francis Delattre : Le problème est celui du montage tel qu'il est.

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : J'insiste : il y a deux concessions. Sur les anciennes concessions, on travaille sur la réduction des tarifs, déjà en cours de diminution depuis le 1er février.

M. Yves Deniaud : Monsieur le Ministre, vous avez évoqué la longue durée de la concession de l'A86. Pour ma part, je suis convaincu que c'est une réponse à la fin de l'adossement, puisque cela devrait permettre de limiter l'apport initial de fonds publics.

Considérez-vous que ces longues durées sont une bonne solution et deviendront habituelles dans les nouvelles concessions comme celle de l'A28 où les quatre candidats ont répondu de cette façon pour limiter, voire supprimer un apport initial d'argent public ?

La deuxième question concerne les SEMCA. M. Leyrit nous a laissé entendre que la fin de l'adossement allait, à terme, redresser considérablement la situation de ces sociétés et leur permettre de dégager des bénéfices. Il s'agit de savoir comment et par qui seront récupérés ces bénéfices. Est-ce la direction du Trésor qui va mettre la main dessus, comme elle en a sûrement l'intention, les inclure, au nom du principe de l'universalité budgétaire, dans les recettes ordinaires de l'État, et redistribuer ensuite ce que le ministère des Finances voudra bien donner aux crédits routiers ?

Pensez-vous disposer des recettes provenant des dividendes de façon à les recycler directement, soit pour financer les apports en capital nécessaires pour les fonds propres, soit pour financer la subvention publique éventuellement nécessaire à la réalisation d'une autoroute concédée ?

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Tout d'abord, quel est le terme actuel des concessions ?

Dans le système privé, Cofiroute, c'est jusqu'à 2030. En ce qui concerne les sociétés d'économie mixte, les durées prévues varient entre 2014 et 2019.

L'objectif est un allongement de la durée des concessions pour répondre à la fois à une demande d'égalité mais aussi à une demande de moyens.

Nous souhaitons prolonger jusqu'au 31 décembre 2039 les concessions des six SEMCA et celle de la société du tunnel de Fréjus qui gère aussi une partie d'autoroutes.

En même temps, vont évoluer les régimes actuellement dérogatoires tels que le régime comptable - suppression des charges différées, allongement de la durée d'amortissement et le régime fiscal -assujettissement aux impôts de droit commun, régime normal de TVA et impôt sur les sociétés. Les deux tiers des dividendes seront affectés à la sphère équipement, soit au fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, soit à Autoroutes de France, pour accroître les ressources consacrées au réseau routier national. Les ressources attendues, dès le projet de loi de finances pour 2000, sont de l'ordre d'un milliard de francs.

Ensuite, est encore en débat la possibilité de protéger les crédits affectés à l'entretien dans un compte d'affectation spécial notamment alimenté par ces ressources supplémentaires.

Il faut savoir que cette réforme passe obligatoirement par une loi, dont l'avant-projet est en cours d'élaboration. Il prévoit un allongement des concessions, la suppression des clauses de garantie de reprise de passif par l'État, contraires au droit communautaire, la modification du code de la voirie routière et l'affectation des dividendes au budget de l'équipement.

Nous avons engagé une négociation avec la commission sur l'allongement des concessions autoroutières.

Elle devait être bouclée en mars, mais elle a été retardée pour les raisons que vous connaissez, et je crains que nous n'ayons pas de résultats concrets avant la fin de l'été. Ceci dit, une réunion avec les directions compétentes de la Commission est prévue en mai.

Vous avez évoqué les revêtements. A l'occasion de toute réalisation nouvelle ou de travaux de réhabilitation, on s'efforce systématiquement de prévoir des revêtements performants à la fois en matière d'adhérence et de projection d'eau.

J'ajoute que, dans le choix de ces matériaux, nous prenons également en compte l'intensité sonore du bruit de la circulation pour les riverains.

M. Yves Deniaud : Quand je parlais de durées de concessions, j'évoquais les nouvelles opérations, l'A28, par exemple. Pour ces opérations, êtes-vous partisan d'une concession de longue durée qui permet de réduire au minimum le montant des subventions publiques ?

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : C'est sur les concessions existantes que nous travaillons avec la Commission de Bruxelles. Les nouvelles concessions seront proposées sur la base de critères de choix dont fera partie la durée de concession : j'ai parlé tout à l'heure, sur l'A86, de 70 ans.

Nous donnerons aux sociétés existantes la capacité d'accroître leurs fonds propres, d'être mises à égalité de concurrence quand elles se portent candidates à de nouvelles concessions, et nous prévoyons des moyens supplémentaires pour l'amélioration et le développement du réseau routier national.

M. Philippe Auberger, co-président : Je me permets de vous rappeler que la mission d'évaluation et de contrôle a surtout pour rôle d'examiner le passé. Il est un peu délicat, surtout en présence du public, de discuter d'appels d'offres en cours. On peut demander au Ministre ses orientations, mais il ne peut pas répondre de façon précise sur une affaire qui n'est pas encore tranchée par ses services.

M. Gilles Carrez : Je souhaite vous interroger, Monsieur le Ministre, sur le financement des autoroutes et voies rapides en milieu urbain. Je vais prendre l'exemple de l'Ile-de-France.

La préparation du prochain contrat de plan est en cours. Elle fait apparaître un écart colossal entre les besoins et les possibilités de financement, en particulier de financement budgétaire. Cela promet des empoignades terribles entre les départements. Pour prendre l'exemple de l'A86, on dit toujours qu'elle doit être bouclée à l'ouest, mais elle n'est pas bouclée à l'est. Le simple bouclage de l'A86 à l'est représente à lui seul un tiers des crédits qu'on peut envisager pour les 5 années du prochain contrat de plan.

Par ailleurs, les coûts ne font qu'augmenter. Ils atteignent couramment 200, 300, 400 millions le kilomètre sous l'effet de normes - tout à fait nécessaires -- de bruit, de pollution, et de sécurité. On voit bien que l'on est arrivé absolument au bout des possibilités de financement traditionnelles, que ce soit le financement budgétaire ou le financement par péage évoqué tout à l'heure par M. Delattre.

Je voudrais savoir si le ministère a réfléchi à de nouveaux modes de financement pour ce type d'investissement. Le rapporteur a évoqué l'idée de parafiscalité. On peut aussi penser à un système d'abonnements régionaux. Mais face à cette impasse manifeste du financement et à la saturation des réseaux, avez-vous aujourd'hui des propositions pour en sortir ?

Je rappelle que la section commune A4-A86, permettant le bouclage à l'est de l'A86, qui n'est toujours pas fait, était inscrite au contrat de plan il y a déjà dix ans.

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Je ne répondrai pas sur le futur contrat de plan de la région parisienne. Les négociations ne sont pas encore engagées et nous sommes dans un travail d'élaboration.

Vous posez un problème tout à fait important. Quand on regarde les réalisations d'infrastructures routières ou autoroutières, excepté les zones sensibles, où le coût est assez élevé, on constate une différence de coût importante entre la rase campagne et l'urbain. La nécessité de développer les relations entre les villes fait qu'actuellement 85 % des besoins autoroutiers correspondent à des liaisons interurbaines, et non à des autoroutes de rase campagne.

Les améliorations des équipements autoroutiers, les rocades, ont un coût sensiblement plus élevé. Il faut travailler sur la question de savoir comment réorienter les financements, d'autant plus que les autoroutes non concédées en milieu urbain sont des réalités bien visibles : leurs éclairages, par exemple, sont de plus en plus mal entretenus.

Comment réorienter ? Certains parlent de péages urbains. Les quelques expériences du passé récent montrent qu'il y a des endroits où ils sont acceptés, comme à Marseille, et des endroits où c'est plus difficile.

Peut-il y avoir une redevance d'usage, dont l'abonnement est une forme, mieux acceptée par l'usager ? Tout cela est en débat.

Le problème est de savoir comment passer d'une situation de gratuité à une situation de paiement.

C'est l'éternelle difficulté : contribuables ou usagers ? Elle est un peu plus compliquée que quand il s'agit d'une réalisation nouvelle. Ce sont des questions sur lesquelles il nous faudra avancer.

J'entends bien que, y compris au niveau du conseil régional, cette réflexion soit engagée pour voir comment on peut participer plus largement au financement de réalisations nouvelles, plus chères en milieu urbain et périurbains.

M. Gilbert Gantier : Je prolongerai un peu le débat qui vient d'être ouvert, mais avant de le faire, je ferai une observation sur l'exception française. Nous sommes le pays qui a les taxes sur les carburants les plus élevées pratiquement et nous sommes aussi le pays qui a les taxes autoroutières les plus élevées. Par exemple, en Espagne, il y a des taxes autoroutières mais celles sur le carburants sont moins élevées. En Allemagne, il n'y a pas de péage, en Angleterre, il y en a très peu.

Il y a bien longtemps, un de mes maîtres, qui est devenu d'ailleurs prix Nobel d'économie, faisait l'observation suivante : c'est très curieux, en France, nous avons deux sortes d'autoroutes, les autoroutes saturées et les autoroutes insaturées ; les autoroutes saturées sont gratuites et les autoroutes insaturées sont payantes et parfois même très chères. C'est une anomalie très caractéristique de notre pays.

Ceci m'amène à observer ce qui se passe dans d'autres pays. Je citerai par exemple les États-Unis, où j'ai été étudiant il y a fort longtemps. A l'époque, les autoroutes étaient gratuites en rase campagne, mais il y avait des aménagements urbains. Par exemple, le Lincoln tunnel, à New York, était payant parce qu'il faisait gagner du temps aux automobilistes, auxquels un calcul économique faisait accepter le péage.

Ceci m'amène à prolonger le débat sur les péages urbains. Certes, on justifie habituellement le péage par l'existence, sur la même liaison, d'une route gratuite. En milieu urbain, cette justification est beaucoup plus malaisée.

Dans la région parisienne, qui est congestionnée pendant de nombreuses heures chaque jour, on a fait des projets un peu fantastiques d'autoroutes souterraines permettant de traverser Paris d'est en ouest. Est-ce que le Gouvernement serait favorable à des péages urbains sur de telles autoroutes souterraines ?

Je ne suis pas pour autant un partisan absolu des péages, étant donné que la France est le pays qui conjugue à la fois les péages les plus élevés et les taxes sur les carburants les plus élevées.

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : En Europe, les choses sont en train d'évoluer. En Allemagne, la question de l'instauration des péages est à l'ordre du jour.

M. Francis Delattre : C'est normal.

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Aux États-Unis, Cofiroute vient d'obtenir une concession avec une autoroute payante. En Angleterre, on commence à y réfléchir.

Il n'est pas question de remettre en cause les particularismes qui peuvent être positifs et utiles, mais d'avancer vers une certaine harmonisation.

Je rappelle que j'ai lancé un débat sur le thème : habiter, se déplacer, vivre en ville. Je suis allé à Orléans, à Perpignan, je vais demain à Nîmes, et je prévois d'aller à Lyon et à Dijon. Dans cette démarche, les questions qui viennent d'être posées sont soulevées. Il faut en débattre avec les élus et les citoyens.

J'ai cru comprendre que vous mettiez en cause la taxe sur les autoroutes. C'est un peu comme la directive de juin 1993 : si on n'est pas d'accord sur tel ou tel projet de directive européenne, il faut se mobiliser pour qu'il ne soit pas adopté en l'état. Une fois que la directive a été adoptée et acceptée, il ne faut pas partir de l'idée que nous sommes en situation de passer outre. Il faut respecter la règle du jeu.

La création de la taxe a été décidée par le ministre de l'Intérieur. On l'appelle d'ailleurs la taxe Pasqua. Je ne la critique pas parce qu'elle permet de faire des réalisations, y compris pour le rééquilibrage par l'intermodalité en augmentant de 28 % les crédits sur les voies navigables et de 30 % les crédits sur les transports ferroviaires.

M. Jérôme Cahuzac : Vous avez indiqué que des programmes autoroutiers continueraient à être lancés dans de meilleures conditions. Voulez-vous dire qu'ils seront lancés dans des conditions plus objectives et qu'à cet égard, le taux moyen journalier sera davantage pris en compte ?

Si j'en juge par un exemple du passé, dans le Massif Central, des programmes ont été lancés et sont en cours de réalisation sur des axes où les TMJ sont nettement inférieurs à 10.000 véhicules, alors que, par exemple, la N21, depuis des années, a un TMJ nettement supérieur à 10.000 et qui s'apprête à frôler les 15.000 véhicules dans les deux ou trois ans qui viennent. Pour ma part, j'entends par conditions de lancement objectives des conditions transparentes et opposables.

La deuxième question concerne le nouvel objet autoroutier, c'est-à-dire les autoroutes à spécificité technique allégée : deux fois une voie avec des créneaux de dépassement. Confirmez-vous que leur coût et bien allégé de 20 % ?

J'ai compris que vous n'aviez pas encore décidé de créer ce nouvel instrument. Pour autant, vos services semblent avoir accepté, dans le cadre du FITTVN, l'inscription de crédits pour créer une autoroute allégée en Aquitaine. Pouvez-vous nous expliquer comment il se peut que vous n'ayez pas décidé la création de ce nouvel instrument, mais que vous prévoyiez d'inscrire les crédits dans le cadre du FITTVN ? Y aura-t-il un péage ?

Si l'écart de coût en moins est bien de 20 %, pouvez-vous expliquer l'intérêt du concept par rapport à la mise en deux fois deux voies de nationales déjà existantes et qui permettraient aux usagers d'utiliser des voies modernes mais, cette fois-ci, sans péage ?

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Je réponds oui à la première question. Il est vrai que la question du taux moyen journalier de la prévision de trafic normale, sur tel point et tel axe, est très importante.

D'autres critères peuvent jouer tels que la mise en place d'itinéraires de délestage par rapport à d'autres liaisons de plus en plus encombrées.

La décision de construire les autoroutes Paris-Orléans-Clermont-Béziers, l'A71 et l'A75, a été prise en son temps, pour des motifs de désenclavement et pour délester les autoroutes de la vallée rhodanienne. L'A5 se situe dans la même conception.

Pour le nouvel objet autoroutier, je vous ai dit que j'étais pour une expérimentation. Ce n'est pas contradictoire. De toute façon, si cela se fait, il vaut mieux prévoir un crédit que de ne pas être en capacité de le faire. La vraie question que pose ce nouvel objet est de savoir comment maîtriser les coûts et comment avoir davantage une démarche économique de contrôle des coûts, sans oublier le niveau de sécurité.

M. Jérôme Cahuzac : Sur quels critères avez-vous décidé la construction d'une autoroute allégée à deux fois une voie à péage, plutôt que la modernisation d'une deux fois deux voies sans péage ?

Vous parlez d'une expérimentation. C'est une bonne attitude. Mais sur quels critères allez-vous faire ces choix ? Existent-ils déjà ?

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : Tout d'abord, il n'y a pas de décision. Je vous ai dit mon sentiment favorable à l'expérimentation. Si elle est décidée, les choix se feront en concertation avec toutes les parties intéressées, y compris les élus.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Monsieur le Ministre, la France est confrontée à un problème de saturation sur les axes sensibles. Vous avez fait allusion au sillon rhodanien et à la mise en place de l'A75 : on sait que ce ne sera pas suffisant. Il y a aussi le franchissement des espaces montagneux, que ce soient les Alpes ou les Pyrénées.

Ce problème pourrait-il être l'occasion de renforcer la coordination des politiques routières et ferroviaires, d'autant que vous avez choisi d'accorder la priorité au chemin de fer ?

L'actualité récente nous a montré, dans les Alpes, tout le retard que nous avons. Dans les Pyrénées, il faut veiller à ne pas prendre de retard parce que nous allons nous trouver confrontés à des problèmes identiques. La fermeture provisoire du tunnel de Chamonix et le report du trafic sur Fréjus révèlent de façon évidente une situation particulièrement dangereuse et pour laquelle il faudra trouver des solutions rapides.

M. le Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement : J'ai presque envie de vous dire : je partage tellement ce que vous dites que je n'ai rien à ajouter.

Dans la traversée des Alpes, 80 % du trafic se fait par camion, et 20 % par le rail. Dans la traversée des Pyrénées, 90 % du trafic se fait par camion et 10 % par le rail. Le développement de l'économie espagnole conduit à prévoir des tensions très fortes sur la demande de transport. S'il n'y a pas d'évolution, de changement, on va de toute manière vers une certaine asphyxie.

On pense parfois que l'on va privilégier tel ou tel mode de transport, mais ce sont tous les modes de transports qui ont à gagner. Le transport routier lui-même a à gagner en harmonie et en équilibre. La croissance du transport, pour les vingt prochaines années, est considérable. Si elle continue dans la lancée actuelle, le réseau routier sera bloqué.

Si je parle d'un meilleur équilibre pour pouvoir jouer la complémentarité, c'est que chaque mode de transport a des atouts. D'où l'effort pour une offre de transport ferroviaire susceptible de prendre une partie des progrès du transport sur le rail. J'ai parlé du doublement du trafic marchandises dans les dix ans qui viennent : ce n'est pas un voeu pieux, même si des efforts énormes sont à faire. Il faut des investissements, un état d'esprit, une volonté. Il y a des problèmes concrets et matériels de saturation sur le réseau ferré, qui appellent des investissements de désaturation, notamment à Lyon, à Montpellier, à Nîmes, à Bordeaux, où de gros investissements sont à faire.

L'efficacité de la fiabilité du transport combiné est à améliorer. Par exemple, à la gare de triage à côté de laquelle j'habite, à Drancy, il fallait, pour trier un wagon, douze ou treize heures, avant que les investissements de modernisation ne soient faits. Ils viennent d'être faits et il faut maintenant trois heures.

Si l'on veut accroître la demande de transport ferroviaire, il faut bien assurer l'efficacité de ce mode de transport, sinon on nous dira que le transport par camion est plus rapide. En même temps, nous essayons d'obtenir une certaine harmonisation sociale dans les conditions du transport routier.

Après la catastrophe dramatique du Mont-Blanc, j'ajoute que la SNCF a fait une offre importante pour une amélioration immédiate, comme nous en avions d'ailleurs convenu avec nos amis italiens lors d'un récent sommet, sans attendre la réalisation du tunnel Lyon-Turin.

Si nous avions laissé évoluer les choses spontanément, les 2.000 camions du tunnel du Mont-Blanc se seraient presque tous reportés sur le tunnel de Fréjus. Certains nous disent qu'il fallait laisser faire. J'ai pensé qu'il ne le fallait pas. Outre les enquêtes que M. Chevènement et moi avons diligentées, dont le rapport d'étape a été rendu public et qui vont s'achever aux mois de mai et juin, outre l'expertise que je fais faire dans tous les tunnels routiers de plus d'un kilomètre, nous avons, au nom de la sécurité, introduit des éléments de régulation liés à la sécurité dans le trafic du tunnel de Fréjus : espacement entre les véhicules nettement augmenté, convoyage systématique des camions quel que soit leur niveau de dangerosité autorisé. Nous avons proposé qu'il n'y ait pas plus de 140 poids-lourds à l'heure qui passent dans le tunnel. Nous travaillons en outre pour éviter les contraintes que subissent actuellement les conducteurs de poids-lourds.

Nous comprenons bien les problèmes qui se posent en Suisse et en Autriche - les deux pays connaissent des péages plus importants - mais en même temps, il ne faut pas que le trafic se détourne vers la France parce que le coût du transport y est moins cher.

Je souhaite que l'on parvienne à une harmonisation européenne prévoyant la possibilité de financements de ces passages favorisant des offres alternatives comme celle du transport ferroviaire.

M. Philippe Auberger, co-président : Merci, Monsieur le Ministre. Nous avons compris qu'il y aurait des inflexions importantes à venir, sans doute d'ici la fin de l'année. Nous aurons peut-être à nouveau l'occasion de vous interroger là-dessus.

6.- PRÉSENTATION DU RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 24 juin 1999)

Président de M. Philippe Auberger, Président

A l'invitation du Président, M. Pierre Joxe, Premier Président de la Cour des comptes, M. Bernard Menasseyre, Président et M. Claude Blondel, sont introduits. Le Président leur rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses.

M. Philippe Auberger, co-président : Vous avez tous reçu le rapport : "La politique autoroutière française". Je remercie Monsieur le premier président et Monsieur le président de chambre d'avoir fait diligence pour nous transmettre le produit fini à bonne date. C'était l'une condition de notre travail.

S'agissant d'un document volumineux, j'imagine que tout le monde n'a pas pu le lire dans les détails, mais une excellente initiative nous permet de travailler avec le résumé des principales recommandations figurant à la fin de chaque chapitre.

Nous avons examiné assez longuement le constat : il n'y a pas de révélation nouvelle très importante par rapport à ce que nous savions déjà. Néanmoins, il est très précieux d'avoir un constat précis et minutieux soumis à la contradiction.

Dès lors, si vous en êtes tous d'accord, je demande au président Menasseyre ou au rapporteur de nous présenter, chapitre par chapitre, ses conclusions ; et sur chaque chapitre, je demanderai au rapporteur spécial ou aux membres de la MEC, le cas échéant, d'intervenir pour demander des précisions afin que les choses soient bien comprises.

M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des Comptes : Avant de laisser M. Bernard Menasseyre exposer le rapport d'aujourd'hui, je rappelle que c'est à votre demande que nous sommes venus à la première séance de la mission d'évaluation et de contrôle pour vous parler des travaux en cours sur la politique d'autoroutes. On l'a fait pour deux  raisons : tout d'abord, la Cour des Comptes y travaille depuis des années, voire des "lustres"; ensuite, nous sommes dans une période où cette problématique évolue. Nous souhaitions donc apporter à la commission des Finances des éléments d'information.

Je ne sais pas si cela tombait bien ou mal ; on pourrait dire que cela tombait bien parce que c'était l'aboutissement d'un long travail de la Cour qui rencontrait l'intérêt particulier de la commission des Finances ; mais cela tombait mal parce que nous n'avons pas terminé la procédure de contradiction habituelle et obligatoire.

J'insiste, messieurs les présidents, pour que vous puissiez nous indiquer avant la fin de l'été, les différents points sur lesquels vous souhaiteriez que la Cour engage les travaux. Je dois fixer le programme de la Cour à la fin décembre sur la base des propositions des présidents de chambres qui me seront remises courant octobre-novembre.

Par conséquent, si nous voulons faire se rencontrer les questions qui vous intéressent et notre propre programme de travail, il conviendrait que je le sache au plus tard en septembre. Cela permettrait, dans l'avenir, de le faire, comme nous l'avons fait sur la formation professionnelle ou sur les autoroutes, de façon un peu plus rationnelle.

D'autre part, vous connaissez la répartition des fonctions entre les chambres de la Cour, la liste vous en sera fournie. La 7ème chambre est la chambre des travaux publics, couvrant l'ancien ministère des travaux publics et l'agriculture. Bernard Menasseyre peut vous apporter ces indications et Claude Blondel est président de toute la section transport. Chacun sait que l'on ne peut pas traiter les transports routiers isolément. Le secteur des transports est l'un des rares secteurs où le secteur public est dominant encore aujourd'hui.

M. Philippe Auberger, co-président : Merci, Monsieur le premier président. Nous allons en faire notre profit et établir un programme en septembre.

Le Président Augustin Bonrepaux : Très rapidement, je pense que nous pourrions en parler avant le 8 juillet. Nous recherchons déjà des dossiers et il faut que nos préoccupations correspondent aux vôtres.

M. Pierre Joxe : Le 1er juillet vous convient-il ?

Le Président Augustin Bonrepaux : Le 1er juillet, nous avons une séance d'évaluation de contrôle à l'issue de laquelle nous pourrons avoir des échanges.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Tout à fait d'accord sur cette façon de procéder. Dans le rapport que je remettrai et que nous discuterons le 7 juillet au matin, dans le cadre de la MEC, j'ai l'intention de vous proposer un certain nombre de sujets que nous aurons examinés au préalable avec les présidents pour pouvoir les transmettre le plus tôt possible au premier président de la Cour des comptes. Nous devrions être en mesure de vous formuler des souhaits courant juillet.

M. Philippe Auberger, co-président Nous passons aux recommandations figurant au chapitre 1, page 57 du rapport.

M. Bernard Menasseyre : Monsieur le président, grâce aux auditions que vous avez organisées, j'ai pu comprendre les préoccupations qui étaient les vôtres, et les questions que vous aviez posées à ceux qui sont venus devant vous. D'autre part, il convient de centrer les observations de la Cour sur les points et recommandations qui figurent dans le document.

Ces 29 recommandations ne prennent évidemment leurs sens que dans la mesure où l'on se réfère aux développements des différents chapitres du rapport. Je ne peux pas, dans le temps qui m'est imparti, vous infliger un développement de ces chapitres.

Nous avons affaire à un secteur qui a toujours des performances exceptionnelles, largement reconnues. Les usagers sont satisfaits du système autoroutier dans ce sens que les équipements leur permettent de circuler. Tout ce mécanisme a été mis en _uvre grâce au système de la concession combinée au péage, l'emprunt et l'adossement.

C'est un système dynamique, comme le directeur des routes en a exposé le caractère, mais qui, en raison même de ce dynamisme, a des imperfections et des risques. Le développement de ce constat qui est fait tout au long de ce rapport, dans la ligne directe de ce que la Cour a dit dans le passé, est dans le feu de l'actualité. En effet, le gouvernement a décidé une réforme du système autoroutier et s'est engagé à la faire. Le sujet traité permet de discerner dans quelles conditions cette réforme peut avoir un succès.

La Cour a développé ses observations en quatre parties : les caractéristiques du système autoroutier d'abord et les recommandations qui s'y appuient.

Deux points sur les caractéristiques :

Tout d'abord, la prédominance du mode routier. Je ne développerai pas outre mesure ce sujet qui a été très largement évoqué devant vous. Je noterai qu'en dépit des dispositions de la loi d'organisation des transports intérieurs de 1982, les schémas directeurs routiers n'ont pas été compris dans une politique globale des transports. Les méthodologies utilisées pour examiner les projets autoroutiers, par comparaison avec les autres solutions, ne sont pas assez élaborées. La réflexion intermodale, pourtant nécessaire, est défaillante, notamment pour les zones sensibles, notamment pour la montagne. Je vous renvoie au développement qui figure en annexe sur la traversée des Alpes et des Pyrénées. Enfin, les perspectives de croissance du trafic autoroutier imposent une politique intermodale, ne serait-ce que pour rendre possible le respect par la France de ses engagements internationaux. Voilà la première caractéristique du système autoroutier.

La seconde caractéristique est qu'il s'agit d'un système dépendant à l'égard de l'Etat. Devant vous s'est faite la démonstration, non contestée, d'un système dans lequel les sociétés d'économie mixtes de concession d'autoroutes étaient largement fictives. En dépit des réformes décidées en 1993, il n'y a pas eu remise en cause essentielle de ce mécanisme qui fait que beaucoup, sinon tout, dépend de l'Etat qui détermine le schéma routier, choisit les concessionnaires et exerce une tutelle technique et financière.

Le rôle des sociétés reste subordonné et l'Etat assure une quasi garantie de leur emprunt. Nous reviendrons sur ce sujet à propos de l'endettement du système autoroutier. Mais l'Etat, maître de tout, ne maîtrise pas pour autant le secteur autoroutier.

Plusieurs éléments le démontrent. Je n'insisterai pas sur les pratiques comptables, sachant que la critique de la Cour sur le système des charges différées est connue. Le mécanisme de l'adossement complique les choses dans la mesure où, finalement, on a pu financer des sections nouvelles non rentables.

De surcroît, cela a permis une sorte de "fermeture" du marché car seules les sociétés déjà titulaires de concessions peuvent se porter candidates. C'est précisément ce mécanisme qui est remis en cause en raison de la mise en application de la directive "travaux" du Conseil des Communautés européennes : bien que cette application ait été tardive puisqu'elle n'a eu lieu qu'en 1993, l'Etat est soumis à une obligation de publicité.

Nous sommes donc dans un système qui a échappé aux contraintes de rentabilité financière du secteur privé et aux contraintes budgétaires du secteur public. C'est sur cette base que la Cour formule ses cinq premières recommandations auxquelles je vous renvoie. Je ne vais pas les exposer devant vous, elles sont assez faciles à lire. Elles trouvent leur sens en considération du diagnostic que la cour vient de faire.

M. Philippe Auberger, co-président : Monsieur le Rapporteur spécial ou le rapporteur pour avis ont-ils une question sur certains points ?

Le Président Augustin Bonrepaux : Je voudrais d'abord remercier la Cour des Comptes pour la collaboration établie sur ce rapport avec les rapporteurs que nous sommes. Cela nous a grandement facilité la tâche.

Ce qui m'a le plus frappé sur vos premières observations concernant ce premier chapitre, ce sont les remarques portant sur le manque d'organisation en matière de transport dans le domaine intermodal. Il m'aurait intéressé que vous nous expliquiez les incidences que vous auriez pu trouver à ce manque d'organisation.

M. Bernard Menasseyre : Effectivement, nous allons pouvoir développer ultérieurement lorsque nous soulèverons la critique selon laquelle c'est le mode de financement plus que la rationalité des choix qui dicte le fait de retenir tel ou tel type d'infrastructure.

L'absence de prise en compte de données relatives à l'intermodalité a des conséquences en termes de politique générale et de transport. Nous le voyons notamment en ce qui concerne la traversée des Alpes et des Pyrénées en particulier.

Cela dit, les incidences financières sont, je crois, assez difficiles à déterminer avec une grande précision car il est malaisé de les chiffrer.

On sait que faute de rationaliser les choix, on fait ce que l'on peut faire avec les moyens disponibles immédiatement, et cela a des incidences sur la mobilisation des moyens existants à l'échelon national.

Nous verrons ultérieurement la part que prend dans le financement du mode routier l'Etat et les appels à ce que l'on peut appeler l'épargne puisque c'est la Caisse nationale des autoroutes qui mobilise les ressources. Il y a là un élément peu chiffrable dans l'immédiat par les calculs économiques, mais qui a des retentissements sur cette allocation des ressources.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis pour l'équipement et les transports terrestres : Franchement, les deux premières recommandations que vous nous soumettez sont parfaitement conformes à l'esprit du législateur et à ceux qui, aujourd'hui, réfléchissent et travaillent sur le transport. Il est important que vous ayez vous-même souligné l'intérêt d'une logique au service des usagers plutôt qu'une offre d'infrastructure.

C'est un grand débat aujourd'hui, et lors d'un colloque à R.F.F. (Réseau ferré de France), nous étions en plein dans cette problématique : il y a des économies à faire, des sillons à trouver, des voies nouvelles à dégager sur l'infrastructure qui existe. Il convient d'abord d'y travailler avant d'engager quelques milliards d'investissement.

D'autre part, l'un des phénomènes nouveaux, dont tient compte également la Communauté européenne, c'est la prise en compte des coûts externes des choix modaux et intermodaux.

Ces deux recommandations sont donc pour nous deux supports très importants dans l'évaluation des politiques de transport sur lesquelles nous travaillons les uns et les autres.

M. Bernard Menasseyre : Ce diagnostic qui vient d'être fait est partagé par les interlocuteurs de la Cour que sont les ministres. Sur ces sujets, si vous vous référez au document dans la partie des réponses, il n'y a pas de contestation sur ce point. C'est une forme de consensus appréciable. Je ne vous cacherai rien en disant qu'une fois le consensus adopté, tout réside dans la mise en _uvre pratique. Bien souvent, nous avons constaté que derrière un aveu unanimiste, il y a des problèmes quand il s'agit de faire des choix, que ce soit de la part de l'Etat lui-même et des diverses collectivités publiques en cause, mais également des intérêts privés.

M. Philippe Auberger, co-président : On a abordé ce problème, mais de façon périphérique. Mon sentiment personnel est que si l'on aborde ce problème de façon très générale, on ne progresse pas beaucoup. La coordination des transports et infrastructures doit être revue, ainsi que l'ensemble des processus sur les différents modes de transports, afin de voir pourquoi on n'arrive pas à mieux les coordonner.

En ce qui concerne la MEC, il faut que cela soit traité de façon allusive dans le rapport, car nous n'avons pas assez approfondi le problème. Nous en ressentons la nécessité. Il faut une réflexion particulière sur le sujet qui n'a pas été suffisamment traité, en tout cas dans le cadre de la MEC.

Sur l'articulation entre le réseau autoroutier et le réseau routier national et départemental, il y a là un vrai sujet d'organisation administrative qui est absolument importante. Le réseau routier national, de plus en plus, approvisionne les autoroutes. Il faut traiter le sujet en lui-même. Je ne crois pas que la MEC, dans l'état actuel de ses travaux, puisse apporter de la valeur sur le sujet.

En revanche, un point m'interpelle en page 57. " Attribuer les concessions autoroutières dans le respect des règles de mise en concurrence ".

Certes, mais la mise en concurrence la plus large possible est-elle véritablement possible ? D'autre part, le problème de la continuité des tronçons d'autoroutes ne fait-il pas que certains concessionnaires sont naturels et d'autres ne le sont pas ? Dans ces conditions, les règles de la concurrence ne peuvent fonctionner et s'appliquer de façon aussi transparente qu'en terrain vierge. Quel est l'avis de la Cour à ce sujet ?

M. Bernard Menasseyre : A partir du 1er janvier 1998, les ministres intéressés ont fait valoir que la mise en publicité s'imposait désormais.

J'observe que dans une période qui a précédé, à la suite des accords dits « Pons-Monti », on a réglé de façon transitoire ce que l'on a appelé un certain nombre de « coups partis ».

En principe, cette période est close. Désormais, la mise en publicité est obligatoire. Cela s'accompagne, au plan pratique et notamment financier, d'une incidence non négligeable. Lorsque la mise en publicité fait apparaître, du fait du jeu de la concurrence, que l'Etat, pour assurer la mise en _uvre, la mise en service, l'exploitation d'un tronçon, le lancement d'une infrastructure, doit subventionner, il faut qu'il affiche cette subvention. Désormais, on est passé de façon assez brutale, mais après une phase transitoire, à un autre moment de la politique autoroutière. Il en résulte que la donne antérieure en matière de publicité est modifiée.

Evidemment, si des tronçons qui ont été prévus ne sont pas attribués, il faudra bien appliquer les règles. Cela signifie vraisemblablement que ceux qui, dans le système antérieur, avaient vocation, suite à l'adossement, à traiter les tronçons plus ou moins proches devront appliquer désormais la mise en publicité pour tout nouveau tronçon lancé après le 1er janvier 1998 et après la période transitoire des accords « Pons-Monti ». C'est un point que la Cour a constaté. A ce propos, je rappelle que l'adossement a conduit à ce que les sections autoroutières soient accordées de plus en plus loin des concessions originaires des sociétés.

M. Philippe Auberger, co-président : Je précise ma question. On a bien compris la nouvelle mécanique, dans cette perspective, n'est-il pas obligatoire, au lieu de mettre en concurrence sur 30, 35, voire 50 kilomètres, d'envisager de le faire sur 200 à 300 kilomètres, pour maintenir une certaine continuité. On ne peut pas mettre des péages tous les 30 kilomètres. On ne peut changer de concessionnaires trop souvent. Il y a donc une révision de ce mécanisme même de la conception du fait de cette évolution de la mise en concurrence. Non ?

M. Bernard Menasseyre : Oui et non. La Cour n'est pas la mieux placée pour répondre à cette question qui concerne, me semble-t-il, avant tout les ministères intéressés. Ils doivent en tirer les conséquences à partir des obligations juridiques.

Cela dit, pour reprendre le propos du président, l'idée de concessionnaire naturel a vécu ; il n'y a plus de concessionnaire naturel. C'est, me semble-t-il, la nouvelle donne du système qui est certainement la plus bouleversante.

M. Pierre Joxe, président de la Cour des Comptes : Pensons à l'affaire de l'A.86 !

M. Bernard Menasseyre : Nous avons un développement dans le rapport sur les conditions de mise en concession de l'A.86.

M. Jean-Jacques Filleul : Nous entrons ainsi dans l'application pure et simple de la règle européenne. On s'apercevra peut-être un jour que cette règle n'est pas bonne et qu'il faudra la modifier. Mais c'est peut-être aussi à l'Europe de la modifier.

Quelque chose me frappe dans vos recommandations, les observations que vous faites sur le manque de coordination au niveau de l'administration de l'Etat et l'organisation des structures de l'administration centrale du ministère. Pourriez-vous nous indiquer un ou deux dysfonctionnements assez explicites que vous avez pu constater ?

M. Bernard Menasseyre : Le point essentiel a déjà été énoncé dans le rapport public de 1992. Sans avoir une perspicacité exceptionnelle, nous avons observé qu'il y a, au sein du ministère, une direction des transports terrestres qui a cette particularité d'être distincte de la direction des routes.

L'adjectif "terrestre" semblerait laisser penser que cela couvre aussi le transport routier. Il n'en est rien. Quand on fait la part entre la prépondérance de la direction des routes et la situation de direction des transports terrestres, on a le sentiment que l'on a mis face à face une direction qui a une vocation générale, au moins dans son appellation "transports terrestres". Elle a une réalité beaucoup plus restreinte puisque, pour l'essentiel, elle s'occupe des voies navigables et de la SNCF, alors que la direction des routes se trouve dans un ensemble relativement autonome, avec une puissance financière considérable.

On aurait pu imaginer qu'un tel système puisse fonctionner, s'il y avait eu un mécanisme de correction telle la création d'un comité de gestion -ce qui est peu fréquent au niveau des ministères- pour coordonner des éléments qui ne l'étaient pas forcément. Cela n'a pas été le cas.

Comme nous l'avons déjà observé précédemment, une réflexion fait défaut sur les structures de l'administration centrale du ministère, ce qui nuit à l'unité de vue et de conception. Il y a donc bien un problème d'organisation du ministère chargé des transports. Cela est connu et a été déjà dit par la Cour et répété à cette occasion.

J'observe aussi que la direction de la sécurité et de la circulation routière se trouve aussi dans une autre sphère que la direction des routes. On aurait pu concevoir aussi que direction des routes et direction de la sécurité et de la circulation routière soient unies dans une même unité.

Or, on a créé deux sous-ensembles. Donc, là encore, et de façon plus marquée que pour la direction des transports terrestres et la direction des routes, la coordination pose un problème entre sécurité routière et direction des routes que l'administration s'est créée elle-même par l'organisation de ses structures.

Le développement du rapport contient un certain nombre de passages qui traduisent de façon pratique les conséquences de cette mauvaise organisation. En ce qui concerne les crédits de la sécurité routière ou les crédits réservés à l'entretien du réseau routier national, nous constatons une sorte de décalage entre ce que l'on peut faire dans d'autres domaines et celui-là. Les structures administratives, même si elles sont des épiphénomènes, ont toujours des conséquences importantes en termes de répartition des pouvoirs et des moyens.

M. Philippe Auberger, co-président : Votre critique vaut-elle pour les transports interurbains comme pour les transports urbains, s'agissant de la coordination de la politique des transports dans les villes, entre la route et les moyens de transports urbains modernes ?

M. Bernard Menasseyre : Pour partie parce que les transports urbains font aussi entrer en ligne de compte d'autres acteurs que l'Etat, à savoir les régions, les villes et toutes les entités organisatrices. Le problème se complique par l'apparition de ces acteurs indispensables.

Si l'on jetait un _il sur l'organisation administrative et la répartition des attributions à l'échelon de Paris par exemple, on constaterait une série d'anomalies sur lesquelles il y aurait lieu de faire un rapport de cette nature ; ce qui n'est pas totalement exclu.

M. Philippe Auberger, co-président : C'est un vrai sujet d'actualité car là où les péages sont contestés, c'est bien dans les zones urbaines. Le problème est urgent et sérieux.

M. Bernard Menasseyre : C'est exact. Nous avons un développement sur lequel il conviendrait de s'appesantir le moment venu concernant le péage : le péage a été conçu comme un moyen d'accumuler des ressources pour construire de nouveaux équipements autoroutiers, et n'a pas été utilisé ou peu à d'autres fins, telle une régulation de la circulation, y compris de la circulation urbaine. C'est un point important.

Dans la conclusion du rapport, nous faisons valoir que l'un des éléments qui bouleverse la donne, au moins autant que la réglementation européenne, est que les besoins en matière de transport ont évolué. Nous ne sommes plus dans le même schéma que dans les années 55 et suivantes, à l'époque de la construction d'un réseau autoroutier. Maintenant, il y a des problèmes nouveaux tout aussi importants : la pénétration dans les villes, le contournement urbain ; toute une série de questions pour lesquelles le mode actuel n'est manifestement plus adapté.

En effet, il y a une réflexion sur la notion de péage que le président des autoroutes du Sud de la France a développée de façon explicite et intéressante devant vous.

M. Philippe Auberger, co-président : Y a-t-il d'autres questions sur le premier chapitre ? (non) Nous passons au second chapitre dont les recommandations figurent en page 143.

M. Bernard Menasseyre : Ce chapitre concerne le processus de décision. Deux points ont été mis en avant par la Cour : la planification des infrastructures et la conduite des projets.

Sur le premier point, nous l'avons dit, il nous a semblé que l'évaluation approfondie des parties d'aménagement possible et la concertation avec le public, prévues par les textes, sont différées à un stade trop avancé de l'examen des projets.

Deuxièmement, l'élaboration des schémas directeurs routiers ne s'appuie pas sur une analyse préalablement poussée de leur rentabilité économique et sociale. En outre, nous observons qu'il n'y a pas d'information suffisante du Parlement sur les schémas de transports, à la différence de ce qui existe en général dans l'Union européenne.

Nous ne faisons pas la recommandation qui serait que le Parlement vote le schéma directeur -cela n'est pas de notre compétence-  ; nous souhaitons simplement qu'il y ait une information suffisante.

Le résultat de ces défauts qui touchent la planification est que le réseau routier français est dense, mais faute d'une réflexion d'ensemble sur les besoins des transports, le développement du réseau autoroutier concédé et celui du reste du réseau routier national se font sans coordination suffisante.

Nous avons développé également dans un rapport public antérieur relatif à la voirie départementale, l'idée, qui apparaît simple, mais qui n'est pas toujours incarnée dans les faits, d'une coordination de la voirie locale, voire départementale, avec cet ensemble.

Le second point concerne la conduite des projets. Nous observons que la procédure s'étend sur une dizaine d'années entre les premières études et la mise en service. C'est un élément très important.

D'autre part, il y a une mauvaise coordination entre les administrations. C'est une critique de ce que l'on appelle l'instruction mixte à l'échelon central qui est engagée à un stade déjà très avancé de la procédure. Point sur lequel, de manière heureuse, le ministère de l'équipement et le ministère de l'aménagement du territoire semblent d'accord pour réviser les formules de l'instruction mixte à l'échelon central.

Troisième élément : les enjeux environnementaux ont été pris en compte, souvent, de façon trop tardive. Les études d'impact paraissent avoir été faites à un moment où l'on constate qu'elles n'ont pas toutes les conséquences qu'elles devraient avoir.

Les défauts de la concertation avec le public sont nets. C'est un choix difficile. Nous constatons qu'il est utile qu'elle puisse se faire très tôt. Mais si elle se fait trop tôt, cette concertation sur des projets qui peut-être n'ont pas pris un corps suffisant pour que l'opinion publique puisse se matérialiser et s'appliquer à quelque chose de pratique, ne pourra être efficace. De toute façon, il semble que cette concertation ne soit pas satisfaisante.

Nous avons aussi une observation sur le caractère trop fractionné des projets instruits et décidés. Les exemples sont nombreux d'autoroutes qui ont été décidées morceau par morceau. Prenons les exemples de l'A.51, Genève-Marseille, ou l'ensemble Pau-Le Somport. Le sentiment est que des tronçons successifs se sont accolés les uns aux autres sans vision d'ensemble.

Dernier point : la faiblesse des calculs de rentabilité socio-économique. Tout cela conduit, comme le rapport le fait ressortir à plusieurs niveaux, à une augmentation des coûts entre l'estimation initiale de l'avant-projet sommaire et la mise en service.

Tous ces éléments reposent sur une analyse du passé. Des progrès ont été accomplis, mais ils sont tardifs. Nous disons que le ministère de l'Equipement a, par une circulaire du 20 octobre 1998, jugé souhaitable de réformer ce mécanisme. De la même manière, les procédures d'examen des projets autoroutiers par le C.I.E.S ont été rénovées certes, mais en 1996, c'est-à-dire à un moment où beaucoup d'autoroutes avaient été décidées et mises en service.

C'est sur ces bases de diagnostic que sont formulées les 11 recommandations figurant en page 143 et qui prennent leur consistance à travers mon exposé.

M. Jean-Louis Idiard, rapporteur spécial : Les 11 recommandations de la Cour des Comptes vont dans le sens que nous avons constaté au cours des diverses auditions. Sur un certain nombre d'auditions, notamment de la direction de l'environnement et de la prévision, nous avons pu remarquer et relever un certain nombre de dysfonctionnements entre les différentes administrations. Nous avons le sentiment que ces directions ne travaillaient pas forcément sur les mêmes modèles et qu'elles contestaient les modèles de chacun.

Deuxièmement, -interrogation que doit se poser l'Etat- il y a la remise en cause du niveau technique et de la pratique technique d'un certain nombre de hauts fonctionnaires de l'administration du ministère de l'équipement nous indiquant qu'ils étaient loin de certaines réalités concrètes et qu'ils avaient perdu un certain nombre de pratiques. Au moment où ils avaient à juger, ils n'étaient pas forcément les plus compétents techniquement ; ce qui est pour le moins inquiétant pour l'Etat. Ce ne sont peut-être que des observations venant des uns par rapport aux autres, mais nous devons pouvoir les prendre en compte.

A travers les observations que vous venez de formuler, je crois que nous sommes dans le vrai. Avec cette observation, je ne suis pas enclin à vous poser une question supplémentaire ; je vais plutôt dans le sens de ce que vous avez indiqué.

M. Philippe Auberger, co-président : Nos débats ont montré qu'il fallait aller plus loin en ce qui concerne le schéma directeur, élément de base extrêmement important de la politique autoroutière. J'ai cru comprendre que le souhait unanime de nos collègues est qu'il soit soumis au Parlement, ce qui n'a jamais été le cas jusqu'à présent.

Nous sommes amenés à discuter avec les préfets et un certain nombre d'autorités du tracé de certains tronçons, mais le schéma, la vision d'ensemble, la programmation d'ensemble ne nous sont pas soumis. Cela me paraît difficilement acceptable. Il y a là un point fort que nous devons mettre en lumière.

Pour l'expérience locale que j'en ai, il y a un manque de collégialité dans l'instruction des projets. Bien souvent, l'inspecteur général qui suit les projets indique telle manière de procéder pour tenir compte des questions d'environnement et d'un certain nombre de questions techniques de tracé.

Avec de telles procédures, aussi longues et complexes, on a le sentiment qu'il n'y a une certaine personnalisation de l'instruction. Il convient de revenir à un esprit de collégialité et d'ouverture, compte tenu des problèmes d'environnement et afin que l'arbitrage soit mieux exercé qu'il ne l'est qu'actuellement.

Mme Nicole Bricq : Certaines observations en page 83 sur l'enquête publique indiquent qu'elle se situe à un stade avancé de processus de décision. Vous n'en tirez pas de conséquences pratiques. Vous en tirez de la non-application de la loi, sur le débat public puisque vous demandez que les décrets d'application paraissent pour organiser la concertation avec le public. Mais après avoir dénoncé de mauvaises méthodes concernant l'enquête publique, vous n'en tirez pas de conclusion pratique.

M. Bernard Menasseyre : Je pense avoir résumé une réelle difficulté sur laquelle la Cour ne peut trancher, à savoir à quel moment l'enquête publique doit avoir lieu : très tôt, mais alors on n'a pas la consistance du projet ou plus tard, mais alors les jeux sont faits. Il y a une vraie difficulté que nous avons du mal à régler.

Cela dit, nous avons une série de recommandations -formulées de façon peut-être générale- qui vont quand même dans ce sens, notamment la troisième proposition qui est d'instituer une procédure d'autorisation globale des travaux après la déclaration d'utilité publique et de mettre en _uvre des décrets d'application. Mais j'avoue que cette réponse n'est pas très précise, car il s'agit en fait, me semble-t-il, de choix entre des inconvénients.

Mme Nicole Bricq : Comme toujours quand il s'agit de prendre une décision politique ! C'est quand même l'une des causes que vous stigmatisez du surenchérissement des projets, puisque l'on prend en compte tardivement les problèmes d'environnement. Pourquoi ? Parce que les opposants se manifestent tardivement, compte tenu des procédures ; c'est une des causes. Il faut donc rectifier les avant-projets et projets. On arrive ainsi à des coûts beaucoup plus élevés que s'ils avaient été prévus plus tôt. Les deux sont liés. C'est pourquoi j'insiste sur ce point.

M. Pierre Joxe : Il y a une évolution concernant les problèmes d'environnement : le problème des autoroutes a été traité très différemment en termes d'environnement, selon qu'il a été envisagé il y a 3, 10, 20 ans. Il en va de même pour les TGV.

Tant qu'il n'y aura pas de grands débats nationaux publics, ne débouchant pas forcément sur des décisions mais ouvrant des débats francs sur les schémas d'autoroutes et les schémas ferroviaires, tous les problèmes seront alors renvoyés à la base et à la région. C'est alors la structure technocratique qui prend l'affaire en main et qui dit que vous pouvez choisir de passer ici ou à 30 kilomètres ; l'enquête se réduit à des choix microscopiques.

Quand on parle du TGV Rhin-Rhône, les grandes options ne sont pas à caractère régional mais national ou international. La question de savoir quelle relation il y aura entre l'Allemagne, l'Alsace et l'Europe du Sud n'intéresse pas seulement la Franche-Comté.

M. Philippe Auberger, co-président : Je ne suis pas sûr d'être totalement convaincu par ce qu'exprime Mme Nicole Bricq. Il y a deux problèmes : d'abord savoir si les étapes d'un projet sont les bonnes. Une fois le projet dans le schéma, la première étape est de faire la bande du kilomètre, puis la bande des 300 mètres, puis l'enquête. Ces concepts-là ne sont-ils pas bons ? Faut-il prendre la bande des 10 kilomètres au lieu de la bande du kilomètre ? Ensuite, il faut peut-être revoir le choix des concepts. En tout cas, il est certain que l'on ne peut valablement discuter d'un projet que quand on a des éléments précis. Une enquête publique ne peut avoir lieu sur des conceptions vagues.

Mme Nicole Bricq : En général, il n'y a pas de conception vague.

M. Philippe Auberger, co-président : Vous trouvez que la bande de 300 mètres est trop précise. Au moins, on sait sur quoi on discute, alors que si la bande était de 10 kilomètres, voire plus, on ne discuterait pas. Ou alors il faudrait discuter du principe. C'est le rôle des schémas. Dans l'état actuel des choses, je pense que nous ne sommes pas en mesure de trancher.

Les outils actuels, les concepts actuels ne sont-ils pas bons ? Faut-il les changer ? A quel point de l'étape faut-il faire l'enquête préalable ? Dans mon esprit, ce n'est pas clair.

Le Président Augustin Bonrepaux : En ce qui concerne les projets d'infrastructures, on a beaucoup préconisé de privilégier les solutions alternatives : aménagement du réseau existant et construction de voies rapides moins coûteuses. La question se pose de savoir comment vous prévoyez ce financement. Est-ce toujours dans le cadre des concessions ou est-ce toujours la prise en charge par les crédits de l'Etat ?

Un peu plus loin, votre rapport montre que les crédits de l'Etat diminuent régulièrement. Où faut-il ralentir l'aménagement du territoire ? Comment finance t-on cette formule ?

M. Bernard Menasseyre : Nous sommes au c_ur du problème du financement que nous examinerons ensuite, mais on peut l'aborder dès à présent.

Dans le système tel qu'il fonctionnait, le ressort était le mode de financement, à savoir que les crédits budgétaires étant limités, la solution autoroutière trouvait sa facilité dans l'emprunt et le péage. Quand une alternative se présentait d'autoroutes ou de routes financées sur les crédits budgétaires, même si la solution rationnelle en termes de coûts était la formule budgétaire, l'absence de moyens de l'Etat conduisait les pouvoirs publics, c'est-à-dire le ministère de l'équipement, et parfois le ministère du budget à choisir la solution autoroutière. Nous en avons eu de nombreux exemples.

C'est l'un des grands reproches que l'on peut faire au système. On en voit la multiplication des effets néfastes.

Cela dit, les ministères reconnaissent que le système va conduire incontestablement à introduire plus d'exigences dans les choix. Désormais, la concession autoroutière ne permettant plus, comme par le passé, de trouver cette facilité, il faudra arbitrer entre des solutions qui engagent les crédits publics. Cette nouveauté, source vraisemblablement d'une nouvelle rationalité, va conduire à faire des choix que l'on a largement éludés jusqu'à présent.

J'ai résumé mon point de vue, mais c'est bien ainsi que se présente le problème dans son actualité.

M. Philippe Auberger, co-président : C'est vrai. Cela dit, l'argument de la continuité est parfois invoqué. Cet argument a été invoqué dans ma région où une liaison était envisagée entre deux autoroutes. Alors qu'il y avait l'aspect budgétaire et que l'on pouvait envisager un renforcement coordonné, on a considéré que pour les usagers non habitués au réseau, la continuité autoroutière allait faciliter les choses.

M. Bernard Menasseyre : C'est exact. D'ailleurs, en ce sens, mais de façon limitée, vous constaterez que dans la réponse du ministère chargé de l'équipement, des observations de la Cour montrent que sur un certain nombre de points, il y avait des raisons de procéder comme on l'a fait. Pour autant, cela n'abolit pas tous les autres cas où les choix ont été dictés par des considérations financières.

M. Yves Deniaud : La première recommandation me laisse assez perplexe en ce qu'elle indique qu'il faudrait privilégier l'aménagement du réseau par la construction de voies rapides, ce qui serait moins coûteux.

Au contraire, on constate sur le terrain que le coût des voies rapides, notamment des 2 x 2 voies, a tendance à se rapprocher à toute vitesse de celui des autoroutes, du fait que les contraintes sont de plus en plus fortes. Les lois sur l'air et sur l'eau s'appliquent dans les deux cas. Par ailleurs, les solutions techniques qui avaient cours auparavant n'ont plus cours aujourd'hui : les 2 x 2 voies ont obligatoirement un accès par échangeur et n'ont plus aucun croisement à niveau ; il y a des bandes d'arrêt d'urgence. Les normes techniques se sont accrues qui font qu'il n'y a plus de différence réelle entre une 2 x 2 voies et une autoroute.

Pour ces mêmes raisons, l'aménagement du réseau existant devient d'ailleurs de plus en plus difficile. Aujourd'hui, quand on souhaite doubler une route nationale, il faut recréer des accès riverains de chaque côté. Pratiquement, au lieu d'avoir deux et deux, quatre, et deux, soit six voies, on en a huit. Cela donne parfois des résultats plus monstrueux au plan esthétique et de l'environnement que l'aménagement d'une autoroute.

L'avantage d'une autoroute ou d'une 2 x 2 voies, c'est-à-dire d'un site neuf, est d'être libre du choix du tracé et de ne pas être contraint par le tracé existant. Compte tenu des normes actuelles, il n'y a plus de croisement au même niveau, plus d'accès riverain, pour des raisons de sécurité évidente. Cela porte le coût au kilomètre au même niveau, qu'il s'agisse d'une 2 x 2 voies ou d'une autoroute.

M. Philippe Auberger, co-président : Pouvons-nous passer au chapitre 3, page 175 ? (assentiment des membres)

M. Bernard Menasseyre : Je serais bref pour éclairer le sens des cinq recommandations énoncées. Les constats de la Cour sont les suivants. Les bilans faits après la mise en service des infrastructures autoroutières montrent qu'il n'y a pas de liens automatiques entre les réalisations et le développement local.

Souvent, il arrive que les effets socio-économiques soient surévalués et parallèlement, que l'incidence sur l'environnement soit sous-estimé.

Plusieurs propositions ou constats vont dans ce sens.

Après l'enquête publique, l'Etat prend souvent des engagements d'accompagnement, mais nous avons constaté que ces engagements sont souvent dépourvus de portée ; ils ne se traduisent pas par des décisions pratiques.

Deuxièmement, les obligations faites à l'Etat par la loi de 1982 de suivre les résultats économiques et sociaux des grands projets d'infrastructure sont restées quasiment sans suite.

Troisièmement, l'impact économique des investissements autoroutiers est mitigé : en général, ils renforcent les pôles d'activité les plus dynamiques au détriment des centres moins importants. Il faut en être conscient.

Quand à l'impact sur l'environnement, le constat est simple, nous l'avons déjà abordé. Les lois, les règlements pris en matière d'environnement, de natures variées et récentes renchérissent les coûts de réalisation. Ces réalisations ont un effet sur l'environnement qui excède ce que prévoyait originairement l'étude d'impact.

Enfin, les effets de l'infrastructure dépassent généralement très largement l'emprise autoroutière. Notre attention a été particulièrement appelée sur le fait qu'une autoroute suscite des remembrements induits beaucoup plus importants que ce que l'on avait imaginé ou prévu à l'origine.

Pour terminer, ce diagnostic que je viens de dresser concerne pour l'essentiel les autoroutes de facture récente. Il n'a pas la même portée pour les infrastructures structurantes que nous avons connues au cours des années cinquante et qui, en réalité, ne prêtent pas le flanc à la même critique.

Voilà les attendus des cinq recommandations qui figurent à la fin du chapitre 3.

M. Philippe Auberger, co-président : Quand vous dites " suscitent des remembrements ". Voulez-vous dire que les sociétés d'autoroutes sont amenées à prendre en charge des remembrements bien au-delà des exigences normales ou, qu'à l'occasion d'un nouveau tracé d'autoroute, les collectivités locales sont obligées d'envisager un remembrement assez complet parce que des exploitations agricoles disparaissent et cela accompagne certains types de remembrement ?

M. Bernard Menasseyre : Ces deux faits sont avérés. Du fait que l'on a sous-estimé l'importance du remembrement, il y a une conséquence sur les charges qui pèsent sur les sociétés autoroutières. D'autre part, l'effet de remembrement induit conduit à la description que vous venez de faire.

M. Philippe Auberger, co-président C'est un élément de négociation dans le cadre d'un tracé. Mon expérience a montré qu'il faut de la souplesse dans le cadre d'un tracé. C'est pratiquement la seule souplesse que l'on ait réglementée, que le préfet a pour imposer un tracé autoroutier quand il est à peu près précis et que le président du conseil général l'accompagne.

M. Jean-Louis Idiard, rapporteur spécial : La conclusion est que jusqu'à aujourd'hui, on le constate au niveau des coûts, on se préoccupait d'abord des considérations techniques. Au fur et à mesure s'adjoignent les problèmes environnementaux et les coûts induits. Dans la façon d'appréhender la réalisation d'une autoroute, il me semble qu'il faut associer davantage l'aspect environnemental et plus en amont que ce qui est fait jusqu'à présent.

Sur le point que vous avez soulevé sur le remembrement, il est évident que c'est une occasion unique de faciliter la discussion dans le cadre des acquisitions foncières et de "pacifier" le territoire. Sans cela, certains seraient privés de leur activité, même s'ils sont indemnisés. Cela me paraît être une occasion de facilitation sur le territoire.

M. Bernard Menasseyre : On ne peut pas en disconvenir, mais on observe que cela va au-delà de ce que l'on avait prévu.

M. Philippe Auberger, co-président : Dans ma circonscription, un pont supplémentaire a été construit pour éviter des détours plus importants pour l'accès à certaines exploitations.

Si vous êtes sur un projet de plusieurs milliards, une centaine de millions pour régler certains problèmes locaux quelque peu épineux n'est pas de trop.

Le Président Augustin Bonrepaux : Prévoir tous les dispositifs environnementaux qui pourraient être demandés ne risque t-il pas de renchérir le coût. Ne faudrait-il pas avoir deux solutions ? Parfois, certains dispositifs sont demandés, et à la réalisation, on peut se demander ce qu'ils apportent à l'environnement. De ce côté-là aussi, il faudrait être prudent.

On peut prendre l'exemple de la construction d'un pont qui va aggraver de 20 à 30 millions le coût d'un circuit ; quand on voit l'objet dans le paysage, on peut se demander si c'était la meilleure formule pour l'environnement !

M. Philippe Auberger, co-président Pour la A.14, on nous a expliqué que certains dispositifs en matière d'environnement étaient très contestables et que l'on avait bétonné de façon exagérée.

M. Jean-Louis Idiard, rapporteur spécial : Avec l'expérience en matière autoroutière, on doit être capable d'être plus précis en matière de prévision, que ce soit sur les coûts, ou les incidences environnementale ou techniques. La difficulté est que l'on n'ose pas, ou que l'on ne veut pas, poser l'ensemble des problèmes et discuter suffisamment en amont.

L'Etat manifeste toujours une grande frilosité en amont ; frilosité que l'on finit par devoir payer, sachant que quand on est peureux au départ, on est obligé de faire un certain nombre de concessions dans notre domaine, alors que si le débat était ouvert de façon claire et avec courage en amont, on arriverait à des solutions moins coûteuses en fin de parcours. Il y a une part de méthode, de responsabilité et de courage de l'Etat et de l'administration devant les citoyens.

M. Jean-Jacques Jegou : Avec ce chapitre, nous réfléchissons sur la pertinence. La Cour semble s'interroger sur le côté environnemental. A-t-elle calculé également des surcoûts environnementaux qui n'étaient pas utiles ? Cela a-t-il été parfaitement identifié ? On le dit de façon anecdotique, mais cela peut parfois prendre des proportions importantes.

Après les propos du rapporteur spécial, la question se pose, non pas des qualités professionnelles, mais de l'aspect plus sérieux d'une étude préalable et des professionnels qui, travaillant pour l'Etat, n'ont pas toujours des assurances sur ce qu'il faut ou pas faire.

On a l'impression, après les enquêtes, que de nouvelles réalisations apparaissent dont il semble curieux qu'elles n'aient pas été prévues. Sont-elles superfétatoires ou y a-t-il incompétence ou volonté de ne pas prendre en compte l'environnement ?

M. Philippe Auberger, co-président : Pour clarifier le débat, il y a deux questions : d'une part, l'appréciation technique et financière des projets et les aspects notamment environnementaux des projets ; d'autre part, le dialogue républicain et démocratique entre les autorités qui conçoivent le projet et toutes les parties qui vont intervenir dans le débat, association d'environnement, etc. Il faut un esprit de responsabilité mutuelle dans ce dialogue pour qu'il n'aboutisse à des choses irresponsables au plan financier et économique, voire environnemental.

M. Bernard Menasseyre : La Cour jette un regard rétrospectif lointain. Depuis quelques décennies, sont apparues des dispositions législatives et réglementaires qui n'existaient pas auparavant. Nous ne sommes plus dans la situation où, quand on construisait une autoroute, on était en quelque sorte à la merci d'une association environnementale qui élevait des protestations pour faire valoir que tel au tel aspect n'avait pas été pris en considération. Il y a désormais des lois, dont nous constatons qu'elles ont une incidence sur les coûts.

Il faut raisonner en termes d'obligation et non pas seulement de dialogue. Il s'agit de savoir d'abord comment les concepteurs des autoroutes, ceux qui en assurent l'étude, prennent en considération les obligations légales, et non pas seulement des mots d'ordre de protestation. La Cour ne prend pas partie, elle constate qu'il y a des lois et elle cherche à déterminer si ces dispositions qui ont un coût ont été prises en compte ou non.

Il y a un code de règles qu'il convient d'appliquer.

M. Philippe Auberger, co-président S'il n'y a plus de question, nous passons au Chapitre IV, dont les recommandations figurent en page 253.

M. Bernard Menasseyre : Il y a huit recommandations sous la rubrique "Les dérives du système".

Quelles sont ces dérives ? Elles sont au nombre de trois et permettent de jeter un _il sur la réforme du système autoroutier. Les trois dérives sont clairement énoncées : d'abord les choix des solutions de transport, et au sein même du mode routier, ont souvent été faits très souvent en raison seulement de la facilité qu'offraient les modes de financement.

Deuxième élément : des autoroutes ont été construites sur des liaisons à faible trafic sur lesquelles il aurait été peut-être plus judicieux de privilégier d'autres types de voies. Nous avons des exemples très nombreux de situations de cette nature, notamment pour des opérations nouvelles, projetées, dans lesquelles, pour les réalisations lancées entre 1990 et 1997, les frais n'étaient pas équilibrés si l'on se réfère au seuil indicatif de rentabilité choisi initialement.

Troisième élément -il y a là un lien- : l'endettement du secteur autoroutier s'est accru de façon inquiétante. Cela permet de répéter que la situation financière des sociétés d'économie mixte est hors normes, ce qui les rend fragiles. Qu'est-ce que qui les rend fragiles ? C'est d'abord le ralentissement sur le long terme de la progression des trafics ; ensuite, l'accroissement de la pression fiscale, incontestable ; enfin, la relance accélérée des programmes d'investissement.

Quelle est l'importance de cet endettement ? Je vous renvoie au rapport. Les chiffres auxquels la Cour s'arrête au 31 décembre 1997 sont ceux de la dette financière des sociétés d'économie mixte, soit 134,8 milliards de francs pour la dette financière proprement dite et les intérêts prévisionnels de près de 75 milliards de francs qu'il convient de distinguer

Ces données montrent que cette dette financière s'est accrue de 50 % durant les cinq dernières années.

Comme le rapport le souligne, le système autoroutier semble s'être en quelque sorte avancé par adossements successifs. Les sections non rentables sur les sections rentables et les sociétés en difficulté sur d'autres sociétés.

Certes, à l'examen des comptes des sociétés, on constate une très forte valeur ajoutée dégagée par les sociétés d'économie mixte, mais le ressort du système est de financer les investissements par des emprunts gagés sur les recettes de péage, et donc sur la rentabilité de l'investissement. Or, la recette kilométrique diminue au fur et à mesure que la longueur du réseau peu fréquenté augmente.

Les simulations des ministères sur l'avenir de cette dette en capital, c'est-à-dire la somme des emprunts auprès de la Caisse nationale des autoroutes pourrait atteindre un maximum de 148,7 milliards de francs en 2004 et, selon les estimations des administrations pourraient être résorbées en 2019. Voilà les hypothèses. Toutefois, si l'on veut atteindre ce dénouement heureux, il faut que les conditions soient réunies et la Cour attire l'attention sur le caractère hypothétique de ces conditions.

D'abord, il faut que l'on s'en tienne au projet de construction des sections nouvelles, c'est-à-dire les concessions accordées au 31 décembre 1997 sans poursuivre par adossement le schéma directeur, et que les prélèvements sur les sociétés d'économie mixte restent stables.

La situation est ambiguë et certaines sociétés sont en situation de difficulté que la Cour décrit dans son rapport. Nous avons appelé l'attention tout particulièrement -nous ne sommes pas les seuls- sur la société du tunnel de Fréjus, sur la société des autoroutes Paris - Normandie dont le responsable est venu le confirmer devant nous. On peut dire que la société des autoroutes du tunnel du Mont-Blanc, depuis l'incendie, est dans une situation financière dont on ne peut prétendre qu'elle puisse être réglée facilement.

De surcroît, il y a incertitude sur les hypothèses d'évolution du trafic, et la Cour a observé qu'il n'y a pas d'étude de sensibilité, de variations possibles sur les divers scénarios.

Un autre point important : la Cour soutient dans son rapport qu'il serait souhaitable que le Parlement fût informé régulièrement de cette situation, car le jeu des clauses de garantie des contrats de concession peut conduire l'Etat à supporter les conséquences des défaillances. C'est un élément que la Cour considère dans son ensemble, à savoir que dans le hors bilan de l'Etat, la part des sociétés d'autoroutes a une place importante.

La réforme du système est connue -le ministre de l'équipement l'a exposée devant vous- à savoir l'abandon de l'adossement sous sa forme actuelle et le subventionnement des appels aux aides publiques nécessaires à l'équilibre financier des futures concessions. Néanmoins, il faut garder à l'esprit que cette réforme, subordonnée à l'accord, par la Commission européenne, d'un allongement de la durée des concessions qu'il est prévu de reporter jusqu'à 2040. Cela représente un aléa majeur qui n'est pas, pour l'instant, complètement levé.

Cela dit, admettons la bonne fin de ce système et voyons les conséquences de cette situation nouvelle : incontestablement, le système que l'on arriverait à mettre sur pied serait plus rationnel, mais il aurait une incidence sur le budget de l'Etat et sur le budget des routes en particulier. Car si l'Etat souhaite continuer à construire des autoroutes non rentables -c'est un choix qu'il peut décider de faire- il devra le faire par des moyens budgétaires croissants, alors qu'il accorde une priorité, depuis peu de temps il est vrai, à l'entretien du réseau routier national et à la sécurité routière, secteurs qui ont été délaissés aux yeux de la Cour.

Le poids de ces contraintes nouvelles ne peut être considéré comme négatif. C'est un simple retour au réalisme. Il y a là l'occasion de fixer une politique routière globale qui permettrait de répondre à des besoins qui ont évolué et que le système actuel occultait. Avec un optimisme modéré, nous considérons donc que la perspective du redressement, si elle est douloureuse, est aussi une source potentielle d'amélioration des décisions.

Voilà l'essentiel, ce qui fonde les huit recommandations et éclaire la conclusion de la Cour ; laquelle a par nature aussi un aspect de résumé, mais aussi d'incitation.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial : Si nous sommes au stade où l'adossement doit être abandonné, le système autoroutier français s'est convenablement développé dans les trente dernières années grâce au système d'appréciation et à la pratique de l'adossement qui a beaucoup aidé. Nous avons certainement vécu à crédit, mais cela a permis au pays de s'équiper. Nous sommes aujourd'hui à une étape où ayant fini de vivre à crédit, il faut revenir à certaines règles simples. Mais cela ne va-t-il pas retarder nos stratégies de développement ? C'est au politique de devoir en débattre.

Quand nous avons reçu le directeur du Trésor ou son représentant, nous l'avons trouvé plus optimiste que vous, puisqu'il semblait nous dire que cet endettement était maîtrisé ou maîtrisable.

Deuxième question : cet abandon de l'adossement ne va-t-il pas être très coûteux pour l'Etat ? Je me demande comment nous allons devoir répondre à cet abandon de l'adossement au plan financier.

Troisième question que je rappelle chaque fois dans mon rapport annuel : pensez-vous qu'il soit sain que nous maintenions certains fonds qui sont des sortes de transferts de charges de l'Etat vers une sorte de parallélisme. Je parle du F.I.T.T.V.N. dont je me pose la question de savoir s'il est nécessaire de garder ce genre de fonds.

M. Bernard Menasseyre : Quelles que soient les circonstances, je vois mal un représentant de ministère dire qu'il ne maîtrise pas la situation. A fortiori, le directeur du Trésor, par définition, maîtrise toute situation relative aux finances publiques.

La Cour ne dit pas que le pari est impossible. Elle fait ressortir très nettement qu'il comporte des risques et que pour assumer ces risques, doivent être adoptées des conduites qui ne l'ont pas été jusqu'à présent.

D'autre part, nous aurions aimé que les hypothèses sur lesquelles les calculs sont faits soient agrémentées d'un certain nombre d'indications qui en indiquent le degré de certitude.

Vous trouverez dans le rapport une série d'indications sur la manière dont on peut évaluer les variations de trafic. Par le passé, on s'est très souvent trompé, et pour l'avenir, on a des indications qui conduisent à considérer que prévoir un trafic à l'échéance 2019, avec des hypothèses sur une variation du produit intérieur brut (PIB) à cette échéance, est un acte de foi, d'espérance peut-être. Il y a quand même une marge d'incertitude assez grande ; il faut en être conscient.

S'agissant du F.I.T.T.V.N., la Cour, dans son rapport, a un développement sur ce fonds. Elle développe certaines critiques qui conduisent à s'interroger sur les raisons d'être de la création et de la perpétuation d'un fonds de cette nature, sachant que ce qui est financé par ce compte d'affectation spéciale se trouve en réalité assez proche de ce qui est financé sur le budget.

Cela d'ailleurs appelle une réflexion plus générale sur les comptes d'affectations spéciales que le Parlement fera à l'occasion du rapport sur la loi de règlement. La multiplication des comptes d'affectations spéciales manifestement pose problème.

Pour le F.I.T.T.V.N., il ne semble pas, du point de vue de la Cour, qu'il ait donné tous les éléments de satisfaction que l'on aurait pu en attendre. La mobilisation des fonds par cette voie peut susciter à juste titre quelques problèmes de réflexions sur l'utilité même du fonds.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Monsieur le Président, la tonalité de votre rapport est critique, très critique même, ce qui est logique de la part de la Cour des Comptes. En fait, vous nous dites avoir publié un rapport en 1992 ; que nous y revenons quelques années après et que l'on s'aperçoit qu'il n'a été tenu compte d'aucune des recommandations. C'est en tout cas la lecture que je peux en faire.

Je voudrais que vous confirmiez votre analyse de votre propre rapport dès lors que quelques critiques restent très fortes concernant ce rapport de 1992.

En fait, vous nous expliquez que la logique de financement, que les conditions mêmes de financement de la politique autoroutière, ont amené les différents gouvernements, au-delà de ce qu'a pu dire M. Jean-louis Idiart sur le fait que cela a pu permettre la réalisation d'un certain nombre de travaux, à faire des réalisations, soit surdimensionnées, soit plus coûteuses que si l'on avait retenu d'autres choix.

En tireriez-vous aujourd'hui la conclusion que la politique autoroutière est achevée au niveau de ces grands axes et qu'il faudrait, en fait, radicalement changer de logique pour faire ce qui reste à faire ?

Autre question : pensez-vous que le pouvoir politique opérerait un choix judicieux en budgétisant cette politique autoroutière qui, d'une certaine façon, a été démembrée et qui nous a amenés à faire des choix pas toujours conformes au bon rapport efficacité-coût qui est l'une des préoccupations de notre mission.

Dernière question : pensez-vous, puisque les gouvernements successifs semblent ne pas avoir répondu à vos recommandations de 1992, que les réponses du ministre, jointes en annexe, répondent en partie aux recommandations renouvelées de votre rapport 1999 ?

M. Bernard Menasseyre : Concernant les critiques du rapport de 1992, j'élargirai peut-être l'horizon rétrospectif. En réalité, depuis pratiquement 1973, la Cour a souligné les risques du système. A cet égard, il ne faut pas se tromper : la Cour n'est pas ennemie des autoroutes. Elle constate comme chacun ce qu'il en est. Comme M. Jean-Louis Idiart l'a dit, on a réalisé un réseau autoroutier satisfaisant, de qualité, qui convient aux usagers, qui est source incontestable de progrès et qui, en termes de sécurité, représente un atout incontestable.

Le point de vue de la Cour était clair sur ce plan. Il n'y a pas de distance entre ce que dit la Cour et la direction des routes.

Simplement, nous avons soulevé des problèmes et fait observer qu'il y avait des risques.

Petit à petit, nous avons observé néanmoins que les pouvoirs public avaient, d'une certaine manière, pris en considération les observations de la Cour, de façon certes un peu timide, mais la réforme figurant au rapport postérieur à 1992-1993, qui a permis de regrouper les sociétés d'autoroutes, à assurer la péréquation de leurs trésoreries et à recapitaliser ces sociétés d'autoroutes, représente incontestablement un progrès, même s'il est insuffisant. Il y a eu également un mécanisme de modulation tarifaire, certes insuffisant, mais qui reste intéressant.

Cependant, il est vrai que l'élément déclenchant n'a pas été ces mises en gardes successives qui étaient justifiées ; il est extérieur et résulte, d'une part, de la force des directives européennes et de l'interprétation de la juridiction administrative.

On peut aussi penser que, chez les responsables du système autoroutier, ce sentiment s'est peut-être insinué que l'on était arrivé à une phase, à la fois hasardeuse en termes financiers, et qu'il y avait aussi lieu de prendre en compte l'évolution des besoins.

A la question de savoir si l'on peut considérer que la politique autoroutière est désormais achevée, je crois qu'il est difficile de répondre. Un réseau peut être complété selon les besoins qui s'expriment de façon assez poussée, et la notion d'achèvement est hypothétique. Incontestablement, on observe que les besoins ont changé et que les problèmes de transport sous forme d'autoroutes interurbaines, ne sont plus maintenant les éléments dominants dans les besoins qui s'expriment.

De surcroît, si l'Etat souhaite achever pour aller plus avant dans la construction d'autoroutes non rentables, il peut le faire, mais désormais il le paie. C'est la nouveauté, alors qu'auparavant il ne le payait pas. On ne peut pas même dire que c'est l'usager qui le payait, c'était l'usager ultérieur. La grande nouveauté, très heureuse, est que désormais, la sanction du choix existe.

Je réponds en cela à la question sur la budgétisation : il y aura budgétisation dans l'hypothèse où l'on déciderait de poursuivre le réseau autoroutier dont on sait qu'il n'est pas rentable. Auparavant, quand on construisait la A.89 par exemple, dont on sait qu'elle ne remplit pas les conditions pour amortir ses frais d'exploitation, on pouvait le faire presque à l'aveugle.

Désormais, quand on construira une section d'autoroute, il faudra une subvention budgétaire, et l'Etat devra choisir entre faire ce morceau d'autoroute et éventuellement accroître les crédits à l'entretien du réseau routier national ou à la sécurité routière. Il y a là un vrai problème qui peut être posé, alors qu'auparavant il ne l'était pas.

M. Philippe Auberger, co-président :  Je me permets pour ma part une critique. Je trouve que la Cour est trop modérée sur les prélèvements spécifiques sur les sociétés d'autoroutes. On a parlé du F.I.T.T.V.N. On peut parler des 500 millions pour la gendarmerie ; on peut également parler des menaces, puisque certains élus souhaiteraient un prélèvement spécifique pour payer les sapeurs pompiers qui interviennent sur les autoroutes. Il y a là une menace.

On ne peut pas considérer d'une part que les sociétés d'autoroutes vont devenir des contributeurs comme les autres, payer les dividendes, les formes d'imposition normales -elles paient la taxe professionnelle aux collectivités locales- et introduire un certain nombre de prélèvements spécifiques qui vont s'additionner. Soit on considère que ce sont des entreprises avec une logique d'entreprise et elles subissent alors les prélèvements généraux sur les entreprises ; soit on estime que ce sont des objets à part et on les exonère alors des prélèvements généraux et on prévoit des prélèvements spécifiques.

Jumeler les deux ne me paraît pas cohérent, d'autant que les gendarmes ne sont pas placés sous l'autorité des sociétés d'autoroutes. Si l'on estime que les sociétés d'autoroutes doivent avoir un système de police particulier, cela peut se concevoir ; c'est de leur responsabilité et on exige alors qu'elles aient un minimum de police particulière. Si l'on estime que les secours autoroutiers doivent incomber intégralement à ces autoroutes, on leur demande de s'organiser pour que les secours autoroutiers soient faits par les sociétés d'autoroutes et non par les sapeurs-pompiers départementaux. Mais ce type de prélèvement, à mon avis, obscurcit les choses et ne permet pas de faire entrer les sociétés d'autoroutes dans le droit commun.

M. Bernard Menasseyre : Vous regrettez la modération de la Cour, mais c'est tout dans l'expression. Sur le fond, le constat qui a été fait et que j'ai répété, était de dire que l'une des conditions de sortie de la crise potentielle était que l'on n'augmentât pas l'imposition sur les sociétés d'autoroutes.

Quand on regarde les comptes -dont la clarté n'est pas exceptionnelle- de la structure financière des sociétés d'autoroutes, on constate que si l'on met bout à bout les charges financières résultant des remboursement des emprunts et les prélèvements de toute nature, sans compter -vous y trouverez d'ailleurs une raison d'inquiétude- les effets possibles d'extension de la TVA au secteur autoroutier, certaines sociétés d'économie mixte ont des situations financières "hors normes". La modération du langage est une manière pudique de dire qu'elles sont exceptionnellement insolites. Et toutes insolites qu'elles soient, leurs emprunts garantis ou lancés par la Caisse nationale des autoroutes bénéficie d'une "aura" exceptionnelle qui fait que personne ne doute que ces emprunts puissent être remboursés.

Il me semble d'ailleurs que les sociétés d'économie mixte d'autoroutes sont mieux cotées que la société Cofiroute qui fait des bénéfices et distribue des dividendes.

Le Président Augustin Bonrepaux : Monsieur le président, vous nous avez expliqué que pour les autoroutes à venir, lorsqu'elles seront déficitaires, l'Etat devra y participer. Dans la mesure où le système français serait considéré comme non conforme aux règles de concurrence, comment cela se passera t-il pour la dette actuelle, et comment pensez-vous qu'elle pourra être remboursée sans apport de capital de l'Etat ?

M. Bernard Menasseyre : Je ne tiendrai pas le discours du représentant de la direction du Trésor. L'hypothèse de l'allongement de la durée des concessions, actuellement négociée avec la Commission européenne, va permettre d'allonger dans le temps l'exploitation, et donc de bénéficier de ressources supplémentaires. Cela peut, en effet, fournir l'assiette, une ressource complémentaire pour les sociétés d'autoroutes, et donc une marge d'autonomie pour elles.

Il faut voir que cet élément suppose l'accord de la Commission européenne et fait l'objet d'une négociation. D'autre part, comme l'a dit le ministre de l'équipement, la présentation devant vous d'une loi qui permettrait d'allonger la durée des concessions, vous donnera la possibilité de vous prononcer en connaissance de cause.

M. Gilbert Gantier : Dans ma circonscription, il n'y a pas d'autoroutes, et je crois qu'il n'y en aura jamais. Quant à la question de savoir si le réseau est arrivé à son rationnement maintenant...! Lorsque que j'étais étudiant aux Etats-Unis, des sociétés d'aménagement, comme la Threbold Bridge Authority* à New-York, avaient aménagé et amélioré les transports urbains. Or, dans de grandes agglomérations comme Paris, des projets apparaissent parfois : on pourrait faire une autoroute souterraine entre la Défense, Vincennes, Roissy etc..

Je voudrais savoir si la Cour s'est penchée sur ce type de problème et sur le financement qu'impliqueraient de telles réalisations qui ne devraient pas être faites avec les mêmes procédures que le réseau autoroutier interurbain.

M. Bernard Menasseyre : Notre mission est de constater les faits établis. Nous devons mettre en garde, sur la base de ce qui s'est passé, des inconvénients futurs ou présents. En matière de grands projets de circulation urbaine, le seul exemple que nous ayons sous les yeux et sur lequel nous nous penchons est celui de Eole et Météor. Comme il s'agit de souterrain non routier, ce n'est pas un sujet d'interrogation pour notre commission.

M. Philippe Auberger, co-président : Cette audition a été très intéressante et permettra au rapporteur spécial de faire un rapport très complet qu'il nous présentera le 6 juillet. Je lui souhaite bon courage. Merci, monsieur le premier président, merci monsieur le président de Chambre et merci monsieur le président de section.

M. Pierre Joxe : Comme le disait le rapporteur général, le gouvernement n'a rien fait du rapport 1992

M. Didier Migaud, rapporteur général : Mon propos était plus nuancé.

M. Pierre Joxe : De toute façon, j'étais dans le gouvernement de l'époque, et je ne l'ai pas mal interprété, mais j'observe aussi que le Parlement non plus n'en a rien fait ! Grâce à la procédure que vous avez mise en _uvre et qui se poursuivra, ce genre de choses ne sera plus possible.

Ce rapport de 1992, que j'ai découvert il y a quelques années, était très perspicace, précis, clair. Et la mission que vous avez mise en place fait que des rapports de ce genre ne pourront plus être sans suite.

M. Philippe Auberger, co-président : Si je comprends bien, c'est à nous d'interpeller le ministre des transports qui va nous préparer un projet de loi. Il a déjà un programme de travail. Il faudra bien suivre ce programme de travail pour qu'il bien cadré par rapport aux travaux de la Cour des Comptes et de la MEC.

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N° 1781.- Rapport d'information de M. Didier Migaud, Rapporteur général, déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission des finances, en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle constituée le 3 février 1999.- Annexe 1 : La politique autoroutière.- Rapporteur spécial : M. Jean-Louis Idiart.