N° 1807

--

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 septembre 1999.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN (1)

La taxe générale sur les activités polluantes

et la politique de l'eau

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Yves Tavernier,

Député.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Impôts et taxes.

La commission des finances, de l'économie générale et du plan est composée de :

M. Augustin Bonrepaux, président ; M. Didier Migaud, rapporteur général ; MM. Jean-Pierre Brard, Arthur Dehaine, Yves Tavernier, vice-présidents, MM. Pierre Bourguignon, Jean-Jacques Jégou, Michel Suchod, secrétaires ; MM.  Maurice Adevah-Poeuf, Philippe Auberger, François d'Aubert, Dominique Baert, Jean Pierre Balligand, Gérard Bapt, François Baroin, Alain Barrau, Jacques Barrot, Christian Bergelin, Eric Besson, Alain Bocquet, Jean-Michel Boucheron, Michel Bouvard, Mme Nicole Bricq, MM. Christian Cabal, Jérôme Cahuzac, Thierry Carcenac, Gilles Carrez, Henry Chabert, Didier Chouat, Alain Claeys, Charles de Courson, Christian Cuvilliez, Jean-Pierre Delalande, Francis Delattre, Yves Deniaud, Michel Destot, Patrick Devedjian, Laurent Dominati, Raymond Douyère, Tony Dreyfus, Jean-Louis Dumont, Daniel Feurtet, Pierre Forgues, Gérard Fuchs, Gilbert Gantier, Jean de Gaulle, Hervé Gaymard, Jacques Guyard, Pierre Hériaud, Edmond Hervé, Jacques Heuclin, Jean-Louis Idiart, Mme Anne-Marie Idrac, MM. Michel Inchauspé, Jean-Pierre Kucheida, Marc Laffineur, Jean-Marie Le Guen, Guy Lengagne, François Loos, Alain Madelin, Mme Béatrice Marre, MM. Pierre Méhaignerie, Louis Mexandeau, Gilbert Mitterrand, Jean Rigal, Alain Rodet, Nicolas Sarkozy, Gérard Saumade, Philippe Séguin, Jean-Pierre Soisson, Georges Tron, Philippe Vasseur, Jean Vila.

INTRODUCTION 7

I.- UN ÉTAT DES LIEUX : LES POLLUTIONS DES EAUX ET LES POLITIQUES MENÉES 13

A.- LA MAÎTRISE INÉGALE DES POLLUTIONS DES EAUX 13

1.- La réduction des pollutions industrielles et domestiques 13

2.- Le problème des pollutions diffuses, en particulier agricoles 15

B.- LA POLITIQUE DE L'EAU : LES DIFFÉRENTS INTERVENANTS 17

1.- Un rôle essentiel des collectivités locales, renforcé par la loi de 1992 18

2.- La faiblesse de l'échelon national 19

a) Les moyens limités de l'État 20

b) Un instrument spécifique : le FNDAE 21

c) Une organisation administrative complexe 22

3.- L'échelon régional : la réussite des organismes de bassin et ses limites 23

a) Les agences ont répondu aux énormes besoins d'investissement du secteur de l'eau 23

b) Cependant les agences se voient reprocher une dérive « mutualiste » 24

c) Les comités de bassin restent insuffisamment « démocratiques » 28

d) La faiblesse de la base juridique des redevances fragilise tout le dispositif 28

II.- LES AGRICULTEURS ET LES POLLUTIONS DES EAUX : UNE SITUATION À PART 33

A.- LE MONDE AGRICOLE A SU RESTER HORS DU DISPOSITIF DES AGENCES DE L'EAU, TOUT EN BÉNÉFICIANT DE PROGRAMMES PUBLICS 33

1.- La faible participation du monde agricole au financement des agences de l'eau 34

2.- La dérive du « programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole » 35

3.- Une mobilisation progressive autour des « bonnes pratiques agricoles » 38

4.- Un programme public à l'incidence relativement limitée : les mesures agri-environnementales 42

B.- LA CONTRIBUTION POSITIVE DES AGRICULTEURS À L'ENVIRONNEMENT NE RESTE QUE PARTIELLEMENT RECONNUE 43

C.- LA STRUCTURE DES CONCOURS PUBLICS À L'AGRICULTURE NE FAVORISE PAS LE RESPECT DE L'ENVIRONNEMENT 45

1.- Le poids des concours publics à l'agriculture 46

2.- Une structure des financements qui ne met pas l'environnement en avant 47

3.- La nécessité d'une réorientation des soutiens 48

4.- Une approche différente vis-à-vis du problème des excédents d'azote et de celui des produits phytosanitaires 50

III.- À QUOI SERVENT LES PRÉLÈVEMENTS À OBJET ENVIRONNEMENTAL ET, EN PARTICULIER, LA TAXE GÉNÉRALE SUR LES ACTIVITÉS POLLUANTES ? 55

A.- LES INSTRUMENTS DE PÉNALISATION FINANCIÈRE : UNE PRATIQUE PLUTÔT RÉCENTE EN FRANCE 55

B.- AFFECTER OU NON LES PRÉLÈVEMENTS À OBJET ENVIRONNEMENTAL : C'EST AVANT TOUT UN CHOIX POLITIQUE 57

1.- Les arguments théoriques plaident plutôt pour la non affectation de prélèvements obligatoires à des dépenses d'environnement 58

2.- Le primat revient au choix politique 59

3.- Les enjeux communautaires sont importants 61

C.- LES DIFFICULTÉS PRATIQUES DE L'INSTAURATION DE NOUVEAUX PRÉLÈVEMENTS À OBJET ENVIRONNEMENTAL 62

1.- Des incertitudes subsistent 63

a) Est-on certain de la moindre nocivité des produits de substitution ? 63

b) L'outil économique est-il nécessairement pertinent ? 64

c) Sait-on déterminer les modalités « utiles » (assiette, rendement) d'un prélèvement environnemental ? 64

2.- Les objectifs à rechercher doivent être conciliés 64

a) Simplicité et équité 65

b) Faisabilité et efficacité vis-à-vis de l'environnement 65

c) Rendement et effet dissuasif 66

d) Neutralité et efficacité vis-à-vis de l'environnement 66

e) Acceptabilité et principe pollueur-payeur 66

IV.- QUE PEUT-ON FAIRE ? 69

A.- L'évolution de la position du Gouvernement 70

B.- Quelle réforme pour la politique de l'eau et les organismes DE BASSIN ? 74

1.- Des redevances plus démocratiques, plus équitables et plus lisibles, pour un prix de l'eau plus transparent 75

2.- La mise en place de redevances pour « modification du régime des eaux » 76

3.- Des comités de bassin plus représentatifs 77

C.- UNE PREMIÈRE MESURE : LE RENFORCEMENT DES MOYENS NATIONAUX DE LA POLITIQUE DE L'EAU 78

1.- Fonds de concours ou compte spécial du Trésor ? 78

2.- La question du calendrier et du montant 79

3.- Quelles interventions ? 80

D.- L'ÉVOLUTION DU FNDAE CONSTITUE UN DOSSIER INDÉPENDANT 83

E.- LES INDUSTRIELS DE LA CHIMIE PEUVENT SUPPORTER DE NOUVEAUX PRÉLÈVEMENTS 84

1.- Quel instrument pour décourager l'usage des phosphates ? 84

a) Une taxation est-elle économiquement supportable ? 85

b) Le débat sur la nocivité comparée des composants des lessives 85

c) Instrument réglementaire ou taxe ? 86

2.- Les producteurs d'intrants agricoles : une industrie concentrée et capitalistique 87

a) L'industrie des engrais 87

b) L'industrie des produits phytosanitaires 88

c) Un élément de fait à prendre en compte : l'application du taux réduit de TVA aux intrants agricoles 89

F.- L'AGRICULTURE DOIT BÉNÉFICIER D'UNE APPROCHE PRUDENTE MAIS DÉTERMINÉE 89

1.- L'évaluation du montant « utile » des prélèvements et de leurs modalités les plus efficaces est difficile 89

a) L'évaluation des coûts environnementaux 90

b) L'évaluation des effets de dissuasion 90

c) Le choix des modalités d'imposition 91

2.- Les prélèvements envisageables pèsent lourdement sur les comptes de l'agriculture 93

3.- Faut-il affecter les prélèvements sur l'azote agricole et les produits phytosanitaires ? 95

a) Une affectation explicite dans le domaine de l'environnement ? 95

b) Une affectation « politique » ? 97

c) La nécessité de coupler prélèvements et interventions 99

G.- LES EXTRACTIONS DE GRANULATS : TAXE OU REDEVANCE ? 99

1.- Une taxation différenciée est seule à même d'avoir un effet dissuasif 100

2.- Le prélèvement envisagé est modéré 101

3.- Le prélèvement pourrait s'inscrire dans une logique de redevance 101

H.- METTRE À CONTRIBUTION LES DÉCHARGES INTERNES DES  ENTREPRISES 102

CONCLUSION : PROPOSITIONS DU RAPPORTEUR 103

EXAMEN EN COMMISSION 111

ANNEXES 117

INTRODUCTION

Deux principes simples imprègnent toute réflexion sur l'environnement : la nature est un bien collectif, fragile et menacé ; celui qui la pollue doit en payer le prix. Toute action, pour en assurer la protection, doit allier prévention et protection. Leur mise en _uvre par les pouvoirs publics prend la forme de la réglementation et de la fiscalité.

La prise de conscience des enjeux environnementaux pour le devenir de l'humanité est relativement récente. Pendant longtemps la croissance économique liée à un modèle exclusif d'industrialisation de toutes les formes de production était la condition du bonheur des peuples. Production était synonyme de progrès. On ne se souciait pas alors des conséquences de l'activité humaine sur l'environnement.

Ainsi, jusqu'à une date récente, l'eau était, en Europe occidentale, considérée comme un bien de cueillette, disponible sans contrainte, en quantité et en qualité. Aujourd'hui elle est perçue comme un bien limité et menacé. L'eau de source est rarement potable et les poissons éprouvent des difficultés à survivre dans les rivières.

Ce constat a conduit le Parlement à légiférer et le Gouvernement à réglementer. Depuis une dizaine d'années, la France s'est engagée dans une politique fiscale pour atteindre ses objectifs environnementaux. Ainsi, au fil du temps a été créée une multitude de taxes ou de redevances pour lutter contre toutes les formes de pollution et pour financer les actions de dépollution. On en compte une cinquantaine aujourd'hui, dans tous les domaines. Ce foisonnement n'est pas source d'efficacité. Chaque disposition fiscale concerne un domaine particulier, sans souci d'une cohérence d'ensemble.

C'est pourquoi votre commission des Finances a souhaité engager une réflexion d'ensemble sur la fiscalité écologique, c'est-à-dire l'intégration des préoccupations d'environnement dans notre système fiscal. Cette réflexion a déjà conduit à un rapport de portée générale rédigé par notre collègue Nicole Bricq, où celle-ci dresse un constat critique de la multiplication des prélèvements dans le domaine de l'environnement : « On observe une tendance à la superposition, voire à la sédimentation de mesures ponctuelles, ce qui témoigne d'une insuffisance de réflexion globale. De façon générale, il apparaît que la France ne se donne pas les moyens, sur le plan fiscal, de ses objectifs environnementaux, voire dans certains cas, que la fiscalité constitue un obstacle à leur réalisation ». (1)

Une deuxième critique est fréquemment formulée : le produit des taxes est trop souvent affecté au secteur qui les génèrent. Le pollueur récupérant une partie de la taxe versée peut considérer qu'il a un droit légitime à pérenniser sa manière de faire.

C'est pour répondre à ces problèmes et à ces difficultés que la loi de finances pour 1999 à créé, en son article 45, une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).

Elle a pour objectif de moderniser, d'unifier et de simplifier la fiscalité pesant sur les activités polluantes, dans le souci de rendre plus efficace l'application du principe pollueur-payeur. Cette TGAP est affectée au budget de l'État et elle s'inscrit dans la perspective d'une future « écotaxe européenne ».

Elle se substitue, dans un premier temps, aux taxes existantes sur la pollution atmosphérique, sur les déchets ménagers, ou industriels spéciaux, sur les huiles de base et sur les nuisances sonores. Ces taxes étaient jusque là perçues par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).

Ces dispositions se veulent une première étape sur le chemin de la fiscalité écologique. Elles ne concernent ni le domaine de l'énergie, ni celui de l'eau.

Pour ce qui est de l'énergie, le Gouvernement a annoncé son intention d'instituer à partir de 2001 une taxe spécifique, qui constituera une fraction de la TGAP.

Dans le domaine de l'eau, par une communication au conseil des ministres datée du 20 mai 1998, Mme Dominique Voynet, ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, avait exprimé la nécessité de voir appliquer, dans les meilleurs délais, le principe pollueur-payeur.

C'est pourquoi, le projet d'une TGAP-eau a été mis à l'étude pour faire l'objet d'une première série de décisions dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour l'an 2000. Elles devraient être complétées par des dispositions législatives concernant principalement les agences de l'eau et les comités de bassin. Ce dossier devrait être abordé, dans le cadre de la préparation du VIIIème programme d'intervention des agences. Il pourrait faire l'objet d'un projet de loi débattu par le Parlement en 2000-2001.

Les propositions du Gouvernement annoncées au cours du premier semestre 1999 sont de trois ordres :

- elles concernent principalement le secteur agricole avec l'instauration d'une taxe sur les engrais ou les « excès d'azote » et sur les phytosanitaires (pesticides, fongicides et herbicides) ;

- le secteur industriel serait notamment mis à contribution dans le secteur des lessives comportant des phosphates et dans celui de l'extraction des graviers dans le lit des rivières ;

- enfin, un prélèvement est envisagé sur les agences de l'eau afin d'abonder un compte spécial du Trésor.

Naturellement, la fiscalité écologique sur le secteur agricole est de loin la plus sensible. Aux données techniques, économiques s'ajoutent des considérations psychologiques et politiques qui les perturbent. Comment aborder un tel dossier avec sérénité ! Il mérite qu'on s'y attarde.

La vision de la relation du paysan à la nature, dans nos sociétés fortement urbanisées, est pour le moins ambivalente.

Pour les uns, il demeure le jardinier qui accueille agréablement, dans son gîte rural, le citadin épuisé par la vie des grandes cités et lui fait connaître les produits sains du terroir. Pour les autres, il est le premier responsable de la dégradation de notre environnement. La course effrénée à la production entraînant une surconsommation d'engrais et de pesticides aboutit à une grave altération de la faune et de la flore.

Il est vrai que le lisier des porcheries bretonnes dégage une odeur qui fait fuir le touriste, rend l'eau impropre à la consommation et menace les plages du littoral où il est responsable de la prolifération des algues vertes. Il est vrai aussi que l'agriculture française est l'une des plus performantes au monde et qu'elle contribue fortement à l'équilibre de notre balance commerciale.

Ainsi la France est le deuxième exportateur mondial de produits agricoles, mais elle est aussi le deuxième utilisateur d'engrais et le troisième consommateur de produits phytosanitaires. L'agriculture est le principal émetteur global d'azote et le deuxième pour le phosphore. Si les performances techniques et économiques sont remarquables, le coût pour l'environnement et les dangers pour la santé sont tout autant inquiétants.

Tel est le bilan d'une politique agricole conçue dans les années de l'après-guerre et mise en _uvre par les grandes lois d'orientation de 1960 et de 1962.

A une vision passéiste, statique et réactionnaire de l'agriculture et du monde paysan a succédé une approche volontariste, productiviste et moderniste. La « révolution silencieuse » des jeunes agriculteurs a triomphé, mais à quel prix ?

La course infernale aux rendements conduit l'agriculture à dépenser toujours plus d'argent pour produire. Il en résulte une situation de surproduction qui entraîne une baisse des prix. Pour assurer ses dépenses de production et maintenir son revenu, l'agriculteur doit produire encore davantage. Ainsi entre 1960 et 1994, la consommation française d'engrais chimique a doublé, celle des phytosanitaires a été multipliée par huit, pour un triplement moyen de la production agricole  (2).

Le soutien financier à une telle agriculture coûte très cher à l'Union européenne et aux pays membres. Elle est bénéfique aux industriels fournisseurs des intrants et aux gros producteurs qui reçoivent l'essentiel des aides. Elle ne répond pas aux intérêts de la majorité des agriculteurs, elle irrite les contribuables qui la financent et elle provoque des nuisances majeures et durables pour notre environnement.

Les agriculteurs apparaissent autant comme victimes que comme acteurs d'une politique ignorante de ses conséquences environnementales. C'est, donc, dans ce contexte global que doit être appréhendée la nature d'une politique fiscale visant à réduire fortement les pratiques nuisibles à l'intérêt général.

La taxation des produits chimiques utilisés par les producteurs doit accompagner une réorientation de la politique agricole commune et des politiques nationales vers les objectifs d'un développement durable.

Une partie du monde paysan est consciente de cette exigence. Il convient de l'encourager et de l'aider. Certains demeurent attachés à une démarche spéculative et à la défense de leur rente de situation. Il faut les contraindre.

La pollution des nappes phréatiques, la crise « de la vache folle », le scandale de la dioxine... donnent à l'opinion publique une image troublée de l'activité agricole et des produits agro-alimentaires. La recherche de la qualité dans le respect de l'environnement est aujourd'hui une exigence de la société toute entière.

Telles sont les données et les préoccupations qui ont guidé votre Rapporteur. L'approche du dossier technique, administratif, juridique, financier est éclairée par les données sociologiques et politiques des milieux concernés. Pour être efficace, une fiscalité à finalité préventive doit être comprise et admise par ceux auxquels elle doit s'appliquer. Les moyens pour lutter contre la pollution de l'eau ont été jusqu'ici peu efficaces. Le journal Le Monde du 29 juillet 1999 titrait : « La Bretagne échoue dans sa reconquête de l'eau » et il ajoutait en sous-titre : « Malgré la mise en place d'un programme de 1,4 milliard de francs, la pollution des sols et des rivières par des nitrates d'origine agricole dans les quatre départements de la région est remontée, en 1998, à ses niveaux records ».

Notre société ne peut pas accepter que cette situation perdure. La mise en _uvre d'une éco-taxe peut contribuer, parmi d'autres mesures, à contraindre les pollueurs à trouver les voies de la sagesse.

LAISSER CETTE PAGE SANS NUMEROTATION

I.- UN ÉTAT DES LIEUX : LES POLLUTIONS DES EAUX
ET LES POLITIQUES MENÉES

La réflexion sur l'extension de la « taxe générale sur les activités polluantes » au domaine de l'eau, c'est-à-dire à tout ou partie des redevances des agences de l'eau et à des assiettes nouvelles telles que les polluants d'origine agricole, est née d'un triple constat :

- l'aggravation constante de la pollution de l'eau, notamment par les engrais agricoles et par les produits de traitement des cultures, la rend impropre à la consommation dans de nombreuses régions. Pour en atténuer les effets, les collectivités publiques, l'État et les consommateurs doivent dépenser des sommes d'argent de plus en plus importantes ;

- le dispositif mis en place depuis 1964, fondé sur la réglementation, qui impose des travaux de prévention et d'épuration, et la mutualisation des coûts assurée par les agences de l'eau, ce qui permet de les financer, est efficace pour maîtriser les pollutions ponctuelles des usines et des villes, moins les pollutions diffuses, en particulier agricoles ;

- le dispositif institutionnel peut apparaître déséquilibré, entre le poids croissant des agences de l'eau, dont l'action n'a pas toujours été strictement conforme au principe « pollueur-payeur », et un échelon central étatique resté faible.

A.- LA MAÎTRISE INÉGALE DES POLLUTIONS DES EAUX

Des investissements considérables, préventifs ou curatifs (épuration), ont été réalisés sous l'égide des agences de bassin en vue de réduire les pollutions industrielles et domestiques. Il n'en est pas de même de certaines pollutions diffuses, en particulier agricoles.

1.- LA RÉDUCTION DES POLLUTIONS INDUSTRIELLES ET DOMESTIQUES

S'agissant des pollutions qui arrivent dans les réseaux de collecte des eaux usées, le suivi depuis les années 1970 montre une augmentation de la pollution brute, due notamment aux progrès de l'assainissement collectif (une part de plus en plus grande des rejets est collectée par les réseaux), mais, grâce aux stations d'épuration, une évolution favorable de la pollution nette.

Source : La lettre eau, n° 6, novembre 1997.

La maîtrise des rejets industriels apparaît également en net progrès depuis les années 1970.

 (3)

Source : La lettre eau, n° 6, novembre 1997.

La réduction des pollutions industrielles et domestiques a été permise par la construction d'équipements de dépollution et d'épuration, mais aussi par des actions de limitation de l'utilisation de certains polluants en amont, que ces limitations résultent de la réglementation ou d'actions « volontaires » contractualisées. Par exemple, les industriels de la lessive se sont engagés dans une démarche contractuelle avec les pouvoirs publics, laquelle a permis une forte diminution de l'incorporation de phosphates aux lessives : le taux moyen de phosphates y est passé en dix ans de 24 à 10 % (voir graphique en annexe du rapport, page 124) et la consommation annuelle de phosphates par cette industrie de 142.000 tonnes en 1985 à 64.000 en 1998.

2.- LE PROBLÈME DES POLLUTIONS DIFFUSES, EN PARTICULIER AGRICOLES

L'analyse de l'évolution des pollutions sur le moyen terme est rendue difficile par celle des moyens de détection, de plus en plus fins (on est passé en quelques années de la recherche de quelques produits phytosanitaires seulement à plusieurs centaines), et des normes, de plus en plus sévères, du fait de la demande collective et de l'existence de moyens de détection accrus. Ceci est particulièrement vrai pour les pollutions diffuses. On est maintenant conduit à mesurer et chercher à maîtriser des pollutions extrêmement diffuses qui traduisent la dégradation générale des milieux après un siècle et demi de développement industriel, comme l'arsenic.

L'origine de certaines pollutions diffuses est pourtant connue sans trop de contestation, et elle est souvent agricole. Autre point peu contesté : l'aggravation générale de ces pollutions. Les indicateurs disponibles font en effet apparaître dans le monde rural une tendance à l'aggravation des problèmes de qualité des eaux dans les années 1990. C'est ce que fait apparaître le tableau ci-après. Il est significatif de constater que la progression la plus sensible, en termes de population concernée par les dépassements de normes, concerne les « substances indésirables », c'est-à-dire, en particulier, les nitrates (sels d'azote), liés principalement à l'activité agricole.

Source : « Situation de l'alimentation en eau potable

et de l'assainissement des communes rurales en 1995 », ministère de l'Agriculture.

Une analyse menée par le service statistique du ministère de l'Agriculture confirme d'ailleurs le diagnostic de non maîtrise de l'azote agricole.

ÉVOLUTION 1988-1997 DU BILAN DE L'AZOTE AGRICOLE

(en milliers de tonnes d'azote)

 

1988

1990

1993

1995

1997

Engrais minéraux

2.489

2.621

2.132

2.243

2.432

Engrais organiques

1.318

1.152

1.278

1.266

1.240

Utilisation de l'azote par les plantes

- 3.322

- 3.058

- 3.147

- 3.191

- 3.265

Solde du bilan

485

715

263

318

407

Part de l'azote total incorporé au sol et non utilisé par les plantes

13 %

19 %

8 %

9 %

11 %

Source : agreste et corpen - ministère de l'Agriculture.

On peut observer que l'« excédent d'azote », qui constitue la mesure pertinente en la matière, puisque c'est la part de l'azote apporté aux sols qui n'est pas absorbée par la végétation mais rejetée dans le milieu, reste significatif et tend à nouveau à augmenter après un point bas en 1993 ; les variations du taux de jachère obligatoire pour les grandes cultures, qui sont les principales consommatrices d'azote, expliquent, en grande partie, semble-t'il, cette évolution ; en effet, la jachère, instaurée par la réforme de la politique agricole commune de 1992, a d'abord été importante avant d'être réduite, compte tenu de l'amélioration des marchés mondiaux des céréales. En tout état de cause, le bilan n'est pas satisfaisant.

Le dernier rapport du ministère de l'Emploi et de la Solidarité sur la qualité des eaux (4) conclut que les problèmes prioritaires sur le plan national restent la microbiologie et les nitrates, qui sont donc présentés comme la pollution chimique la plus préoccupante.

Il est reproché aux nitrates, comme aux phosphates, de favoriser l'eutrophisation des eaux, c'est-à-dire, notamment, la prolifération de petites algues et de bactéries : il s'agit non seulement d'une modification du milieu en elle-même dommageable, mais d'une menace pour la santé publique, car des intoxications peuvent être entraînées par ces proliférations. En outre, des composés dérivés des nitrates dans le tube digestif (nitrites et nitrosamines) seraient responsables de certaines maladies : d'une part, ils sont directement mis en cause dans la méthémoglobinémie, très grave - mais heureusement très rare - maladie du sang qui frappe principalement les très jeunes enfants (ce risque a amené le Conseil supérieur d'hygiène publique à rendre le 7 juillet 1998 un avis justifiant le maintien des normes existantes en matière de taux de nitrates dans l'eau potable) ; d'autre part, des expérimentations ont montré d'éventuelles incidences cancérigènes.

Selon le rapport précité, sur les 80 captages d'eaux superficielles hors normes, 50 le sont à cause des nitrates.

La conclusion de ce rapport souligne par ailleurs le problème posé par certains produits phytosanitaires dans les termes suivants : « Enfin se pose le problème de l'atrazine et de la simazine qui, s'il n'est pas, compte tenu de la situation décrite dans ce rapport et de son évolution, inquiétant en terme de santé publique, doit néanmoins être résolu pour satisfaire aux engagements internationaux de la France et ne pourra l'être que par une forte restriction d'usage de ces herbicides particulièrement solubles ou par le recours à des traitements complémentaires d'élimination appropriés. »

Le caractère un peu contradictoire de ce propos (des produits posent problème alors qu'il n'y aurait pas de danger pour la santé publique) rend compte de la difficulté à fixer des normes en matière de produits phytosanitaires : par définition, un produit phytosanitaire a pour objet de détruire des organismes vivants et a donc une incidence très forte sur le milieu naturel, ce qui a conduit l'Union européenne à fixer des règles extrêmement sévères ; s'agissant de la santé humaine, il y a certainement une tolérance plus grande et les valeurs guide définies par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) sont, selon les produits, de 20 à 300 fois supérieures aux normes européennes. Si les normes européennes sont donc fréquemment dépassées (la population concernée en France par des distributions d'eau dépassant la norme européenne a atteint 7,5 millions de personnes pour l'atrazine en 1993, avant de diminuer à 5 millions en 1995, selon le rapport précité), les valeurs OMS ne sont en revanche heureusement jamais atteintes.

L'évolution des pollutions diffuses constitue un réel problème qui justifie, quand les origines de ces pollutions peuvent être identifiées, une réflexion sur les instruments financiers susceptibles de les dissuader.

B.- LA POLITIQUE DE L'EAU : LES DIFFÉRENTS INTERVENANTS

Dans le paysage administratif français, la gestion de l'eau présente une originalité certaine, celle d'une grande et précoce décentralisation. L'adduction d'eau, à laquelle s'est ajouté l'assainissement, reste une compétence communale, ce qui a, de toute évidence, contribué au développement d'un service de qualité, même si la décentralisation à l'extrême a aussi ses revers, en particulier en termes d'inégalité tarifaire. Le maire et son conseil municipal doivent assurer aux habitants le service de l'eau en qualité et en quantité. Cette responsabilité directe, pouvant être sanctionnée par le suffrage universel, a favorisé la mise en place d'un réseau d'eau potable particulièrement performant.

Chaque municipalité assume cette responsabilité en fonction de sa conception du service qu'elle doit rendre. Elle définit librement son mode de gestion (régie directe, affermage, concession...), et la nature et l'ampleur des travaux qu'elle entend réaliser.

Il en résulte de très grandes variations dans les dépenses engagées et, en conséquence, de très grands écarts dans le prix de l'eau payé par les consommateurs. Cette dispersion tarifaire ne peut guère être compensée compte tenu de la faiblesse de l'échelon national de la politique de l'eau : les moyens consacrés par l'État à celle-ci restent limités et leur cohérence n'est pas toujours assurée. En revanche, l'échelon intermédiaire qui s'est développé au niveau des bassins, celui des agences, a pris un essor considérable ; les agences méritent une analyse plus approfondie, car la réflexion sur une éventuelle réforme de la politique de l'eau est partie, pour l'essentiel, des critiques qui ont été portées contre elles, avant d'être enrichie par l'introduction du concept de « taxe générale sur les activités polluantes ».

1.- UN RÔLE ESSENTIEL DES COLLECTIVITÉS LOCALES, RENFORCÉ PAR LA LOI DE 1992

Responsables en dernier ressort de la fourniture et du traitement de l'eau, en qualité comme en quantité satisfaisantes, les communes et leurs groupements assurent la plus grande part des dépenses publiques dans le domaine de l'eau.

DÉPENSES PUBLIQUES DANS LE DOMAINE DE L'EAU (1997)

(en milliards de francs)

Collectivités locales

75,7

dont :

 

_ Assainissement et épuration

46

_ Mobilisation de la ressource

29,7

Agences de bassin

10,4

État

1,9

dont :

 

_ Budget général

0,9

_ FNDAE

1

Total

88

Source : Documents budgétaires, annexes au projet de loi de finances pour 1999, « Agences de l'eau » et « Environnement : état récapitulatif de l'effort financier consenti ... au titre de l'environnement. »

Les collectivités locales sont à l'origine de plus de 85 % de la dépense publique dans le domaine de l'eau. Celle-ci n'est donc pas prise en charge par le contribuable national, ni d'ailleurs par le contribuable local, sauf dérogations, compte tenu de la séparation comptable entre budgets locaux et budgets des services de l'eau, même quand ils ne sont pas délégués. L'évolution du prix de l'eau traduit donc largement celle de la dépense, en particulier en matière d'assainissement ; une analyse récente (5) du ministère de l'Économie montre que l'augmentation globale, de 1991 à 1997, de 61 % de la facture d'eau moyenne recouvre des évolutions différentes des divers éléments de cette facture : sur la même période, + 29 % « seulement » pour la fourniture d'eau, mais + 58 % pour l'assainissement (principalement du fait de l'application de la directive communautaire de 1991) et + 241 % pour les redevances des agences. Cette évolution différenciée s'explique par les dispositions de la loi sur l'eau du 3 janvier 1992 qui confie aux communes la responsabilité de l'assainissement de leur territoire. La forte augmentation des redevances des agences est due, pour partie, au très grand développement des opérations d'assainissement montées par les collectivités territoriales. Quant aux inégalités tarifaires, elles sont inévitables dans un système où les mécanismes de péréquation sont limités : les agences de l'eau n'ont pas la péréquation comme objectif premier, même si elles fonctionnent assez largement comme un mécanisme de mutualisation des coûts d'investissement par bassin ; quant au FNDAE, c'est un dispositif à la portée financière assez réduite, avec un champ d'intervention borné au monde rural.

La loi sur l'eau de 1992 a cherché à compenser la dispersion du système en instituant un étage intermédiaire entre les collectivités locales et les agences de bassin : les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) et les comités locaux de l'eau. Un bilan établi en mai 1999 montre qu'un seul SAGE est actuellement mis en _uvre, mais que près d'une centaine sont à des degrés divers d'élaboration (voire carte en annexe du rapport, page 120).

2.- LA FAIBLESSE DE L'ÉCHELON NATIONAL

Que l'État gère une partie secondaire des dépenses publiques en matière d'eau n'est pas en soi préjudiciable. Selon toute vraisemblance, il y a cependant un étiage à ne pas dépasser, au regard des missions régaliennes qui sont propres à l'État et à la nécessité d'un certain degré de péréquation nationale. Tout autant qu'une question de moyens, la faiblesse de l'échelon national de la politique de l'eau est aussi un problème d'organisation : cette responsabilité est éclatée entre plusieurs départements ministériels sans que la répartition des compétences apparaisse toujours claire et fondée sur des critères incontestables.

a) Les moyens limités de l'État

Les moyens de l'État dans le domaine de l'eau sont dérisoires compte tenu de l'importance politique, économique et sociale que représente ce domaine. Le pouvoir réel est éclaté entre les 36.400 communes et les grands groupes financiers qui contrôlent l'essentiel de ce fabuleux marché. Ce n'est pas le fait du hasard si trois des plus grands groupes industriels français ont en concession et en affermage l'essentiel du réseau d'eau et d'assainissement.

Les trois principaux ministères à intervenir financièrement dans le domaine de l'eau sont ceux de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, de l'Agriculture et de la Pêche et de l'Emploi et de la Solidarité. Leurs dépenses sont évaluées respectivement, dans ce domaine et pour 1998, à 237 millions de francs, 475 millions de francs et 179 millions de francs.

La direction de l'eau du ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement gère un budget d'intervention s'élevant à plus de 200 millions de francs, auxquels s'ajoutent cette année deux fonds de concours des agences de l'eau, d'un montant global de 250 millions de francs, destinés à financer des actions d'entretien des cours d'eau, de restauration des zones de crue, de police de l'eau et des gardes-pêche, et d'amélioration des réseaux de mesure. Cette direction emploie environ 90 agents (ce qui correspond à moins de 30 millions de francs de crédits de rémunérations).

Les crédits gérés par le ministère de l'Agriculture et de la Pêche et affectés au domaine de l'eau dépassent ceux du ministère de l'Environnement : cette année, le ministère de l'Agriculture devrait consacrer, en crédits d'investissement, plus de 150 millions de francs à l'hydraulique agricole et aux subventions aux compagnies d'aménagement régionales (dont l'hydraulique reste l'activité dominante), et 175 millions de francs à la mise aux normes des bâtiments d'élevage dans le cadre du programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA).

Dans les administrations déconcentrées de l'État, la police de l'eau occuperait l'équivalent de 750 agents à temps plein. Par ailleurs, dans les directions régionales et départementales de l'action sanitaire et sociale, les services santé-environnement emploient environ 1.500 personnes, dont une part très importante de l'activité est consacrée au contrôle de la qualité des eaux de boisson et de baignade. Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité est donc le troisième département ministériel à développer une action significative dans le domaine de l'eau.

b) Un instrument spécifique : le FNDAE

Le ministère de l'Agriculture est aussi le gestionnaire du fonds national pour le développement des adductions d'eau, seul instrument financier à intervenir dans le domaine de l'eau avec un objectif exclusif de péréquation.

Créé en 1954, le FNDAE est un compte spécial du Trésor qui a été conçu dès son origine comme un outil de solidarité nationale destiné à aider les communes rurales à mettre en place leurs services publics de distribution d'eau. Son domaine d'intervention a été étendu à l'assainissement en 1979. En 1997, la compétence du fonds a été étendue, pour une période de trois ans, à la lutte contre les pollutions d'origine agricole (participation au financement du PMPOA) : 150 millions de francs annuels doivent y être consacrés.

Prélevées sur l'ensemble de la population française, les ressources du Fonds ne sont redistribuées qu'aux seules communes rurales. Elles ont eu pour provenance, en 1998 :

_ pour 52 %, le produit d'une redevance sur les consommations d'eau distribuées dans toutes les communes urbaines et rurales bénéficiant d'une distribution publique d'eau potable, dont le taux de base est fixé à 14 centimes par mètre cube depuis le 1er janvier 1996 ;

_ pour 48 %, d'un prélèvement sur les sommes engagées au Pari mutuel.

Les recettes du fonds ont atteint 959 millions de francs en 1998, en recul de 4 % sur 1997, ce qui obligera en 1999 à une réduction similaire des interventions.

Le FNDAE est géré de manière déconcentrée. En effet, ses crédits sont répartis entre les départements en fonction d'une clef complexe (en tenant compte des montants prévisionnels d'investissements à réaliser tels qu'ils résultent des inventaires relatifs à l'alimentation en eau potable et à l'assainissement, des charges d'investissements par habitant, du potentiel fiscal ; s'y ajoutent des crédits contractualisés pour les départements qui ont signé une convention avec l'État, soit 77 en 1999). C'est aux départements qu'il appartient ensuite de répartir les crédits entre communes, le préfet vérifiant seulement la régularité des subventions attribuées.

Les subventions visent exclusivement (en dehors du prélèvement pour le PMPOA évoqué supra) les travaux de premier investissement, et non de renouvellement, dans les domaines de l'eau potable et de l'assainissement. Le FNDAE ne couvre d'ailleurs que 8 % environ de ce type de travaux dans le monde rural ; il joue donc un effet de levier important en venant compléter les financements propres, ceux des départements (qui représentent 25 à 30 % des travaux d'adduction et d'assainissement dans le monde rural) et des agences de bassin.

c) Une organisation administrative complexe

Si l'on fait le compte des moyens budgétaires rattachés à chaque département ministériel en matière d'eau, on se rend compte du poids relatif faible de celui de l'Environnement, notamment en comparaison avec le ministère de l'Agriculture.

Le développement administratif limité du ministère de l'Environnement est particulièrement mis en lumière si l'on analyse l'exercice de la police de l'eau. Celle-ci, comme toute police, relève d'une mission caractéristiquement régalienne.

En l'absence d'une administration départementale de l'Environnement, la police de l'eau est assurée par des agents des services extérieurs de l'Agriculture, de l'Équipement et (dans une moindre mesure) de l'Industrie, le champ de compétence territoriale de ces différentes administrations (selon les cours d'eau ou captages) n'étant d'ailleurs même pas défini à l'échelon national, mais par les préfets. Certes, il existe depuis 1993 des missions interservices de l'eau (MISE) pour assurer la coordination (86 départements les auraient mises en place fin 1997), mais les responsables de celles-ci n'ont pas d'autorité hiérarchique sur les agents mis à leur disposition, ce qui limite l'efficacité de ces structures, qui pourraient être remplacées, dans le cadre de la réforme de l'État, par des « délégations interservices » plus structurées.

Dans chacune des administrations déconcentrées concernées, on peut s'interroger sur la priorité accordée à une mission qui peut apparaître marginale à ces administrations et qui est peu soutenue par le ministère de l'Environnement (le ministère de l'Agriculture estime que les moyens budgétaires mis à la disposition des directions départementales de l'Agriculture et de la Forêt par le ministère de l'Environnement représentent seulement 3 % des besoins liés à la police de l'eau...). On observe tout de même, ces dernières années, face à l'accroissement des charges de la police de l'eau (du fait du régime d'autorisations administratives prévu par la loi sur l'eau de 1992 et de la mise en place des schémas d'aménagement et de gestion des eaux - SAGE), un renforcement des effectifs (qui représenteraient, en équivalents-temps plein, 5 % de ceux des DDAF) et une identification accrue de la mission de police de l'eau.

3.- L'ÉCHELON RÉGIONAL : LA RÉUSSITE DES ORGANISMES DE BASSIN ET SES LIMITES

Le système des agences et des comités de bassin a souvent été présenté comme une réussite exemplaire. Il est vrai que la comparaison avec l'échelon national étatique de la politique de l'eau n'est pas en faveur de celui-ci, non plus que la comparaison avec d'autres politiques environnementales françaises dans des domaines autres que celui de l'eau. Pourtant, ce dispositif a fait l'objet, dans la période la plus récente, de critiques assez sévères de la part de la Cour des comptes (6) et du Commissariat général du Plan (7).

Votre Rapporteur ne souhaite pas porter de jugement de valeur sur les organismes de bassin : tel n'était pas l'objet de sa mission et cela aurait d'ailleurs impliqué un travail spécifique d'investigation. Cependant, puisque des réformes du dispositif des redevances sont envisagées, il est nécessaire, après avoir rappelé les points forts du système des agences, de détailler les critiques qui lui ont été opposées, puisqu'elles fondent les pistes de réformes avancées.

a) Les agences ont répondu aux énormes besoins d'investissement du secteur de l'eau

En 1964, la création des agences de l'eau et des comités de bassin a certainement été une innovation particulièrement remarquable dans le contexte centralisateur d'alors : c'était un choix de décentralisation (et pas seulement de déconcentration : les agences ont la personnalité morale) et de gestion concertée. Quant à l'option du bassin comme circonscription d'action, c'était une décision audacieuse, qui ne manque pas d'engendrer encore des difficultés administratives en l'absence de coïncidence avec les découpages administratifs habituels, mais dont l'Union européenne a finalement reconnu la pertinence en la reprenant dans la proposition de « directive-cadre » sur l'eau.

L'autonomie financière des agences, maîtresses de leur budget et déterminant leurs redevances, et l'association des assujettis aux décisions ont certainement joué un rôle important dans l'acceptation de redevances de plus en plus lourdes qui ont permis de répondre aux besoins d'investissements croissants dans le domaine de l'eau, la garantie institutionnelle étant donnée de l'affectation de « l'argent de l'eau à l'eau ».

Des sommes considérables, croissantes, ont donc pu être mobilisées, et ce avec continuité dans le cadre de programmes quinquennaux : le montant de redevances appelées est ainsi passé de 21 milliards de francs dans le cadre du Vème programme (1987-1991) à 40 milliards de francs dans le cadre du VIème (1992-1996) et 51 milliards de francs dans le cadre du VIIème (1997-2001), soit aujourd'hui 10 milliards de francs par an. Ce montant représente plus de 0,1 % de la richesse nationale ; l'ampleur des moyens de la politique de l'eau ainsi dégagés se mesure quand l'on songe que le budget 1999 du ministère de l'Environnement s'élève à moins de 4 milliards de francs (après budgétisation de l'ADEME).

b) Cependant les agences se voient reprocher une dérive « mutualiste »

· Les redevances ne respecteraient pas le principe pollueur-payeur

Le dispositif actuel des redevances, qui représentent un prélèvement obligatoire de plus en plus lourd, est vivement critiqué, dans les rapports cités supra, parce qu'il apparaît extrêmement complexe et parfois obscur, sans assurer le respect du principe pollueur-payeur.

La Cour des comptes relève ainsi la quasi-exonération de fait des activités agricoles et piscicoles, mais aussi de certaines activités industrielles (découpe de viandes, lavage de citernes...) ou certains types de rejets polluants ; certains établissements industriels (dans les secteurs des mines ou de la chimie de base), tout en étant assujettis, bénéficieraient cependant de dispositifs dérogatoires très favorables ; en fin de compte, selon la Cour, « la contribution des ménages est beaucoup plus élevée que celle des agriculteurs et des industriels, alors que les pollutions qui leur sont respectivement imputables sont dans le rapport inverse ». Rappelons que les ménages supportent 85 % du poids des redevances et les industriels l'essentiel du reste, la participation des agriculteurs étant inférieure à 1 %. S'agissant des ménages, on doit cependant signaler l'exonération de redevance pollution dans les communes de moins de 400 habitants.

Votre Rapporteur reviendra largement sur la spécificité agricole ; s'agissant des tarifs de faveur accordés à certains industriels, des responsables d'agences rencontrés ont répondu en invoquant le réalisme économique : imposer le tarif normal de redevances à certaines activités minières, en particulier, aurait été équivalant à les arrêter immédiatement vu l'énormité des sommes qui auraient alors été réclamées au titre des redevances. De manière plus générale, le rapport du Commissariat général du Plan évoque la tendance au rapprochement progressif des taux de redevances (entre agences et à l'intérieur des bassins où des zonages sont établis), qu'il met sur le compte des industriels soucieux d'obtenir une limitation des distorsions de concurrence, quand bien même, naturellement, le principe pollueur-payeur impliquerait des redevances déterminées par les diverses situations locales des eaux.

Par ailleurs, la complexité du dispositif actuel des redevances est critiquée ; la « manipulation » des différents coefficients forfaitaires utilisés dans le calcul des redevances serait devenue, selon le rapport précité, un des principaux facteurs de leurs variations. S'agissant de la redevance « pollution » des particuliers (qui a représenté 7,3 milliards de francs en 1997, c'est-à-dire les trois-quarts des redevances « prélèvement » et « pollution » totales), le système de la « contre-valeur » a été assez unanimement contesté, pour son opacité, par les personnes rencontrées par votre Rapporteur : le système (8) consiste en effet à calculer la redevance pollution de chaque particulier en fonction de sa consommation d'eau (ce qui est logique pour la redevance « prélèvement », pas pour une redevance « pollution » qui doit être corrélée aux rejets polluants des assujettis) et conduit contradictoirement à augmenter le taux de redevance au mètre cube lorsque la consommation d'eau diminue dans une commune, ce qui est pourtant plutôt un comportement « vertueux ».

· Des interventions qui manqueraient de sélectivité

Le Commissariat général du Plan est également très critique sur la sélectivité insuffisante, au regard d'objectifs environnementaux, des interventions financées par les agences. Trois types d'arguments sont présentés à ce propos :

- le défaut d'expertise économique dont souffriraient les agences ;

- l'abondance de la ressource financière des redevances, qui dispenserait de l'obligation de faire des choix douloureux ; il s'agit d'ailleurs d'un cercle vicieux, puisque le montant de redevances à appeler dans le cadre des programmes quinquennaux est déterminé au regard de besoins de financement qui seraient mal évalués par défaut d'expertise et compte tenu de la position des agences, qui ne sont pas des « décideurs » de travaux, mais des « subventionneurs » de travaux décidés par d'autres ;

- enfin, le poids des comités de bassin, dans lesquels chaque catégorie d'assujettis chercherait à obtenir un « juste retour », en subventions, de ses redevances, « juste retour » accordé pour éviter les conflits ...

Ces thèses sont, ce qui n'étonnera pas, vivement contestées par les responsables des agences.

Sans entrer dans le débat sur la légitimité de l'ensemble des interventions des agences, on peut effectivement se demander si l'ampleur des subventions apportées à certains travaux par elles et par les autres collectivités publiques, en allégeant la charge des communes ou syndicats concernés, n'a pas conduit les unes et les autres à accepter le lancement de politiques dont l'évaluation n'a peut-être pas été suffisante. Il est vrai que les investissements répondent en général à des exigences réglementaires nationales ou communautaires, mais l'abondance des financements disponibles n'a-t'elle pas amené à admettre des réglementations qui auraient pu être plus discutées ? C'est ainsi que le développement à marche forcée de l'assainissement collectif en milieu rural est critiqué par des associations de défense de l'environnement, qui considèrent que l'assainissement individuel traditionnel était généralement plus efficace.

Les coûteux travaux d'interconnexion entre les réseaux sont un autre exemple évoqué : ils ont souvent pour objet, en mêlant des eaux de différents captages, d'obtenir un mélange conforme aux normes, par exemple, dans certaines zones rurales, avec moins de 50 milligrammes de nitrates par litre. Mais, dès lors que l'on sait qu'en l'absence de politique efficace de maîtrise des nitrates d'origine agricole, tous les captages de certaines régions finiront par être hors-normes, de telles politiques peuvent n'avoir qu'un intérêt transitoire, qui ne devrait pas justifier des dépenses trop importantes.

· L'« aisance » financière des agences de bassin

Un dernier champ de critiques entendues par votre Rapporteur tourne autour de l'aisance financière des agences qui, même avec des interventions plus ou moins justifiées, ne parviendraient pas à mobiliser la totalité des redevances perçues. De manière connexe, est évoquée parfois la tendance à la « bancarisation » : les agences développeraient leurs interventions sous forme d'avances à rembourser, ce qui est aussi un moyen de pérennisation pour elles.

L'analyse du dernier compte consolidé connu du système, celui de 1997, montre en effet :

- le rôle important des avances - 1 franc d'avance accordé pour 3 francs de subvention définitive - et, en contrepartie, des produits financiers ;

- le poids des dotations aux fonds de roulement, 1,3 milliard de francs, soit 11 % des recettes annuelles, qui permet effectivement de s'interroger sur l'aisance financière des agences, qui sont des établissements publics dont l'objet n'est pas de « faire des bénéfices » ; en deux ans, de 1995 à 1997, les dotations aux fonds de roulement ont doublé (elles n'étaient « que » de 681 millions de francs en 1995).

PRÉSENTATION SIMPLIFIÉE DES COMPTES CONSOLIDÉS DES AGENCES EN 1997

(en millions de francs)

Dépenses

Recettes

Subventions

6.769

Redevances

9.877

Études et mesures

259

Remboursement des avances

1.452

Fonctionnement

715

Intérêts des avances et produits financiers

316

Avances

2.404

   

Augmentation nette des fonds de roulement

1.328

   

Total (1)

11.885

Total (1)

11.885

(1) Les totaux ne correspondent pas exactement à la somme des rubriques compte tenu des simplifications opérées.

Source : élaboré à partir de l'annexe « Agences de l'eau » au projet de loi de finances pour 1999.

L'évaluation de la situation financière réelle des agences constitue un enjeu important, puisque le Gouvernement envisage une augmentation du prélèvement opéré sur leurs ressources pour financer des politiques nationales et de péréquation.

L'analyse doit donc être prudente. Or, plusieurs explications avancées par les responsables d'agences tendent à justifier l'existence de dotations importantes aux fonds de roulement, en particulier pour l'année 1997, qui est la première du VIIème programme :

- l'augmentation du volume des interventions des agences nécessite une évolution similaire des fonds de roulement, pour des raisons de liquidité ;

- les dépenses des agences connaissent une évolution cyclique au cours des programmes quinquennaux, avec une montée en puissance progressive, alors que le VIIème programme a été conçu à taux de redevances constants, donc à produit annuel constant ; il est donc naturel que l'on constate la première année un fort excédent des recettes sur les dépenses (effectivement, le taux d'engagement du programme fin 1997 est de 17,9 %, contre 20 % théoriques « linéaires »).

c) Les comités de bassin restent insuffisamment « démocratiques »

Les comités de bassin, renforcés par la loi sur l'eau de 1992 qui leur a confié l'élaboration des SDAGE (schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux), se veulent parfois des « parlements de l'eau ». Une telle ambition implique de veiller soigneusement à la bonne représentativité de ces organes. Or, la Cour des comptes relève la « place réduite » qui y est laissée aux communes, « notamment aux plus grandes », et au milieu associatif. Encore les distorsions de représentation résultant éventuellement des textes qui déterminent le nombre des représentants des différentes catégories d'assujettis peuvent-elles être renforcées par le biais du cumul des mandats ; une analyse récente de « France Nature Environnement » (La lettre eau, novembre 1998, n° 8-9) sur le comité du bassin Loire-Atlantique indiquait ainsi que la représentation officielle des villes de moins de 10.000 habitants était d'un élu (contre 3 pour celles de plus de 100.000 habitants, mais 28 pour les départements !), mais que leur représentation « réelle » était de 23 élus, de nombreux représentants des départements, en particulier, étant également élus de petites communes ...

Votre Rapporteur se félicite du rééquilibrage entre les différentes catégories de membres des comités de bassin et conseils d'administration des agences déjà opéré par les décrets n° 99-764 et 99-765 du 6 septembre de cette année. Cependant, une intervention législative pourrait être nécessaire pour une modification plus importante de la composition de ces organes.

d) La faiblesse de la base juridique des redevances fragilise tout le dispositif

Un dernier ordre de difficultés, bien connu, qui s'attache au dispositif des redevances, est de nature juridique : on le sait depuis vingt ans, le régime établi par l'article 14 de la loi de 1964, qui confie aux agences, dans des termes très généraux, la mission de déterminer l'assiette et les taux des redevances, n'est pas conforme à la Constitution.

En effet, d'après l'article 34 de celle-ci, il appartient au législateur de fixer l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions « de toutes natures » ; il ne s'agit là, d'ailleurs, que d'une application du principe de consentement à l'impôt posé par l'article XIV de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Dès lors, l'établissement des prélèvements obligatoires est une compétence générale du législateur (cf. la formule « impositions de toutes natures »), sous réserve de dérogations explicites pour certains prélèvements qui se caractérisent par l'existence de contreparties directes pour les assujettis : cotisations sociales, taxes parafiscales, redevances pour services rendus ; ces dérogations ont été reconnues par la jurisprudence ou résultent de textes fondateurs comme l'ordonnance organique de 1959 relative aux lois de finances.

Or, le texte de 1964 définit en termes généraux les redevances des agences, d'une manière ambiguë, au cinquième alinéa de son article 14 : « l'agence établit et perçoit sur les personnes publiques ou privées des redevances, dans la mesure où ces personnes publiques ou privées rendent nécessaire ou utile l'intervention de l'agence ou dans la mesure où elles y trouvent leur intérêt. ». Les redevances y apparaissent avec un versant « redevances pour services rendus », redevances avec contrepartie (seront assujettis ceux qui y trouvent intérêt), mais aussi un versant qui évoque le principe pollueur-payeur, un prélèvement sans contrepartie sur ceux qui entraînent des coûts pour la collectivité en rendant nécessaire l'intervention de l'agence. Dans ces conditions, elles constituent nécessairement une « imposition de toutes natures » ; c'est ce qu'a décidé le Conseil constitutionnel dans une décision de 1982 (9), suivi en plusieurs arrêts par le Conseil d'État.

Ce point établi, on peut en déduire que la loi de 1964 n'est pas conforme à la Constitution, le législateur ayant méconnu sa compétence en déléguant aux agences de bassin la mission d'établir les redevances sans aucun encadrement : la jurisprudence constitutionnelle (10) admet en effet qu'un certain rôle soit laissé à un établissement public, affectataire d'une imposition, dans la fixation des modalités de celle-ci, à condition toutefois que cette marge de man_uvre soit délimitée par la loi, notamment par la fixation de taux-plafonds, ce qui n'est pas le cas actuellement pour les redevances des agences.

C'est la conscience de cet état de fait qui a « justifié », lors de la loi sur l'eau de 1992, la non modification du régime des redevances : le Conseil constitutionnel ne peut être saisi des lois adoptées qu'avant leur promulgation ; la constitutionnalité d'une disposition promulguée est donc « acquise », qu'elle ait en son temps été ou non soumise au juge constitutionnel, tant que les lois ultérieures, en la modifiant, ne donnent pas l'occasion d'un contrôle de constitutionnalité.

Cependant, il apparaît de plus en plus difficile, aujourd'hui, de tenir la position de 1992, et ce pour trois raisons.

Tout d'abord, sur le fond, les critiques adressées aux agences sur le thème du « juste retour », de la dérive mutualiste, montrent bien la pertinence de la norme constitutionnelle : s'il est vrai que les redevances des agences, en échappant au législateur, ont eu tendance à évoluer vers une logique de prélèvements avec contrepartie, de prélèvements ouvrant droit à subventions, cela illustre bien la sagesse du principe qui veut qu'il appartienne au seul Parlement d'établir les prélèvements sans contrepartie directe, la tendance à instituer de telles contreparties étant avérée lorsque le législateur abdique sa compétence.

Ensuite, il faut bien voir que l'impossibilité de modifier un dispositif juridique, comme c'est donc le cas de l'article 14 de la loi de 1964 tant que l'on ne veut pas reconnaître le rôle légitime du Parlement, est en elle-même un facteur de fragilité pour ce dispositif : au fur et à mesure qu'il vieillit, un régime de prélèvements obligatoires est forcément attaqué par des catégories d'assujettis, qui peuvent obtenir gain de cause devant les juridictions. Si ces jugements, même fondés en droit, apparaissent inopportuns au législateur, la solution est alors de rectifier le dispositif légal, auquel les juridictions doivent se conformer ; c'est impossible s'agissant des redevances. Cette fragilité, due à l'immutabilité du dispositif, est illustrée, selon la Cour des comptes, par les difficultés connues par les agences pour appliquer des majorations de retard, les insuffisances ou les incertitudes juridiques attachées à leurs procédures de recouvrement forcé et d'imposition d'office, ou encore par l'échec, au début des années 1990, de la tentative par trois agences d'établissement d'une redevance sur les extractions de granulats alluvionnaires au titre de la modification du régime des eaux entraînée par leur activité : ceux-ci ont obtenu gain de cause devant le Conseil d'État (11) et les choses en sont restées là.

Enfin, la thèse même selon laquelle la constitutionnalité de la loi de 1964 ne saurait être remise en cause tant qu'on ne la modifie pas devient sans doute de plus en plus incertaine. La constitutionnalité des lois ne peut aujourd'hui être contestée qu'avant promulgation, mais il n'est pas exclu qu'un jour ou l'autre une forme de recours en exception d'inconstitutionnalité contre des lois en vigueur ne se développe dans notre pays. On se souvient qu'une révision constitutionnelle en ce sens a déjà été proposée. Une telle évolution pourrait également résulter d'une construction prétorienne des hautes juridictions civiles et administratives : celles-ci ont bien fini par estimer, non sans hésitations, que l'application de la loi nationale devait être écartée lorsqu'elle était contraire à la norme internationale (généralement communautaire), dont la Constitution reconnaît la supériorité ; pourquoi pas, à terme, dans les mêmes conditions, une exception d'inconstitutionnalité ? L'évolution récente de la jurisprudence du Conseil constitutionnel est à cet égard intéressante : en admettant depuis 1985 (12) la contestation ultérieure d'une loi promulguée « à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine », puis en déclarant effectivement, pour la première fois cette année (13), contraires à la Constitution des articles d'une loi en vigueur, n'a-t-il pas, d'une certaine façon, « invité » le Conseil d'État ou la Cour de Cassation à en tirer les conséquences, sachant que, par définition, la constatation par le Conseil de l'inconstitutionnalité d'une loi promulguée est en elle-même inopérante, puisqu'il n'est saisi des lois qu'avant promulgation ?

Ces réflexions amènent votre Rapporteur à évoquer un autre problème de conformité constitutionnelle, plus mineur et connexe, dans le fonctionnement actuel des agences : celles-ci, depuis deux ans, ont, comme on l'a vu, mis en commun une petite partie de leurs moyens, pour financer des actions d'intérêt national, sous forme de fonds de concours au profit du budget de l'Environnement. Or, dès lors qu'il est clair que les ressources des agences ont, pour l'essentiel (les redevances), un caractère fiscal, une telle procédure est discutable au regard des prescriptions de l'article 19 de l'ordonnance organique relative aux lois de finances du 2 janvier 1959, dont le deuxième alinéa définit comme suit les fonds de concours : « les fonds versés par des personnes morales ou physiques pour concourir avec ceux de l'État à des dépenses d'intérêt public, ainsi que les produits de legs et donations attribués à l'État ou à diverses administrations publiques, sont directement portés en recettes au budget. Un crédit supplémentaire de même montant est ouvert par arrêté du ministre des finances au ministre intéressé. L'emploi des fonds doit être conforme à l'intention de la partie versante ou du donateur. Des décrets pris sur le rapport du ministre des finances peuvent assimiler le produit de certaines recettes de caractère non fiscal à des fonds de concours pour dépenses d'intérêt public. ». On voit que tout dépend de l'interprétation que l'on a du fonds de concours des agences : soit l'on se contente d'y voir des fonds versés par des personnes morales pour concourir à des dépenses d'intérêt public de l'État, selon les termes mêmes de l'ordonnance de 1959 ; soit, allant plus loin, on observe qu'ils proviennent d'une ressource fiscale et l'on s'attache à la prohibition de l'assimilation des ressources fiscales à un fonds de concours. Il faut bien comprendre que cette dernière règle est elle aussi une application du principe général de consentement à l'impôt, qui s'étend à l'affectation de celui-ci : c'est au Parlement, et non à tel ou tel organisme affectataire, de décider d'une réaffectation partielle d'un produit fiscal.

Depuis plusieurs années, votre commission des Finances s'attache à obtenir la réintégration au budget général de divers prélèvements extra-budgétaires, assimilés ou non à des fonds de concours, sur les recettes fiscales de l'État. Le Conseil constitutionnel a vivement appuyé cette démarche, dans sa décision sur la loi de finances pour 1998 (14). Le raisonnement peut certes être différent dans le cas de recettes fiscales affectées à des établissements publics ; il paraît cependant souhaitable que la réforme envisagée de la politique de l'eau soit l'occasion d'améliorer la transparence des flux financiers et de renforcer le rôle du Parlement, en privilégiant, s'il est décidé d'institutionnaliser une forme de mise en commun de certains moyens des agences de l'eau, la voie du compte spécial du Trésor, adopté annuellement par le Parlement sur la base des documents budgétaires, plutôt que celle, plus obscure, du fonds de concours.

II.- LES AGRICULTEURS ET LES POLLUTIONS DES EAUX :
UNE SITUATION À PART

La loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 affirme dans son article premier la multifonctionnalité de l'agriculture : celle-ci a notamment une fonction « environnementale » dans un objectif de « développement durable ». Cette reconnaissance constituait une nécessité : s'agissant en particulier des pollutions des eaux, force est de constater les retards pris dans la maîtrise de celles qui sont d'origine agricole. Les résistances du monde agricole à son entrée dans le dispositif des agences de bassin n'y sont sans doute pas étrangères. Cependant, la fonction « environnementale » de l'agriculture doit aussi être appréhendée de manière positive : l'agriculture contribue également à l'amélioration de l'environnement et ce rôle doit être reconnu.

Une politique efficace en termes d'amélioration de l'environnement agricole repose vraisemblablement sur le couplage d'une pénalisation des comportements polluants et d'une rémunération accrue des contributions positives de l'agriculture à l'environnement.

La persistance des pollutions d'origine agricole implique vraisemblablement, en contrepartie d'ailleurs des programmes d'aide qui peuvent être prévus, l'instauration de prélèvement nouveaux et dissuasifs. Toutefois, au delà, c'est tout le système actuel des soutiens à l'agriculture qui pourrait évoluer pour mieux prendre en compte la dimension environnementale de l'agriculture, jusqu'à présent négligée, et ce aussi bien dans un sens dissuasif (écoconditionnalité : instauration de conditions environnementales à l'application des aides existantes) qu'incitatif (développement des dispositifs favorisant spécifiquement les pratiques agricoles les plus bénéfiques à l'environnement).

A.- LE MONDE AGRICOLE A SU RESTER HORS DU DISPOSITIF DES AGENCES DE L'EAU, TOUT EN BÉNÉFICIANT DE PROGRAMMES PUBLICS

Parallèlement à une contribution croissante et non maîtrisée à la pollution des eaux, le monde agricole se caractérise par une entrée retardée dans le dispositif des agences de l'eau, du moins en ce qui concerne l'assujettissement aux redevances. Cependant, il a pu bénéficier d'aides publiques importantes pour la dépollution des élevages, tandis que des initiatives professionnelles et des dispositifs publics se développaient progressivement en ce qui concerne les autres pollutions agricoles.

1.- LA FAIBLE PARTICIPATION DU MONDE AGRICOLE AU FINANCEMENT DES AGENCES DE L'EAU

En 1997, d'après le rapport de gestion sur les agences de l'eau annexé au projet de loi de finances pour 1999, la contribution de l'agriculture aux agences à travers les redevances se serait élevée à 76 millions de francs, soit 0,8 % des 9.877 millions de francs globalement collectés, alors que l'agriculture aurait bénéficié de 2 % des aides distribuées par les agences (188 millions de francs sur près de 10 milliards de francs).

Une analyse plus détaillée montre en effet que les agriculteurs sont assujettis aux redevances « prélèvement » dans des conditions favorables, d'une part du fait du recensement insuffisant des prélèvements d'eau à usage agricole, d'autre part du fait de taux de redevances faibles : selon un document récemment publié par le conseil d'analyse économique auprès du Premier ministre (« Fiscalité environnementale », journées d'études du 21 et 22 janvier 1999), les redevances prélèvement des agriculteurs seraient en moyenne 15 fois inférieures à celles acquittées par les collectivités locales ; globalement, dans le cadre du VIIème programme des agences de l'eau, le monde agricole ne fournirait que 3,1 % du montant global des redevances « prélèvement », alors qu'il serait à l'origine de 12 % de l'ensemble des prélèvements d'eau.

Quant aux redevances « pollution » des agences, le monde agricole y échappe presqu'entièrement : il aurait contribué à hauteur de 357.000 francs en 1997 sur plus de 8 milliards de francs de redevances « pollution » appelées par les agences. En effet, la redevance pollution ne s'applique, en agriculture, qu'aux seuls élevages de grande taille, dans des conditions dérogatoires, depuis peu, et selon le « principe non pollueur-non payeur » : en contrepartie des aides distribuées pour la mise aux normes des bâtiments d'élevage dans le cadre du programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA), il a été décidé d'assujettir progressivement les élevages au-dessus d'un certain seuil de pollution et sous réserve de la déduction d'une « prime d'épuration » ; cet assujettissement doit être progressif, la redevance n'étant appelée à 100 % qu'en 2003 ; en outre, un moratoire sur ce dispositif pourtant progressif a été régulièrement renouvelé jusqu'en 1998...

Le « principe non pollueur-non payeur », qui conduit à exonérer de redevance pollution les élevages « mis aux normes », est en lui-même très discutable. Il n'existe d'ailleurs qu'en agriculture : les industriels respectant la réglementation, et donc « aux normes », n'en sont pas moins assujettis à des redevances pollution, comme les consommateurs privés, même si leurs rejets sont épurés dans les règles ... En ce qui concerne plus précisément les éleveurs, ce principe n'a pas de justification tant que l'ensemble du monde agricole n'est pas soumis aux redevances pollution. En effet, il s'agit de dire qu'un éleveur « aux normes », dont la totalité des effluents d'élevage est recueillie et conservée en vue d'un épandage raisonné (les travaux prescrits par le PMPOA visent principalement au développement de capacités de recueil et de stockage des effluents), ne pollue pas puisque la totalité de l'azote entrant dans son exploitation (sous forme d'aliments pour le bétail) en ressort (sous forme de viande et d'effluents vendus à un cultivateur) et n'est donc pas déversée dans le sol et les eaux. Soit. Mais ce raisonnement ne vaudrait que s'il existait un suivi sérieux de l'épandage, ce qui n'est apparemment pas le cas dans le PMPOA actuel, et une pénalisation financière éventuelle des épandages excessifs ou inadaptés (donc dépassant les capacités d'absorption de l'azote par la végétation), ce qui n'est pas le cas en l'absence d'assujettissement des cultivateurs aux redevances pollution ; dans les zones d'excédent structurel, qui se définissent par l'excès d'offre d'effluents par rapport aux capacités d'absorption de la végétation, une telle pénalisation financière jouerait inévitablement si elle existait et, bien qu'à la charge des cultivateurs, se reporterait partiellement sur les éleveurs (le prix - positif ou négatif - des engrais animaux étant affecté). L'assujettissement de principe des seuls éleveurs aux redevances pollution constitue donc un moyen de laisser en fait l'ensemble du monde agricole hors du champ de ces redevances.

2.- LA DÉRIVE DU « PROGRAMME DE MAÎTRISE DES POLLUTIONS D'ORIGINE AGRICOLE »

Le PMPOA a été lancé en 1993 afin d'assurer la « mise aux normes » (en les intégrant dans la réglementation des installations classées) des élevages, en commençant par les plus importants, en leur apportant des financements publics. La clef de financement retenue a été la suivante : un tiers des travaux resterait à la charge des éleveurs, un tiers serait financé par les agences de bassin, le dernier à parité par l'État et les collectivités territoriales. La contrepartie théorique des aides accordées résidait dans l'intégration des éleveurs au système des redevances des agences de bassin, intégration théorique puisqu'effectuée selon le « principe non-pollueur-non payeur » évoqué plus haut. Le coût global initial du programme était évalué à 7 milliards de francs pour environ 70.000 exploitations concernées. L'intégration des élevages était effectuée progressivement, en commençant par les plus gros.

Cependant, la réalisation du programme s'est, à ses débuts, caractérisée par l'accumulation de retards par rapport aux prévisions initiales, tandis que l'évaluation des coûts globaux explosait. Les causes suivantes sont invoquées pour expliquer ces retards :

- il a fallu intégrer ce dispositif dans des contrats de plan État-régions (1994-1998) déjà élaborés, et la préparation des conventions financières avec les collectivités territoriales a exigé du temps ;

- la mise au point des modalités de réalisation des études préalables, la formation des techniciens (1.000 ont été formés pour ces études), l'organisation des guichets uniques départementaux, la coordination entre les partenaires financiers et l'instruction des premiers dossiers ont demandé du temps ;

- dans les zones d'excédents structurels, la mise au point des programmes de résorption de ces excédents et des plans d'épandage des effluents a été une cause de délais pour l'instruction de certains dossiers.

Toujours est-il qu'après un démarrage lent, le PMPOA ne concerne encore, en 1998, qu'un nombre relativement limité d'éleveurs, du moins si l'on compte ceux qui ont engagé effectivement les travaux.

ÉTAT D'AVANCEMENT DU PMPOA

Nombre de projets financés

1994

1995

1996

1997

1998

Total

Études

3.236

7.403

8.407

7.659

6.991

33.696

Travaux

19

820

2.708

4.468

6.229

14.244

Source : ministère de l'Agriculture et de la Pêche.

ENGAGEMENTS DE CRÉDITS

(Autorisations de programmes engagées fin 1998)

(en millions de francs)

 
 

État

FEOGA

Conseils

Conseils

Totaux

 

Budget de l'Agriculture

FNDAE

 

régionaux

généraux

 

Études

99,2

0,7

4,3

-

-

104,1

Travaux

386,9

223,7

85

388,7

223,8

1.308

Total

486,1

224,3

89,3

388,7

223,8

1.412,2

Source : ministère de l'Agriculture et de la Pêche.

 

L'engagement d'1,4 milliard de francs de crédits publics (hors agences) fin 1998 correspond à un montant global de dépenses de l'ordre de 4,2 milliards de francs jusqu'à présent dans le cadre du PMPOA.

Les retards de mise en _uvre du dispositif ont conduit les pouvoirs publics à accepter un premier décalage d'un an dans l'intégration obligatoire au programme, progressive selon leur taille, des élevages.

Par ailleurs, il est apparu que l'évaluation initiale des coûts pêchait gravement par optimisme. L'analyse des travaux d'ores et déjà effectués, il est vrai sur les plus gros élevages par définition, montre une dépense moyenne d'environ 300.000 francs. En outre, le taux de réponse des exploitants a été beaucoup plus élevé que prévu. Le coût global du programme a donc été réévalué, dès 1996, à 12 milliards de francs, montant qui apparaît aujourd'hui dépassé - on évoque 15 à 19 milliards de francs ; cette réévaluation a justifié un allongement du programme, l'échéancier d'intégration des élevages étant prolongé de trois ans (1998 à 2001), en même temps qu'une augmentation des moyens budgétaires ; cette dernière a été obtenue notamment en sollicitant, en principe pour trois années seulement (1997-1999), le fonds national de développement des adductions d'eau (FNDAE) ; aujourd'hui, il apparaît qu'il serait irréaliste d'espérer un achèvement du programme actuel avant 2003-2005, voire plus tard dans certains départements.

Encore se pose-t-il la question des petits et moyens éleveurs qui, en l'état actuel du dispositif, n'y seront pas intégrés, même en 2001 (l'intégration signifiant l'obligation de mise aux normes et, en corollaire, l'accès aux subventions) : ces 346.000 petits et moyens éleveurs représenteraient près de la moitié de la « production » d'azote due aux effluents d'élevage, le reste étant imputable aux 70.000 éleveurs à terme intégrés dans le PMPOA. Au regard des objectifs de dépollution, et aussi en termes d'équité, est-il légitime de les laisser hors du dispositif ? Leur intégration doublerait le coût global de l'affaire. La mise aux normes des bâtiments d'élevage atteindrait le coût effarant de 40 milliards de francs. Qui paiera une telle somme ? Pour le moment, l'intégration des petits et moyens éleveurs est plus ou moins actée dans le cadre du programme qui prendra la suite de l'actuel ; les organisations agricoles revendiquent un accès au PMPOA dès maintenant pour ceux qui le souhaitent.

Le « retard à l'allumage » du PMPOA illustre sans doute la difficulté de mise en _uvre des politiques associant plusieurs catégories de collectivités publiques.

Quant à la dérive de ses coûts, elle conduit à une interrogation centrale sur la pertinence d'un programme aussi coûteux : au regard des crises régulières connues par certaines branches de l'élevage, on peut se demander s'il convenait de conforter, à si grand prix, les élevages les plus gros (qui ont bénéficié les premiers du PMPOA) et s'il n'eût pas été plus opportun de consacrer ces moyens à réorienter certaines productions...

Enfin, les conditions du financement public du PMPOA sont indéfendables : on peut admettre que les pouvoirs publics, comme ils l'ont fait pour d'autres secteurs, subventionnent ce type d'investissements imposés par la réglementation et en eux-mêmes dépourvus de retour financier direct (en pratique, cependant, les travaux de mise aux normes ont été l'occasion pour nombre d'éleveurs de moderniser globalement leur exploitation) ; cela justifie les concours de l'État ou des collectivités locales. En revanche, dès lors que les agriculteurs continuent à rester de fait hors du dispositif des agences de l'eau grâce à la règle « non pollueur-non payeur », on voit mal pourquoi il reviendrait à celles-ci, c'est-à-dire à l'ensemble des consommateurs d'eau payeurs de redevances, de contribuer au PMPOA. Le même raisonnement vaut pour le FNDAE. Le PMPOA, quelque part, repose, selon la formule d'un interlocuteur de votre Rapporteur, sur le principe « pollué-payeur » et non « pollueur-payeur » ...

3.- UNE MOBILISATION PROGRESSIVE AUTOUR DES « BONNES PRATIQUES AGRICOLES »

Il faut bien admettre que longtemps durant, la relation entre l'agriculture et l'environnement a été vécue sur un mode presqu'exclusivement conflictuel. Cependant, depuis quelques années, un nombre croissant d'agriculteurs est conscient de la nécessité de prendre en compte la dimension environnementale de leur activité. Cette évolution récente a amené une mobilisation des organismes professionnels autour des questions d'environnement.

Selon une enquête récente de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), les moyens globalement consacrés par an par les chambres d'agriculture aux problèmes d'environnement pourraient désormais être de l'ordre de 380 millions de francs ; on rappellera que les chambres sont financées par les cotisations de leurs ressortissants.

Cet effort significatif apparaît très récent : à titre d'exemple, l'effectif moyen des salariés d'une chambre départementale d'agriculture qui se consacreraient aux questions d'environnement serait passé de 3,2 à 12 ingénieurs et techniciens de 1993 à 1998.

La répartition de ces moyens humains montre une prééminence, dans les actions à objet « environnemental » des chambres, de celles qui concernent plus ou moins directement l'eau : bonnes pratiques en matière d'engrais, de produits phytosanitaires, d'effluents d'élevage, protection des périmètres de captages d'eau...

On peut également évoquer les programmes spécifiques initiés depuis quelques années. Ces actions, concertées entre les administrations et les organisations agricoles, sont cofinancées par les différents partenaires : agriculteurs, à travers les chambres d'agriculture et l'Association nationale pour le développement agricole (ANDA - financée par des taxes parafiscales sur les productions agricoles) ; ministères de l'Agriculture et de l'Environnement ; collectivités locales, agences de l'eau, industriels... L'incidence relativement limitée de ces programmes tient, selon les responsables agricoles, à leur caractère expérimental et démonstratif (à ce titre, leur influence réelle peut d'ailleurs dépasser le champ des agriculteurs « officiellement » engagés).

· Ferti-mieux

L'opération Ferti-mieux est la plus ancienne puisqu'elle a été lancée en 1991 par l'ANDA. Son objectif est la diminution des risques de pollution des eaux par les nitrates en s'appuyant sur un changement volontaire des pratiques agricoles.

Ferti-mieux repose sur des actions locales faisant l'objet d'une labellisation attribuée par un comité de pilotage après avis d'un comité scientifique et technique. Ces actions, au nombre de 56 (janvier 1999), couvrent environ 1,7 million d'hectares, soit près de 6 % de la SAU, et concernent 29.400 agriculteurs dans 44 départements.

D'après le ministère de l'Agriculture, les moyens financiers engagés annuellement au niveau national sont les suivants :

- ANDA : 1,6 à 2 millions de francs,

- CETIOM (Centre technique interprofessionnel des oléagineux métropolitains) : 0,15 million de francs,

- ministère de l'Agriculture : 0,1 million de francs,

- ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement : 0,4 million de francs.

Au niveau local, le budget moyen annuel d'une action Ferti-Mieux est estimé à 0,58 million de francs, en provenance de :

- chambres d'agriculture : 32%,

- ANDA : 10 %,

- agences de l'eau : 23 %,

- conseils généraux : 10 %,

- conseils régionaux : 9 %,

- distributeurs d'eau et collectivités locales : 5 %,

- autres : 11 %

Étant la plus anciennement lancée, cette opération est celle pour laquelle on dispose d'évaluations de résultats les plus avancées. Cependant, si l'amélioration des pratiques agricoles peut être observée, du moins selon un document de l'ANDA (15), il y est reconnu que l'effet sur la qualité de l'eau est plus incertain : il est ainsi indiqué que les évolutions positives constatées sur certains sites relèvent de différents facteurs, Ferti-mieux n'en étant qu'un ; il faut également tenir compte de l'inertie de la réponse, un délai séparant une moindre et meilleure utilisation des engrais d'une amélioration de la qualité de l'eau ; une mesure précise des effets de Ferti-mieux, exigeant de gros moyens, ne peut être menée que sur un nombre limité de sites. Une étude consacrée par l'agence Rhin-Meuse (16) à deux sites Ferti-mieux souligne qu'il a fallu six ans d'efforts pour obtenir une réelle amélioration de la qualité des eaux, malgré des conditions particulièrement favorables (petit nombre d'agriculteurs concernés par ces opérations très locales, ce qui a permis de s'assurer du respect par tous des conseils donnés ; présence d'incitations complémentaires dans le cadre des « mesures agri-environnementales » ; assolements favorables...).

Selon les industriels producteurs d'engrais, l'efficacité des actions engagées depuis une décennie en vue d'une fertilisation raisonnée se lirait dans le décrochage que l'on constaterait depuis 1990 entre les productions de céréales et d'oléagineux (principales à être concernées par les engrais azotés), qui continuent à croître rapidement, et la consommation d'engrais azotés, dont la croissance continue mais est ralentie (voir document reproduit en annexe, page 125).

· Farre

L'action du « Forum de l'agriculture raisonnée respectueuse de l'environnement » remonte seulement à 1998 et ne concerne donc encore que 230 exploitations.

· Irri-mieux

Cette opération a vu le jour en 1997. Elle a pour objectif de promouvoir une gestion globale et équilibrée de la ressource en eau et s'appuie sur des actions locales pour assurer une meilleure maîtrise de l'utilisation de l'eau en associant l'ensemble des partenaires concernés.

La quinzaine de projets locaux qui ont été présentés fait apparaître une grande diversité de préoccupations. Huit de ces projets ont pu recevoir le label « Irri-mieux » ; ils concernent plus de 2.000 irriguants et une surface irriguée d'environ 125.000 hectares. Différentes études ont en outre été réalisées.

Les moyens financiers « centraux » engagés en 1998 se sont élevés à 2,5 millions de francs, provenant :

- pour 1,5 million de francs de l'ANDA,

- pour 0,5 million de francs du ministère de l'Agriculture,

- pour 0,5 million de francs de celui de l'Environnement.

S'y ajoutent des financements locaux.

· Phyto-mieux

L'opération Phyto-mieux a également été lancée en 1997, afin de sensibiliser les agriculteurs au bon usage des produits phytosanitaires, notamment en diffusant des messages cohérents concertés entre les différents partenaires de l'action.

Le budget 1999 est de l'ordre de 0,8 million de francs, en provenance notamment de l'ANDA et des industriels de l'UIPP (Union des industries de protection des plantes).

· Pic-Agri

Cette association a été créée par les organisations professionnelles agricoles en partenariat avec le secteur industriel des producteurs et des distributeurs de phytosanitaires. Elle a pour objectif de rationaliser l'utilisation de ces produits par les agriculteurs et a bénéficié en 1998 d'une subvention de 0,5 million de francs du ministère de l'Agriculture.

4.- UN PROGRAMME PUBLIC À L'INCIDENCE RELATIVEMENT LIMITÉE : LES MESURES AGRI-ENVIRONNEMENTALES

La réforme de la politique agricole commune (PAC) décidée en 1992 comportait des « mesures d'accompagnement » à cofinancer entre les États membres et l'Union européenne. Les « mesures agri-environnementales » relèvent de ce cadre. La France a principalement inscrit dans cette politique la prime au maintien des systèmes d'élevage extensif, dite « prime à l'herbe » : ce dispositif, dont l'incidence est considérable (en 1997, près de 100.000 bénéficiaires, plus de 5 millions d'hectares primés pour une dépense annuelle d'1,3 milliard de francs), a pour objet de favoriser l'élevage extensif, l'attribution de la prime étant conditionnée au respect d'un faible chargement à l'hectare. Les conséquences environnementales d'une telle mesure sont claires y compris en matière de gestion des eaux : la limitation du chargement à l'hectare limite aussi les effluents d'élevage ; plus généralement, la préservation de l'élevage extensif traditionnel de montagne a des répercussions importantes, sur lesquelles on reviendra, sur les eaux d'aval. Toutefois, on doit admettre que la prime à l'herbe répond encore plus directement à des objectifs d'ordre différent : occupation équilibrée du territoire, maintien de l'emploi agricole...

Des dispositifs plus spécifiquement « environnementaux » ont été également élaborés dans le cadre de la même réglementation communautaire. Les objectifs visés peuvent être en rapport direct avec la lutte entre la pollution des eaux (périmètres de protection des captages, réduction des intrants) ; d'autres types d'actions, de nature différente, ont aussi des incidences manifestement très positives sur la qualité des eaux : il en est ainsi des conversions à l'agriculture biologique, qui visent d'abord à répondre à une attente des consommateurs, mais impliquent naturellement l'abandon des engrais et produits phytosanitaires.

Cependant, force est de constater l'incidence limitée de ces politiques (en termes financiers ou en termes de superficies couvertes : moins de 3 % de la SAU), qui apparaît bien sur le tableau ci-dessous même si on observe également une accélération significative en fin de période, surtout en matière de conversion à l'agriculture biologique.

MESURES AGRI-ENVIRONNEMENTALES :
CONTRATS SOUSCRITS (DÉCISIONS PRÉFECTORALES)

 

Depuis l'origine jusqu'au 31/12/98

En 1998

Mesures

Nombre de contrats

Quantité (hectares ou UGB)

Montant total
(en francs)

Nombre de contrats

Quantité (hectares ou UGB)

Montant total
(en francs)

Retrait à long terme pour la
protection des eaux (hectares)

37

132

461.590

12

19

95.188

Reconverstion
des terres arables (hectares)

3.276

18.996

36.304.490

850

6.505

9.186.560

Réduction des intrants (hectares)

2.627

60.220

59.344.071

206

2.114

3.622.485

Conversion à l'agriculture
biologique (hectares)

4.362

134.485

132.307.211

2.353

80.592

88.066.443

Diminution du chargement
de cheptel (UGB)

1.273

22.928

33.698.144

40

340

1.353.757

Protection des races
menacées (UGB)

5.778

36.215

23.405.984

1.089

9.203

5.598.707

Retrait à long terme
gestion faune/flore (hectares)

74

286

780.878

10

34

87.488

Opérations locales
APR (hectares)

34.753

670.581

323.766.462

6.558

118.978

63.672.421

Total

52.180

 

610.068.830

11.118

 

171.683.049

Note : UGB, unité de gros bétail.

Source : rapport d'activité 1998, Cnasea.

B.- LA CONTRIBUTION POSITIVE DES AGRICULTEURS À L'ENVIRONNEMENT NE RESTE QUE PARTIELLEMENT RECONNUE

Il est évident que l'activité agricole contribue de façon très importante à la préservation de notre environnement ; ce rôle est trop souvent méconnu, comme le montre le caractère limité des incitations financières positives aux bonnes pratiques agricoles, déjà évoqué.

De manière générale, les agriculteurs contribuent à la préservation de l'environnement de tous en étant les « jardiniers du paysage ». Il suffit, pour s'en convaincre, d'observer les champs abandonnés où l'ortie et la ronce remplacent les anciennes cultures, font disparaître les chemins et rendent le paysage hostile à l'homme. Il n'est pas de plus grande désolation que les hameaux désertés, les fermes délaissées, les maisons éventrées.

L'homme cultivant, maîtrisant et humanisant la nature remplit un rôle vital, d'intérêt général et ce rôle est trop souvent méconnu. S'agissant plus spécifiquement, sur ce point, des incidences sur les ressources en eau, il est clair en particulier que le maintien d'une agriculture herbagère « traditionnelle » de montagne représente des enjeux considérables : le défaut d'entretien lié à la déprise agricole est souvent invoqué comme facteur aggravant de certaines crues ; dans l'autre sens, une reforestation naturelle massive consécutive à cette déprise entraînerait vraisemblablement l'assèchement de nombreux cours d'eau en aval...

En tant que « producteurs de biomasse » qui absorbe le gaz carbonique, les agriculteurs participent aussi à la lutte contre l'effet de serre. Ils peuvent également, plus spécifiquement, être à l'origine d'énergies renouvelables, cette dimension étant d'ailleurs, à la différence d'autres, reconnue en tant que telle à travers la fiscalité dérogatoire des « biocarburants ».

Enfin, l'agriculture subit bien évidemment les contrecoups du développement industriel et urbain et peut être sollicitée pour en prendre en charge les incidences environnementales ; à titre d'exemple, dans le domaine de l'eau, on peut citer l'épandage des boues d'épuration sur les terres agricoles, qui constitue aujourd'hui un sujet difficile : la « production » de ces boues a augmenté de 55 % de 1987 à 1996, année où 60 % d'entre elles ont fait l'objet d'un épandage agricole, solution de traitement la moins onéreuse ; on sait que le dossier, actuellement en débat, est explosif puisque :

- la « production » de boues augmente rapidement ;

- la mise en décharge des boues sera interdite à partir de 2002, ne laissant le choix qu'entre l'épandage agricole et la coûteuse incinération ;

- de nombreux agriculteurs sont amenés à refuser l'épandage, notamment à cause des exigences inscrites dans les démarches qualité collectives (labels, AOC) ou les contrats avec les acheteurs industriels...

Ces exemples illustrent les incidences positives, qu'on ne saurait sous-estimer, de l'agriculture dans la gestion de l'eau. Si la dimension « négative » de l'agriculture dans cette gestion doit être pénalisée financièrement, cette dimension « positive » devra également être mieux reconnue. Au-delà de l'absence de pénalisation actuelle des pratiques agricoles néfastes à l'environnement, ce qui frappe, c'est la non reconnaissance de celles qui y sont bénéfiques, et, plus globalement, le caractère contre-productif, en matière d'environnement, de l'ensemble du dispositif public des soutiens à l'agriculture.

Le caractère limité, aujourd'hui, des rémunérations spécifiques de la fonction environnementale de l'agriculture, qui transparaît dans les données chiffrées qui seront développées infra, résulte en partie de la difficulté à mesurer, en termes financiers, les externalités positives de l'agriculture sur l'environnement ; la fonction « paysagère » ne peut ainsi être évaluée que par des voies subjectives ou indirectes : sondages sur le « consentement à payer » de la population, analyses sur les écarts de prix de certaines prestations (hôtels, immobilier) selon la qualité des paysages environnants...

Cependant, l'association de la pénalisation des pratiques polluantes et de la rémunération des bonnes pratiques est inévitable si l'on veut à la fois améliorer l'environnement agricole tout en gardant la maîtrise des transferts financiers nets entre la collectivité et l'agriculture. Selon les économistes  (17), l'équilibre taxe/subvention doit être déterminé par la comparaison entre l'état actuel de l'environnement agricole et un « état de référence » de l'environnement que l'agriculture devrait atteindre à ses propres coûts (sans taxes ni subventions). Plus vraisemblablement, la définition de cet équilibre dépendra-t-elle de choix politiques et de l'analyse de la situation économique de la branche agriculture... L'ampleur des concours publics à l'agriculture qui existent déjà conduit à penser que la variable « subvention » du couple pourrait reposer plus sur la réorientation des aides existantes que sur une nouvelle augmentation de celles-ci.

C.- LA STRUCTURE DES CONCOURS PUBLICS À L'AGRICULTURE NE FAVORISE PAS LE RESPECT DE L'ENVIRONNEMENT

La masse que représentent désormais les flux financiers publics en faveur de l'agriculture est sans commune mesure avec ce que pourrait être une taxation dissuasive de certains intrants agricoles (engrais, produits phytosanitaires) ; or, la structure de ces concours publics n'est pas orientée vers une politique de protection de l'environnement, loin de là. La réorientation des dispositifs de soutien à l'agriculture constitue donc un instrument nécessaire et inéluctable de l'affirmation de la fonction environnementale de l'agriculture.

1.- LE POIDS DES CONCOURS PUBLICS À L'AGRICULTURE

La décomposition des flux financiers qui font la production agricole française apporte plusieurs enseignements.

DONNÉES SIGNIFICATIVES DES COMPTES DE L'AGRICULTURE (1998)

 

En milliards de francs

En % des livraisons

Livraisons de la branche agriculture

315,4

100

A déduire : consommations intermédiaires

147,2

47

dont :

   

- engrais

16,5

5

- protection des cultures

16,9

5

A ajouter : subventions d'exploitation

50,3

16

A déduire : intérêts d'emprunts et amortissement du capital

46

15

Revenu net agricole

122,2

39

Source : élaboré à partir des comptes prévisionnels de l'agriculture française pour 1998 (ministère de l'Agriculture).

·   Le poids des « intrants »

On peut constater que, désormais, pour 100 francs de production agricole, on a près de 50 francs de « consommations intermédiaires » et, en particulier, 10 francs d'engrais et de produits phytosanitaires. Cet état de fait rend compte de l'évolution de notre agriculture depuis plusieurs décennies.

·   Le coût élevé du capital d'exploitation

Le coût annuel du capital d'exploitation agricole, mesuré par l'amortissement des investissements et les intérêts des emprunts, ressort à 46 milliards de francs. Ce montant, rapproché de celui des intrants évoqué supra, illustre sans doute le « piège productiviste » dans lequel notre agriculture (ou plutôt une partie de celle-ci) s'est enfermée : l'accroissement de la production (qui ne signifie pas nécessairement accroissement des recettes, dans des contextes de surproduction et de baisse des prix) exige toujours plus d'intrants et d'investissements ; l'équilibre économique ne peut plus être atteint qu'à l'aide de subventions massives.

·   Le niveau des subventions

Les subventions d'exploitation (aides directes) atteignent, dans cette situation, un niveau record. Encore ne rendent-elles pas compte de tous les soutiens publics, puisqu'il faut y ajouter les aides de marché (interventions, stockage, restitutions à l'exportation) : en 1997, les « concours publics aux activités agricoles productives » financés par l'Union européenne et, dans une moindre mesure, le budget national, auraient ainsi atteint 73 milliards de francs, soit l'équivalent de 60 % du revenu agricole net français. Selon certaines estimations, si l'on ajoutait aux dépenses publiques le soutien consenti par les consommateurs en ce sens qu'ils acceptent des prix agricoles intra-communautaires protégés et supérieurs aux cours mondiaux, on atteindrait un montant global de soutien par le contribuable et le consommateur supérieur à 100 milliards de francs et donc quasi-équivalent au revenu agricole global !

Selon une analyse (18) portant sur les seules aides directes (sans prendre en compte, donc, les aides de marché), une fois la nouvelle réforme de la PAC entrée en _uvre (réforme qui comporte un nouveau basculement des aides de marché vers les aides directes), la dépendance du monde agricole vis-à-vis de ces aides directes serait telle que 46 % des exploitations agricoles françaises, détenant 60 % de la SAU (surface agricole utilisée), généreraient alors un résultat courant négatif en l'absence de celles-ci !

Le niveau des concours publics à l'agriculture apparaît donc sans commune mesure avec ce que pourrait être le rendement d'une taxation des intrants « indésirables », engrais et phytosanitaires : l'assiette étant de 33 milliards de francs (voir tableau supra), ce rendement se compterait, tout au plus, en milliards de francs. L'analyse du caractère plus ou moins « incitatif », en matière d'environnement, des plusieurs dizaines de milliards de francs de concours publics à l'agriculture est donc une nécessité.

2.- UNE STRUCTURE DES FINANCEMENTS QUI NE MET PAS L'ENVIRONNEMENT EN AVANT

La part des concours à l'agriculture productive qui se rattache d'une manière ou d'une autre à l'environnement reste faible, même si elle tend à augmenter.

L'ENVIRONNEMENT DANS LES CONCOURS À L'AGRICULTURE PRODUCTIVE

(en millions de francs)

 

1991

1993

1995

1997

Concours nets aux activités agricoles productives (État + FEOGA)

dont :

57.978

84.036

71.547

73.131

Politiques de maîtrise de l'offre

3.033

5.765

6.472

2.699

Compensation de handicaps ou de contraintes spécifiques

2.138

3.734

4.001

4.378

dont :

       

- mesures agri-environnementales (autres que prime à l'herbe)

n.d

88,7

186,7

270,5

En % du total : maîtrise de l'offre + compensation des handicaps
et des contraintes spécifiques

8,9

11,3

14,6

9,7

En % du total : mesures agri-environnementales

n.d

0,11

0,26

0,37

Source : rapports annuels annexés aux projets de loi de finances sur « les concours publics à l'agriculture ».

Le tableau ci-avant se fonde sur la nomenclature des concours publics à l'agriculture productive présente dans les rapports annexés annuellement par le Gouvernement au projet de loi de finances. Deux des rubriques qui y sont distinguées recouvrent des dispositifs susceptibles d'avoir une incidence positive sur l'environnement : les « compensations de handicaps ou de contraintes spécifiques », qui comprennent notamment les mesures agri-environnementales et la prime à l'herbe évoquées supra, mais aussi les indemnités compensatoires accordées à l'agriculture des zones défavorisées et de montagne (dont le maintien est important pour les gestion des eaux) ; les politiques de « maîtrise de l'offre » - primes à la cessation laitière, à l'arrachage des vignes, compensation de la jachère obligatoire -, qui ont un objectif fondamentalement économique (résorber les surproductions), mais concourent de fait à la désintensification et donc à la limitation des intrants.

On peut l'observer, ces politiques qui visent plus ou moins indirectement l'environnement ou du moins peuvent lui être bénéfiques, représentent seulement, en général, de 10 à 15 % de la masse des concours à l'agriculture (les variations s'expliquant surtout par celle du taux de jachère obligatoire). Quant aux mesures agri-environnementales stricto sensu, leur poids, bien qu'en augmentation, reste marginal (0,37 % en 1997).

Or, la masse des autres concours à l'agriculture correspond à des régimes d'aides peu susceptibles d'avoir un effet favorable sur l'environnement, soit qu'il s'agisse d'aides de marché destinées à garantir le prix des productions excédentaires, soit qu'il s'agisse de paiements compensatoires d'autant plus élevés que les rendements de référence le sont, soit qu'il s'agisse enfin d'aides à l'investissement. Certains dispositifs, comme l'existence de paiements spécifiques (plus élevés) pour les zones de maïs irrigué, posent de toute évidence problème au regard de la gestion de l'eau (la superficie de maïs irrigué a plus que doublé depuis 1975 et cette évolution est la principale cause de l'évolution globale des surfaces irriguées).

3.- LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉORIENTATION DES SOUTIENS

La réforme de la PAC menée en 1992, en substituant partiellement aux aides de marché (prix garantis, restitutions à l'exportation) des paiements directs déterminés non par la production effective mais par des références forfaitaires (têtes de bétail) et/ou « historiques » (surfaces cultivées et rendements arrêtés à la moyenne d'années données), a institué un début de découplage entre soutiens publics et hausse des rendements. La nouvelle réforme qui a fait l'objet du « compromis de Berlin » et entrera en application en 2000 continue dans la même voie (baisse des prix garantis et paiements compensatoires). Il convient surtout de noter qu'elle laisse aux États membres certaines marges de man_uvre. Le Gouvernement français souhaite les utiliser dans le sens le plus favorable à l'environnement, avec le soutien de sa majorité parlementaire, qui a adopté la loi d'orientation :

· Les contrats territoriaux d'exploitation

Les contrats territoriaux d'exploitation doivent constituer le cadre des nouvelles relations contractuelles à établir entre pouvoirs publics et exploitants agricoles, afin d'intégrer en particulier les contraintes d'environnement ; les moyens annuels qui y seront consacrés atteindront dès 2000 la somme de 2 milliards de francs, ce qui est beaucoup plus que les politiques dont ils prennent la suite : actions agri-environnementales déjà présentées, fonds de gestion de l'espace rural, à l'histoire cahotique.

·   L'« éco-conditionnalité »

Actuellement, hormis bien sûr celles qui s'inscrivent dans le cadre des mesures agri-environnementales, les aides PAC ne sont pas conditionnées au respect de règles de bonnes pratiques pour l'environnement. Cela pourra être le cas à l'initiative des États membres. Dès cette année, en France, le versement des aides majorées aux cultures irriguées devrait être réservé aux agriculteurs en règle avec la police de l'eau et détenteurs d'une autorisation de prélèvement ; à partir de l'année suivante, la présence de compteurs d'eau sera exigée.

·   Le découplage des aides et des rendements

Les États membres ont une relative liberté dans la répartition des paiements compensatoires, accrues dans la PAC réformée par l'introduction de la « modulation » : à chacun de décider dans quelle mesure les différences de rendements doivent être prises en compte dans la détermination des primes à l'hectare des grandes cultures, si l'on doit accorder une aide spéciale aux cultures irriguées, s'il convient d'écrêter (« modulation ») les aides reçues par les plus grosses exploitations ... Le Gouvernement, qui a déjà modifié le plan de régionalisation des primes aux grandes cultures dans le sens d'une moindre prise en compte des écarts de rendements et propose pour l'an prochain un écrêtement des aides aux plus grosses exploitations, doit continuer dans cette voie.

Au-delà des réformes déjà engagées, ou en passe de l'être, diverses hypothèses plus ambitieuses encore, en termes de redistribution des soutiens publics, peuvent être envisagées. Il en est ainsi de la création d'une aide forfaitaire à la surface agricole qui se substituerait à une partie significative des aides directes existantes et tirerait sa justification, dans le sens des attentes de l'opinion, de la nécessité de rémunérer la fonction de gestion de l'espace rural assumée de fait par les agriculteurs ; le versement de cette aide serait naturellement conditionné au respect des normes environnementales ; pour avoir une incidence réelle, elle devrait mobiliser des crédits importants (plusieurs milliards de francs au minimum) qui ne pourraient être dégagés que par le redéploiement des grands régimes de paiements compensatoires à objectif « économique » plus qu'environnemental (aides aux grandes cultures, primes à la vache allaitante et au bovin mâle...).

La nécessaire modulation des aides publiques eu égard aux préoccupations environnementales connaîtra cependant, c'est probable, une approche différente s'agissant des deux dossiers qui intéressent plus particulièrement la gestion de l'eau : les excédents d'azote et les produits phytosanitaires. La corrélation aides publiques/problèmes environnementaux que l'on peut établir dans les deux cas est en effet très différente.

4.- UNE APPROCHE DIFFÉRENTE VIS-À-VIS DU PROBLÈME DES EXCÉDENTS D'AZOTE ET DE CELUI DES PRODUITS PHYTOSANITAIRES

·   Les excédents d'azote

La question de l'azote concerne deux catégories d'activités agricoles :

- les « grandes cultures » de céréales et d'oléagineux, que l'on fertilise ;

- l'élevage avec ses effluents, et en particulier l'élevage bovin, qui serait à l'origine de 74 % de l'azote « organique » (source : agreste-ministère de l'Agriculture), devant l'élevage porcin (10 %) et l'aviculture (7 %).

Or, il s'agit justement de spécialisations agricoles largement soutenues par la puissance publique, comme le montrent les tableaux ci-après.

RÉPARTITION PAR ORIENTATION DES CONCOURS PUBLICS AUX EXPLOITATIONS À TEMPS COMPLET (1997)

(en millions de francs)

Exploitations à temps complet

dont :

67.016

Grandes cultures

25.015

Maraîchage et fleurs

612

Viticulture

2.315

Fruits

1.178

Bovins

18.168

Autres herbivores

3.162

Hors sol

2.671

Polyculture

2.620

Mixtes

11.276

Source : ministère de l'Agriculture.

Le poids des grandes cultures et de l'élevage bovin est tout à fait caractéristique. Il est également significatif dans le graphique ci-après relatif au « taux de soutien ».

Source : « Les concours publics à l'agriculture 1993-1997 »,

ministère de l'Agriculture, octobre 1998.

Une approche cartographique confirme plutôt cette analyse. Comme le montre la carte présentée en annexe du présent rapport (page 122) et relative aux excédents d'azote, ceux-ci concernent naturellement, avant tout, les régions de grandes cultures et d'élevage intensif du nord et de l'ouest de la France. On peut rapprocher cette carte de celle consacrée à l'«intensité » des concours publics à l'hectare, également présentée en annexe (page 123).

Celle-ci, élaborée en effectuant un ratio simple entre concours publics par régions et surface agricole utilisée (SAU), donne des résultats sans surprise. L'« intensité » moyenne à l'hectare des concours publics est :

- la plus forte dans les régions de grandes cultures et de hauts rendements (Bassin parisien) ;

- plus inégale dans l'Ouest, certaines productions animales étant peu subventionnées (élevage laitier et plus encore élevage porcin et aviculture) ;

- plutôt faible dans les régions d'élevage herbager, comme le grand Massif central, le caractère extensif de cet élevage compensant le niveau plutôt élevé des soutiens à la tête du bétail (primes à la vache allaitante, à l'herbe ...) ;

- faible dans les régions de montagne (agriculture très extensive), mais aussi les régions méditerranéennes dont les productions caractéristiques (viticulture, arboriculture) ressortent avec de faibles « taux de soutien ».

Une relative corrélation intensité des soutiens/excédents d'azote peut donc être observée.

·   Les produits phytosanitaires

L'usage des produits phytosanitaires concerne quant à lui l'ensemble des productions végétales. D'après les données fournies par l'union professionnelle des industriels, la dépense annuelle en produits phytosanitaires pour la production de céréales serait de 4,5 milliards de francs, pour celle d'oléagineux, de 1 milliard de francs, pour celle de vin, de 1,8 milliard de francs. Une analyse des charges moyennes en phytosanitaires rapportées à la production par orientation d'exploitation montre aussi que l'ensemble des productions végétales sont concernées.

 

LE RAPPORT ACHAT DE PHYTOSANITAIRES/PRODUCTION PAR ORIENTATION

(Données 1996 : moyenne par exploitation)

(en milliers de francs)

Orientation

Production de l'exercice

Achats de produits phytosanitaires

% des achats de phytosanitaires par rapport à la production

Grandes cultures

652,3

76,6

11,7

Maraîchage, horticulture

970,3

26,8

2,8

Vins de qualité

992,7

43

4,3

Autre viticulture

567,7

49,4

8,7

Fruits

846,3

61,5

7,3

Bovins lait

519,3

10,1

1,9

Bovins viande

230,5

5

2,2

Bovins mixtes

534,5

15,4

2,9

Ovins, autres herbivores

290,8

4,6

1,6

Porcins, volaille

1.529,9

17,1

1,1

Mixtes

631,1

37,6

6

Ensemble

635,5

35,4

5,6

Source : élaboré à partir des résultats du Réseau d'information comptable agricole, publiés dans « Agreste, les Cahiers, août 1998, n° 31-32 ».

Le tableau ci-avant permet d'observer que les « grandes cultures » constituent l'orientation la plus concernée par l'usage des produits phytosanitaires, mais que des productions telles que la viticulture et l'arboriculture utilisent également ces produits de manière importante. Or, si l'on se reporte aux éléments fournis supra sur les « taux de soutien » par production et les montants de concours publics par orientation, on peut voir que ces productions sont peu soutenues globalement.

La mise en parallèle des pollutions agricoles et des subventions, plus ou moins valable pour ce qui est des nitrates, ne vaut donc pas pour les produits phytosanitaires, ce qui relativise un peu les réflexions sur la réorientation de ces soutiens comme instrument de maîtrise de ces pollutions.

LAISSER CETTE PAGE BLANCHE SANS NUMÉROTATION

III.- À QUOI SERVENT LES PRÉLÈVEMENTS À OBJET ENVIRONNEMENTAL ET, EN PARTICULIER, LA TAXE GÉNÉRALE SUR LES ACTIVITÉS POLLUANTES ?

Avant d'envisager concrètement les différents prélèvements nouveaux qui pourraient être instaurés sur certains produits ou certaines activités participant à la pollution des eaux, il est nécessaire de rappeler le cadre général dans lequel trouveront place ces instruments nouveaux de la politique de l'environnement, et spécifiquement la « taxe générale sur les activités polluantes » (TGAP), tout en soulignant les difficultés du passage aux cas concrets.

A.- LES INSTRUMENTS DE PÉNALISATION FINANCIÈRE : UNE PRATIQUE PLUTÔT RÉCENTE EN FRANCE

Dans la mesure où le système des redevances des agences de bassin, qui remonte à la loi de 1964, n'apparaît guère avoir fonctionné, jusqu'à présent, selon le principe pollueur-payeur, l'instauration de prélèvements obligatoires ayant pour objet spécifique de dissuader les comportements pollueurs est relativement récente dans notre pays : c'est ainsi que les cinq taxes initialement affectées à l'ADEME et regroupées depuis cette année dans la TGAP ont toutes été créées entre 1985 et 1992.

Il existe sans doute une réticence française, d'ailleurs souvent légitime, vis-à-vis du développement d'instruments financiers fondés sur la logique selon laquelle tout aurait un prix quantifiable et serait commercialisable : le concept des « droits à polluer » est ainsi perçu comme typiquement « anglo-saxon ». La même perception existe au demeurant dans bien d'autres domaines : biens culturels, analyse et le cas échéant modification des génomes, santé, etc. Il y a peut-être aussi une certaine préférence naturelle de nos administrations pour l'activité réglementaire. Toujours est-il que les politiques françaises de l'environnement reposent plutôt, traditionnellement, sur la réglementation et le contrôle, les obligations imposées dans ce cadre étant éventuellement accompagnées de subventions (les actions volontairement menées par les acteurs économiques constituant le troisième pôle traditionnel des politiques de l'environnement).

Pourtant, les instruments financiers plutôt que réglementaires peuvent être considérés comme particulièrement efficaces face à certaines pollutions, comme les pollutions diffuses. Il est clair, en effet, que les coûts et les contraintes d'application d'une réglementation (contrôles, formalités, déclarations...) grandissent avec le nombre de personnes qui y sont assujetties : appliquer une réglementation d'installation classée à quelques « gros » pollueurs ponctuels (industriels, grandes collectivités) est aisé ; l'appliquer à plusieurs centaines de milliers d'exploitants agricoles responsables de pollutions diffuses l'est moins.

La nature des pollutions est également à prendre en compte : face à des produits très toxiques - comme les dioxines - la réglementation est naturellement l'instrument efficace ; on interdit sous réserve d'une inévitable tolérance minimale. Mais il existe des produits moins toxiques et dont l'interdiction est de toute façon inimaginable, actuellement, en l'absence de solution de substitution : par exemple, les produits phytosanitaires dans leur ensemble. La dissuasion financière peut alors être utilisée. Enfin, il existe des polluants dits « indésirables » : des sels minéraux tels que les nitrates et les phosphates (résultant de l'activité agricole et présents dans les détergents) ne sont pas en eux-mêmes, à concentration raisonnable, toxiques ; ils sont d'ailleurs présents naturellement dans les milieux ; c'est leur présence en excès qui est dommageable, et moins d'ailleurs en termes de toxicité, notamment pour l'homme, qu'à cause des coûts financiers occasionnés : ils sont responsables de l'eutrophisation des eaux, qui y entraîne la prolifération d'algues et en conséquence de coûteux traitements lorsque ces eaux doivent être rendues propres à la consommation. Vis-à-vis de polluants qui sont dommageables moins en termes de toxicité directe que de coûts induits, moins en termes de présence que d'excès, l'incitation à la limitation des rejets à travers une pénalisation financière peut constituer un outil tout à fait adapté.

Une dernière réflexion sur l'opportunité des instruments financiers dans les politiques de l'environnement porte sur les coûts comparés des politiques. La tentation existe, chez certaines administrations, de voir principalement, dans les prélèvements à objet environnementaux, le versant prélèvement : de nouvelles ressources publiques... D'une certaine façon, la proposition d'affecter la TGAP à la sécurité sociale à partir de l'an prochain tend à renforcer cette perspective. De tels points de vue peuvent conduire à privilégier par principe, dans la détermination de l'assiette et des modalités des nouveaux prélèvements à objet environnemental, les solutions les plus simples et les moins coûteuses en frais de gestion et de recouvrement, même si elles apparaissent moins efficaces au regard de l'environnement et moins équitables : c'est notamment le débat entre une taxation des engrais et une taxation beaucoup plus complexe des « excédents d'azote » par exploitation agricole, sur lequel on reviendra.

Une chose doit cependant être dite d'ores et déjà, bien qu'il s'agisse d'une tautologie : les prélèvements à objet environnemental ont avant tout un objet d'amélioration de l'environnement, même s'ils fournissent aussi des ressources publiques.

En conséquence, la critique sur les coûts de recouvrement qui pourraient caractériser certains prélèvements envisagés complexes doit être nuancée en prenant également en compte, dans la balance, le coût des réglementations environnementales qui permettraient d'atteindre le même résultat pour l'environnement. Il convient de ne pas oublier que toute réglementation entraîne des coûts, qu'ils soient publics (application, contrôle) ou privés (formalités, mise aux normes, changements de méthodes de production) ; les coûts « privés » des réglementations peuvent d'ailleurs devenir « publics » et être pris en charge par la collectivité lorsqu'ils deviennent très importants : c'est ainsi qu'en 1997 l'interdiction, suite à la crise de la « vache folle », de « valoriser » sous forme de farines pour l'alimentation animale les carcasses d'équarissage et certains déchets d'abattoirs a entraîné la mise en place du « service public de l'équarissage » financé par une taxe sur les viandes de boucherie.

B.- AFFECTER OU NON LES PRÉLÈVEMENTS À OBJET ENVIRONNEMENTAL : C'EST AVANT TOUT UN CHOIX POLITIQUE

La loi de finances pour 1999 a disposé que les cinq taxes fiscales ou parafiscales précédemment gérées par l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) seraient désormais « non affectées » (on peut dire aussi « affectées au budget général de l'État »), sans cependant modifier substantiellement l'assiette de ces taxes, dont certaines ont été cependant augmentées (rappelons que ces taxes concernaient la pollution atmosphérique par les industriels, les huiles industrielles, les déchets et les nuisances sonores des avions). C'est ainsi qu'a été instituée la TGAP, « taxe générale sur les activités polluantes », une taxe à vocation générale, puisque non affectée, avec une pluralité d'assiettes constituées de différentes activités polluantes (en puissance, toutes les activités polluantes...).

Cette mesure qui apparaissait assez « technique » et limitée, puisque l'assiette globale de la fiscalité environnementale n'était pas modifiée significativement et que l'ADEME recevait, à la place des taxes « désaffectées », une subvention budgétaire équivalente, a pourtant suscité un débat animé. Il est vrai que la TGAP, par essence, était dès ses débuts un impôt en devenir, destiné à s'étendre en principe à toutes les activités polluantes. L'intérêt était donc légitime et les inquiétudes compréhensibles. Mais la vivacité des échanges parlementaires tenait aussi à l'importance inhérente aux questions d'affectation des prélèvements obligatoires. Le problème mérite donc un développement particulier.

1.- LES ARGUMENTS THÉORIQUES PLAIDENT PLUTÔT POUR LA NON AFFECTATION DE PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES À DES DÉPENSES D'ENVIRONNEMENT

Le débat sur l'affectation doit être abordé par un rappel des objectifs que l'on peut fixer à un prélèvement environnemental : s'il ne s'agit que de dégager des moyens financiers pour mener des politiques environnementales, l'affectation va de soi. Cependant, d'autres objectifs doivent être poursuivis : « internaliser » les coûts environnementaux en les reportant sur les pollueurs ; dissuader les comportements pollueurs.

Les défenseurs de l'affectation des prélèvements environnementaux font valoir qu'en affectant, comme c'est le cas en général lorsqu'il y a affectation, le produit d'une taxe ou redevance sur une pollution à des actions liées à cette pollution - aides à la prévention ou à la dépollution, programmes de sensibilisation, de formation ou de recherche, etc -, on obtient un double gain pour l'environnement : le prélèvement dissuade les comportements pollueurs ; les subventions qu'il finance permettent également de diminuer la pollution. En outre, une affectation de cet ordre constitue au premier abord une application parfaite du principe pollueur/payeur : le prélèvement est déterminé par les dépenses que la collectivité juge bon de prendre en charge pour lutter contre la pollution concernée, qui constituent les coûts publics de celle-ci.

Cette présentation appelle pourtant trois objections :

· Tout d'abord, avant même de se préoccuper de l'utilisation de son produit, l'efficacité intrinsèque d'un prélèvement à objet environnemental tient à son aspect dissuasif ; le niveau auquel il est fixé ne doit pas être déterminé par un montant de dépenses à financer, mais au regard de l'analyse de la sensibilité des comportements pollueurs au « signal prix » donné par ce prélèvement, en termes économiques l'analyse de l'élasticité-prix de ces comportements (qui dépend des possibilités de changement de méthodes ou de substitution de produits). S'y combinent inévitablement, bien sûr, des considérations économiques - et politiques - sur la « soutenabilité » du prélèvement par les agents économiques concernés.

· Ensuite, la logique d'«internalisation » des coûts environnementaux sur laquelle repose le principe pollueur-payeur (ces coûts deviennent des coûts de production du pollueur, cessant d'être des coûts reportés sur la collectivité) implique justement que les coûts environnementaux, subis par le pollueur sous forme de taxe, soient des coûts « comme les autres » pour lui : ce n'est pas le cas tant que le versement d'une redevance est conçu comme ouvrant droit à des aides en contrepartie.

· Enfin, la présentation de l'affectation comme une application du principe pollueur-payeur traduit une vision simpliste de celui-ci :

- primo, parce qu'elle suppose connus et pris en charge par le fonds affecté tous les coûts environnementaux liés à une pollution donnée, ce qui n'est évidemment pas le cas ; si le fonds géré par l'ADEME grâce à la taxe sur la pollution atmosphérique jusqu'en 1998 finançait ainsi des actions de dépollution, il ne prenait pas en charge, en revanche, les coûts de santé publique liés à cette pollution, certains et sans doute très importants, mais mal quantifiés...

- secondo, il convient de rappeler qu'il s'agit, selon la théorie, de faire payer au pollueur le coût marginal de la pollution dont il est responsable. Or, l'égalisation entre la taxe unitaire et ce coût marginal n'implique pas celle entre le rendement global de la taxe et le coût environnemental total ;

- tertio, plus concrètement, il ne faut pas oublier que le destin « naturel » d'un prélèvement environnemental efficace est de se tarir grâce à la disparition ou l'atténuation des comportements polluants qu'il a dissuadés ; or, il peut y avoir un décalage temporel important entre la maîtrise d'un rejet polluant, et donc le déclin du prélèvement qui le pénalisait, et les coûts qui y sont liés. Pour ce qui est des nitrates, par exemple, il est admis que des investissements considérables de dénitrification de l'eau vont être nécessaires dans les années ou décennies prochaines, et cela, compte tenu des délais de dégradation puis de récupération des nappes phréatiques, même si les excédents rejetés par l'agriculture disparaissaient grâce à une taxation dissuasive qui disparaîtrait ensuite d'elle-même. Pour affecter malgré tout une taxation des excédents d'azote à la future dénitrification, on pourrait bien sûr imaginer des mécanismes de mise en réserve ; cependant, il faut garder à l'esprit que l'affectation des prélèvements environnementaux à l'environnement tire largement sa légitimité de sa simplicité et de sa lisibilité ; tout dispositif compliqué perd cette légitimité...

2.- LE PRIMAT REVIENT AU CHOIX POLITIQUE

Au-delà d'arguments théoriques ou économiques que l'on peut souvent retourner, le choix d'affectation - ou non - des prélèvements obligatoires et notamment de ceux qui ont une vocation « environnementale » est avant tout politique.

Une première considération politique vaut pour la plupart des mécanismes d'affectation, que l'on soit ou non dans le champ de l'environnement : une affectation, sauf si elle a pour objet de financer l'allégement d'autres prélèvements obligatoires, cela signifie ipso facto des dépenses publiques supplémentaires en contrepartie du produit fiscal. Seule la diminution, à due concurrence des prélèvements nouveaux, de prélèvements préexistants permet d'assurer globalement la neutralité des prélèvements environnementaux pour le niveau des prélèvements obligatoires.

Dans le contexte actuel, cette réflexion générale amène à la question du « double dividende » : l'utilisation de la TGAP pour financer des allégements de charges sociales salariales, en lien avec la réduction du temps de travail ; on combinerait ainsi gains pour l'environnement, grâce à la TGAP, et pour l'emploi, grâce aux allégements de charges. Sans s'attacher à une formule que certains contestent, il ne s'agit là que d'une illustration de ce que peut être une bonne réforme fiscale : une réforme qui touche en cohérence, et sans les accroître globalement, l'ensemble des prélèvements obligatoires pour les rendre plus efficaces et rééquilibrer l'imposition des différentes composantes du revenu national : consommations intermédiaires ou finales de certains produits, salaires, bénéfices...

Dans l'hypothèse de l'établissement d'un lien entre TGAP et allégements de charges sociales, une question reste toutefois à trancher : faut-il ou non affecter juridiquement la TGAP au financement de ces allégements, en la transférant à la sécurité sociale, ce qui est l'intention du Gouvernement ? Une telle affectation ne pourrait se voir reprocher la plupart des griefs opposés aux mécanismes d'affectation en matière d'environnement : contribuant à l'allégement de cotisations sociales, elle n'augmenterait pas les prélèvements obligatoires ; ne servant pas au financement de subventions bénéficiant aux assujettis de la TGAP, elle ne violerait pas le principe pollueur-payeur et ne tendrait pas à créer la culture du « juste retour » reprochée aux dispositifs de redevances affectées. Toutefois, un tel dispositif n'échapperait pas à l'un des risques inhérents aux systèmes d'affectation : on pourrait craindre que l'évolution du montant de la TGAP ne réponde à des impératifs de financement (du coût des allégements de charges sociales, ou simplement des éventuels déficits de la sécurité sociale) plutôt qu'à des considérations intrinsèques (évaluation de l'effet du prélèvement sur les comportements pollueurs et des coûts environnementaux).

Une seconde réflexion, rétrospective, porte sur l'expérience des mécanismes affectés déjà existants dans le secteur de l'environnement : agences de l'eau, ADEME avant 1999. S'agissant des agences, la principale critique, portant sur la dérive « mutualiste », a déjà été évoquée ; s'y ajoutait l'incapacité d'assujettir réellement certaines catégories de pollueurs et le fonctionnement insuffisamment démocratique des comités de bassin. Dans l'hypothèse de la création de nouveaux prélèvements que l'on affecterait aux agences, il conviendra d'évaluer leur capacité à en assurer la gestion dans de meilleures conditions, en maintenant le cap sur le principe de prélèvements réellement incitatifs grâce à des taux éventuellement élevés et « répressifs », des différenciations de taux, l'assujettissement réel des vrais pollueurs... Sur cette question, au-delà des considérations sur les hommes et les organisations, les améliorations diverses que l'on peut apporter au système, on doit se demander s'il n'est pas inéluctable qu'un mécanisme d'affectation géré en concertation avec les assujettis dérive vers cette logique mutualiste, où l'on préfère répartir la charge du financement entre le plus grand nombre, afin de la rendre supportable par tous, plutôt que de taxer lourdement, dans la « douleur », ceux qui doivent l'être, et où chacun attend une contrepartie de subvention à ses redevances en « juste retour ».

Cela dit, les avantages des dispositifs affectés existent également, comme on l'a vu : « acceptabilité » plus grande par les assujettis, continuité des financements et donc des politiques, caractère concerté et décentralisé, sinon totalement démocratique, de la gestion... C'est pourquoi, en opportunité, l'idée d'affecter à l'environnement des prélèvements nouveaux ne saurait être écartée définitivement. On notera sur ce point, au demeurant, qu'entre la non affectation et l'affectation aux agences ou à d'autres organismes sui generis à créer, peuvent exister des solutions intermédiaires : affectations au sein du budget de l'État au travers de comptes spéciaux du Trésor, approuvés démocratiquement et annuellement dans le cadre de la loi de finances ; affectations « politiques » consistant à inscrire, en contrepartie de nouvelles taxes, des crédits budgétaires à objet environnemental.

Ce qui est certain, c'est que l'affectation juridique à des organismes extra-étatiques - fût-ce la sécurité sociale -, qui crée un « droit acquis », peut être perçue comme la négation du choix politique ; les procédures de type compte spécial permettent au moins une intervention annuelle du Parlement ; l'inscription de crédits budgétaires, même si elle fait l'objet d'engagements politiques pluriannuels, est évidemment l'option qui offre le plus d'initiative aux pouvoirs publics...

3.- LES ENJEUX COMMUNAUTAIRES SONT IMPORTANTS

La dimension communautaire des questions de fiscalité environnementale n'est pas à négliger. Les négociations engagées sur l'établissement d'une « éco-taxe » européenne, portant principalement sur les consommations d'énergies, traduisent l'engagement politique de plusieurs gouvernements, dont le Gouvernement français.

A plus court terme, s'il est envisagé dans un premier temps d'instituer de nouveaux prélèvements à objet environnemental au seul échelon national, il convient tout à la fois de s'assurer qu'ils n'entraînent pas de distorsions de concurrence internationale inacceptables et qu'ils sont compatibles avec la réglementation communautaire.

La question se pose naturellement dans des termes différents selon la nature des prélèvements imaginés : s'il s'agit de taxer des agents économiques en tant que producteurs, par exemple les exploitants agricoles directement sur leurs excédents d'azote individuels, il peut y avoir une distorsion - inévitable - vis-à-vis de leurs concurrents étrangers ; en revanche, les problèmes de compatibilité communautaire ne se posent guère.

La situation est différente dans le cas de taxes assises sur les produits : il s'agirait d'« accises », un domaine de la fiscalité particulièrement réglementé par l'Union européenne, compte tenu des distorsions de concurrence possibles. Il est clair qu'une taxation de produits, si l'on veut éviter les distorsions entre producteurs nationaux et étrangers, doit porter sur la consommation, la mise sur le marché national de ces produits, et non leur production : dans ces conditions, les importations sont alors intégrées à l'assiette de la taxe et les exportations en sont exonérées (19). Cependant, dans cette hypothèse, la taxe créée ne doit pas être affectée, d'une façon ou d'une autre, au profit des seuls producteurs nationaux (ce qu'on peut reprocher vraisemblablement à tout mécanisme d'affectation instituant des aides de dépollution spécifiques aux assujettis à la redevance), pour respecter les prescriptions de l'article 95 du traité sur l'Union européenne, qui prohibe les distorsions de taxation entre produits nationaux et des autres États-membres.

C.- LES DIFFICULTÉS PRATIQUES DE L'INSTAURATION DE NOUVEAUX PRÉLÈVEMENTS À OBJET ENVIRONNEMENTAL

Concrètement, la mise au point de nouveaux prélèvements à objet environnemental, notamment dans le domaine de l'eau, se heurte à deux types de difficultés : d'une part, de nombreuses incertitudes subsistent quant à l'opportunité même d'établir tel ou tel prélèvement et à la définition des modalités de ces prélèvements ; d'autre part, il apparaît difficile de concilier les multiples objectifs que doit se fixer le législateur en l'espèce : faisabilité, simplicité, équité, rendement, efficacité dissuasive...

1.- DES INCERTITUDES SUBSISTENT

Malgré la présence d'une documentation technique abondante, mais parfois orientée par les préoccupations des commanditaires des études, des incertitudes subsistent, tant sur l'opportunité même de dissuader tel ou tel produit réputé polluant que sur la pertinence de l'instrument économique pour parvenir à cette fin.

a) Est-on certain de la moindre nocivité des produits de substitution ?

La logique d'une éco-taxe est de dissuader, par le prix, l'utilisation de certains produits auxquels d'autres se substituent. Son établissement exige donc un degré raisonnable d'assurance sur la non nocivité, ou la moindre nocivité, des produits de substitution (ou des comportements de substitution).

Sans prendre parti pour ou contre, on peut citer deux argumentations entendues, qui illustrent la difficulté du diagnostic : parmi les produits phytosanitaires posant problème, l'atrazine est souvent évoquée, compte tenu de sa rémanence (elle se dégrade peu, passe dans les nappes phréatiques...) ; par ailleurs, ce produit serait cependant relativement peu toxique ; faut-il alors le taxer plus ou moins que d'autres phytosanitaires ?

Une autre argumentation est tenue par les producteurs de granulats : ceux-ci expliquent que si une taxe doit être établie sur leur activité, elle ne doit pas frapper les seules carrières établies dans le lit majeur des rivières (auxquelles des modifications du régime des eaux sont imputées), mais l'ensemble des carrières. D'une part, est-il allégué, le prélèvement de ressources naturelles non renouvelables qui caractérise toute activité extractive peut être taxé en tant que tel, mais alors de manière homogène ; d'autre part, la disparition des carrières alluvionnaires qui résulterait à terme de leur taxation spécifique entraînerait un accroissement des transports de matériaux (moins de carrières, donc plus de distances), les transports étant un important facteur de pollutions et de nuisances à prendre en compte.

Ces exemples illustrent la complexité de l'expertise en matière d'environnement : tout étant lié, il s'agit de prendre en considération l'ensemble des mesures particulières de nocivité et de savoir effectuer une pondération entre ces éléments. Il y a la pollution de l'eau, mais aussi celle de l'air ; la nocivité, mais aussi la dégradation plus ou moins rapide des polluants ; la toxicité directe pour l'homme, mais aussi celle pour les milieux naturels (sur ce point, la question est même plus complexe : en l'absence même de toxicité caractérisée d'un produit pour telle ou telle espèce, doit-on pénaliser le simple fait qu'il modifie le milieu naturel ?)...

b) L'outil économique est-il nécessairement pertinent ?

A partir même du moment où la cible a été clairement désignée, reste à apprécier si l'instrument financier, « taxe » ou « redevance », est le plus approprié. En principe, comme on l'a vu, cet instrument devrait bien répondre aux problèmes de pollutions diffuses plutôt que ponctuelles, par des polluants plutôt « indésirables » que très toxiques. Cependant, même dans cette hypothèse, des arguments intéressants peuvent être évoqués pour justifier plutôt d'un recours à la voie de la réglementation.

Si l'on prend, par exemple, les phosphates dans les lessives, deux raisonnements tendent à justifier le choix éventuel d'une interdiction, d'ailleurs pratiquée chez certains de nos voisins, plutôt que d'une pénalisation financière.

D'une part, des sensibilités proches de l'écologie soutiennent que, les phosphates des lessives ne représentant qu'une part des rejets de phosphates (20 à 30%), et une réduction drastique de ces rejets étant nécessaire, la disparition totale des lessives au phosphate est impérative, et non un simple recul grâce à une pénalisation financière.

D'autre part, si l'on admet que les consommateurs sont extrêmement sensibles aux prix comparés des lessives et les industriels très réactifs, capables de modifier en quelques mois leur production, on peut se demander si une taxation un tant soit peu significative des lessives au phosphate ne conduirait pas rapidement à leur retrait quasi-total du marché : une interdiction reviendrait au même, à moindre coût de mise en place...

c) Sait-on déterminer les modalités « utiles » (assiette, rendement) d'un prélèvement environnemental ?

Votre Rapporteur y reviendra cas par cas, mais on doit observer que, de manière générale, la connaissance des éléments nécessaires à la détermination des modalités d'un « bon » prélèvement à objet environnemental reste très souvent imparfaite : c'est en particulier le cas des coûts environnementaux (que l'on doit connaître si l'on veut appliquer le principe pollueur-payeur) et des élasticités-prix (qui permettent de calibrer une taxe dissuasive sur l'utilisation de tel ou tel produit).

2.- LES OBJECTIFS À RECHERCHER DOIVENT ÊTRE CONCILIÉS

Un second type de difficultés réside dans la pluralité des objectifs d'un prélèvement à objet environnemental, qu'il faut bien concilier : tout prélèvement obligatoire doit, autant que possible, être simple, équitable, acceptable par les assujettis, relativement neutre, financièrement productif, etc ; un prélèvement à objet environnemental doit en outre être efficacement dissuasif, assurer le respect du principe pollueur-payeur...

Plusieurs couples d'incompatibilité apparaissent nécessairement, et cependant il faut trouver un point d'équilibre. Citons quelques exemples.

a) Simplicité et équité

Le cas de l'azote agricole illustre la problématique simplicité/équité : il serait plus simple d'instituer une taxe à la mise sur le marché des engrais, plutôt que le complexe dispositif envisagé sur les « excédents d'azote », mais une taxation des engrais serait doublement inéquitable : elle épargnerait les éleveurs, également responsables de la pollution par les nitrates ; elle pénaliserait même les « bons » cultivateurs qui limitent la dose d'engrais à ce qu'absorbe la végétation et ne polluent donc pas les nappes phréatiques.

b) Faisabilité et efficacité vis-à-vis de l'environnement

Le même exemple peut illustrer la difficulté à concilier faisabilité et efficacité vis-à-vis de l'environnement : il serait aisé de taxer de manière homogène les intrants agricoles à leur mise sur le marché par les distributeurs ; ce genre de taxe est en effet bien connu de l'administration fiscale, facile à asseoir, contrôler, recouvrer. Mais l'efficacité en matière d'environnement implique souvent des dispositifs complexes et différenciés (taxer, par exemple, différemment les produits phytosanitaires selon leur nocivité, pour dissuader les plus nocifs), des assiettes novatrices (les « excédents d'azote » par exemple) exactement ajustées aux comportements condamnables.

A contrario, on peut imaginer qu'une sorte de droit d'accise simple sur les intrants agricoles puisse rater complètement sa cible : les industriels de la fertilisation (producteurs d'engrais) rencontrés par votre Rapporteur ont ainsi expliqué qu'à leur avis, une taxe sur les engrais azotés pourrait très bien n'entraîner aucune hausse du prix de ceux-ci, et donc aucun effet d'incitation sur les agriculteurs. Ils fondent leur argumentation sur l'expérience des droits anti-dumping imposés dans les dernières années aux exportateurs est-européens de produits azotés : ceux-ci auraient en général préféré baisser les prix à due concurrence de ces droits, les absorber économiquement, que perdre leurs parts de marché, compte tenu de coûts très compétitifs. Dans ces conditions, soutiennent les industriels, une nouvelle taxe nationale pourrait n'entraîner aucune hausse du prix « toutes taxes comprises » des importations, obligeant les producteurs nationaux à s'aligner ou à disparaître. Une taxe non répercutée n'aurait par définition aucun effet sur les comportements des agriculteurs.

c) Rendement et effet dissuasif

Une taxe à vocation dissuasive peut avoir un taux élevé et donc un rendement important dans un premier temps ; mais ensuite, si elle est efficace, la contradiction entre les exigences de rendement et de dissuasion apparaît vite, puisque l'efficacité de la dissuasion se mesure à l'évaporation de l'assiette et donc du rendement de la taxe... On ajoutera que le rendement d'une taxe doit être apprécié net de ses coûts de gestion ; or, une taxe efficace pour l'environnement est souvent complexe, on l'a dit, donc coûteuse à gérer.

d) Neutralité et efficacité vis-à-vis de l'environnement

Il est admis qu'un « bon » impôt est en général un impôt neutre pour l'activité économique, un impôt qui ne soit pas responsable de distorsions concurrentielles significatives. Mais, en matière d'environnement, il s'agit, bien au contraire, de cibler le plus spécifiquement possible les produits et activités polluants, avec des mécanismes différenciés : le « bon »prélèvement à objet environnemental risque d'être celui qui obtient la réduction d'une activité bien particulière, en distordant les coûts à son détriment. C'est là, notamment, toute la problématique de la taxation des extracteurs de granulats : ceux-ci pourraient l'accepter si elle ne visait pas spécifiquement les extractions dans le lit des rivières, évitant ainsi les distorsions de concurrence, mais aussi l'évolution des localisations de carrières.

e) Acceptabilité et principe pollueur-payeur

L'acceptation d'un nouveau prélèvement catégoriel par les assujettis tient souvent à l'existence d'un retour financier (grâce à une affectation) sous forme de subventions. Mais, justement, le principe pollueur-payeur implique d'imputer effectivement les coûts environnementaux aux responsables des pollutions, sans contrepartie.

En conclusion, on ne manquera pas d'observer qu'au-delà des principes contradictoires, et de leur difficile conciliation, des considérations de stricte opportunité politique, c'est évident, mais aussi de sociologie administrative, peuvent jouer. Prenons le débat « affectation ou non affectation » : il recouvre aussi un débat agences de l'eau (qui ont une vocation naturelle à gérer les prélèvements liés à l'eau et affectés)/administration fiscale, et les questions deviennent alors les suivantes : peut-on imposer à l'administration fiscale de gérer des prélèvements complexes (de type « excédents d'azote ») étrangers à sa conception de l'impôt ? Mais peut-on faire confiance aux agences pour assujettir effectivement, à l'avenir, des catégories professionnelles qui ont pu jusqu'à présent obtenir leur non assujettissement de fait à certaines redevances ?

LAISSER CETTE PAGE BLANCHE SANS NUMÉROTATION

IV.- QUE PEUT-ON FAIRE ?

La persistance, voire la progression, de certaines causes de dégradation des eaux impose une réaction vigoureuse et l'analyse des pollutions concernées, en particulier les pollutions agricoles diffuses, conduit à privilégier l'outil de la pénalisation financière.

Par ailleurs, le choix d'une non affectation dans le secteur de l'environnement des nouveaux prélèvements à établir est justifié dans l'optique d'une véritable application du principe pollueur-payeur comme dans celle d'une maîtrise des prélèvements obligatoires accompagnée d'un rééquilibrage des prélèvements pesant sur les différents facteurs de production, en l'espèce les « intrants » polluants et le travail.

Cela dit, le principe de réalité oblige à prendre en compte les réactions des futurs assujettis aux nouveaux prélèvements : dans quelle mesure peuvent-ils les accepter dans leur principe ? Sur ce point, il faut bien constater la prégnance d'une « culture » de la redevance : des redevances affectées peuvent être tolérées quand une taxe non affectée est immédiatement présentée comme « inefficace et décourageante » (cf. la position commune de certaines organisations professionnelles agricoles et industrielles présentée en annexe du présent rapport, page 128) ; cette réaction au problème de l'affectation va sans doute au-delà de la considération objective de l'avantage procuré en termes de « retours » financiers.

Le principe de réalité conduit aussi à s'interroger sur la capacité des secteurs concernés à supporter économiquement de nouveaux prélèvements.

La même préoccupation vaut pour ce qui est de l'évolution des agences de l'eau : le renforcement de l'échelon national de la politique de l'eau est certainement nécessaire, vu la faiblesse actuelle de cet échelon et des mécanismes de péréquation dans ce secteur ; la réforme des agences doit également les conduire à une application plus stricte du principe pollueur-payeur dans le cadre de redevances mises en conformité avec les règles constitutionnelles. Mais ces évolutions doivent s'opérer dans le respect des structures existantes et des moyens financiers disponibles.

Avant d'aborder l'ensemble de ces questions, un rappel des positions gouvernementales est nécessaire.

A.- L'ÉVOLUTION DE LA POSITION DU GOUVERNEMENT

La réflexion actuelle sur la réforme de la politique de l'eau et l'établissement de prélèvements obligatoires nouveaux destinés à dissuader les pollutions de l'eau trouve sa source dans deux actes fondateurs :

- la « communication » de Madame la ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, le 20 mai 1998, sur la politique de l'eau ;

- l'introduction dans la loi de finances pour 1999 du concept nouveau de TGAP, « taxe générale sur les activités polluantes », avec pour application concrète l'unification, sous ce titre, de cinq taxes préexistantes affectées à l'ADEME et leur transfert au budget général en contrepartie d'une subvention budgétaire équivalente pour l'ADEME.

La coïncidence de perspectives de réforme de la politique de l'eau et de la première application du concept de TGAP a conduit naturellement l'ensemble des parties à envisager une extension de la TGAP au secteur de l'eau dans des conditions identiques à celles de la mise en place de cette taxe : à enveloppe de prélèvement constante, l'ensemble des redevances des agences seraient absorbées par la TGAP et affectées au budget général de l'État, qui financerait directement, en contrepartie, les agences de bassin. Une telle hypothèse a suscité une réaction immédiate et virulente des organismes de bassin. Il est vrai qu'un tel choix aurait signifié une « étatisation » et une « nationalisation » un peu artificielles d'une politique dont chacun admet que l'essentiel de ses interventions doit être mené dans le cadre territorial le plus adapté, celui des bassins ; seule une condamnation sans appel du fonctionnement du système des agences aurait pu justifier cette décision ; or, les critiques récemment exprimées n'ont pas cette portée ; elles relativisent simplement le jugement trop univoque prédominant auparavant.

Le ministère de l'Environnement a donc été amené à présenter, au cours de l'hiver et du printemps 1998-1999, un schéma plus nuancé, mais fort complexe, car prenant en compte deux objectifs différents : l'établissement de prélèvements dissuasifs sur des activités, comportements ou produits responsables de dégradations de l'eau, et jusque là non pénalisés à ce titre ; la réforme des circuits de financement de la politique de l'eau, afin d'en renforcer les moyens nationaux.

En ce qui concerne les nouveaux prélèvements envisageables, ont été évoqués dans ce cadre :

- les activités et aménagements ayant une incidence sur le régime d'écoulement des eaux : exploitation d'ouvrages hydrauliques, extraction de granulats dans le lit majeur des rivières, aménagements entraînant l'imperméabilisation de surfaces importantes (par exemple, des parkings) et donc un ruissellement accru et aménagements réduisant les zones d'expansion naturelle des crues (voirie, notamment), la mise en _uvre de prélèvements sur ces deux dernières assiettes étant repoussée dans le temps pour des raisons techniques ;

- certaines pollutions domestiques ou industrielles non pénalisées, ou insuffisamment, par le système actuel des redevances des agences : détergents et lessives, en particulier phosphatés, rejets industriels d'eaux chauffées (pollution thermique) ou radioactive ...

- les pollutions agricoles liées aux nitrates et aux produits phytosanitaires.

Les choix d'affectation envisagés pour ces différents prélèvements répondaient à plusieurs objectifs parfois contradictoires : renforcer les moyens nationaux de la politique de l'eau ; maintenir globalement l'enveloppe existante des moyens de cette politique (agences + échelon national) ; respecter au moins partiellement la logique de non affectation présidant au concept de TGAP...

Cela conduisait à un dispositif plutôt complexe :

- les nouveaux prélèvements reposant sur des assiettes « voisines » de celles des actuelles redevances auraient constitué une « TGAP 1 » affectée à un compte spécial du Trésor destiné à financer des actions relevant de l'échelon national de la politique de l'eau ; tel aurait été le cas de la taxation des lessives phosphatées (une redevance pollution étant déjà mise à la charge des ménages par les agences pour leurs rejets en général) ou de celle des extracteurs de granulats (que des agences avaient déjà essayé de soumettre il y a quelques années à des redevances au titre de la « modification du régime des eaux ») ; on pouvait même imaginer des fractions de « TGAP 1 » assises sur des assiettes déjà assujetties en tant que telles aux redevances des agences (pollution domestique, pollution industrielle, prélèvements d'eau). Dans le même temps, les redevances des agences auraient été réduites à due concurrence, pour maintenir un niveau à peu près constant de prélèvements et de moyens liés à la politique de l'eau ; en outre, les agences auraient bénéficié de la redevance nouvelle sur les ouvrages hydrauliques pour leur incidence sur le régime des eaux ;

- les prélèvements liés aux pollutions agricoles, de fait étrangères, jusqu'à présent, au champ d'assujettissement des agences, auraient rejoint la TGAP créée par la loi de finances pour 1999 et affectée au budget général de l'État (« TGAP 2 ») dans le schéma ci-après.

Par ailleurs, le fonds national de développement des adductions d'eau (FNDAE), dans ce schéma, était voué à être éventuellement absorbé par le nouveau compte spécial créé (pour éviter d'avoir deux comptes spéciaux intervenant dans le domaine de l'eau).

SCHÉMA PROPOSÉ AU PRINTEMPS 1999

Redevances existantes réformées et réduites à

     


« TGAP 1 » :

 

« TGAP 2 »  :
assiettes nouvelles

due concurrence de la « TGAP 1 »

 

FNDAE

 

assiettes nouvelles « voisines »
des assiettes existantes de

 

éloignées du champ actuel des redevances des

+ redevance nouvelle sur les ouvrages hydrauliques

     

redevances

 

agences : pollutions agricoles

 

graphique
           
             
             

Agences

     

Compte spécial

 

Budget général

                 
 

graphique
           
             
             

Budget global égal à celui actuel

des agences et du FNDAE

   

L'ensemble du dispositif décrit ci-avant appelait une première et évidente critique pour sa complexité. Cependant, sa principale faiblesse résidait dans son incompatibilité avec le calendrier souhaité par le Gouvernement, car il devenait très difficile de décaler dans le temps l'élargissement de la TGAP au domaine de l'eau (prévu dès la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000) et la réforme des redevances des agences (repoussée à une loi sur l'eau en 2001) : à partir du moment où TGAP et redevances pourraient reposer sur des assiettes voisines, voire identiques, comment établir l'une sans réformer parallèlement les autres ? Dans l'optique d'une continuité de l'enveloppe financière affectée à la politique de l'eau, comment créer la « TGAP 1 » sans réduire symétriquement et immédiatement le produit des redevances ?

Le 27 avril dernier, les Présidents de comités de bassin écrivaient à Madame la ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement (document reproduit en annexe du rapport, page 126) pour faire valoir :

- leurs réticences vis-à-vis d'un dispositif complexe perçu comme confus et insuffisamment évalué au préalable,

- leur préférence pour une TGAP « portant sur les produits commercialisés » exclusivement, afin d'infléchir les pratiques de consommation, sans assiettes proches ou identiques à celles des redevances,

- leur acceptation, en l'absence de « TGAP 1 » finançant un compte spécial ad hoc, de la mise en _uvre, « à partir des redevances des agences, des moyens financiers permettant de conforter une politique nationale de l'eau », mais ce à travers des mécanismes de fonds de concours et dans le respect des engagements financiers du VIIème programme ; un dispositif plus ambitieux serait le cas échéant à intégrer aux discussions plus générales portant à la fois sur la réforme des agences, le projet de directive-cadre et la préparation du VIIIème programme.

Dans ce contexte, la position du Gouvernement a progressivement évolué et un nouveau schéma, plus simple, s'est dégagé : la question des agences et des redevances et celle d'une « TGAP eau » sur des assiettes nouvelles y sont déconnectées, sachant toutefois que le prélèvement nouveau prévu sur les « excédents d'azote » devrait s'inscrire dans le cadre des redevances des agences. Par ailleurs, il est désormais proposé d'affecter la TGAP (qu'il s'agisse des fractions déjà existantes, de la « TGAP eau » ou de celle sur l'énergie prévue pour 2001) à un fonds spécial, créé au sein de la sécurité sociale et dans le cadre de la loi de financement de celle-ci pour 2000, en vue du financement des nouveaux allégements de charges sociales sur les bas salaires qu'envisage le Gouvernement. Quant au renforcement de l'échelon national de la politique de l'eau, il serait atteint grâce à un prélèvement sur les ressources des agences, prélèvement affecté à un compte spécial nouveau, créé par la loi de finances pour 2000 à hauteur de 500 millions de francs ; le FNDAE serait également intégré à ce compte spécial, dans lequel il formerait une section à part, la nature de son financement et de ses interventions n'étant pas modifiée.

L'extension de la TGAP porterait l'an prochain sur les produits lessiviers, en particulier sur ceux comportant des phosphates, les produits phytosanitaires et les granulats.

SCHÉMA PROPOSÉ EN SEPTEMBRE 1999

 

 

graphique
 

Redevances existantes

réformées + redevances nouvelles sur les ouvrages hydrauliques et les « excédents d'azote »

 


TGAP :
assiettes nouvelles, soit :

- lessives, en particulier aux phosphates
- phytosanitaires
- granulats

         

FNDAE

 

Agences

   
 

graphique
     
       
       
 

graphique
 

Compte spécial avec deux sections :
mise en commun de 5 % (en 2000) des ressources des agences + FNDAE

 

Fonds spécial de financement des allégements de charges sociales

B.- QUELLE RÉFORME POUR LA POLITIQUE DE L'EAU ET LES ORGANISMES DE BASSIN ?

On assiste donc à une évolution vers un dispositif relativement simple dans lequel seraient clairement distingués l'établissement de prélèvements nouveaux sur des produits, activités ou comportements jusqu'à présent non assujettis, en tant que tels du moins, aux redevances des agences, et la réforme des redevances existantes. Cette évolution simplifierait certainement la gestion de l'ensemble des problèmes posés, puisqu'elle permettrait de traiter séparément des nouvelles assiettes de prélèvements, ceci dès la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, et de la réforme des redevances et des agences, qui pourrait être abordée seulement en vue de la préparation du VIIIème programme d'intervention de ces dernières (2002-2006), donc en 2000-2001. Il convient toutefois de voir la conséquence de ce choix ; le débat existant, pour chaque nouveau prélèvement évoqué, entre taxe non affectée et redevance sera pollué par le décalage de calendrier : si l'on tient à assujettir dès 2000 telle ou telle pollution considérée comme particulièrement menaçante, comme l'est celle par les nitrates, ce sera nécessairement (ou presque) dans le cadre de la TGAP, l'instauration de nouvelles assiettes de redevances des agences étant repoussée à 2001. Par ailleurs, la question d'une mise en commun accrue des moyens de celles-ci avant l'échéance 2001 reste ouverte.

1.- DES REDEVANCES PLUS DÉMOCRATIQUES, PLUS ÉQUITABLES ET PLUS LISIBLES, POUR UN PRIX DE L'EAU PLUS TRANSPARENT

Le dispositif législatif qui pourrait être soumis au Parlement en 2001 devra comporter des dispositions relatives tant aux interventions des agences, qui doivent gagner en transparence et en sélectivité, qu'à leurs ressources, c'est-à-dire essentiellement les redevances.

Cependant, compte tenu de la ligne de démarcation entre domaine législatif et domaine réglementaire, il est probable que ce dispositif sera plus riche sur le versant ressources que sur le versant dépenses ; le rôle du Parlement est en effet assez limité, sauf dans certaines matières déterminées, dans la définition des dépenses publiques, où son intervention s'exprime surtout par le vote de montants, notamment de crédits budgétaires. Le principal acquis, s'agissant des agences, résidera donc peut-être dans le principe d'une approbation parlementaire des masses de leurs programmes quinquennaux (rappelons cependant que les lois de programmation fixant ce type d'objectifs financiers comportent aussi, en général, un rapport annexé -et amendable - grâce auquel des orientations peuvent être fixées pour les dépenses).

Pour ce qui est des ressources des agences, des redevances, une intervention détaillée du Parlement est en revanche, on l'a vu, une nécessité constitutionnelle, puisqu'elles sont de caractère fiscal. Comme il a été dit supra, la jurisprudence du Conseil constitutionnel impose, dans ce cas, la fixation par le législateur de l'assiette des prélèvements et l'encadrement de leurs taux. Cette intervention du législateur, en elle-même, accentuera la transparence du dispositif.

S'agissant de l'équité des redevances au regard du principe pollueur-payeur, deux considérations doivent être conciliées :

_ il est normal que les taux des diverses redevances restent différents selon les bassins, voire les zones de ceux-ci, afin de tenir compte des problèmes locaux de qualité des eaux ; peut-être même faut-il revenir sur la tendance au rapprochement des taux, souhaité par les assujettis du monde industriel pour réduire les distorsions de coûts, mais souvent contraire au principe pollueur-payeur ;

_ toutefois, il doit être mis fin aux exonérations de fait ou de droit et aux taux dérogatoires dont ont bénéficié sans justification certaines catégories d'assujettis ;

Dans ces conditions, il est sans doute nécessaire que le Parlement, sans fixer un taux national pour chaque redevance, définisse cependant non seulement des taux-plafonds, mais aussi des taux-planchers (pour éviter la taxation zéro), et détermine par ailleurs les critères de modulation des taux autorisés aux agences, afin d'écarter, en particulier, les régimes dérogatoires accordés au seul titre de l'appartenance à une branche donnée de l'économie.

Enfin, le législateur devra se pencher sur le système de la contre-valeur, dont l'obscurité a été rappelée supra, et qui est de nature législative : il a été institué par la loi de finances rectificative de décembre 1974, après que le Conseil d'État eut annulé le régime initial dans lequel la redevance pollution domestique était directement à la charge des collectivité locales. S'il est vrai que le pollueur « domestique » est le ménage qui rejette des eaux usées, il n'en est pas moins vrai que la responsabilité de l'assainissement appartient aux collectivités locales ; le dispositif actuel, en répartissant sur les ménages la contre-valeur de la redevance de pollution « brute » (puisque calculée en fonction de la population sans tenir compte du degré d'épuration des eaux usées) et en permettant aux collectivités d'empocher au passage les « primes d'épuration », puisqu'elles ne versent aux agences qu'un produit de redevance net de la pollution épurée, apparaît conforme à ce schéma. Pourtant, ce dispositif a le double défaut de diluer la responsabilité, en étalant la charge sur des millions de ménages, et d'être inéquitable, ceux-ci étant taxés en fonction de leur consommation d'eau et non de leurs rejets polluants propres. La réforme à rechercher devra être de nature à responsabiliser tant les consommateurs que les collectivités.

Cette réforme, par ailleurs, devra certainement s'inscrire dans une réflexion générale sur le prix de l'eau, dont les redevances sont l'un des facteurs : à défaut d'un encadrement qu'on pourrait envisager, se pose a minima la question d'une plus grande transparence, afin de mieux identifier l'origine des inégalités tarifaires et de permettre donc aux consommateurs d'évaluer leur degré de légitimité.

2.- LA MISE EN PLACE DE REDEVANCES POUR « MODIFICATION DU RÉGIME DES EAUX »

Prévues dans leur principe dès 1966, comme les redevances pour prélèvement et pour pollution, les redevances pour modification du régime des eaux (MRE) n'ont jamais pu être mises en place faute d'une base réglementaire opératoire (sauf de manière marginale, par deux agences, selon la Cour des comptes).

La mise en conformité constitutionnelle du système des redevances pourra être l'occasion de donner à ce type de prélèvements un fondement législatif incontestable.

Plusieurs assiettes, comme il a été indiqué, sont évoquées : les ouvrages hydrauliques, les extractions de granulats (qui pourraient également être plutôt assujetties à la TGAP et sont donc analysées en tant que telles infra), les surfaces imperméabilisées, les ouvrages restreignant le champ d'expansion des crues, ces deux dernières assiettes paraissant plus théoriques et concrètement repoussées à plus tard...

Même si les redevances « MRE » n'auront probablement jamais un rendement aussi massif que les autres redevances (300 à 400 millions de francs annuels, à terme, sont envisagés), elles pourraient apporter un complément financier utile face à certains besoins actuellement non couverts. En particulier, reste posé le problème du traitement des eaux de ruissellement, souvent très polluées ; selon la Cour des comptes (20), l'application minimale de la directive communautaire relative aux eaux résiduaires urbaines du 21 mars 1991 correspondrait à 25 à 30 milliards de francs d'investissements sur la période 1992-2005 : or, les financements spécifiques n'existent pas actuellement dans les budgets locaux ou ceux des agences. L'instauration d'une redevance assise sur les surfaces imperméabilisées (voirie, parkings, toits...), responsables du ruissellement, pourrait constituer une réponse ; l'autre solution, éventuellement complémentaire, consisterait à soumettre à redevance les rejets d'eaux de ruissellement, ce qui n'est en général pas le cas aujourd'hui (21).

L'établissement de redevances MRE aura par ailleurs des incidences sur le dispositif de mise en commun des moyens des agences, dans la mesure où celui-ci devrait englober le fonds de concours déjà existant destiné à la prévention des inondations, intervention que sa nature devrait conduire à financer par les futures redevances MRE. Les deux dossiers (mise en commun des moyens et redevances MRE) doivent donc être conduits en cohérence.

3.- DES COMITÉS DE BASSIN PLUS REPRÉSENTATIFS

L'amélioration nécessaire de la représentativité des comités de bassin, où, notamment, doivent être mieux défendus les intérêts des ménages, et plus particulièrement des citadins, pourrait aussi impliquer une intervention législative, au-delà de l'amélioration apportée par les décrets du 6 septembre 1999 : comme les comités de bassin donnent leur avis conforme à la fixation de l'assiette et du taux des redevances, et que celles-ci sont de nature fiscale, certaines règles relatives à leur composition sont de nature législative. Le Conseil constitutionnel a ainsi estimé que le principe de représentation majoritaire, dans les comités, des redevables, instituait pour ceux-ci une garantie constituant une règle relative à l'assiette et aux taux d'impositions ; ce principe ne peut donc être modifié que par la loi (22) ; il en est de même, bien évidemment, de la règle selon laquelle les comités donnent un avis conforme à la fixation des redevances, puisque cette règle fonde ici la compétence du législateur.

C.- UNE PREMIÈRE MESURE : LE RENFORCEMENT DES MOYENS NATIONAUX DE LA POLITIQUE DE L'EAU

Comme on l'a vu, l'insuffisance des moyens nationaux de la politique de l'eau a conduit à la mise en commun, grâce à des fonds de concours, de certains moyens des agences, auxquels on peut ajouter leurs actions « inter-agences » existantes, pour un montant global d'environ 300 millions de francs en 1999.

La poursuite et l'amplification de cette politique sont souhaitées par le Gouvernement, l'abandon vraisemblable du projet d'une TGAP specifique pour financer ce type d'actions conduisant à rester sur le principe d'une mise en commun de moyens existants des agences.

Cependant, plusieurs interrogations subsistent, tant sur la forme juridique du dispositif à retenir, que sur son calendrier de mise en _uvre, son montant, la nature des actions à financer ainsi.

1.- FONDS DE CONCOURS OU COMPTE SPÉCIAL DU TRÉSOR ?

Les Présidents de comités de bassin ont clairement exprimé leur préférence pour le maintien du dispositif déjà existant, qui repose sur des fonds de concours décidés chaque année. Cette option, qui préserve la liberté d'action des organismes de bassin, est compréhensible dans leur position institutionnelle.

Cependant, on pardonnera à votre Rapporteur d'avoir une position différente, celle d'un parlementaire. Les fonds de concours, en effet, font l'objet d'une publicité limitée (une annexe « jaune » au projet de loi de finances en présente désormais une évaluation, y compris pour l'exercice suivant ; ils apparaissent par ailleurs dans les documents d'exécution) et ne sont pas approuvés a priori par le Parlement. C'est là toute la différence avec les comptes spéciaux du Trésor ; la création de ceux-ci doit être explicitement soumise au législateur dans le cadre d'un projet de loi de finances ; celui-ci approuve ensuite annuellement, dans les conditions de droit commun, leurs prévisions de recettes et leurs crédits budgétaires. Le caractère fiscal des redevances des agences implique une pleine intervention du législateur dans le processus de leur affectation ; il ne saurait être tenu à l'écart d'un mécanisme amenant de fait à affecter à l'État une partie du produit des redevances.

Cela dit, même si l'on doit préférer à terme la procédure du compte spécial du Trésor, cela ne signifie pas obligatoirement son instauration dès la prochaine loi de finances.

2.- LA QUESTION DU CALENDRIER ET DU MONTANT

De manière générale, la réforme du système des agences et des redevances devrait être menée à terme seulement en 2001, en cohérence avec la programmation quinquennale des agences : celles-ci sont actuellement dans leur VIIème programme (1997-2001) et entreraient en 2002 dans le VIIIème (2002-2006) avec un dispositif réformé.

Faut-il, dans ces conditions, anticiper sur la réforme d'ensemble en instituant, dès 2000, un nouveau compte spécial du Trésor, financé sur les ressources des agences, et à un niveau d'entrée de jeu assez élevé ? Le caractère pluriannuel de la programmation des agences n'est évidemment pas un choix de hasard : celles-ci subventionnent des investissements très lourds et prennent donc des engagements sur plusieurs années. Leur capacité, en cours de programme, de redéployer des moyens (en l'espèce, au profit du compte spécial envisagé) est donc en principe limitée ; elle ne saurait exister réellement que si le diagnostic, parfois porté, de sur-financement des agences est vérifié. Sur cette question, il est difficile de porter un jugement compte tenu du caractère cyclique des flux de dépenses des agences : le décalage recettes/dépenses constaté une année donnée doit être interprété avec prudence. Un autre motif invoqué pour expliquer les excédents financiers de certaines agences tiendrait au retard des collectivités locales, responsables des ouvrages à subventionner, dans l'engagement de certaines dépenses qui seront de toute façon imposées par la réglementation et qu'il appartient donc aux agences de provisionner. De ses entretiens, votre Rapporteur a retiré le sentiment que la situation financière objective des agences était en fait très variable, certaines pouvant sans doute supporter un prélèvement important de ressources dès 2000-2001, d'autres non.

On peut s'interroger sur l'opportunité d'un dispositif transitoire : l'introduction d'un compte spécial approuvé par le Parlement ferait partie de la réforme générale de 2001 ; pour les années 2000 et 2001, on resterait dans la mécanique du fonds de concours, avec une montée en puissance significative.

A cet égard, le directeur d'une agence rencontrée propose, à partir des 300 millions de francs actuels, un passage progressif à un montant de 500 millions de francs annuels pendant le VIIIème programme : selon lui, un montant supérieur impliquerait une augmentation des taux de redevances. Le ministère de l'Environnement, quant à lui, évoque 1 milliard de francs. Quels que soient les montants retenus, ils devront faire l'objet d'engagements clairs non seulement pour 2000 et 2001, mais aussi la période du VIIIème programme (2002-2006), afin que les agences puissent élaborer leur programmation en toute connaissance de cause.

En tout état de cause, comme l'ont observé tous les interlocuteurs de votre Rapporteur, il ne s'agit pas de se fixer un objectif financier par principe, mais de savoir ce que l'on peut dépenser « intelligemment » au niveau national, ce qu'il est mieux de faire à cet échelon qu'à celui des agences.

3.- QUELLES INTERVENTIONS ?

Plusieurs pistes sont évoquées à cet égard, les unes dans la continuité des actions déjà financées par les fonds de concours existants, les autres correspondant soit à des interventions déjà menées par les agences -dont la prise en charge relèverait alors de la péréquation inter-bassins -, soit à des actions réellement nouvelles.

On peut considérer, si on s'efforce de les classer selon leur nature, que ces actions qui pourraient être menées à l'échelon national ressortent de trois grandes catégories :

- le renforcement de l'échelon national (et au moins partiellement par nature « étatique ») de la politique de l'eau : police de l'eau, études, mesures... Dès cette année, 140 millions de francs devraient être fournis par les agences à travers un fonds de concours, répartis entre la police de l'eau (50 millions de francs), celle des garde-pêche (50 millions de francs) et les réseaux de mesures (40 millions de francs) ; par ailleurs, environ 50 millions de francs seraient consacrés annuellement, d'ores et déjà, à des actions inter-agences (études et recherche, en particulier). Selon les hypothèses avancées, il serait envisageable, dans le cadre du futur compte spécial, d'accroître ces moyens afin de poursuivre ces actions tout en les élargissant à des sujets connexes (par exemple, financement du Haut Conseil du service public de l'eau et de l'assainissement en cours de création) ;

- le développement des actions de péréquation inter-bassins : les mesures d'entretien des cours d'eaux et de prévention des inondations qui font déjà l'objet d'un fonds de concours de 110 millions de francs seraient poursuivies ; d'autres sujets pourraient être introduits dans le champ de la péréquation, en particulier une part du financement du PMPOA... près de 500 millions de francs, au total, pourraient être réservés à ces actions de péréquation ou de solidarité entre bassins ;

- au titre de la solidarité, le développement d'interventions nationales, inexistantes ou presque aujourd'hui, pour améliorer l'assainissement dans les DOM et promouvoir les économies d'eau dans le logement social (tout cela pour près de 200 millions de francs annuels).

Lorsqu'il a soumis aux responsables des organismes de bassin qu'il a rencontrés ces différentes hypothèses, votre Rapporteur a constaté une assez large diversité des réactions, plus ou moins ouvertes, traduisant sans doute la diversité des positionnements de principe, mais aussi l'inégale aisance financière des agences.

Des problématiques différentes se dégagent selon que l'on parle de la participation financière des agences à des politiques de nature régalienne, ou de la « péréquation » entre elles.

La police de l'eau, comme la protection des personnes et des biens, donc la prévention des inondations, sont par nature des compétences de l'État. Deux types de réactions sont donc possibles face aux sollicitations financières adressées aux agences en la matière : soit une position de principe selon laquelle il appartient à l'État de financer ses missions régaliennes ; soit une position pragmatique admettant la légitimité d'une participation financière des agences de bassin dès lors qu'elles en tirent une forme de « retour ». Pour ce qui est de la police de l'eau, ce retour existe évidemment, comme l'ont observé certaines personnes entendues : la mission des agences est de subventionner des travaux imposés par l'application des réglementations de police des eaux ; c'est ensuite à la police des eaux de vérifier le respect de ces réglementations, donc le bon usage des subventions ; sans police des eaux efficace, donc, il ne saurait y avoir d'agence de bassin utile. Le financement de la police des eaux par les agences relèverait donc de la même logique que celui de la gendarmerie autoroutière par les sociétés d'autoroutes : même si c'est regrettable, en l'absence de financement suffisant par le contribuable national, l'usager peut avoir intérêt à compléter les moyens disponibles...

Le thème de la « péréquation » suscite manifestement chez les responsables des organismes de bassin des réticences assez fortes. Trois types de problèmes sont évoqués : tout d'abord, certains s'interrogent à propos des conséquences de l'établissement d'une forme de solidarité nationale sur la solidarité existante - et acceptée - à l'intérieur de chaque bassin ; sur le fond, on peut s'interroger sur la légitimité d'une péréquation entre bassins quand les taux de redevances décidés y sont, par principe, différents, en fonction des choix d'investissement des uns et des autres. Ensuite, le choix des thèmes à traiter dans le cadre de la péréquation inter-bassins est évidemment lourd de conséquences sur le sens des transferts financiers qu'elle opérerait de fait : les inondations, qui intéressent plutôt le sud du pays, ou le PMPOA, qui concerne surtout l'ouest, soit. Mais pourquoi pas, alors, les infiltrations liées aux friches industrielles, problème plutôt spécifique à d'autres régions, par exemple ? On arrive ainsi à un débat inévitable sur la question de la péréquation : le sens des transferts financiers nets qu'elle entraînera doit-il être déterminé par l'aisance financière objective (si on peut la mesurer) des différentes agences, par la richesse économique comparée des bassins, par l'existence dans tel ou tel bassin de charges spécifiques difficiles à financer ? Le moins que l'on puisse dire est que cette question n'est pas tranchée ; il existe, en particulier, une divergence certaine de perception de la péréquation « légitime » entre la plus grosse des agences (Seine-Normandie, le Bassin parisien) et les autres... En fin de compte, la péréquation entre bassins apparaît tout à la fois comme une nécessité, vu l'ampleur de certaines charges spécifiques à certains bassins, et une difficulté ; ce dossier doit donc être affiné dans le temps.

Pour ce qui est des autres thèmes, si celui de la mise en commun de moyens de recherche (déjà existants) suscite une assez large approbation -voire la demande d'aller au-delà -, il n'en est pas de même pour les actions orientées vers la maîtrise des consommations d'eau des particuliers, en particulier dans le logement social, l'aide à l'installation de compteurs, car ce type d'actions, par définition décentralisées, peut parfaitement être mené à l'échelon des agences (si l'on considère qu'elles relèvent de la politique de l'eau et non de celle du logement).

De manière générale, le renforcement des moyens nationaux de la politique de l'eau, qu'il soit ou non financé par les agences, est sans doute une nécessité. Cependant, sur le terrain, il convient qu'il ne soit pas mené dans une logique de compétition institutionnelle avec les interventions déjà existantes des agences, de saupoudrage parallèle et inefficace de crédits, mais qu'il soit ciblé sur un certain nombre d'actions prioritaires bien délimitées, pour lesquelles, dans le respect du principe de subsidiarité, une intervention nationale est réellement préférable à l'action locale des agences. Une montée en puissance progressive, concertée et régulièrement évaluée du dispositif national envisagé est mieux à même d'en assurer l'efficacité.

D.- L'ÉVOLUTION DU FNDAE CONSTITUE UN DOSSIER INDÉPENDANT

Parallèlement au débat sur la création d'un compte spécial du Trésor nouveau pour mener des actions nationales et de péréquation en matière de politique de l'eau, l'hypothèse d'un transfert au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement de la gestion du fonds national pour le développement des adductions d'eau (FNDAE) a été avancée.

Mais quel peut être l'intérêt d'une telle démarche ? S'il s'agit, à cette occasion, de changer la nature du fonds, seul instrument véritable de péréquation dans le domaine de l'eau, pour l'affecter aux politiques que le ministère de l'Environnement considère comme insuffisamment financées aujourd'hui, ce n'est pas acceptable : les financements manquants doivent être trouvés ailleurs.

En revanche, s'il ne s'agit pas de modifier la nature des interventions du FNDAE, votre Rapporteur ne peut voir dans les changements institutionnels évoqués que la recherche malheureuse de certains effets d'annonce ou la poursuite de « querelles de boutique »...

Effets d'annonce ? Il s'agirait d'afficher un gonflement des moyens, notoirement insuffisants, du ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, grâce au transfert de moyens existants ...

On observera au passage que le choix opéré cette année d'intégrer le FNDAE au nouveau compte spécial du Trésor créé dans le domaine de l'eau et par ailleurs financé par un prélèvement sur les agences de bassin, tout en préservant de fait l'autonomie du FNDAE (puisque ce compte nouveau comportera deux sections séparées), relève déjà quelque peu de l'effet d'annonce : cette présentation a pour principal intérêt de ne pas augmenter visuellement le nombre de comptes spéciaux du Trésor.

Querelles de boutique ? Plusieurs ministères peuvent revendiquer la gestion du FNDAE : celui de l'Agriculture, celui de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, mais aussi, pourquoi pas, celui de l'Intérieur, puisqu'il s'agit d'un mécanisme de péréquation au profit de collectivités locales... Ce qui est clair, c'est que le FNDAE, actuellement, fonctionne de manière satisfaisante, avec, à l'échelon central, un comité de gestion où sont représentées les différentes administrations concernées ; à l'échelon départemental, la principale administration d'État à intervenir dans la gestion du FNDAE (recouvrement du prélèvement sur les factures d'eau, appui technique aux services du département) est la direction départementale de l'Agriculture et de la Forêt (DDAF), et cette situation ne changerait pas en cas de transfert du fonds au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, en l'absence de services départementaux de ce ministère : les DDAF agiraient pour son compte. L'exemple de la police de l'eau ne plaide pas pour ce type de solution ; pourquoi compliquer un mécanisme qui fonctionne ?

Le FNDAE doit sans doute connaître des évolutions. A court terme, il serait légitime, en particulier, qu'il ne fût plus sollicité pour le financement du PMPOA. Mais le dossier FNDAE n'a aucune raison, sauf sur ce dernier point, d'être traité dans le cadre de celui de l'organisation d'un échelon national renforcé de la politique de l'eau et d'une solidarité entre agences de l'eau. En conséquence, votre Rapporteur estime judicieux et réaliste le maintien du FNDAE sous la responsabilité du ministère de l'Agriculture.

E.- LES INDUSTRIELS DE LA CHIMIE PEUVENT SUPPORTER DE NOUVEAUX PRÉLÈVEMENTS

Votre Rapporteur a rencontré les représentants des unions professionnelles des principales industries concernées par l'éventualité de prélèvements nouveaux liés aux facteurs de pollution des eaux : engrais azotés, détergents et en particulier lessives aux phosphates, produits phytosanitaires. Il s'agit globalement d'industries très concentrées, très internationalisées et très capitalistiques qui ont une capacité élevée de réaction aux évolutions économiques, y compris aux nouvelles taxes.

1.- QUEL INSTRUMENT POUR DÉCOURAGER L'USAGE DES PHOSPHATES ?

En ce qui concerne les détergents et en particulier les lessives aux phosphates, le débat porte moins sur la capacité des industriels et des consommateurs à supporter un nouveau prélèvement que sur la nocivité comparée des différents composants et donc le choix de l'instrument à utiliser.

a) Une taxation est-elle économiquement supportable ?

Une taxe à la mise sur le marché de détergents, qu'elle porte sur l'ensemble de ceux-ci ou sur les seules lessives, voire les seules lessives contenant des phosphates, verrait naturellement son coût économique partagé entre les industriels, les distributeurs et les consommateurs, selon le degré de répercussion dans les prix.

La part répercutée sur les consommateurs (qui doit être la plus élevée possible si l'on veut avoir de bons effets de dissuasion) serait étalée sur la plus grande partie de la population, qui utilise de tels produits, et donc parfaitement supportable.

On peut considérer que les industriels, si une part de la taxe devait rester à leur charge, pourraient en supporter le coût : il s'agit d'une industrie concentrée et internationalisée à l'extrême, dominée par quatre groupes transnationaux ; s'il est vrai que le marché est saturé et très concurrentiel, avec des marges limitées, on doit toutefois relever l'ampleur des dépenses publicitaires, qui, dans le seul secteur des lessives, auraient représenté, selon les industriels, près de 300 millions de francs en 1998, pour un chiffre d'affaires de 7 milliards de francs. Ce chiffre est à comparer au rendement possible d'une taxe, évalué dans des documents gouvernementaux à environ 500 millions de francs pour l'an prochain.

Il convient en revanche de noter que le chiffre d'affaires des seules consommations intermédiaires de phosphates pour les lessives est inférieur à 200 millions de francs ; une taxe assise sur cette seule base aurait nécessairement un rendement limité.

b) Le débat sur la nocivité comparée des composants des lessives

Une étude récente  (23) a cherché à évaluer la nocivité comparée des différents composants des lessives, sans parvenir toutefois, aux yeux de votre Rapporteur, à des conclusions probantes : en effet, le phénomène d'eutrophisation lié aux phosphates n'y est pas pris en compte par les auteurs, alors qu'il est justement admis que c'est le principal effet néfaste de ces produits, en eux-mêmes peu toxiques ; partant de cette position, il n'est pas étonnant de parvenir à des conclusions faisant apparaître plus de problèmes (pourcentages de rivières où l'on dépasse les concentrations réputées sans effet sur le milieu) sur d'autres composants que les phosphates...

Plus généralement, un présupposé de cette étude est pour le moins contestable : il y est tenu plus ou moins explicitement un raisonnement selon lequel l'existence de stations d'épuration suffirait à régler le problème des résidus de lessives : on lit ainsi dans les conclusions : « ...ces molécules (les divers résidus de lessive) dûment collectées et traitées dans une station d'épuration munie d'un étage biologique, où elles sont éliminées à des niveaux supérieurs à 98 %, ne présentent aucun danger pour l'environnement. »

Cette argumentation s'inscrit typiquement dans la « culture » de la redevance : puisque les rejets domestiques, y compris donc les eaux de lavage, sont assujettis aux redevances pollution des agences, qui subventionnent des stations d'épuration, le problème apparaît réglé dès lors que l'épuration permet de réduire suffisamment ce type de pollutions. Mais cela n'enlève rien à la légitimité d'une taxe non affectée destinée à sortir de l'inflation des prélèvements et des dépenses inhérente au système des redevances (on pollue toujours plus ; il faut dépolluer ; les taux de redevances sont augmentés...).

Si cette réflexion éclaire la question du choix redevance/taxe, l'absence de conclusion convaincante, dans l'étude précitée, sur la nocivité spécifique des phosphates laisse entier le débat taxe/réglementation.

c) Instrument réglementaire ou taxe ?

Comme cela a déjà été dit, une intervention exclusivement ciblée sur la question des phosphates pourrait passer tout aussi efficacement par l'instrument réglementaire (l'interdiction) que par une pénalisation financière, au regard de la sensibilité des consommateurs à la variation des prix des lessives et de la capacité de réaction des industriels, qui « reformuleraient » leurs produits en quelques mois (les lessives avec phosphates n'ont déjà représenté que 37 % du marché, en valeur, en 1998, contre la quasi-totalité il y a dix ans) : bref, une taxe aboutirait rapidement à une prohibition de fait...

Plusieurs arguments peuvent toutefois faire préférer un mécanisme de taxe :

- en premier lieu, si l'on considère que les phosphates ne constituent pas le seul problème, mais que d'autres composants des lessives doivent aussi être pénalisés, un système de taxation différenciée des différents composants, voire, dans un premier temps, une taxation uniforme des lessives, peuvent être mis en place ;

- ensuite, il convient de rappeler qu'industriels et pouvoirs publics sont engagés dans un dispositif conventionnel de réduction progressive des phosphates depuis les années 1980 ; ce dispositif a été respecté et a porté ses fruits, puisque le taux moyen de phosphates dans les produits lessiviers a été abaissé en dix ans, de 1989 à 1999, de 24 à 10 % (voir graphique en annexe, page 124) ; une interdiction brutale apparaîtrait comme un déni de cette démarche contractuelle ;

- il y a également un enjeu économique local : l'usine de Rhône-Poulenc à Rouen, qui emploie 300 personnes pour la production de produits phosphatés pour les lessives, serait très gravement menacée ; un mécanisme de taxation permettrait un ajustement progressif ;

- enfin, même si une taxation significative des produits aux phosphates les écartait presqu'intégralement du marché, elle laisserait quand même le choix au consommateur de préférer, en payant, une lessive phosphatée. Or, selon les opinions (subjectives) de certaines personnes rencontrées, les phosphates ne pourraient être parfaitement remplacés dans les lessives dans certaines conditions (eau très calcaire, textiles très sales), ce qui justifierait que l'on laissât cette liberté de choix (sur le rôle des phosphates dans les lessives, voir note reproduite en annexe du rapport, page 135).

On doit garder à l'esprit, de toute façon, que les résidus lessiviers ne sont à l'origine que d'une partie des pollutions aux phosphates. La question des phosphates utilisés dans les engrais devra à terme être posée, bien que le problème soit bien moindre que pour les nitrates, compte tenu d'une faible solubilité dans l'eau.

2.- LES PRODUCTEURS D'INTRANTS AGRICOLES : UNE INDUSTRIE CONCENTRÉE ET CAPITALISTIQUE

Avant d'analyser les incidences pour l'agriculture d'éventuelles taxes ou redevances sur les intrants agricoles, on peut évoquer les incidences sur les producteurs de ces intrants, pour autant que tout ou partie de ces prélèvements reste à leur charge.

a) L'industrie des engrais

L'industrie française des engrais est fortement concentrée, étant dominée par deux groupes transnationaux (l'un français, l'autre étranger), et capitalistique, avec un contenu en emplois relativement faible : il y aurait 7.000 emplois directs dans la branche pour un chiffre d'affaires de 10 milliards de francs.

Les représentants de la branche mettent en avant les difficultés économiques qu'elle traverse ou qui la menacent : la forte pénétration des importations (la production nationale représente 10 milliards de francs pour une consommation de 16 milliards de francs ; sur le marché des solutions azotées, le taux de pénétration serait proche de 50 %) ; le dumping pratiqué par les exportateurs des pays de l'Est (grâce à des prix très faibles de l'énergie), qui a entraîné de 1995-1996 à 1998-1999 une baisse de plus de 35 % du prix d'importation des solutions azotées ; la perspective de l'éco-taxe sur l'énergie, qui pourrait coûter 300 millions de francs à la branche, soit au moins l'équivalent de ses marges...

Sans juger de la validité de cette argumentation, on note qu'elle peut parfaitement être retournée : on peut en inférer l'opportunité de ne pas établir de nouveaux prélèvements spécifiques ; on peut aussi observer qu'une industrie qui peut survivre à un dumping sauvage faisant baisser les prix d'un tiers peut supporter une nouvelle taxe plus modérée...

b) L'industrie des produits phytosanitaires

L'industrie des produits phytosanitaires est également une industrie concentrée, internationalisée et capitalistique : l'union professionnelle regroupe seulement 29 entreprises, qui représentent pourtant 96 % du chiffre d'affaires de la branche ; on y retrouve principalement les grands noms de la chimie et de la pharmacie mondiales ; le contenu en emplois est très inférieur à la moyenne (mais ce sont des emplois souvent très qualifiés), avec 5.600 emplois directs pour un chiffre d'affaires de 20 milliards de francs. C'est une industrie exportatrice : un tiers de la production est vendue à l'étranger.

Les professionnels, face à la perspective d'une nouvelle taxation, à laquelle ils préféreraient un système de redevance, font valoir :

- le degré déjà très élevé d'encadrement de leur métier, soumis à un régime d'autorisation de mise sur le marché rigoureux ;

- le coût de lancement, en conséquence, des nouveaux produits, évalué en moyenne à 1 milliard de francs, dont 600 millions de francs liés aux obligations afférentes à l'autorisation de mise sur le marché.

Ils considèrent qu'un dispositif de redevance géré par les agences de l'eau serait efficace car le problème, indiquent-ils, tient moins à la consommation des produits phytosanitaires qu'au mauvais usage qui en est parfois fait, et qu'il faut donc redresser grâce à des programmes d'information.

c) Un élément de fait à prendre en compte : l'application du taux réduit de TVA aux intrants agricoles

La présentation de la situation des industriels vis-à-vis de l'éventuelle instauration de taxes sur certains intrants agricoles, comme d'ailleurs de celle des agriculteurs, serait incomplète sans le rappel d'un élément important : les intrants agricoles bénéficient actuellement du taux réduit de TVA (5,5 %).

Un rapide calcul montre qu'un passage au taux normal de TVA (20,6 %) des engrais et produits phytosanitaires générerait une TVA supplémentaire brute de l'ordre de 5 milliards de francs. Cela dit, le gain net pour l'État serait faible, car l'essentiel de cette TVA supplémentaire viendrait en déduction de celle payée en aval par les agriculteurs sur leurs ventes, étant seule pénalisée la minorité des plus modestes qui reste exonérée de TVA (sauf à majorer le remboursement forfaitaire qui leur est alloué). Pour autant, même si une majoration de taux de TVA était finalement sans effet économique sur la majorité des agriculteurs, la forte augmentation consécutive des prix affichés des intrants concernés pourrait avoir un effet « psychologique » intéressant sur leur consommation... Cette piste peut venir en complément de l'établissement d'autres prélèvements plus pénalisants.

F.- L'AGRICULTURE DOIT BÉNÉFICIER D'UNE APPROCHE PRUDENTE MAIS DÉTERMINÉE

L'échec dans la maîtrise, jusqu'à présent, des pollutions d'origine agricole doit conduire logiquement à asseoir principalement les nouveaux prélèvements envisagés sur les intrants agricoles ou les comportements pollueurs des exploitants agricoles : la détermination doit être forte sur ce point. Cependant, la lourdeur des montants que l'on serait amené à prélever oblige à s'interroger sur leurs conséquences économiques pour la branche agriculture, ce qui éclaire d'un jour particulier le débat sur l'affectation ou la non affectation de ces prélèvements.

1.- L'ÉVALUATION DU MONTANT « UTILE » DES PRÉLÈVEMENTS ET DE LEURS MODALITÉS LES PLUS EFFICACES EST DIFFICILE

La détermination concrète des modalités de prélèvements à objet environnemental repose d'une part sur l'évaluation des coûts environnementaux des pollutions concernées, d'autre part sur les estimations d'élasticité-prix des consommations de produits que l'on souhaite dissuader.

a) L'évaluation des coûts environnementaux

S'agissant des coûts liés à la contamination des eaux par l'azote d'origine agricole, on dispose de certaines évaluations incomplètes, puisqu'elles ne prennent pas en compte les coûts de santé publique, notamment, mais simplement les dépenses futures prévisibles liées à la dénitrification des eaux pour assurer le respect des normes. Le raisonnement suivant est tenu dans une étude récente : « Si l'on considère qu'à terme la limite de potabilité sera dépassée pour tous les captages desservant les villes de moins de 5.000 habitants (ces captages regroupent actuellement plus de 90 % des captages hors normes), les volumes à traiter représenteraient près de 1,8 milliard de mètres cubes. Sur la base de coûts moyens de dénitrification de l'ordre de 1,8 franc par mètre cube d'eau traitée, le coût du traitement total nécessaire pour respecter les normes sanitaires serait alors de 3,2 milliards de francs par an. » (24). Les auteurs de l'étude estiment ensuite que les deux tiers environ des rejets d'azote sont liés à l'activité agricole, ce qui conduirait donc à lui imputer un coût d'environ 2 milliards de francs, à répartir à parité entre l'élevage et les grandes cultures.

Pour ce qui est des pollutions par les produits phytosanitaires, il n'existe guère d'évaluation des coûts environnementaux. On peut en revanche se fonder sur les montants qui seraient jugés nécessaires pour mener un certain nombre d'actions de prévention et de sensibilisation (ce qui signifie que l'on se place d'entrée de jeu dans une logique de « redevance affectée ») ; les organisations professionnelles agricoles, dans leur position commune, évoquent une dépense annuelle de 250 millions de francs, qui permettrait un certain nombre d'interventions concrètes : réglage de pulvérisateurs, récupération d'emballages ou de produits inutilisés, etc. Un chiffrage gouvernemental parvient à un montant plus élevé : 790 millions de francs. Une autre démarche intéressante pourrait consister en un chiffrage du coût des analyses menées pour détecter les produits phytosanitaires dans les eaux, ces coûts étant de plus en plus élevés, puisque la recherche porte maintenant sur plusieurs centaines de molécules différentes.

b) L'évaluation des effets de dissuasion

L'estimation des élasticités-prix, afin d'évaluer les effets de dissuasion, est également délicate. Il faut essayer en la matière de se fonder sur les expériences étrangères de taxation dans le domaine des intrants agricoles. Une étude a été récemment menée à la demande des agences de l'eau (25) sur les expériences d'éco-taxes en Suède, en Norvège, au Danemark et aux Pays-Bas : pour ce qui est des engrais, elle mentionne une analyse suédoise mettant en évidence des variations d'élasticité-prix de 0,12 à 0,51 selon les bassins ; des données disponibles sur la Finlande et l'Autriche indiqueraient des taux de l'ordre de 0,15 à 0,20 ; des études théoriques présentées lors d'une conférence sur les instruments économiques de contrôle de l'azote tenue à Bruxelles le 22 mars 1999 concluraient également à de faibles élasticités de l'ordre de 0,1 à 0,5. Enfin, une très récente étude de l'INRA  (26) analyse les conséquences d'une taxation des engrais, avec plusieurs scenarios : selon le scénario central, qui prévoit une taxe de 20 %, la diminution des utilisations d'engrais serait de l'ordre de 15 % (soit une élasticité de 0,75) ; elle atteindrait 18 % pour les cultures céréalières, les oléagineux et les protéagineux.

Pour ce qui est des produits phytosanitaires, il semblerait qu'une taxation de l'ordre de 15 à 20 % soit nécessaire pour déclencher une modification des comportements d'achat ; au Danemark, une taxation au taux de 20 % aurait provoqué une baisse de 5 à 10 % des consommations ; en Norvège, le dispositif complexe, différencié et dissuasif mis en place se serait traduit par une diminution de 54 % des ventes de substances actives de 1985 à 1994. En fin de compte, c'est surtout l'incertitude des évaluations sur les élasticités-prix des intrants agricoles qui frappe ; globalement, ces élasticités apparaissent plutôt faibles, ce qui plaide en conséquence pour des mécanismes de prélèvement complexes et différenciés plutôt que pour une taxation simple des intrants, qui risquerait d'avoir peu d'effets sur leur utilisation.

c) Le choix des modalités d'imposition

La recherche d'un effet dissuasif important et d'une équité maximale au regard du principe pollueur-payeur donne l'avantage aux systèmes de taxation sophistiqués, même s'ils sont lourds à gérer.

Pour ce qui des produits phytosanitaires, les organisations professionnelles agricoles manifestent une préférence pour un dispositif à taux homogène. Cependant, il est clair que si l'on cherche à écarter du marché les produits que l'on considère les plus nocifs, une taxation différenciée selon cette nocivité est préférable. La question porte alors sur la possibilité d'apprécier efficacement cette nocivité, ce qui est surtout une question de pondération entre les différents facteurs à prendre en compte : toxicité pour l'homme et pour le milieu, possibilité d'effet différé, bio-dégradabilité ou rémanence, etc.

En ce qui concerne l'azote agricole, une taxation - simple - au sac d'engrais ne serait peut-être pas très dissuasive (encore qu'il existe une élasticité-prix significative des achats d'engrais) et serait surtout peu conforme au principe pollueur-payeur : d'une part, elle ne frapperait guère que les productions végétales et épargnerait largement l'élevage (en associant à la taxation des engrais une taxation des aliments pour le bétail à un taux équivalent en fonction du contenu azoté, la charge reposerait aux quatre cinquièmes sur les cultures et au cinquième sur l'élevage, ce qui resterait inéquitable) ; d'autre part, elle ne tiendrait pas compte de l'absorption d'azote par les cultures, sachant que seuls les excédents qui ne sont pas absorbés par ces cultures contaminent les nappes phréatiques.

Dans ces conditions, la solution à l'étude consisterait en une taxation des « excédents d'azote » par exploitation agricole, c'est-à-dire de la part de l'azote apporté qui n'est pas incorporée à la production agricole : chaque exploitant remplirait une déclaration permettant de calculer les « entrées » d'azote (achats d'engrais, d'effluents à épandre, d'animaux et d'aliments pour le bétail) et les « sorties » (ventes d'animaux, de récoltes et d'effluents). Un débat existe entre les deux méthodes expérimentées, celle dite du « bilan apparent » et la méthode « CORPEN » (Comité d'orientation pour la réduction de la pollution des eaux par les nitrates), plus complexe et qui a notamment pour effet de défalquer l'azote des effluents d'élevage qui part dans l'atmosphère : cette seconde méthode est donc plus favorable aux éleveurs et apprécie au plus près la contribution des uns et des autres à la pollution des eaux ; il convient cependant de noter que la pollution atmosphérique par les composés azotés est également un problème. En tout état de cause, le dispositif retenu devrait être, autant que possible, relativement simple et gérable, quitte à comporter des ajustements forfaitaires pour éviter des injustices (par exemple, des abattements pour les éleveurs, les prairies, les cultures destinées à piéger les nitrates, etc.). En outre, un tel dispositif devrait prendre en compte une moyenne pluriannuelle, afin de lisser les effets des variations de stocks ou des accidents climatiques.

D'après les préfigurations disponibles, l'application d'un système de cet ordre nécessiterait le renseignement par les exploitants d'une déclaration comportant 30 à 40 rubriques, ce qui n'est sans doute pas insupportable. La question de l'intégration au dispositif des exploitants assujettis à l'impôt sur le revenu au régime du forfait collectif se poserait toutefois : les intéressés sont quasiment exonérés de toute obligation déclarative et sans doute peu enclins à en accepter ; cependant, il s'agit encore de plus de la moitié des exploitants, même si ce sont les plus modestes, et il n'est donc pas si aisé de les laisser en dehors du dispositif.

2.- LES PRÉLÈVEMENTS ENVISAGEABLES PÈSENT LOURDEMENT SUR LES COMPTES DE L'AGRICULTURE

On a vu qu'un prélèvement sur l'« azote agricole » qui aurait pour vocation de couvrir les dépenses futures de dénitrification pourrait légitiment atteindre 2 milliards de francs, à répartir entre éleveurs et exploitants de grandes cultures ; dans les mêmes conditions, une taxe au sac d'engrais, ne concernant que ces derniers, se limiterait à 1 milliard de francs. Quant au prélèvement sur les produits phytosanitaires, son rendement pourrait être également proche du milliard de francs.

Si l'on part sur la base d'un prélèvement global de l'ordre de 2 milliards de francs sur l'azote et les produits phytosanitaires, il faut bien en voir l'incidence sur les comptes de l'agriculture : toutes choses égales par ailleurs, et à supposer que ce prélèvement soit intégralement pris en charge par les agriculteurs (des taxes sur la mise sur le marché des intrants agricoles ne seraient vraisemblablement pas intégralement répercutées sur les acheteurs agricoles, mais partiellement prises en charge par les producteurs), cela représenterait un prélèvement de 1,7 % sur le revenu agricole net global (122 milliards de francs en 1998). Pour ce qui est du prix des intrants, 1 milliard de francs prélevés représenteraient une hausse d'environ 6 % pour les produits phytosanitaires (chiffre d'affaires : 17 milliards de francs), de plus de 10 % pour les engrais azotés (chiffre d'affaires inférieur à 10 milliards de francs), si des taxes à la mise sur le marché étaient intégralement répercutées, ce qui est - il est vrai - improbable.

A la différence d'un prélèvement sur un produit directement destiné à la consommation des ménages comme les lessives aux phosphates, dont la part répercutée par les producteurs serait étalée sur la consommation de plusieurs de dizaines de millions de ménages et donc un revenu disponible de plusieurs milliers de milliards de francs, des prélèvements sur les intrants agricoles pèseraient sur une assiette plus étroite. On pourrait bien sûr soutenir qu'un prélèvement qui constitue un coût de production peut être répercuté dans les prix de vente aux consommateurs ; mais tel n'est sans doute pas le cas en ce qui concerne l'agriculture, compte tenu du mode de formation des prix des produits agricoles : soit ceux-ci sont des prix administrés, fixés à Bruxelles sans tenir compte, a priori, de l'évolution des coûts dans chaque État membre, soit ce sont des prix très instables, compte tenu de la rigidité de l'offre et de la demande et des phénomènes de cycle, et l'expérience (celle de la filière porcine, par exemple) montre que ces prix sont malheureusement peu corrélés à la réalité des coûts de production. La répercussion d'un coût supplémentaire de production dans les prix agricoles n'est donc pas une évidence.

L'étude de l'INRA précitée, se fondant sur ce type d'hypothèses, considère qu'une taxe de 20 % sur les engrais minéraux entraînerait une diminution de 1,3 % de la valeur ajoutée de la branche agriculture (toutes choses égales par ailleurs) : en effet, la valeur des achats d'engrais augmenterait légèrement (la baisse d'utilisation étant un peu inférieure à l'augmentation du prix), alors que la valeur de la production diminuerait du fait de la baisse du volume de cette production (- 4 % pour les productions de céréales et d'oléagineux à cause des moindres rendements consécutifs à un apport réduit d'engrais) et de l'absence d'ajustement par les prix.

En fait, la soutenabilité économique de prélèvements liés aux pollutions agricoles ne pourrait résulter que de leur efficacité intrinsèque : s'ils dissuadent effectivement l'usage excessif de certains intrants, le rendement de ces prélèvements diminuera, de même que la dépense (nette de prélèvements) en intrants, ce qui préserverait le revenu si par ailleurs la production est maintenue, malgré moins d'intrants, grâce à l'amélioration des pratiques.

Une autre approche consiste à effectuer une comparaison avec les prélèvement sociaux et fiscaux concernant déjà l'agriculture : c'est ainsi que les cotisations sociales personnelles des exploitants assises sur le revenu agricole devraient représenter, cette année, 15 milliards de francs, et leur CSG-CRDS, 5 milliards de francs ; l'impôt foncier non bâti payé par les exploitants en faire-valoir direct se serait, quant à lui, élevé à moins de 3 milliards de francs en 1998 (selon les comptes provisoires de l'agriculture) ; enfin, même s'il est, par définition, impossible d'évaluer la part « agricole » de l'impôt sur le revenu (puisque l'impôt est calculé sur l'ensemble des revenus de chaque foyer, qui proviennent de différentes sources), l'extrapolation de la part « revenus agricoles » de l'assiette globale de cet impôt autorise une évaluation de la contribution agricole de l'ordre de 3 à 5 milliards de francs. Au regard de ces données, il apparaît bien qu'un prélèvement de l'ordre de 2 milliards de francs serait tout à fait significatif.

Enfin, il est nécessaire de tenir compte de la concurrence de nos partenaires européens. Sur ce point, force est de constater l'absence de taxation spécifique des engrais, effluents d'élevage, excédents d'azote ou produits phytosanitaires chez la plupart de nos partenaires, seuls les pays scandinaves, la Belgique et les Pays-Bas pratiquant ce type de prélèvements (parfois sur une seule des assiettes). Il est même à noter que deux pays, l'Autriche et la Finlande, qui avaient établi dans le passé des taxes sur les engrais, les ont supprimées il y a quelques années.

Dans ces conditions, même si le principe général de non affectation des prélèvements environnementaux doit être retenu, la question des « compensations » que retireraient les agriculteurs est inévitable.

3.- FAUT-IL AFFECTER LES PRÉLÈVEMENTS SUR L'AZOTE AGRICOLE ET LES PRODUITS PHYTOSANITAIRES ?

La présentation générale des éco-taxes comme un moyen de financer les allégements de charges sociales patronales liés à la réduction du temps de travail (thèse du « double dividende ») n'est sans doute pas la plus adéquate pour emporter l'adhésion du monde agricole. Certes, il n'est pas contestable que les allégements de charges sur les salaires se retrouvent aussi dans les comptes de la branche agriculture, d'autant que les salaires y sont plutôt bas et donc concernés par les mesures spécifiques aux bas salaires ; en 1998, selon le rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale de septembre 1999, les réductions de cotisations sur les bas salaires, pour les salariés agricoles (affiliés à la Mutualité sociale agricole), ont représenté 3,7 milliards de francs, soit 8 % de la masse globale de ces réductions ; l'élargissement des allégements de charges qu'envisage le Gouvernement aura donc, certainement, une incidence significative sur les charges de l'agriculture (peut-être 1 à 2 milliards de francs). Cela dit, n'y gagneront que les agriculteurs qui emploient des salariés ; or, 10 % seulement des exploitations comportent un salarié permanent, 25 % environ recourant à des saisonniers, et ce ne sont pas, en général, les plus petites ... On voit donc qu'un allégement des charges sur salaires ne peut qu'avoir peu d'échos pour la grande majorité des agriculteurs, par ailleurs peu sensibles au thème de la réduction du temps de travail, qui malheureusement ne les concerne guère.

Il sera donc difficile de faire accepter au monde agricole les prélèvements nouveaux à objet environnemental en l'absence de « compensations » d'une nature ou d'une autre.

a) Une affectation explicite dans le domaine de l'environnement ?

Les organisations professionnelles agricoles, si elles ont fini par accepter le principe d'une pénalisation financière des « excédents d'azote » et des produits phytosanitaires, plaident vigoureusement pour l'affectation des prélèvements qui seraient institués. L'idée de fonds professionnels spécifiques a été envisagée un moment. Cependant, la dernière position professionnelle évoque plus simplement l'affectation de ces prélèvements aux agences de l'eau, sous forme de redevances nouvelles.

Deux arguments peuvent être invoqués pour justifier d'une telle option : d'une part, naturellement, l'acceptation plus facile, par les professionnels de l'agriculture, d'un prélèvement affecté qui garantit un retour financier sous forme d'aides ou de programmes spécifiques ; d'autre part, la souplesse et la connaissance du terrain qui caractérisent les agences et devraient leur permettre de s'adapter aux conditions locales. A contrario, a observé un responsable agricole rencontré, les dispositifs nationaux législatifs ou réglementaires ne sont pas toujours adaptés aux situations locales et peuvent donc être inéquitables et inefficaces : c'est ainsi que l'application homogène, sur le territoire, de la réglementation des installations classées aux élevages peut être discutée si l'on prend en compte la très grande hétérogénéité de situations entre les régions d'élevage intensif et d'« excédents structurels » d'azote et des régions herbagères ou à dominante céréalière, dans lesquelles l'application de cette réglementation peut décourager des élevages qui, pourtant, ne menacent objectivement pas, compte tenu de leur petit nombre, les nappes phréatiques. Un troisième argument doit être pris en compte, même si sa légitimité est douteuse : il faut bien admettre que l'administration fiscale (qui serait chargée de recouvrer une taxe non affectée) apparaît très réticente vis-à-vis de tout prélèvement nouveau complexe, alors que certains responsables d'agences de l'eau auditionnés se sont montrés plus ouverts ; dès lors que la préférence doit être donnée à des prélèvements réellement dissuasifs sur les comportements et donc compliqués (taxation différenciée des produits phytosanitaires selon leur nocivité, taxation des excédents d'azote plutôt que des sacs d'engrais), cet élément de fait ne peut être négligé.

Cependant, des arguments non moins pertinents plaident contre l'intégration des nouveaux prélèvements dans le domaine agricole au système des redevances des agences. En premier lieu, on relèvera la contradiction qu'il y a entre l'idée de prélèvement dissuasif et le principe d'affectation : un prélèvement à objet dissuasif qui est efficace a vocation à voir se réduire progressivement son rendement, les comportements nocifs étant dissuadés ; peut-on alors prétendre financer durablement des dépenses spécifiques à l'aide de ce produit fiscal ? S'il ne s'agit que de mener des actions de prévention ou de sensibilisation, on peut admettre que la disparition des comportements nocifs et donc du produit fiscal justifie à son tour la disparition des interventions en question ; en revanche, il n'en est pas de même si l'on veut financer des opérations de remise en état ou d'épuration qui peuvent avoir lieu des années après les pollutions qui en sont responsables. En second lieu, on ne peut de toute façon manquer de s'interroger, au regard de l'expérience passée, sur la capacité effective des agences de l'eau à prélever des redevances sur le monde agricole ; à court terme, on pourrait « tester » cette capacité à travers l'évolution des redevances prélèvement des agriculteurs (ils sont effectivement assujettis à ces redevances, à la différence des redevances pollution), dont l'alignement sur le droit commun devrait conduire à un prélèvement supplémentaire de l'ordre de 200 millions de francs sur les exploitants agricoles... Or, quelle qu'en soit la cause (tarissement spontané de prélèvements « efficaces » ou obtention, une fois de plus, de régimes dérogatoires par le monde agricole), une situation où les agences seraient amenées à développer de nouveaux programmes d'intervention en direction du monde agricole sans une contrepartie effective de ressources ne serait pas acceptée par les autres catégories d'assujettis aux redevances ; plusieurs responsables d'agences ont insisté sur ce point.

Une gestion « fiscale » des nouveaux prélèvements pourrait donc être jugée préférable. Des membres de la mission commune d'inspection sur le PMPOA estiment au demeurant qu'un prélèvement sur les excédents d'azote par exploitation pourrait être géré par l'administration fiscale comme un « sous-produit » (en termes de déclarations et de recouvrement) de la TVA. Une autre solution avancée consisterait à confier (contre rémunération) aux agences de bassin l'établissement et le recouvrement des prélèvements nouveaux, du moins de celui, fort complexe, sur les excédents d'azote, tout en maintenant le principe d'affectation au budget général : la compétence acquise par les agences en matière d'évaluation des bilans d'azote (grâce à la gestion du PMPOA) serait ainsi valorisée, mais sans risque de « révolte » des autres assujettis aux redevances, les agences se bornant alors à rendre à l'État un service rémunéré quel que soit le rendement appelé de la nouvelle taxe. Dans ce schéma, les agriculteurs auraient aussi la satisfaction de ne pas être confrontés directement aux services fiscaux et ces derniers, celle de ne pas avoir à gérer un dispositif étranger à leur « culture administrative ». Il reste à savoir si les agences de bassin sont prêtes, de leur côté, à jouer le rôle de percepteur pour le compte d'autrui...

b) Une affectation « politique » ?

Dans l'hypothèse d'une affectation au budget général ou à la sécurité sociale, l'acceptation (relative) de nouveaux prélèvements obligatoires par le monde agricole serait sans doute plus aisée si des engagements étaient pris, avec un caractère pluriannuel, pour inscrire des crédits budgétaires d'État sur des programmes spécifiques destinés à la maîtrise des pollutions dans le monde agricole. Cette méthode inscrirait la TGAP sur les pollutions agricoles dans une optique progressive, avec le passage, maîtrisé par les décideurs politiques, et graduel, d'un dispositif de fait affecté à une éco-taxe non affectée.

Si l'on rentre dans le détail, la situation apparaît différente selon que l'on parle des produits phytosanitaires ou de la question de l'azote. En effet, outre le fait que certaines productions agricoles utilisant massivement des produits phytosanitaires bénéficient de manière générale d'aides publiques limitées (la viticulture et l'arboriculture en particulier), il n'existe pas aujourd'hui de programme public important en matière de bon usage de ces produits ; un effort en ce sens devrait donc être envisagé, d'autant que l'utilité d'un tel programme est attestée par plusieurs sources (et pas uniquement par les organisations agricoles ou les industriels) : selon une agence de l'eau sollicitée, des actions de récupération d'emballages et de produits inutilisés, de réglage des pulvérisateurs, de sensibilisation aux bonnes pratiques (éviter les « sur-protections », ne pas traiter aux abords immédiats des cours d'eau...), etc, permettraient non seulement une diminution significative des produits mis en _uvre (10 à 15 %), mais auraient un impact encore plus élevé sur le milieu (de l'ordre de 30 %).

En revanche, les choses sont très différentes lorsqu'on passe à la question des nitrates : il existe déjà, en l'espèce, un programme public fort coûteux et fort contesté, le PMPOA.

L'instauration d'une ressource assise, d'une manière ou d'une autre, sur l'azote agricole pourrait donc être rapprochée de la poursuite du PMPOA, sans qu'il s'agisse d'ailleurs de mettre en relation cette ressource et les dépenses actuelles du programme, mais plutôt les extensions de celui-ci liées :

- à sa dérive financière,

- à son éventuel élargissement aux petits et moyens éleveurs,

- au développement complémentaire d'actions orientées vers les productions végétales (puisqu'elles seraient mises à contribution).

On observera qu'en cas d'intégration d'un prélèvement sur l'azote agricole aux redevances des agences de bassin, l'établissement d'un lien entre ce nouveau prélèvement et le financement du PMPOA serait immédiat, puisque les agences participent d'ores et déjà à ce financement, ce qui est pour l'heure contestable en l'absence d'une ressource effective assise sur les pollutions dues aux effluents d'élevage. A contrario, s'il était décidé d'affecter au budget général ou à la sécurité sociale le prélèvement et de laisser définitivement en conséquence la pollution par les nitrates agricoles hors du champ des redevances pollution des agences, il n'y aurait plus aucune légitimité à ce que celles-ci financent le tiers du PMPOA. Naturellement, si les agences devaient se désengager du dispositif, la charge devrait vraisemblablement être reportée pour tout ou partie sur l'État, en contrepartie de la nouvelle taxe qui serait créée. Ce type de scénario se heurte toutefois à un obstacle : l'intervention des agences dans le cadre du PMPOA a eu jusqu'à présent l'avantage de limiter le financement « public » de ce programme au regard des règles communautaires, les aides des agences de l'eau pouvant ne pas y être assimilées compte tenu de la présence (théorique en l'espèce) de redevances en contrepartie. La voie du financement du PMPOA est donc étroite.

c) La nécessité de coupler prélèvements et interventions

De manière plus générale, la nécessité, déjà évoquée, d'une réorientation en profondeur des concours publics à l'agriculture doit être rappelée. Sans présumer de ce qui pourrait être fait, ce qui sortirait du strict débat sur la TGAP, il convient de signaler que la présentation des réformes à mener devra être positive : les organisations agricoles font volontiers valoir que mener de front l'instauration de prélèvements sur les intrants agricoles et la réforme de divers dispositifs de soutien au nom de la « modulation » ou de l' « éco-conditionnalité », dans le contexte de la nouvelle réforme de la PAC, cela ferait « trop ». Outre qu'il convient de relativiser les prévisions catastrophiques à propos de l'effet de la nouvelle réforme de la PAC sur le revenu agricole (on se souvient des mêmes prévisions lors de la réforme de 1992, totalement démenties par les faits), on doit, bien au contraire, mettre en lumière la cohérence entre les différentes évolutions, la modification des dispositifs de soutien visant également à mieux prendre en compte la dimension environnementale de l'agriculture et pouvant éventuellement compenser certains effets des nouvelles taxations.

Les concours publics à l'agriculture relèvent, pour l'essentiel, de la compétence de l'Union européenne, ce qui nous ramène, inévitablement, à la dimension européenne de la question des relations entre agriculture et environnement ; l'adoption de dispositifs nationaux doit être conçue comme une anticipation de l'élaboration de dispositifs communautaires, qui pourraient avoir une plus grande ampleur, du fait des masses financières susceptibles d'être redéployées, et éviteraient naturellement les risques de distorsion concurrentielle (du moins entre États-membres).

La construction d'un nouveau modèle de développement agricole, emportant l'adhésion du monde agricole et intégrant pleinement la dimension environnementale, constitue une nécessité. La pénalisation financière des comportements pollueurs répond à court terme à la dégradation de l'état des eaux dans le monde rural ; une amélioration durable ne pourra être obtenue que si les principaux acteurs, les exploitants agricoles, sont pleinement conscients des enjeux et s'ils bénéficient d'incitations financières associant aux sanctions la rémunération légitime des externalités positives de l'agriculture.

G.- LES EXTRACTIONS DE GRANULATS : TAXE OU REDEVANCE ?

La question de l'éventuelle pénalisation financière des extractions de granulats alluvionnaires est assez différente de celles abordées jusqu'à présent, puisque n'est pas en cause ici une pollution chimique, mais un dommage physique à l'environnement.

Le débat, s'agissant des granulats, apparaît double : d'une part, faut-il prélever sur l'ensemble de la production, ou seulement sur les granulats « alluvionnaires » ? D'autre part, faut-il une taxe ou une redevance d'agence ?

1.- UNE TAXATION DIFFÉRENCIÉE EST SEULE À MÊME D'AVOIR UN EFFET DISSUASIF

La production nationale de granulats « naturels », qui sont les matières premières des matériaux de construction et de la voirie, est considérable : 346 millions de tonnes en 1997 ; pour cette année, elle provenait pour 48 % (165 millions de tonnes) des extractions « alluvionnaires » dans le lit des rivières et pour 52 % du broyage de « roches massives » provenant de carrières. Quant aux granulats issus du recyclage, leur production reste marginale : 11 millions de tonnes, soit 3 % du total ; en effet, de manière générale, les écarts de coût restent considérables entre granulats d'extraction et granulats de recyclage.

Comme on l'a vu, les professionnels de ce secteur ne sont prêts à accepter une taxation spécifique que si elle porte sur l'ensemble des extractions, qu'il s'agisse de carrières alluvionnaires ou en roches massives, afin d'éviter les distorsions de concurrence et au titre d'une pénalisation uniforme des prélèvements non renouvelables sur le milieu naturel.

Cependant, l'écart moyen de coût entre granulats d'extraction et de recyclage reste tel qu'il faudrait, en cas de taxation générale des granulats d'extraction, un niveau de prélèvement insupportable (pour le secteur du bâtiment et des travaux publics situé en aval) si l'on voulait obtenir un réel effet de report vers les granulats de recyclage.

La seule forme de prélèvement efficace, c'est-à-dire ayant un effet sur les comportements, est donc une taxation différente des granulats d'extraction, avec une pénalisation des formes d'exploitation les plus néfastes à l'environnement. Certes, une telle option entraîne des distorsions de concurrence, puisque c'est son objectif même ; en revanche, la thèse, également développée, selon laquelle la disparition imposée de certains sites d'extraction impliquerait un fort accroissement des transports (avec les conséquences bien connues pour l'environnement) est à nuancer : de toute façon, l'épuisement des gisements proches des grands sites urbains implique malheureusement l'augmentation de ces transports.

Mais sur quel type d'exploitation des granulats doit porter la pénalisation financière ? Il est un fait que l'ensemble des activités extractives, où qu'elles se placent, entraînent d'importants dommages pour l'environnement : destruction de milieux naturels, de sites, nuisances sonores, etc. Cependant, s'y ajoutent, pour les granulats alluvionnaires, les reproches spécifiques adressés aux extractions directement dans le lit des rivières : impact très négatif sur la faune et la flore ; abaissement du lit des rivières entraînant une érosion accrue et la déstabilisation d'ouvrages publics (ponts) ; incidence sur les nappes alluviales... A des degrés moindres, ces critiques peuvent également être adressées aux extractions dans le « lit majeur » des rivières, car il y a des interactions entre le sous-sol de celui-ci et la rivière elle-même, ainsi que les nappes alluviales...

Rechercher, par un instrument financier, un report progressif des extractions alluvionnaires vers celles en roches massives, et éventuellement les granulats marins, constitue donc une des options les mieux fondées.

2.- LE PRÉLÈVEMENT ENVISAGÉ EST MODÉRÉ

Le rendement envisagé pour le prélèvement serait de l'ordre de 100 à 200 millions de francs, selon qu'il frapperait seulement les carrières alluvionnaires ou l'ensemble des carrières, ce qui est assez modéré en comparaison du chiffre d'affaires de l'industrie des granulats : 14 milliards de francs en 1997 (dont la moitié à peu près en site alluvionnaire). D'après les extracteurs eux-mêmes, la marge à la tonne serait de l'ordre de 1,30 franc. Le niveau de taxation évoqué conduirait à une taxe de 50 à 60 centimes par tonne.

La structure de la profession, qui repose sur de nombreuses petites entreprises, impose sans doute une certaine prudence, une progressivité dans l'établissement de nouveaux prélèvements : 2.000 entreprises pour 5.000 sites d'extraction et 15.000 emplois. L'importance des investissements sur chaque site ne permet pas d'en imposer la fermeture immédiate.

3.- LE PRÉLÈVEMENT POURRAIT S'INSCRIRE DANS UNE LOGIQUE DE REDEVANCE

Plusieurs arguments pourraient justifier de faire d'un prélèvement sur les extractions de granulats alluvionnaires une redevance des agences de l'eau, plutôt qu'un élément de la TGAP, sachant que cela aurait toutefois le tort de repousser vraisemblablement à 2001 ou 2002 une entrée en vigueur :

- l'enjeu financier est limité, en particulier pour le budget de l'État ;

- la taxation envisagée est justifiée par les conséquences de l'activité d'extraction sur le régime des eaux, ce qui relève du c_ur du champ d'action des agences, à la différence des taxations envisagées en amont sur l'usage ou l'achat de polluants chimiques ; les agences ont la compétence pour apprécier localement les dommages et gérer donc un mécanisme de prélèvement à taux différenciés ; les interventions de restauration des milieux qui pourraient être menées avec l'argent collecté sont aussi de leur compétence ;

- par ailleurs, il n'y a pas de raison de douter de la volonté des responsables d'agences et de bassins, s'ils y sont autorisés, d'assujettir les extractions de granulats, dont l'activité suscite chez ces responsables des réactions souvent vives... Au demeurant, trois agences ont effectivement tenté d'instaurer une telle redevance, avant d'être stoppées en 1994 par le Conseil d'État.

A contrario, si l'on retenait l'option d'un prélèvement assis sur l'ensemble des carrières, ce prélèvement ne saurait s'intégrer aux redevances des agences, qui n'ont évidemment pas vocation à percevoir une redevance sur les carrières en roche massive dont l'activité est dépourvue d'incidences significatives sur la gestion des eaux. En conséquence, un tel prélèvement devrait logiquement constituer un élément de la TGAP.

H.- METTRE À CONTRIBUTION LES DÉCHARGES INTERNES DES  ENTREPRISES

La gestion des déchets constitue une politique environnementale différente de celle de l'eau. Le présent rapport se devait toutefois de l'évoquer, car l'accumulation des déchets a de lourdes conséquences sur la qualité des eaux (infiltrations).

Dans le cadre de l'actuelle TGAP, il existe une taxe sur la mise en décharge des déchets industriels spéciaux. Il serait logique d'étendre cette taxe aux décharges internes des entreprises, afin de rétablir la neutralité fiscale. Cette extension constituerait une incitation à la valorisation des déchets et donc à la diminution du nombre de sites « orphelins » dont la gestion revient aux pouvoirs publics quand l'entreprise a disparu. La mise en _uvre de cette taxe devrait s'effectuer de manière progressive en tenant compte du degré de nocivité des différentes catégories de déchets.

CONCLUSION

PROPOSITIONS DU RAPPORTEUR

Les bilans opérés montrent, dans certains régions et pour certaines pollutions, une tendance très inquiétante à la dégradation de la qualité de l'eau. En particulier, les pollutions diffuses d'origine agricole ne sont pas maîtrisées.

De nouveaux outils, adaptés à cette situation, doivent être mis en _uvre, et les instruments financiers paraissent répondre assez bien à la notion de pollution « diffuse ». Le Gouvernement a annoncé une extension du concept de « taxe générale sur les activités polluantes » au domaine de l'eau. Rien ne serait pire qu'une annonce qui ne serait pas suivie d'effets, ou se traduirait seulement par des mesures dérisoires.

L'élargissement de la TGAP à de nouvelles assiettes implique naturellement de répondre à de nombreuses questions : que taxer ? Selon quelles modalités ? A quel taux ? Cependant, le débat se polarise souvent sur la question de l'affectation qui serait donnée aux nouveaux prélèvements. Jusqu'à l'an dernier, les prélèvements obligatoires créés dans notre pays à des fins environnementales, en particulier les redevances aux agences de l'eau, l'ont été dans une optique de financement : il s'agissait de dégager les moyens nécessaires à différentes politiques de prévention et de dépollution. Le concept de la TGAP créée par la loi de finances pour 1999 est tout différent : une taxe environnementale unique, même si elle a de multiples assiettes, et non affectée (elle fait partie de la masse des recettes du budget général de l'État).

Désormais, le Gouvernement propose d'affecter la TGAP (qu'il s'agisse de la fraction existante ou de ses extensions à plus ou moins court terme : eau, énergie) à la sécurité sociale en contrepartie de l'accentuation des allégements de charges sur les bas salaires. Cette option a plusieurs mérites : l'affectation d'un impôt nouveau à l'allégement d'autres prélèvements, plutôt qu'à de nouvelles dépenses, s'inscrit dans la maîtrise des prélèvements obligatoires ; en l'espèce, la démarche proposée est un élément de la refonte globale de nos prélèvements obligatoires, qui doivent moins peser sur le travail afin de favoriser l'emploi ; enfin, l'affectation à la sécurité sociale ne serait pas contraire au principe pollueur-payeur, car elle exclut le développement d'une logique de « juste retour » sous forme de subventions, qui a parfois caractérisé les systèmes de redevances à objet environnemental. Pour ces motifs, votre Rapporteur approuve la proposition du Gouvernement, tout en relevant qu'elle rencontre cependant un risque inhérent à toute affectation, y compris à la sécurité sociale : le niveau des prélèvements à objet environnemental doit être déterminé par la recherche d'une efficacité intrinsèque (évaluation de leur effet dissuasif sur les comportements pollueurs et des coûts liés aux pollutions visées) et non par une logique de financement ; le montant de la TGAP ne saurait devenir la variable d'équilibre de la sécurité sociale.

On observera, par ailleurs, que les dispositifs existants de taxes ou redevances affectées dans le champ de l'environnement ont montré des défauts, mais aussi des avantages : continuité des politiques financées par une ressource régulière ; acceptation plus aisée par les assujettis. On ne saurait donc, par principe, exclure des décisions d'opportunité qui conduiraient à affecter tel ou tel nouveau prélèvement environnemental dans le cadre des dispositifs existants (en particulier les agences de l'eau).

La dissuasion de certains comportements de pollution des eaux répond à une urgence : les menaces pour la santé publique et l'environnement qui résultent de la dégradation de certaines ressources en eau ; la mobilisation croissante - et parfaitement légitime - de l'opinion publique. L'élargissement de la TGAP aux comportements responsables des pollutions des eaux doit donc être effectué sans délai. Cette mesure ne peut cependant nous dispenser, à un peu moins court terme, d'une réflexion générale sur les problèmes de l'eau : au-delà des seuls problèmes de pollution, la récurrence d'autres problèmes de gestion, par exemple les inondations, et la sensibilité croissante des consommateurs à la question du prix de l'eau, justifiée par les très fortes augmentations des dernières années et les inégalités persistantes, rendent nécessaire une nouvelle grande loi sur l'eau, afin de compléter et d'ajuster l'_uvre de 1964 et de 1992.

1.- UNE URGENCE : L'ÉLARGISSEMENT DE LA TGAP AUX PRODUITS
OU ACTIVITÉS POLLUANT LES EAUX

Les produits ou comportements polluants aujourd'hui mis en cause sans que les instruments existants (notamment la réglementation) en permettent une maîtrise satisfaisante sont principalement :

- certains composants des produits lessiviers, en particulier les phosphates ;

- l'usage excessif de certains intrants agricoles, produits phytosanitaires, engrais azotés et effluents d'élevage ;

- l'extraction de granulats dans le lit ou à l'abord des rivières ;

- l'accumulation des déchets industriels dans les décharges internes de certaines entreprises.

a) Les composants des lessives, en particulier les phosphates

Le rôle des phosphates dans l'eutrophisation des eaux est certain. Il existe toutefois des débats sur la nocivité éventuelle d'autres composants des lessives, en particulier ceux qui peuvent se substituer aux phosphates. Dans ces conditions, des questions restent ouvertes : faut-il parvenir à la suppression totale de l'usage des phosphates ou simplement le réduire drastiquement, compte tenu de leur utilité intrinsèque dans certains cas, en le décourageant financièrement ? Faut-il dissuader également d'autres composants ? Le prélèvement établi devra donc évoluer en fonction de l'expertise scientifique et être évalué régulièrement.

En tout état de cause, le prélèvement envisagé sera supporté par une branche industrielle caractérisée par son caractère concentré, capitalistique et transnational (les mêmes qualificatifs s'appliquent d'ailleurs aux fabricants d'intrants agricoles) d'une part, par la masse des consommateurs d'autre part, puisqu'il sera plus ou moins répercuté dans les prix. Un montant significatif, de l'ordre de 500 millions de francs, peut donc être proposé dès l'année prochaine.

b) Les pollutions agricoles

Les pollutions d'origine agricole constituent le problème aujourd'hui le plus préoccupant. Une action déterminée est donc nécessaire ; cependant, cette action doit également être prudente et probablement progressive.

L'ampleur des coûts environnementaux liés à terme aux pollutions agricoles est considérable : une étude évalue ainsi à 3 milliards de francs par an les futurs coûts de « dénitrification » de l'eau ; un niveau de taxation élevé se justifierait donc à cet égard. De même, pour obtenir un effet dissuasif sur des achats d'intrants assez peu sensibles, semble-t-il, au « signal prix », est évoquée la nécessité de taux de taxation élevés, de l'ordre de 10 à 20 % ; on voit ce que cela donnerait appliqué à une assiette potentielle de l'ordre de 30 milliards de francs (chiffre d'affaires des produits phytosanitaires et des engrais azotés)...

Mais, à la différence de ce qui arriverait dans le cas des lessives au phosphate, de nouveaux prélèvements sur les produits de protection des plantes ou l' «azote agricole » resteraient essentiellement à la charge des agriculteurs, ne pouvant guère être répercutés sur les consommateurs, vu le mode de formation des prix agricoles. Or, on connaît les difficultés récurrentes de certaines spéculations agricoles et les inquiétudes dues à la réforme de la politique agricole commune européenne ; plus simplement, l'agriculture ne représente plus que 2 % de l'économie nationale et l'assiette taxable est donc limitée...

C'est pourquoi les instruments financiers destinés à réduire les pollutions d'origine agricole devront se caractériser par :

- une mise en _uvre progressive ;

- des modalités d'imposition collant au plus près au principe pollueur-payeur, afin d'obtenir des effets dissuasifs avec un montant global de prélèvement raisonnable ;

- l'offre de « contreparties » aux agriculteurs.

Pour réaliser ce dernier point, on ne saurait écarter, en opportunité, une éventuelle affectation de tel ou tel des prélèvements nouveaux à des actions en faveur du respect de l'environnement par les agriculteurs ; à défaut d'affectation explicite, des programmes publics en ce sens pourraient être développés. Plus fondamentalement, l'énormité de la masse que représentent les concours publics (principalement communautaires) à l'agriculture en France, évalués à plus de 70 milliards de francs par an, permet de penser qu'il existe là des marges significatives de redéploiement pour mieux prendre en compte la dimension environnementale de l'agriculture ; on ne peut prétendre pénaliser lourdement les comportements pollueurs, si, dans le même temps, on ne rémunère pas mieux les contributions positives de l'activité agricole à notre environnement. A terme, la préservation durable de l'environnement dans le monde rural implique l'adhésion des agriculteurs ; les sanctions financières sont un moyen ; l'objectif est un nouveau modèle de développement agricole : produire toujours plus pouvait être légitimement un objectif quasi unique, il y a un demi-siècle, cela ne peut plus être le cas aujourd'hui.

En matière de pollutions agricoles, votre Rapporteur émet donc les recommandations suivantes :

· S'agissant du problème de l'azote

Un dispositif équitable et incitatif implique que l'on ne pénalise pas par principe l'usage des fertilisants et l'existence des déjections animales, mais leur usage ou épandage excessifs, seuls responsables de la contamination des nappes phréatiques ; il est donc préférable, même si c'est plus complexe, de pénaliser l'éventuel « excédent d'azote » de chaque exploitation agricole. L'expérience de terrain des agences de l'eau peut conduire à leur confier la gestion d'un tel dispositif, qui relèverait donc des « redevances pollution » des agences ; l'existence d'une ressource affectée de cet ordre aurait le mérite de légitimer la participation déjà demandée aux agences pour le financement de la mise aux normes des bâtiments d'élevage.

Votre Rapporteur estime donc que l'instauration d'une redevance sur les excédents d'azote constituerait une bonne solution. Cette option présente toutefois un inconvénient et un risque. L'inconvénient est que l'option « redevance » repousse de fait l'introduction du dispositif à la future loi sur l'eau (qui réformera l'ensemble des redevances des agences), alors que le problème des nitrates est à juste titre perçu comme le plus urgent. Le risque apparaît à l'expérience du passé : le monde agricole a su rester jusqu'à présent très largement hors du champ des redevances des agences de l'eau ; sera-t-il efficacement contraint d'y rentrer avec l'établissement d'une « redevance azote » alors même que la complexité du système étudié sera en elle-même un facteur de retardement ? Les pouvoirs publics devront donc appuyer vigoureusement la démarche des organismes de bassin.

· S'agissant des produits phytosanitaires

La recherche, là aussi, d'un dispositif dissuasif conduit à privilégier une taxation différenciée des produits selon leur nocivité.

Pour l'an prochain, le Gouvernement envisage un niveau modéré de prélèvement (300 millions de francs, soit 2 % de l'assiette achats de phytosanitaires, ce qui est sans doute très en deçà du seuil d'efficacité sur les comportements) ; ce choix prend en considération la fragilité de certaines filières utilisatrices - on pense aux fruits et légumes - qui, par ailleurs, ne bénéficient que d'aides publiques limitées. Cependant, la recherche d'une réelle diminution de l'utilisation des produits phytosanitaires justifierait un montant significativement plus élevé de prélèvement.

Votre Rapporteur considère, par ailleurs, que ce prélèvement, assimilable à une accise nouvelle (taxe sur la commercialisation de produits), peut parfaitement s'intégrer dans la TGAP. En l'absence d'affectation, des crédits budgétaires pourraient utilement être inscrits sur un programme de diffusion des bonnes pratiques qui, selon les professionnels, serait susceptible d'avoir une incidence très significative sur la consommation des produits phytosanitaires et plus encore sur les contaminations entraînées.

c) L'extraction des granulats

La question principale porte ici sur l'assiette du prélèvement envisagé : faut-il taxer les seules extractions en terrain alluvionnaire, dans les rivières ou à leur abord, ou l'ensemble des carrières, comme le préféreraient apparemment les professionnels ?

Les extractions en milieu alluvionnaire ne sont certes pas les seules à entraîner des nuisances, les carrières « en roches massives » en apportent aussi. Cela dit, il est clair que si l'on veut obtenir un effet, c'est-à-dire la non-ouverture ou à terme la fermeture accélérée de certains sites, il faut choisir un dispositif de taxation distorsif, avec un prélèvement portant exclusivement ou principalement sur les granulats « alluvionnaires ».

Si un tel choix était fait, plusieurs motifs plaideraient pour inscrire le nouveau prélèvement dans le champ des redevances des agences de l'eau :

- ce prélèvement entrerait dans la logique des redevances pour « modification du régime des eaux » auxquelles la future loi sur l'eau devra donner une base juridique solide ;

- l'enjeu financier est limité (60 à 200 millions de francs selon l'assiette choisie) ;

- les nuisances dues à l'extraction de granulats constituent des problèmes locaux face auxquels les agences sont l'intervenant naturel ;

- le volontarisme des organismes de bassin, du moins de certains, n'est pas douteux en la matière.

A contrario, si le choix était fait d'asseoir le prélèvement envisagé sur l'ensemble des carrières de granulats (alluvionnaires ou non), ce prélèvement sortirait alors de la logique des redevances (il n'y a pas de raison d'affecter aux agences de l'eau un prélèvement partiellement assis sur des carrières dont l'existence n'a pas ou peu d'incidences sur la gestion des eaux) et s'inscrirait dans celle de la TGAP.

d) Les décharges internes des entreprises

Il s'agit d'assurer la neutralité fiscale et une meilleure incitation à la valorisation des déchets industriels, en étendant la TGAP aux décharges internes des entreprises, puisque la mise en décharge externe des déchets industriels spéciaux y est déjà assujettie.

2.- UNE GRANDE LOI SUR L'EAU EST NÉCESSAIRE, NOTAMMENT POUR RÉFORMER LES ORGANISMES DE BASSIN ET LES REDEVANCES

Le nombre et l'importance des sujets liés à l'eau qui doivent faire l'objet d'une intervention législative justifie la préparation d'une loi spécifique. Afin de respecter le calendrier des agences de bassin dont les VIIèmes programmes quinquennaux s'achèveront en 2001 pour laisser place aux VIIIèmes (2002-2006), cette loi devrait être adoptée au plus tard au premier semestre 2001.

Votre Rapporteur considère que cette loi devra privilégier certaines orientations.

· Un rôle accru du Parlement

On sait que le caractère fiscal reconnu par la jurisprudence aux redevances des agences de bassin rend nécessaire, au regard de la norme constitutionnelle, un renforcement significatif de l'intervention du Parlement dans la définition : la loi devrait définir assiettes, taux-planchers et taux-plafonds. Les agences gèrant une masse considérable d'argent public, votre Rapporteur estime qu'il est absolument justifié que le législateur joue pleinement son rôle en déterminant précisément les redevances et en approuvant tous les cinq ans les programmes d'intervention des agences.

· Des redevances plus conformes au principe pollueur-payeur

L'intervention du législateur devrait aussi permettre de mettre fin aux dérives constatées : il s'agit de supprimer les exonérations de redevances et taux dérogatoires infondés et de réaffirmer le principe pollueur-payeur, qui seul peut justifier les écarts de taux de redevances selon les bassins.

La recherche de la transparence doit également conduire à une évolution de l'obscur système de la contre-valeur pour la détermination des redevances pollution des ménages.

Enfin, le renforcement de la base juridique des redevances pour modification du régime des eaux doit amener à leur mise en _uvre effective, légitime au regard du principe pollueur-payeur et nécessaire au financement d'interventions en matière d'inondations ou de traitement de eaux de ruissellement en milieu urbain.

· Des comités de bassin plus représentatifs

La composition des comités de bassin doit être aussi représentative que possible et respecter l'équilibre entre les différentes catégories intéressées (citadins/ ruraux ; collectivités/industriels/associations ...).

3.- UNE MESURE IMMÉDIATE : LE RENFORCEMENT DE L'ÉCHELON NATIONAL

Afin de renforcer les moyens notoirement insuffisants de l'échelon national étatique de la politique de l'eau, les agences de bassin ont accepté depuis quelques années la mise en commun d'une petite partie de leurs ressources sous la forme de fonds de concours rattachés à la direction de l'eau du ministère de l'Environnement. Les principes de transparence et de contrôle démocratique conduisent votre Rapporteur à juger préférable le recours à un compte spécial du Trésor, nécessairement créé par une loi de finances et ensuite approuvé annuellement dans le même cadre par le Parlement. L'urgence de ce renforcement justifierait la création de ce compte spécial dans les plus brefs délais.

Pourront ainsi être financées des interventions soit relevant clairement de l'échelon national (police de l'eau, mesures, recherche ...), soit de péréquation entre bassins, sous réserve de respecter le principe de subsidiarité : il ne s'agirait pas de se substituer ou ajouter aux agences dans les champs d'intervention où elles sont déjà présentes et les plus efficaces.

Un débat existe sur le montant annuel de prélèvement supportable par les agences ; 10 % des ressources, soit un milliard de francs, pourrait constituer un plafond. En tout état de cause, ce montant devra faire l'objet d'engagements pluriannuels, afin que les agences puissent poursuivre les programmes d'intervention en cours et préparer les suivants en toute connaissance de cause.

4- UNE QUESTION À PART : LE DEVENIR DU FNDAE

Le fonds national pour le développement des adductions d'eau (FNDAE) constitue le seul instrument de péréquation nationale existant dans le domaine de l'eau. A ce titre, il mérite d'être préservé et même, compte tenu de la modestie de ses moyens comparés aux dépenses annuelles des collectivités locales dans le domaine de l'eau, de cesser d'être ponctionné à d'autres fins comme le financement du PMPOA (programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole).

C'est pourquoi, le débat lancé sur un éventuel transfert de la tutelle du fonds du ministère de l'Agriculture à celui de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement (voire sur sa fusion avec le nouveau compte spécial envisagé et présenté supra) apparaît inopportun à votre Rapporteur : soit, il s'agit, à cette occasion, de changer la nature des interventions du fonds, et ce n'est pas acceptable ; soit ce n'est pas le cas, et un changement d'organisation administrative ne pourrait alors que dérégler le fonctionnement d'un dispositif qui n'est pas contesté jusqu'à présent.

LAISSER CETTE PAGE BLANCHE SANS NUMEROTATION

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 22 septembre 1999, la commission des Finances a examiné, en application de l'article 145 du Règlement de l'Assemblée nationale, le présent rapport d'information.

Après avoir exposé le contenu de son rapport, votre Rapporteur a abordé un problème de constitutionnalité soulevé par le renvoi à la loi de financement de la sécurité sociale des dispositions relatives à la TGAP. Le projet de loi de finances, en matière de politique de l'eau, ne comporte qu'une seule mesure : la création du nouveau compte spécial alimenté par les agences de bassin. La TGAP, créée en 1999, est actuellement une ressource du budget de l'État ; or, l'affectation d'une ressource de l'État à un autre organisme nécessite, selon l'ordonnance de 1959, une disposition de loi de finances d'initiative gouvernementale, laquelle n'est pas présente dans le projet de loi de finances pour 2000.

Le Rapporteur a conclu sur l'absolue nécessité du développement de la fiscalité écologique. Approuvant dans leur principe les propositions du Gouvernement, il s'est interrogé sur la suffisance, en terme d'efficacité pour l'environnement, des montants de prélèvements envisagés, qui restent timides.

Le Président Augustin Bonrepaux a souligné l'intérêt du rapport, et a observé que la réforme de la taxe générale sur les activités polluantes allait être effectuée non dans le cadre de la loi de finances mais dans celui de la loi de financement de la sécurité sociale, ce qui n'est pas sans soulever des difficultés d'ordre institutionnel et juridique. En effet, en premier lieu, la commission des Finances va se trouver en quelque sorte dessaisie de sa compétence fiscale au profit de la commission des Affaires culturelles. Il en est ainsi de 90 % des taxes sur le tabac, puisque la commission des Finances n'aura plus dans son champ de compétences que la fraction demeurant dans la loi de finances, soit environ 3 milliards de francs. Doit donc s'ajouter à ce transfert de recettes fiscales de la loi de finances vers la loi de financement de la sécurité sociale, celui de la taxe générale sur les activités polluantes destiné à compenser de nouveaux allégements de charges sur les bas salaires. Il est tout à fait regrettable qu'en conséquence la commission des Finances ne soit plus saisie au fond de questions fiscales qui la concernent pourtant au premier chef. En second lieu, le changement d'affectation de la TGAP présente en effet une difficulté juridique puisque la modification envisagée ne semble pas répondre aux exigences de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, lequel dispose que l'affectation de recettes ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances, au demeurant d'initiative gouvernementale.

Le Président Augustin Bonrepaux a ensuite interrogé le Rapporteur sur les prélèvements destinés aux agences de bassin et sur le FNDAE.

Après avoir appuyé les propos du Président Augustin Bonrepaux relatifs au déséquilibre croissant entre loi de financement de la sécurité sociale et loi de finances et estimé que le ministre de l'Économie et des Finances se devait en conséquence de présenter à la commission des Finances les dispositions fiscales touchant au projet de loi de financement de la sécurité sociale, M. Philippe Auberger s'est interrogé sur l'intérêt de la création d'un fonds pour l'allégement des charges sociales, et a souligné qu'il s'agissait d'un nouveau cas de débudgétisation. La sortie du budget de la ristourne dégressive sur les bas salaires, à hauteur de 40 milliards de francs, est particulièrement contestable. Elle permet une présentation favorable et artificielle du budget.

Sur le fond du rapport, il a estimé qu'il convenait d'établir un bilan complet et équilibré des pollutions, et de souligner que si les agriculteurs contribuent à la pollution de l'eau, ils participent également à la dépollution, par exemple à l'élimination du produit des stations d'épuration. L'outil fiscal ne doit pas être le seul instrument permettant d'agir contre les pollutions agricoles. Les firmes produisant les produits phytosanitaires sont trop souvent juges et parties. C'est pourquoi il convient que des conseils, indépendants du secteur commercial de la production d'engrais, puissent éclairer la décision politique. S'agissant des agences de bassin, les élus locaux savent bien que leur existence a permis de lutter contre les pollutions et que dans l'ensemble leur bilan est positif. Mais le perfectionnisme de la législation et de la réglementation ont conduit à des surcoûts très importants.

M. Alain Rodet a considéré que les agglomérations étaient sous-représentées dans les comités de bassin. Il a marqué sa préoccupation sur l'évolution des réseaux concédés à Vivendi et à la Lyonnaise des Eaux. Enfin, il a observé que, par réaction, certains veulent systématiquement tourner le dos à l'agriculture performante. Il faut veiller à ne pas tomber dans ce travers.

M. Jean-Jacques Jegou a considéré que le rapport était courageux, mais que la conclusion l'était un peu moins. Il convient d'éviter l'opposition entre les urbains et les ruraux. Le Gouvernement ne peut poursuivre sa réforme de la taxe générale sur les activités polluantes sans indiquer ses intentions. L'affectation de la taxe générale sur les activités polluantes aux dépenses sociales constitue un transfert important, mais la piste reste limitée sauf à augmenter une nouvelle fois la fiscalité pesant sur les ménages, ce qui n'est pas souhaitable. Les industriels sont plus faciles à dénoncer que les agriculteurs. Il faut expliquer à ces derniers, par exemple en Bretagne, que le prix du porc peut difficilement monter et la pollution diminuer en augmentant le nombre de porcs.

M. Jean-Pierre Delalande a souligné le paradoxe consistant à souhaiter une augmentation des rendements agricoles et à vouloir diminuer la consommation d'engrais. Ce paradoxe risque d'entretenir pour longtemps la négociation avec le monde agricole, et occuper des équipes de plus en plus nombreuses à Paris ou Bruxelles. La fiscalité ne doit pas être le seul instrument de lutte contre la pollution : l'établissement de normes plus soucieuses de l'environnement peut y contribuer également. Les citoyens n'acceptent plus de payer pour le traitement de l'eau davantage de taxes que le montant de leur consommation. C'est la tentation perfectionniste de la législation sur l'eau qui a conduit à cette situation absurde.

Sur les relations entre loi de financement de la sécurité sociale et loi de finances, il a rappelé que lors des débats ayant précédé l'adoption de la loi organique du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, il avait émis l'idée qu'une commission spéciale composée pour moitié de membres de la commission des Affaires culturelles et pour moitié de membres de la commission des Finances, soit chargée d'examiner, chaque année, le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le groupe socialiste s'était prononcé contre, de même, il est vrai, qu'une partie de la majorité de l'époque. La proposition n'eut pas de suite. Peut-être conviendrait-il d'y revenir notamment afin d'éviter toute difficulté avec la commission des Affaires culturelles.

Mme Nicole Bricq a estimé que le transfert de recettes du budget de l'État vers celui de la sécurité sociale pose un problème de fond sur lequel elle a jugé nécessaire que la commission des Finances fasse des propositions précises. Elle a rappelé que la TGAP a été instaurée pour rompre avec l'affectation des taxes préexistantes, et que son produit a été globalisé au sein du budget de l'État afin de donner aux pouvoirs politiques la capacité de mener une véritable politique de l'environnement. L'écotaxe présente en outre l'avantage d'être assise sur une ressource moins rare que l'emploi. Si elles ont rendu des services inestimables, les agences de l'eau ont engendré des effets pervers sur lesquels le Gouvernement, sous le contrôle du Parlement, doit proposer des réorientations. Les coûts de la pollution agricole restent indéniablement supérieurs aux services rendus par les agriculteurs, notamment en Ile-de-France où ces derniers ne prennent en charge la dépollution que très localement. L'instauration d'une taxe n'est un bon moyen de lutter contre la pollution que dans la mesure où elle a un effet dissuasif. Comme le montre le rapport de M. Yves Tavernier, le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole a abouti à un système contreproductif qui revient à financer la dépollution tout en encourageant les pratiques polluantes. Le problème ne concerne cependant pas tout le monde agricole, et, à cet égard, il conviendrait d'instaurer une péréquation entre les agences, afin de renforcer les moyens d'intervention des régions les plus touchées.

M. Gérard Fuchs a souligné l'importance du volet contractuel de la politique de dépollution, et notamment des contrats territoriaux d'exploitation, dont il conviendrait d'augmenter les ressources.

M. Didier Migaud, rapporteur général, a partagé la préoccupation exprimée par plusieurs intervenants devant le transfert de recettes importantes depuis le projet de loi de finances vers le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il s'est interrogé sur l'opportunité de créer une commission spéciale, qui n'est peut-être pas la panacée. La séparation en deux textes pose un problème de lisibilité, et il est de la responsabilité de la commission des Finances d'établir une telle lisibilité, en examinant l'ensemble des recettes fiscales. Sur ce point, si les deux projets de loi étaient adoptés simultanément, le Gouvernement unifierait la présentation des dispositions fiscales et améliorerait la procédure de manière non négligeable. S'agissant de la TGAP, l'instauration du principe « pollueur-payeur » et l'affectation du produit de cette taxe au financement de la sécurité sociale constituent des évolutions positives. Le Rapporteur général s'est cependant interrogé sur l'existence d'une telle taxe dans d'autres pays, et sur les distorsions de concurrence qu'elle pourrait impliquer au détriment des entreprises françaises.

M. Jean-Pierre Delalande a estimé que le débat actuel n'était pas sans rappeler le malaise ressenti en 1995 par la majorité de l'époque, lors de l'examen du projet de loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Afin de garder la maîtrise du budget de cette dernière, l'administration a eu tendance à maintenir une imbrication des financements. Pour contrecarrer cette tendance, il avait alors proposé un autre schéma, consistant à dissocier les circuits budgétaires en instaurant une procédure spécifique et à séparer les dates d'adoption de l'une et l'autre de ces lois. Les transferts de recettes aujourd'hui envisagés ainsi que le dessaisissement progressif de la commission des Finances d'une partie des recettes fiscales avaient, à l'époque, été prévus, de même que plusieurs contradictions auxquelles la procédure aboutit, sur lesquelles il reviendra lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.

Répondant aux différents intervenants, votre Rapporteur a rappelé que son rapport a vocation à servir d'introduction aux débats futurs, et principalement au projet de loi de financement de la sécurité sociale et au projet de loi sur l'eau, dont l'examen est prévu pour l'année prochaine. Puis il a apporté les précisions suivantes :

- la TGAP pose effectivement un réel problème de distorsion de concurrence, les principaux pays agricoles n'ayant pas instauré de taxe équivalente. Par ailleurs, le rapport prend en compte le volet contractuel de la politique de lutte contre la pollution, et notamment les contrats territoriaux d'exploitation qui bénéficient de moyens importants, estimés à deux milliards de francs ;

- la somme de 500 millions de francs, affectée au Fonds national de l'eau créé par l'article 31 du projet de loi de finances pour 2000, sera en priorité utilisée à la police de l'eau, à la recherche et à la restauration des rivières ;

- la contribution du FNDAE au programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole n'est pas reconduite, ce programme faisant actuellement l'objet d'une mission d'inspection qui devrait mettre à jour d'importantes dérives dans l'utilisation de l'argent public. Le programme a en effet légitimé les techniques de production utilisées par les grands élevages, qui sont par ailleurs les principaux bénéficiaires de celui-ci ;

- son élargissement à l'ensemble des éleveurs coûterait au moins 20 à 30 milliards de francs et poserait par conséquent un important problème de financement.

Votre Rapporteur a enfin rappelé son hostilité à toute apologie des méthodes traditionnelles de développement de l'agriculture. Il a simplement considéré que, mis en place dès l'après-guerre avec l'accord de toutes les parties, le modèle de développement productiviste de l'agriculture montre aujourd'hui ses limites.

Après avoir félicité votre Rapporteur pour la qualité de son travail, le Président Augustin Bonrepaux a annoncé son intention de demander au ministre de l'Économie et des finances de venir présenter devant la Commission les projets du Gouvernement en matière de financement de la sécurité sociale.

La Commission a ensuite autorisé, conformément à l'article 145 du Règlement, la publication du rapport d'information sur la taxe générale sur les activités polluantes et la politique de l'eau.

ANNEXES

Les annexes figurant dans la version imprimée du rapport n'ont pas été reprises dans le document mis en ligne.

____________

N° 1807.- Rapport d'information de M. Yves Tavernier, déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission des finances, sur la taxe générale sur les activités polluantes et la politique de l'eau.

() Nicole Bricq « Pour un développement durable : une fiscalité au service de l'environnement », rapport d'information n° 1000, 23 juin 1998, page 42.

2 () Voir Jean-Luc Pujol, Dominique Dron, « Agriculture, monde rural et environnement », la Documentation française, 1998.

() MES : matières en suspension.

MO : matières organiques

MI : matières inhibitrices.

() Ministère de l'Emploi et de la Solidarité, « Qualité des eaux d'alimentation 1993-1994-1995 ».

() « Enquête sur le prix de l'eau 1991-1997 », ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, DGCCRF.

() Rapport public 1998 et rapport de synthèse sur les agences de bassin (1988-1994).

() Évaluation du dispositif des agences de l'eau, 1997, Documentation française.

() Le calcul de la « contre-valeur » est effectué comme suit : on détermine la quantité théorique des rejets des différents polluants due aux habitants d'une collectivité donnée, à raison de sa population (avec diverses corrections permettant notamment de prendre en compte la population saisonnière), que l'on multiplie par les taux de redevances applicables à ces polluants, afin de calculer le montant de redevance dû dans la collectivité ; la division de ce montant par la consommation d'eau dans la collectivité permet de fixer un taux de contre-valeur par mètre cube que l'on applique à la consommation des particuliers. A population et donc pollution théorique globale constante, une diminution de la consommation d'eau entraîne une augmentation proportionnelle du taux de contre-valeur.

() Décision n° 82-124L du 23 juin 1982.

() Décision n° 87-239DC, 30 décembre 1987.

() Union régionale des producteurs de granulats du Languedoc-Roussillon et Union régionale des producteurs de granulats de Champagne-Ardennes, 2 mars 1994, CE. Le Conseil d'État a observé que le dispositif réglementaire remontant à 1966 prévoyait bien la possibilité de redevances au titre de la m odification du régime des eaux, mais dans des conditions trop imprécises pour autoriser une taxation effective.

() Décision n° 85-187DC du 25 janvier 1985.

() Décision n° 99-410DC du 15 mars 1999.

() Décision n° 97-395DC du 30 décembre 1997.

() « L'opération Ferti-mieux », janvier 1999, Association nationale pour le développement agricole.

() « Efficacité des opérations Ferti-mieux. Les exemples de Gorze et du Haut-Saintois » par Fabien Potier, agence Rhin Meuse.

() Notamment Vincent Richard in Notes de la Direction de la prévision ou Conseil d'analyse économique, « Agriculture et négociations commerciales », Documentation française, 1999.

() Conseil d'analyse économique, « Agriculture et négociations commerciales », Documentation française, 1999 : contribution de François Colson et Vincent Chatellier.

() On notera cependant que même une taxe à la mise sur le marché peut défavoriser les producteurs nationaux, soit parce qu'elle peut susciter un courant d'importations frauduleuses non taxées, soit parce que la dégradation des conditions économiques du marché national (baisse des recettes hors taxes puisque hausse de la taxation) les touche plus que leurs concurrents étrangers normalement moins dépendants de ce marché : ces derniers peuvent éventuellement se permettre d'absorber le coût d'une taxe à la consommation sur un marché d'exportation, où ils ne réalisent pas l'essentiel de leurs marges, et donc ne pas y augmenter leurs prix de vente « toutes taxes comprises ».

() Cour des comptes, rapport sur « La gestion des services publics locaux d'eau et d'assainissement », 1997.

() Cour des comptes, rapport sur les agences de bassin 1988-1994, 1996.

() Décision n° 82-124L précitée du 23 juin 1982

() Comité Environnement/Détergents, « Contribution à l'évaluation des risques pour l'environnement des différents composants des lessives ménagères », 24 juin 1999.

() « Comment limiter les pollutions de l'eau d'origine agricole ? » par S. Gastaldo et N. Kosciusko-Morizet in « Fiscalité environnementale », journées d'études des 21 et 22 janvier 1999, Conseil d'analyse économique.

() « Les écotaxes dans le domaine de l'eau et des intrants agricoles. Étude comparative de quatre pays nord-européens » par D. Drouet et D. Sellier, Recherche Développement International.

() INRA - Alexandre Gohin, Hervé Guyomard et Fabrice Levert.