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N° 1781

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 juillet 1999.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN (1) en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle constituée le 3 février 1999 (2),

ET PRÉSENTÉ

PAR M. DIDIER MIGAUD,

Rapporteur général,

Député.

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

(2) La composition de cette Mission figure au verso de la présente page.

Parlement.

La commission des finances, de l'économie générale et du plan est composée de :

M. Augustin Bonrepaux, président ; M. Didier Migaud, rapporteur général ; MM. Jean-Pierre Brard, Arthur Dehaine, Yves Tavernier, vice-présidents, MM. Pierre Bourguignon, Jean-Jacques Jégou, Michel Suchod, secrétaires ; MM.  Maurice Adevah-Poeuf, Philippe Auberger, François d'Aubert, Dominique Baert, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, François Baroin, Alain Barrau, Jacques Barrot, Christian Bergelin, Eric Besson, Alain Bocquet, Jean-Michel Boucheron, Michel Bouvard, Mme Nicole Bricq, MM. Christian Cabal, Jérôme Cahuzac, Thierry Carcenac, Gilles Carrez, Henry Chabert, Didier Chouat, Alain Claeys, Charles de Courson, Christian Cuvilliez, Jean-Pierre Delalande, Francis Delattre, Yves Deniaud, Michel Destot, Patrick Devedjian, Laurent Dominati, Raymond Douyère, Tony Dreyfus, Jean-Louis Dumont, Daniel Feurtet, Pierre Forgues, Gérard Fuchs, Gilbert Gantier, Jean de Gaulle, Hervé Gaymard, Jacques Guyard, Pierre Hériaud, Edmond Hervé, Jacques Heuclin, Jean-Louis Idiart, Mme Anne-Marie Idrac, MM. Michel Inchauspé, Jean-Pierre Kucheida, Marc Laffineur, Jean-Marie Le Guen, Guy Lengagne, François Loos, Alain Madelin, Mme Béatrice Marre, MM. Pierre Méhaignerie, Louis Mexandeau, Gilbert Mitterrand, Jean Rigal, Alain Rodet, Nicolas Sarkozy, Gérard Saumade, Philippe Séguin, Jean-Pierre Soisson, Georges Tron, Philippe Vasseur, Jean Vila.

*

* *

La Mission d'évaluation et de contrôle est composée de : MM. Philippe Auberger, Augustin Bonrepaux, présidents ; M. Didier Migaud, rapporteur général ; Mme Nicole Bricq, MM. Gilles Carrez, Christian Cuvilliez, Francis Delattre, Raymond Douyère, Daniel Feurtet, Hervé Gaymard, Jean-Jacques Jégou, Marc Laffineur, Pierre Méhaignerie, Gérard Saumade, Michel Suchod, membres titulaires ; MM. Jean-Pierre Brard, Jérôme Cahuzac, Yves Deniaud, Gilbert Gantier, Pierre Hériaud, Jean Rigal, membres suppléants.

Ont également participé à ses travaux les membres suivants de la commission des finances, de l'économie générale et du plan : M. Gérard Bapt, rapporteur spécial des crédits de l'Emploi et de la solidarité - Travail et emploi ; M. Jacques Barrot, rapporteur spécial des crédits de l'Emploi et de la solidarité - Formation professionnelle ; M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial des crédits de l'Intérieur - Sécurité ; M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial des crédits de l'Equipement, des transports et du logement - Transports terrestres, ainsi que M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis de la commission de la production et des échanges pour les crédits de l'Equipement, des transports et du logement - Equipement et transports terrestres et M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République pour les crédits de l'Intérieur - Police.

SOMMAIRE
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PRÉFACE DE M. LAURENT FABIUS, PRÉSIDENT DE l'ASSEMBLÉE NATIONALE

AVANT-PROPOS DE MM. AUGUSTIN BONREPAUX ET PHILIPPE AUBERGER, CO-PRÉSIDENTS

INTRODUCTION

I.- LA RELATIVE INERTIE DU PARLEMENT EN MATIÈRE DE CONTRÔLE BUDGÉTAIRE IMPOSAIT UNE « RÉVOLUTION MAÎTRISÉE » DE SES MÉTHODES DE TRAVAIL

A.- L'ABSENCE D'ÉVALUATION DE LA DÉPENSE PUBLIQUE AU SEIN DU PARLEMENT

1.- Un bilan inquiétant

a) Une acceptation longtemps trop passive de la dépense publique

b )Des carences critiquables

2.- Une explication complexe

a)La logique inhérente à la Vème République

b)Une pénurie d'instruments pertinents

B.- UNE RÉFORME INÉLUCTABLE

1.- Des effets pervers incontestables

a )Un obstacle à la maîtrise des finances publiques

b) Une technostructure toute puissante

2.- Des expériences étrangères riches d'enseignements

II.- PORTÉE PAR UN PROJET VOLONTARISTE ET AMBITIEUX, LA MEC 1999 NE PARAÎT PAS AVOIR « RATÉ SON ENTRÉE »

A.- LA MEC : UNE « RÉVOLUTION MAÎTRISÉE »

1.- Un projet novateur

a) Une démarche originale

b) Des modalités de fonctionnement rigoureuses

2.- Un projet ambitieux

a) Redynamiser l'institution parlementaire

b) Réformer et démocratiser l'administration

B.- DES DÉBUTS PROMETTEURS

1.- Une entrée remarquée

a) Une approche volontariste et pragmatique

b) Le début d'un vrai contrôle budgétaire

c) Une portée significative

2.- Une procédure perfectible

a) Renforcer le rôle évaluatif des travaux de la MEC

b) Repenser les domaines d'investigation de la MEC

c) Améliorer l'impact budgétaire des propositions de la MEC

CONCLUSION

EXAMEN EN COMMISSION

OBSERVATIONS ET CONTRIBUTIONS

PRÉFACE DE M. LAURENT FABIUS,
PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

________________

La dépense publique peut être mieux gérée et
le Parlement doit y contribuer

Le pouvoir des assemblées tient désormais au moins autant du contrôle que de l'initiative. Légiférer, dans une société moderne, appartient souvent au Gouvernement. Contrôler la dépense publique, c'est revenir aux sources de la démocratie parlementaire. La Déclaration de 1789 n'en fait-elle pas un droit de l'Homme et du Citoyen en proclamant dans son article 15 que "la Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration" ?

Cette proclamation, dont le Parlement est traditionnellement le garant, n'est plus seulement une liberté civique que la Révolution opposait à la tyrannie. C'est une ardente obligation. Depuis que la zone euro a intensifié la concurrence entre les territoires européens et mis la performance publique au centre de cette bataille, la vitalité de l'économie et la dynamique de l'emploi en dépendent. Or, avec des prélèvements obligatoires de quatre points plus élevés que la moyenne de nos partenaires, nous ne sommes pas bien placés. Cela tient à la large étendue de notre sphère publique, mais plus encore à l'insuffisance de certaines de nos performances administratives, malgré la valeur des femmes et des hommes qui servent l'intérêt général. Pour ne prendre qu'un exemple récent et éclairant, le recouvrement de l'impôt est, dans notre pays, moitié plus coûteux qu'en Espagne ou en Grande-Bretagne et trois fois plus qu'en Suède.

Mettre l'évaluation et le contrôle au centre de l'activité budgétaire de l'Assemblée nationale, était l'une des conclusions majeures du groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique, que j'ai animé avec le concours de l'ensemble des groupes politiques. Décider en mesurant les conséquences de la décision, cesser d'empiler des textes sans en connaître les résultats, éviter de répartir notre temps entre 95 % de vote et 5 % d'évaluation : la création, au sein de la commission des finances, d'une Mission d'Evaluation et de Contrôle a permis d'amorcer ce changement. Quelques raisons expliquent la réussite de cette première expérience :

- la MEC a travaillé dans un esprit non partisan, guidé par le seul souci de l'intérêt général. La co-présidence a été exercée en parfaite harmonie et en totale efficacité par Philippe Auberger et Augustin Bonrepaux. Un climat de confiance a régné entre les membres de la Mission, tout au long des débats. Cette structure multi-partite, inédite sous nos cieux, était un pari. Il a été tenu ;

- la MEC a eu la sagesse de concentrer ses investigations sur un nombre limité de sujets, quatre seulement, qui lui ont permis d'aller réellement au fond des choses, de dégager du temps, des moyens, des conclusions fortes ;

- la MEC a trouvé un équilibre entre la publicité de ses auditions (la presse en a largement rendu compte sensibilisant l'opinion publique) et le secret des délibérations, qui lui a évité langue de bois et faux clivages ;

- elle a bénéficié, grâce au concours permanent de la Cour des comptes, notamment dans la phase de préparation des auditions, d'une expertise remarquable. Le Premier Président Pierre Joxe a su nous faire partager son enthousiasme pour l'expérience menée depuis une dizaine d'années en Grande-Bretagne par le National Audit Office et par la Chambre des Communes. Je l'en remercie chaleureusement.

Surtout, les préconisations formulées par la MEC sur chacun des thèmes sont suffisamment fortes pour qu'on puisse probablement parler d'un renouveau du contrôle parlementaire. J'évoquerai la remise en cause de certaines aides à l'emploi, jugées inefficaces, la proposition d'externaliser certaines tâches de gestion, pour permettre à la police de revenir sur la voie publique, ou encore la volonté d'aboutir à une accréditation des organismes de formation professionnelle, pour éviter les gaspillages que l'on connaît.

Quelles suites seront données aux préconisations de la MEC ? Comment se dégagera de ses travaux un service public sauvegardé, parce que moins controversé, moins controversé parce que plus efficient, non pas minimal, mais optimal, accessible à tous, fonctionnant sans interruption ? Comment le Gouvernement prendra-t-il en compte nos recommandations dans l'élaboration du budget ou dans les projets de loi qu'il annonce sur la formation professionnelle ou sur les autoroutes ? La Mission ne réussira pas miraculeusement, en quelques semaines, là où d'autres se sont cassé les dents parfois depuis des années. Mais une dynamique a été mise en route et je fais confiance aux membres de la MEC pour exercer avec obstination leur "droit de suite". Je souhaite d'ailleurs que, dans quelques temps, les rapporteurs fassent le bilan des suites données à leurs préconisations et que l'Assemblée nationale soit appelée à en débattre sur la base de leur rapport.

Au-delà, il s'agit de passer à une deuxième phase des recommandations du groupe de travail, qui devrait conduire le Parlement à rénover ses procédures budgétaires et l'Etat à moderniser ses méthodes de gestion.

L'expérience que nous allons mener dans le cadre du prochain budget sera révélatrice de la volonté de tous les acteurs concernés, Bercy, majorité, opposition, de sortir l'Assemblée nationale et sa séance publique du formalisme qui préside trop souvent à ses discussions. Nous allons, à la faveur de la session budgétaire, engager sur cinq budgets et à titre expérimental un débat véritable, approfondi et transparent, sur le modèle de ce qu'a fait la MEC pendant 5 mois. Pour aller plus loin, il faudra également faire en sorte que le calendrier budgétaire soit efficace. A quoi sert-il d'engager un débat d'orientation budgétaire au mois de juin, trois mois après que les perspectives pluriannuelles des finances publiques ont été adressées par le Gouvernement à Bruxelles et deux mois après que les lettres de cadrage ont été envoyées par le Premier Ministre aux membres de son Gouvernement ? A quoi sert-il de régler le budget de l'année n plusieurs mois après l'adoption du budget de l'année n + 1 et sans que les administrations financières aient pu prendre en compte le travail de contrôle du Parlement ? Tout cela devra être adapté.

Au-delà, l'Etat lui-même devra rénover ses méthodes de gestion, ne serait-ce que pour permettre au Parlement d'exercer sérieusement sa mission d'évaluation. Comment apprécier la qualité d'un service public si l'on ne dispose pas d'une comptabilité, analytique et patrimoniale ? Comment associer les agents publics à la réalisation d'économies, si cela n'emporte aucune conséquence sur leur administration ? Comment aller vers plus de simplification, plus de créativité, plus de proximité dans les relations entre Etat et citoyens ? Comment favoriser l'investissement public, qui constitue un puissant levier de la croissance, si l'Etat n'a pas, comme les collectivités locales, l'obligation d'équilibrer son budget de fonctionnement ? Notre pays a besoin de réformes. C'est à cette législature de les lui apporter. C'est à notre Parlement d'y travailler.

Aussi, ai-je demandé au Rapporteur général du budget de réfléchir, dans une large concertation, à une réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959. Ce texte m'apparaît comme un monument certes vénérable, mais désormais inadapté à un contrôle sérieux de la dépense publique. L'ardeur que mettra la MEC à s'attaquer à de nouveaux dossiers ne sera que davantage stimulée par cette entreprise difficile, mais indispensable.

*

* *

AVANT-PROPOS DE MM. AUGUSTIN BONREPAUX
ET PHILIPPE AUBERGER, CO-PRÉSIDENTS

__________

Comment s'assurer de la bonne utilisation des fonds publics ?

Dans le contexte actuel de nécessaire maîtrise des dépenses, la question est redoutable car elle soulève, en réalité, une double interrogation : comment contrôler l'affectation des crédits aux actions pour lesquelles ils ont été accordés, d'une part, et comment évaluer leur efficacité, d'autre part ? Cette question l'est bien davantage quand elle s'adresse au Parlement, chargé de décider de la dépense publique en votant la loi de finances.

A cet égard, le constat établi sur son rôle en matière de contrôle budgétaire était jusqu'à présent sévère. Contrôles ponctuels et sans portée véritable des rapporteurs spéciaux, coopération embryonnaire avec la Cour des comptes... telles ont été les principales critiques formulées par le groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire, présidé par M. Laurent Fabius, qui a rendu ses conclusions au début de l'année.

A la suite de ces réflexions, la mise en place d'outils adaptés au sein de l'Assemblée nationale s'imposait avec force. C'est ainsi qu'est née la « Mission d'évaluation et de contrôle » qui présente aujourd'hui les premiers résultats de ses travaux, six mois après la publication du rapport de groupe de travail.

Cette rapidité de mise en _uvre mérite d'être saluée. Elle manifeste sans ambiguïté une volonté d'adaptation des méthodes de travail du Parlement pour l'accomplissement d'une de ses missions essentielles. Mais, elle souligne, dans le même temps, la nature inévitablement expérimentale de cette initiative et son caractère perfectible.

La mise en place de la Mission d'évaluation et de contrôle marque, en effet, une rupture avec les pratiques antérieures des parlementaires, en matière de contrôle budgétaire.

Rupture, tout d'abord, au niveau des acteurs impliqués.

Toute démarche évaluative supposant un débat contradictoire, il importait de définir la place de l'opposition au sein de la Mission. Cette exigence s'est traduite par la désignation d'un co-président, membre de l'opposition, aux côtés du Président de la commission des Finances, le Rapporteur général étant chargé, pour sa part, d'assurer et de coordonner les travaux. Cette collaboration, qui s'est avérée stimulante et fructueuse au cours des débats, trouve une illustration dans la présente introduction ...

L'évaluation d'une action repose, par ailleurs, sur une solide capacité d'expertise qu'a régulièrement apportée la Cour des comptes, tout au long des travaux de la Mission. Conformément à sa vocation, qui est d'assister le Parlement dans le contrôle de l'exécution de la loi de finances, la Cour a contribué, lors des phases préparatoires aux auditions, à éclairer les rapporteurs sur les informations pertinentes dans le cadre de leur contrôle et, le cas échéant, sur leur interprétation. Cette coopération renforcée a permis un contrôle approfondi dont le Président et le co-président se félicitent et souhaitent le développement lors des prochains travaux de la Mission.

Rupture, ensuite, au niveau des méthodes de travail mises en _uvre, dans la mesure où les rapporteurs spéciaux ont travaillé conjointement avec les rapporteurs pour avis sur chaque opération de contrôle.

Leurs interventions se sont caractérisées par un mode de questionnement beaucoup plus incisif destiné à rompre avec la logique assez formelle des auditions traditionnelles en commission. Ce changement de ton, faisant du rapporteur un véritable « enquêteur », s'est accompagné d'un changement d'interlocuteur : les personnes auditionnées ont été avant tout des gestionnaires, l'audition du ministre responsable n'intervenant qu'en fin de parcours.

Rupture, également, concernant les thèmes de contrôle.

Quatre sujets ont été successivement examinés : la gestion des effectifs et des moyens de la police nationale, les aides à l'emploi, la formation professionnelle et la politique autoroutière. L'approche privilégiée dans cet examen a été globale et transversale, dans le but de développer une véritable thématique d'évaluation. Elle a permis la formulation d'observations et de propositions, présentées dans les quatre rapports, résultant des travaux de la Mission, qui constituent le présent bilan.

Rupture, enfin, en termes de transparence.

Les auditions auxquelles les rapporteurs ont procédé, ouvertes à la presse et retransmises par la chaîne parlementaire, ont bénéficié d'une large publicité. En outre, les conclusions de ces évaluations sont aujourd'hui publiées, comme l'atteste ce premier bilan.

Les changements introduits par la Mission d'évaluation et de contrôle constituent donc des avancées réelles en matière de contrôle budgétaire.

Il n'en reste pas moins vrai que l'évaluation est, par nature, un exercice difficile. Cette première expérience s'est attachée à garantir l'objectivité de la démarche et témoigne de la capacité du Parlement à développer des nouvelles habitudes de travail.

Si le Président et le co-président sont conscients des améliorations qui peuvent encore être apportées au fonctionnement de la Mission d'évaluation et de contrôle, ils constatent, toutefois, que sa reconduction l'année prochaine s'est décidée tout à fait naturellement. Ce qui tend à prouver que l'un de ses principaux objectifs, à savoir veiller à l'efficacité de la dépense publique dans un cadre démocratique renové, est d'ores et déjà, en partie, atteint ...

Augustin BONREPAUX

 

Philippe AUBERGER

Mesdames, Messieurs,

« Je suis convaincu que l'avenir et la légitimité du Parlement passent par le développement de sa fonction de contrôle du Gouvernement. [...]. Notre Assemblée doit contrôler, évaluer, adapter au moins autant que légiférer ».

Par ces propos, tenus le 30 juin dernier, à l'occasion de la fin de la session parlementaire, le Président Laurent Fabius soulignait sa volonté de rénover l'institution parlementaire : puisque le Gouvernement dispose, de facto, en dépit des progrès qu'a permis, en matière d'initiative parlementaire, la révision, en 1995, de l'article 48 de la Constitution, d'un quasi-monopole dans le domaine de l'élaboration des textes soumis à notre Assemblée, le Parlement doit désormais être en mesure de mieux débattre de leurs grandes orientations et, surtout, d'en contrôler les résultats.

Ceci est particulièrement vrai en matière budgétaire, où le Gouvernement détient un monopole de l'initiative. Alors qu'il consacre beaucoup de temps à l'examen d'un projet de loi de finances qu'il ne parvient, en matière de dépenses, qu'à modifier à la marge, le Parlement devrait plutôt s'attacher à devenir un lieu de débats et de contrôle de la dépense publique.

A cette fin, le Président Laurent Fabius a ouvert, à l'automne dernier, un vaste chantier de rénovation des compétences budgétaires du Parlement. Un groupe de travail sur « l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire » fut constitué, à cet effet, en octobre, et rendit ses conclusions le 27 janvier dernier.

Celles-ci reposaient sur un constat simple : alors que depuis 1958, la dépense publique a, en France, très fortement crû, les pouvoirs budgétaires du Parlement n'ont, en revanche, hormis la révision constitutionnelle de 1996 lui accordant un droit de regard sur les finances sociales, guère évolué.

Ce constat était assorti d'un diagnostic radical : il est désormais illusoire de chercher à substituer l'autorité parlementaire au pouvoir exécutif dans le domaine de la confection du budget ; en revanche, le Parlement est appelé à jouer un rôle irremplaçable en matière de contrôle et d'évaluation de la dépense publique. C'est en systématisant ces activités et en les plaçant au c_ur de sa fonction budgétaire que le Parlement exercera véritablement ses prérogatives, qui sont de répondre aux exigences de transparence et de performance édictées par l'article XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».

Le groupe de travail soulignait, par ailleurs, les carences, purement françaises, en matière d'évaluation et de contrôle de la dépense publique.

Alors que le niveau atteint par la dépense publique nationale, un des plus élevés de la zone euro avec 54,2% du PIB en 1998, impose, compte tenu de la raréfaction des ressources et de la nécessité de poursuivre une politique de redressement des finances publiques, de gérer « autrement » la dépense publique, aucune instance autonome, à l'autorité reconnue, n'est chargée d'évaluer, de manière systématique, l'efficacité de la dépense publique, le Parlement, au nom de la logique institutionnelle inhérente à la Vème République et pour des raisons d'équilibre politique, n'exerçant pas pleinement de telles prérogatives.

Il faut mettre fin à cette situation et notre Assemblée, sous l'impulsion de son Président, affirme désormais sa détermination à s'engager dans la voie d'une évaluation et d'un contrôle de la dépense publique.

Cette volonté s'est concrétisée, conformément aux recommandations du groupe de travail précité, par la création, le 3 février dernier, au sein de la Commission des finances, d'une Mission d'évaluation et de contrôle (MEC), co-présidée par un membre de la majorité et de l'opposition. La MEC a pour mission, comme l'indique son intitulé, de contrôler et d'évaluer l'usage de la dépense publique.

Au cours de ces cinq derniers mois, la MEC a, ainsi, sélectionné quatre thèmes d'investigation - la politique autoroutière ; la gestion des effectifs et des moyens de la Police nationale ; les crédits de la formation professionnelle et les aides à l'emploi -, et procédé, de février à juin, avec l'assistance de la Cour des comptes, à l'audition des responsables administratifs et politiques en charge de ces secteurs.

Votre Rapporteur général tient, à cet égard, à rendre hommage à la Cour, qui, sous l'impulsion de son Premier président, M. Pierre Joxe, s'est impliquée, avec pertinence et persévérance, dans les travaux de la MEC.

Ces auditions ont permis de mettre en exergue certaines carences notoires, parfois déjà dénoncées, mais de manière infructueuse, par la Cour des comptes, dans la gestion de l'argent public.

Soucieux de ne pas voir leurs investigations demeurer sans effet, les membres de la MEC se sont attachés à dégager des pistes de réformes, qui, en raison de l'approche retenue, privilégiant les impératifs de bonne gestion, ont fait l'objet d'une approbation très largement consensuelle qui dépasse les clivages politiques. Ces conclusions sont présentées, au nom de la MEC, par chaque rapporteur spécial.

Votre Rapporteur général s'est, quant à lui, attaché à tirer un premier bilan de la MEC 1999. Cet exercice semble, à ce stade, nécessaire, eu égard aux innovations introduites par la Mission dans le fonctionnement de notre Assemblée et aux quelques difficultés rencontrées, dont il paraît opportun de tirer les enseignements.

Après avoir rappelé brièvement les principales conclusions du groupe de travail précité, votre Rapporteur général s'est donc penché sur la philosophie générale ayant présidé à la création de la MEC, avant de dresser un premier bilan de la « MEC 1999 ».

I.- LA RELATIVE INERTIE DU PARLEMENT EN MATIÈRE DE CONTRÔLE BUDGÉTAIRE IMPOSAIT UNE « RÉVOLUTION MAÎTRISÉE » DE SES MÉTHODES DE TRAVAIL

Conformément à l'article XV précité de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les représentants de la Nation sont les dépositaires d'une mission de contrôle de l'administration et, tout particulièrement, de la dépense publique. Le terme de contrôle doit être entendu au sens large, renvoyant, d'une part, à un contrôle de l'effectivité et de la régularité de la dépense publique et, d'autre part, à une évaluation de celle-ci. Or, force est de constater qu'en l'état actuel de ses modalités d'intervention, le Parlement exerce insuffisamment cette Mission.

A.- L'ABSENCE D'ÉVALUATION DE LA DÉPENSE PUBLIQUE AU SEIN DU PARLEMENT

1.- Un bilan inquiétant

a) Une acceptation longtemps trop passive de la dépense publique

Les auditions auxquelles a procédé, à l'automne dernier, le groupe de travail, présidé par le Président Laurent Fabius, sur « l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire » ont mis en évidence l'approbation tacite dont fait l'objet, en France, la dépense publique.

Celle-ci ne suscite encore qu'assez peu de débats au sein de l'opinion publique, contrairement à ce qui se passe dans les Etats du Nord de l'Europe. Cet état d'esprit s'explique, sans doute, par la structure même de notre système fiscal, relativement « indolore », puisqu'il repose largement sur des prélèvements indirects. En effet, seul un foyer sur deux est soumis à l'impôt sur le revenu. Dès lors, les contribuables ont le sentiment de tirer profit de la dépense publique, sans en supporter le coût.

b) Des carences critiquables

Dans ce contexte, les activités normatives et budgétaires du Parlement avaient été peu marquées, jusque là, par le souci d'évaluer l'efficacité de la dépense publique.

-  Une procédure normative dépourvue de liens avec ses implications budgétaires

Les projets et propositions de loi venant en discussion au sein de notre Assemblée font rarement l'objet, ex ante, d'une évaluation, les notes d'impact devant accompagner les projets de loi restant des plus succinctes, quand elles existent. De même, le Parlement ne dispose, en général, d'aucune véritable simulation des projets de réforme fiscale ou touchant aux prélèvements sociaux qui lui sont présentés. Indiquons, cependant, que cette pénurie d'informations ex-ante ne devrait, théoriquement, pas perdurer, une circulaire du Premier ministre du 26 janvier 1998 appelant à une généralisation des notes d'impact.

Par ailleurs, les lois adoptées font rarement l'objet, ex-post, d'une évaluation en termes d'efficacité. La demande de présentation d'un rapport d'évaluation, destiné à faciliter les adaptations des dispositifs législatifs retenus, voire conditionnant la reconduction des mesures arrêtées, n'est en effet pas systématique.

En raison de l'insuffisance d'évaluation ex-ante et ex-post des textes législatifs, l'activité normative des parlementaires semble, pour l'instant, largement déconnectée de ses implications budgétaires.

-  Une procédure budgétaire faisant obstacle à l'évaluation des politiques publiques

D'autre part, l'examen, chaque année, du projet de loi de finances, et plus précisément de sa seconde partie, traduit davantage une certaine sacralisation de la dépense publique qu'il ne permet un contrôle moderne et démocratique de son usage.

Il est, en effet, désormais patent que l'examen de la seconde partie du projet de loi de finances est devenu un exercice de style et ne permet guère d'analyser les résultats des politiques suivies ni les moyens utilisés pour les atteindre. Compte tenu de ses modalités, notre procédure budgétaire constitue donc désormais un obstacle à l'évaluation de la dépense publique. On peut même s'interroger sur le point de savoir si elle ne contribue pas indirectement à la croissance continue de celle-ci.

Trois facteurs majeurs expliquent ces dérives.

- Il convient de rappeler, en premier lieu, que le budget de l'Etat est un budget de moyens, les dotations budgétaires étant affectées selon leur nature, et non selon leur destination. Autrement dit, notre logique budgétaire privilégie une logique de dépenses, au détriment d'une logique de résultats.

- Par ailleurs, l'examen, contrairement aux dispositions de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances, des mesures nouvelles par ministère et par titre, plutôt que par titre et par ministère, a fait prévaloir une logique sectorielle lors de l'examen des crédits.

- Soulignons, enfin, que la globalisation des votes introduite par l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, avec notamment l'introduction d'un vote unique sur l'ensemble des services votés du budget général, constitue également un obstacle pratique à l'évaluation de la dépense publique et à sa remise en cause. En effet, les modalités de vote des services votés, parce qu'elles se traduisent par une reconduction quasi-automatique de 90% des crédits de l'Etat, constituent une incitation à l'immobilisme et vont donc à l'encontre d'une démarche évaluative. Les parlementaires ne prêtent véritablement attention qu'aux seules mesures nouvelles. Les modalités de vote des services votés aboutissent à une logique « d'empilement » de la dépense publique, démarche sans doute acceptable en période de forte croissance économique, mais qui n'est guère compatible avec nos contraintes actuelles. Il y a lieu de noter cependant les efforts récemment réalisés par le Gouvernement pour assurer des redéploiements. C'est ainsi que votre Rapporteur général a pu noter que le projet de loi de finances pour 1999 était marqué par un effort d'économie de l'ordre de 30 milliards de francs.

La période budgétaire, considérée, à juste titre, comme l'un des temps forts de la vie parlementaire, a donc progressivement perdu de sa pertinence et cette situation est d'autant plus grave que les travaux budgétaires de l'automne ne se prolongent pas, le reste de l'année, par un effort d'examen approfondi de la dépense publique.

Passée la période budgétaire de l'automne, le Parlement exerce peu sa fonction de contrôle de la dépense publique : les rapporteurs spéciaux ne font, en effet, que rarement usage de leurs pouvoirs de contrôle sur pièce et sur place et, plus généralement, les parlementaires ne procèdent que très rarement à un suivi, tout au long de l'année, de l'utilisation des deniers publics.

L'examen du collectif budgétaire à l'automne ne permet pas, en dépit des efforts entrepris depuis une quinzaine d'années par la Commission des finances, de conduire un examen approfondi de l'utilisation des crédits budgétaires, compte tenu notamment de la brièveté des délais. De même, malgré quelques exceptions, l'examen du projet de loi de règlement illustre l'absence de contrôle approfondi des dépenses budgétaires par notre Assemblée. Alors que cet examen devrait être l'un des temps forts de la vie parlementaire, permettant de juger de l'action menée par le Gouvernement, il s'effectue dans l'indifférence générale. Les débats sont formels, généralement expéditifs.

De même, les moyens de contrôle tels que les commissions d'enquête ou les questions au Gouvernement sont peu fréquemment employés à des fins de suivi budgétaire.

Conséquence directe du désintérêt actuel du Parlement à l'égard du contrôle de la dépense publique : les travaux menés par la Cour des comptes ne sont guère exploités par les parlementaires, qui pourraient pourtant utilement donner écho aux déficiences révélées par la Cour.

Comment expliquer que le Parlement ait, jusqu'à présent, négligé à ce point sa Mission de contrôle de la dépense publique ?

2.- Une explication complexe

Au vu des travaux menés par le groupe de travail présidé par le Président Laurent Fabius, il semble que cette situation soit imputable à des facteurs tant politiques que matériels, même si les premiers jouent sans doute un rôle prédominant.

a) La logique inhérente à la Vème République

Les institutions de la Vème République sont marquées par une volonté d'affaiblissement du pouvoir législatif : le souhait de promouvoir une efficacité accrue des institutions au seul bénéfice du pouvoir exécutif a ainsi entraîné un « déclin de pouvoirs financiers du Parlement (1) ». Ce schéma n'est certes pas propre à la France, mais il s'est traduit, dans notre pays, par un amoindrissement sensible du pouvoir normatif du Parlement en matière financière, que n'est pas venue compenser, contrairement aux autres démocraties occidentales, une capacité accrue de contrôle sur l'exécutif.

Cette logique institutionnelle, propre à la France, a été poussée jusqu'à son terme en matière de dépense publique. Il convient de rappeler, en effet, que le Parlement a conservé, sous la Vème République, des prérogatives non négligeables s'agissant des ressources publiques, conformément à notre tradition institutionnelle. Ainsi, les pouvoirs dévolus aux parlementaires en matière fiscale expliquent largement que ceux-ci consacrent désormais l'essentiel des travaux de la période budgétaire d'automne aux aspects fiscaux du projet de loi de finances, au détriment de ses aspects budgétaires, dont le rituel d'examen reste cependant « dévoreur » de temps.

A ces considérations purement institutionnelles s'ajoutent des facteurs plus politiques.

Au cours de son intervention devant le groupe de travail précité, M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, relevait « que l'opposition ne peut pas et que la majorité n'ose pas contrôler ».

Le phénomène majoritaire place, en effet, la majorité dans une position délicate. Comme le note le Professeur Paul Amselek (2), « la classe politique française [n'a] pas réussi à trouver jusqu'ici un juste équilibre entre les exigences raisonnables de discipline majoritaire et la nécessité impérieuse pour le Parlement de remplir son rôle, d'assumer les pouvoirs de contrôle qui lui sont reconnus, et de les assumer d'ailleurs dans l'intérêt même du Gouvernement, dans son intérêts bien compris ».

De son côté, l'opposition, qui devrait pouvoir jouer un rôle plus important en matière de contrôle, puisqu'elle ne peut guère peser directement sur les décisions, se cantonne trop souvent dans un exercice de critique systématique du Gouvernement.

Confrontées à l'obligation de jouer le rôle que leur assignent les institutions - soutenir pour l'une, critiquer pour l'autre -, majorité et opposition n'ont pas su créer les conditions d'un dialogue sans conflit, que requiert, pourtant, l'exercice d'un contrôle budgétaire moderne.

b) Une pénurie d'instruments pertinents

Le Parlement est le destinataire d'une information abondante, voire surabondante, mais qui porte davantage sur le niveau de la dépense publique que sur son efficacité.

La réforme des annexes explicatives « bleues », généralisée dans le cadre du projet de loi de finances pour 1996, a amélioré leur lisibilité, en les allégeant et en les simplifiant. Elle s'est également traduite par l'introduction « d'agrégats », regroupant les moyens dévolus à une action, affectés d'indicateurs, susceptibles d'ailleurs de profondes améliorations. Pourtant, au total, cette réforme demeure ancrée dans une vision traditionnelle de la dépense publique et ne permet donc pas au Parlement d'exercer sa fonction de contrôle budgétaire a priori.

Soulignons, enfin, s'agissant des informations dont dispose le Parlement, que celui-ci n'est que trop rarement le destinataire des rapports élaborés par les corps de contrôle de l'administration, leur diffusion restant extrêmement restreinte. Le secret excessif qui entoure ces rapports explique, en grande partie, qu'il ne leur soit malheureusement souvent donné aucune suite.

Face à cette pénurie d'informations pertinentes, le Parlement semble relativement démuni pour évaluer l'efficacité de la dépense publique.

Les pouvoirs de contrôle sur pièce et sur place des rapporteurs spéciaux relèvent, en effet, davantage de « l'arme atomique » qu'ils ne permettent une réelle évaluation de la dépense publique : ces prérogatives s'inscrivent dans une logique de dissuasion, susceptible de prévenir les irrégularités, mais ne permettent pas vraiment de les déceler - sauf à ce qu'un rapporteur spécial y consacre la totalité de son activité de parlementaire.

Soulignons également, de manière plus générale, que les travaux des rapporteurs spéciaux ne font pratiquement l'objet d'aucune coordination : les éventuelles initiatives de contrôle s'effectuent en ordre dispersé ; les contrôles restent ponctuels, les rapporteurs spéciaux se privant, par là-même, de la possibilité d'aborder des sujets transversaux ; aucune thématique de contrôle, susceptible de créer des effets d'annonce et de synergie n'est définie.

Il convient, par ailleurs, de relever que les réformes susceptibles de transformer les méthodes de contrôle des parlementaires, en leur conférant une capacité d'évaluation sur des sujets appréhendés de manière globale et transversale, se sont, jusqu'à présent, soldées par un échec.

C'est notamment le cas de l'Office d'évaluation des politiques publiques créé en 1996 (3). A l'origine, cet Office voulait traduire l'ambition du Parlement de se doter de moyens d'expertise autonomes vis-à-vis du Gouvernement et d'entreprendre ses propres travaux d'évaluation. Mais, en réalité, force est de constater que l'Office n'a que très peu rempli la Mission ayant présidé à sa création.

Au-delà de ses modalités de fonctionnement - manque de souplesse, instabilité de sa composition - c'est la fonction même de l'Office qui est en cause. En réalité, il fait double emploi avec les commissions permanentes, notamment avec la Commission des finances. L'expertise délivrée par l'Office est restée, par ailleurs, « isolée de la décision », pour reprendre l'expression de M. Pierre Avril (4) : ses travaux ne pouvaient donc déboucher sur aucune décision concrète puisqu'il ne dispose pas de compétence directe en matière de crédits budgétaires.

Cet échec n'a, malheureusement, pas été contrebalancé par le recours à des organismes extérieurs, susceptibles de procéder à une évaluation de la dépense publique.

Alors que les commissions permanentes disposent de moyens financiers leur permettant de faire effectuer des études par des organismes indépendants, la Commission des finances n'a utilisé que très rarement cette faculté.

Par ailleurs, la coopération avec la Cour des comptes est longtemps restée largement embryonnaire.

Le Parlement n'utilise, en effet, qu'avec parcimonie les travaux d'évaluation menés par la Cour des comptes, ne leur donnant pas ainsi la suite qu'ils requièrent. De même, les parlementaires utilisent peu la faculté que leur offre l'article 132-4 du code des juridictions financières de demander à la Cour des enquêtes sur des sujets spécifiques.

Par ailleurs, il convient de rappeler que la Cour des comptes est une juridiction chargée, notamment, de veiller à la régularité de l'exécution de nos finances publiques. Pour sa part, le Parlement, investi de la légitimité démocratique, demeure une instance politique, dont le jugement ne peut, légitimement, s'abstraire de toute appréciation politique.

Enfin, le rythme des travaux de la Cour, lesquels reposent sur une procédure contradictoire et minutieuse, ne correspond pas au souci de rapidité qui caractérise la démarche des parlementaires. Ce décalage explique donc que la Cour des comptes ne soit pas toujours disponible pour répondre à l'« impatience » des parlementaires, même si des progrès ont été accomplis au cours de ces dernières années.

Aux termes de ce bref exposé, le Parlement apparaît donc fort « dépourvu » pour mener à bien sa Mission de contrôle budgétaire. Mais, jusqu'au présent, la volonté politique a fait défaut pour combler cette lacune, si bien que les pouvoirs du Parlement en matière de contrôle budgétaire n'ont pas évolué depuis quarante ans. Cette situation ne saurait toutefois perdurer : désormais, « une révolution maîtrisée », pour reprendre l'expression du Président Laurent Fabius, s'impose.

B.- UNE RÉFORME INÉLUCTABLE

La maîtrise de nos finances publiques, ainsi que le contrôle de notre administration, imposent au Parlement de systématiser l'évaluation de la dépense publique, en s'inspirant des exemples étrangers.

1.- Des effets pervers incontestables

L'absence de capacité autonome d'évaluation de la dépense publique au sein des assemblées parlementaires hypothèque, en effet, la poursuite de la politique de redressement des finances publiques, interdit une bonne appréciation de l'efficacité des dépenses réalisées et va à l'encontre d'un véritable contrôle démocratique de l'administration.

a) Un obstacle à la maîtrise des finances publiques

Selon l'INSEE, les dépenses publiques de la France, se sont élevées, en 1998, à 54,2% du PIB, contre 55,6% en 1996 et 54,9% en 1997 (5). Malgré la baisse observée ces dernières années, ce taux reste l'un des plus élevés de l'OCDE, en raison, partiellement, des modalités de financement de notre système de sécurité sociale.

Certes, le Gouvernement issu des urnes en juin 1997 a mis en _uvre une politique rigoureuse de redressement des finances publiques, laquelle a permis à la France de se « qualifier » pour l'euro (6).

Cette politique d'assainissement de nos finances publiques doit être poursuivie, afin, notamment, de retrouver des marges de man_uvre budgétaire de soutien à la conjoncture et de réduire l'impact, sur la croissance, du niveau élevé de la dette publique et des prélèvements obligatoires.

Mais, si la réduction du niveau du déficit public impose une maîtrise de la dépense publique, cette politique ne saurait se réduire, comme ce fut particulièrement le cas de 1993 à 1997, à des économies forfaitaires imposées, via la régulation, aux ministères. Cette stratégie semble, en effet, avoir aujourd'hui atteint ses limites, notamment en raison de ses conséquences dommageables sur l'investissement public. C'est pourquoi, il semble impératif d'ouvrir le chantier de l'efficacité de la dépense publique.

b) Une technostructure toute puissante

L'absence d'un véritable pouvoir de contrôle budgétaire au sein du Parlement se traduit, en effet, par un « consensus implicite, et peut-être inavoué, pour laisser à l'exécutif et à l'administration une liberté d'action étendue » (7), et toute tentative de contrôle parlementaire semble vécue par l'administration comme un « crime de lèse-majesté ».

Certes, la dépense publique fait l'objet, en France, de contrôles comptables de régularité extrêmement précis, voire tatillons. Peu d'infractions majeures sont à noter. Mais, en revanche, notre administration, ancrée dans une tradition juridique, reste profondément réfractaire à une logique d'audit externe.

Cette situation aboutit à conférer, de facto, à l'administration une large autonomie dans la détermination de ses dépenses : celle-ci résulte, en effet, des échanges entre la direction du budget et le ministère concerné, les parlementaires étant totalement exclus de ce dialogue.

Cette situation signifie que l'administration détermine en son sein le juste niveau de ses dépenses, la seule régulation politique étant circonscrite aux arbitrages du ministre. Dès lors, et sans vouloir minimiser l'autorité de ce dernier sur l'administration placée sous sa tutelle, les rapports de force politiques qui résulteraient de la confrontation entre pouvoir exécutif et parlementaire ne peuvent jouer.

Elle explique, par ailleurs, que l'administration est dans l'incapacité de rendre compte de sa gestion, c'est-à-dire de mesurer le coût des actions entreprises et d'évaluer leur efficacité. Cette absence de transparence peut, légitimement, sembler inacceptable aux yeux de nos concitoyens. Elle ne peut qu'alimenter à son tour les critiques sur les gabegies supposées de l'administration et contribuer ainsi à la remise en cause de l'intervention de l'Etat, alors que celle-ci reste une incontestable nécessité économique et sociale.

Enfin, l'autonomie dont dispose l'administration dans sa gestion contribue à son immobilisme, repoussant « aux calendes grecques » l'impérieuse réforme de l'Etat.

Pourtant, des réformes susceptibles de déboucher sur une réelle évaluation de l'efficacité de la dépense publique sont envisageables, comme en témoignent les exemples étrangers ainsi que la réflexion récemment engagée en France sur ce sujet.

2.- Des expériences étrangères riches d'enseignements

La plupart des pays occidentaux ont mis en place des procédures d'évaluation de la dépense publique, dont certaines ont pour caractéristique de donner au Parlement un rôle majeur en la matière.

L'exemple américain du General accounting office, agence du Congrès, certes difficilement transposable, illustre cependant l'ampleur des pouvoirs qui peuvent être conférés au Parlement

Les exemples allemand et anglais apparaissent, en revanche, plus riches d'enseignements, s'agissant de régimes parlementaires (8).

En Allemagne, le Parlement joue, en effet, un rôle important dans la mise en place des dispositifs d'évaluation et, depuis 1970, de très nombreux votes de lois et de programmes dans les domaines économique, social et éducatif sont assortis d'une obligation, pour le Gouvernement fédéral, d'organiser une évaluation portant sur leur mise en _uvre et les effets obtenus.

Mais, l'exemple le plus éclairant est certainement le système britannique, la création, en 1983, du National audit office (NAO) ayant permis un renforcement significatif du contrôle parlementaire sur l'utilisation des fonds publics. Organe indépendant, il travaille en étroite relation avec le Committee of public accounts, Commission des comptes publics de la Chambre des communes, qui, après avoir entendu les responsables administratifs concernés, présente, le cas échéant des recommandations de réforme, auxquelles le Gouvernement est tenu de répondre.

Le groupe de travail a voulu s'inspirer de cette dynamique, afin de maîtriser la dépense publique, en freiner la progression et la redéployer en vue d'une plus grande efficacité économique possible.

L'Assemblée nationale est loin d'être totalement démunie pour entreprendre cette « révolution maîtrisée », laquelle s'avère possible sans bouleversement institutionnel majeur. C'est pourquoi le groupe de travail sur « l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire » a appelé de ses v_ux la création d'une Mission d'évaluation et de contrôle (MEC), chargée d'évaluer, au sein du Parlement, la dépense publique. Cette Mission a effectivement été créée, en son sein, le 3 février dernier, par la Commission des finances.

Le présent rapport tentera après cinq mois de fonctionnement de cette Mission, d'en tirer les premières leçons.

II.- PORTĖE PAR UN PROJET VOLONTARISTE ET AMBITIEUX, LA MEC 1999 NE PARAÎT PAS AVOIR « RATĖ SON ENTRĖE »

La MEC est une mission d'évaluation et de contrôle, qu'il est envisagé de constituer au premier semestre de chaque année, au sein de la Commission des finances, afin de mener des investigations approfondies sur un nombre déterminé de politiques publiques.

Visant à institutionnaliser la fonction de contrôle budgétaire du Parlement, la création de la MEC constitue une innovation majeure, susceptible de déboucher sur une profonde transformation du rôle du Parlement et du fonctionnement de l'administration.

Par souci de cohérence, votre Rapporteur général a pris le parti de donner, dans un premier temps, des indications sur la philosophie générale de la MEC, avant de s'attacher, dans un second temps, à sa mise en _uvre effective.

A.- LA MEC : UNE « RÉVOLUTION MAÎTRISÉE »

Compte tenu des objectifs poursuivis et des modalités de fonctionnement retenues, la mise en place de la MEC constitue une innovation majeure au regard du rôle que souhaite désormais jouer notre Assemblée.

1.- Un projet novateur

a) Une démarche originale

· La fonction assignée à la MEC pourrait, de prime abord, sembler banale : elle a pour objet de contrôler la gestion et d'évaluer les résultats des politiques publiques. Mais, en réalité, compte tenu des lacunes observées dans le fonctionnement de l'institution parlementaire, il s'agit bel et bien d'une évolution majeure : par le biais de la MEC, notre Assemblée entend se réapproprier une fonction de contrôle budgétaire qu'elle n'a, jusqu'à présent, que peu exercée et entreprendre une démarche nouvelle d'évaluation de la dépense publique dans un domaine qui, jusqu'à présent, faute de volonté politique, restait en jachère.

Il convient, à cet égard, de préciser la définition des notions de contrôle et d'évaluation.

La fonction de contrôle budgétaire du Parlement vise à s'assurer du bon emploi des deniers publics, par une analyse de l'utilisation des crédits budgétaires. L'objectif poursuivi est ici de lutter contre les gaspillages et de traquer la dépense inutile. L'évaluation de la dépense publique relève, en revanche, d'une démarche distincte : il s'agit de déterminer si une politique publique atteint les objectifs qui lui sont assignés et, dans l'affirmative, s'il est possible d'attendre des résultats identiques à un moindre coût. Il va sans dire qu'en pratique ces deux fonctions sont étroitement imbriquées.

L'un des objectifs de la MEC tient au fait que la fonction de contrôle et d'évaluation qu'elle exerce devrait déboucher sur des décisions budgétaires de réallocation de la dépense publique. Ce n'est certes pas la première fois que notre Assemblée exprime sa volonté d'exercer pleinement ses compétences budgétaires. Mais, c'est, en revanche, la première fois que cet exercice doit être mené à la lumière d'une évaluation objective des résultats obtenus dans le cadre d'une politique publique.

Alors que, faute de pouvoir mesurer les besoins réels de l'administration, les parlementaires avançaient, jusqu'à présent, à l'aveuglette lors de l'examen de la seconde partie du projet de loi de finances, ils disposeront, à terme, d'un outil d'aide à la décision budgétaire, leur permettant d'affecter les dotations budgétaires au regard de l'efficacité des interventions financières de l'Etat. Parce qu'elle vise à rapprocher les centres de contrôle et de décision budgétaires la MEC peut donc constituer un réel bouleversement.

· Au-delà des objectifs poursuivis, il convient de relever que la démarche retenue lors de la mise en place de la MEC est également particulièrement innovante.

La Commission des finances a, en effet, fait le choix d'une démarche globale, objective et continue.

-  Une démarche globale

Alors que les parlementaires ne se penchent traditionnellement, lors de l'examen de la seconde partie du projet de loi de finances, que sur les seules mesures nouvelles, la MEC procédera, en revanche, à l'évaluation du « stock » de crédits budgétaires existants, c'est-à-dire, les services votés, évaluation sans laquelle il est impossible de déterminer à bon escient le niveau approprié de dépenses futures. Il s'agit donc d'un véritable bouleversement des méthodes de travail.

Par ailleurs, la MEC examinera, de manière prioritaire, des sujets transversaux, que le seul contrôle d'un rapporteur spécial ne suffirait à appréhender.

-  Une démarche objective

L'évaluation des politiques publiques est une activité spécifique, reposant sur des méthodes scientifiques. Aussi la MEC pourrait-elle envisager, après un premier semestre de fonctionnement, de faire appel, en tant que de besoin, à des professionnels de l'évaluation, dont la compétence et la pluralité garantiront la qualité des travaux menés.

Soulignons, également, que, par ce biais, la MEC pourra s'affranchir du pouvoir exécutif, ses travaux reposant sur des outils autonomes, indépendants du Gouvernement.

Il convient, à cet égard, de distinguer la démarche de la MEC, propre à la Commission des finances et relevant de son initiative, dans le but de nourrir la discussion budgétaire, des évaluations prévues par certaines grandes lois, dont la mise en _uvre appartient aux ministères, même si les résultats doivent être soumis au Parlement.

Indiquons, enfin, que les efforts de tous pour garantir l'objectivité des travaux conduits par la MEC ont pour objet de permettre, autant que faire se peut, de déboucher sur des constats non partisans, la volonté commune d'affirmer le rôle du Parlement devant l'emporter sur le clivage majorité-opposition. L'exercice d'une mission de contrôle exige, en effet, de créer les conditions d'un dialogue aussi peu conflictuel que possible, afin, au nom de l'intérêt général, d'améliorer, par delà les clivages politiques, la gestion des deniers publics.

-  Une démarche continue

Les travaux de la MEC seront normalement menés au cours du premier semestre de chaque année, garantissant ainsi que la fonction de contrôle budgétaire dévolue au Parlement ne cesse pas, une fois l'examen, à l'automne, du projet de loi de finances mené à son terme.

Par ailleurs - et là réside sans doute toute l'importance de la MEC -, ses travaux ont vocation à avoir des répercussions concrètes lors du débat budgétaire de l'automne.

Aussi est-ce bien à un contrôle budgétaire continu, tout au long de l'année, que s'engagent, avec la création de la MEC, les parlementaires, même si la nature et la forme de ce contrôle varieront selon que la MEC sera ou non en fonctionnement, étant rappelé que le travail de la Mission n'est naturellement pas exclusif de celui des Rapporteurs spéciaux.

b) Des modalités de fonctionnement rigoureuses

Les modalités de son fonctionnement reflètent le caractère ambitieux de la Mission impartie à la MEC. Ces modalités reposent, en effet, sur une approche pragmatique, une démarche aussi consensuelle que possible, une volonté de transparence et un projet volontariste.

-  Une approche pragmatique

· Le modèle anglais aurait pu conduire les membres du groupe de travail précité à préconiser la création d'une septième commission permanente, chargée spécifiquement du contrôle de la dépense publique.

Cette voie n'était pas dépourvue de pertinence et peut-être les travaux de la MEC déboucheront-ils un jour sur la mise en place d'une nouvelle commission permanente. Elle aurait, notamment, pu permettre, en l'individualisant, d'institutionnaliser davantage la fonction de contrôle budgétaire du Parlement.

Mais, cette solution n'était pas non plus exempte de difficulté : une septième commission aurait pu être perçue par les autres commissions permanentes comme une menace, en raison des risques d'empiétement de compétences ; elle risquait de déboucher sur une politisation des débats, qu'il convenait, au contraire, de tenter de limiter. Cette voie exigeait aussi une modification de l'article 43 de la Constitution, qui, à supposer qu'elle aboutisse, aurait retardé la mise en place de la nouvelle structure d'évaluation et de contrôle.

· Aussi, le groupe de travail précité a-t-il privilégié une approche pragmatique, conduisant à créer, chaque année, sur la base de l'article 145 du Règlement, une mission d'information au sein de la Commission des finances. Rappelons, à cet égard, que cet article dispose que « [...] les commission permanentes assurent l'information de l'Assemblée pour lui permettre d'exercer son contrôle sur la politique du Gouvernement. A cette fin, elles peuvent confier à un ou plusieurs de leurs membres une mission d'information temporaire portant, notamment, sur les conditions d'application d'une législation. Ces missions d'informations peuvent être communes à plusieurs commissions [...] ».

Cette solution présentait l'avantage d'être immédiatement opérationnelle, sans priver, pour autant, la Mission d'information nouvellement créée de moyens d'investigation approfondis.

Rappelons, en effet, que la MEC est parfaitement habilitée, comme toute mission d'information, à procéder à l'audition de hauts fonctionnaires, de directeurs d'établissements publics ou de ministres, sur les questions qu'elle entend examiner. Ces auditions, prévues au rythme d'une matinée par semaine de janvier à juin, se déroulent, en effet, dans le cadre de l'article 5 bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, lequel dispose qu'une commission spéciale ou permanente peut convoquer toute personne dont elle estime l'audition nécessaire.

La MEC, mission de la Commission des finances, est également en mesure, par l'intermédiaire de celle-ci, de lancer des travaux d'évaluation, des crédits spécifiques, prévus à cet effet, étant, d'ores et déjà, inscrits au budget de fonctionnement de l'Assemblée nationale. Elle peut donc devenir un commanditaire d'évaluations.

A cet égard, la MEC pourrait recourir, à l'instar du NAO britannique, à des professionnels de l'évaluation, ce qui implique le recours à des réseaux d'expertise sectoriels regroupant des universitaires, des professionnels et des représentants de l'administration déjà chargés de l'évaluation de leurs propres pratiques. La MEC est également en mesure de solliciter le commissariat général du Plan, lequel comprend un service de l'évaluation.

Soulignons, enfin, que la MEC est habilitée à solliciter le concours de la Cour des comptes, laquelle « assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'exécution des lois de finances » (article 47 de la Constitution). Rappelons, sur ce point, que la MEC, par le biais de la Commission des finances, est habilitée, sur la base de l'article 132-4 du code des juridictions financières, à demander à la Cour des enquêtes sur des sujets spécifiques. Cette démarche serait d'autant plus pertinente que la Cour développe des investigations relevant davantage de l'audit de performance que de simples contrôles de régularités.

Autrement dit, la MEC dispose, d'ores et déjà, de moyens d'investigation, dont la mise en _uvre n'exige aucune modification d'ordre législatif ou réglementaire.

-  Une démarche aussi consensuelle que possible

· Les études menées par la MEC ne déboucheront sur des avancées substantielles en termes de réallocation budgétaire que s'ils reposent, à l'instar du modèle britannique, sur une approche non partisane et aussi consensuelle que possible de la dépense publique. Il a donc été décidé, dans le cadre du groupe de travail sur « l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire », de renforcer, au sein de la MEC, les droits de l'opposition.

A cette fin, un membre de l'opposition se voit confier, aux côtés du Président de la Commission des finances, la coprésidence de la MEC. Afin d'associer l'opposition au fonctionnement de la Mission, son programme de travail est arrêté de façon consensuelle.

· Par ailleurs, afin de garantir le caractère pluraliste des réflexions menées au sein de la MEC, sa composition doit refléter l'état des forces politiques au sein de notre assemblée : chaque groupe politique désigne donc, pour siéger à la MEC, deux représentants titulaires et un représentant suppléant, tous membres de la Commission des finances.

Ainsi, compte tenu de la configuration politique de notre Assemblée, et si l'on exclut les trois membres de droit, l'opposition et la majorité disposent chacune du même nombre de sièges au sein de la MEC.

Il convient également de souligner que les réunions de la MEC sont ouvertes à l'ensemble des membres de la Commission des finances et aux rapporteurs pour avis des autres commissions permanentes.

Indiquons, enfin, s'agissant des modalités de fonctionnement de la Mission, que les rapporteurs spéciaux ont été invités à préparer les auditions de la MEC avec l'assistance de la Cour des comptes.

La création de la MEC reflète donc parfaitement l'ambition de ses concepteurs de créer les conditions de l'émergence d'une volonté commune, susceptible de dépasser les clivages partisans observés jusqu'à présent dans le fonctionnement de notre Assemblée.

-  Une procédure transparente

L'opinion publique française est encore trop peu sensibilisée à la question de l'efficacité de la dépense publique. Aussi apparaît-il impératif de permettre une lisibilité des travaux de la MEC, en veillant à leur transparence.

Aussi a-t-il été décidé que les auditions auxquelles la MEC procède, dans le cadre de ses fonctions de contrôle et d'évaluation, sont publiques, et notamment ouvertes à la presse. Il est, par ailleurs, prévu de retransmettre sur la chaîne parlementaire les débats auxquels donnent lieu les réunions hebdomadaires de la MEC.

Ce souci de transparence se traduit également par une publication des rapports d'évaluation de la MEC. Il est, en effet, envisagé que les travaux d'évaluation élaborés par des organismes extérieurs à la MEC sont débattus en son sein (9), puis donnent lieu à l'audition des gestionnaires et des responsables politiques concernés, voire, le cas échéant, à celle des représentants des usagers du service public concerné. Ces rapports, complétés par les auditions précitées et assortis des conclusions de la MEC, sont alors publiés.

Il convient, toutefois, de préciser que les règles de transparence susmentionnées ne doivent pas faire obstacle, le cas échéant, à ce que des solutions spécifiques soient appliquées dans certains cas, afin de préserver, ne serait-ce que pour des raisons d'efficacité, la confidentialité des travaux de la MEC. Leur publicité ne doit donc pas s'entendre comme une règle absolue.

-  Un projet volontariste

· La MEC devrait se traduire par une profonde transformation des méthodes de travail des parlementaires.

Alors que les rapporteurs spéciaux procèdent, dans le cadre de la Commission des finances, à des contrôles ponctuels, la MEC doit, au contraire, privilégier l'étude de thèmes transversaux, que, dans certains cas, les rapporteurs spéciaux étaient auparavant dans l'incapacité d'appréhender seuls. Afin de créer les synergies que requiert cette nouvelle approche de la dépense publique, votre Rapporteur général s'est vu confier une mission de coordination des travaux menés au sein de la MEC.

· Par ailleurs, il convient de souligner que les travaux d'évaluation menés au sein de la MEC ont pour finalité de déboucher sur des décisions concrètes. Ils ne doivent en aucun cas demeurer « isolés de la décision » pour reprendre l'une des critiques présentées à l'encontre du fonctionnement de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques.

Certes, la MEC ne dispose pas, collectivement, d'un pouvoir d'initiative en matière budgétaire. Pour autant, les membres de la MEC seront en mesure, individuellement, de tirer les conséquences des enseignements de la MEC. N'oublions pas, en effet, que chaque parlementaire dispose d'un pouvoir non négligeable de réformation de la dépense publique. Certes, leurs prérogatives sont encadrées par l'article 40 de la Constitution et l'article 42 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959. Mais, ces contraintes n'empêchent nullement un parlementaire d'agir en faveur d'une réduction de la dépense publique, pour autant qu'il respecte les règles progressivement élaborées par le Conseil constitutionnel en la matière (10). Une traduction budgétaire des travaux de la MEC ne rencontrerait donc aucun obstacle juridique.

C'est donc aux membres de la Mission, et tout particulièrement aux rapporteurs spéciaux impliqués dans les travaux de la MEC, qu'il reviendra de « mettre en musique » les conclusions auxquelles sera parvenue la MEC. C'est d'ailleurs précisément pour déboucher sur de telles synergies que la MEC a été créée au sein de la seule Commission des finances et que ses réunions sont ouvertes à tous ses membres. In fine, ce sera donc la Commission des finances qui sera jugée sur sa capacité à traduire en mesures budgétaires les conclusions de la MEC.

2.- Un projet ambitieux

La création de la MEC ne doit pas apparaître comme un gadget, destiné à mieux « vendre » l'institution parlementaire aux media. Au contraire, la MEC a été conçue pour engager une dynamique de long terme, destinée à revaloriser le rôle du Parlement et à favoriser l'éclosion de réformes structurelles dans le fonctionnement même de l'Etat. Le projet de la MEC est donc porteur de vastes ambitions.

a) Redynamiser l'institution parlementaire

· La MEC devrait conduire à revaloriser le rôle du Parlement. Certes, la dynamique insufflée par la MEC ne devrait, probablement, porter ses fruits que sur le long terme. Mais, il apparaît indéniable que la vie parlementaire pourrait en être sensiblement renouvelée.

La MEC a, en effet, pour objet de systématiser l'évaluation de la dépense publique en France. Auparavant, aucune instance autonome, indépendante du Gouvernement ne remplissait cette fonction. La création de la MEC signifie donc qu'à terme, l'ensemble des politiques publiques pourra faire l'objet d'une évaluation, aussi objective que possible. Elle implique également qu'un ministre ne sera plus en mesure de lancer une politique nouvelle sans une analyse préalable aussi approfondie que possible de son rapport coût-efficacité. La MEC implique donc un véritable bouleversement des mentalités.

Par le biais de la MEC, le Parlement affirme avoir un rôle indispensable à jouer en matière d'évaluation et de contrôle. A terme, ces fonctions devront être au c_ur de son activité budgétaire. En « s'emparant » de ce thème, notre Assemblée marque ainsi sa volonté de voir évoluer, à l'instar des autres démocraties occidentales, sa mission vers une activité de contrôle.

La création de la MEC signifie donc que le Parlement devrait redevenir un lieu de débats démocratiques sur des sujets fondamentaux aux yeux de l'opinion publique. Non pas qu'il se soit totalement écarté de cette voie, mais, les Français ont le sentiment que le Parlement s'épuise dans des discussions pointilleuses et sans fin, éloignées de leurs préoccupations quotidiennes. La MEC a donc comme ambition de « porter le fer » là où le bât blesse, sans tabous.

Ce projet devrait, notamment, se traduire par une réflexion sur l'action de l'Etat et son coût, l'expertise de la MEC venant nourrir le débat public. A terme, est ainsi engagée une analyse minutieuse et rigoureuse portant sur l'action de la sphère publique. Une dynamique nouvelle est donc lancée.

· La création de la MEC ne devrait pas manquer, par ailleurs, de se traduire par une profonde rénovation de l'activité budgétaire du Parlement.

Notre Assemblée est désormais appelée à exercer ses prérogatives budgétaires tout au long de l'année, les six premiers mois étant consacrés à une mission de contrôle budgétaire et les six mois restants étant réservés à l'autorisation budgétaire proprement dite.

Mais surtout, les réflexions de la MEC relatives à l'efficacité de la dépense publique sont destinées à « irriguer » le débat budgétaire de l'automne. Autrement dit, un lien doit désormais être établi entre l'autorisation budgétaire et le bon emploi des crédits votés. Ce projet implique que l'examen du projet de loi de finances permette, d'une part, d'étudier des résultats obtenus par les politiques publiques et, d'autre part, d'allouer les crédits budgétaires au regard de leur efficacité.

La MEC implique donc, à terme, de modifier sensiblement l'examen de la seconde partie du projet de loi de finances : les débats, plus resserrés, mais plus vivants, devraient se concentrer sur l'efficacité de la dépense publique, appréhendée de manière plus globale, afin de rendre possible les comparaisons de la dépense publique en termes de rapport coût-efficacité. C'est l'objet des propositions de réforme de la discussion budgétaire que la Conférence des Présidents a bien voulu adopter, le 22 juin dernier, sur proposition de votre Rapporteur général.

Le Parlement se place ainsi en position de débattre de la dépense publique dans sa globalité et de redevenir un lieu d'arbitrage, alors qu'il s'épuise actuellement dans un examen pointilliste des crédits budgétaires. A terme, le Parlement sera appelé à mettre en _uvre une régulation politique de la dépense publique, conférant ainsi à l'action publique une lisibilité qu'elle a largement perdue. L'autorisation budgétaire délivrée par le Parlement retrouverait donc sa signification.

Cette rénovation de la procédure budgétaire ne devrait pas manquer, à son tour, de déboucher sur des réformes structurelles de l'administration : en systématisant l'évaluation de la dépense publique, le Parlement entend donner une impulsion à des transformations profondes du fonctionnement de l'Etat.

b) Réformer et démocratiser l'administration

· La création de la MEC a pour objet d'accompagner et d'aiguillonner l'administration dans la démarche entreprise en vue de rompre avec la logique actuelle du « toujours plus de dépenses » dans laquelle elle est restée longtemps enfermée, ce qui implique une réforme profonde de son mode de fonctionnement.

Par le biais de la MEC, l'Assemblée entend, en effet, à terme, allouer les crédits budgétaires au regard de l'efficacité de la dépense publique en cause. Or, cet objectif nécessite une profonde révision des « règles du jeu » budgétaires actuelles, lesquelles restent circonscrites, pour l'instant, à une simple logique de moyens. L'allocation des crédits budgétaires au regard des performances de la dépense publique, voire, à terme, une hiérarchisation des dépenses publiques, imposera donc de substituer une logique de résultats à cette logique de dépenses. L'administration sera ainsi appelée à procéder à une véritable révolution culturelle.

Concrètement, une telle réforme imposera à l'administration d'introduire une présentation de la dépense publique par programmes, assortis d'indicateurs d'objectifs et de résultats, et de mettre en _uvre une comptabilité analytique destinée à évaluer le coût des mesures mises en _uvre. L'administration sera alors en mesure d'établir si les objectifs impartis à la dépense publique ont été atteints, et à quel coût.

Certes, de tels projets ne constituent pas une innovation : les lancinantes propositions de réforme de l'Etat visent toutes, depuis une quinzaine d'années, à engager l'administration dans la voie d'une appréciation de la dépense publique au regard de son efficacité.

Mais, la démarche inhérente à la création de la MEC constitue, cependant, une originalité : c'est, en effet, la première fois que le Parlement marque un intérêt prononcé pour un des aspects concrets d'une réforme de l'Etat ambitieuse.

Or, l'implication du Parlement pourrait être le gage de voir une telle réforme aboutir, l'institution parlementaire étant seule en mesure d'exprimer, dans la continuité, le point de vue des différentes forces politiques du pays. M. Michel Prada l'a souligné devant les membres du groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire : « lorsque [les parlementaires] marquent de l'intérêt pour [un] sujet, une dynamique se produit ; dans le cas contraire, il n'y a aucun véritable contre-pouvoir à la tendance de la technostructure à persévérer dans son être et dans ses méthodes précédentes ».

· Si de tels projets de réforme de l'Etat devaient aboutir, il en résulterait un véritable bouleversement des relations entre l'institution parlementaire et l'administration.

L'appréciation de la dépense publique en fonction de ses performances se traduirait, en effet, à terme, par un contrôle a posteriori accru du Parlement : sur la base d'un triptyque « objectifs, résultats, contrôle », l'administration sera amenée à rendre des comptes, à la fois en termes de coût et de résultats. Le rapport de force entre le Parlement et l'administration serait donc profondément bouleversé, cette dernière perdant une partie de son autonomie, mais au bénéfice d'une démocratisation de son fonctionnement.

Concrètement, l'administration française pourrait utilement s'inspirer du « reporting » anglo-saxon, afin de rendre compte au Parlement de sa gestion. En application de cette méthode, les administrations présentent, à l'appui de leurs demandes de crédits, un plan stratégique récapitulant les résultats atteints l'année précédente, le coût des mesures mises en _uvre, les objectifs fixés pour l'année suivante, assortis des moyens requis. Le Parlement est ainsi en mesure de juger des performances de la dépense publique.

Il convient, à cet égard, de souligner que le contrôle exercé par le Parlement sur la gestion de l'administration n'est pas conçu et ne doit pas être perçu comme un acte de défiance à l'égard du Gouvernement. Dans le cadre des travaux de la MEC, le Parlement n'entend pas, en effet, se prononcer sur le bien-fondé des politiques menées, mais vise simplement à en examiner les résultats. Cette démarche vise exclusivement à contrôler l'administration, et ce dans l'intérêt même du gestionnaire, la mise en évidence des défaillances relevées par le Parlement devant servir d'aiguillon à un réajustement des politiques publiques.

Le projet porté par la MEC est donc extrêmement ambitieux : il vise à améliorer la gestion publique, à encourager les efforts de démocratisation du fonctionnement de l'administration et, ainsi, à réconcilier les Français avec l'action publique. En redevenant ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être - un lieu de débat sur la dépense publique -, le Parlement devrait voir sa légitimité confortée, puisqu'il apportera enfin une contribution aux exigences de transparence, comme de performance, édictées par l'article XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

B.- DES DÉBUTS PROMETTEURS

Compte tenu du caractère novateur et ambitieux de ce projet, le pari de la MEC était loin d'être gagné d'avance. Les conditions de mise en _uvre de la MEC 1999, ainsi que les résultats obtenus, devaient servir de test : si la MEC avait dû « rater son entrée », cette expérience, pourtant prometteuse, n'y aurait pas survécu.

Votre Rapporteur général se réjouit donc que cette première étape ait été franchie.

1.- Une entrée remarquée

La détermination et la disponibilité des membres de la MEC, ainsi que l'équilibre - entre rigueur et souplesse - des modalités de fonctionnement retenues, ont été des facteurs déterminants du bon fonctionnement de la première MEC.

a) Une approche volontariste et pragmatique

· La MEC 1999 symbolise la volonté, très forte, du pouvoir politique de s'engager enfin dans la voie d'un contrôle parlementaire.

En témoigne la rapidité avec laquelle la MEC 1999 a été mise en place : le 27 janvier dernier, le groupe de travail, présidé par le Président Laurent Fabius, sur « l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire » concluait à la nécessité de créer une mission d'évaluation et de contrôle ; le 3 février, la MEC était créée ; le 4 février, elle tenait sa première réunion et le 18 février, ses premières auditions.

Depuis lors, celles-ci se sont tenues à un rythme hebdomadaire, témoignant ainsi de la forte volonté des membres de la MEC de remplir leur mission.

On observera que le démarrage des travaux de la MEC a été grandement facilité par la décision de l'opposition de « faire le pari » de la MEC. Certes, ce projet a pu susciter, avant que la Mission ne fonctionne effectivement, un certain scepticisme quant à la réelle volonté de la majorité de transcender les clivages politiques afin d'instaurer un réel contrôle parlementaire. Mais, la décision de confier la co-présidence de la MEC à un membre de l'opposition, en l'occurrence M. Philippe Auberger, la composition paritaire de la Mission (11), ainsi que la participation active de l'opposition à la définition du programme de travail de la MEC et aux auditions menées, ont, semble-t-il, convaincu l'opposition du bien-fondé de la démarche. Votre Rapporteur général est heureux de cette contribution, gage du pluralisme des réflexions menées au sein de la MEC.

De manière plus générale, votre Rapporteur général tient à rendre hommage à la disponibilité et à l'implication des membres de la MEC, ainsi qu'à l'action des rapporteurs spéciaux concernés par les quatre sujets de réflexion retenus, MM. Gérard Bapt, Jacques Barrot, Tony Dreyfus et Jean-Louis Idiart, rapporteurs sur les budgets, respectivement, du Travail et de l'emploi, de la Formation professionnelle, de la Sécurité et des Transports terrestres. Ces derniers, en charge de la préparation des auditions, ont rempli leur tâche avec diligence et compétence, proposant des thèmes de réflexion, faisant le point sur les sujets les plus controversées, préparant avec soin les questions abordées au cours des auditions. Sans leur contribution active, les débats de la MEC n'auraient sans doute pas eu le caractère animé qui fut le leur.

Votre Rapporteur général saluera également la contribution des rapporteurs pour avis qui ont accepté de s'impliquer dans les travaux de la MEC, MM. Jean-Jacques Filleul et Louis Mermaz, rapporteurs pour avis, respectivement, au titre de la Commission de la production et des échanges et de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, sur les budgets de l'Equipement et des transports terrestres et de la Police. Conviés à s'associer aux travaux préparatoires et aux réflexions de la MEC, ces deux rapporteurs pour avis ont pris une part active aux débats, contribuant ainsi à l'affirmation d'une volonté commune.

· Les travaux de la MEC ont été menés avec rigueur et souplesse.

- Afin de mener des investigations approfondies, les membres de la MEC ont, en premier lieu, privilégié une approche ciblée de la dépense publique, limitant le champ de leur intervention à un nombre restreint de thèmes, à savoir :

. la politique autoroutière ;

. la gestion des moyens et des effectifs de police ;

. les crédits de la formation professionnelle ;

. les aides à l'emploi.

Ces thèmes ont été choisis sur la base de quatre critères : l'actualité des sujets, leur incidence budgétaire, la motivation des rapporteurs spéciaux et l'état des investigations de la Cour des comptes.

Rappelons, à cet égard, que les sommes en jeu, dans les domaines d'investigation retenus, sont importantes : l'endettement des sociétés autoroutières atteint désormais 200 milliards de francs (12) en tenant compte des intérêts ; le budget de la police nationale s'élève à 29 milliards de francs (13), dont 24 consacrés aux dépenses de personnel ; les dépenses relatives à la formation professionnelle représentent, au bas mot, un montant de 138 milliards de francs (14) ; l'effort en faveur de l'emploi varie, en fonction des définitions retenues, de 164 milliards de francs selon l'approche retenue dans le projet de loi de finances pour 1999, à plus de 305 milliards de francs (15) selon les critères de la DARES.

On observera, en second lieu, que les membres de la MEC ont prêté une extrême attention au choix des thèmes retenus, excluant l'étude de projets de loi en cours d'élaboration ou d'adoption, tel que le second projet de loi sur les 35 heures, ou celle de dispositifs encore trop récents, tel que celui des emplois-jeunes.

En limitant ses investigations à « l'existant », la Mission souligne ainsi qu'il existe des sujets spécifiques, lesquels, en raison de la durée d'application des mesures visées, sont susceptibles de faire l'objet d'un bilan en termes de coût-efficacité, et qu'il convient de distinguer de thèmes plus prospectifs. Rappelons que ces derniers relèvent, notamment, des attributions traditionnelles des rapporteurs spéciaux, la MEC n'étant pas exclusive des travaux de ceux-ci et, plus généralement, de ceux des commissions permanentes.

Cette rigueur dans le choix des thèmes retenus a permis à la MEC de remplir la mission qui lui était impartie, à savoir de mieux apprécier la bonne utilisation des crédits et d'évaluer, en termes de rapport coût-efficacité, les dispositifs visés. Autrement dit, la MEC s'est défendue de porter un jugement sur les choix opérés dans le passé ou de prôner une redéfinition complète des politiques menées. Sa mission a consisté, au contraire, à étudier dans quelle mesure des réorientations budgétaires, dans le cadre des enveloppes définies, étaient envisageables, voire s'il était possible de supprimer des dispositifs inutiles.

- La rigueur observée dans la démarche de la MEC n'a, cependant, pas fait obstacle à une souplesse dans l'organisation de ses travaux.

Il convient, à cet égard, de souligner que la MEC a été en mesure de définir en toute autonomie son programme et ses méthodes de travail. Elle a, ainsi, procédé à l'audition de l'ensemble des personnalités qu'elle souhaitait, selon les modalités de son choix, n'hésitant pas, le cas échéant, à innover. La MEC a, notamment, entendu des hauts fonctionnaires, et ce en l'absence des ministres. Votre Rapporteur général indiquera, à cet égard, que si la MEC s'était vu refuser cette faculté, elle aurait été fondée à se transformer en une commission d'enquête, comme l'y autorise l'article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Elle a également cherché, au travers du choix des personnalités entendues, à privilégier le pluralisme de la réflexion menée en son sein : outre les ministres et des hauts fonctionnaires, la MEC a entendu des « acteurs de terrain », soulignant ainsi sa volonté d'une approche concrète des problèmes. Elle a, ainsi, entendu Mme Nadia Chelgoum, commissaire de police à Vaulx-en-Velin, M. Jean Michelin, directeur de la formation à la Fédération française du bâtiment, M. Christian Lhote, directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de l'Orne...

Cette diversité s'est reflétée dans l'organisation des auditions. La MEC n'a, ainsi, pas hésité à organiser une table ronde, destinée à confronter les différents points de vue, lorsque cette approche leur semblait pertinente. Ce fut notamment le cas lors des auditions consacrées à l'étude des aides à l'emploi. Afin de « coller » à l'actualité, la MEC se reconnaît, en outre, « un droit de suite », lui permettant d'aborder de nouveau un sujet, lorsque cette décision lui semble opportune. Cette situation s'est présentée lorsque la Cour des comptes a remis, en juin dernier, un nouveau rapport sur le système autoroutier.

Cette autonomie et cette originalité dans les méthodes de travail auraient été de peu d'intérêt si elles n'avaient permis de déboucher sur des résultats concrets.

b) Le début d'un vrai contrôle budgétaire

L'intérêt majeur de la MEC réside, en effet, dans les investigations extrêmement approfondies, sur des thèmes prêtant pourtant à polémiques, auxquels elle s'est livrée. Ces travaux, loin de déboucher sur des controverses politiciennes, ont, au contraire, permis de dégager les prémisses d'un véritable contrôle budgétaire à la française.

Ce contrôle budgétaire à la française se caractérise par trois éléments : une tonalité nouvelle, une volonté de dépasser les clivages politiques et une approche aussi objective que possible de la dépense publique.

-  Une tonalité nouvelle

_·  La première MEC n'aura pas fait l'impasse sur des sujets « tabous ». Abordant chacun des thèmes avec un soin approfondi, les membres de la MEC n'ont, à aucun moment, cherché à édulcorer leur propos, évoquant sans relâche des questions à l'origine de polémiques.

Votre Rapporteur général ne reprendra pas, dans leur intégralité, les propos tenus au cours de ces cinq mois d'auditions, mais citera, à titre d'illustration, les quelques exemples suivants. Ont été ainsi évoqués :

-  S'agissant de la politique autoroutière :

- la faible rentabilité des tronçons autoroutiers les plus récents ;

- l'endettement explosif des sociétés concessionnaires ;

- les risques d'insolvabilité du secteur, en cas de remise en cause de l'adossement.

-  S'agissant de la gestion des effectifs de la Police nationale

- la présence policière sur la voie publique ;

- le temps de travail réel des policiers ;

- le coût de fonctionnement des unités de CRS ;

- les difficultés observées dans la mise en place de l'îlotage ;

- la sous-administration de la police.

-  S'agissant de la formation professionnelle

- l'utilisation non optimale des fonds de la formation professionnelle ;

- les carences des systèmes de contrôle ;

- l'absence de suivi qualitatif des formations délivrées ;

- le niveau des excédents de trésorerie des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) ;

- le financement indirect, par les crédits de la formation professionnelle, de ce qu'il est convenu d'appeler la « démocratie sociale ».

-  S'agissant des aides à l'emploi

- l'insuffisante évaluation des dispositifs d'aide à l'emploi ;

- la question de l'efficacité d'une réduction généralisée du coût du travail ;

- la pertinence des aides à l'emploi sectorielles ;

- l'existence d'effets d'aubaine.

·  Les débats relatifs à ces quatre thèmes, organisés autour de séances de questions-réponses, ont été singulièrement vivants.

Les membres de la MEC ont, en effet, tenu à « bousculer » les méthodes traditionnelles de travail des commissions permanentes, en « soumettant à la question », sans exposé préalable de leur part, les personnalités entendues. Prises sous le feu de questions précises et incisives, celles-ci ont ainsi parfois pu avoir le sentiment d'être malmenées, les membres de la MEC n'hésitant pas à contester les propos tenus et à rebondir sur les réponses apportées, ainsi :

- « Etes-vous sûr que la Commission [européenne] acceptera d'allonger la durée [des concessions des sociétés autoroutières] jusqu'en 2040 ? » (16)

« A-t-on sciemment privilégié l'autoroute pour des raisons budgétaires ? » (17)

- « Quelle est l'amélioration de la sécurité que permet une autoroute par rapport à une route normale ? » (18)

- « Quelles sont les sections _d'autoroutes_ qui sont, à votre avis, les plus contestables ? » (19)

- « Pour être concret, quels sont, en moyenne, les effectifs que l'on trouve dans le commissariat [de Vaulx-en-Velin], mais qui n'ont pas vocation à aller sur la voie publique un jour ordinaire comme aujourd'hui ? 20 ? 25 ? » (20)

- « Expliquez-nous plutôt comment tous ces policiers se sont perdus dans la nature ? » (21)

- « Où sont les policiers ? » (22)

- « A-t-on un jour fait une simulation des effets qu'aurait une suppression totale des aides à l'emploi ? » (23)

On observera que les parlementaires de la MEC ont notamment prêté une attention particulière à obtenir des réponses à leurs interrogations, relançant leurs interlocuteurs lorsque tel n'était pas le cas. Cette confrontation a d'ailleurs été à l'origine de quelques tensions, lorsque les personnalités auditionnées furent sommées de fournir les informations nécessaires.

Des extraits de l'audition de M. Nicolas Jachiet, chef du service des participations à la Direction du Trésor du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, sont, à cet égard, révélateurs :

M. Pierre Méhaignerie : « Justement, quelles sont les sections qui sont, à votre avis, les plus contestables ? »

M. Nicolas Jachiet : « Cela dépend à quel niveau l'on fixe la subvention et le taux de subvention acceptable ! »

_..._

M. Marc Laffineur : « Je me permets de revenir sur la question de Pierre Méhaignerie, parce que le rôle de notre Mission est de déterminer les tronçons d'autoroutes qui ne sont pas rentables ! Je vous pose donc la question clairement : quels sont, à votre avis, les tronçons d'autoroutes qui vont être lancés et qui n'auraient pas lieu d'être réalisés ? »

_..._

M. Nicolas Jachiet : [...] « En ce qui concerne les nouvelles sections qui n'auraient pas lieu d'être réalisées, je ne peux que confesser mon embarras. Tous les projets à l'étude, dans le cadre des normes techniques autoroutières actuelles, supposent, pour s'équilibrer, des subventions, soit directes, soit indirectes, par adossement à des concessions existantes rentables. Puisque aucun projet n'est rentable, il faut ensuite décider où l'on place le curseur en termes de concours publics.

M. Jean-Jacques Jégou : « En fonction des réponses qui ont été données tout au long de cette audition, on peut en déduire qu'il n'y a pas de contrôle ! »

M. Nicolas Jachiet : « Je puis demander au ministre de vous fournir, tronçon par tronçon, les calculs de rentabilité. »

M. Pierre Méhaignerie : « Ce n'est pas un jugement de valeur [...]. Simplement, votre rôle, ici, est de nous révéler quelles sections sont le plus éloignées de l'équilibre que l'on souhaite. »

M. Nicolas Jachiet : « Je n'ai pas sous les yeux la hiérarchisation des différents projets envisagés et de leur taux de déficit, et donc de la subvention nécessaire, mais elle existe. Et l'on peut vous la fournir. Ensuite, il s'agit d'une décision qui relève de l'autorité politique, en fonction d'autres considérations que des considérations financières. »

[...]

M. Philippe Auberger, co-président : « M. Jachiet, représentant de la direction du trésor, n'est pas en mesure de nous donner, tronçon par tronçon, les chiffres exacts. Je lui demande donc de bien vouloir transmettre tous ces éléments à MM. les rapporteurs, afin qu'ils puissent les étudier ; ils jugeront ensuite de l'opportunité d'une confrontation avec le directeur des routes ».

Sont également instructifs des extraits de l'audition de M. Philippe Massoni, préfet de police de Paris et de M. Gilbert Hyvernat, directeur général de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) et de M. Jean-François Danon, directeur financier.

Mme Nicole Bricq : Je souhaiterais faire un petit constat : il y a plusieurs méthodes pour ne pas répondre aux questions posées. Ce n'est pas forcément parce que l'on ne veut pas répondre à la question, mais parce qu'on n'a pas la réponse. Il me semble plus honnête de dire que l'on ne sait pas plutôt que d'essayer soit de se réfugier dans un discours général, soit dans un discours statistique, car on sait que les statistiques ne sont comprises, et encore, que par ceux qui les font !

Je voudrais revenir sur deux choses importantes que vous avez dites. Tout d'abord, vous avez indiqué que 60 % des effectifs étaient « dans la rue ». Je voudrais que vous précisiez cette notion. Par ailleurs, êtes-vous en mesure à ce jour, avant la réforme dont vous nous avez parlé et dont je ne doute pas qu'elle produise des effets positifs, de croiser ces chiffres avec le concept de police de proximité ? Je voudrais savoir ce que vous mettez « dans la rue » : y comptez-vous les effectifs en planque dans les voitures, ceux qui font de la garde statique devant les immeubles... ? Car c'est ce concept de police de proximité que nous attendons tous de voir traduit sur le terrain. Ma question est d'ailleurs valable non seulement pour Paris, mais également pour tout autre département de France. Etes-vous en mesure, statistiquement et, pour le coût, quantitativement, de nous dire comment ce concept se décline en véritables effectifs de proximité ?

M. Philippe Massoni : L'ensemble des effectifs présents dans la rue à une heure donnée comprennent les compagnies d'arrondissement, les îlotiers, les policiers auxiliaires, les compagnies d'intervention, les brigades d'intervention de voie publique (c'est-à-dire la police en civil dépendant d'une direction en uniforme mais exerçant, dans la majeure partie des cas, sa mission en civil de manière à faire un petit renseignement de voie publique), les brigades anti-criminalité d'arrondissement, les brigades anti-criminalité de district, la brigade anti-criminalité de nuit, le service de protection et de sécurité du métro, les compagnies de circulation, les compagnies de motocyclistes, la compagnie de garde et des services, la compagnie de l'hôtel préfectoral et la compagnie du dépôt. Selon les prescriptions de la direction de la sécurité publique, le taux de présence obligatoire, pour l'ensemble de ces formations, est de 70 % des effectifs réels.

Par exemple, sur les 1.500 fonctionnaires de la police en uniforme qui prennent leurs fonctions à 6 h 30, 60 % d'entre eux sont dans la rue à un moment donné. Je précise immédiatement qu'ils ne sont pas dans la rue tous en même temps. Tout d'abord, ils ont des missions diverses qui font que, parfois, on ne les voit pas. Si on les voit aux côtés des élèves quand ils assurent un point d'école, au contraire, on ne les observe peut-être pas précisément quand ils assurent une garde statique. D'autre part, dans le cadre normal de leurs missions, ils ont parfois à retourner au poste de police, puisque les règles de la procédure écrite française les conduisent à établir des documents administratifs ou judiciaires, rapports ou procédures.

J'espère que ma réponse est suffisamment précise. J'examinerai de façon plus attentive votre question et j'apporterai une réponse par écrit au président de votre commission, afin que celle-ci vous soit communiquée.

Mme Nicole Bricq : Il faut d'abord se mettre d'accord sur ce que l'on appelle police de proximité. Vous me faites une description de tous les effectifs qui ne sont pas au commissariat. Par déduction, 60 % des effectifs sont dans la rue parce qu'ils ne sont pas dans les commissariats... Ils sont ailleurs.

M. Philippe Massoni : Il faut aussi prendre en compte l'idée que les forces de police, à Paris et en province, travaillent 365 jours par an, le samedi, le dimanche, les jours fériés, dans la journée et dans la nuit. Elles ne peuvent donc pas être présentes toutes au même moment, quand on souhaiterait les voir sur le terrain. Elles sont réparties en fonction des jours de la semaine et des horaires. On dit effectivement qu'il y a beaucoup d'effectifs, mais qu'on ne les voit pas beaucoup. C'est tout simplement parce qu'il faut étaler cette présence sur 365 jours par an et, contrairement à ce qui se passe dans les activités administratives et commerciales, tenir compte du travail le samedi, le dimanche et la nuit.

M. Jérôme Cahuzac : En 1997, sur cent stagiaires inscrits à l'AFPA, quinze se sont évaporés en cours de formation et vous ne savez pas où se trouve un tiers d'entre eux, deux ans plus tard. Reste donc entre 55 et 60 % deux ans plus tard, dont une quarantaine exerce une activité correspondant à la formation reçue à l'AFPA. Pour avoir une idée plus précise, combien de stagiaires ont-ils été inscrits en 1997, de façon à mettre un chiffre précis sur ce 40 % ?

Concernant votre patrimoine immobilier et votre parc automobile, quelle politique envisagez-vous en matière de réduction des coûts ? Comptez-vous externaliser ou non un certain nombre de services ?

M. Gilbert Hyvernat : Nous avons vu passer environ 104.000 personnes en 1998. Le taux de chute, deux ans après, est une question fondamentale. En effet, nous pensons que beaucoup plus de ces personnes devraient rester dans l'emploi pour lequel elles ont été formées à grands frais. Mais le comportement de l'individu dans sa vie personnelle et professionnelle est une chose sur laquelle nous avons peu de maîtrise.

Par contre, la question peut se poser de savoir si l'AFPA forme bien dans les bonnes spécialités. On peut former en tout, mais n'avons-nous pas mission de former dans des spécialités suffisamment durables, solides pour que la personne, changeant d'endroit, garde son métier ? Au fond, des gens peuvent quitter leur métier parce qu'il n'est pas très porteur ou ne présente que peu d'intérêt.

Sur les 100.000 personnes, environ la moitié disparaît au bout de deux ou trois ans, à l'intérieur de leur métier ou parce qu'ils exercent d'autres activités. Ne devrions-nous pas rechercher des formations qui assureraient une plus grande pérennité dans l'emploi par rapport une vision trop courte ?

Sur les coûts, nous n'avons pas la capacité d'externaliser un certain nombre de nos coûts. La question qui se pose à toutes les entreprises est celle de ses services informatiques. Notre service informatique en réseau est d'une grande lourdeur. Nous gérons de grands flux. Nous devons nous raccorder à l'ANPE. La question se pose de savoir jusqu'où nous pouvons externaliser, mais nous avons déjà commencé à le faire.

Nous pourrions également mener en partenariat un certain nombre de tâches que nous effectuons nous-mêmes aujourd'hui. Il s'agirait de traiter en sous-traitance des actions d'orientation ou d'évaluation. Ceci pourrait répondre à la question de l'augmentation des effectifs. Cependant, l'évolution de l'entreprise, ne révélera pas une grande facilité à externaliser comme cela peut être fait dans des mondes plus industriels.

M. Jérôme Cahuzac : Qu'en est-il de l'état du parc immobilier et automobile ?

M. Gilbert Hyvernat : Nous avons 727 véhicules. Nous avons omis de mentionner tout à l'heure qu'à la demande insistante de la Cour des comptes, nous bouclons l'évaluation de notre patrimoine, ce qui n'avait jamais été fait. Nous connaissons maintenant l'ensemble de notre patrimoine mobilier et immobilier, et nous pourrons donc discuter d'amortissements, voire d'investissements, avec notre tutelle, sur la base de chiffres plus certains.

M. Jérôme Cahuzac : Avez-vous un ordre de grandeur ?

M. Jean-François Danon : L'opération d'inventaire du patrimoine immobilier sera terminée en juin 1999. Le patrimoine immobilier, de 2 millions de mètres carrés, a une valeur estimée de 12 milliards de francs et une valeur nette comptable de 3,5 milliards. Le patrimoine mobilier est d'environ 2,6 milliards.

Cette pugnacité dans les propos tenus est révélatrice de la volonté des membres de la MEC de remplir pleinement leur fonction de contrôle.

-  Une volonté de dépasser les clivages politiques

Il est, en effet, frappant de constater que les travaux de la MEC ont largement reposé sur une approche non partisane de la dépense publique, dès lors qu'elle a été votée, ses membres étant unis dans une même volonté de revaloriser l'institution parlementaire en exerçant pleinement leur fonction de contrôle de l'usage des deniers publics.

Les rapporteurs spéciaux et les rapporteurs pour avis ont travaillé de concert, s'attachant exclusivement à mettre en évidence les défauts de gestion des décideurs publics.

Les auditions publiques menées n'ont, par ailleurs, pas débouché sur des polémiques politiciennes, les membres de la MEC s'attachant à privilégier l'émergence d'une volonté commune. Celle-ci fut particulièrement sensible lors de l'audition des ministres impliqués dans les travaux de la MEC. Le ministre de l'intérieur, M. Jean-Pierre Chevènement a, ainsi, été pris sous le feu de questions particulièrement vives, qui transcendaient les clivages politiques.

On observera, enfin, que le système de présidence alternative retenu a largement contribué à conforter cette approche.

-  Une démarche objective

Les travaux de contrôle de la MEC ont été menés à la lumière d'une expertise objective et pluraliste.

·  La MEC a, en effet, non seulement, fait appel au concours de la Cour des comptes, mais a également utilisé des études élaborées par des évaluateurs professionnels ou des cabinets d'audit.

Les travaux relatifs à la gestion des effectifs de police ont, ainsi, largement reposé, outre le rapport Carraz-Hyest d'avril 1998, sur le rapport Roché relatif au temps de travail dans les trois fonctions publiques de janvier 1999 et l'étude du consultant privé Alain Bauer publiée en février 1999. Les investigations menées dans le domaine des aides à l'emploi ont, quant à elle, exploité les travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, lequel avait commandé, en avril 1998, une étude sur le rôle des flux financiers entre les collectivités publiques et les entreprises en matière d'emploi, étude dont la réalisation fut confiée à des membres du METIS (Mutation espace travail industrie et services stratégies), unité de recherche associée au CNRS, en collaboration avec le LEST (Laboratoire d'économie et de sociologie du travail d'Aix-en-Provence), unité propre au CNRS, et remise à l'Office le 31 mars dernier.

Ces travaux ont contribué à nourrir la réflexion de la MEC, lorsqu'ils répondaient aux centres d'intérêts évoqués lors de la préparation des débats. C'est d'ailleurs les raisons pour lesquelles les auditions de la MEC ont été coordonnées avec les travaux de l'Office, afin de tenir compte du calendrier des travaux de ce dernier.

·  Les investigations de la MEC ont, par ailleurs, exploité les enquêtes menées par la Cour des comptes, et notamment :

- les observations sur la politique autoroutière insérées dans le rapport public de 1990, ainsi que le rapport de juin 1999 sur la politique autoroutière française ;

- la note relative à la gestion de la Préfecture de police de Paris, insérée dans le rapport public de 1998 ;

- les observations portant sur l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), insérées dans le rapport public de 1997 ;

- et les multiples études de la Cour, publiées dans le cadre du rapport public, relatives aux différents dispositifs d'aides publiques à l'emploi : indemnisation des travailleurs sans emploi (1983, 1987 et 1993), emplois d'initiative locale (1985), aides à la localisation d'activités créatrices d'emploi (1987), Fonds national de l'emploi (1989), aides de l'Etat au maintien et à la création d'emplois (1995), contrats emploi-solidarité (1996).

Appelée à contribuer aux travaux de la MEC, la Cour des comptes a apporté au déroulement des débats une contribution précieuse, en termes d'objectivité et de crédibilité, que votre Rapporteur général tient à saluer. Il convient, à cet égard, de rendre hommage à l'implication personnelle de son Premier président, lequel a participé, en personne, à de nombreuses réunions de la MEC.

Systématiquement représentée, à chaque séance, par le Président de la chambre compétente, la Cour a participé activement aux réunions préparatoires des débats, tenues à huis-clos, suggérant des thèmes de réflexion aux membres de la MEC, donnant un aperçu de ses travaux, évoquant les enquêtes en cours, réservant la primeur de ses rapports à la MEC, comme ce fut le cas pour le rapport de juin 1999 sur la politique autoroutière, aiguillant les membres de la MEC pour les questions posées au cours des auditions, suggérant des pistes de réforme...

Votre Rapporteur général tient, à cet égard, à souligner l'intérêt que représente la tenue à huis-clos, par exception au principe de publicité retenu en matière d'audition, de ces séances préparatoires. Les magistrats de la Cour, tout comme les membres de la MEC, ont ainsi pu s'exprimer en toute spontanéité, la confidentialité de ces travaux permettant d'éviter les phénomènes de « langue de bois ».

Les informations fournies par les membres de la Cour durant la phase préparatoire ont permis aux députés de contester, avec pertinence, les affirmations de l'administration. Ce fut notamment le cas lors des auditions consacrées à la gestion des effectifs de la police, la Cour contestant la réalité des horaires de travail présentés par M. Didier Cultiaux, directeur général de la Police nationale.

Le caractère incisif des propos échangés au cours des auditions, la volonté, clairement affirmée, des membres de la MEC de défendre leurs prérogatives au-delà des clivages politiques et, enfin, les concours précieux de la Cour des comptes devraient permettre d'enclencher, en France, une véritable dynamique du contrôle.

A cet égard, les résultats de la MEC 1999, même s'ils n'obéissent pas à une logique de la table-rase, semblent satisfaisants : les travaux de la MEC ont, en effet, ouvert la voie à une dynamique du contrôle qui, votre Rapporteur général en fait le pari, ne s'arrêtera pas avec cette première MEC.

c) Une portée significative

D'aucuns ne manqueront pas de critiquer les résultats des travaux de la MEC, arguant de leur faible impact en termes budgétaires.

A ceux-ci, votre Rapporteur général fera observer que la MEC n'a pas vocation à déboucher sur « le grand soir » de la révolution budgétaire. La MEC n'est, en aucune mesure, un « comité de la hache », destiné, selon une logique robespierriste, à « couper » systématiquement les crédits de l'administration.

On observera d'ailleurs, à cet égard, que les conclusions auxquelles est parvenue la MEC 1999, en raison de leur caractère tempéré, constituent le gage du sérieux de ses travaux et renforcent la crédibilité de la démarche poursuivie.

En réalité, la MEC a pour finalité de lancer une dynamique de long terme, destinée à combler le retard français en matière de contrôle. La route sera donc longue et le chemin escarpé. Ce n'est que progressivement que les travaux de la MEC porteront leurs fruits. Aussi, les premiers résultats de la MEC doivent-ils être appréciés à l'aune de la stratégie poursuivie.

Pour autant, les résultats de la MEC 1999 sont loin d'apparaître négligeables : la MEC a, en effet, permis, d'une part, d'améliorer, de par sa seule existence, la transparence de l'action publique et donné, d'autre part, l'impulsion à une dynamique de réforme et de contrôle.

-  Une transparence accrue de l'action publique

Du seul fait de son existence, la MEC représente une avancée spectaculaire : elle place, en effet, l'administration dans l'obligation de rendre compte de son action et contribue à ouvrir un débat public sur des sujets sensibles.

·  L'administration va désormais devoir rendre compte de son action.

La MEC a, en effet, permis de « personnifier » l'administration, qui cesse ainsi d'être une simple abstraction. Ce phénomène fut particulièrement évident lors de l'audition de M. Nicolas Jachiet, chef du service des participations à la direction du Trésor du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Comme le soulignait notre collègue M. Jean-Louis Idiart, lors de l'audition de ce haut fonctionnaire, « nous sommes heureux d'accueillir « physiquement » le Trésor, car son accès n'est pas toujours facile ! ».

Par ailleurs, l'administration a dû justifier du bien fondé de son action. Or, à cet égard, le simple fait que tout fonctionnaire soit, un jour ou l'autre, susceptible de devoir rendre compte de ses initiatives devant la MEC, constitue en soi un progrès notable.

Certes, le changement de mentalité qu'implique cette évolution de l'administration ne sera pas immédiat. En témoigne la réaction spontanée d'un des membres de la mission « Analyse économique » (DARES) du ministère de l'emploi et de la solidarité : celui-ci s'étonnait que la MEC l'interrogeât sur des questions non préparées à l'avance et exprimait le souhait de voir la MEC signaler, à l'avenir, à ses interlocuteurs les thèmes qu'elle souhaite aborder !

Enfin, on observera que le seul fait de se poser la question de l'utilité d'un dispositif public, voire d'évoquer sa suppression, constitue également une innovation dans un pays où la dépense publique fait encore l'objet d'une acceptation trop passive.

Au regard des bouleversements de la vie administrative qu'elle préfigure, la MEC constitue donc un réel progrès.

·  Par ailleurs, la MEC a permis de lancer un débat public sur des sujets controversés, qui seraient restés, en son absence, circonscrits à des échanges entre spécialistes.

Les exemples de la durée effective de travail au sein de la Police nationale ou de l'endettement des sociétés autoroutières sont, à cet égard, révélateurs. Le rapport Roché ou les multiples enquêtes de la Cour des comptes avaient révélé les tenants et les aboutissants de ces questions, mais n'ont pas permis de sensibiliser l'opinion publique.

La MEC offre donc, pour la première fois, la possibilité de porter sur la place publique des sujets considérés comme « tabous », parce que trop sensibles. Sur cet aspect, en raison du caractère controversé des thèmes abordés, la MEC 1999 constitue un réel succès, les parlementaires affichant leur détermination à lever certains « voiles d'ombre ». Il y a fort à parier que la MEC devrait rapidement se révéler indispensable au bon fonctionnement de notre démocratie.

A cet égard, votre Rapporteur général rappellera que l'ensemble des auditions, hors leur phase préparatoire, ont été publiques, conformément aux v_ux exprimés par les membres du groupe de travail sur « l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire ».

Ces auditions ont, en effet, été ouvertes à la presse et au public (24) et ont fait l'objet d'une retransmission télévisée sur le réseau câblé de l'Assemblée nationale. La publicité des travaux de la MEC a ainsi permis d'associer l'opinion publique à ses réflexions et témoigne, là encore, de la volonté de transparence des parlementaires appartenant à la MEC.

On observera, toutefois, que la publicité systématique des auditions, aussi utile soit-elle à la lisibilité des travaux de la MEC, ne doit pas s'entendre comme une règle systématique. Aussi, à l'avenir, ne serait-ce que pour des raisons d'efficacité, la MEC pourrait-elle se réserver la faculté de procéder à certaines auditions à huis-clos.

Indiquons, également, que les travaux de la MEC sont intégralement publiés, chaque rapporteur spécial étant chargé d'élaborer, au nom de la Mission, un document de synthèse présentant un état des lieux, assorti des principaux points sujets à controverse, les conclusions de la MEC, ainsi que le compte rendu de l'ensemble des auditions auxquelles la Mission a procédé.

-  Une dynamique de réforme et de contrôle

La MEC doit faire en sorte que ses travaux ne restent pas lettre morte, mais débouchent, au contraire, sur des résultats concrets.

·  La MEC 1999 a ainsi permis, sur chacun des thèmes étudiés, de présenter des propositions de réformes.

Elaborées par le rapporteur spécial en charge du dossier, ces propositions ont ensuite fait l'objet d'un examen à huis-clos par l'ensemble des membres de la MEC, ces modalités d'examen ayant pour finalité de parvenir à des pistes de réforme aussi consensuelles que possible. Tel a effectivement été le cas, ce qui laisse espérer que le Gouvernement aura à c_ur de tirer parti de réformes défendues par delà les clivages politiques.

Il convient, à cet égard, de souligner que la MEC a cherché, au travers de ses propositions, à promouvoir une approche gestionnaire de la dépense publique, par opposition à une approche trop politique.

Par ailleurs, la MEC s'est attachée à dégager des pistes générales de réformes, laissant, par là même, à l'administration des marges de man_uvre dans leur mise en _uvre. A ceux qui feraient valoir l'insuffisante précision des réformes proposées par la MEC, votre Rapporteur général précisera qu'il était impossible, compte tenu du nombre limité d'auditions, de procéder à une étude exhaustive des thèmes évoqués. Il convient, par ailleurs, de rappeler que la MEC se réserve un droit de suite, lui permettant de se pencher de nouveau, si cela lui semble nécessaire, sur un sujet précis. Votre Rapporteur général observera, enfin, que les investigations de la MEC ne sont pas exclusives des travaux des rapporteurs spéciaux, qui sont habilités à les approfondir dès lors qu'ils relèvent de leur attribution.

Votre Rapporteur général soulignera, enfin, que les propositions de la MEC se sont écartées, volontairement, de tout « radicalisme » inutile. Ses travaux visent à introduire des infléchissements, et non à remettre en cause les politiques étudiées.

Sans revenir, de manière précise, sur l'ensemble des propositions présentées par les rapporteurs spéciaux, lesquelles sont détaillées dans les quatre rapports publiés dans le cadre des travaux de la MEC 1999, votre Rapporteur général évoquera les mesures suivantes :

- dans le domaine de la politique autoroutière : la MEC appelle notamment l'Etat à mieux coordonner le choix des infrastructures, à réformer les modes de décision administratifs, à modifier l'affectation du produit de la fiscalité pesant sur les sociétés d'autoroute et à placer les ressources dégagées par les péages au service d'une politique intermodale des transports en milieu urbain ;

- s'agissant de la gestion des effectifs de la Police nationale, la MEC juge opportun un renforcement de l'appareil administratif de la police, une externalisation de certaines tâches de gestion, un contrôle accru des horaires de travail des policiers, la substitution du paiement des heures supplémentaires aux mécanismes de récupération, un meilleur ciblage du régime indemnitaire, un redéploiement des services de police et de gendarmerie et, enfin, une maîtrise du recours aux adjoints de sécurité ;

- en matière de formation professionnelle, la MEC demande, notamment, une restructuration de l'AFPA, un contrôle accru de l'Etat sur cet organisme de formation, un meilleur encadrement des dépenses et de la gestion de la trésorerie des organismes paritaires collecteurs agréés, un contrôle, par les chambres régionales des comptes, sous la coordination de la Cour des comptes, des actions de formation des régions, une modernisation de la gestion du système de collecte par les partenaires sociaux et un meilleur suivi qualitatif des formations délivrées, par le biais de démarches de labellisation et de normalisation ;

- dans le domaine des aides à l'emploi, la MEC appelle de ses v_ux leur évaluation systématique, notamment au niveau des collectivités locales, une suppression des mesures d'âge n'ayant pas de contrepartie en termes d'embauche, la réduction, voire la suppression, de dispositifs d'aide réputés pour les effets d'aubaine qu'ils génèrent et, enfin, une réorientation de la réglementation communautaire relative aux aides d'Etat dans un sens moins défavorable aux aides sectorielles.

·  Au-delà de ces propositions, il convient de souligner que la MEC semble avoir enclenché une véritable dynamique de contrôle. C'est, sans doute, la raison pour laquelle la Cour des comptes a ressenti, de manière extrêmement positive, la création et les travaux de la MEC.

Jusqu'à présent, en effet, les observations de la Cour avaient pu sembler peu suivies d'effets. Il suffit, pour s'en convaincre, de relever les retards observés dans la remise en ordre de l'AFPA ou les multiples mises en garde successives à l'encontre des dérives du système autoroutier.

La MEC devrait mettre un terme à une certaine inertie administrative, en servant de relais politique aux investigations de la Cour des comptes, qui cesseront ainsi de rester lettre morte. Certes, le rôle de la MEC ne peut, en aucune manière, en raison de ses prérogatives, être réduit à celui d'une simple « caisse de résonance » de la Cour. Mais, de puissantes synergies sont à espérer de la coopération entre ces deux institutions, gage qu'une véritable dynamique du contrôle s'est enfin enclenchée dans notre pays.

L'exemple de la formation professionnelle est, à cet égard, instructif. La MEC a, d'une part, donné un retentissement certain aux déficiences relevées par la Cour. Les travaux de la MEC ont, d'autre part, mis en exergue le caractère limité du contrôle opéré par la Cour : limitée, juridiquement, dans ses prérogatives, celle-ci n'exerce pas encore de véritable contrôle sur la gestion des organismes paritaires collecteur agréés (OPCA) ; il n'existe également aucun contrôle sur les actions de formation des régions. Les conclusions de la MEC 1999 dans le domaine de la formation professionnelle devraient donc donner une impulsion décisive à une extension des compétences de la Cour, laquelle, à son tour, se traduira, au niveau de la MEC, par une information et un contrôle d'autant plus pertinents.

Une culture du contrôle et de l'évaluation semble ainsi se dessiner pour la première fois dans notre pays. A ce titre, la MEC 1999 constitue un temps fort.

2.- Une procédure perfectible

Comme votre Rapporteur général l'a déjà fait observer, les travaux de la MEC s'inscrivent dans une perspective de long terme : seule la continuité de son action permettra à la MEC de crédibiliser sa démarche et d'infléchir le comportement de l'administration.

Pour autant, et même si les travaux de la Mission ne peuvent être jugés sur le court terme, la première MEC a révélé quelques difficultés auxquelles il paraît souhaitable de remédier.

A cette fin, votre Rapporteur général propose huit pistes de suggestions, qui s'articulent autour de trois thèmes :

-  Renforcer le rôle évaluatif des travaux de la MEC ;

-  Repenser les domaines d'investigation de la MEC ;

-  Améliorer l'impact budgétaire des propositions de la MEC.

a) Renforcer le rôle évaluatif des travaux de la MEC

Les travaux de la MEC 1999 ont été, presque exclusivement, centrés sur un contrôle de la dépense publique, au détriment de son évaluation, cette approche s'expliquant, sans doute, par les délais, extrêmement brefs, de la mise en place de la MEC. Or, si le contrôle de l'usage des deniers publics présente un intérêt certain, comme l'ont révélé les premiers travaux de la MEC, notamment aux fins de remédier aux dysfonctionnements observés, il importe d'aller au-delà de cette démarche. Toutefois, comme le soulignent les travaux réalisés par le Comittee of public accounts britannique, l'évaluation proprement dite de la dépense publique ne peut relever de la seule MEC et exige le recours à de véritables professionnels.

Dans cette perspective, votre Rapporteur général suggérera trois pistes d'inflexions :

Première suggestion : La MEC doit devenir un commanditaire d'évaluation.

Cette démarche est, d'ores et déjà, possible, des crédits étant inscrits, à cette fin, au bénéfice des commissions, dans le budget de fonctionnement de notre Assemblée.

A cet égard, votre Rapporteur général rappellera que le Bureau de la Commission des finances vient de commander une étude préalable visant à doter la commission d'outils de simulation en matière de prélèvements sociaux et fiscaux. Si ce projet devait se concrétiser, la Commission des finances serait, notamment, en mesure de procéder à des évaluations relatives à l'impact redistributif des prélèvements sociaux et fiscaux ou portant sur les conséquences de modifications de la législation fiscale.

Votre Rapporteur général soulignera, par ailleurs, que la MEC pourrait, notamment, faire appel au Commissariat général du Plan, lequel dispose d'un service de l'évaluation en son sein. Le Commissariat pourrait, entre autres, apporter un concours précieux pour éclairer le choix des opérateurs chargés de procéder, pour le compte de la MEC, à des travaux d'évaluation.

Deuxième suggestion : La mission de la Cour des comptes doit évoluer davantage vers un contrôle de la performance de la dépense publique, la Cour élaborant, en association avec la MEC, son programme de travail.

Comme votre Rapporteur général l'a déjà relevé, la Cour des comptes a apporté une contribution extrêmement précieuse aux travaux de la MEC. Les phases de préparation des auditions se sont révélées particulièrement fructueuses, même s'il est apparu nécessaire, au travers des échanges entre la Cour et la MEC, de renforcer les synergies entre les deux institutions.

Cet objectif nécessite, de la part de la Cour, de poursuivre une évolution, d'ores et déjà en cours sous l'impulsion de son Premier président, en faveur d'un développement accru de ses activités d'évaluation.

Il passe également par un renforcement de la coordination de son programme de travail avec celui de la MEC. Soucieuse de respecter l'indépendance de la Cour, la MEC n'entend naturellement pas « passer systématiquement des commandes ». Mais, il semble néanmoins, envisageable d'introduire, de manière informelle une telle coordination.

Votre Rapporteur général rappellera, à cet égard, que la Commission des finances est en mesure, sur la base de l'article L 132-4 du code des juridictions financières, de demander des enquêtes à la Cour des comptes. Plutôt que de recourir à cette faculté, qui pourrait susciter quelques difficultés pour le bon déroulement des travaux de la Cour, il semble plus opportun et efficace d'intervenir en amont du processus de décision.

Les synergies ainsi créées devraient permettre de déboucher, pour reprendre les propos tenus par le Président Laurent Fabius à l'occasion de la clôture du IVème congrès de l'EUROSAI, sur « une alliance nouvelle [...] qui saura marier l'impartialité et l'expertise des Institutions supérieures de contrôle à la légitimité et au pouvoir réformateur des Parlements ».

Troisième suggestion : La Cour des comptes doit impulser une coordination des contrôles effectués, par les chambres régionales des comptes, sur les dépenses des collectivités locales et des services déconcentrés.

Les travaux de la MEC dans les domaines de la formation professionnelle et des aides à l'emploi ont, en effet, mis en évidence le rôle joué par les collectivités locales en matière économique et sociale, ainsi que l'imbrication de leurs responsabilités avec celles exercées par l'Etat. C'est pourquoi il est apparu indispensable, aux membres de la MEC, d'appliquer à la dépense des collectivités locales et des services déconcentrés une démarche d'évaluation similaire à celle retenue pour la dépense publique de l'Etat.

Compte tenu des compétences exercées dans ce domaine par les chambres régionales des comptes, la Cour des comptes serait fondée à lancer, selon les thèmes retenus, des démarches exploratoires susceptibles de déboucher, dans le respect de l'indépendance des chambres régionales, sur l'impulsion de travaux d'évaluation, ainsi que sur leur coordination. Le cas échéant, compte tenu de la complexité des textes applicables, des initiatives législatives devront être prises pour permettre cette nécessaire évolution.

b) Repenser les domaines d'investigation de la MEC

Votre Rapporteur général suggérera, à cet égard, deux pistes de réflexion :

Quatrième suggestion : La MEC doit concentrer ses investigations sur des thèmes bien ciblés.

· Même s'ils étaient, sans doute, nécessaires en raison de leur actualité et de leur portée politique, les travaux de la MEC dans le domaine des aides à l'emploi ne se sont pas révélés pleinement satisfaisants. Il importe désormais d'en tirer des enseignements en terme de méthodologie.

L'ampleur de ce sujet rendait, en effet, illusoire, compte tenu de la multiplicité des dispositifs actuellement appliqués, d'appréhender la question au terme de quelques auditions. Par ailleurs, le caractère éminemment politique de ce champ d'investigations et les interférences - inévitables - avec les discussions menées sur le second projet de loi relatif aux trente-cinq heures rendaient improbable une réflexion consensuelle.

A l'avenir, il conviendra donc de privilégier des sujets de réflexion mieux circonscrits, en ciblant les investigations de la MEC sur des dispositifs plus précis et ayant fait l'objet d'une expertise objective.

Cinquième suggestion : La MEC doit s'investir dans l'étude de thèmes transversaux, ce qui suppose une association plus poussée des commissions permanentes à ses travaux.

Les investigations de la MEC n'étant pas exclusives des travaux menés par les rapporteurs spéciaux, lesquels sont habilités à procéder à des missions de contrôle de l'usage des deniers publics, les premières ne doivent pas faire double emploi avec les seconds. Dès lors, la MEC doit s'efforcer de concentrer ses investigations sur des domaines transversaux, qui ne peuvent, par essence, relever d'un seul rapporteur spécial.

Par ailleurs, compte tenu de la nature même de ses sujets, il semble opportun de mieux associer les commissions permanentes aux travaux de la MEC.

A l'occasion de la première MEC, les rapporteurs pour avis compétents ont été systématiquement conviés aux réunions de la MEC. Deux d'entre eux, MM. Louis Mermaz et Jean-Jacques Filleul, ont d'ailleurs participé activement à la préparation et au déroulement des auditions. Toutefois, cette coopération pourrait sans doute être améliorée. Il serait opportun que le Président de la commission permanente concernée par les investigations de la MEC, ou un représentant qu'il désignerait, soit systématiquement convié aux travaux de la Mission.

c) Améliorer l'impact budgétaire des propositions de la MEC

La MEC 1999 ayant essentiellement exercé une activité de contrôle, et non d'évaluation, de la dépense publique, les propositions de réforme retenues n'auront sans doute que de faibles impacts budgétaires à court terme. Or, il conviendrait, au contraire, qu'à l'avenir, les travaux de la MEC aient des traductions lors de l'examen du projet de loi de finances. Cet objectif nécessite, selon votre Rapporteur général, une double évolution :

Sixième suggestion : L'administration doit mettre en place un contrôle de gestion de la dépense publique et être en mesure de tirer profit d'une efficacité accrue de celle-ci.

Les mécanismes budgétaires actuels constituent un obstacle majeur à la réussite des travaux d'évaluation de la MEC.

Le budget de l'Etat reste, en effet, un budget de moyens, hermétique à toute logique en termes de résultats. L'absence de comptabilité analytique interdit d'évaluer le coût réel des mesures mises en _uvre ; il n'existe que très peu d'indicateurs de résultats, permettant de déterminer si ceux-ci sont atteints, et encore moins d'indicateurs d'objectifs. Cette absence de connaissance des coûts et de mesure des résultats explique que l'administration française n'ait aucune culture de contrôle de gestion, lequel a pour finalité d'évaluer la dépense publique en termes de coûts et d'objectifs.

A l'inverse, le développement, au sein de l'administration, d'une comptabilité analytique et d'un véritable contrôle de gestion, assorti d'indicateurs lisibles de moyens, de résultats et d'objectifs, la placerait en situation de rendre compte, avec pertinence, de l'usage des deniers publics, facilitant ainsi grandement la tâche de la MEC. Ce développement de l'audit interne doit déboucher sur la production systématique de rapports annuels éclairant les choix budgétaires du Parlement. Idéalement, celui-ci serait alors en mesure de se prononcer sur l'efficacité des dotations de chaque ligne budgétaire, permettant ainsi, lors de l'examen du projet de loi de finances, une affectation des dotations au regard de leur efficacité.

Votre Rapporteur général soulignera, toutefois, que cet enchaînement vertueux n'est envisageable que dans la mesure où chaque administration sera en mesure de tirer profit des progrès, en termes d'efficacité, réalisés.

On observera donc avec intérêt l'expérience lancée, ces derniers mois, par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, afin d'associer, par le biais de contrats de gestion, les ministères gestionnaires de crédits à l'exécution de la loi de finances. Certes, ces contrats obéissent à une finalité quelque peu distincte des préoccupations évoquées par votre Rapporteur général, puisqu'ils visent à permettre le respect de la norme de croissance, en termes réels, de la dépense de l'Etat. Mais, ils présentent un intérêt majeur au regard de leurs modalités d'application : ces contrats de gestion se sont, en effet, traduits par la constitution de réserves de crédits, alimentées par les dotations budgétaires de l'année et les reports de l'année précédente, dont l'utilisation, en fin d'année, est conditionnée par les hypothèses d'inflation et l'évolution effective des dépenses de l'Etat. Il serait envisageable, à terme, d'introduire de tels contrats dans le cadre d'une politique d'intéressement de l'administration à ses performances.

Septième suggestion : Il conviendra d'assurer un suivi des conclusions de la Mission d'évaluation et de contrôle.

Si, chaque année, la MEC devra aborder de nouveaux thèmes, elle devra cependant consacrer quelques auditions et réflexions aux suites données à ses précédentes conclusions et ne pas hésiter, le cas échéant, à « relancer » les responsables défaillants.

Il pourrait même être envisagé que le suivi des travaux de la MEC puisse donner lieu à des débats en séance publique.

Huitième suggestion : Les parlementaires doivent être en mesure de procéder à des redéploiements budgétaires.

Une réforme de l'Etat, de grande ampleur, permettrait de dépasser la logique de dépenses dans laquelle l'administration est enfermée. Les parlementaires seraient alors en mesure d'apprécier les résultats de la dépense publique.

Mais leurs réflexions, ainsi que les travaux de la MEC, n'auront que peu d'impact budgétaire tant que les parlementaires ne seront pas habilités à « transférer » la dépense là où elle paraît la plus efficace. Or, les règles en vigueur apparaissent, à cet égard, excessivement restrictives.

Certes, l'article 40 de la Constitution ne fait pas obstacle à ce que les assemblées parlementaires adoptent des amendements de réduction de crédits, dès lors, toutefois, que cette réduction est effective, motivée, et que l'amendement en cause précise, dans son exposé des motifs, le chapitre d'imputation. Mais, en revanche, ce même article 40 prohibe la compensation entre charges, interdisant de facto aux parlementaires d'envisager des redéploiements de crédits.

Afin de permettre à notre Assemblée de tirer pleinement parti des recommandations de la MEC et, à terme, d'allouer les dotations budgétaires au regard de l'efficacité de la dépense publique en cause, il serait opportun de réviser les dispositions relatives à la recevabilité financière des initiatives parlementaires, afin d'admettre, comme c'est déjà le cas en matière de ressources, la compensation entre charges.

CONCLUSION

Au cours de ses cinq mois de fonctionnement, la Mission d'évaluation et de contrôle a affirmé son existence.

La fermeté et la liberté du ton employé, la pertinence et l'audace des questions évoquées, ainsi que les silences parfois gênés de l'administration, témoignent à eux seuls que la MEC « a fait mouche ». La presse ne s'y est d'ailleurs pas trompée, évoquant une « petite révolution ».

Certes, la première MEC ne manquera pas de susciter critiques ou impatiences. D'aucuns s'indigneront du peu d'impact budgétaire des propositions retenues ou souligneront que la route reste longue entre les perspectives de réforme évoquées et leur mise en _uvre effective.

A ceux-ci, votre Rapporteur général fera observer que la MEC, ne serait-ce qu'en raison des changements de mentalité qu'elle suppose, ne peut être jugée que sur le moyen terme : le Parlement doit apprendre à contrôler et l'administration à rendre compte. Il soulignera également que la MEC 1999, en suscitant un débat public sur des sujets « tabous », paraît avoir enclenché une dynamique irréversible de contrôle. Elle devrait vite se révéler indispensable, les parlementaires membres de la MEC y ayant, semble-t-il, pris goût.

La création de la MEC témoigne de la volonté de l'Assemblée de concrétiser les discours sur la revalorisation du rôle du Parlement, dans le cadre d'une démarche globale, destinée à ressourcer la fonction budgétaire de notre Assemblée.

Comme le soulignait le Président Laurent Fabius lors de la clôture, le 3 juin dernier, du IVème congrès de l'EUROSAI, « aujourd'hui, le vrai pouvoir des Parlements est sans doute moins dans le vote rarissime de la censure ou dans l'initiative des lois, largement transférée au pouvoir exécutif, que dans le contrôle de l'action gouvernementale et dans l'évaluation des politiques publiques, afin de réduire l'écart entre les intentions, souvent louables, et les réalisations, parfois moins glorieuses ».

Avec la création de la MEC, notre Assemblée a accompli un premier pas dans cette direction. Un essai a été marqué. Il reste maintenant à le transformer en installant la MEC dans la durée. La création d'une nouvelle MEC dès janvier 2000 permettra de consolider et de développer les acquis de la MEC 1999.

La MEC n'est cependant que l'un des éléments de l'ensemble de réformes conçu par le groupe de travail sur « l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire ». Un autre élément sera mis en _uvre dès la prochaine discussion budgétaire, puisque la Conférence des Présidents vient de se prononcer en faveur de nouvelles modalités pour l'examen de cinq fascicules budgétaires ; ceux-ci feront l'objet d'un débat plus approfondi et bénéficiant de très larges mesures de publicité au sein des commissions saisies pour avis, ce qui permettra de concentrer le débat en séance publique sur l'essentiel, d'autant qu'une nouvelle procédure de questions écrites budgétaires accroîtra sensiblement la capacité d'intervention des députés. Par ailleurs, grâce aux efforts conjugués du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et de la Cour des comptes, des progrès sont réalisés, qui rendront possible, à terme, d'examiner le projet de loi de règlement de l'année (n - 1) avant le vote du projet de loi de finances de l'année (n + 1).

Une autre tâche, de longue haleine, devra également être menée à bien. Votre Rapporteur général a en effet été chargé par la Conférence des Présidents d'une mission de réflexion en vue d'une réforme des textes régissant les finances publiques, et notamment, de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, afin d'adapter enfin des dispositions qui ne permettent plus une gestion moderne de l'Etat. Il est, en effet, nécessaire d'améliorer la transparence et la signification des comptes publics, en garantissant la sincérité des informations budgétaires et en renforçant l'information du Parlement, de rendre l'exécution budgétaire plus respectueuse de l'autorisation parlementaire, et de créer les conditions d'une gestion publique à la fois plus souple et mieux contrôlable .

Pour des raisons nationales tout autant que communautaires, de telles réformes sont inévitables. Le Parlement ne saurait être absent de ce débat, dans lequel il doit, au contraire, jouer un rôle moteur.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission des finances a examiné, au cours de sa séance du mercredi 7 juillet 1999, en application de l'article 145 du Règlement de l'Assemblée nationale, les conclusions de la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) présentées par M. Tony Dreyfus, sur la gestion des effectifs et des moyens de la Police nationale, M. Jean-Louis Idiart, sur la politique autoroutière, M. Jacques Barrot, sur l'utilisation des crédits de la formation professionnelle, M. Gérard Bapt, sur les aides à l'emploi, ainsi que le rapport de synthèse présenté par votre Rapporteur général.

M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial, a indiqué que la principale constatation faite par la Mission d'évaluation et de contrôle était la sous-administration de la police nationale, qui avait d'importantes conséquences dommageables en occupant un grand nombre de policiers à des tâches de simple gestion. Dès lors, la Mission a établi un certain nombre de propositions tendant à remédier à cette situation et dont l'objectif essentiel est de mettre sur la voie publique le maximum de policiers actifs :

- certaines tâches de gestion doivent être externalisées ;

- les horaires de travail des policiers doivent être contrôlés ;

- le paiement des heures supplémentaires doit prendre le pas sur les récupérations, celles-ci désorganisant les services de police ;

- le régime indemnitaire doit être mieux ciblé ; l'indemnité de fidélisation aux zones difficiles devrait, ainsi, être versée dès la prise de fonctions et ce dans des zones plus réduites qu'actuellement ;

- les projets de redéploiement entre la police et la gendarmerie et la restructuration des différents services de police doivent être poursuivis ;

- le recours aux adjoints de sécurité doit être maîtrisé.

Le rapporteur spécial a souligné que le renforcement de l'administration de la police supposait de faciliter la mobilité au sein des autres administrations, afin d'y puiser les agents administratifs nécessaires. Certes, les différences de statuts ou de rémunérations créent des difficultés qu'il ne faut pas sous-estimer, mais une telle évolution est indispensable pour faire réussir les objectifs du Gouvernement en faveur de la mise en place d'une politique de proximité et du renforcement des effectifs de policiers sur la voie publique.

M. Jean-Louis Idiart, rapporteur spécial, a ensuite rappelé les propositions qui avaient rencontré l'accord de la Mission sur la politique autoroutière : élaborer un schéma national des infrastructures ; présenter au Parlement, avant le projet de loi de finances pour 2001, un projet de loi de programmation des infrastructures de transport ; développer le nouvel objet autoroutier ; réaffecter la taxe d'aménagement sur le territoire assise sur les sociétés d'autoroutes à son objet initial ; réformer les procédures d'instructions et de décision de l'État et informer le Parlement de la situation financière des sociétés d'autoroutes.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial, a indiqué que ses propositions s'organisaient autour de quatre axes. Il a d'abord insisté sur la nécessité d'une restructuration de l'AFPA, sur le renforcement indispensable de sa coopération avec l'A.N.P.E et le développement d'un suivi statistique fin du devenir de ses stagiaires. Il a ensuite abordé l'état du système de collecte, en souhaitant une augmentation des effectifs du groupe national de contrôle, l'institution de bilans patrimoniaux systématiques des organismes collecteurs et un « toilettage » des règles d'imputation des dépenses de formation. Il a précisé que ces contrôles accrus exigeraient l'aide de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes. Concernant la gestion des partenaires sociaux et des régions, il a proposé une modification des règles de gestion des organismes collecteurs, la modernisation des modalités de financement du paritarisme et la création d'une instance de coordination des actions de formation réalisées à l'échelon régional. Il a conclu son intervention en souhaitant que le bilan social des entreprises permette aux comités d'entreprise d'évaluer la qualité des formations, ajoutant qu'il fallait encourager la création de référentiels de prix et de bonnes pratiques afin de subordonner la commande publique en matière de formation à la délivrance d'une accréditation.

Votre Rapporteur général, suppléant M. Gérard Bapt, rapporteur spécial, a indiqué que la Mission avait regroupé ses conclusions sur les aides à l'emploi autour de cinq thèmes d'action : mettre un terme au financement public trop systématique de préretraites sans embauche compensatrice ; restreindre les effets d'aubaine, en préconisant à la fois de réduire de moitié la durée de l'exonération de cotisations patronales de sécurité sociale pour l'embauche d'un premier salarié et de supprimer, pour l'exercice 2000, le crédit d'impôt pour création d'emplois des sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés ; systématiser et approfondir l'évaluation des dispositifs d'aides à l'emploi ; repenser la réglementation communautaire des aides d'Etat et le soutien communautaire aux activités innovantes et, en dernier lieu, recentrer la définition des aides à l'emploi, pour distinguer celles relevant de l'aide à la création d'emplois et celles répondant à un objectif d'accompagnement des restructurations ou d'aide à la réinsertion des demandeurs d'emploi en difficulté.

Présentant ensuite son rapport de synthèse, votre Rapporteur général a, tout d'abord, rappelé que le groupe de travail, présidé par le Président Laurent Fabius, sur « l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire » avait préconisé, en janvier dernier, la création d'une Mission d'évaluation et de contrôle (MEC), destinée à remédier à l'absence d'évaluation systématique et objective de la dépense publique au sein de l'Assemblée nationale.

Il a souligné que, forte de ce projet novateur, la Commission des finances avait décidé la création, dès le 3 février dernier, de la MEC, marquant ainsi sa détermination à s'engager dans la voie d'un véritable contrôle parlementaire de la dépense publique.

Il a rappelé que le programme de travail de la MEC, élaboré de manière consensuelle, prévoyait d'étudier, de manière approfondie, quatre politiques publiques : la politique autoroutière, la gestion des moyens et des effectifs de la police nationale, l'utilisation des crédits de la formation professionnelle et les aides à l'emploi.

Il a fait observer que les thèmes retenus reflétaient l'ambition de la MEC de procéder à un contrôle objectif de la dépense publique : les investigations de la Mission ont porté sur des dispositifs d'ores et déjà place, sur une durée suffisamment longue pour pouvoir faire l'objet d'une analyse, soit par la Cour des comptes, soit par d'autres évaluateurs. Il a rappelé que la MEC s'était efforcée de contrôler la bonne utilisation des crédits et d'évaluer, en termes de rapport coût-efficacité, les dispositifs visés, afin de déboucher sur d'éventuelles réorientations budgétaires.

S'agissant du bilan à tirer du fonctionnement de la MEC au cours du premier semestre de 1999, il a souligné qu'elle avait permis de dessiner les débuts d'un vrai contrôle budgétaire. Il s'est, notamment, réjoui que la MEC ait pu procéder à des investigations approfondies sur des sujets parfois considérés comme « tabous », et ce, en soumettant les personnes entendues à un feu de questions précises et incisives, bousculant ainsi les méthodes de travail traditionnelles, qu'elle ait permis de dépasser les clivages politiques, en dégageant une approche non partisane de la dépense publique, et qu'elle ait, enfin, reposé sur une démarche objective, grâce, notamment, à la précieuse contribution de la Cour des comptes.

Il a, par ailleurs, relevé, au-delà de ce premier constat, que la MEC avait enclenché une dynamique, qu'il espère irréversible, de contrôle, notamment en raison des synergies à attendre d'une coopération accrue avec la Cour des comptes.

Faisant observer que certains ne manqueraient sans doute pas de critiquer le faible impact budgétaire immédiat des propositions de la MEC, il a rappelé que la Mission n'était, en aucune manière, « un comité de la hache », destiné à couper systématiquement les crédits publics, mais se devait plutôt d'impulser de véritables changements de mentalité, afin que le Parlement apprenne ou réapprenne à contrôler et l'administration à rendre compte.

Il s'est réjoui, à cet égard, des progrès accomplis par la MEC dans cette voie, faisant observer qu'elle avait permis, notamment en raison du caractère public de ses auditions, de lancer des débats publics sur des sujets controversés, contribuant ainsi à sensibiliser l'opinion publique, qu'elle avait placé l'administration dans l'obligation de rendre compte du bien-fondé de son action, et qu'elle avait débouché sur des propositions concrètes de réformes, défendues par delà les clivages politiques.

Il a toutefois admis qu'aussi prometteuse soit-elle, la MEC avait rencontré des difficultés auxquelles il paraissait possible de remédier. Dans cette perspective, il a souhaité présenter huit pistes de réflexion :

- afin de renforcer le rôle évaluatif de ses travaux, la MEC doit devenir un commanditaire d'évaluations ;

- la mission de la Cour des comptes doit évoluer davantage vers un contrôle de la performance de la dépense publique, la Cour devant s'efforcer d'élaborer son programme de travail en association avec la MEC ;

- la Cour des comptes doit impulser une coordination des contrôles effectués par les chambres régionales des comptes sur les dépenses des collectivités locales et des services déconcentrés ;

- la MEC doit concentrer ses investigations sur des thèmes bien ciblés ;

- la MEC doit s'investir dans l'étude de thèmes transversaux, ce qui suppose une association plus poussée des autres commissions permanentes à ses travaux ;

- afin de permettre à la MEC de renforcer l'impact budgétaire de ses propositions, l'administration doit mettre en place un contrôle de gestion de la dépense publique, ainsi que des dispositifs d'audit interne ;

- la prochaine MEC devra se consacrer également aux suites données aux conclusions présentées par la MEC en 1999, des débats en séance publique sur ce thème pouvant être envisagés ;

- les parlementaires doivent être en mesure de procéder à des redéploiements budgétaires.

Votre Rapporteur général a ensuite indiqué qu'il avait pris en compte, dans la rédaction du rapport de synthèse, certaines des observations présentées par les membres de la MEC et a, enfin, souhaité que la Commission des finances se prononce sur les sujets susceptibles de faire l'objet d'investigations lors de la prochaine MEC, quitte à apporter, en septembre, des compléments à ces orientations.

Le Président Augustin Bonrepaux a précisé qu'il semblait, en effet, opportun que la Commission des finances présente des orientations à ce sujet, afin d'en informer rapidement la Cour des comptes.

A M. Jean-Jacques Jégou, qui s'interrogeait sur la participation des rapporteurs pour avis aux travaux de la MEC, le Président Augustin Bonrepaux a fait observer que deux d'entre eux, MM. Jean-Jacques Filleul et Louis Mermaz, s'étaient impliqués dans la préparation et la tenue des auditions. Il a, toutefois, admis la nécessité de réfléchir à une association accrue des autres commissions permanentes aux travaux de la MEC.

Reprenant à son compte les observations du Président Augustin Bonrepaux sur la participation active des deux rapporteurs pour avis précités, votre Rapporteur général a marqué son accord avec la dernière proposition du Président, cette inflexion lui paraissant indispensable pour que les commissions permanentes se lancent dans une démarche en faveur d'une réduction de la dépense publique, garantissant ainsi que la Mission ne mènera pas de telles réflexions de manière isolée.

S'agissant des thèmes susceptibles de faire l'objet des investigations de la prochaine MEC, votre Rapporteur général a évoqué les suggestions suivantes :

- un sujet touchant au fonctionnement du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, comme celui du coût de recouvrement de l'impôt ;

- un sujet relatif au système de sécurité sociale, et notamment au régime d'assurance maladie, tel que le thème du secteur hospitalier ;

- un sujet relatif au système universitaire ;

- un sujet lié à des préoccupations environnementales, et notamment à la question de la gestion de l'eau.

Il a toutefois précisé que cette liste était loin d'être exhaustive et qu'il était donc envisageable d'ajouter d'autres sujets, tel que celui de la fonction publique en Nouvelle-Calédonie, évoqué par M. Philippe Auberger, même si ce sujet était susceptible de relever, soit de la MEC, soit du rapporteur spécial en charge des territoires d'outre-mer.

Il a fait remarquer que les sujets choisis devaient, d'une part, être ciblés, afin de permettre à la Mission de mener à bien des investigations approfondies et, d'autre part, déboucher sur des synergies avec les enquêtes effectuées par la Cour des comptes.

M. Pierre Méhaignerie a exprimé le souhait que la prochaine MEC étudie le coût comparé des grandes institutions culturelles en France et dans les pays voisins. Il a cité les exemples du coût de fonctionnement de la Grande Bibliothèque de France, de la Comédie française, des théâtres nationaux ou de l'Opéra de la Bastille.

M. Raymond Douyère a précisé, à ce sujet, qu'il avait d'ores et déjà procédé, en tant que rapporteur spécial en charge des crédits de la culture, à une réflexion approfondie sur le coût de fonctionnement de la Grande Bibliothèque de France et estimé que ce coût n'était pas supérieur à ce que l'on pouvait constater à l'étranger.

Le Président Augustin Bonrepaux a fait observer, à cet égard, que les travaux précédemment évoqués ne devaient pas faire obstacle à ce que la MEC procède à des investigations dans le domaine des grandes institutions culturelles, dès lors que ce sujet ferait l'objet d'un consensus au sein de la Mission.

Présentant des observations sur les sujets susceptibles de retenir l'attention de la prochaine MEC, M. Philippe Auberger, co-Président de la MEC, a, en premier lieu, indiqué qu'il ne lui semblait plus pertinent que la Mission se penche sur la rémunération des fonctionnaires en Nouvelle-Calédonie, compte tenu des travaux menés sur la fonction publique outre-mer par Mme Eliane Mossé. Il a, en second lieu, rappelé que les travaux de la MEC n'étaient pas exclusifs, et ne devaient pas faire obstacle, à ceux des rapporteurs spéciaux, précisant ainsi qu'il avait l'intention de présenter, en septembre prochain, en sa qualité de rapporteur spécial, un rapport d'information sur les problèmes miniers en Nouvelle-Calédonie, dont l'impact budgétaire s'élève à près de 2 milliards de francs.

Il a, par ailleurs, souligné la nécessité pour la MEC de privilégier des sujets susceptibles de déboucher rapidement sur des inflexions budgétaires - ajoutant que les thèmes précédemment évoqués ne lui paraissaient pas relever de cette logique - et d'avoir un fort impact médiatique, faute de quoi les travaux de la MEC ne pourraient s'inscrire dans la durée.

Il a, enfin, exprimé le souhait que la prochaine MEC se penche sur deux sujets répondant, selon lui, à ces critères : le coût de perception de la redevance audiovisuelle et les charges de fonctionnement de la Grande Bibliothèque de France.

Mme Nicole Bricq a, quant à elle, souhaité que la MEC procède à des investigations sur l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), dont le rôle en matière de redistribution du produit de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) est appelé à s'amplifier, en raison de l'élargissement envisagé de l'assiette de cette taxe, et qui suscite des difficultés au niveau des collectivités locales.

M. Jean-Jacques Jégou, rappelant l'intérêt du récent rapport d'information de la Commission des finances sur le coût du conflit au Kosovo, a émis l'idée que la MEC se penche sur l'utilisation des crédits militaires, évoquant des errements inquiétants dans la gestion des dépenses de fonctionnement et la politique d'achat de matériel mise en _uvre par les armées. De manière plus générale, il a souligné que la MEC devait s'efforcer de procéder à ce que les anglo-saxons qualifient de « benchmarking », c'est-à-dire à une comparaison des performances entre pays. Il s'est, enfin, interrogé sur l'opportunité, pour les groupes politiques, de prévoir une composition de la MEC favorisant l'assiduité de ses membres.

Après avoir rappelé la nécessité de coordonner les travaux de la MEC avec ceux de la Cour des comptes, M. Raymond Douyère a exprimé le souhait que la prochaine MEC étudie la question de la précarisation de l'emploi au ministère de la culture.

Après marqué son accord avec la première remarque de M. Raymond Douyère, le Président Augustin Bonrepaux a souligné qu'il n'existait, pour la MEC, aucun sujet tabou. S'agissant du choix des sujets susceptibles d'être retenus par la prochaine MEC, il a suggéré que la Commission élabore une première liste, laquelle permettra de s'enquérir des travaux actuellement menés par la Cour des comptes, puis se détermine, en septembre, sur les choix définitifs. Au titre des sujets ayant trait aux crédits du ministère de la défense, il a, pour sa part, suggéré que la MEC se penche sur la direction des constructions navales. Il a également souligné l'intérêt que pourrait présenter l'examen du financement de l'aviation civile.

Après avoir marqué son accord avec cette méthode, votre Rapporteur général a souligné la nécessité de ne pas retenir un nombre trop important de sujets au titre des travaux de la MEC, relevant que le choix de quatre sujets pour les travaux du premier semestre 1999 s'était avéré, en pratique, assez lourd. Il a indiqué que la question du coût de la redevance audiovisuelle pourrait fort bien être retenue au titre des sujets touchant au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Il a, enfin, noté que des investigations sur l'ADEME pouvait fort bien être menés par le rapporteur spécial en charge de ce dossier ou par un membre de la Commission des finances désigné à cet effet.

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La Commission a ensuite autorisé, conformément à l'article 145 du Règlement, la publication du rapport d'information présentant les travaux de la Mission d'évaluation et de contrôle.

OBSERVATIONS ET CONTRIBUTIONS

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Observations présentées par les députés socialistes
membres de la Commission des finances

Observations générales du groupe RPR

Contribution particulière de M. Yves Deniaud, député de l'Orne,
sur le rapport relatif à la politique autoroutière française

Contribution du groupe UDF

Contribution du groupe Démocratie libérale

OBSERVATIONS

PRÉSENTÉES PAR LES DÉPUTÉS SOCIALISTES
MEMBRES DE LA COMMISSION DES FINANCES

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Au regard de l'intention de départ qui a présidé à la création de la Mission d'Évaluation et de Contrôle (MEC) qui consiste à évaluer et contrôler les politiques fondamentales mises en _uvre par le législateur, on peut dire quelques mois après sa mise en place que cette nouvelle institution de l'Assemblée a répondu positivement à notre attente, même s'il ne faut pas se priver de pratiquer les réglages nécessaires.

Cela tient à plusieurs raisons.

Le choix des sujets en est une. La politique autoroutière, la gestion des effectifs de la police nationale et les politiques de l'emploi et de la formation professionnelle ont été avec le recul, quatre bons thèmes.

En effet, un travail d'investigation avait été déjà mené par la Cour des comptes, ce qui donnait au travail de la MEC un support de départ intéressant. Ensuite, ces quatre politiques font l'objet de réformes mises en route ou prévues de la part du Gouvernement, ce qui permettra de vérifier concrètement si les recommandations faites par les rapporteurs ont un impact sur ces réformes.

La seconde raison est l'investissement personnel des rapporteurs qui ont pu, dans des délais très courts, obtenir des renseignements de manière sans doute moins conventionnelle que dans leur investigation budgétaire classique.

Car le troisième élément positif du travail mené est la libre parole qui a régné au sein de la Mission où l'on a su gommer les oppositions traditionnelles tout en maintenant pour les uns et pour les autres les opinions de fond qui font vivre le débat politique.

Enfin, la Mission a su trouver son espace à côté de la Cour des comptes, s'appuyant sur ses travaux sans pour autant s'y identifier.

Pour l'avenir, il faut respecter deux impératifs. La Mission doit veiller à ne pas s'écarter de son objet qui est d'évaluer, de contrôler et de proposer dans le but de rendre plus efficace la dépense publique de l'Etat.

L'ouverture à la presse qui a donné lieu à un suivi sérieux et à des commentaires des journalistes intéressés, ne dispense pas la Mission du soin particulier qu'elle doit attacher à la qualité, voire au tranchant, de ses recommandations qui fourniront une référence nouvelle au débat public auquel la presse participe.

OBSERVATIONS GÉNÉRALES
DU GROUPE RPR

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Le groupe du Rassemblement pour la République a approuvé l'initiative du Président de notre Assemblée de réfléchir à une meilleure efficacité de la dépense publique et à améliorer l'exercice du contrôle parlementaire. Il a participé activement à cette réflexion et y a apporté maintes suggestions.

La création au sein de la Commission des finances d'une mission d'évaluation et de contrôle constitue une suggestion parmi d'autres qui mériteraient également d'être retenues, comme la refonte de l'ordonnance du 2 janvier 1959 sur les lois de finances ou l'élargissement du rôle de l'opposition dans le cadre d'un contrôle rénové de l'exécution des lois de finances.

Cette mission d'évaluation et de contrôle a effectué un travail d'investigation et de réflexion poussé sur quatre sujets importants, la politique autoroutière, les effectifs de la police nationale, les aides à l'emploi et la formation professionnelle. Elle a été aidée dans sa tâche par les rapporteurs spéciaux, les membres de la Cour des comptes et a procédé à de nombreuses auditions de responsables, d'hommes de terrain et de ministres.

Les conclusions auxquelles elle est parvenue au terme de ce semestre de travail sont sans doute moins ambitieuses et moins précises que ne le laissaient penser les débats au sein de la Mission. Mais elles ont le mérite d'exister.

Elles doivent donc être suivies, soit dans le cadre de l'élaboration de la prochaine loi de finances, soit au moment de la redéfinition attendue de certaines politiques, de mesures d'application effectives. C'est à l'aune de ces mesures, qui devraient être prises au cours du prochain semestre, que l'on pourra juger si le travail de la Mission aura été utile et s'il convient d'en envisager la poursuite l'année prochaine.

CONTRIBUTION PARTICULIÈRE DE M. YVES DENIAUD, DÉPUTÉ DE L'ORNE, SUR LE RAPPORT RELATIF À LA POLITIQUE AUTOROUTIÈRE FRANÇAISE

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1°- Observation de principe.

Il est étonnant que la Mission d'évaluation et de contrôle dont la vocation est d'analyser l'efficacité de la dépense publique et de dénoncer ses excès, se soit intéressée, en premier lieu, à une action collective de grande envergure qui, non seulement n'a rien coûté à l'Etat, mais lui rapporte près de 7 milliards de francs par an, à comparer par exemple aux 62 milliards de francs que coûte l'ensemble du système ferroviaire (SNCF et RFF).

2°- En dépit des critiques outrancières dont il a fait l'objet, le système d'adossement, supprimé le 31 décembre 1997, a permis en 30 ans de combler le retard français de l'après-guerre. Aucun autre système n'aurait permis de parvenir à un tel résultat, compte tenu de la faiblesse des moyens financiers publics disponibles. Quoi qu'on dise de l'utilité de telle ou telle section d'autoroute, l'avenir démontrera qu'elles seront toutes empruntées et les générations futures nous seront reconnaissantes des décisions prises.

3°- L'observation d'une carte montre qu'à l'évidence le maillage autoroutier français est loin d'être achevé. Sans contester l'utilité de l'inter-modalité, de la multi-modalité, de la pluri-modalité, ou du ferroutage, il est incontestable que le transport par route connaîtra une progression de 50% minimum d'ici 2020. Il faudra naturellement accompagner cette évolution, dans la mesure où notre pays constitue la plaque tournante de l'Europe de l'Ouest. Le naufrage des crédits budgétaires et para-budgétaires dans ce domaine (9,3 milliards de francs tout compris) impose de maintenir le recours à la concession.

4°- Les sociétés d'autoroute peuvent, à deux exceptions près, supporter leurs charges d'emprunts sans difficulté, à la condition que l'on allège légèrement les prélèvements d'Etat comme le recommande la Commission européenne, ou que l'on allonge la durée des cessions existantes, si on nous y autorise.

5°- Le nouveau système des concessions non adossées implique des concessions de longue durée et des subventions publiques. Pour que celles-ci ne ponctionnent pas lourdement les sommes déjà faibles prévues dans les contrats de plan, il est indispensable que les prélèvements opérés sur les sociétés d'autoroutes, et les dividendes qu'elles pourraient verser à l'Etat, soient recyclés au profit des autoroutes elles-mêmes, pour le financement des subventions d'équilibre à verser aux concessionnaires.

6°- L'aménagement du territoire ne saurait consister à subir les évolutions. Bien au contraire, toute politique volontariste en la matière doit s'attacher à les prévoir, et plus encore à les accompagner et à les maîtriser. Il s'agit donc clairement d'influer sur l'activité des territoires, et notamment d'améliorer la situation de ceux qui ne comptent pas parmi les plus favorisés. Dans ce domaine, il apparaît nettement que l'orientation des flux humains et de marchandises participe d'une politique globale d'aménagement du territoire français.

CONTRIBUTION

DU GROUPE UDF

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Le groupe UDF a approuvé la constitution de la Mission d'évaluation et de contrôle. La maîtrise de la dépense publique doit être une priorité du Parlement, d'autant qu'il reste tout à faire. Le groupe UDF se félicite par ailleurs du rôle joué par la Cour des comptes, partenaire naturel et efficace pour une telle mission.

Concernant le mode d'audition, la mission doit s'interroger sur la pertinence du caractère public de certaines d'entre elles. Cela a pu priver la mission d'informations et de révélations par la présence du public et des médias, mais surtout d'organisations syndicales exerçant, en quelque sorte une pression conduisant certaines auditions à la pratique de la langue de bois.

La mission a choisi, dans un premier temps, quatre thèmes d'étude, qui ont tous révélé des dysfonctionnements, et plus souvent une gestion très défectueuse de l'Etat. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine de la police nationale, où chacun reconnaît aujourd'hui l'absence totale d'administration et de gestion du personnel. C'est le cas entre autres des horaires de travail ou des régimes indemnitaires, ne correspondant pas à la réalité du travail effectué.

S'agissant de la politique autoroutière, si comme pour l'ensemble de la mission, le groupe UDF considère comme un bienfait le principe de la concession, puisqu'il a permis à la France d'être dans le peloton de tête des pays européens en matière d'équipement autoroutier, la politique des gouvernements consistant à capter les bénéfices des sociétés d'autoroute a mis celles-ci en situation difficile quant au remboursement de leur dette. Il faudra dans le cadre de la suppression de l'adossement, que l'Etat finance désormais les autoroutes à venir, compte tenu de leur efficacité en matière d'aménagement du territoire.

En matière d'aide à l'emploi et de formation professionnelle, un certain nombre d'aides sont apparues franchement inutiles, voire chiffres à l'appui, de nature à provoquer des effets d'aubaine pour les entreprises qui en bénéficient. De même, pour la formation professionnelle, les différentes auditions ont montré une nouvelle fois l'opacité de la gestion des organismes collecteurs et l'inefficacité et le trop grand nombre des structures de formation dont l'agrément apparaît trop généreusement délivré. Quant à l'AFPA, si elle a montré sa volonté de mettre fin aux errements du passé, il lui reste encore à prouver son efficacité en terme de résultat quantitatif et qualitatif des demandeurs d'emploi.

Les travaux de la MEC posent donc avec acuité la pertinence et l'efficacité de la dépense publique. Toutefois, le renforcement du contrôle des parlementaires sur l'utilisation des crédits budgétaires n'a de réel intérêt que s'il est pérennisé.

Enfin, ces efforts sur la dépense publique doivent avoir un objectif essentiel : celui de dégager des marges de fonctionnement afin de réduire les déficits et les impôts, et d'augmenter de façon significative les investissements de l'Etat.

Le groupe UDF est déterminé à continuer le contrôle des dépenses de l'Etat, et souhaite vivement que les premières propositions de la MEC puissent être reprises par le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2000. Ceci conditionnera son adhésion future à la MEC à laquelle il a participé activement.

CONTRIBUTION

DU GROUPE DÉMOCRATIE LIBÉRALE

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A l'issue du groupe de travail sur « l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire », le Président de l'Assemblée nationale avait émis l'intention de mieux contrôler l'efficacité des dépenses publiques, préalable nécessaire à leur réduction.

La Mission d'évaluation et de contrôle (MEC), créée au sein de la Commission des finances, a donc eu pour but de répondre à cette attente, tout en associant l'opposition au travail de contrôle. La MEC a été chargée d'évaluer l'efficacité de la dépense publique à travers l'efficacité de quatre ou cinq politiques publiques. La formation professionnelle, les aides à l'emploi, les moyens de la police nationale et la politique autoroutière ont été les bancs d'essai de cette nouvelle forme de contrôle parlementaire.

L'idée qu'un contrôle de la dépense publique puisse dépasser le simple stade de la régularité pour se situer sur le terrain de l'opportunité, est incontestablement un progrès. L'est également celle de confier cette responsabilité au Parlement, dont c'est l'une des tâches primordiales. En revanche, la réalisation manque parfois cruellement d'audace et d'ambition.

Le choix des thèmes, tout d'abord, est plutôt décevant. Les thèmes retenus sont en effet trop consensuels ou trop balisés pour donner lieu à un contrôle qui sorte des sentiers battus. La politique autoroutière est arrivée aujourd'hui à une telle impasse financière pour les sociétés concessionnaires qu'il est évident qu'une réforme s'impose. La formation professionnelle est également un haut lieu de la contestation parlementaire sur l'utilisation des crédits qui lui sont destinés. Il ne faut pas dévaloriser le contrôle de la dépense publique en éludant soigneusement les « thèmes qui fâchent ».

Sur la méthode, en second lieu, il faut certes contrôler, mais dépasser le simple stade des auditions et des rapports. Le groupe de travail qui a accouché de la MEC, avait lancé l'idée d'un contrôle sur pièces, mais également sur place. Il reste que celle-ci n'a pas encore tout à fait exploré cette voie. Jusqu'à présent, la MEC ne modifie pas fondamentalement la méthode du contrôle parlementaire.

L'audition du ministre concerné est, à cet égard, inutile et purement formelle : la présence du ministre inhibe les députés de la majorité, et constitue alors un débat politicien qui n'est pas l'objet de la MEC.

Il convient également de noter, qu'en ce qui concerne les sources d'information, la dépendance du Parlement par rapport aux administrations est toujours de mise. Il conviendrait au contraire, de disposer, au sein du Parlement, de sources d'informations concurrentes, afin de sortir le Parlement de l'infantilisme dans lequel il a été volontairement confiné. Le Congrès aux États-Unis dispose par exemple de son propre organe de statistiques et de prévision : le CBO.

On doit enfin regretter un sincère et complet audit de la situation des finances publiques, ainsi que l'absence de chantiers tels que le lancement d'une comptabilité patrimoniale, d'une comptabilité analytique pour un vrai contrôle de gestion des politiques publiques.

La seule véritable avancée notable de l'an 1 du contrôle parlementaire de la dépense publique est le resserrement des liens entre le Parlement et la Cour des comptes, dont la probité et l'indépendance ont facilité la mission dévolue à la nouvelle structure. A l'heure où la Cour des comptes s'est déjà lancée dans des contrôles d'opportunité, malheureusement restés lettre morte, la MEC est l'occasion de leur donner une audience.

Le Président de l'Assemblée nationale avait affirmé « qu'il s'agissait de contrôler l'efficacité de l'administration avant de contrôler le Gouvernement ». Cela sous-entend que tout contrôle sincère de la dépense publique est par nature apolitique. Mais quand on sait que « le Gouvernement dispose de l'administration », et quand on connaît la logique majoritaire des institutions, il faut réhabiliter la notion de contrôle politique et le rôle de l'opposition en la matière.

Que ce soit en Grande-Bretagne ou en Allemagne, il existe un statut de l'opposition, l'opposition joue un rôle prépondérant pour contrôler le budget et les politiques publiques, justement parce que la majorité ne peut pas contrôler le Gouvernement. La coprésidence de la MEC, entre majorité et opposition, apparaît donc, sur ce point, bien timide.

La MEC a lancé de nouvelles pistes pour un contrôle parlementaire plus efficace, mais elle n'a pas ouvert de voies révolutionnaires. En effet, les méthodes employées relèvent d'un classicisme éprouvé, et les thèmes abordés font figure de « déjà vu » : à force de vouloir éviter toute approche politique, la MEC risque de sombrer rapidement dans le politiquement correct du contrôle.

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N° 1781.- Rapport d'information de M. Didier Migaud, Rapporteur général, déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission des finances, en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle constituée le 3 février 1999.

() Pierre Lalumière, Finances publiques, Armand Colin, 1973.

() « Le budget de l'Etat et le Parlement sous la Vème République », Revue de droit public, n° 5/6, 1998.

() L'Office a été créé par la loi n° 96-517 du 14 juin 1996, publiée au Journal officiel du 15 juin 1996.

() L'exercice du pouvoir financier du Parlement - « Le contrôle des finances de l'Etat : le rôle et l'avenir de l'Office d'évaluation des politiques publiques », Editions Economica, collection droit public positif, 1996.

() Ces données ont été élaborées dans le cadre du nouveau système européen de comptabilité (SEC 95).

() Le déficit public français est, désormais, évalué, pour 1998, à 2,9% du PIB et la dette publique à 58,5% du PIB. On pourra se reporter au rapport d'information n° 1695 présenté par votre Rapporteur général, au nom de la Commission des finances, de l'économie générale et du Plan, préalablement au débat d'orientation budgétaire pour 2000.

() M. Jean-Pierre Lassale, « La loi organique et l'équilibre constitutionnel des pouvoirs », Revue française de finances publiques, n° 26, 1989.

(1) On pourra se reporter utilement, sur les exemples étrangers au rapport du groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire, document d'information de l'Assemblée nationale n° 3/99, tome I, pages 129 et suivantes.

() Ces débats porteront nécessairement sur les résultats de l'évaluation, mais pourront également se traduire par l'audition des évaluateurs.

() Soulignons, cependant, que si de telles initiatives devaient aboutir à dénaturer « les grandes lignes de l'équilibre préalablement défini », elles seraient fragiles au regard des dispositions de l'ordonnance organique, sauf à ce que les parlementaires se soient préalablement prononcés, lors de l'examen de la première partie, en faveur d'un amendement de réduction des plafonds des charges modifiant l'équilibre général. Autrement dit, si des parlementaires entendent réduire effectivement la dépense publique, ils sont habilités à le faire, mais dans le cadre d'une stratégie prédéfinie, tenant compte du niveau de l'équilibre général.

() Outre les trois membres de droit - à savoir les deux co-Présidents et votre Rapporteur général -, celle-ci comprend douze membres titulaires, dont six appartiennent à la majorité et six à l'opposition, et six membres suppléants également répartis pour moitié entre majorité et opposition.

() Données relatives à l'année 1997.

() Données relatives au projet de loi de finances pour 1999.

() Données relatives à l'année 1997.

() Données relatives à l'année 1996. Ce chiffre exclut les 38 milliards de francs dépensés par l'Etat au titre de la compensation des exonérations générales de charges sociales.

() Question posée par Mme Nicole Bricq.

() Question posée par M. Jean-Louis Idiart.

() Question posée par M. Marc Laffineur.

() Question posée par M. Pierre Méhaignerie.

() Question posée par M. Philippe Auberger.

() Question posée par M. Jean-Jacques Jégou.

() Question posée par M. Louis Mermaz.

() Question posée par M. Raymond Douyère.

(1) Les auditions des ministres font l'objet d'un compte rendu diffusé à la presse.