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N° 2072

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le mardi 11 janvier 2000.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ECHANGES (1)

sur l'évolution de la distribution,

ET PRÉSENTÉ

PAR M. JEAN-YVES LE DÉAUT,

Rapporteur,

en conclusion des travaux d'une mission d'information présidée par

M. JEAN-PAUL CHARIÉ,

et composée en outre de MM. Claude BILLARD, Alain COUSIN, Jean-Claude DANIEL, Léonce DEPREZ, Eric DOLIGÉ, Pierre DUCOUT, Philippe DURON, Jean PRORIOL, Jacques REBILLARD et Patrick RIMBERT,

Députés.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Commerce et artisanat.

La commission de la production et des échanges est composée de : M. André Lajoinie, président ; MM. Jean-Paul Charié, Jean-Pierre Defontaine, Pierre Ducout, Jean Proriol, vice-présidents ; MM. Léonce Deprez, Christian Jacob, Daniel Paul, Patrick Rimbert, secrétaires ; MM. Jean-Pierre Abelin, Yvon Abiven, Jean-Claude Abrioux, Stéphane Alaize, Damien Alary, André Angot, André Aschieri, François Asensi, Jean-Marie Aubron, Pierre Aubry, Jean Auclair, Jean-Pierre Balduyck, Jacques Bascou, Mme Sylvia Bassot, MM. Christian Bataille, Jean Besson, Gilbert Biessy, Claude Billard, Claude Birraux, Jean-Pierre Blazy, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Franck Borotra, Christian Bourquin, Mme Danièle Bousquet, MM. François Brottes, Vincent Burroni, Alain Cacheux, Dominique Caillaud, André Capet, Jean-Paul Chanteguet, Jean Charroppin, Philippe Chaulet, Jean-Claude Chazal, Daniel Chevallier, Pierre Cohen, Alain Cousin, Yves Coussain, Jean-Michel Couve, Jean-Claude Daniel, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Decaudin, Mme Monique Denise, MM. Jacques Desallangre, Eric Doligé, François Dosé, Jean-Pierre Dufau, Marc Dumoulin, Dominique Dupilet, Philippe Duron, Jean-Claude Etienne, Alain Fabre-Pujol, Albert Facon, Alain Ferry, Jean-Jacques Filleul, Jacques Fleury, Nicolas Forissier, Roland Francisci, Claude Gaillard, Robert Galley, Claude Gatignol, André Godin, Alain Gouriou, Michel Grégoire, Gérard Grignon, Hubert Grimault, Lucien Guichon, Gérard Hamel, Patrick Herr, Claude Hoarau, Robert Honde, Claude Jacquot, Mme Janine Jambu, MM. Aimé Kergueris, Jean Launay, Thierry Lazaro, Jean-Yves Le Déaut, Patrick Lemasle, Jean-Claude Lemoine, Jacques Le Nay, Jean-Claude Lenoir, Arnaud Lepercq, René Leroux, Roger Lestas, Alain Le Vern, Félix Leyzour, Michel Liebgott, Lionnel Luca, Jean-Michel Marchand, Daniel Marcovitch, Alain Marleix, Daniel Marsin, Philippe Martin, Jacques Masdeu-Arus, Marius Masse, Roger Meï, Roland Metzinger, Pierre Micaux, Yvon Montané, Gabriel Montcharmont, Jean-Marie Morisset, Bernard Nayral, Jean-Marc Nudant, Jean-Paul Nunzi, Patrick Ollier, Joseph Parrenin, Paul Patriarche, François Patriat, Germinal Peiro, Jacques Pélissard, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Annette Peulvast-Bergeal, MM. Serge Poignant, Bernard Pons, Jacques Rebillard, Jean-Luc Reitzer, Gérard Revol, Mme Marie-Line Reynaud, M. Jean Rigaud, Mme Michèle Rivasi, MM. Jean Roatta, André Santini, Joël Sarlot, Mme Odile Saugues, MM. François Sauvadet, Jean-Claude Thomas, Léon Vachet, Daniel Vachez, François Vannson, Michel Vaxès, Michel Vergnier, Gérard Voisin, Roland Vuillaume.

 

SOMMAIRE

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Pages

 

ASSEMBLÉE NATIONALE 1

AVANT-PROPOS par M. Jean-Paul CHARIÉ, président de la mission d'information 9

INTRODUCTION 13

Les Supercentrales d'achat : de véritables oligopoles 14

La promotion tue-t-elle la production ? 15

I.- L'évolution de la distribution et du marché des produits de grande consommation EN FRANCE 19

A.- Les grossistes : un stade indispensable 19

1. Le commerce de gros fournit des services indispensables 19

2. Le commerce de gros est menacé par le poids de la grande distribution 20

B.- La distribution 21

1. Définition et historique des différentes formes de points de vente au détail 21

2. Les parts de marché des différentes formes de commerce : le consommateur apprécie les grandes surfaces de vente comme le commerce de centre-ville ou de quartier 26

3. La puissance de la grande distribution française et son affrontement avec les grands fournisseurs 39

C.- L'impact du commerce Électronique 108

II.- Les relations contractuelles entre fournisseurs et revendeurs 115

A.- L'abrogation, en 1996, de l'interdiction du refus de vente 115

1. La réforme de 1996 115

2. La libération du refus de vente doit être maintenue 120

B.-  de la négociation commerciale À la DOMINATION commerciale 120

1. L'application des conditions générales de vente 126

2. La coopération commerciale : la poule aux _ufs d'or 132

3. L'application du principe de non-discrimination 146

4. L'abus de dépendance économique 150

C.- Le rÉfÉrencement 159

1. La notion de référencement et sa consistance 160

2. Le droit en vigueur 166

3. Quelques pratiques abusives relevées par la mission 167

D.- La rupture des relations commerciales 169

1. La menace de rupture 170

2. La rupture brutale des relations commerciales établies 172

DEUXIEME PARTIE

III.- La gestion des prix 141

A.- La facturation 141

1. La réforme de 1996 141

a) La situation antérieure à 1996 141

b) La réforme de 1996 142

2. Le droit en vigueur 143

a) La notion de réduction de prix 145

b) La notion de réduction de prix acquise 145

c) La référence à la date de la vente ou de la prestation de service 146

d) Les réductions de prix directement liées à l'opération de vente 147

e) Les infractions sont sanctionnées pénalement 148

B.- La revente à perte 149

1. La réforme de 1996 était nécessaire 150

a) L'état du droit avant 1996 conduisait à une dérive suicidaire de la concurrence par les prix bas 150

b) La revente à perte a donc été redéfinie en 1996 152

2. L'analyse du droit en vigueur 155

a) La définition du seuil de revente à perte 155

b) Les exceptions à l'interdiction de revendre à perte 156

3. L'interdiction de revente à perte est respectée 158

a) Les enquêtes montrent que la loi est respectée mais les distributeurs parviennent à offrir des prix cassés 160

b) L'Allemagne connaît la dérive française d'avant 1996 161

c) L'Espagne a réformé son droit dans le même sens que la France 162

d) Un problème reste en suspens : les bons d'achat 164

C.- Les prix abusivement bas 165

1. La mise en place de l'interdiction 165

2. Le droit en vigueur 166

a) Champ d'application 166

b) Le calcul du prix de référence destiné à apprécier le caractère abusivement bas d'un prix 167

c) La condition d'éviction de l'entreprise ou du produit 168

d) La procédure contentieuse applicable 169

3. L'application de l'interdiction des prix abusivement bas 169

D.- Les délais de paiement 172

1. Le règlement des factures 175

a) Le droit en vigueur 175

b) Les dérives actuelles affaiblissent les PME-PMI 176

2. Les délais de paiement réglementés sont respectés sauf pour les achats de vin 177

a) L'origine de la réglementation remonte à 1985 177

b) Le dispositif en vigueur 178

3. La détermination des délais de paiement négociés contractuel-lement entre les entreprises conduit à des dérives 179

a) Le droit résulte de choix faits en 1992 179

b) Les délais de paiement diminuent globalement mais les dérives s'accentuent 181

E.- Le double affichage des prix ne résoud pas les problemes 182

F.- Les promotions 185

1. Le droit en vigueur 186

a) L'information du consommateur est améliorée 186

b) Des arrêtés pourront limiter les promotions déstabilisatrices 187

2. Il n'y a pas eu application de ces dispositions jusqu'à présent 188

G.- Les soldes 189

1. Le droit en vigueur 190

2. La persistance d'une concurrence déloyale par des pratiques d'offres de prix réduits ou soldés 193

IV.- L'application de la loi par l'administration et les tribunaux 195

A.- L'action de la DGCCRF 195

B.- Les pouvoirs des agents de l'administration 197

C.- La place du conseil de la concurrence 200

1. Renforcer le rôle de prévention confié au Conseil de la concurrence et lui donner un rôle de médiation 201

2. Rendre le Conseil de la concurrence plus « réactif » aux atteintes à la concurrence 203

3. Mieux sanctionner les abus de dépendance économique 204

D.- Le droit européen se préoccupe avant tout du marché 205

E.- Les procédures contentieuses 207

1. La politique d'action publique en matière de relations commerciales 207

2. La difficulté de réunir les preuves 209

3. Les peines encourues sont insuffisantes 210

V.- Le droit d'établissement des commerces 213

A.- L'équipement commercial en place 213

1. Les grandes surfaces en activité 213

2. L'évolution des autorisations d'ouverture 216

B.- Les procédures d'autorisation prévues par la loi Royer 220

1. Le champ d'application du régime des autorisations 222

a) De 1973 à 1996 222

b) Depuis 1996 223

2. Les instances de décision 225

a) La composition des commissions départementales 226

b) Le fonctionnement des CDEC 229

c) La composition de la commission nationale 229

d) La portée des décisions des commissions 230

3. Les critères de décision des CDEC et de la CNEC 230

4. Les voies de recours contentieux 233

C.- Les schémas de développement commercial 234

1. Une autre conception de la concurrence 234

2. Les schémas reposent sur quatre objectifs majeurs 235

3. Les axes du dispositif législatif à mettre en place 236

D.- Le commerce de centre ville : les villes françaises sont-elles condamnées à devenir des villes à l'américaine ? 237

1. L'intercommunalité est primordiale 240

2. La modification des règles fiscales est indispensable 241

3. Engager un véritable partenariat avec les municipalités, les communautés, et avec l'Etat 242

E.- Les magasins d'usine 243

CONCLUSION 247

A.- La filière agricole 247

1. Mettre fin aux prix déstructurant le marché 248

a) Les prix prédateurs 248

b) Les prix sur catalogue publicitaire sont virtuels et déstructurants 248

2. Imposer le respect de la qualité et de l'origine 250

3. L'organisation professionnelle des filières agricoles et la nécessité de régulation des marchés 252

a) Permettre des ententes entre producteurs 252

b) Développer le rôle des comités économiques de bassin 254

c) L'intervention de l'Etat est nécessaire en cas de crise sur les prix 254

B.- Les règles de concurrence loyale dans les rapports entre fournisseurs et distributeurs 255

1. Faire appliquer la loi actuelle sur les relations contractuelles et la coopération commerciale 255

a) Rappeler la portée de la loi sur la coopération commerciale 255

b) Rendre les rapports commerciaux plus transparents entre les partenaires 256

c) Supprimer la fausse coopération commerciale 257

2. Redéfinir le cadre contractuel des relations avec les PME-PMI 258

a) Assurer une stabilité des engagements contractuels 258

b) Redéfinir l'abus de dépendance économique 259

c) Mettre en place une commission d'arbitrage des litiges contractuels 261

3. Les délais de paiement fournissent une trésorerie à bon compte 262

4. Améliorer l'application de la loi 264

a) Prévenir les litiges et détecter les infractions 264

b) Rendre le Conseil de la concurrence plus « réactif » aux atteintes à la concurrence 265

c) Renforcer le pouvoir d'enquête de la DGCCRF 266

d) Garantir la réparation et la sanction des infractions 266

5. Mieux encadrer l'évolution du commerce 267

a) Le stade de gros est indispensable 267

b) Corriger les dysfonctionnements en matière de soldes et de promotions 267

c) Mettre en place des schémas de développement commercial opposables 268

AUDITION DU 30 NOVEMBRE 1999
DE LA COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ECHANGES
271

EXAMEN EN COMMISSION 301

CONTRIBUTIONS DE MEMBRES DE LA MISSION 311

ANNEXES 

-  Texte de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence 325

-  Texte de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat 349

-  Texte de la note de service n° 5955 du 5 août 1993 du ministère de l'économie sur l'application de la loi n° 92-1442 du 31 décembre 1992 relative aux délais de paiement entre les entreprises 367

-  Avis n° 97-A-04 du 21 janvier 1997 du Conseil de la concurrence relatif à diverses questions portant sur la concentration de la distribution 381

-  Note sur la législation régissant la concurrence déloyale et la grande distribution en Allemagne 419

- Notes sur la régulation de la distribution commerciale et sur la grande distribution alimentaire en Espagne 427

- Note sur la grande distribution alimentaire et les pratiques commerciales au Royaume-Uni 435

-  Note d'information sur le marché de la distribution aux Etats-Unis et notes sur l'application du Robinson Patman Act et les dispositions législatives relatives aux relations commerciales entre fournisseurs et revendeurs 455

-  Liste des auditions et déplacements de la mission d'information 471

AVANT-PROPOS
par M. Jean-Paul CHARIÉ, président de la mission d'information

Stimuler l'initiative individuelle pour améliorer les conditions de vie des hommes, telle est la vertu de la libre concurrence.

Pour une société de progrès à dimension humaine, il n'existe pas de meilleur système économique. Il est exigeant. Il repose sur trois principes fondamentaux :

le libre exercice de la concurrence : cette liberté doit être effective pour tout entrepreneur, quel que soit son statut, quelle que soit sa taille, quel que soit son domaine d'activité, quelle que soit son ancienneté. La libre concurrence doit être une compétition, certes saine, mais permanente. Elle ne réserve aucune priorité, aucune rente à qui que ce soit. Et les accords entre des partenaires (producteur-commerçant) ne doivent pas conduire à restreindre la concurrence ou à entraîner la constitution de monopoles, négations même de la concurrence ;

le libre choix des clients : les consommateurs - finalité du système - assument une part majeure du bon fonctionnement de la libre concurrence. S'ils sont libres de le faire, ce sont eux qui choisiront les meilleurs produits et justifieront l'innovation et le progrès au meilleur rapport qualité-prix. Mais, les pouvoirs des consommateurs sont relativement limités, surtout dans un marché sans frontières, ni géographique ni technique ni culturelle, et reposant sur des méthodes pour « faire acheter » dépassant souvent la capacité de jugement de chacun. C'est la concurrence qui devrait permettre de dénoncer, mettre en garde, alerter les consommateurs... Mais, pour l'instant, cette maturité de la « publicité comparative » n'est pas atteinte ;

- pour garantir ces deux libertés, sans lesquelles la libre concurrence n'est qu'illusion, il est du devoir des pouvoirs publics de fixer des règles et de les faire appliquer. Ici comme dans tout autre domaine, la liberté des uns s'arrête à celle des autres. C'est vrai : il y a trop de règles et pas assez de solidarité. Mais le pire serait l'absence de lois. Les plus grands libéraux, les plus grands pays de liberté sont ceux qui appliquent des règles de vie en société et sanctionnent sévèrement leur non-respect !

Or ces droits fondamentaux sont bafoués, et la libre concurrence se retourne contre le progrès pour l'homme quand :

· des agriculteurs, dont pourtant les qualités de production répondent aux exigences nouvelles des consommateurs, croulent sous les dettes parce qu'ils vendent, à quelques centimes près, en dessous de leurs coûts de revient, leurs produits sur lesquels, par ailleurs, leurs clients dégagent plusieurs francs de marge. L'esprit de partenariat en libre concurrence ce n'est pas « tu payes ou tu meurs » ; il est « tu gagnes et je gagne » !

· Des entreprises qui, n'ayant plus le choix des réseaux de débouché, doivent payer pour être reçues, payer pour être référencées, payer pour être achetées, payer pour être en rayon, payer pour recevoir leur argent... Il est secondaire, à la limite, de savoir d'où viennent les responsabilités, de savoir si ce constat est - et il l'est - ou non généralisé. Le principe même d'obtenir ou d'accorder, sans contrepartie équivalente, des avantages qui condamnent la pérennité d'entreprises et donc restreignent la concurrence est contraire aux règles de la libre concurrence.

· Des grossistes qui assurent pourtant des fonctions essentielles tenant à l'organisation et la diversité de la distribution ne profitent pas des mêmes avantages que leurs concurrents de la « grande distribution ». On recommande aujourd'hui aux petites entreprises de la production ou du commerce de s'organiser entre elles ; or cette organisation était naturellement assumée par le stade de gros tant que celui ci n'était pas victime de pratiques discriminatoires.

· Des commerçants, de proximité ou spécialisés, de nos villes et de nos villages, supportent des charges supérieures, achètent plus cher et ne bénéficient pas des « marges arrières »... Comment peuvent-ils, dans ces conditions, rester concurrentiels ? Bravo à tous ceux qui y parviennent, mais à quel prix humain ? Si les pratiques étaient différentes, le commerce de centre-ville ne serait pas réduit en France à 20  % seulement du commerce global, alors qu'il représente 70  % du commerce en Grande-Bretagne. Si les pratiques étaient différentes on ne nous annoncerait pas, par exemple, qu'il n'est plus rentable d'ouvrir un commerce spécialisé de jouets dans une ville de moins de 35 000 habitants. La libre concurrence, c'est aussi un enjeu d'aménagement du territoire !

· Des consommateurs achètent « moins cher » de la viande... dans laquelle de l'eau a été ajoutée : même « moins cher », c'est un prix de l'eau encore trop cher ! Mais qui le leur dit ? On leur vend « moins cher » des produits bien présentés mais dont les qualités gustatives et diététiques ont disparu, qui ne sont pas mûrs ou qui pourrissent rapidement. Même moins cher, c'est encore trop coûteux pour des produits qu'on jette sans les consommer ou qui rendent malades. Que dire du développement de la politique des « remises » quand on fait une « bonne affaire » en achetant plus cher que chez le commerçant qui ne fait pas de remise ? La politique du « coûte que coûte moins cher » coûte très cher aux consommateurs et à notre société !

Ce ne sont que quelques exemples de dysfonctionnements de la libre concurrence. Mais, ce ne sont pas des exemples difficilement identifiés par quelques parlementaires en mal d'activité. Si, à l'unanimité de tous les groupes politiques, une mission parlementaire sur l'évolution de la distribution a été créée et menée, c'est que les problèmes sont réels et graves de conséquence pour notre société. Le seul souci des membres de la mission a été celui-là : nous ne sommes pas contre telle ou telle forme de commerce (lire, en annexe du rapport, l'éloge fait, une fois encore, par moi-même, aux apports des « grandes surfaces » à l'occasion de l'audition du 30 novembre 1999 de la commission de la production et des échanges) ; nous avons le devoir de dénoncer les pratiques contraires aux règles de la libre concurrence et de contribuer à les faire disparaître. Qui peut nous le reprocher ?

En saluant sans réserve la qualité d'écoute, d'attention et de travail des membres de cette mission et en particulier celle de Jean-Yves le Déaut qui en assuma la rédaction du rapport, il me reste deux points à souligner dans cet avant-propos :

- est-il acceptable de tenter, par des subventions publiques à l'efficacité aléatoire, de sauver des entreprises performantes, mais en déficit parce qu'exploitées par leurs partenaires commerciaux, alors qu'il suffirait de faire appliquer les règles de bon sens, de solidarité et morales qui doivent caractériser la libre concurrence ? Or c'est parfois l'administration chargée de les faire appliquer, qui les interprète en détournant la volonté du législateur (voir l'exemple sur les conditions générales de ventes que devraient avoir les grandes surfaces prestataires de services, dans la partie II du rapport). C'est une des raisons du mal français. Les textes législatifs peuvent et doivent être améliorés comme le proposent nos conclusions. Mais il est d'abord indispensable de faire appliquer les textes existants. Les gouvernements, par une volonté politique plus ferme, doivent faire évoluer des cultures et des attitudes au sein de certaines de leurs propres administrations. Notre travail de législateur est bien modeste s'il n'est pas correctement appliqué ;

notre humilité est encore plus grande quand on mesure les enjeux que représentent la dimension internationale du marché (il est aujourd'hui moins coûteux pour une grande surface de faire venir certains produits d'Asie que de les acheter en France) ou l'arrivée imminente du commerce électronique (demain il suffira de parler, sans même procéder à une reconnaissance vocale préalable, à un ordinateur qui coûtera moins de 10 000 francs pour acheter dans le monde entier des services et produits en bénéficiant de conseils et de prestations supérieurs à ceux rendus par les commerçants traditionnels, les grands magasins ou les grandes surfaces).

Mais ce n'est pas pour nous décourager car, la France, grâce à ses entreprises, grandes ou petites, de la production ou du commerce, possède tous les atouts pour relever tous ces défis, si les rapports entre fournisseurs et distributeurs redeviennent de vrais rapports de partenariat et de solidarité.

INTRODUCTION

LA GRANDE DISTRIBUTION, BOUC ÉMISSAIRE ?

J'ai accepté d'être le rapporteur de la mission d'information sur l'évolution de la grande distribution car les mouvements qui s'opèrent dans ce secteur sont stratégiques. Les capitaux et les transactions financières en jeu sont pharaoniques : 2500 milliards de francs par an de transactions commerciales sont régis par l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.

Par ailleurs, la grande distribution française opère un mouvement de concentration sans précédent. Aujourd'hui, cinq groupes d'acheteurs se sont formés dans des « supercentrales d'achat » : Carrefour/Promodès, Leclerc/Système U (Lucie), Auchan, Cora/Casino (Opera), Intermarché. Le nouveau groupe Carrefour/Promodès dépasse 33 % des parts de marché dans 48 villes françaises de plus de 40.000 habitants. De ce fait, les rapports entre les producteurs de biens de consommation (70.000 entreprises, 400.000 agriculteurs) et les 60 millions de consommateurs sont analogues au passage dans le goulot d'étranglement d'un sablier. Au point d'étranglement du sablier, cinq groupements de distributeurs contrôlent la vente de plus de 90 % des produits de grande consommation.

Cette situation renforce de nouvelles craintes chez les fournisseurs des centrales d'achat de la grande distribution. Les agriculteurs ont dénoncé ces dérives en août 1999 lors d'une crise sur les fruits et légumes. Mais aujourd'hui beaucoup de responsables de petites et moyennes entreprises ont pris le relais de la contestation et exprimé leur ras le bol. Pour eux, la « coopération commerciale » est un euphémisme car elle est devenue pour la grande distribution « la poule aux _ufs d'or », leur permettant sans réelle contrepartie de réclamer toujours plus, menaçant de destruction le maillage national de l'agriculture et des petites et moyennes entreprises de l'industrie et du commerce.

La grande distribution n'apprécie pas, bien sûr, d'être considérée comme un bouc émissaire et prétend qu'à partir d'un problème réel concernant les prix agricoles, on a abouti à une revendication qui profite à certains grands groupes multinationaux. Loin de nous l'idée de procéder à une chasse aux sorcières. Les grands groupes de distribution français font partie des premiers groupes mondiaux. Leurs enseignes font travailler des entreprises françaises ; ils sont dotés d'une grande capacité d'exportation.

Il faut également prendre en compte le fait que ce mouvement de concentration est général et que le numéro 1 mondial Wal-Mart, qui vient d'acquérir Asda en Grande-Bretagne, réalisait en 1998 un chiffre d'affaires (131 milliards d'euros) 2,5 fois supérieur à celui de Carrefour/Promodès (54 milliards d'euros).

De ce fait, les responsables des grandes enseignes affirment qu'il ne faut pas bousculer l'édifice législatif construit patiemment et qu'il faut affirmer le principe de la liberté des relations commerciales. Pour eux, la meilleure régulation n'est pas celle de l'intervention réglementaire de l'Etat, mais celle de la liberté des prix sur le marché.

Les 12 députés de la mission d'information, se sont donc immergés dans le monde de la distribution et ont décortiqué les pratiques qui régissent les rapports entre les producteurs de biens de consommation (agriculteurs, PME-PMI et grands groupes industriels) et la distribution. Nous avons cherché à être objectifs, écoutant les arguments des uns et des autres, les confrontant, les évaluant, pour au bout de près de cinquante auditions des principaux acteurs en France ou dans certains pays européens, livrer un diagnostic. Il correspond à l'avis unanime de la mission d'information.

LES SUPERCENTRALES D'ACHAT : DE VÉRITABLES OLIGOPOLES

Les concentrations dans la grande distribution ont conduit à de véritables oligopoles. Ceux-ci ont été confortés par la création de supercentrales d'achat. La part de marché de ces groupements de distributeurs constitue une menace pour le maintien d'une concurrence saine et loyale. Les marchés financiers ne s'y sont d'ailleurs pas trompés quand on constate l'évolution à la hausse des cotations des valeurs des grandes enseignes de distribution comparée à celle des valeurs de référence du CAC 40 et du Dow-Jones.

Sur les dix plus grosses entreprises mondiales dans l'agro-alimentaire, six sont aujourd'hui des groupes de distribution. Wal-Mart, (USA, n° 1), Carrefour/Promodès, (France, n° 3), Metro (Allemagne, n° 6), Kroger (USA, n° 7), Intermarché (France, n° 9), Ahold (Pays-Bas, n° 10) et seulement quatre sont des multinationales fabriquant différents types de produits de grande consommation : Philips Morris (USA, n° 2), Unilever (anglo-néerlandais, n° 4), Nestlé (Suisse, n° 5) et Procter & Gamble (USA, n° 8).

La fausse coopération commerciale : des pratiques inadmissibles qui se sont généralisées.

Alors que la situation est déjà jugée critique, on assiste depuis quelques années au développement de pratiques commerciales illégales ou à la limite de la légalité qui ont de graves conséquences sur la santé économique des exploitations agricoles ou des PME et PMI. La modification de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 interdisant la revente à perte a certes constitué une amélioration de la législation, mais les responsables de la grande distribution ont fait preuve d'une grande inventivité afin de contourner les règles légales afin de facturer aux fournisseurs des prestations commerciales sans rapport avec la réalité des prestations effectuées.

Les dirigeants de la grande distribution relativisent ces dérives et affirment qu'elles sont marginales. Tel n'est pas l'avis de la mission d'information qui pense au contraire que les pratiques dénoncées ne constituent que la partie émergée de l'iceberg, car les prélèvements financiers sans contrepartie se sont généralisés.

Nous ne voulons pas diaboliser le secteur de la distribution ; nous ne sommes pas les porte-parole de « syndicats d'industriels soutenus par plusieurs personnalités et différentes institutions », suivant l'expression du président d'Intermarché, mais nous avons le devoir de dénoncer les déviances que nous avons détectées, de tenter de rétablir des relations plus vertueuses et de proposer des systèmes de régulation.

Un duel de géants entre la grande distribution et les multinationales au détriment des PME.

Certes, les problèmes ne sont pas les mêmes suivant les différentes catégories de fournisseurs : agriculteurs, PME-PMI et producteurs multinationaux de biens de grande consommation. Alors que les grands groupes internationaux ont les moyens financiers de lancer un nouveau produit (ce qui correspond quelquefois à plus de 100 millions de francs d'investissement) et donc à imposer au distributeur des gammes entières de produits, les petits fournisseurs et les agriculteurs sont sans armes efficaces et sont obligés d'accepter leurs conditions, car la perte du client par déréférencement est synonyme de la disparition de l'entreprise. Dans un premier temps, ces pratiques ont entraîné une réduction importante des marges, ce qui a induit une limitation de la capacité d'investir. Cela a conduit à des concentrations dans la production. Là où il y a trente ans il existait 160 producteurs de pâtes alimentaires en France, il en reste aujourd'hui moins de 10. Il y a donc menace sur la diversité des marques et des produits. Le consommateur subit l'uniformisation de l'offre. Les centrales d'achat ont tendance à réduire au maximum le nombre de leurs fournisseurs pour abaisser les coûts, et parallèlement les multinationales réduisent le nombre de marques qu'elles mettent sur le marché.

La mission propose de réguler et de moraliser les rapports contractuels, car les petits fournisseurs sont les premières victimes de ce double duel de géants qui oppose, d'une part, les enseignes de distribution entre elles et, d'autre part, la grande distribution et les sociétés industrielles multinationales.

LA PROMOTION TUE-T-ELLE LA PRODUCTION ?

Dans la mesure où toute revente à perte est interdite, les grands groupes se disputent le consommateur à coups de bons d'achat, de rabais ou de promotions, en tirant très bas les prix indiqués sur les catalogues promotionnels et en exigeant des fournisseurs ces prix promotionnels. Les prix des fraises sont ainsi fixés au mois de mars, soit deux mois avant le début de la campagne, et la crise agricole du mois d'août 1999 était déjà scellée au mois de juin car ces prix « virtuels » avaient été négociés avant d'être imprimés sur les catalogues. La promotion tue donc la production.

Les sommes en jeu sont gigantesques, puisque chaque grande enseigne dépenserait entre deux et trois milliards de francs par an en promotion et publicité (1). C'est peu par rapport aux 20 à 30 milliards de « marges arrières » assurées (1). La bataille de géants entre distribution et multinationales est encore plus rude, mais aboutit aux mêmes effets. Les multinationales de l'agro-alimentaire qui, grâce à leurs propres campagnes publicitaires font la promotion de leurs produits, exigent de disposer de toujours plus de place sur le linéaire pour vendre leurs produits, éliminant de fait leurs concurrents moins puissants. Dans le domaine de la coloration, L'Oréal capte 81 % du marché en France, 77 % dans celui des produits coiffants, Unilever 51 % du marché de la margarine. Ces firmes multinationales ont paradoxalement intérêt à payer de la coopération commerciale puisqu'elles contribuent à asphyxier leurs concurrents.

La grande distribution, qui devrait soutenir les PME face à la concurrence et aux pressions des grands groupes industriels, ne le fait pas, car elle préfère ponctionner sans risque plusieurs milliards chaque année. C'est, selon l'avis des membres de la mission, une politique à courte vue car cette stratégie risque de conduire à la mort de la « poule aux _ufs d'or ».

Pour contrer l'offensive des multinationales de l'agro-alimentaire, la stratégie développée par la grande distribution est de fabriquer des produits sous leurs propres marques : les marques de distributeur. Il apparaît à la mission que le développement de ces marques de distributeur risque de placer encore plus les PME-PMI et les agriculteurs en situation de dépendance économique, car en cas de déréférencement, c'est la mort assurée d'une entreprise dépendant pour une grande partie de ses activités des commandes d'une supercentrale d'achat.

Le consommateur est devenu captif.

Le discours des grandes enseignes et des multinationales est répétitif : « on choisit pour vous des produits de qualité au prix le plus bas ». Ce n'est pas réellement exact car du fait des marges arrières prélevées par le distributeur, le prix du produit est en fait plus élevé qu'il ne devrait l'être. Certes, depuis l'interdiction de la revente à perte, il n'y a pas eu d'inflation, notamment sur les produits agro-alimentaires. Cela vient tout simplement du fait que les gains de productivité ont été repris par les marges arrières et que les marges bénéficiaires des petits producteurs ont fondu comme neige au soleil. En définitive, le consommateur est perdant, car s'il profite de prix bas sur certains produits d'appel (dans l'alimentation, ce sont 10 % à 15 % des linéaires), il paie le prix fort sur les autres. De plus, cette politique aboutit à l'uniformisation des produits. Les producteurs multinationaux veulent, pour réduire leurs coûts, diminuer le nombre de marques ; cette moindre diversité peut s'accompagner d'une baisse de la qualité car très souvent les innovations sont venues de petites entreprises qui n'ont plus aujourd'hui les moyens d'investir dans la recherche et le développement.

Le consommateur est donc de plus en plus captif, captif de la grande distribution car le commerce de centre-ville n'a pas toujours su s'adapter aux demandes du consommateur, captif du matraquage publicitaire qui lui est asséné à coups de spots télévisés par les marques, de catalogues dans les boîtes aux lettres et de pages de journaux par les enseignes de distribution, captif de la qualité des produits qui lui sont présentés sur les linéaires. On lui assure plus de sécurité alimentaire, mais pourquoi dans ce cas les distributeurs ne développent-ils pas plus la traçabilité, ne mettent-ils pas plus en avant les marques, les labels, les appellations d'origine, les produits du terroir. On lui parle d'agriculture raisonnée sans qu'un réel cahier des charges ne définisse les conditions dans lesquelles ces produits doivent être fabriqués.

On parle au consommateur de produits sans organisme génétiquement modifié (OGM) et certaines enseignes en ont même fait un argument publicitaire, alors que les tests de détection n'étaient pas encore au point et qu'aucun importateur de lécithine de soja n'est à même de prouver la totale séparation des filières avec OGM et sans OGM depuis la semence jusqu'au transformateur final, puisque des millions d'hectares de soja génétiquement modifiés sont cultivés dans le monde. L'affaire récente de la contamination à la dioxine des huiles animales originaires de Belgique l'a démontré : il est difficile de suivre à la trace des produits alimentaires dans un système de plus en plus mondialisé. Le consommateur ne sait plus qui croire.

La commission de la production et des échanges suit avec attention les questions d'urbanisme commercial et de droit de la concurrence. De nombreux rapports ont été établis sur ces sujets depuis la IXème législature (1988). Il convient de citer les rapports suivants :

- rapport présenté par M. Jean-Marie Bockel sur le projet de loi d'actualisation des dispositions relatives à l'exercice des professions commerciales et artisanales (n° 1764 du 28 novembre 1990) ;

- rapport d'information de MM. Jean-Paul Charié et Pierre Estève sur les délais de paiement entre les entreprises (n° 2610 du 15 avril 1992) ;

- rapports présentés par M. Pierre Estève sur le projet de loi relatif aux délais de paiement entre les entreprises (n° 2618 du 16 avril 1992, n° 2710 du 19 mai 1992, n° 2805 du 18 juin 1992) ;

- observations faites par M. Alain Brune (annexe au rapport n° 2941 du 10 octobre 1992 de la commission des lois) sur le projet de loi relatif à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ;

- rapport d'information de M. Jean-Paul Charié, « Un enjeu de société : vers une concurrence libre et loyale » (n° 836 du 9 décembre 1993) ;

- rapport d'information de M. Jean-Paul Charié, « Pour une libre concurrence à dimension humaine : redéfinir les règles de loyauté » (n° 2187 du 27 juillet 1995) ;

- rapports présentés par M. Jean-Paul Charié sur le projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales (n° 2595 du 6 mars 1996, n° 2801 du 21 mai 1996) ;

- rapport présenté par M. Ambroise Guellec sur le projet de loi relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat (n° 2787 du 14 mai 1996) ;

- documents de synthèse du secrétariat de la commission de la production et des échanges du 8 octobre 1996 sur les lois n° 96-588 du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales (tome sur le droit de la concurrence) et n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat (trois tomes sur l'urbanisme commercial, le commerce et l'artisanat).

Votre rapporteur a repris dans le présent rapport d'information certaines des analyses du droit en vigueur et de l'évolution de la réglementation depuis 1945 contenues dans ces rapports, qui sont épuisés, en raison de leur caractère synthétique, des travaux d'études approfondies auxquels elles ont donné lieu et de la brièveté des délais imposés à la mission pour présenter son rapport. En effet, la mission d'information a été constituée le 20 octobre 1999 (après décision du 13 octobre de la commission de la production et des échanges) et a dû achever ses auditions le 22 décembre 1999 et ses travaux le 11 janvier 2000.

I.- L'ÉVOLUTION DE LA DISTRIBUTION ET DU MARCHÉ DES PRODUITS DE GRANDE CONSOMMATION EN FRANCE

A.- LES GROSSISTES : UN STADE INDISPENSABLE

1. Le commerce de gros fournit des services indispensables

Le commerce de gros est méconnu de nos concitoyens. Il assure pourtant l'approvisionnement de la quasi-totalité des grands hôtels, restaurants et services de restauration collective et de la majorité des petits commerces traditionnels. En outre, il constitue une interface dynamique entre les producteurs et importateurs et les points de vente au détail : de ce point de vue, il assure la sélection des produits, le suivi de la qualité, la définition des besoins du marché, l'enlèvement, le transport et le stockage des marchandises. Dans la filière des produits frais, le stade de gros gère le marché au jour le jour : il rend des services incontestables aux producteurs en amortissant les fluctuations quotidiennes du marché par une gestion dynamique des stocks et une évaluation prévisionnelle des besoins du marché tant au regard des quantités que des prix de vente (le commerce de gros effectue des péréquations permanentes de prix entre les livraisons des différentes unités de production). Le grossiste joue ainsi souvent un rôle de financier pour le petit producteur (les règlements sont rapides et des conditions de crédit sont offertes) et conçoit le circuit de commercialisation le mieux adapté à ses produits. En fait, le grossiste ne travaille plus à la commission mais fait du véritable négoce en achetant et revendant à ses risques.

Par rapport à une centrale d'achat de la grande distribution, la spécificité d'un grossiste tient à son obligation d'être en mesure de répondre à tous les besoins des commerces de détail et des hôtels-restaurants tant du point de vue qualitatif (variétés, produits spécifiques, etc.) que du point de vue quantitatif (livraison d'unités ou de tonnes), quel que soit le lieu ou le moment. Souvent le grossiste est conduit à devoir écouler ce que la centrale d'achat n'a pas voulu prendre chez le producteur car ne répondant pas à la demande de la majorité des consommateurs (certaines pièces de carcasses, par exemple) ou difficile à commercialiser en raison de sa nature (produit d'une qualité non normalisée, volumes insuffisants, etc.).

Le savoir-faire du grossiste est apprécié des producteurs qui ont l'assurance de discuter des contrats d'achat avec des acheteurs connaissant parfaitement le métier et les contraintes de la production. Le commerce de gros a, de ce fait, souvent un rôle de conseil auprès du producteur, sa relation avec la production reposant sur des engagements contractuels de longue durée.

L'importance sociale du commerce de gros est renforcée par sa capacité d'assurer un contrôle de la qualité et de la sécurité alimentaires. Cependant, on constate que la traçabilité se met en place plus lentement que dans le circuit de la grande distribution (pour des raisons techniques évidentes dues à l'éclatement de la filière de commercialisation).

En dernier lieu, le commerce de gros contribue de manière capitale à l'équilibre entre le commerce de proximité de centre-ville ou de quartier (petit commerce indépendant, halles, marchés) et le commerce de périphérie (hypermarchés et supermarchés, cash-and-carry), en permettant à cette première forme de commerce de survivre de manière indépendante. C'est pourquoi la mission invite les municipalités à associer les représentants du commerce de gros aux réflexions sur l'évolution et l'aménagement commercial des quartiers et des centre-villes.

2. Le commerce de gros est menacé par le poids de la grande distribution

Les statistiques de l'INSEE fournissent l'évolution suivante du nombre d'entreprises de commerce de gros et de leurs effectifs salariés et non salariés :

NOMBRE D'ENTREPRISES COMMERCIALES IMMATRICULÉES ET EFFECTIFS

(au 31 décembre)

nomenclature NAF

1996

1997

1998

Intermédiaires de commerce

37 162

35 630

36 812

CG de produits agricoles bruts

8 154

8 077

7 966

CG de produits alimentaires

20 193

20 210

20 095

CG de biens de consommation non alimentaires

34 651

35 061

35 802

CG de produits intermédiaires non agricoles

17 075

17 171

17 387

CG de biens d'équipement professionnel

33 683

33 861

34 310

Autres commerces de gros, non classés ailleurs

4 740

4 984

5 333

Commerce de gros (y compris intermédiaires)

155 658

154 994

157 705

Effectifs salariés

884 300

887 200

908 100

Effectifs non salariés

51 100

51 300

n.d.

Source : INSEE - fichier SIRENE France métropolitaine

La taille des entreprises de commerce de gros est modeste : selon les indications données par M. Arnaud de Morcourt, directeur général de la Confédération française du commerce de gros et du commerce international (CGI), 80 % d'entre elles emploient moins de vingt personnes mais 80 % d'entre elles réalisent également plus de 50 millions de francs de chiffre d'affaires. Les enquêtes de l'INSEE indiquent qu'en 1997, 52,8  % des entreprises du commerce de gros, y compris les intermédiaires du commerce, employaient de un à neuf salariés (soit trois en moyenne) et 32  % aucun. Les marges des entreprises sont cependant très faibles : les marges brutes sont comprises entre 6 et 12  %, voire 15 % pour les produits très périssables ; leur marge nette avant impôt est souvent inférieure à 1  %, soit deux fois moins que celle de la grande distribution.

Le commerce de gros est tout d'abord touché directement par la croissance des ventes en grande surface. Il souffre également du rachat des petits commerces traditionnels par les grandes enseignes de grande distribution ou de leur affiliation à des centrales d'approvisionnement de la grande distribution (par exemple, les petits commerçants Proxi de Promodès). En outre, il subit la concurrence des magasins cash-and-carry (surfaces de vente en gros et en détail spécialisées en alimentaire, réservées théoriquement aux professionnels mais dont les cartes d'adhésion sont largement distribuées auprès d'organismes et entreprises les plus divers) dont le marché est contrôlé à 95  % par les enseignes Metro (distributeur allemand) et Promocash (Carrefour) qui achètent en commun au sein de la même centrale.

B.- LA DISTRIBUTION

Le texte de l'avis n° 97-A-04 du Conseil de la concurrence du 21 janvier 1997 relatif à diverses questions portant sur la concentration de la distribution est reproduit en annexe du rapport. Il est la dernière analyse officielle disponible de l'état du marché de la distribution en France (en 1996).

1. Définition et historique des différentes formes de points de vente au détail

Jusqu'en 1975, la vente au détail des produits de grande consommation hors boulangerie-patisserie et automobiles était majoritairement effectuée dans des petits commerces de moins de 400 m², de forme traditionnelle le plus souvent. A partir de 1990, les ventes dans les grandes et moyennes surfaces dépassèrent celles réalisées dans le petit commerce (voir les tableaux de la répartition des parts de marché ci-après).

a) Les anciennes formes de grande distribution

Jusqu'aux années 1970, la grande distribution française était dominée par trois formes de commerce :

les grands magasins : cette forme de commerce est née en France et presque simultanément en Angleterre (fondation de la Belle Jardinière en 1824, du Bon Marché en 1852, du Bazar de l'Hôtel de Ville en 1855, du Printemps en 1865, de la Samaritaine en 1870, des Galeries Lafayette en 1895). Le concept repose sur le regroupement dans un même bâtiment d'une gamme très étendue de produits non alimentaires (à l'origine, essentiellement d'équipement de la personne) vendus à l'origine par des hôtesses puis aujourd'hui souvent en libre-service dans des rayons. Chaque rayon d'un grand magasin est considéré comme une surface de vente spécialisée disposant de personnels d'accueil chargés de conseiller le client. Les grands magasins louent également des stands à des fournisseurs. Les plus grands de ces commerces multispécialistes atteignent en France 50 000 m² ;

les magasins populaires : cette forme de commerce est apparue aux Etats-Unis en 1879. Le premier magasin populaire fondé en France fut Uniprix en 1931 ; suivirent Prisunic (propriété du Printemps) en décembre 1931 et Monoprix (propriété des Galeries Lafayette) en 1932. Tati fut créé en 1949. Le concept reposait sur la vente de toutes les marchandises à un prix unique, le plus bas possible (10 F à l'origine, les quantités vendues et les poids des lots étaient calculés en fonction de ce prix) ; cette technique de vente a été abandonnée à la seconde guerre mondiale. L'assortiment est restreint à une offre de produits d'usage courant. Les magasins populaires proposent entre 7 000 et 10 000 références, essentiellement dans l'alimentaire, les cosmétiques, le bazar et l'habillement ;

les succursalistes et coopératives de consommation : cette forme de commerce est apparue au XIXème siècle. Ces magasins, à dominante alimentaire pendant longtemps, ont été constitués en réseaux par des entreprises de gros à vocation régionale. Le concept repose sur la vente en libre-service avec un service aux consommateurs reposant sur une recherche de la qualité. Félix Potin a été fondé en 1844, Radar (sous la dénomination Dock Rémois) en 1887, Casino en 1898, Viniprix en 1932. Docks de France (enseignes Mammouth et Atac), les Comptoirs Modernes (enseignes Comod et Stoc), Promodès (enseignes Continent, Champion, ...) et Système U sont nés de cette forme de commerce. Cependant, avec la généralisation du super et de l'hypermarché dans les années 1970, cette forme de commerce a dépéri (réorientation de Casino, Promodès et Système U vers la vente en super et hypermarché, disparition de certaines Coop en 1985, dépôt de bilan de Codec en 1990).

b) Les nouvelles formes de la grande distribution

Aujourd'hui, le grand commerce est dominé par la vente en supermarché et en hypermarché qui totalise près du tiers de la vente des produits de grande consommation en France.

Le supermarché est une forme de vente mise au point aux Etats-Unis dans les années 1930. Le concept repose sur la vente en libre-service du plus large assortiment de produits alimentaires sous un même toit (paiement des marchandises à la sortie du magasin par passage à des caisses indifférenciées) et au prix le plus bas. Etant donné l'exigence d'un large échantillonnage de produits alimentaires, la surface de vente d'un supermarché est nettement supérieure à celle d'un commerce traditionnel (entre 400 et 2 500 m² selon les statistiques de l'INSEE). Le premier supermarché ouvert en France fut Bardou en 1957, à Paris.

Le supermarché réalise les deux tiers de son chiffre d'affaires dans l'alimentaire. Il propose environ 10 000 références.

L'hypermarché est une forme de vente inventée en France en 1963 : le premier hypermarché Carrefour a ouvert à Sainte-Geneviève-des-Bois dans l'Essonne le 15 juin 1963. Le concept repose sur la vente en libre-service du plus large assortiment de produits tant alimentaires (deux tiers de l'assortiment et des ventes) que non alimentaires, sous un même toit installé en dehors des agglomérations et disposant d'un emplacement de stationnement étendu (un véhicule étant supposé nécessaire pour emporter les achats). L'hypermarché est également caractérisé par une recherche systématique du prix le plus bas (« discount »). Ce prix dit cassé est obtenu par une réduction de la marge brute moyenne des magasins (qui tombe à 15 % contre 23 % dans le commerce alimentaire et 28 % pour le commerce non alimentaire), rendue possible, à l'origine, par une rationalisation de la politique d'achat, les économies d'échelle, la compression des investissements physiques au mètre carré de surface de vente et la compression de la marge nette (1 à 2 %, voire un temps moins de 1 %) et l'absence de vendeurs en rayon.

L'hypermarché a une surface de vente d'au moins 2 500 m2 selon les normes INSEE. Il propose au moins 40 000 références, mais leur nombre peut atteindre 80 000, voire 130 000 dans les plus grands hypermarchés Auchan (dont la politique de diversification de l'offre conduit à multiplier les références comme nous l'a précisé Francis Cordelette, président d'Hypermarchés Auchan). Les références dans l'alimentation sont au nombre de 3 000 à 5 000, mais peuvent atteindre 8 000.

L'objectif d'un hypermarché, qui est devenu celui de tous les magasins des enseignes de grande distribution hormis les grands magasins et magasins populaires, est de maximiser le rapport entre le bénéfice net et le capital investi, et non entre le bénéfice brut et le chiffre d'affaires. A cette fin, les frais généraux doivent être limités, les ventes être massives et la rotation des marchandises rapide. En outre pour éviter d'investir dans les stocks, les produits doivent être vendus avant d'être payés à leur fournisseur (au départ de la croissance, en 1968, le rapport moyen était de 23 jours contre 44 jours), ce qui dégage une trésorerie permettant de financer une croissance des implantations, de ne pas recourir aux prêts bancaires et de présenter un résultat net positif. Le gagnant était le consommateur.

Le concept de vente au prix le plus bas possible par la réduction des marges de tous les intervenants de la filière et des frais généraux a cependant été lancé par M. Edouard Leclerc, en 1949, dans un hangar de Landernau rendu célèbre par son huile et son sucre vendus 25 % moins cher (il annonçait des ventes au prix des grossistes). Incontestablement Edouard Leclerc a changé radicalement la manière de faire du commerce en France. La révolution qu'il a provoquée a marqué durablement tous les grands distributeurs français.

Ce modèle économique s'est imposé à toute la grande distribution hormis les grands magasins et les magasins populaires. Il a été le moteur de l'expansion à l'étranger des hypermarchés français. Carrefour a commencé à s'implanter à l'étranger dès les années 1970 (2) : en Belgique, en Suisse (mais se retire du pays en 1991), en Italie et en Grande-Bretagne en 1969 (avec des alliés locaux), en Espagne en 1973, au Brésil en 1975, en Autriche en 1976, en Allemagne en 1977 (mais ferme ses magasins en 1979), puis vinrent l'Argentine en 1982, les Etats-Unis en 1988 (mais se retire du pays en 1993), Taiwan en 1989, le Portugal en 1990, le Mexique et la Malaisie en 1994, la Chine en 1995, la Corée du Sud et la Thaïlande en 1996, Singapour en 1997, la Colombie et le Chili en 1998, etc. La stratégie de Carrefour a eu un effet d'entraînement sur les autres enseignes, qui s'est conjugué avec les difficultés croissantes d'obtenir en France des autorisations d'implantations supplémentaires, notamment lors de périodes de « gel » des autorisations (1984-1985 et 1993-1997). Aujourd'hui, les enseignes d'hypermarchés et de maxidiscompte françaises (Carrefour, Continent, Auchan, Casino, Cora, Intermarché, Castorama, Leclerc, etc.) sont les établissements de vente au détail massive les mieux implantés en dehors de leur sol national, au point de dominer certains marchés nationaux ou de les avoir radicalement orientés vers la forme de distribution en hypermarché.

Depuis la fin des années 1980, une nouvelle forme de commerce importée d'Allemagne (mais qui est née parallèlement au Japon) s'installe en France : le maxidiscompte (« hard discount »). Les premières enseignes sont apparues en France en 1988 : Aldi, Lidl et Norma, enseignes allemandes. Carrefour avec l'enseigne Ed et Europa Discount, Intermarché avec CDM, Franprix avec Leader Price, etc. ont rapidement investi ce marché (voir les tableaux ci-après et celui dans le chapitre sur l'équipement commercial au titre V du présent rapport). Le concept repose sur la vente de produits de base, essentiellement alimentaires, sous marque de distributeur exclusivement, ou presque, et dans une gamme de choix limitée à une ou deux références, au prix le plus bas. Le prix de vente le plus bas est obtenu par une politique de sélection des fabricants ayant la capacité de fournir en grosses quantités des produits de qualité basique mais constante sur l'année, au prix le plus bas possible (grâce à une prévision des commandes sur un an et des engagements pluriannuels), et par l'absence d'investissement dans l'aménagement du magasin, la présentation des produits, etc. et l'emploi d'un personnel en nombre réduit. Le nombre de références offertes est compris entre 600 et 1 000.

Ce concept a été mis au point par Aldi. Ce groupement a été fondé en 1960 par deux frères, Karl et Theo Albrecht. L'activité commerciale des deux frères commença en 1946 où prisonniers de guerre, ils sont libérés par les Alliés et reprennent le magasin familial. En raison de la pénurie d'après-guerre et en l'absence de capitaux, ils ne proposèrent que deux cents références avant tout dans l'alimentaire. En 1950, ils orientèrent leur commerce vers l'offre de produits à prix réduits (« discount »). Cette forme de vente correspondait exactement aux besoins de la population qui devait limiter ses achats au strict nécessaire. En 1961, la société fut scindée : Aldi Nord, basée à Essen, fut prise par Theo et Aldi Sud, basée à Mülheim, par Karl. Et en 1962, le premier magasin de vente en libre-service fut ouvert à Dortmund par Theo Albrecht. Depuis, le système Aldi n'a pas fondamentalement changé (les frères Albrecht se sont retirés de la direction de leur entreprise en 1993).

Un magasin d'Aldi n'offre que six cents références au prix le plus bas possible et vendues tout au long de l'année sans promotion à prix cassé, mais Aldi Nord s'est écarté du modèle traditionnel pour offrir jusqu'à sept cent cinquante références. Cette politique est permise par un coût en personnel très réduit (3  % du chiffre d'affaires contre 13  % pour les autres enseignes allemandes (3)) et la compression des frais généraux (absence de décoration, offre des produits dans leur conditionnement de transport, magasins strictement fonctionnels et de taille réduite : jusqu'à 1 000 m2 avec un emplacement de stationnement réduit).

Depuis 1999, Aldi ne vend plus aucun article sous marque du fabricant. Les six cents références sont basiques mais leur qualité est testée en permanence, y compris par des organisations de consommateurs (elle doit être semblable à celle du produit dominant du marché). Cette stratégie donne aux deux sociétés une grande puissance d'achat puisqu'en moyenne chaque référence génère un chiffre d'affaires de 50 millions de marks. Si Aldi détient 13  % de parts de marché dans la vente de produits alimentaires en Allemagne, sa part atteint 30  % pour certaines des références vendues dans ses magasins.

La discussion avec le fournisseur est donc sévère mais elle porte aussi bien sur le prix que sur la qualité et les caractéristiques du produit et se conclut par un contrat de vente portant sur plusieurs années avec des engagements fermes de commandes de volumes. Aucune remise de coopération commerciale n'est demandée ni à la signature du contrat, ni en cours d'exécution. Lorsqu'il est décidé d'introduire un nouveau produit, le directoire de l'entreprise doit décider d'en retirer un autre pour maintenir le nombre de références en magasins à six cents. C'est ainsi que, selon les évolutions de la consommation, à échéance des contrats, sauf si la qualité d'une référence n'est plus satisfaisante, quarante à soixante produits sont sortis des linéaires et autant sont introduits chaque année (mais s'il s'agit de déréférencement stricto sensu le contrat en cours est exécuté et Aldi verse les sommes dues pour les commandes convenues, même si le produit est invendu).

Le groupe gère des filiales d'approvisionnement des magasins (34 pour Aldi Nord et 24 pour Aldi Sud au début 1999) qui sont des plates-formes de réception des produits et qui fournissent chacune une cinquantaine de magasins. Si le nombre de magasins de la zone augmente et dépasse les soixante-quinze, une nouvelle filiale et un nouvel entrepôt sont créés, en principe. Ce schéma permet de mettre en place une gestion à flux tendu : les achats d'Aldi portent sur des camions entiers mais les livraisons sont effectuées par palette et par entrepôt. A partir du dépôt, chaque filiale possède sa flotte de véhicules pour l'approvisionnement des magasins.

Aldi s'étend à l'étranger avec le même concept de vente : il s'est installé en Autriche en 1967, aux Pays-Bas en 1975, en Belgique en 1986, en France en 1998 (Aldi Nord), en Grande-Bretagne en 1990. Chaque fois le groupe a introduit la vente en magasin de maxidiscompte dans le pays. Indiquons que les deux sociétés possèdent exclusivement des magasins de ce type.

2. Les parts de marché des différentes formes de commerce : le consommateur apprécie les grandes surfaces de vente comme le commerce de centre-ville ou de quartier

Les tableaux ci-après, établis à partir des données figurant dans les comptes du commerce de l'INSEE, montrent l'emprise croissante du grand commerce, dominé par les enseignes d'hyper et de supermarchés depuis les années 1980, sur le marché des produits de grande consommation.

L'INSEE définit comme suit les différentes formes de commerce recensées dans ses comptes.

A. L'INSEE classe les commerces non spécialisés selon deux critères : la surface des magasins et la part des ventes en produits alimentaires.

1. Dans le commerce non alimentaire (magasins réalisant moins d'un tiers de leur chiffre d'affaires en produits alimentaires), on distingue :

- les « grands magasins » (code NAF 52.1H) (Printemps, Galeries Lafayette, Samaritaine, ...), dont la surface de vente est d'au moins 2 500 m², avec un assortiment maximum de produits non alimentaires, sans spécialisation ;

- les autres magasins non alimentaires non spécialisés (NAF 52.1J) (bazars, ...), dont la surface de vente est inférieure à 2 500 m².

2. Les magasins à prédominance alimentaire sont ceux qui réalisent plus d'un tiers de leur chiffre d'affaires en produits alimentaires. On distingue :

- les grandes surfaces :

. les « hypermarchés » (NAF 52.1F), dont la surface de vente est d'au moins 2 500 m² ;

. les « supermarchés » (NAF 52.1D), dont la surface est comprise entre 400 et 2 500 m² et qui réalisent plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires dans la vente de produits alimentaires ;

. les « magasins populaires » (NAF 52.1E) (Monoprix, essentiellement aujourd'hui), de même taille que les supermarchés mais qui réalisent entre un tiers et deux tiers de leur chiffre d'affaires en alimentaire. Les magasins offrent un assortiment limité aux besoins courant et un libre-service alimentaire. Ils sont installés en centre-ville ;

- les petites surfaces :

. les « supérettes » (NAF 52.1C), dont la surface de vente est comprise entre 120 et 400 m² ;

. les « alimentations générales » (NAF 52.1B) dont la surface de vente est inférieure à 120 m².

Par ailleurs, parmi les magasins alimentaires, les magasins dits de maxidiscompte ne constituent pas une catégorie particulière dans les nomenclatures. Ils sont repérés par leurs enseignes et sont présents dans les supérettes (moins d'un tiers d'entre eux) et dans les supermarchés.

B. Le commerce de détail alimentaire en magasin spécialisé regroupe les unités faisant plus de la moitié de leur chiffre d'affaires dans l'une des huit gammes de produits alimentaires (NAF 52.2). Aucun critère de taille ou de nombre de magasins n'est introduit par l'INSEE.

Les différentes gammes de produits alimentaires sont :

- fruits et légumes frais, - pain, pâtisserie et confiserie,

- viandes et produits à base de viande, - produits laitiers,

- poissons, crustacés et mollusques, - tabac et cigarettes,

- boissons, - épicerie et divers.

C. Le commerce de détail non alimentaire regroupe les unités (entreprises ou établissements) qui réalisent au moins deux tiers de leur chiffre d'affaires de détail en produits non alimentaires.

Les différentes gammes de produits non alimentaires sont :

- produits pharmaceutiques, - meubles et équipement du foyer,

- articles médicaux et orthopédiques, - électroménager et radiotélévision,

- parfums et produits de beauté, - quincaillerie, peintures et verre,

- textiles, - livres, journaux et papeterie,

- habillement, - produits divers non alimentaires.

- chaussures et articles en cuir,

PARTS DE MARCHÉ - ENSEMBLE DES PRODUITS COMMERCIALISABLES (1)

SÉRIE DE 1962 À 1995

(en %)

formes de vente

1962

1970

1980

1990

1993

1995

Grandes surfaces alimentaires :

3,1

9,5

18,6

29,7

31,7

33,2

_ Hypermarchés (2500 m2 et plus)

0,0

2,2

9,4

16,8

19,2

20,2

_ Supermarchés (de 400 à 2500 m2)

0,6

4,0

7,0

11,7

12,5

12,9

_ Magasins populaires (de 400 à 2500 m2)

2,5

3,3

2,2

1,2

1,1

1,0

Petites surfaces succursalistes d'alimentation générale (moins de 400 m2)


7,0


6,5


3,8


1,4


1,2


1,1

Grands magasins

2,7

2,9

2,2

1,6

1,4

1,3

Vente par correspondance généraliste (VPC)

} 1,2

0,7

1,0

1,0

} 1,8

1,2

Autres généralistes

0,7

0,7

0,6

0,5

Grand commerce non alimentaire spécialisé

0,0

1,0

3,9

7,1

8,7

9,1

GRAND COMMERCE :

14,0

21,1

30,2

41,4

45,8

47,2

Petites surfaces d'alimentation générale indépendantes (moins de 400 m2)


12,0


8,7


4,6


3,2


2,8


2,5

Commerce des viandes

9,2

8,2

6,1

3,7

3,2

2,8

Autres commerces de détail alimentaires spécialisés


5,5


4,2


3,5


3,1


3,0


2,8

Pharmacies

3,5

4,3

4,1

5,4

6,1

6,4

Petit et moyen commerce spécialisé non alimentaire


32,8


30,5


27,8


24,1


22,2


21,0

PETIT ET MOYEN COMMERCE (2) :

63,0

55,9

46,1

39,5

37,3

35,5

ENSEMBLE DU COMMERCE DE DÉTAIL

77,0

76,9

76,2

80,9

83,0

82,8

Autres ventes au détail (3)

23,0

23,1

23,8

19,1

17,0

17,2

dont : Boulangerie-pâtisserie

3,6

3,3

3,0

2,6

2,5

2,4

Réparation et commerce de l'automobile

9,0

8,9

11,6

8,2

7,3

7,7

Ensemble des ventes au détail

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

EN MILLIARDS DE FRANCS TTC

142,0

282,3

955,5

1985,7

2102,0

2192,7

(1) Les produits commercialisables sont les produits susceptibles d'être vendus par le commerce de détail ; ils ne comprennent pas les automobiles.

(2) Y compris le commerce de petites surfaces, indépendant organisé (franchise, groupements d'achats)

(3) Dans cet ensemble sont regroupés : les ventes des boulangeries et pâtisseries (classées dans les industries agro-alimentaires), les ventes de pneus, d'accessoires et de carburants par le commerce de l'automobile ; les ventes au détail des autres secteurs (commerce de gros, prestataires de services, producteurs).

Source : INSEE - comptes du commerce

Nota : série statistique non disponible au delà de 1995. L'année 1962 est l'année précédant l'apparition du premier hypermarché (à Sainte-Geneviève-des-Bois, dans l'Essonne).

PARTS DE MARCHÉ - ENSEMBLE DES PRODUITS COMMERCIALISABLES
(HORS VÉHICULES AUTOMOBILES)

SÉRIE DE 1993 À 1998

(en  %)

formes de vente

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Alimentation spécialisée, artisanat commercial et petites surfaces d'alimentation générale


13,4


12,7


12,3


12,0


12,0


11,9

Grandes surfaces d'alimentation générale :

31,4

32,6

32,8

32,9

33,0

33,1

_ Supermarchés

13,2

13,4

13,7

13,7

13,7

13,7

_ Magasins populaires

0,6

0,6

0,6

0,5

0,4

0,4

_ Hypermarchés

17,6

18,6

18,5

18,8

18,9

18,9

Grands magasins et autres magasins non alimentaires non spécialisés


1,5


1,4


1,4


1,4


1,4


1,4

Pharmacies et commerce d'articles médicaux et orthopédiques


5,8


5,8


5,9


6,0


5,9


6,0

Magasins non alimentaires spécialisés (hors pharmacies)


28,1


27,6


27,5


27,4


27,3


27,5

Commerce hors magasin :

4,3

4,3

4,5

4,4

4,4

4,4

_ Vente par correspondance

2,1

2,2

2,1

2,1

2,1

2,1

_ Autres

2,1

2,1

2,4

2,3

2,3

2,3

Réparations d'articles personnels et domestiques (1)


0,6


0,6


0,6


0,6


0,6


0,6

ENSEMBLE COMMERCE DE DÉTAIL ET ARTISANAT À CARACTÈRE COMMERCIAL

85,1

85,0

85,1

84,8

84,6

84,9

Ventes au détail du commerce automobile (2)

9,5

9,7

9,7

10,0

10,3

10,2

Autres ventes au détail (3)

5,4

5,3

5,1

5,2

5,1

4,9

ENSEMBLE DES VENTES AU DÉTAIL
ET RÉPARATIONS

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

EN MILLIARDS DE FRANCS (4)

2178

2210

2263

2306

2362

2443

Source : INSEE - comptes du commerce

(1) Pour leurs ventes au détail et leurs prestations de réparation

(2) A l'exclusion des ventes et réparations de véhicules automobiles, y compris les ventes et réparations de motocycles

(3) Ventes au détail du commerce de gros, de divers prestataires de services et ventes directes des producteurs

(4) Du fait de la révision en cours des comptes nationaux, ce chiffrage est susceptible de modifications. Il faut donc davantage s'attacher aux parts de marché relatives des formes de ventes les unes par rapport aux autres qu'à leur niveau absolu.

Nota : série statistique disponible à compter des résultats de l'année 1993.

Les tableaux issus des comptes du commerce établis par l'INSEE sont révisés chaque année. Leurs chiffres ne peuvent donc pas être comparés d'une publication à l'autre. La série reproduite dans le présent tableau et les suivants n'est donc pas harmonisée avec celle ayant été utilisée pour la confection du précédent tableau.

PARTS DE MARCHÉ PAR TYPES DE COMMERCE
ENSEMBLE DES PRODUITS (hors véhicules automobiles)

Type de commerce

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Grand commerce alimentaire

31,4

32,6

32,8

32,9

33,0

33,1

Grands magasins et grandes entreprises de VPC

3,0

3,0

2,8

2,9

2,8

2,9

Grand commerce non alimentaire en magasin spécialisé

7,7

8,5

8,9

9,2

9,5 (*)

9,9 (*)

Grand commerce :

42,1 %

44,1 %

44,5 %

45,0 %

45,3 %

45,9 %

Petit commerce alimentaire et artisanat
(y compris marchés)

14,2

13,6

13,3

13,0

12,9

12,7

Pharmacie, commerce d'articles médicaux et orthopédiques


5,8


5,8


5,9


6,0


5,9


6,0

Petit et moyen commerce non alimentaire

22,9

21,6

21,4

20,9

20,4

20,2

Petit et moyen commerce et artisanat :

42,9 %

40,9 %

40,6 %

39,8 %

39,2 %

39,0 %

Ventes au détail du commerce et de la réparation automobile (hors vente et réparation de véhicules)


9,5


9,7


9,7


10,0


10,3


10,2

Autres ventes au détail (1)

5,4

5,3

5,1

5,2

5,1

4,9

Ensemble des ventes au détail
et réparation domestique :


100 %


100 %


100 %


100 %


100 %


100 %

PARTS DE MARCHÉ PAR TYPES DE COMMERCE
PRODUITS ALIMENTAIRES (hors tabac)

Type de commerce

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Grand commerce alimentaire

59,7

61,8

62,5

62,9

63,0

63,2

Grands magasins et grandes entreprises de VPC

0,5

0,5

0,5

0,5

0,5

0,6

Grand commerce non alimentaire en magasin spécialisé

0,1

0,1

0,1

0,1

0,1 (*)

0,1 (*)

Grand commerce :

60,3 %

62,3 %

63,1 %

63,5 %

63,6 %

63,9 %

Petit commerce alimentaire et artisanat (y compris marchés)


35,4


33,6


32,7


31,9


31,5


31,1

Pharmacie, commerce d'articles médicaux et orthopédiques


0,2


0,2


0,3


0,3


0,2


0,2

Petit et moyen commerce non alimentaire

0,8

0,8

0,9

0,9

1,0

1,0

Petit et moyen commerce et artisanat :

36,5 %

34,6 %

33,9 %

33,1 %

32,7 %

32,3 %

Ventes au détail du commerce automobile

0,2

0,2

0,2

0,3

0,4

0,6

Autres ventes au détail (1)

3,0

2,9

2,8

3,0

3,3

3,3

Ensemble des ventes au détail :

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

(*) Estimation en fonction du classement des entreprises sur la base de l'EAE96 de l'INSEE.

(1) Ventes au détail du commerce de gros et de divers prestataires de services et ventes directes des producteurs.

Nota : Série statistique disponible à compter des résultats de l'année 1993.

Source : INSEE - comptes du commerce pour 1998.

PARTS DE MARCHÉ PAR TYPES DE COMMERCE
PRODUITS NON ALIMENTAIRES (hors véhicules automobiles)

Type de commerce

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Grand commerce alimentaire

17,9

18,8

18,7

18,9

19,0

19,1

Grands magasins et grandes entreprises de VPC

4,4

4,4

4,2

4,2

4,2

4,2

Grand commerce non alimentaire en magasin spécialisé


11,8


13,1


13,6


14,1


14,5 (*)


15,2 (*)

Grand commerce

34,1 %

36,3 %

36,6 %

37,2 %

37,8 %

38,5 %

Petit commerce alimentaire et artisanat (y compris marchés)


1,4


1,2


1,1


1,0


1,0


0,9

Pharmacie, commerce d'articles médicaux et orthopédiques


8,9


8,9


9,2


9,3


9,2


9,4

Petit et moyen commerce non alimentaire

34,9

32,9

32,6

31,7

31,0

30,7

Petit et moyen commerce et artisanat

45,2 %

43,0 %

43,0 %

42,0 %

41,2 %

41,0 %

Ventes au détail du commerce automobile

14,8

15,2

15,2

15,6

16,0

15,7

Autres ventes au détail (1)

5,9

5,5

5,3

5,2

5,0

4,7

Ensemble des ventes au détail

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

(*) Estimation en fonction du classement des entreprises sur la base de l'EAE96 de l'INSEE.

(1) Ventes au détail du commerce de gros et de divers prestataires de services et ventes directes des producteurs.

Nota : Série statistique disponible à compter des résultats de l'année 1993.

Source : INSEE - comptes du commerce pour 1998.

Les tableaux montrent la croissance continue des hypermarchés en France mais également la permanence d'un tissu très important de petits détaillants généralistes à dominance alimentaire ou spécialisés (petites surfaces de moins de 120 m2 ou moyennes surfaces de 120 à 400 m2). Ces commerces irriguent le territoire des c_urs de ville jusqu'aux villages ruraux. Leur présence se traduit par un service de proximité irremplaçable auquel nos concitoyens sont très attachés tout comme ils apprécient d'effectuer leurs courses en grande surface, comme le montre les chiffres indiqués ci-après.

Le consommateur a un comportement rationnel qui le porte à faire ses achats en grande surface où les prix sont moins élevés et où tous ses achats peuvent être effectués en un même lieu, mais il a également une approche sensible qui le rend attaché à l'existence d'un commerce de proximité traditionnel. Du point de vue de la consommation, on ne devrait donc pas opposer commerce de quartier et commerce de périphérie, mais s'attacher à les rendre complémentaires.

L'INSEE estime que la valeur moyenne d'un achat s'élevait, en 1998, à 342 F dans un hypermarché, à 220 F dans un magasin de maxidiscompte et à 206 F dans supermarché et que 83 % des ménages français se rendaient dans un hypermarché ou un supermarché, 13 % déclarant faire leurs courses dans un magasin de maxidiscompte et 14 % dans une supérette.

La distribution française a su anticiper les évolutions de la consommation : diversification de l'offre, compétitivité des prix, facilités d'accès pour le consommateur.

ÉVOLUTION DU GRAND COMMERCE À DOMINANTE ALIMENTAIRE

 

1994

1995

1996

1997

1998

Hypermarchés

Parc au 31 décembre

1 048

1 087

1 112

1 123

1 135

Surface de vente (en milliers de m2)

5 869

6 158

6 323

6 388

6 491

Supermarchés

Parc au 1er septembre

6 317

6 278

6 233

6 185

6 077 (*)

Maxidiscomptes

Parc au 1er septembre

1 121

1 470

1 613

1 796

2 171 (*)

Surface de vente (en milliers de m2)

749

991

1 096

1 219

1 424

(*) A compter de 1998, le dénombrement des supermarchés n'inclut plus les magasins de maxidiscompte alimentaire et le dénombrement des maxidiscomptes inclut l'ensemble des magasins de maxidiscompte alimentaire et plus seulement les supermarchés.

Source : Hypermarchés : INSEE - comptes commerciaux de la Nation

Supermarchés et maxidiscomptes : Points de vente

ÉVOLUTION DU PARC DES HYPERMARCHÉS AU 31 DÉCEMBRE, DE 1991 À 1998 (en nombre de magasins et en surface de vente)

Surface de vente
(en m²)

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Parc

Surface

Parc

Surface

Parc

Surface

Parc

Surface

Parc

Surface

Parc

Surface

Parc

Surface

Parc

Surface

2 500-4 999

502

1 645

523

1 717

558

1 850

578

1 914

589

1 940

601

1 983

605

1 989

610

2 012

dont 2500-2999

219

587

221

590

229

610

241

639

251

665

256

679

259

687

258

685

3000-4999

283

1 058

302

1 127

329

1 240

337

1 275

338

1 275

345

1 304

346

1 302

352

1 327

5 000-7 499

204

1 250

209

1 283

206

1 266

217

1 327

224

1 357

231

1 399

232

1 404

236

1 437

7 500-9 999

115

979

125

1 074

135

1 156

132

1 129

143

1 236

144

1 245

146

1 263

144

1 249

10 000-14 999

76

887

85

994

94

1 091

103

1 187

114

1 326

117

1 367

121

1 403

126

1 462

15 000 et plus

11

195

13

228

15

260

18

312

17

299

19

329

19

329

19

331

Ensemble des hypermarchés

908

4 956

955

5 296

1 008

5 623

1 048

5 869

1 087

6 158

1 112

6 323

1 123

6 388

1 135

6 491

Formes d'appartenance

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Parc

Surface

Parc

Surface

Parc

Surface

Parc

Surface

Parc

Surface

Parc

Surface

Parc

Surface

Parc

Surface

Indépendants

366

1 289

416

1 524

472

1 769

501

1 904

531

2 051

551

2 142

564

2 194

569

2 239

Grandes entrep. d'hypermarchés

542

3 667

539

3 772

536

3 854

547

3 965

556

4 107

561

4 181

559

4 194

566

4 252

Ensemble des hypermarchés

908

4 956

955

5 296

1 008

5 623

1 048

5 869

1 087

6 158

1 112

6 323

1 123

6 388

1 135

6 491

Le parc recense les unités de magasins. Les surfaces de vente sont exprimées en milliers de mètres carrés.

Source : INSEE - division « commerce ».

SURFACE DES MAGASINS DE DÉTAIL

secteurs d'activité

1996

 
 

TOTAL des magasins à PRÉDOMINANCE ALIMENTAIRE :

140 014 000 m2

moins de 120 m2

123 905 000 m2

120 à 400 m2

7 195 000 m2

400 m2 et plus

8 914 000 m2

Magasins non spécialisés :

35 723 000 m2

moins de 120 m2

21 951 000 m2

120 à 400 m2

5 129 000 m2

400 m2 et plus

8 643 000 m2

Magasins spécialisés (y compris charcuteries) :

59 279 000 m2

moins de 120 m2

56 942 000 m2

120 à 400 m2

2 066 000 m2

400 m2 et plus

271 000 m2

Boulangeries - pâtisseries :

45 012 000 m2

moins de 120 m2 (ou considérées comme telles)

45 012 000 m2

PHARMACIES

23 574 000 m2

moins de 120 m2 (ou considérées comme telles)

23 574 000 m2

TOTAL des magasins NON ALIMENTAIRES hors pharmacies

198 855 000 m2

moins de 120 m2

159 189 000 m2

120 à 400 m2

26 767 000 m2

400 m2 et plus

12 899 000 m2

Magasins non spécialisés

1 299 000 m2

moins de 120 m2

512 000 m2

120 à 400 m2

219 000 m2

400 m2 et plus

568 000 m2

Equipement de la personne

62 943 000 m2

moins de 120 m2

52 795 000 m2

120 à 400 m2

8 006 000 m2

400 m2 et plus

2 142 000 m2

Equipement du foyer

26 685 000 m2

moins de 120 m2

16 617 000 m2

120 à 400 m2

5 645 000 m2

400 m2 et plus

4 423 000 m2

Aménagement de l'habitat

31 095 000 m2

moins de 120 m2

23 671 000 m2

120 à 400 m2

4 425 000 m2

400 m2 et plus

2 999 000 m2

Parfumerie loisirs sports

38 850 000 m2

moins de 120 m2

33 511 000 m2

120 à 400 m2

4 439 000 m2

400 m2 et plus

900 000 m2

Produits divers

37 983 000 m2

moins de 120 m2

32 083 000 m2

120 à 400 m2

4 033 000 m2

400 m2 et plus

1 867 000 m2

Source : INSEE - Enquête annuelle d'entreprises 1996

STRUCTURE DU COMMERCE SPÉCIALISÉ EN MAGASINS SPÉCIALISÉS
SELON LE FORMAT PRÉPONDÉRANT DES MAGASINS GÉRÉS PAR LES ENTREPRISES

   

1995

Secteurs

Format prépondérant

Nombre d'entreprises

Nombre de magasins des entreprises

Part du chiffre d'affaires dans le secteur

Équipement de la personne

Grandes surfaces

521

1 472

17,9 %

 

Surfaces moyennes

2 287

3 932

12,3 %

 

Petites surfaces

45 235

57 226

69,8 %

 

Ensemble

48 043

62 630

100,0 %

Équipement du foyer

Grandes surfaces

2 848

3 992

63,3 %

 

Surfaces moyennes

4 445

5 426

18,6 %

 

Petites surfaces

13 598

14 640

18,1 %

 

Ensemble

20 891

24 058

100,0 %

Aménagement de l'habitat

Grandes surfaces

1 630

2 450

57,7 %

 

Surfaces moyennes

3 551

4 333

14,7 %

 

Petites surfaces

24 434

26 287

27,6 %

 

Ensemble

29 615

33 070

100,0 %

Parfumerie, loisirs, sports

Grandes surfaces

276

630

19,7 %

 

Surfaces moyennes

2 554

3 036

17,9 %

 

Petites surfaces

28 738

32 990

62,4 %

 

Ensemble

31 568

36 656

100,0 %

Divers

Grandes surfaces

1 060

1 277

9,1 %

 

Surfaces moyennes

3 160

3 699

15,1 %

 

Petites surfaces

30 236

29 769

75,7 %

 

Ensemble

34 456

34 745

100,0 %

Ensemble des secteurs

Grandes surfaces

6 335

9 821

35,0 %

 

Surfaces moyennes

15 997

20 426

15,7 %

 

Petites surfaces

142 241

160 912

49,3 %

 

Ensemble

164 573

191 159

100,0 %

Source : INSEE - comptes du commerce (dernières données disponibles, premier bilan pour 1998).

Remarque : Le secteur de l'équipement du foyer comprend beaucoup plus d'entreprises gérant des grandes surfaces que les autres secteurs, en raison de l'encombrement des meubles et des matériels électroménagers

3. La puissance de la grande distribution française et son affrontement avec les grands fournisseurs

Affirmons d'emblée que nous nous félicitons de la puissance commerciale des enseignes de grande distribution françaises. Les critiques qui pourront être émises vis-à-vis de certaines pratiques commerciales ne doivent pas être interprétées comme une volonté politique de réduire le poids de nos enseignes qui assurent une présence française à travers le monde et sont appréciées de nos concitoyens. Les solutions aux problèmes que la mission d'information a détectés ne passent pas par un affaiblissement des groupes français de distribution mais par une modification du comportement et des pratiques de tous les partenaires économiques tant fournisseurs que distributeurs.

a) La concentration de la distribution française s'accentue : elle est aujourd'hui en situation d'oligopole. L'incertitude de la concurrence internationale.

Depuis le début des années 1990, les rachats et fusions se sont multipliés dans la distribution française. On trouvera ci-après quelques étapes décisives de cette concentration des principaux groupes de grande distribution alimentaire français.

AUCHAN :

1990 : Docks de France prend 17 % du capital de la société alsacienne de supermarchés, qui prend parallèlement 4 % du capital de Docks de France.

1992 : Prend le contrôle de la société alsacienne de supermarchés pour un coût de 2,1 milliards de francs, soit une somme correspondant à 24 % du chiffre d'affaires.

1994  Rachète le groupe portuguais Pao de Açucar.

1995 : Accord de partenariat avec Controladora Commercial Mexicana pour l'implantation et la gestion d'hypermarchés au Mexique.

1996 : OPA inamicale sur Docks de France (en août) ; le prix de l'acquisition atteint 19,3 milliards de francs, soit 41 % du chiffre d'affaires de Docks de France en 1995 ; les enseignes Mammouth (hypermarchés) et Atac (supermarchés) deviennent la propriété d'Auchan. Ce rachat conduit à l'éclatement de la centrale d'achat Paridoc (voir Carrefour).

CARREFOUR :

1991 : Acquiert Montlaur, en règlement judiciaire pour 1,1 milliard de francs, soit l'équivalent de 25 % du chiffre d'affaires de Montlaur.

Rachète Euromarché, en difficulté financière depuis 1988, pour 5,5 milliards de francs, soit une somme correspondant à 20 % du chiffre d'affaires, et devient la première enseigne française d'hypermarchés (devant Leclerc et Intermarché) et la troisième d'Europe (devant Metro et Tangelmann).

Acquiert 10 % du capital de Picard Surgelés.

1994 : Prend la majorité du capital de Picard surgelés.

1995 : Le groupe financier espagnol March porte sa participation dans le capital de Carrefour de 4 à 5 %.

Signe un accord de joint-venture avec le distributeur chinois Lin Ha pour l'ouverture d'un hypermarché à Shanghaï.

1996 : Suite à l'acquisition par OPA de Docks de France par Auchan et l'éclatement de la centrale d'achat Paridoc, Coop de l'Atlantique, Guyenne et Gascogne et le groupe Charenton rejoignent le groupe Carrefour.

Entrée de Carrefour dans le capital de la société GMB, holding du groupe Cora, à hauteur de 42,4 %, avec l'accord de la famille Bouriez, en versant une somme de 3,11 milliards de francs, soit l'équivalent de 22 % du chiffre d'affaires annuel de Cora. Le ministre chargé de l'économie valide cette concentration le 29 juillet 1997.

1998 : Prend, en août, le contrôle des Comptoirs modernes par une OPA amicale assortie d'une OPE permettant d'acquérir 72,7 % du capital que Carrefour ne contrôlait pas (les Comptoirs modernes et Carrefour avaient une centrale d'achat commune, Cometca, et une filiale commune gérait 16 hypermarchés Carrefour ; Carrefour possédait 22,8 % du capital des Comptoirs modernes et 31,9 % des droits de vote) : l'OPA valorise les Comptoirs modernes à 23,82 milliards de francs, soit 72,73 % de son chiffre d'affaires 1997. Cette acquisition fait de Carrefour le premier distributeur français et lui permet de devenir un groupe complètement multiformat. La structure Carrefour Marchandise France prend en charge les négociations tarifaires des achats alimentaires (marques nationales et premiers prix) et les marques propres.

1999 : Lance le 9 septembre une OPE sur Promodès (une action Promodès échangée contre six actions Carrefour), close le 13 octobre.

CASINO :

1990 : Acquiert La Ruche méridionale pour 3 milliards de francs, soit une somme correspondant à 36 % du chiffre d'affaires annuel de La Ruche méridionale et place tous ses hypermarchés sous l'enseigne « Géant Casino ».

1992 : Reprend à Rallye ses actifs dans la distribution alimentaire, soit 44 hypermarchés, 196 supermarchés et 70 cafétérias (la valeur de l'acquisition est estimée à 4 milliards de francs soit 20 % du chiffre d'affaires annuel des magasins). En contrepartie, Rallye reçoit 30 % du capital de Casino.

1996 : Accord avec le groupe Dairy Farm pour ouvrir des hypermarchés en Asie du Sud-Est.

1997 : Rachète Franprix et Leader Price pour 3,8 milliards de francs, soit l'équivalent de 43 % de leur chiffre d'affaires global.

Entre dans le capital de Monoprix à hauteur de 21,4 % pour 900 millions de francs, soit 21 % de son chiffre d'affaires annuel.

Prend le contrôle de Mariault, essentiellement implanté dans le grand Ouest avec les enseignes Spar, Vival et Coccinelle (plus de 600 magasins au total).

Accord avec Promodès pour que Casino adhère à compter du 1er janvier 1998 à la centrale d'achats des produits non alimentaires de Promodès.

1999 : Annonce, en avril, la création d'Opéra, centrale d'achats pour les produits alimentaires et non alimentaires, commune à Casino et Cora.

COMPTOIRS MODERNES :

1980 : Fusion avec Major par OPE assortie d'une OPA d'un montant de 1,44 milliard de francs, soit l'équivalent de 48 % du chiffre d'affaires de Major.

1993 : Rachète la Société alsacienne de supermarchés.

1996 : Rachat par OPA de l'enseigne espagnole Supéco.

28 août 1998 : Prise de contrôle des Comptoirs modernes par Carrefour à la suite d'une OPA amicale.

COOP :

1990 : Fusion des Coop de Normandie avec les Coop de Picardie.

CORA :

1989 : Rachète la Société européenne de supermarchés pour 1,4 milliard de francs, soit une somme correspondant à 38 % du chiffre d'affaires.

1996 : La famille Bouriez laisse entrer Carrefour dans le capital de la société GMB, holding du groupe Cora, à hauteur de 42,4 %.

GALERIES LAFAYETTE :

1991 : Acquièrent les deux tiers du capital des Nouvelles Galeries par une OPA d'un montant de 2,15 milliards de francs, soit l'équivalent de 15 % du chiffre d'affaires annuel.

1992 : Portent leur participation dans le capital des Nouvelles Galeries de 72 à 100 %.

Signent un accord de partenariat avec le groupe Mobilier de France dont les 30 magasins prennent l'enseigne Atlas en qualité de franchisés, et qui est repris par la Compagnie de distribution du meuble (CDM) créée à cette occasion par Jean-Pierre Andrevon ; CDM rachète également les actifs de Lévitan (45 magasins de meuble).

1997 : Monoprix, propriété des Galeries Lafayette, (227 magasins dont 156 possédés en propre), grâce à l'appui de Casino (voir développements sur ce groupe), rachète Prisunic (137 magasins dont 110 possédés en propre). Regroupement des achats des deux groupes, la centrale d'achat de Monoprix étant déjà adossée à celle de Casino.

LECLERC et SYSTEME U :

1998 (fin juin) : Les adhérents du groupement Leclerc et les associés de Système U approuvent le principe du rapprochement des deux groupes afin de mettre en place une centrale d'achat commune, l'Union des coopérateurs indépendants européens (Lucie), chargée dans un premier temps de la négociation commerciale, du référencement des grands fournisseurs, des produits premiers prix, des importations et de la recherche de fournisseurs.

10 mars 1999 : La création de Lucie est notifiée à la Commission européenne.

GROUPE PINAULT :

1989 : La Redoute prend 50 % du capital de la Maison de Valérie.

1990 : Conforama prend le contrôle de Mobis (n° 3 du secteur).

1991 : Acquiert Conforama.

Rachète le groupe Printemps à la famille suisse Mauss-Nordmann, et prend ainsi le contrôle de 55 % du capital de La Redoute.

1993 : La FNAC est reprise par la Compagnie immobilière Phénix (CIP, filiale de la Compagne générale des eaux) et Altus finance (filiale du Crédit Lyonnais).

1994 : Le Crédit Lyonnais cède le contrôle de la FNAC au groupe Pinault.

1995 : Poursuivant son recentrage, le groupe Pinault cède l'une de ses dernières filiales industrielles, France Portes.

1998 : Prend une participation majoritaire dans le capital de Guilbert (n° 1 européen de la vente de fournitures et de matériels de bureau).

PROMODÈS

1990 : Codec dépose son bilan ; Promodès acquiert une partie de ses actifs et accueille des anciens adhérents Codec.

Le groupe régional Arlaud, propriétaire de l'enseigne Record, adopte la franchise Promodès.

1991 : Reprend les 47 hypermarchés des Coop d'Allemagne.

Rachète le deuxième groupe succursaliste espagnol DIRSA.

Prend, avec effet au 1er février 1992, 50 % du capital des Coop de Champagne (6 hypermarchés, trentaine de supermarchés).

1992 : Accord pour la reprise de 100 % du capital du grossiste lorrain BRCM.

Rachète au groupe Disco (filiale à 66 % de Marland distribution) ses libres-services.

1993 : Rachète au groupe Pinault son activité de restauration hors foyer, Discol.

1995 : Accord de franchise avec le groupe belge Mestdagh.

1997 : Echec de la double OPA inamicale sur Casino et sa holding de contrôle Rallye.

Rachète au groupe britannique Tesco les magasins Catteau (acquis par Tesco en 1992) pour 2,51 milliards de francs, soit 54,5 % du chiffre d'affaires (7 hypermarchés, 73 supermarchés).

1999 : Lancement le 9 septembre d'une OPE de Carrefour sur Promodès, close le 13 octobre.

RALLYE :

1990 : Prise de contrôle de 60 % du capital du groupe Genty, pour 2,23 milliards de francs, soit une somme correspondant à 28 % du chiffre d'affaires annuel de Genty.

1992 : Reçoit 30 % du capital de Casino en contrepartie de la cession à ce groupe de ses actifs dans la distribution alimentaire (44 hypermarchés, 196 supermarchés, 70 cafétérias).

Ces mouvements de concentration aboutissent à la constitution de groupes de distribution réalisant au moins 80 milliards de francs de chiffre d'affaires annuels et à la réduction du nombre d'enseignes dans chaque forme de point de vente au détail (voir tableaux ci-après et au chapitre suivant).

La constitution de grands groupes de distribution n'est pas un phénomène spécifiquement français. Une étude d'ACNielsen de la distribution alimentaire en Europe en 1999 montre que la concentration en France est dans la moyenne européenne. Cette étude, réalisée avant la fusion de Carrefour avec Promodès, indique que les cinq premiers distributeurs d'un pays détiennent les parts de marché suivantes dans leur pays :

Finlande : 93,8 %

Suède : 88,0 %

Autriche : 80,0  %

Pays-Bas : 79,3  %

Allemagne : 75,2  %

France : 72,8  %

Grande-Bretagne : 67,0  %

Portugal : 52,2  %

Belgique : 51,6  %

Danemark : 47,2  %

Espagne : 38,9  %

Italie : 35,8  %

Mais le mouvement de concentration des centrales d'achat en France est le plus spectaculaire d'Europe. En 1992, un fournisseur de produits de grande consommation pouvait s'adresser, en France, à 18 grands acheteurs ; ils ne sont aujourd'hui, avec la création de Lucie et la fusion de Carrefour et de Promodès, plus que cinq (voir le tableau ci-après des centrales d'achat).

Les données reproduites ci-après sont celles établies par la revue Libre Service Actualités (LSA). On trouvera au paragraphe précédent ainsi qu'au titre V du présent rapport l'état de l'équipement commercial selon les statistiques de l'INSEE.

CLASSEMENT (LSA) DES HYPERMARCHÉS IMPLANTÉS EN FRANCE

 

Octobre 1999

Fin 1996

ENSEIGNES
et centrale d'affiliation

Nombre de magasins

part du parc total

Surfaces totales

part des surfaces du parc

Nombre de magasins

Surfaces totales

Centre Leclerc

L

397

34,76 %

1 727 664

26,20 %

387

1 626 523

Carrefour

C

132

11,55 %

1 252 061

18,98 %

115

1 137 428

Auchan

A

120

10,50 %

1 031 836

15,64 %

52

548 717

Mammouth

A

enseigne reprise par Auchan

90

556 820

Géant Casino

O

108

9,45 %

722 112

10,95 %

111

719 741

Intermarché

I

92

8,05 %

298 000

4,52 %

80

255 110

Continent

C

87

7,61 %

572 148

8,67 %

79

525 499

Cora

O

57

4,99 %

495 455

7,51 %

54

458 424

Hyper U

L

33

2,89 %

116 959

1,77 %

30

98 859

Stoc

C

25

2,18 %

71 857

1,09 %

17

49 265

Super U

L

24

2,10 %

63 832

0,96 %

19

49 294

Hyper Champion

C

23

2,01 %

69 158

1,04 %

22

62 140

Champion

C

9

0,78 %

24 300

0,36 %

   

Casino

O

6

0,52 %

16 645

0,25 %

   

Rond-Point

O

6

0,52 %

44 571

0,67 %

5

37 959

Match

O

6

0,52 %

16 050

0,24 %

6

16 150

Atac + Hyper Atac

A

5

0,43 %

17 460

0,26 %

6

19 160

Maximarché

O

2

0,17 %

5 400

0,08 %

5

15 225

Provencia

   

3

8 200

Migros

O

2

0,17 %

9 000

0,13 %

2

9 000

Rallye

O

2

0,17 %

15 470

0,23 %

2

15 470

Record

C

2

0,17 %

11 918

0,18 %

2

8 787

TOTAL

 

1 142

100 %

6 593 555

100 %

   

Source : Atlas de la distribution LSA 2000 et LSA 1999 (pour les données chiffrées ; le rattachement aux centrales d'achat a été effectué par le secrétariat de la commission de la production et des échanges de l'Assemblée nationale).

Centrales d'achat : A = Eurachan ; C = Carrefour-Promodès ; I = ITM Entreprises ; L = Lucie ; O = Opéra. (voir tableau ci-après le détail des affiliations de chaque centrale). Voir rattachement des enseignes ci-après.

LSA indique que les hypermarchés employaient, en octobre 1999, 233 284 personnes, offraient 1 083 781 places de stationnement et 8 835 pompes à essence

CLASSEMENT (LSA) DES SUPERMARCHÉS IMPLANTÉS EN FRANCE

 

Octobre 1999

Fin 1996

ENSEIGNES
et centrale d'affiliation

Nombre de magasins

% du parc total

Surfaces totales
(en m2)

% des surfaces du parc

Nombre de magasins

Surfaces totales
(en m2)

Intermarché

I

1 566

27,41 %

2 166 982

33,46 %

1 557

2 081 199

Super U

L

521

9,12 %

755 711

11,67 %

510

702 029

Champion

C

509

8,91 %

690 284

10,66 %

449

593 237

Stoc

C

463

8,10 %

612 794

9,46 %

357

455 582

Casino

O

406

7,10 %

443 740

6,85 %

410

447 090

Shopi

C

399

6,98 %

220 089

3,39 %

442

237 123

Atac

A

311

5,44 %

388 126

5,99 %

328

411 867

Écomarché

I

248

4,34 %

142 808

2,20 %

241

116 553

Franprix

O

241

4,21 %

155 972

2,40 %

250

159 512

Marché U

L

179

3,13 %

132 884

2,05 %

204

150 073

Supermarché Match

O

140

2,45 %

187 608

2,89 %

138

182 461

Centre Leclerc

L

109

1,90 %

182 418

2,81 %

122

201 285

Coccinelle

O

67

1,17 %

39 964

0,61 %

   

G 20

O

55

0,96 %

30 780

0,47 %

   

Comod

C

52

0,91 %

28 633

0,44 %

   

Maximarché

O

48

0,84 %

36 492

0,56 %

   

Spar

O

41

0,71 %

22 355

0,34 %

   

Maxicoop

O

37

0,64 %

44 872

0,69 %

47

55 640

Coop

O

33

0,57 %

16 962

0,26 %

   

8 à Huit

C

30

0,52 %

12 830

0,19 %

   

TOTAL

5 712

100 %

6 474 841

100 %

   

Source : Atlas de la distribution LSA 2000 et LSA 1999 (pour les données chiffrées ; le rattachement aux centrales d'achat a été effectué par le secrétariat de la commission de la production et des échanges de l'Assemblée nationale).

Centrales d'achat : A = Eurachan ; C = Carrefour-Promodès ; I = ITM Entreprises ; L = Lucie ; O = Opéra. (voir tableau ci-après le détail des affiliations de chaque centrale). Voir rattachement des enseignes ci-après.

LSA indique que les supermarchés employaient, en octobre 1999, 157 014 personnes, offraient 675 024 places de stationnement et 14 747 pompes à essence.

CLASSEMENT (LSA) DES MAGASINS DE MAXIDISCOMPTE IMPLANTÉS EN FRANCE

 

Octobre 1999

Fin 1996

ENSEIGNES
et centrale d'affiliation

Nombre de magasins

% du parc total

Surfaces totales
(en m2)

% des surfaces du parc

Nombre de magasins

Surfaces totales
(en m2)

Lidl

 

727

30,66 %

494 724

31,37 %

517

349 497

Aldi

 

375

15,81 %

249 271

15,80 %

286

191 484

Leader Price

O

312

13,15 %

251 686

15,95 %

194

152 343

Ed le marché discount

C

301

12,69 %

208 631

13,22 %

6

4 499

Le Mutant

O

191

8,05 %

114 524

7,26 %

165

104 360

CDM (Intermarché)

I

161

6,79 %

97 995

6,21 %

147

90 464

Ed l'épicier

C

116

4,89 %

37 651

2,38 %

   

Norma

 

86

3,62 %

56 128

3,55 %

   

Penny Prix Bas

 

65

2,74 %

41 955

2,66 %

   

Treff marché

 

28

1,18 %

14 125

0,89 %

   

Discount V

 

6

0,25 %

3 780

0,24 %

   

Discount

 

1

0,04 %

500

0,03 %

   

Les Halles d'Auchan

A

1

0,04 %

4 500

0,28 %

   

P&B

 

1

0,04 %

1 600

0,10 %

   

TOTAL

2 371

100 %

1 577 070

100 %

   

Source : Atlas de la distribution LSA 2000 et LSA 1999 (pour les données chiffrées ; le rattachement aux centrales d'achat a été effectué par le secrétariat de la commission de la production et des échanges de l'Assemblée nationale).

Nota : en 1996, les magasins de maxidiscompte étaient recensés parmi les supermarchés. Le tableau ci-dessus les réincorpore ; ils ont été retirés du tableau précédant recensant les supermarchés.

Centrales d'achat : A = Eurachan ; C = Carrefour-Promodès ; I = ITM Entreprises ; L = Lucie ; O = Opéra. (voir tableau ci-après le détail des affiliations de chaque centrale). Voir rattachement des enseignes ci-après.

LSA indique que les magasins de maxidiscompte employaient, en octobre 1999, 9 560 personnes, offraient 76 984 places de stationnement et 231 pompes à essence.

ENSEIGNES DES GRANDES SURFACES DE VENTE ALIMENTAIRE FRANÇAISES

Auchan : enseignes Auchan, Mammouth et Atac (anciennement Docks de France, en voie de disparition), les Halles Auchan

Carrefour : enseignes Carrefour, Ed le marché discount, Ed l'épicier, Marché Plus

Comptoirs modernes (4: enseignes Stoc, Comod

Cora : enseignes Cora, Match, Supermarché Match

Rallye : enseigne Rallye

Casino (5: enseignes Géant Casino, Casino, Franprix, Coccinelle et Spar (anciennement appartenant à Mariault), Leader Price

Promodès : enseignes Continent, Champion, Shopi, 8 à Huit, Record (ancienne enseigne du groupe Arlaud), Dia, Proxi, Corsaire, Promocash (grossiste), Sherpa

Leclerc : enseigne Centre Leclerc

Système U : enseignes Hyper U, Super U, Marché U

ITM Entreprises : enseignes Intermarché, Ecomarché, CDM, Relais des Mousquetaires

Coop d'Alsace : enseignes Coop, Rond-Point, Maxi, Le Mutant.

Les enseignes de grande distribution françaises se distinguent par une rentabilité de leurs surfaces de vente qui est très élevée au mètre carré. A ce titre, Auchan est l'enseigne réalisant les meilleures performances puisqu'elle dépassait les 110 000 F de chiffre d'affaires au mètre carré en 1998, alors que les supercenters de Wal-Mart aux Etats-Unis ne réalisaient que 36 000 F au mètre carré.

La revue LSA avait établi dans son numéro du 28 janvier 1999 le classement suivant des enseignes d'hypermarchés réalisant plus d'un milliard de francs de chiffre d'affaires annuel (6) :

LES 96 HYPERMARCHÉS
DÉPASSANT LE MILLIARD DE FRANCS DE CHIFFRE D'AFFAIRES EN 1998

 

Nombre de magasins

Surface moyenne (en m2)

Chiffre d'affaires moyen (en milliards de francs)

Rendement
(en F/m2)

Auchan

38

12 300

1,474

110 727

Carrefour

44

12 300

1,412

104 364

Continent

4

11 346

1 162

95 512

Cora

2

13 238

n.c.

n.c.

Géant

1

17 116

n.c.

n.c.

Leclerc

5

11 000

1,106

90 512

Source : LSA n° 1615, p. 46.

On comprend que de cette puissance de vente découle une puissance d'achat. Celle-ci se mesure par la concentration des achats des enseignes de grande distribution dans des centrales d'achat, qui sont des structures permettant à des magasins différents, relevant d'entreprises distinctes et n'appartenant pas au même groupe, d'unir leur forces d'achat face aux puissants fournisseurs que sont les groupes multinationaux.

L'Institut de liaisons et d'études des industries de consommation (ILEC), qui regroupe les plus gros fournisseurs de produits de grande consommation, a évalué la concentration de la puissance d'achat des distributeurs européens dans le secteur des produits alimentaires à la date d'août 1999. Il ressort de l'étude que la concentration est maximale en France et que six centrales d'achat - et désormais cinq avec la fusion de Carrefour et de Promodès - commercialisent 93,6 % des produits alimentaires commercialisés en France. Il faut toutefois indiquer qu'à la date du 11 janvier 2000, la fusion des centrales des enseignes Leclerc et Système U (centrale Lucie du tableau ci-après) et celle des centrales de Carrefour et de Promodès (centrale Carrefour du tableau) n'étaient pas effectives ; ces structures n'avaient signé aucun contrat d'achat ni adressé la moindre facture.

PARTS DE MARCHÉ DES CENTRALES D'ACHATS DES DISTRIBUTEURS
À DOMINANTE ALIMENTAIRE EN FRANCE (hors Corse et DOM-TOM)

Situation à août 1999

Part du marché total

Hypermarchés
(1)

Supermarchés et magasins populaires (2)

Maxidiscompte
(2)

LUCIE

19,4 %

26,7 %

15,9 %

0,1 %

Leclerc

13,9

25,0

3,2

0,1

Système U

5,5

1,7

12,7

-

OPÉRA

19,1 %

15,8 %

21,4 %

23,3 %

Casino (a)

10,4

9,1

8,9

-

Coop de Normandie + Le Mutant (a)

0,7

-

0,4

7,1

Francap (a)

1,3

-

1,9

0,1

Monoprix Primo (a)

2,6

0,5

7,1

-

Cora + Match (b)

3,8

6,1

2,5

-

Coop d'Alsace + Migros + La Moderne (b)

0,3

0,1

0,6

-

CARREFOUR

28,3 %

33,0 %

24,1 %

14,5 %

Promodès

10,7

8,8

14,9

-

Carrefour + Picard + Erteco (c)

13,4

22,7

-

14,5

Comptoirs modernes + PG (c)

3,2

0,6

8,1

-

Coop de l'Atlantique (c)

0,6

0,5

0,8

-

Guyenne & Gascogne (c)

0,3

0,3

0,2

-

Chareton (c)

0,1

0,1

0,1

-

ITM ENTREPRISES (Intermarché, les Mousquetaires, CDM)

14,8 %

3,8 %

31,9 %

7,0 %

EURACHAN

12,0 %

20,3 %

6,3 %

0,2 %

Auchan + Atac + Larc

11,5

20,2

5,3

0,2

Schiever

0,5

0,1

1,0

-

AUTRES (Aldi, Lidl, etc.)

6,4 %

0,4 %

0,4 %

54,9 %

(1) Calculé sur la base des chiffres d'affaires TTC de 1998 hors vente de carburant.

(2) Calculé sur la base des surfaces de vente existant à la fin de 1998.

(a) Magasins indépendants affiliés à la centrale Casino.

(b) Affiliés à la centrale Loceda-Hypersélection.

(c) affiliés à la centrale Carrefour/CM&affiliés.

Source : ILEC, 31 août 1999. Les formats de magasin de vente au détail pris en compte dans l'étude sont les  hypermarchés, les supermarchés, les supérettes, les magasins de proximité, les magasins populaires et les  magasins de maxidiscompte. Elle exclut les grossistes et le cash and carry.

Nota : Une enquête d'ACNielsen France répartissait comme suit les parts de marché des centrales d'achats en 1998 : Lucie = 21,1 % ; Carrefour + Comptoirs Modernes = 17,8 % ; Casino + Cora + Monoprix = 16,8 % ; Intermarché = 15,4 % ; Auchan = 13,0 % ; Promodès = 11,6 %.

Pour établir une comparaison européenne, l'ILEC a déterminé le poids des six premières centrales d'achats de chaque pays européen dans la distribution des produits alimentaires ; les résultats sont les suivants :

France : 97,7 % hors maxidiscompte ; 93,6 % maxidiscompte inclus

Belgique : 84,4 %

Pays-Bas : 81,3 %

Grande-Bretagne : 72,5 %

Allemagne : 70,6 %

Italie : 64,9 %

Les fusions et regroupements d'entreprises de distribution rappelées dans la chronologie ci-dessus, ainsi que les constitutions de supercentrales d'achats ne sont pas sans conséquences financières pour les fournisseurs de ces enseignes. Des contributions financières sont exigées par le biais de remises ou ristournes supplémentaires. Parmi les pratiques actuelles, on peut citer les deux suivantes :

la « corbeille de la mariée » : les fournisseurs des enseignes se regroupant sont « priés » de contribuer financièrement à l'acquisition ou au regroupement, au nom de la « massification des achats » de la nouvelle entité, qui doit leur être profitable. Cette demande de remise supplémentaire, parfois à titre rétroactif sur les achats de l'année en cours ou des années précédentes, pourrait être justifiée quand un regroupement d'entreprises de distribution donne lieu à la création de débouchés nouveaux pour un fournisseur. Mais cela est rarement le cas si ce dernier vend aux deux distributeurs qui fusionnent ; or le versement d'une corbeille de mariée est pourtant exigé d'eux ;

la demande d'alignement des conditions de vente à la nouvelle entité sur les conditions les plus favorables accordées précédemment à celle des deux entreprises qui fusionnent. Un regroupement ou une fusion permet aux deux distributeurs de comparer les conditions de vente qu'ils ont obtenues d'un même fournisseur. Il est justifié commercialement d'attendre des fournisseurs l'octroi de meilleures conditions de vente puisque l'acheteur est plus gros qu'auparavant. En revanche, ce qui est déloyal et abusif est de donner un caractère rétroactif à cet alignement, les contrats signés doivent être exécutés en l'état. Cependant, selon les informations communiquées par les enseignes de distribution, on constate, à l'inverse, que les discriminations pratiquées par les gros fournisseurs, légales au regard des termes de l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence (voir titre II du rapport), sont importantes et que leur justification n'est pas toujours claire. On comprend dès lors que les fusions dans la distribution soient mal vécues par les multinationales de l'alimentaire et du non-alimentaire : elles mettent à jour des politiques commerciales intuitu personae de ces groupes.

De l'avis même des industriels, l'alignement des conditions de vente peut se comprendre mais le bien-fondé de la pratique de la corbeille de la mariée est totalement nié car ils jugent, à bon droit, qu'une fusion d'enseignes ne leur fournit pas de linéaires supplémentaires ; il n'y a donc pas de création de courant d'affaires pour eux.

b) La réussite des groupes français de distribution. La crainte de la concurrence de Wal-Mart

Les deux tableaux suivants font apparaître la puissance de la grande distribution française dans le monde. La fusion de Carrefour et de Promodès place la nouvelle entité en tête des distributeurs européens, nettement devant Metro, mais elle reste loin derrière Wal-Mart (entreprise créée en 1962 par Sam Walton, devenu le distributeur n° 1 des Etats-Unis en 1990 aux dépens de Sears Roebuck et dont le chiffre d'affaires a été multiplié par 3,6 entre 1990 et 1998). Cette concurrence des supermarchés « discount » de Wal-Mart est redoutée de tous les distributeurs français pour trois motifs :

- l'entreprise dispose de capitaux suffisants pour acheter, chaque année, un distributeur de la taille de Casino, comme l'a rappelé M. Antoine Guichard, lors de l'audition du 30 novembre 1999 (voir compte rendu en fin de rapport). Notamment, le résultat net de Wal-Mart a atteint 4,43 milliards de dollars en 1999, pour 137,6 milliards de dollars de chiffre d'affaires. Or, les dirigeants de Wal-Mart ont décidé de s'implanter en force sur les grands marchés européens en rachetant des actifs d'entreprises de distribution (rachats d'Interspar - 74 magasins - et de Wertkauf - 21 magasins - en Allemagne en 1997 puis d'Asda (7) en Grande-Bretagne en 1999). Jusqu'à présent, la France n'a été la cible d'aucun distributeur alimentaire américain généraliste ;

- Wal-Mart pratique le prix bas de manière systématique (comme les Centres Leclerc) pour attirer la clientèle. Aux Etats-Unis, la concurrence sur les prix imposée par les 564 supercenters (10 à 20 000 m2) de Wal-Mart et ses 1 860 magasins de maxidiscompte a entraîné la faillite d'une quinzaine de grands magasins et de chaînes de distribution à bas prix en 1999. Au Royaume-Uni, Wal-mart a annoncé que les prix dans les magasins Asda allaient baisser de 10 à 15  % d'ici 18 mois alors qu'on estime qu'ils étaient déjà 5 à 10  % plus bas que ceux de ses concurrents. En Allemagne, il a décidé de baisser ses prix de 13 à 23 % au début janvier 2000. La puissance d'achat de Wal-Mart auprès des multinationales fait craindre aux distributeurs français qu'il n'obtienne de bien meilleures conditions de vente qu'eux, ce qui rendrait impossible une concurrence sur les prix, limitée par le seuil de revente à perte en France. Les consommateurs ne doivent pas se réjouir pour autant car on a constaté que lorsque les concurrents locaux de Wal-Mart avaient disparu aux Etats-Unis, les prix remontaient et la qualité de service baissait ;

- les pratiques commerciales mises en _uvre par Wal-Mart dans ses relations avec ses fournisseurs sont celles qui prévalent dans la quasi-totalité des pays, mais pas en France, à savoir la négociation d'un prix d'achat net de toutes remises de coopération commerciale (« prix net-net ») et l'absence de facturation de coopération commerciale. Le prix convenu lors du contrat d'achat est dit « net-net-net ».

Interrogés lors du déplacement de la mission en Allemagne où Wal-Mart est très actif, les fournisseurs français et allemands se déclarent satisfaits de leurs rapports commerciaux avec ce groupe. Ils les jugent plus sains que les relations commerciales avec les enseignes françaises en France.

LISTE DES 25 PREMIERS DISTRIBUTEURS MONDIAUX EN 1998

 

Nom
pays d'origine
(type de format)

Chiffre d'affaires HT 1998
(en millions d'euros)

Magasins (en propre et sous enseignes)

Pays d'im-planta-tion

Enseignes

1

Wal-Mart -
USA
(discount)

117 935 (a)

3 599

9

Wal-Mart, Wal-Mart Supercenter, Wertkauf, Sam's club, Wal-mart Neighborhood market

2

Métro AG -
Allemagne

(cash and carry)

46 884

2 085

20

Makro, Métro, Keufhof Galeria, Kaufhof Mode & Sport, Real, Allkauf, Kriegbaum, Extra, Media Markt , Saturn, Praktiker, Wrichs

3

Kroger -
USA
(supermarché)

36 925 (r)

3 370

1

Kroger, Dillons, King Soopers, Fry-`s, Gerbes, Jr. Food Stores, City Market, Tom Thumb, Fred Meyer, QFC, Ralphs, Smith's, Kiwk Shop, Quik Stop Turkey Hill Minit Market, Loaf'N Jug, Mini Mart ? Merksamer, Fox's, littman, Barclay Jewelers, Fred meyer

4

ITM Entreprises -France (supermarché)

35 000 (e)

3 148 (e)

6

Intermarché, Ecomarché, CDM, Bricomarché, Vêtimarché, Procomarché, Eurospar, Interspar, Kodi, Netto, Spar

5

Ahold -
Pays-Bas
(supermarché)

33 369 (r)

3 927

17

Albert Heijn, Stop & Shop, Giant, Edwards, Bi-lo, Tops, Finast, Pathmark, Pingo Doce, Mana, Sesam, Bompreco, Disco, Santa Isabel, Martin's Super G, Ter Huurne, Dialco, Dumaya, Euronova, Looking Good, Parksons, Yahan Liancheng, Long (y compris JV)

6

Carrefour (1) -
France
(hypermarché et supermarché)

32 395 (r)

1 661

20

Carrefour, Lojas Americanas, Ed l'Epicier, Europa Discount, Picard Surgelés, Stock, Comod, Marché Plus

7

Sears, Roebuck -
USA

(grands magasins)

31 458

5 132

2

Sears, Sears Hardware, Orchard Supply Hardware, Sears Dealers, The Great Indoors, NTB National Tire & Battery, Sears Auto Centers, Sears Catalog, Sears Home Life

8

Albertson's -
USA
(supermarché)

30 745 (r)

2 563

1

Acme markets, Jewel Food Stores, Lucky Stores, Osco Drug, Sav-on-drugs, Albertson's, Village Market, Max Food and Drug

9

Rewe -
Allemagne

(multi-format)

28 990

11 509

9

Toom, Globus, Rewe, Otto mess, Desuma, Jumbo, Penny, Direkt, Eins-A, Klee, Frick ProMarkt, Uni-markt Elektroland, Diehl, Kressner, Idea, Sconti, Billa, Merkur, Mondo, Emma, BIPA, Otto Mess, R-Kauf, Kontra, Groka, Minimal, H

10

Kmart -
USA
(discount)

28 861

2 161

1

Kmart, Big Kmart, Super Kmart

11

Tengelmann -
Allemagne
(supermarchés)

27 504 (r)

7 853

11

A&P, Kaiser's, Obi, Plus, Tengelmann, Grosso, Magnet, Hermans, Interfruct, Ledi, Modea, Skala, Superal, Waldbaums, SuperFresh, Farmer Jack, Save-A-Center, Super FoodMart, Food Emporium, Kohl's, Dominion, Food Basics, Tip

12

Edeka  -
Allemagne
(supermarchés)

26 587

11 746 (e)

2

Martkauf, BIG, Kaufmarkt, E.Center, Dixi, Edeka, Helco, Nanz SVA, Allfrish, Otto Reichelt, Basar, Diska, Delta, Preisfux, Ceka, Magnet, BVA, Elkos, Herkules, Sport Treff, Gartenland, Krane, Alfti

13

Dayton Hudson - USA (Multiformat)

26 528

1 182

1

Target, Super Target, Mervyn's, Dayton's, Hudson's, Marschall Field's. Catalogues : Lake Wobegon USA catalog, Signals catalog, seasons catalog, circa : The Collectors

14

J.C. Penney - USA (magasin populaire)

26 103 (e)

4 578

4

J.C. Penney, J.C. Penney Collection, J.C. Penney Catalog, J.C. Penney Home Store, Eckerd

15

Aldi - Allemagne (maxidiscompte)

26 092 (e)

4 000 (r)

9

Aldi, Hofer, Trader Joe's, Aldi Market

16

Home Depot - USA - (grande surface de bricolage)

25 900

761

3

Home Depot, Expo Design, Center, Home Depot Pro, Maintenance Warehouse

17

Ito-Yokado - Japon (convenience stores)

24 601

17 494 (e)

19

7-Eleven, Daikuma, Mary Ann, Steps, Oshman's, Robinson's, York Benimaru, York Mart, Ito-Yokado, Shilipu

18

Tesco - Grande Bretagne (supermarchés)

24 322

821

8

Tesco, Tesco Metro, Lotus, Global, Tesco Express, Tesco Extra

19

Safeway Inc. - USA (supermarchés)

23 208 (r)

1 623

3

Oaken Keg Spirit Shops, The Great Alaska Tobacco Company, Carr Quality Centers, Eagle Quality Centers, Vons, Dominick's, Safeway

20

Sainsbury - Grande Bretagne (supermarchés)

23 106

823 (e)

2

Sainsbury's, Shaw's Supermarket, Savacentres, Homebase

21

Auchan - France (hypermarché et supermarché)

22 562

1 527

11

Auchan, Alcampo, Citta Mmercato, Aucha, Gruppo Rinascente, Eco-Service, Jumbo, Pao, Atac, Sabeco, Upim Rinascente

22

Centres Leclerc - France (hypermarché et supermarché)

22 105 (e)

823

4

Leclerc, Leclerc Bricolage, Jardi-Leclerc, Leclerc Vêtements, Leclerc meubles, Leclerc Chaussures, Centres-l'auto

23

Costco - USA (club-entrepôt)

20 425

294

6

Price Club, Costco Wholesale

24

Promodès (2) -France (multiformat)

19 620

4 711

12

Continent, Continente, Dia, Minipreco, Shopi 8 à Huit, Codec, Di per Di, Proxi, Promocash, Puntocash, Grossiper, Docks Market, Modelo, Champion, Catteau, Mega Fresco, Mestdah, Niki

25

Daiei - Japon (discount)

18 910

8 871 (e)

2

D-Mart, Big-A, Half & Top, Lawson , Athine, Bonte, Cordoba, D's Home Shop, Gourmet City, Joint, Lobelia, marche Robelt, Kou's, Media Calley, Mega Vandle, Printemps Ginza, Zenon (5)

 

(...)

       

32

Casino - France (multiformat)

14 155

4 799

7

Géant, Smart & Final, Libertad, Casino, Disco, Franprix, Leader Price, Petit Casino, Spar, Vival

Source : PricewaterhouseCoopers Global Retail Intelligence System, reproduit par LSA n° 1632 du 27 mai 1999.

(a) : dont 14,5 milliards de dollars de chiffre d'affaires réalisé en Europe

(e) : estimé ; données non disponibles.

(r) : chiffres d'affaires réactualisés en fonction des dernières acquisitions et des fusions avalisées par les assemblées générales d'actionnaires.

(i) : estimations sur la base des résultats du premier semestre 1998 et du dernier semestre 1997, derniers résultats publiés.

(1) : y compris Comptoirs modernes.

(2) : Promodès avec ses 36 % dans l'italien GS et ses 27,5 % du belge GB, participations qui peuvent devenir majoritaires à partir de 2000 et 2003 ; le groupe réalise potentiellement un volume d'affaires de 25 320 millions d'euros.

(3) : si l'on s'en tient au chiffre d'affaires de Pinault-Printemps-La Redoute dans la distribution grand public (51,8 % du total) contre 41,8 % à distribution professionnelle (Guilbert et Rexel) et 6,4 % au commerce international, le groupe arrive en 52ème position.

IMPLANTATION INTERNATIONALE DES ENSEIGNES FRANÇAISES INTÉGRÉES

(au 8 décembre 1999)

 

auchan

promodes

carrefour

***

comptoirs modernes

***

casino

cora

Belgique

 

60 HM

533 SM

     

7 HM

52 SM

156 MD

Espagne

36 HM

92 SM

56 HM

67 SM

33 CC

1965 MD

58 HM

74 SUP

28 SUP

Maxor

46 SUP et

HYP Supeco

   

France

119 HM

228 SUP

498 PRO

94 HM

594 SM

1431 PRO

129 CC

117 HM

417 MD

16 HM *

488 Stoc

197 Comod

102 Marché

Plus

112 HM

1209 SM

3228 

PRO

59 HM

144 SM

Grèce

 

6 HM

81 SM

30 PRO

102 MD

       

Hongrie

 1 HM

       

2 HM

24 MD

Italie

32** HM

200 SUP

145 MP

14 HM

18 SM

255 PRO

9 CC

6 HM

48 MD

     

Luxembourg

 1 HM

       

14 SM

11 MD

Pologne

 3 HM

11 SM

21 PRO

6 HM

 

11 HM

 

Portugal

11 HM

10 HM

50 SM

287 MD

5 HM

     

République tchèque

   

3 HM

     

Turquie

 

3 HM

2 HM

     

Argentine

1 HM

33 MD

22 HM

 

8 HM

18 SUP

 

Brésil

   

69 HM

81 SUP

23 Stoc SuperMercado

45 HYP

225 SUP

74 PRO

 

Chili

   

2 HM

     

Colombie

   

2 HM

 

partenariat ****

 

Etats-Unis

1 HM

     

220 LSG

 

Mexique

1 HM

 

17 HM

 

 6 LSG

 

Uruguay

   

à venir

 

 1 HYP

19 SUP

 

Venezuela

       

Partenariat

****

 

Chine

1 HM

1 HM

19 HM

     

Corée

   

11 HM

     

Hongkong

   

 4 HM

     

Indonésie

 

1 HM

 2 HM

     

Malaisie

   

 6 HM

     

Singapour

   

 1 HM

     

Taiwan

   

22 HM

 

 2 HM

 

Thaïlande

1 HM

 

 9 HM

 

20 HM

 

Vietnam

         

1 HM

Dubaï - EAU

 

2 HM

       

Ile Maurice

 

1 HM

       

Madagascar

 

1 SUP

       

Maroc

 

3 HM

       

HM = hypermarché, SM = supermarché, MD = maxidiscompte, MP = magasin populaire,

PRO = commerce de proximité, LSG = libre service de gros.

* avec Carrefour.

** 25 HM Citta Mercato en partenariat avec le groupe Ifil.

*** Carrefour détient 98,37 % du capital de Comptoirs modernes.

**** Prise de participation de 25 % dans Exito : 16 HM, 124 SUP, 12 MP.

Source : fédération des entreprises du commerce et de la distribution (www.fcd.asso.fr).

Nota : Le tableau ne recense que la présence des distributeurs adhérents de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution, ce qui exclut les centres Leclerc et ITM Entreprises (Intermarché) :

Intermarché est présent, en 1998, au Portugal (71 magasins + 29 Ecomarchés), en Belgique (40 magasins + 2 Ecomarchés), en Espagne (38 magasins), en Italie (7 magasins), en Pologne (3 magasins), et au travers d'une alliance avec Spar, en Allemagne et par une alliance avec Ro-Na Disnat, au Québec.

Leclerc est présent en Pologne (4 magasins), au Portugal (5 magasins), en Espagne (4 magasins).

Contrairement aux groupes américains qui tirent leur puissance de la taille du marché américain des biens de grande consommation, les grands distributeurs français tirent leur force de leur exceptionnelle internationalisation. Le tableau ci-dessous montre la part importante prise par le chiffre d'affaires réalisé par les points de vente français à l'étranger.

Comme on l'a vu en début de chapitre, l'internationalisation de la grande distribution française est ancienne ; elle remonte aux années 1970, mais le phénomène s'est accéléré dans les années 1990. Dès l'origine, l'implantation ou l'achat de magasins à l'étranger résultait d'une stratégie commerciale de recherche de volumes d'achats suffisants pour obtenir les meilleures conditions des fournisseurs. Le gel des autorisations de création de grandes surfaces en France, appliqué en 1983-1985 et surtout de 1993 à 1996, a fortement contribué à l'internationalisation de la grande distribution française en conduisant ses responsables à tourner la croissance de leur entreprise vers les marchés extérieurs, la concurrence sur le nombre de mètres carrés en France étant arrêtée, sauf rachat d'entreprises. Les marges arrières versées par les fournisseurs ont permis de dégager les moyens financiers de cette expansion sans avoir à recourir à l'endettement bancaire. En définitif, le cadre législatif de l'activité commerciale de la grande distribution française en France lui a donné l'assise lui permettant de s'internationaliser en force.

INTERNATIONALISATION DES GRANDS DISTRIBUTEURS FRANÇAIS

(en milliard de francs)

 

Chiffre d'affaires réalisé en France

Chiffre d'affaires réalisé à l'international

Parts du chiffre d'affaires à l'international

Auchan

91,6

56,4

38,1 %

Carrefour

101,8

78,0

43,4 %

Casino

76,4

16,4

17,7 %

Promodès

79,6

49,1

38,2 %

Leclerc (1)

137,5

2,5

1,8 %

(1) Chiffre d'affaires TTC estimé.

Source : Secrétariat d'Etat aux PME, au commerce et à l'artisanat.

Un grand argument avancé par la grande distribution (voir audition du 30 novembre 1999) pour soutenir son internationalisation est qu'elle entraîne dans son sillage à l'étranger des petites et moyennes entreprises productrices de denrées ou de produits non alimentaires. Cet argument doit être nuancé : dans tous les pays d'implantation, un distributeur se doit impérativement de fournir des produits locaux et s'adapter au mode de vie et au goût du pays. Les produits des PME françaises - il convient en effet d'écarter les produits des multinationales comme Danone ou l'Oréal qui bénéficient des investissements de promotion de leur société pour pénétrer les marchés étrangers - amenés par les enseignes de grande distribution sont avant tout des produits alimentaires sur lesquels se fonde la renommée de la France (vins, eaux minérales, produits laitiers, biscuiterie, ...). Globalement, dans un hypermarché, le nombre de références provenant de PME françaises est faible. Nous avons ainsi constaté qu'en Espagne, pourtant très proche des centres de production français, peu de produits de PME françaises étaient présents sur les linéaires des hypermarchés français, mais contrairement aux idées répandues, la grande distribution française met sur ses linéaires espagnols plusieurs produits agricoles français.

Mais, ce faible taux - répétons-le, imposé par les comportements de consommation - n'est pas négligeable en termes de volumes d'affaires. Ainsi, de l'avis des industriels eux-mêmes, l'implantation en force de la grande distribution française en Argentine (Carrefour, Casino, Auchan) a ouvert d'importants débouchés à de nombreuses PME, leur assurant un développement international. Il en est de même au Brésil.

c) Le duel de géants entre les multinationales productrices de biens de consommation et les groupes de distribution au détriment des PME

Les rapports entre la distribution et l'industrie n'ont jamais été équilibrés et sereins en France. Avant 1960, il fallait légiférer pour empêcher les producteurs d'imposer des conditions déloyales aux revendeurs et d'entraver le développement des nouvelles formes de distribution à bas prix. Depuis les années 1970, les pouvoirs publics sont intervenus pour contenir la croissance de la grande distribution vis-à-vis des petits commerces et l'empêcher d'abuser de sa puissance d'achat vis-à-vis des fournisseurs.

Nous estimons qu'il faut cesser de montrer du doigt la grande distribution pour dénoncer les dérives que nous connaissons et la charger de tous les maux alors que les pouvoirs publics ont une grande part de responsabilité dans l'exacerbation du rapport de force (disons clairement que jusqu'au milieu des années 1980, derrière un discours hostile aux pratiques de la grande distribution, celle-ci a reçu un constant soutien pour assurer une maîtrise de la hausse des prix sur les produits de grande consommation, objectif primordial de tous les gouvernements pendant très longtemps) et que la dérive est également imputable aux pratiques cachées des grands groupes multinationaux fournisseurs de biens de consommation qui trouvent avantage à ce qu'il n'y ait qu'un dialogue unique, même musclé, entre eux et la distribution et ont cherché à éliminer leurs concurrents fournisseurs par une surenchère des offres et des remises arrières ou conditionnelles.

Bien entendu, les PME sont hors d'état de surenchérir sur les remises particulières et la coopération commerciale proposées par les multinationales ou demandées par la grande distribution. Nous avons recueilli des témoignages de cette stratégie de surenchère des plus grands fournisseurs mondiaux de biens de grande consommation. Votre rapporteur citera un premier exemple fourni à la mission par le président d'une des plus grandes enseignes françaises de distribution : en décembre 1999, Danone lui a proposé d'augmenter ses prix de 10 % tout en lui reversant 7 % au titre de prestations de coopération commerciale ; il laissait aux commerciaux des deux groupes le soin de trouver un habillage juridique, c'est-à-dire une contrepartie quelconque, à cette nouvelle marge arrière. Comment une PME indépendante - il faut en effet écarter les fournisseurs de marques de distributeurs qui ne paient pas de coopération commerciale -, même avec un produit de renom, peut-elle conserver des têtes de gondole ou un bon positionnement promotionnel face à une telle surenchère ? En revanche, Danone refuse catégoriquement de réduire cette coopération commerciale et, à due concurrence, ses prix de vente. Cette politique est commune à tous les gros fournisseurs, à l'exception de Procter & Gamble qui a proposé de baisser ses tarifs de base de 9 % avec une réduction parallèle de 9 % des marges arrières qu'il reverse, pour tenter d'obtenir un avantage compétitif sur ses concurrents en abaissant son seuil de revente à perte (les lessives sont en effet revendues au seuil de revente à perte dans les hypermarchés).

Autre exemple : Cadburry refuse de modifier ses conditions générales de vente, ce qui est son droit, ou de signer des conventions de ristournes, pour ne pas baisser ses prix de vente aux consommateurs, mais propose des remises de coopération commerciale très substantielles. Plusieurs distributeurs nous ont fait comprendre que cette stratégie prédatrice pour les PME-PMI était dictée par l'Institut de liaisons et d'études des industries de consommation (ILEC), association regroupant les plus gros fournisseurs de la grande distribution.

Par ailleurs, la mission d'information souligne que si les rapports entre les industries multinationales et la distribution sont âpres en raison des volumes financiers gigantesques en jeu, les deux parties parviennent à un équilibre leur permettant de se développer sur le long terme. Les arguments démontrant la position dominante des uns ou des autres ne sont pas, dans les deux cas, dénués de fondement :

- on estime que cinquante produits, tous fournis par des multinationales ou des grands groupes français, font plus de la moitié du chiffre d'affaires d'un magasin (par exemple, à Auchan, les 42 plus gros fournisseurs réalisent 50 % du chiffre d'affaires des hypermarchés) ; or, comme une étude l'a montré, si un consommateur comparant les prix d'un magasin à un autre parvient à détecter une différence de prix de 0,5 % sur les produits les plus basiques, il ne peut mémoriser les prix que de cinquante produits au maximum, qui sont ces mêmes produits fournis par les multinationales et les grands groupes. Les enseignes de grande distribution expliquent donc qu'elles ne peuvent pas se passer de ces produits et sont contraintes d'acheter toute la gamme de la multinationale pour obtenir ses remises quantitatives afin d'être compétitives sur les prix de vente ;

- le montant des achats d'une centrale d'achat peut atteindre 20 à 40 % du chiffre d'affaires de la multinationale réalisé en France, mais les produits de celle-ci peuvent totaliser 30 à 40 % du chiffre d'affaires d'un linéaire ;

- selon M. Daniel Bernard, président de Carrefour, la position dominante de la grande distribution française est inexistante : ses « dix premiers grands fournisseurs mondiaux représentent 26 % de (son) chiffre d'affaires épicerie, alors que (Carrefour) ne représente que 1,3 % du leur » (voir compte rendu de l'audition du 30 novembre 1999 de la commission en annexe du rapport) ;

- le degré de concentration dans l'industrie est sans commune mesure avec le degré de concentration atteint par les centrales d'achats car le marché de l'industrie agro-alimentaire notamment est mondial. Ainsi Danone, selon le produit considéré, ne contrôle que 5 % des ventes de produits alimentaires en France (les autres industriels de l'agro-alimentaire ne détenant qu'au maximum 1 % de parts de marché). Cependant, il convient de rappeler qu'il existait il y a 20 ans environ 160 producteurs de pâtes alimentaires en France ; ils sont moins de dix aujourd'hui. Dans le domaine de la conserverie de légumes, il n'existe plus que deux fabricants français et cinq européens alors que dans les années 1990 il y avait 5 conserveries en France et 18 en Europe. Il n'existe plus qu'un seul fournisseur de café français aujourd'hui (la PME Fichaux). Les exemples de concentrations dans l'industrie sont multiples ; la différence avec la distribution ne tient qu'au volume de chiffre d'affaires des entités industrielles qui sont nettement inférieures à celles de la distribution. M. Jacques-Edouard Charret, directeur général d'Opéra, a indiqué, lors de l'audition du 30 novembre 1999 devant la commission, que les deux grands fournisseurs mondiaux de céréales réalisaient 70 % des ventes de céréales en France, dans les couches-culottes le taux atteint 72 %, dans l'alimentation infantile 82 %, dans le chewing-gum 99 %, dans les lames de rasoirs plus de 80 % : la concentration industrielle peut atteindre des niveaux supérieurs à ceux de la distribution.

RÉSULTATS DES GROUPES DE DISTRIBUTION FRANÇAIS

(en milliard de francs)

 

Chiffre d'affaires

resultat net
part du groupe

resultat d'exploitation

 

1997

1998

1997

1998

1997

1998

E. Leclerc/Système U (1)

190,60

195,00

nc

nc

nc

nc

Carrefour

169,27

179,79

3,58

4,24

5,81

6,76

Intermarché (2)

141,60

154,00

nc

nc

nc

nc

Auchan

139,10

148,00

nc

nc

nc

nc

Promodès

110,67

128,69

1,62

1,92

2,85

3,26

Casino

76,26

92,85

1,11

1,41

2,16

2,90

Comptoirs modernes (3)

32,75

37,15

0,55

0,65

1,14

1,57

Monoprix et Prisunic

16,30

20,59

0,11

0,17

0,32

0,42

(1) Chiffre d'affaires TTC cumulé (estimé).

(2) Chiffre d'affaires TTC hors Spar.

(3) Carrefour a procédé à l'intégration des résultats de Comptoirs Modernes par mise en équivalence en 1998.

Source : secrétariat d'Etat aux PME, au commerce et à l'artisanat.

LES 30 MARCHÉS DE BIENS DE CONSOMMATION LES PLUS CONCENTRÉS DE FRANCE

MARCHÉS

Chiffre d'affaires (en milliards de francs)

groupe 1

Parts de marché

groupe 2

Parts de marché

Parts de marché des deux premiers

Chewing-gum

1,3

Kraft

64 %

Wrigley's

35 %

99  %

Coloration

1,9

L'Oréal

81 %

Schwarzkopf

9 %

90  %

Rasoirs

1,7

Gillette

65 %

Wilkinson

20 %

86  %

Pâte à tartiner

1

Ferrero

82 %

Hillsdown

3 %

85  %

Produits coiffants

1,9

L'Oréal

77 %

Procter

6 %

83  %

Nourriture infantile

4,1

Danone

47 %

Nestlé

35 %

82  %

Margarine

2,2

Unilever

51 %

Unigate

27 %

78  %

Bières

7,5

Danone

51 %

Heineken

27 %

78  %

Maquillage

1

L'Oréal

60 %

Chanel

16 %

76  %

Nourriture pour animaux

8,3

Mars

43 %

Nestlé

32 %

75  %

Vaisselle machine

1,4

Unilever

56 %

Benckiser

17 %

73  %

Thé

1

Unilever

53 %

Twinnings

20 %

73  %

Couches culottes

4,2

Procter

47 %

Kimberly C.

25 %

72  %

Shampoings

3,2

L'Oréal

56 %

Procter

16 %

72  %

Céréales

2,9

Kellogg's

45 %

Nestlé

25 %

70  %

Désodorisants

1,2

Reckitt & C

38 %

SC Johnson

30 %

68  %

Barres chololatées

1,5

Mars

38 %

Nestlé

29 %

67  %

Essuyage récurage

1

Spontex

38 %

3M

28 %

67  %

Liquide vaisselle

1,1

Colgate

44 %

Henkel

22 %

66  %

Assouplissant

1,2

Colgate

45 %

Henkel

20 %

65  %

Jus réfrigérés

1,1

Tropicana

43 %

Andros

20 %

62  %

Déodorants

2,1

L'Oréal

33 %

Unilever

29 %

62  %

Café

7 ?5

Kraft

44 %

Sara Lee

17 %

61  %

Boissons sans alcool

6,1

Coca-cola

49 %

Schweppes

12 %

61  %

Hygiène féminine

3,8

Procter

34 %

Vania

27 %

61  %

Lessives

7,7

Procter

36 %

Unilever

24 %

60  %

Riz

1,6

RCL

36 %

Mars

24 %

60  %

Plats cuisinés surgelés

2,7

Nestlé

39 %

Unigate

20 %

59  %

Panification sèche

1,6

Danone

50 %

Krisprolls

9 %

59  %

Huile

3,9

Lesieur

45 %

Unilever

14 %

59  %

TOTAL

87,7

Moyenne

50 %

Moyenne

21 %

71  %

Ces chiffres excluent les éventuels volumes réalisés sous marques de distributeurs. Données 1998/1999

Sources : Linéaires/Panel de distributeurs/Sources fabricants

Les chiffres d'affaires des plus grandes multinationales de l'industrie agro-alimentaire sont du même ordre de grandeur que ceux des groupes de distribution comme le montre le tableau ci-après.

CHIFFRE D'AFFAIRES DES MULTINATIONALES DE L'AGRO-ALIMENTAIRE

 

Société

Activités principales

Chiffre d'affaires 1997
(en millions de dollars US)

1

Philip Morris (USA)

Bières, multiproduits

56 114

2

Unilever (anglo néerlandais)

multiproduits

48 816

3

Nestlé (Suisse)

Eaux minérales, multiproduits

48 274

4

Procter & Gamble (USA)

Huiles, snacks, boissons sans alcool

35 764

5

Pepsico Inc. (USA)

boissons sans alcool, snacks

29 292

6

Diageo Plc. (Royaume-Uni)

Vins et spiritueux, bières, crèmes glacées, légumes transformés

24 464

7

Conagra Inc. (USA)

Viandes et produits carnés, produits laitiers, produits de la mer, plats préparés, sauces, huiles, conserves

23 841

8

Novartis (Suisse)

Alimentation infantile et diététiques, semences

21 503

9

Sara Lee Corp. (USA)

Snacks, conserves de légumes, produits de boulangerie, café, thé, produits carnés, surgelés

19 734

10

Coca-Cola Co. (USA) (voir plus loin Coca-Cola Enterprises Inc.)

Boissons sans alcool

18 868

11

Danone (France)

Multiproduits, bières, eaux minérales

15 150

12

Mars Inc. (USA)

Confiserie, alimentation animale, riz, sauces, crèmes glacées

14 500

13

Archer-Daniels-Midland (USA)

Amidon et dérivés, farine, huiles, alimentation animale

13 853

14

IBP Inc. (USA)

Viandes, aliments pour le service de restauration

13 259

15

Kirin Brewery (Japon)

Bières, vins et spiritueux, boissons sans alcool, biotechnologie, horticulture

12 444

16

Seagram (Canada)

Vins et spiritueux, boissons sans alcool (cette activité a été vendue en 1998)

11 752

17

Coca-Cola Enterprises Inc. (USA)

Boissons sans alcool

11 278

18

Anheuser-Busch Cos (USA)

Bières

11 066

19

Eridania Beghin-Say
(Italie-France)

Sucre, huiles, produits amylacés

10 899

20

Asahi Breweries (Japon)

Bières, boissons sans alcool

10 854

Source : Panorama des restructurations financières dans l'industrie agro-alimentaire mondiale - les 100 leaders mondiaux de l'industrie agro-alimentaire mondiale en 1997 - édition 1999.

d) Les PME ont besoin de la grande distribution pour se développer (et réciproquement)

La difficulté des relations entre les PME-PMI et la grande distribution est connue et ancienne ; elle tient à la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvent ces petits fournisseurs vis-à-vis d'acheteurs très puissants. La fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), sensibilisée à cette question, avait d'ailleurs établi des engagements solennels de ses adhérents pour stabiliser leurs relations avec les PME et mis en place une structure d'observatoire (voir les deux documents reproduits ci-après). Nous ne pouvons qu'approuver ces orientations, mais également constater que de gros progrès sont à réaliser pour les concrétiser.

M. Paul-Louis Halley, président de Promodès, a attiré l'attention de la mission sur le fait qu'il existe une catégorie de PME très prospères que l'on n'entend pas, et une catégorie moins prospère qui ressent fortement les relations avec la grande distribution et appréhende le déréférencement ; or le déréférencement est, selon lui, le résultat d'une concurrence entre industriels : ce sont les concurrents des PME qui les font sortir des linéaires parce que leurs produits sont meilleurs en termes de qualité ou répondent plus aux attentes des consommateurs ou parce qu'ils mettent le prix pour les sortir des linéaires, c'est-à-dire qu'ils proposent des remises de coopération commerciale considérables pour disposer en entier du linéaire réservé aux marques industrielles.

La mission estime que pour favoriser la présence des produits des PME et PMI sur les rayons des grandes surfaces françaises, les mètres carrés de surface de vente dont elles disposent devraient être accrus. Des autorisations doivent être délivrées aux demandes d'agrandissement, en les conditionnant par des engagements écrits de présence de produits de PME-PMI dans les linéaires ainsi allongés et par la présentation de projets de synergie avec les commerces de centre-ville et de proximité. Aujourd'hui la rareté des surfaces disponibles permet aux multinationales d'accaparer des rayonnages entiers ; il faut mettre un terme à cette concurrence disproportionnée.

Il faut ensuite souligner que le vecteur le plus dynamique de la présence des PME dans les linéaires est constitué par les marques de distributeur. Incontestablement ces marques propres de la grande distribution ont permis aux PME d'accroître leurs parts de marché. Mais cela s'est fait au prix d'une dépendance économique très forte au point qu'une PME fabricant une marque de distributeur est avant tout un sous-traitant de la grande distribution : la marque est la propriété de l'enseigne, le cahier des charges draconien de production est élaboré par l'enseigne, si l'enseigne retire la marque à la PME celle-ci se retrouve avec un outil de production inutilisable (voir le paragraphe sur les marques de distributeur dans le chapitre de la partie II du rapport relatif à la dépendance économique).

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e) La concentration conduit à abaisser la qualité

La concentration de la production et de la distribution vont immédiatement conduire à une baisse de la qualité des produits.

Les extraits ci-après d'une lettre d'un consommateur adressée à la mission d'information illustrent les incidences sur la qualité des déréférencements de nombreux petits producteurs. Elle prouve que la compétition féroce pour obtenir des places sur les linéaires entraîne un nivellement par le bas de la qualité. Voici ces témoignages :

1er exemple : Magasin Shopi de Levallois.

« Comme dans tous les magasins de ce genre, on y vend du saumon fumé sous cellophane. Généralement, c'est du saumon fumé de 2ème zone, composé de lichettes qui ne sont pas présentables et sont tout juste bonnes à faire des canapés. Miracle : il y avait une exception, du saumon de marque Roch'Land. Chaque étui contient seulement deux grandes tranches, de grande qualité, sans le moindre déchet et pesant chacune de 50 à 70 grammes pièce. Bien sûr un peu plus cher, mais la qualité se paye.

« Un beau jour, ce saumon a disparu des rayons. Le magasin avait décidé de le déréférencer. Il est très probable qu'il s'agissait d'un bras de fer avec Roch'Land. Avec quelques amis, nous sommes allés les uns après les autres demander des explications et protester contre cette suppression en disant que ce n'est pas cela qui nous ferait acheter les autres marques et que nous irions ailleurs. Je dois dire que le gérant du magasin était de notre avis, il a fait le siège de sa direction, et c'est grâce à lui que nous avons pu obtenir le retour du produit. C'est malheureusement un cas exceptionnel. »

2ème exemple : Magasins Leclerc. Il s'agit apparemment de tous les magasins Leclerc.

« Leclerc a déréférencé toutes les conserves de légumes Jockey de marque Cassegrain (Bonduelle). Il s'agissait là encore de conserves cuisinées de grande qualité, un peu plus chères que les autres. J'imagine que Bonduelle a dû refuser de se plier aux ukases de Leclerc. Pour donner le change, Leclerc les a remplacées sur les rayons par des conserves Daucy avec une même forme de boîte carrée !... Nous les avons essayées. Là encore, chute de la qualité, et nous nous procurons maintenant les conserves Bonduelle chez l'épicier du coin. Le bras de fer dure depuis 2 mois et il continue. »

3ème exemple : Franprix - Magasin de Levallois, rue du Président Wilson

« Nous avions trouvé dans ce magasin un produit que l'on ne trouve nulle part ailleurs : les "brioches tranchées aux raisins" fabriquées à La Capechagnière (85260) par les Etablissements Gilles Fonteneau. Une qualité rare, équivalente à celle que l'on peut trouver en pâtisserie. Ce produit exceptionnel a un beau jour disparu des rayons. Nous avons protesté auprès de Franprix et demandé des explications. Réponse : "le fournisseur refuse de nous livrer !..." Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que Fonteneau a refusé le racket. Le bras de fer dure toujours. »

Les multinationales de l'agro-alimentaire ou des autres secteurs tendent d'ailleurs aujourd'hui de limiter le nombre de références, car ils ont acquis des positions dominantes sur les linéaires. Dans la filière des rasoirs (1,7 milliard de francs de chiffre d'affaires en France), deux enseignes se partagent 86 % du marché, dans la nourriture pour enfants, deux marques se partagent 82 % du marché (4,1 milliards de francs de chiffre d'affaires en France). Le consommateur n'aura donc bientôt plus le choix, et l'innovation sera immanquablement freinée.

Le plus grave est sans doute qu'à ce phénomène de concentration de la production, les perdants sont très certainement les produits régionaux. Dans la filière des articles de jardin, des fabriquants assuraient des fabrications diversifiées, aujourd'hui, les grandes enseignes de bricolage n'en veulent plus. L'enseigne veut un minimum de fournisseurs pour réduire le nombre de marques sur le linéaire.

L'exemple de Gouvy, société établie en Meurthe-et-Moselle depuis 25 ans et qui fabrique des outils de jardin, prouve bien qu'à l'inverse du discours dominant des grandes enseignes, les produits régionaux et les produits de qualité sont les grands perdants des concentrations de grandes enseignes.

Un exemple : GOUVY déréférencé par CASTORAMA

Gouvy fabrique des outils et est situé à Dieulouard en Meurthe-et-Moselle. Ses effectifs sont de145 personnes. Alors qu'il s'agissait d'un des partenaires de la première heure, il vient d'être déréférencé par Castorama. Ce sont 20 % du chiffre d'affaires "outils", soit environ 6 % du chiffre d'affaires du total de l'entreprise, qui disparaissent, ce qui va entraîner une diminution de ses effectifs.

Les évolutions des négociations commerciales entre ce petit producteur et la grande distribution sont instructives.

Au cours de l'année 1998, Gouvy a dû participer en plus des ristournes de fin d'année négociées, au budget publicitaire à hauteur de 4 % de son chiffre d'affaires réalisé avec Castorama, sous peine de déréférencement immédiat.

Début 1999, les prix de vente ont dû être baissés de 25 % sinon l'entreprise perdait le marché. A la fin 1999, Castorama décide que la marque Gouvy n'est pas indispensable, que les produits régionaux n'ont plus d'intérêt et donc uniformise les produits sous sa marque avec une baisse de prix d'achat de l'ordre de 30 à 35 %. Or, une baisse de 55 à 60 % en 2 ans est suicidaire pour une petite société, en maintenant le même niveau de qualité, comme l'exige Castorama. L'explication de ce changement de stratégie s'explique, déclarent les responsables de Gouvy, par le rachat de Castorama par une enseigne anglaise, Kingfischer, qui souhaite uniformiser ses produits en Europe.

Les actionnaires de Kingfischer (des fonds de pension en majorité) exigent plus de rentabilité. Il faut donc diminuer le nombre de références, et les outils Gouvy, dont chacun reconnaît l'excellente qualité, sont sacrifiés. Il n'y a pas compatibilité entre prix sacrifiés et qualité du produit. Déjà beaucoup d'outils traditionnels avaient fait les frais de cette uniformisation : Louchet Vosges, Louchet Nord, Houe Lorraine, Hache Alémanique, Pelle Alsace.... Ce n'est plus le consommateur qui a le dernier mot puisque le distributeur choisit les références qu'il va proposer en linéaire à sa place. Dans le cas précis, c'est la rentabilité financière exigée par les fonds de pension qui a été le critère déterminant. Il y a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond dans la distribution mondiale....

Dans le domaine alimentaire, ces dérives sont encore plus criantes. Les marques disparaissent les unes après les autres, au jeu des rachats successifs d'enseignes par des sociétés mondialisées. Les centrales d'achat ont tendance à se délocaliser aujourd'hui en Europe, demain aux Etats-Unis ou ailleurs.

L'exemple des aliments susceptibles de contenir des organismes génétiquement modifiés (OGM), illustre les problèmes posés par la mondialisation de la production et de la distribution, lorsque les mêmes règles ne s'appliquent pas dans différents pays du monde.

En 1999, il y a eu sans doute 40 millions d'hectares de plantes transgéniques cultivées dans le monde (8). En 1998, 30 millions d'hectares avaient été cultivés, principalement aux Etats-Unis, au Canada ou en Argentine. Les cultures transgéniques concernaient principalement le soja (15 millions d'hectares) et le maïs (8 millions d'hectares). Votre rapporteur avait estimé, après avoir conclu qu'il ne pensait pas qu'il y ait de danger identifiable pour la santé, qu'il restait des questions à résoudre en termes d'environnement, qu'il fallait donner des autorisations au cas par cas, mais que le consommateur devait pouvoir conserver le libre choix, et choisir ce qu'il mange. Pour que ce choix puisse être fait, il lui semblait nécessaire d'assurer l'information des consommateurs par l'étiquetage. Plusieurs pays ont dû se battre pour obtenir, au niveau européen, l'obligation d'indiquer si un produit contient ou non des OGM, toutes autres mentions n'étant en définitive que trompeuses. L'étiquetage implique donc l'organisation de la traçabilité, c'est-à-dire du suivi d'un produit de la fourche, dans les champs, à la fourchette, sur la table.

Ceci implique également une méthode fiable de détection et la fixation d'un seuil d'exemption de déclaration d'un produit OGM. Il a aujourd'hui été fixé à 1 %. En effet, il ne faut pas confondre le problème de seuil avec le problème de sécurité alimentaire. S'il y a le moindre doute sur un aliment, il faut l'interdire concluait votre rapporteur. Mais que signifie un seuil fixé unilatéralement en Europe si les Etats-Unis ne procèdent à aucun étiquetage ?

C'est donc au niveau international, que nous devons imposer un étiquetage clair qui donne aux consommateurs tous les éléments informatifs : origine, composition de l'aliment, valeur nutrionnelle, modification par transgénèse, etc. L'Union européenne devait fixer une liste d'aliments et d'ingrédients alimentaires à base de soja ou de maïs transgénique exemptés de l'obligation d'étiquetage. Comme cette liste négative n'a pas été établie, comme la traçabilité n'existe pas, comme les industriels de l'agro-alimentaire achètent leurs produits de base sur le marché mondial, comme Greenpeace en profite pour alimenter son "fond de commerce" en semant le trouble chez le consommateur avec des listes blanches de produits sans OGM et des listes noires de produits avec OGM (qu'ils proposent donc de boycotter), le commerce des produits alimentaires prétendus exempts d'OGM devient de la pure supercherie. En effet, les dosages quantitatifs n'existent pas, les associations sont incapables de déceler de très faibles quantités d'OGM. Il est donc malhonnête d'écrire "nous avons reçu des garanties de non-utilisation d'OGM de nombreux fabricants..." quand ceux-ci sont totalement incapables de déceler la totalité des variétés végétales cultivées aux USA ou en Chine, par exemple, surtout lorsque les séquences amorcées ne sont pas connues.

La seule solution est effectivement d'avoir une règle identique pour tous les pays. Il faut discuter ces questions dans le cadre de l'OMC, exiger la traçabilité des produits et informer le consommateur par l'étiquetage. Car toutes les enseignes, même celles qui basent leur communication sur des produits non OGM, vendent aujourd'hui des produits qui en contiennent, même si c'est à l'état de traces. Ces enseignes ne sont pas en infraction avec la législation européenne qui vient de fixer un seuil de 1 %, mais il y a, de l'avis de votre rapporteur, tromperie et il nous apparaît inadmissible qu'on prenne à ce point le consommateur pour un « gogo », lui vantant des qualités floues : « agriculture raisonnée », ou hypothétiques : « produits sans OGM ».

La véritable qualité peut être obtenue en valorisant des produits identifiés, régionaux, en faisant la promotion des critères de qualité de notre agriculture, plutôt qu'en s'approvisionnant à bas prix, chaque jour sur les marchés internationaux. La qualité des produits mais également la sécurité alimentaire sont affectées par cette recherche des prix les plus bas. C'est sûrement une des explications de la rupture dans la chaîne du froid observée dernièrement dans la commercialisation de rillettes contaminées à la listériose. Ces choix de la qualité et de la sécurité alimentaire devraient être ceux de la grande distribution. Ce ne sont malheureusement pas ceux que la mission d'information a observés.

f) La dimension territoriale de la distribution des biens de grande consommation

La manière dont sont réparties les surfaces de vente au détail des produits de grande consommation sur le territoire et l'équilibre entre les différentes formes de distribution (commerces de proximité, grands magasins, supermarchés, hypermarchés, magasins de maxidiscompte ; commerces spécialisés et généralistes ; commerces de centre-ville ou de quartier et commerces de périphérie) relèvent d'un choix d'aménagement du territoire et de développement social.

Nous avons la conviction que le Parlement doit veiller à ce que le système commercial français soit équilibré et équitable et bénéficie aux consommateurs qui sont également des citoyens.

C.- L'IMPACT DU COMMERCE ÉLECTRONIQUE

Les technologies de l'information et de la communication, à travers le développement du commerce électronique, vont sans doute provoquer des bouleversements sur les circuits de distribution qui, même s'ils restent difficiles à évaluer aujourd'hui, seront sans rapport avec les conséquences induites par la vente par correspondance traditionnelle ou le Minitel. M. Francis Lorentz a largement développé cette évolution dans son rapport sur le commerce électronique remis au ministre de l'économie et des finances (1998). En 2000, le montant des ventes par Internet devrait dépasser celui des ventes par Minitel, pour atteindre 3,8 milliards de francs, selon une enquête du Benchmark Group auprès des 75 sites marchands français les plus actifs.

En effet, le commerce électronique :

- permet d'accéder à une multitude de produits,

- ignore les frontières,

- permet au consommateur de trouver le produit qu'il recherche en insérant ses caractéristiques dans un moteur de recherche,

- permet au consommateur de comparer rapidement toute une série de produits et d'effectuer des recherches de prix le plus bas.

Ces éléments sont la base d'une concurrence accrue entre les distributeurs. Le développement des sites marchands sur le web, la croissance exponentielle du nombre d'internautes, les efforts du Gouvernement pour définir un cadre juridique au commerce électronique, en vue notamment de garantir la sécurité des échanges, ne seront pas sans conséquence sur les systèmes de distribution.

Après la révolution constituée par l'émergence des grandes surfaces face au petit commerce, allons-nous assister à une seconde révolution qui verrait les « webmarchés » menacer la prépondérance des grandes surfaces sur le commerce de détail ? Il serait bien sûr illusoire de vouloir répondre d'une manière définitive à cette question ; le développement du commerce électronique peut représenter tout autant une menace qu'une nouvelle opportunité de développement pour les grands distributeurs, tout comme il peut être une chance à saisir pour les petites entreprises afin d'accéder à un marché plus vaste.

Quoi qu'il en soit, les « grandes man_uvres » ont déjà commencé dans le secteur du commerce en ligne.

1. Tous les grands distributeurs français ou internationaux possèdent leur propre site, même si tous ne proposent pas de vente en ligne.

2. Une stratégie d'alliance entre les sites portails d'accès à Internet et les grands distributeurs se met en place aux Etats-Unis.

En décembre 1999, Kmart, troisième chaîne de distribution américaine, a créé en partenariat avec Yahoo le site bluelight.com, qui permet d'acheter les produits de Kmart et de surfer sur le web gratuitement, en bénéficiant des services de Yahoo. Dans le même esprit, Wal-Mart, n° 1 mondial de la grande distribution, a ouvert un site marchand sur le web et a conclu, le 16 décembre 1999, avec AOL, premier fournisseur d'accès à Internet, un accord de coopération permettant au premier de bénéficier d'une publicité sur les portails d'accès d'AOL et à ce dernier de bénéficier d'un démarchage pour ses services auprès des clients passant dans les magasins Wal-Mart.

On peut raisonnablement penser qu'un tel mouvement va gagner dans les mois ou les années qui viennent l'Europe et la France. Les supermarchés G 20 proposent déjà sur leur site une vente par Internet de produits alimentaires. Promodès se lance également avec sa filiale Ooshop. Le groupe Pinault (Printemps, La Redoute, FNAC,...) offre des services de télécommunications en s'alliant à un opérateur international et organise son site pour intégrer commerce, télécommunications et services multimédias et interactifs. M. Jean-Paul Giraud, directeur général de la FNAC, a toutefois indiqué à la mission d'information que si le livre, le disque, la micro-informatique et les voyages étaient les quatre produits les plus vendus sur le net, sa société ne souhaitait pas, pour l'instant, s'engager dans la vente électronique pour créer son propre concurrent à ses magasins. Cependant, le groupe Pinault est le n° 1 français du commerce électronique dans le secteur de la distribution : en 1998, il a réalisé par ce média un chiffre d'affaires de 28 millions de francs. Des investissements très substantiels sont nécessaires pour maîtriser cette forme de vente : en 1998, le groupe Pinault a réalisé 42 millions de francs d'investissements, montant qui sera doublé en 1999. En dehors du champ de la grande distribution, rappelons qu'un accord a déjà été conclu entre Yahoo et Banque directe en France.

Il ne semble pas que les distributeurs européens aient compris l'importance de cet enjeu. En Espagne, MM. Juan Arenas Uria, directeur général de l'association nationale des grandes entreprises de distribution, et Jose Larramendi, directeur général d'Eroski, enseigne de grande distribution espagnole, nous ont même indiqué qu'ils ne croyaient pas à la concurrence du commerce électronique sur la distribution en hypermarché avant dix ans en raison de la dimension sociale de l'acte d'achat par les ménages dans les hypermarchés, qui sont considérés comme un lieu de sortie en famille. On continuera bien sûr à acheter son poisson ou ses carottes chez le commerçant ou dans la grande surface... mais on peut s'interroger sur les moyens de commandes des consommateurs de demain qui consultent souvent les catalogues de la grande distribution avant certaines périodes de l'année. Quand Cora, pour Noël, lance un catalogue de « 2000 idées de fête », c'est le type même d'information qui pourrait être fournie en ligne par une galerie marchande virtuelle et inciter certaines PME, refusant la coopération commerciale sans contrepartie, à s'orienter vers ces nouveaux moyens de communication.

3. Parallèlement, nous assistons à un développement des sites marchands - hors sites des grands distributeurs - sur le web.

On estime qu'à la fin 1999, plus de deux millions de particuliers étaient abonnés, en France, à un service d'accès à Internet et qu'un tiers des internautes avait effectué au moins un achat en ligne. Au total, au troisième trimestre 1998, Médiamétrie estimait qu'il y avait eu 5 212 000 internautes sur les douze derniers mois en France (enquête 24 000 Multimédia de Médiamétrie ; consulter le site www.mediametrie.fr) et Médiangles qu'en novembre 1999, la France comptait 5,7 millions d'internautes âgés de 15 ans et plus s'étant connectés au moins une fois sur les trente derniers jours personnellement (accès à partir de son domicile, son lieu de travail, une école ou une université ; consulter le site www.csa.fr). Aux Etats-Unis, où l'on comptait 101 millions d'internautes adultes à la mi-1999 (contre 84 millions fin 1998, 65 millions mi-1998 et 52,6 millions mi-1997) et 118,4 millions en novembre 1999 (enquête Nielsen et NetRatings), on estime que 55 % des foyers américains ont déjà effectué un achat en ligne. AOL, n° 1 mondial des services en ligne, a annoncé avoir vendu en 1999 plus de 10 milliards de dollars par Internet, dont 2,5 milliards rien que pendant les fêtes de fin d'année.

LE COMMERCE ÉLECTRONIQUE EN CHIFFRES, EN FRANCE

 

1996

1997

1998

1999

Nombre de sites marchands

nc

120

600

900
(en juin)

Chiffre d'affaires des ventes d'entreprises à des particuliers (en millions de francs)

nc

42

400

1 300
(estimation)

Nombre de consommateurs

20 000

60 000

210 000

700 000
(estimation)

Proportion dans la population totale des internautes

4 %

6 %

7 %

10 %
(estimation)

Source : Le Journal du Net (Benchmark Group), cité par La Tribune du 23 décembre 1999.

Selon la Commission européenne, le chiffre d'affaires du commerce électronique en Europe pourrait atteindre 340 milliards d'euros en 2003. Cependant, EDS estime que « 75  % des internautes souhaitant acheter en ligne abandonnent en cours de route, découragés par une navigation trop complexe, une offre pas assez claire ou une curiosité jugée trop envahissante » (consulter le site http://www.eds.com/)

Le commerce électronique favorise l'émergence de nouveaux acheteurs, d'une nouvelle catégorie de « détaillants » qui n'appartiennent pas aux circuits traditionnels de la grande distribution ou du petit commerce.

On le voit, l'hypermarché traditionnel va sans doute être de plus en plus confronté :

- à la concurrence des sites marchands et des galeries marchandes virtuelles ;

- à la concurrence du site web de sa propre enseigne.

Pour l'instant, les conséquences de cette concurrence restent limitées. Les ventes en ligne représentent, surtout en Europe, qu'une infime partie des transactions commerciales. Même aux Etats-Unis, le commerce électronique n'occupe qu'une place réduite, les prévisions pour 2002 indiquant qu'il ne représenterait que 3 à 4  % du commerce de détail.

En outre, les ventes en ligne restent principalement limitées à des produits comme les livres, les disques, les voyages, les équipements et les services en micro-informatique, les services financiers - notons toutefois qu'il s'agit des créneaux sur lesquels les grandes surfaces essaient de se positionner de plus en plus.

Par ailleurs, les consommateurs ne pourront ou ne voudront tout acheter en ligne. Il en va ainsi des produits frais ou de ceux dont ils souhaitent avoir la jouissance immédiate sans en attendre la livraison. Mais le délai de livraison proposé peut être court : Wal-Mart s'engage à livrer les commandes dans le monde sous deux à huit jours selon le tarif choisi.

Malgré ces obstacles, les perspectives de développement du commerce électronique sont réelles. Elles ne pourront être sans conséquence sur l'organisation des circuits de distribution ; le commerce électronique représente une nouvelle méthode de vente qui va concurrencer les hypermarchés sous leur forme traditionnelle. Les grandes enseignes l'ont compris aux Etats-Unis puisqu'il semble bien qu'elles prennent le virage de la vente en ligne. De même, les petites entreprises, mais aussi les petits commerces, peuvent voir dans le commerce électronique une occasion à saisir pour s'ouvrir de nouveaux marchés. Encore faut-il cependant qu'ils se dotent d'une logistique performante de stockage et d'acheminement des produits. De ce point de vue, les entreprises françaises de grande distribution disposent d'un atout par rapport à la plupart de leurs concurrents européens qui doivent faire appel aux services de grossistes, de sociétés spécialisées ou de leurs fournisseurs pour assurer les fonctions de logistique. Leur logistique devra cependant s'adapter à des livraisons de petites quantités en milieu urbain, ce qui est d'un coût élevé. Cette mutation est à la portée des groupes français qui sont multiformat et gérants de petits commerce de proximité.

L'exemple américain souligne l'importance de la logistique en matière de commerce électronique. Les plus grands distributeurs doivent passer des accords avec les entreprises postales ; c'est ainsi qu'un quart des volumes transportés par UPS résulte de commandes de biens passées par voie électronique.

Le marché américain montre également que le commerce électronique se traduit par une guerre des prix acharnée. Le critère de prix semble être déterminant aux yeux du consommateur pour passer sa commande (sans doute du fait des moteurs de recherche). Les sites pratiquent donc le prix le plus bas de manière systématique, ce qui ne manque pas de laisser très interrogatif sur la rentabilité commerciale des sites, y compris le n° 1 mondial Amazon.com. Cependant, tant que les cours de bourse de ces sociétés poursuivent leur croissance folle, aucun banquier ou homme d'affaires ne se soucie de ce détail. Il est d'ailleurs vraisemblable que la rentabilité de ces affaires commerciales passe par les activités accessoires à la vente (prestations publicitaires, remises de fournisseurs pour apport de chiffre d'affaires, reversement de charges d'accès téléphoniques, etc.), ce qui, sous un certain angle, rappelle le système commercial de la grande distribution française classique ...

Le commerce électronique : menace ou opportunité de développement pour la grande distribution ? Il n'est pas possible d'y répondre aujourd'hui, mais la mission d'information recommande de suivre très attentivement ce secteur dont chacun peut pressentir les répercussions sur les circuits de distribution.

Nous recommandons particulièrement aux PME-PMI qui souhaitent se lancer dans le commerce électronique de se faire référencer dans les principaux annuaires et dans les moteurs de recherche. Nous invitons les pouvoirs publics à favoriser et soutenir la création d'annuaires, répertoires et moteurs de recherche francophones et à encourager la conclusion d'accords de réciprocité portant sur l'accès à des moteurs de recherche nord-américains.

Le 6 mai 1998, M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a annoncé dix mesures gouvernementales pour le développement du commerce électronique (consulter le site Internet ministériel : www.finances.gouv.fr). En outre, le décret n° 99-1048 du 14 décembre 1999 a créé une mission pour le commerce électronique. Cette mission, présidée par M. Francis Lorentz, qui est chargé de ce dossier par le Gouvernement depuis 1997, doit prendre fin le 15 décembre 2001 ; un rôle de concertation entre les acteurs des secteurs privé et public lui est confié ; elle doit établir « un tableau de bord du commerce électronique » pour mesurer les progrès accomplis, effectuer des comparaisons internationales et préparer une conférence nationale annuelle ; elle est chargée d'actions de communication et participe aux travaux interministériels sur l'adaptation du cadre juridique applicable au commerce électronique et à Internet.

Les problèmes juridiques très nombreux qui se posent en matière de reconnaissance juridique des contrats dématérialisés, des pertes fiscales pour les Etats si les opérateurs évoluent depuis des pays tiers, de sécurisation des transactions commerciales, de confidentialité des échanges et de paiements en ligne, de certification des opérateurs, de règlement des litiges, des problèmes de propriété intellectuelle, vont nécessiter le vote de textes législatifs, la publication de textes réglementaires mais également la conclusion d'accords internationaux.

Le 7 décembre 1999, le Conseil des ministres de l'Union européenne a adopté une proposition de directive sur le commerce électronique (en cours d'examen par le Parlement européen). Ce texte prévoit que les sites commerciaux seront soumis aux lois commerciales du pays dans lequel ils sont établis, et non du pays de l'acheteur, et reconnaît la valeur juridique du contrat d'achat par Internet. Elle exclut, en outre, toute responsabilité des fournisseurs d'accès sur les transactions et ne lui impose pas de surveiller les informations qu'il transmet ou stocke.

En revanche, la directive ne détermine pas quelle sera la loi applicable aux transactions par voie électronique lorsqu'elles sont conclues entre un vendeur et un consommateur : « la présente directive n'a pas pour objet d'établir des règles spécifiques de droit international privé relatives aux conflits de lois et de juridictions et ne se substitue pas aux conventions internationales y afférentes ». L'article 3 de la directive, qui prévoit que la loi nationale du territoire sur lequel un prestataire de service commercial est établi s'impose à lui, exclut expressément de son champ d'application les contrats passés avec les consommateurs.

Selon l'Institut national de la consommation, l'article 5 de la convention relative à la loi applicable aux obligations contractuelles, signée à Rome le 19 juin 1980, pourra s'appliquer aux ventes par voie électronique. Cet article prévoit que le consommateur est protégé par sa loi nationale pour tous les contrats dont « la conclusion a été précédée dans ce pays d'une proposition spécialement faite ou d'une publicité, et si le consommateur a accompli dans ce pays les actes nécessaires à la conclusion du contrat » ou « si la cocontractant du consommateur a reçu la commande du consommateur dans ce pays ». Cette convention est en cours de renégociation. La question n'est donc pas tranchée.

Les responsables d'annuaires et de répertoires devront se porter garants des entreprises qu'ils référencent et il serait sans doute souhaitable d'aller vers la certification de certains sites pour que le consommateur puisse juger de la confiance à accorder à un site.

Même si aujourd'hui les échanges commerciaux par Internet restent marginaux, il nous apparaît important que les entreprises englobent ces nouvelles technologies dans leur stratégie de développement commercial, en se donnant les moyens de recevoir les commandes en ligne et de conclure des transactions. Nous sommes persuadés que ces techniques se développeront parallèlement à l'activité de logistique, secteur qui s'est largement transformé dans le domaine de la vente sur catalogue.

II.- LES RELATIONS CONTRACTUELLES ENTRE FOURNISSEURS ET REVENDEURS

Les relations commerciales entre fournisseurs et revendeurs sont régies par le principe de la liberté contractuelle. Ce principe résulte de l'article 1101 du code civil.

Ce principe a une valeur législative et la loi peut donc en encadrer l'exercice en matière commerciale. L'absence de valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle a été constatée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 94-348 DC du 3 août 1994 (« aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit le principe de la liberté contractuelle »). Le principe de liberté figurant à l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ne saurait donc être étendu aux contrats et donc au commerce. Cependant, le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision n° 98-401 DC du 10 juin 1998, qu'il était « loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, les limitations justifiées par l'intérêt général ou liées à des exigences constitutionnelles, à la condition que lesdites limitations n'aient pas pour conséquence d'en dénaturer la portée ».

A.- L'ABROGATION, EN 1996, DE L'INTERDICTION DU REFUS DE VENTE

1. La réforme de 1996

a) La situation antérieure à 1996

M. Jean-Paul Charié a résumé dans son rapport n° 2595 du 6 mars 1996 l'historique de l'interdiction du refus de vente. En voici le texte :

« L'interdiction du refus de vente a, pour la première fois, été édictée par l'article 38 de l'acte dit loi du 21 octobre 1940 modifiant, complétant et codifiant la législation sur les prix. Le dispositif était le suivant : « Est également considéré comme hausse illicite de prix le fait, par tout commerçant, industriel ou artisan : 1° De conserver les produits, matières ou denrées destinées à la vente en refusant de satisfaire, dans la mesure de ses disponibilités, aux demandes de sa clientèle dès lors que ces demandes ne présentent pas un caractère anormal ; ».

« La prohibition s'appliquait aussi bien aux ventes aux consommateurs qu'aux ventes réalisées entre les entreprises pour leur activité professionnelle.

« L'établissement de ce délit pénal puni d'un emprisonnement de deux mois à deux ans et d'une amende de 16 F à 100.000 F. était motivé par la hausse des prix endémique et l'état de pénurie général dans lequel se trouvait l'économie.

« Ces dispositions furent expressément déclarées nulles par l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix. L'article 37 de ladite ordonnance ne conserva qu'une interdiction « de conserver les produits destinés à la vente en refusant de satisfaire, dans la mesure de ses disponibilités, aux demandes des acheteurs ou de refuser de satisfaire, dans la mesure de ses moyens, aux demandes de prestations de services, dès lors que ces demandes ne présentent aucun caractère anormal et que la vente des produits ou la prestation des services n'est pas interdite par une réglementation spéciale ou soumise à des conditions qui ne sont pas remplies » (art. 37-1°-a). La prohibition, dont le non-respect était sanctionné pénalement, visait en fait la rétention de produits plus que leur vente. Cependant, pour la première fois, les services étaient pris en compte par la loi.

« Le décret n° 53-704 du 9 août 1953 relatif au maintien ou au rétablissement de la libre concurrence industrielle et commerciale rétablit le délit pénal de refus de vente, en conservant l'extension aux prestations de service. Le a) du 1° de l'article 37 de l'ordonnance du 30 juin 1945 relative aux prix assimila désormais « à la pratique des prix illicites, le fait par tout commerçant, industriel ou artisan, de refuser de satisfaire dans la mesure de ses disponibilités aux demandes des acheteurs de produits ou aux demandes de prestation de services lorsque ces demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu'elles émanent de demandeurs de bonne foi et que la vente de produits, ou la prestation de services n'est pas interdite par la loi ou un règlement de l'autorité publique, ainsi que de pratiquer habituellement des majorations discriminatoires de prix qui ne sont pas justifiées par des différences de prix de revient ».

« Le décret de 1953 marqua un net infléchissement dans la législation française dans la mesure où il avait pour objectif d'assurer une égalité de traitement entre les différentes formes de commerce face aux producteurs et d'empêcher les industriels de priver -par leur puissance qui était dominante à l'époque- des nouveaux commerces d'un approvisionnement dont ceux-ci avaient besoin pour se développer.

« Le décret n° 58-545 du 24 juin 1958, pris en vertu d'une habilitation législative donnée par la loi du 13 décembre 1957 dans le but d'assurer la stabilisation des prix et l'organisation du marché, précisa le dispositif d'interdiction du refus de vente en permettant de refuser les commandes ou les demandes de prestation de service dont les conditions n'étaient pas conformes aux usages commerciaux. Il prohiba également les conditions discriminatoires de vente pratiquées habituellement et non justifiées par des hausses de prix de revient.

« L'objectif était désormais d'empêcher les industriels d'étouffer la grande distribution naissante dont les méthodes de vente étaient inhabituelles et dont la politique, soutenue par les pouvoirs publics, reposait sur une compression des marges et des coûts et une obtention de remises d'échelle et visait à lutter contre les prix élevés.

« Le dispositif de l'article 37-1°-a résultant du décret du 24 juin 1958 était le suivant : « Est assimilé à la pratique des prix illicites le fait : 1° Par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan : a) De refuser de satisfaire, dans la mesure de ses disponibilités et dans les conditions conformes aux usages commerciaux, aux demandes des acheteurs de produits ou aux demandes de prestation de services, lorsque ces demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu'elles émanent de demandeurs de bonne foi et que la vente de produits ou la prestation de service n'est pas interdite par la loi ou par un règlement de l'autorité publique ainsi que de pratiquer habituellement des conditions discriminatoires de vente ou des majorations discriminatoires de prix qui ne sont pas justifiées par des augmentations correspondantes du prix de revient de la fourniture ou du service ; ».

« Le I de l'article 63 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat abrogea l'interdiction de pratiquer habituellement des conditions de vente ou des majorations de prix discriminatoires non justifiées par des augmentations de prix de revient.

« A l'abrogation de l'ordonnance du 30 juin 1945 relative aux prix le dispositif d'interdiction du refus de vente ou de prestation de services était donc le suivant :

« Art. 37.- Est assimilé à la pratique des prix illicites le fait :

« 1° Par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :

« a) De refuser de satisfaire, dans la mesure de ses disponibilités et dans les conditions conformes aux usages commerciaux, aux demandes des acheteurs de produits ou aux demandes de prestation de services, lorsque ces demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu'elles émanent de demandeurs de bonne foi et que la vente de produits ou la prestation de services n'est pas interdite par la loi ou par un règlement de l'autorité publique ; ».

« Le contrevenant était passible d'un emprisonnement de deux mois à deux ans et d'une amende de 60 francs à 200.000 francs.

« L'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 a transformé l'infraction pénale en délit civil, c'est-à-dire que la personne commettant une faute constitutive de refus de vente ou de prestation de services engage sa responsabilité et, en cas de plainte, l'oblige à réparer les préjudices ainsi causés. Cette obligation joue également vis-à-vis des tiers à la transaction avortée qui peuvent demander réparation. Ainsi, le refus de vente ou de prestation est resté une pratique interdite per se.

« Affirmer que cette interdiction n'existe pas revient à prôner l'anarchie et la loi du plus fort : le code civil n'interdit pas de causer dommage à autrui, il exige simplement que la victime est en droit d'obtenir réparation, mais cela ne signifie pas que la loi n'interdit pas, dans son principe, d'avoir une conduite qui cause dommage à autrui. Il en est de même pour le refus de vente, la loi proscrit ce comportement dans les relations entre professionnels en tant que tel, sauf lorsque certaines conditions sont réunies. Il ne faut pas dire « le refus de vente est libre en France sauf dans telles situations... » mais « le refus de vente est interdit sauf dans telles situations... ». L'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ne reconnaît donc pas, a priori, un caractère licite au refus de vente.

« Le juge civil ou commercial est d'ailleurs en droit d'annuler un refus contraire aux dispositions de l'article 36 de l'ordonnance, comme il peut annuler une vente discriminatoire ou une vente liée.

« Le 2 de l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 qualifie ainsi de comportement fautif le refus opposé aux demandes des acheteurs ne présentant aucun caractère anormal et faites de bonne foi ou qui n'est pas justifié par un contrat régulier (en particulier d'exclusivité) conforme à la législation sur les ententes, la position dominante et la dépendance économique.

« La réforme de 1986 s'est accompagnée de la suppression de deux causes susceptibles d'exonérer le vendeur de son obligation de satisfaire aux demandes régulières d'un acheteur : l'insuffisance de ses disponibilités et l'impossibilité de satisfaire à la demande dans les conditions conformes aux usages commerciaux. La référence aux usages commerciaux n'a toutefois pas totalement disparu du nouveau dispositif d'interdiction du refus de vente car un tel refus n'est pas fautif lorsque la demande est anormale. Or, une demande non conforme aux usages commerciaux, notamment une demande accompagnée d'exigences exorbitantes en matière de délai de paiement, pourra vraisemblablement être considérée comme anormale.

« En revanche, l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 a maintenu le délit pénal de refus de vente ou de prestation de services aux consommateurs (article 30 codifié sous l'article L. 122-1 du code de la consommation). Pour la première fois, les relations avec les consommateurs suivaient un régime différent des relations commerciales entre les professionnels. »

b) Les motifs de l'abrogation de l'interdiction du refus de vendre

La prohibition du refus de vente était depuis longtemps contestée. La doctrine juridique rejoignait d'ailleurs les conclusions de l'analyse économique et des praticiens : le rapport de force s'était inversé au profit des distributeurs dans les années 1970 et 1980, et l'économie est devenue tellement dominée par la demande que le refus de vente ne pouvait qu'être exceptionnel. La commission présidée par M. Donnedieu de Vabres, qui avait été chargée d'élaborer un projet d'ordonnance sur le droit de la concurrence en 1986, avait d'ailleurs recommandé l'abandon pur et simple de l'interdiction du refus de vente. M. Edouard Balladur, ministre de l'économie et des finances, ne l'avait finalement pas suivie par souci d'accompagnement de la suppression du contrôle des prix et d'acclimatation des acteurs économiques au jeu de la concurrence.

En 1995, 38 affaires avaient été portées devant les tribunaux de grande instance ou de commerce pour refus de vente abusif (dont 12 par assignation ministérielle). Aucune législation des pays européens voisins n'interdisait en soi le refus de vente entre professionnels.

La suppression de l'interdiction a essentiellement été justifiée par les arguments suivants (voir JO.débats AN, 28 mars 1996, p. 2178 et s. et 29 mai 1996, p. 3593 et s. ; voir le rapport de M. Jean-Jacques Robert n° 336 (Sénat), pp. 80 et 81) :

- l'interdiction du refus de vente avait été établie par l'acte dit loi du 21 octobre 1940 puis par l'ordonnance du 30 juin 1945 sur les prix pour des raisons tenant à l'état de pénurie de l'économie : cette situation n'existe plus ;

- l'interdiction a été maintenue dans le but d'empêcher les industriels de priver les nouvelles formes de commerce d'un approvisionnement indispensable à leur émergence et à leur développement : le rapport de force est aujourd'hui inversé en dépit de la puissance de certaines multinationales industrielles et le marché est dominé par l'abondance de l'offre de produits et services ;

- l'autorisation du refus de vente permettra aux fournisseurs de résister au chantage commercial que des revendeurs peuvent exercer sur des produits leaders et ainsi tendra à rééquilibrer les rapports entre fournisseurs et revendeurs ;

- les industriels pourront, à l'occasion du lancement d'un nouveau produit, sélectionner les revendeurs en fonction d'une certaine stratégie commerciale.

La suppression de l'interdiction du refus de vente figurant auparavant au 2 de l'article 36 ne prive pas les entreprises confrontées à un refus de vente de tout recours si celui-ci est abusif. En effet, un refus de vente abusif peut toujours être poursuivi sur le fondement de plusieurs dispositions législatives :

- lorsqu'il constitue un abus de position dominante, au titre de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (cet article dispose expressément que « ces abus peuvent notamment consister en refus de vente ... »),

- lorsqu'il résulte de l'exploitation abusive d'un état de dépendance économique (article 8 de l'ordonnance),

- lorsqu'il est la manifestation d'une entente illicite (l'article 7 de l'ordonnance interdit expressément les pratiques qui « tendent à limiter l'accès au marché »).

Cependant dans ces trois cas, l'auteur du refus de vente ne peut être sanctionné qu'à condition que la pratique ait eu pour objet ou pu avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ;

- lorsqu'il constitue une discrimination abusive au sens du 1 de l'article 36 ;

- lorsqu'il se traduit par une rupture brutale d'une relation commerciale établie, telle que définie au 5 de l'article 36 ;

- lorsqu'il cause un dommage à autrui : en application de l'article 1382 du code civil, son auteur doit le réparer dès lors qu'il est fautif au regard du droit de la responsabilité civile.

2. La libération du refus de vente doit être maintenue

a) Le droit de refuser de vendre n'a pas donné lieu à des abus connus

Selon les informations communiquées par M. Jérôme Gallot, directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ses services n'ont été saisis d'aucune plainte portant sur des refus de vente jugés abusifs, en dehors des affaires relevant du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (abus de position dominante).

La mission a constaté que les industriels, en général dirigeant de grands groupes ou ayant mis au point des produits innovants, sont satisfaits de disposer de cette liberté. Celle-ci est cependant peu utilisée, comme les députés et sénateurs ayant défendu l'abrogation de l'interdiction en 1996 l'avaient prédit, mais n'en conserve pas moins son utilité pour défendre une politique commerciale de fournisseur hors du système très strict de la distribution exclusive ou sélective.

b) Le problème de l'approvisionnement de coopératives d'achat d'artisans est cependant soulevé

Les artisans peuvent se regrouper en coopératives pour acheter de manière groupée leurs fournitures. Or, plusieurs de ces coopératives se plaignent de refus de vente de gros fournisseurs sur lesquels des enseignes de grande distribution exercent des pressions pour qu'ils refusent la vente à ces coopératives.

B.-  DE LA NÉGOCIATION COMMERCIALE À LA DOMINATION COMMERCIALE

La négociation commerciale vise à déterminer les termes d'une opération d'achat ou de vente entre un fournisseur et un revendeur. Les conditions de son déroulement et les éléments sur lesquels elle porte et qui, au terme de la négociation, sont traduits dans le contrat de vente ou d'achat, sont au c_ur de l'essentiel des litiges actuels entre fournisseurs et distributeurs en France.

La mission d'information a la conviction qu'une correcte application de la loi et accessoirement une réorganisation concertée de certaines pratiques utilisées lors de cette négociation ou une clarification de leur conformité à la loi permettraient de résoudre de très nombreux litiges et de rééquilibrer les relations commerciales entre fournisseurs et revendeurs qui sont gravement perturbées par l'existence de faits abusifs déloyaux.

La négociation commerciale prend, en effet, en France, souvent la forme d'un rapport de force, d'une confrontation d'intérêts divergents. La mission a constaté que cela était également devenu le cas en Espagne où les rapports entre fournisseurs et distributeurs sont en tous points comparables à ceux existant en France. Cependant, l'exemple français n'est pas la norme : l'Allemagne ou le Royaume-Uni (voir les notes sur la distribution dans ces pays, en annexe du rapport) ne connaissent pas de tels rapports tendus, même si quelques pratiques déloyales sont observées entre fournisseurs et distributeurs ; le partenariat et le respect de la parole donnée sont de règle, comme dans la plupart des pays développés, y compris en Asie.

Certes, ces rapports difficiles et conflictuels n'existent pas toujours. Nous avons entendu des chefs d'entreprises moyennes témoignant de cas de convergences d'intérêts commerciaux entre eux et des distributeurs. Ce véritable partenariat permet de définir un même objectif commercial et de chercher de concert les conditions assurant aux deux partenaires de se développer, au bénéfice des consommateurs. Ce type de relations existe avant tout avec les PME-PMI fournissant des produits sous marque de distributeur. De même, l'audition du 30 novembre 1999 de la commission de la production et des échanges a montré que le secteur de l'horticulture et des pépinières semble vivre sur des rapports de sincère partenariat commercial (voir le compte rendu intégral en annexe du rapport).

Cependant, la mission a recueilli de nombreux témoignages, parfois dramatiques, montrant que la négociation commerciale est très mal vécue par les fournisseurs aussi bien en raison de sa forme que des conditions de vente qui sont exigées de la part des acheteurs. Plusieurs fournisseurs nous ont exprimé directement ou par des témoignages écrits qu'il n'y avait plus de négociation mais seulement des diktats de la centrale d'achat ou du responsable des achats d'un super ou d'un hypermarché. « Les nouveaux acheteurs sont des tueurs » nous a affirmé un dirigeant d'une PME.

On trouvera ci-après des témoignages reçus par la mission d'information sur ces relations conflictuelles.

Lors de l'audition du 30 novembre 1999 de la commission de la production et des échanges, M. Daniel Bernard, président directeur général de Carrefour, a estimé que ces exemples étaient marginaux et que leur mise en exergue cachait la majorité des relations commerciales sans problème établies par les enseignes de grande distribution françaises : « Que représente ces abus par rapport aux millions de commandes que nous passons chaque année ? Que représente la petite dizaine de factures, sorties de leur contexte, qui nous sont opposées par rapport aux millions de factures que nous réglons chaque année, faisant vivre des milliers d'entreprises ? Quelques dysfonctionnements justifient-ils de modifier une nouvelle fois une loi, dont nous avions prévu dès le départ les qualités et les défauts, au risque de revenir à une économie administrée et de pénaliser les PME françaises, alors que nous vivons dans des économies ouvertes où chacun peut acheter n'importe où dans le monde ? »

Pourtant, la mission juge que ces témoignages sont représentatifs de l'état d'esprit et de la consistance des relations commerciales entre les producteurs et les distributeurs en France. Ils ne forment pas le sommet d'un iceberg vertueux mais l'iceberg lui-même ; la dérive des abus est générale, les bonnes relations sont l'exception même si elles doivent être saluées et soutenues.

Par ailleurs, le président et le rapporteur de la mission ont eu grand mal à convaincre quelques producteurs de participer à l'audition du 30 novembre 1999 face aux présidents de Carrefour, Système U et Opéra, centrale d'achat de Casino et Cora. Les responsables des plus grands groupes français, y compris des multinationales, n'ont pas souhaité venir par crainte des conséquences commerciales de leurs propos. La presse n'a d'ailleurs jamais été en mesure de recueillir le témoignage d'un grand groupe sur la loyauté ou la confiance de ses relations avec la grande distribution.

Des exemples de partenariat doivent être cités car nous estimons qu'ils devraient inspirer toutes les relations commerciales. ITM Entreprises a établi des relations stables de partenariat avec de nombreuses PME-PMI françaises avec des contrats renouvelés souvent par tacite reconduction (ils sont d'une durée d'au moins trois à quatre ans). Selon plusieurs témoignages de ces chefs d'entreprises les relations commerciales se placent dans un climat de confiance : 3 000 petites ou moyennes entreprises régionales bénéficient de ces relations pour les approvisionnements locaux et 1 200 entreprises pour le marché national et européen. Promodès a également lancé sa marque « Reflets de France » dont les produits sont fabriqués par des PME qui ont trouvé les moyens par ce marché de se développer.

Mais même dans ce dernier cas, si la direction de l'enseigne n'y prend garde, les acheteurs finissent par imposer des exigences tellement insupportables qu'elles conduisent la PME à mettre des salariés au chômage, à arrêter des machines achetées à la demande de l'enseigne, etc. Tous les présidents de groupes de distribution estiment que des abus peuvent être commis par leurs acheteurs sur lesquels pèse une forte pression de rentabilité. M. Jérôme Bédier, président de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), nous a indiqué qu'une contractualisation de la place des PME-PMI dans les linéaires ne devrait pas relever d'une décision des acheteurs mais des directions des enseignes en raison des motifs stratégiques de cette politique.

A ce stade du rapport, il convient de rappeler que la négociation commerciale est libre ; c'est le fondement même de l'économie de marché.

Cependant, la loi fixe à cette liberté un cadre, qui est très limité, afin de garantir une loyauté et un équilibre minimal de la concurrence aussi bien entre les fournisseurs et entre les revendeurs (concurrence horizontale) qu'entre les fournisseurs et les revendeurs (concurrence verticale) :

- tout d'abord, certaines conditions de vente ou d'achat ne sont pas négociables : la loi impose ainsi des délais de paiement pour l'achat de certains produits ; elle interdit certains prix de revente (revente à perte de produits en l'état sauf exceptions, prix abusivement bas des produits transformés) ;

- la loi fixe des cadres contractuels précis pour certaines activités commerciales, comme le marché des espaces publicitaires ou la vente des livres ;

- la loi considère les conditions générales de vente du fournisseur, lorsqu'elles existent, comme étant le document de base d'une négociation commerciale. La circulaire Delors du 22 mai 1984 (voir ci-après) leur reconnaît un « rôle directeur (...) dans les relations commerciales » ;

- les modalités de calcul des pénalités pour dépassement des délais de paiement sont déterminées par la loi ;

- la loi considère les conditions générales de vente comme des documents contractuels engageant les deux partenaires, sous réserve des termes de la vente figurant dans le contrat de vente ou d'achat. Cependant l'établissement de conditions générales de ventes n'est pas impératif ;

- la discrimination au bénéfice ou au détriment d'un partenaire commercial est interdite lorsqu'elle n'est pas fondée sur des contreparties réelles ;

- l'exigence de conditions préalables à la négociation (référencement du fournisseur) est encadrée par la loi.

Il faut souligner que ce cadre législatif est spécifique à la France. Par exemple, les conditions générales de vente n'existent dans aucun grand pays européen, américain ou asiatique. Mais s'il n'existe pas de réglementation sur les délais de paiement ou les prix de revente, l'évolution des pratiques de la grande distribution conduit certains pays, comme l'Allemagne ou l'Espagne que nous avons visités, à introduire dans leur législation des dispositions encadrant la revente à perte, voire le respect des délais de paiement contractuels (en Espagne, loi votée le 16 décembre 1999). Il faut aussi souligner que le dispositif législatif est mal appliqué dans notre pays.

La négociation commerciale est traitée par le droit de la concurrence notamment sous quatre aspects : l'application des conditions générales de vente ; la coopération commerciale ; la discrimination commerciale ; l'abus de dépendance économique. Ces quatre points cristallisent les tensions entre fournisseurs et revendeurs. Les questions relatives à la fixation des prix et des délais de paiement sont étudiées dans la partie suivante du rapport relative à la gestion des prix.

La loi n° 96-588 du 1er juillet 1996, dite loi Galland, relative à la loyauté et l'équilibre des relations commerciales a permis de lever l'insécurité juridique pesant auparavant sur les niveaux légaux de prix de revente. Elle a mis fin à la « facturologie » et arrêté la concurrence, destructrice pour les fournisseurs, conduisant les grandes surfaces à annoncer des prix de revente toujours plus cassés au point d'être économiquement aberrants (voir partie III du rapport).

Cependant, les distributeurs, ne pouvant plus peser sur le prix de vente résultant du barème de prix et des conditions de vente des fournisseurs (la « marge avant », qui est le prix inscrit en bas de facture de vente ou d'achat des produits), se sont rabattus sur les rémunérations hors facture de vente ou d'achat, c'est-à-dire la marge arrière, pour obtenir les avantages financiers accordés auparavant essentiellement au travers de la marge avant. Cette marge arrière peut consister en une rémunération de services de coopération commerciale stricto sensu ou en des primes ou rémunérations diverses non liées à l'acte d'achat-vente des produits (souvent qualifiées de fausse coopération commerciale). La compétition horizontale entre distributeurs et verticale entre fournisseurs et distributeurs se place aujourd'hui sur le terrain de cette marge arrière.

L'Institut de liaisons et d'études des industries de consommations (ILEC) a évalué le double mouvement engagé depuis 1995 de rétrécissement de la marge avant (bénéficiant au fournisseur) et d'accroissement de la marge arrière (bénéficiant au client distributeur). Les deux tableaux sont reproduits dans le chapitre sur la coopération commerciale.

NÉGOCIATION COMMERCIALE ET FORMATION DES MARGES

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MARGE AVANT

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Facturation séparée

MARGE ARRIÈRE =

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Propositions de la mission d'information :

- Faire figurer les services de coopération commerciale dans des conditions générales de vente du distributeur (à défaut de leur présence dans les conditions générales de vente du fournisseur).

- Appliquer les dispositions des circulaires Scrivener du 10 janvier 1978 et Delors du 22 mai 1984 aux services ne figurant pas dans des conditions générales de vente : les services rendus doivent être réels, identifiables et justifiés et leur rémunération avoir une portée restreinte par rapport aux avantages accordés en application des conditions générales de vente.

- Les remises exceptionnelles (ne pouvant figurer dans des conditions générales de vente) doivent également être marginales.

- Les conventions de ristournes particulières non liées à l'acte d'achat-vente ou à des services de coopération commerciale doivent être incorporées dans la marge avant (prix net-net) ou être marginales par rapport aux avantages accordés en application des conditions générales de vente.

1. L'application des conditions générales de vente

L'expression « conditions générales de vente » est d'usage courant et ancien mais n'a pas de définition légale ; elle est fréquemment utilisée par l'administration (voir par exemple la circulaire Delors du 22 mai 1984) et les tribunaux et figure même en fin de deuxième alinéa de l'article 33 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 (voir ci-après). Les conditions générales de vente regroupent les offres commerciales proposées par un fournisseur - producteur, industriel, artisan, importateur, grossiste, prestataire de services - à tous ses clients qui envisagent d'acquérir ses produits ou bénéficier de ses services. C'est donc un document synthétique, qui peut certes comporter plusieurs dizaines de pages, de l'offre de mise sur le marché d'un fournisseur ; il s'adresse à tous les clients potentiels et est élaboré et modifié (en général une fois par an) exclusivement par le fournisseur.

Un contrat de vente ou de prestation de service est l'application à un client précis de ces conditions générales de vente. L'usage a ainsi distingué les conditions générales de vente et les conditions de vente qui sont le résultat d'une négociation commerciale avec un client. La négociation commerciale étant libre, ces conditions de vente particulières peuvent s'écarter plus ou moins des conditions générales établies unilatéralement par le vendeur. Cet écart ne doit cependant pas être excessif au point d'accorder des avantages discriminatoires sans contrepartie à l'acheteur ou lui refuser des conditions dont bénéficient d'autres clients placés dans une situation commerciale comparable. Le caractère illicite de ces pratiques discriminatoires est posé par le point 1 de l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.

Ainsi, en France, la négociation porte d'abord sur la définition d'un prix de vente net, puis sur l'octroi de remises, rabais ou ristournes sur ce prix net, puis sur l'octroi de réduction de prix au titre de la coopération commerciale. La première étape est souvent éludée pour discuter immédiatement l'octroi de remises. Les deux autres étapes n'en sont pas à proprement parler parce que les demandes dont elles font l'objet sont continuelles tout au long de l'année.

Rappelons une nouvelle fois que les fournisseurs intervenant sur les marchés des pays étrangers n'ont pas de conditions générales de vente, y compris lorsqu'il s'agit de multinationales françaises. La négociation s'appuie donc sur des propositions quantitatives et qualitatives et de prix dits « nets-nets », c'est-à-dire incluant toutes les remises, rabais et ristournes dont le montant peut être déterminé à la date de la vente (conclusion du contrat). Les contrat signé inclut toutes les remises et ristournes qui seront octroyées en cours d'année.

La négociation d'un prix net-net est la norme internationale. M. Alfonso Merry del Val, délégué général de Continente Espagne, nous a d'ailleurs exprimé le v_u que les distributeurs espagnols, imprégnés des pratiques françaises, reviennent à ce principe simple.

a) Le contenu des conditions générales de vente

Les conditions générales de vente se divisent en général en des dispositions tarifaires (les barèmes de prix) et des dispositions sur la qualité des produits ou des services et les conditions dans lesquelles ils peuvent être cédés ou fournis et le prix peut être acquitté (les conditions de vente). La circulaire du 22 mai 1984 relative à la transparence tarifaire dans les relations commerciales entre entreprises, dite circulaire Delors, proposait une définition du contenu des conditions générales de vente :

« 1° les conditions générales de vente, établies par le fournisseur sous sa seule responsabilité, doivent traduire, lorsqu'elles sont différenciées en fonction des différentes modalités de transaction qui peuvent se présenter, les économies de coûts que le fournisseur peut objectivement attendre de celles-ci ;

« 2° le champ couvert par les conditions générales de vente doit être aussi large que possible ; il ne saurait être limité au seul tarif de base du fournisseur, même assorti d'un barème d'écart tenant compte, par exemple, des gains de productivité réalisés par le fournisseur en fonction des quantités livrées en une seule fois ou en un seul lieu, de la régularité des commandes, etc.

« Il doit comprendre également :

« a) les modalités de règlement : délai de règlement des marchandises, et montant des agios ou escomptes proposés aux clients en cas d'application d'un délai différent ;

« b) les rabais, remises et ristournes, sur facture ou différés, que le fournisseur est prêt à consentir à ses clients :

« soit en fonction des résultats escomptés de la transaction sur une période assez longue, un an en général, et mesurés sur la base de critères quantitatifs (chiffre d'affaires réalisé, progression du chiffre d'affaires, accroissement du volume des marchandises livrées ...) ;

« soit en rémunération de la prise en charge par ce dernier de certaines fonctions ou services commerciaux (tels que prise d'ordre, stockage, éclatement des livraisons vers les magasins de détail, services après-vente ...) ;

« c) les rémunérations de la prise en charge par le fournisseur de fonctions incombant normalement à ses clients (marquage du prix des produits, gestion de linéaire, etc.) ;

« 3° tout avantage financier, sur facture ou différé, doit être rattaché à des dispositions précises figurant dans les conditions générales de vente ;

« 4° il est indispensable que tout avantage particulier bénéficie dans les mêmes conditions aux autres clients du fournisseur, qui doit modifier en conséquence ses conditions générales de vente. De même, les opérations de promotion aux consommateurs décidées par le fournisseur doivent faire l'objet d'une information de tous les clients selon les mêmes modalités que les conditions générales de vente, dont elles font partie intégrante. »

L'article 33 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence précise que les conditions de vente « comprennent les conditions de vente et, le cas échéant, les rabais et les ristournes » et que « les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les modalités de calcul et les conditions dans lesquelles des pénalités sont appliquées dans le cas où les sommes dues sont versées après la date de paiement figurant sur la facture, lorsque le versement intervient au-delà du délai fixé par les conditions générales de vente. »

b) L'obligation de communiquer les conditions générales de vente

La loi n'a jamais imposé aux fournisseurs d'établir des conditions générales de vente, mais seulement, lorsqu'elles existent, de les communiquer aux acheteurs qui en font la demande. Certaines activités exercées sur des marchés extrêmement fluctuants rendent en effet impossible l'établissement de conditions générales de vente ou plus précisément de barèmes de prix.

L'obligation de communiquer à tout acheteur « son barème de prix et ses conditions de vente » a été introduite par l'article 37 de la loi Royer n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat qui disposait que « tout producteur est tenu de communiquer à tout revendeur qui en fera la demande son barème de prix et ses conditions de vente ». L'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix ne contenait aucune disposition sur les conditions générales de vente. L'article 1er de la loi n° 85-1408 du 30 décembre 1985 portant amélioration de la concurrence a modifié cette législation en abrogeant l'article 37 de la loi du 27 décembre 1973 et en insérant un 5° dans l'article 37 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix disposant qu'est assimilé à une pratique de prix illicite le fait « par tout producteur, grossiste ou importateur, de refuser de communiquer à tout revendeur qui en fera la demande son barème de prix et ses conditions de vente. Cette communication se fait par tout moyen conforme aux usages commerciaux de la profession concernée ».

L'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence a codifié cette dernière disposition sous son article 33 et a abrogé l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945.

L'article 18 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption a étendu l'obligation de communication aux prestataires de services afin d'appliquer cette règle de transparence au marché de l'espace publicitaire et de clarifier le périmètre de la coopération commerciale dont les services spécifiques ne peuvent correspondre aux services figurant ou devant figurer dans les conditions générales de vente des distributeurs ou de leurs centrales d'achat.

Cependant, la chambre commerciale de la Cour de cassation considère que, même en l'absence de barèmes préétablis, un fournisseur (une agence de publicité en l'occurrence) est tenu de communiquer les taux de ristournes accordés à ses clients habituels ou occasionnels et les volumes de commandes correspondants (affaire n° 92-11.425, arrêt du 18 janvier 1994). Un client étranger peut également bénéficier du droit à communication dès lors que les produits (ou services) sont achetés sur le territoire français, même s'ils sont commercialisés ou distribués à l'étranger (chambre commerciale de la Cour de cassation, 16 juin 1998, affaire n° 96-20.182).

Cette obligation de communication s'applique exclusivement aux relations commerciales entre professionnels, c'est-à-dire entre fournisseurs et revendeurs, par opposition aux relations entre un vendeur et un consommateur final. Elle peut être exercée par « tout acheteur de produit ou demandeur de prestation de services pour une activité professionnelle ». Elle ne peut donc pas être refusée à une centrale d'achat ou de référencement qui ne procède pas juridiquement à l'achat des produits mais est considérée comme un prestataire de services d'entreprises de distribution ou comme leur mandataire. En revanche, un concurrent d'un fournisseur ne saurait bénéficier de cette obligation : l'acheteur doit être au moins potentiel ou éventuel (Cour d'appel de Versailles, 13ème chambre, 3 avril 1997).

Comme on l'a vu avec la circulaire Delors du 22 mai 1984, l'administration fait une interprétation large de la notion de conditions générales de vente et donc du contenu de l'obligation de communication. Ainsi, dans une note de service n° 5322 du 3 février 1988, le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes demandait que fussent soumises à communication les ristournes de référencement, les ristournes liées à la qualité du fournisseur ou du distributeur, les ristournes et remises spéciales, promotionnelles ou exceptionnelles, les ristournes versées pour des anniversaires, des fêtes ou des ouvertures de magasins.

Si cette interprétation de la loi s'appliquait au texte de l'ordonnance du 1er décembre 1986 avant sa modification par la loi du 1er juillet 1996, cette volonté de réduire au maximum le champ de la coopération commerciale, et donc des services spécifiques non soumis à l'obligation de communication, subsiste. Elle n'est pas en effet le seul fait de l'administration, la chambre commerciale de la Cour de cassation a notamment dans un arrêt du 27 février 1990 (affaire n° 88-12.189) imposé la communication de rabais et ristournes accordés à titre occasionnel, notamment au titre d'actions promotionnelles du distributeur. De même, la Cour d'appel de Versailles a, le 8 janvier 1998, condamné un fabricant à communiquer « l'ensemble des conditions, barèmes, taux de rémunération habituellement pratiqués, la nature et le nombre de services correspondants, les produits concernés et les facteurs généraux, objectivement définis, pris en compte pour la détermination des pourcentages de rémunération, afférents aux accords de coopération commerciale, à l'exclusion toutefois des contrats eux-mêmes ».

Ces interprétations et jurisprudences visent à assurer une transparence maximale aux transactions commerciales, dans le respect du secret des affaires, afin de garantir la loyauté et l'équilibre de la concurrence.

L'article 33 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 précise que la communication des barèmes de prix et conditions de vente « s'effectue par tout moyen conforme aux usages de la profession. »

A l'origine, l'article 37 de la loi Royer (voir ci-dessus) ne précisait pas les modalités de cette communication. Pour combler ce vide, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait, dans un arrêt du 27 avril 1981 (affaire n° 79-93.619), exigé une communication par écrit. L'article 1er de la loi n° 85-1408 du 30 décembre 1985 précitée a rendu caduque cette jurisprudence en prévoyant une communication « par tout moyen conforme aux usages commerciaux de la profession concernée ».

La communication sous la forme d'un écrit reste en fait la modalité quasi générale utilisée par les fournisseurs. Cependant, cette rédaction de la loi prend aujourd'hui tout son intérêt avec le développement de l'échange de données informatisées. En effet, rien n'empêcherait un fournisseur de communiquer par voie informatique ses conditions générales de vente dès lors que se généralise dans son secteur d'activité la dématérialisation des documents commerciaux. Il est vraisemblable qu'avant dix ans le procédé électronique sera le moyen de communication le plus usité.

Indiquons, en dernier lieu, que le dernier alinéa (4°) de la circulaire Delors du 22 mai 1984 reproduit ci-dessus n'est plus appliqué : les avantages particuliers accordés à un client ou les opérations promotionnelles ne sont plus réintroduits dans les conditions générales de vente afin que tous les clients répondant aux conditions pour les obtenir puissent en bénéficier. De même, les clients ne sont pas systématiquement informés par leurs fournisseurs des opérations promotionnelles qu'ils décident (en général avec un client particulier).

En fait, ces avantages et promotions ont été considérés comme relevant de la coopération commerciale pure et donc comme n'ayant pas leur place dans les conditions générales de vente et non soumis au principe de transparence. Cette analyse est très contestable et relève avant tout d'une dérive de la notion de coopération commerciale comme on le verra ci-après.

c) Les conséquences d'un refus de communication

Toute infraction aux dispositions de l'article 33 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 est sanctionnée pénalement par une amende pouvant atteindre 100 000 F.

Avant son abrogation par l'article 57 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945 relative à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique punissait de deux mois à deux ans d'emprisonnement et de 60 F à 200 000 F d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement la non-communication des barèmes de prix et des conditions de vente. Dans son texte d'origine, l'ordonnance du 1er décembre 1986 avait retiré à cette infraction le caractère de délit et son décret n° 86-1309 d'application du 29 décembre 1986 la punissait d'une contravention de 5ème classe. L'article 33 de la loi n° 92-1442 du 31 décembre 1992 relative aux délais de paiement entre les entreprises a rétabli le caractère délictuel de l'infraction et fixé la peine d'amende maximale à 100 000 F.

d) Le rôle directeur des conditions générales de vente dans les relations commerciales

Comme il a été indiqué, la circulaire Delors du 22 mai 1984 relative à la transparence tarifaire dans les relations commerciales entre entreprises considère qu'un « rôle directeur (...) doit revenir aux conditions générales de vente dans les relations commerciales » (voir son texte ci-dessus et ci-après dans les développements relatifs à la coopération commerciale). Cette disposition est le constat d'une pratique séculaire des entreprises de tous les pays industrialisés.

Le fait que les conditions générales de vente servent de base à la négociation commerciale entre entreprises a longtemps placé les producteurs et industriels en position de force face aux revendeurs. Cependant, afin d'empêcher leurs abus dans les relations commerciales, la loi a, depuis 1945, imposé plusieurs obligations aux fournisseurs :

- le refus de vente et les ventes liées leur ont été interdits jusqu'en 1996 (voir le chapitre ci-dessus) ;

- la transparence des conditions générales de vente leur a été imposée ;

- les pratiques de prix ou de conditions de vente discriminatoires ont été interdites par l'article 37 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat ;

- les prix minima de revente ou l'imposition de marges commerciales minimales ont été interdits, sauf pour la vente des livres.

La législation et la jurisprudence considèrent toujours aujourd'hui que les conditions générales de vente ont un rôle directeur dans les relations commerciales. Le législateur et l'administration ont ainsi toujours refusé de reconnaître toute base légale aux documents établis par l'acheteur dénommés « conditions générales d'achat » (voir notamment les débats à l'Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à l'équilibre et la loyauté des relations commerciales en mars 1996) : ces documents établis unilatéralement comme les conditions générales de vente ne peuvent donc avoir un caractère contractuel ou un caractère interprétatif des dispositions contractuelles si les deux parties ne décident pas de faire figurer expressément leurs dispositions dans les clauses du contrat d'achat ou de vente ou de les transformer en un document contractuel.

En revanche, les conditions générales de vente engagent les deux parties dès lors qu'un contrat de vente est signé, sous réserve que celui-ci ne contienne pas des clauses écartant expressément des dispositions de ces conditions générales de vente. En outre, dans le silence du contrat de vente, leurs dispositions s'imposent aux parties.

L'application des conditions générales de vente peut constituer un instrument de domination du fournisseur. Ainsi les conditions générales de vente de Kraft Jacobs Suchard accordent une remise de 2,5 % aux clients commandant 44 marques ou plus de l'entreprise ; la remise tombe à 0,75  % si seulement 43 marques sont prises et à 0,25  % pour 37. Il est bien rare qu'un supermarché et, a fortiori, une supérette puisse écouler la totalité de ces références ; or, une enseigne de distribution a besoin d'obtenir le maximum de remises figurant dans les conditions générales de vente pour être compétitive. Une centrale d'achat cherchera donc à obtenir par tous les moyens cette remise supplémentaire de 2,5  % de la part de Kraft Jacobs Suchard. Chez Heineken, la remise de gamme maximale atteint 10,5  % si l'hypermarché prend 27 références ou 24 références si c'est un supermarché, ce qui peut poser un problème de surfaces de linéaires disponibles dans ce dernier cas.

2. La coopération commerciale : la poule aux _ufs d'or

La distribution moderne a pris peu à peu en charge, avec le perfectionnement de la vente en magasin populaire de centre-ville, en supermarché et en hypermarché, certaines fonctions autrefois assurées par le fournisseur. Parmi ces prestations figurent notamment des fonctions logistiques d'approvisionnement des magasins, les fournisseurs se contentant d'amener les produits à des bases logistiques redistribuant aux points de vente, la mise en avant des produits sur les rayons, les fournisseurs n'ayant plus besoin d'assurer la mise en valeur sur place de leurs marques, la centralisation des commandes et des facturations pour plusieurs points de vente, etc. L'ensemble de ces services fournis par les revendeurs à leurs fournisseurs, et qui sont indépendants de l'acte d'achat, forme aujourd'hui la coopération commerciale. En quelque sorte, la distribution est devenue un prestataire de services pour ses fournisseurs.

Ces services, dits spécifiques pour les distinguer des services liés à l'achat ou la vente même, ne sont pas nouveaux. Ils étaient autrefois assurés par le stade de gros. Le commerce de gros les assure d'ailleurs toujours lorsqu'il approvisionne des revendeurs qui ne sont pas distributeurs, à savoir les entreprises de restauration et d'hôtellerie, ou qui sont des petits commerces traditionnels indépendants.

La vraie coopération commerciale apporte des services incontestables aux fournisseurs. Ceux-ci n'en nient d'ailleurs pas le bien-fondé, mais la rémunération de ces services doit se traduire par des avantages commerciaux pour les fournisseurs ou des contreparties réelles comme le dispose l'article 33 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.

La mission d'information a en effet été saisie de plusieurs dysfonctionnements. Ce sont des cas où des sommes importantes ont été « accordées » à des distributeurs alors même :

- qu'aucun service véritable n'était rendu

- ou que les prestations fournies ne correspondaient pas à celles convenues

- ou que la contrepartie n'avait aucune traduction commerciale ou financière positive pour le fournisseur

- ou que le même « service » était facturé plusieurs fois.

La coopération commerciale fait l'objet de nombreuses critiques de la part des fournisseurs. La mission estime que le caractère succinct du cadre législatif de la négociation commerciale est justifié dans la mesure où celle-ci nécessite un espace de libre discussion. Cependant, tous les partenaires s'accordent pour convenir que la loi doit garantir l'effectivité et la réalité de la contrepartie, aussi bien dans sa consistance qu'au regard de la loyauté de l'exécution de ces services spécifiques.

En quelque sorte, le contrat de coopération commerciale doit être exécuté loyalement et fidèlement et le service accordé doit se traduire par un avantage objectif et mesurable par le fournisseur, et la contrepartie ne doit pas être considérée comme constituée au motif que le contrat de coopération commerciale a été signé par le fournisseur. C'est pourquoi la mission n'est pas opposée au principe de la rémunération de services rendus par le client à son fournisseur dès lors que ces services constituent de vrais services apportant un avantage réel souhaité par le fournisseur. Elle demande instamment que la loi soit de nouveau appliquée dans le sens où elle a été élaborée et qui a été clairement exposé dans les circulaires Scrivener du 10 janvier 1978 et Delors du 22 mai 1984. Des instruction claires en ce sens devraient être établies par le ministère chargé de l'économie, et si cela s'avérerait nécessaire, la loi devrait être précisée afin d'incorporer les règles générales figurant dans ces textes interprétatifs.

Les pays européens sur lesquels la mission d'information a enquêté connaissent également ces services de coopération commerciale, alors même que les fournisseurs n'établissent pas de conditions générales de vente. En Allemagne, ils sont appelés « WKZ », en Espagne ils figurent sur des documents appelés « mantillas » et en Grande-Bretagne ce sont des « retainers ». Dans chacun des cas les services correspondent aux services spécifiques facturés en France (voir notes sur la distribution dans ces pays, en annexe du rapport).

a) Légalité et contenu de la coopération commerciale

Comme nous l'ont rappelé de nombreux interlocuteurs, la grande distribution a toujours perçu une rémunération pour des services spécifiques qu'elle rendait aux fournisseurs. Ces services étaient de nature commerciale : centralisation des paiements et des commandes, unicité des acheteurs, gestion des stocks et mise en rayon. Souvent le commerce de gros assurait des prestations comparables et les fournisseurs ont rapidement inséré ces prestations dans leurs conditions générales de vente au titre des remises et ristournes pour services rendus. A ces services s'ajoutaient ce qu'on appelait naguère la « publicité sur les lieux de vente ».

· La circulaire Scrivener du 10 janvier 1978

Au nom de la lutte contre l'inflation, les pouvoirs publics ont soutenu cette politique commerciale se traduisant par la réduction des prix de cession. Pour la première fois, la circulaire Scrivener du 10 janvier 1978 relative aux relations commerciales entre entreprises a considéré qu'un fournisseur pouvait, sans commettre une discrimination injustifiée au regard de la loi (voir ci-après l'étude du principe de non-discrimination), rémunérer par une réduction supplémentaire de prix certains services que lui rendait son client distributeur :

« 5. Les services effectivement rendus par les clients qui se traduisent par un allégement des charges du fournisseur peuvent être rémunérés par une réduction supplémentaire de prix. L'octroi de ces remises doit être proportionné à l'importance des transferts réels de charges du fabricant au client. Elles doivent correspondre à la rémunération d'un certain nombre de services commerciaux, tels que risque commercial élevé, prises de commande, facturation, entreposage, livraison, services avant-vente, service après-vente, etc. [Nota : ce point 5 vise les services figurant dans les conditions générales de vente]

« A l'inverse le transfert d'une fonction commerciale du distributeur au fabricant pourrait justifier une discrimination au détriment du distributeur.

« 6. Une coopération commerciale plus étroite entre fournisseur et distributeur peut être concrétisée dans des accords contractuels : ces accords permettent aux producteurs de développer leur expansion et aux distributeurs de stimuler leur stratégie commerciale.

« Les pouvoirs publics estiment que ces contrats doivent traduire la volonté des partenaires d'y souscrire en toute liberté. Ils doivent être écrits. En tout état de cause l'incidence de tels accords ne peut affecter que marginalement la différenciation résultant des conditions générales de vente auxquelles s'appliquent les paragraphes 4 et 5 ci-dessus.

« 7. L'appréciation des services rendus au fournisseur ou à l'acheteur et du coût de la coopération commerciale n'est pas susceptible d'une traduction mathématique dans les prix aussi rigoureuse que celle des quantités vendues. Mais il ne peut s'agir sur ces deux points que de correctifs d'une incidence limitée. Ce serait notamment trahir l'esprit du texte que de vouloir donner à la notion de service ou de coopération commerciale une influence telle sur le tarif du fournisseur qu'elle paralyse, en fait, toute possibilité de concurrence entre circuits différents. »

La jurisprudence a complété la liste des services cités dans la circulaire ci-dessus en ajoutant notamment les participations publicitaires, les opérations promotionnelles, l'animation commerciale, le paiement comptant, l'échelonnement des commandes, la tenue d'un stock permanent, l'offre par le distributeur de services à la clientèle (supermarchés par opposition au maxidiscompte), etc. La circulaire Delors du 22 mai 1984 avait également cité « l'éclatement des livraisons vers les magasins de détail ».

Si les pouvoirs publics ont admis la légalité des remises de coopération commerciale, ils ont souhaité en limiter le champ d'application. Le paragraphe 7 reproduit ci-dessus reste très prudent sur la portée que doivent avoir les accords de coopération commerciale (« correctifs d'une incidence limitée »).

La circulaire Scrivener du 10 janvier 1978 soumettait à trois conditions l'octroi de telles réductions de prix :

1. les services devaient être « effectivement rendus par les clients » ;

2. ils devaient se traduire par « un allègement des charges du fournisseur » ;

3. ils devaient être rémunérés par une remise « proportionnée à l'importance des transferts réels de charges du fabricant au client ».

La circulaire Scrivener a en outre bien distingué les services qui relevaient des conditions générales de vente, visés au point 5, des services qui en raison de leur objet spécifique doivent être traduits dans des contrats séparés mais ne peuvent « affecter que marginalement la différenciation résultant des conditions générales de vente ».

En somme, si les services de coopération commerciale devaient entraîner une différenciation plus que marginale ou avoir une incidence importante sur la fixation du prix global de l'ensemble des transactions entre le fournisseur et le revendeur, ils devraient être incorporés dans des conditions générales de vente. La circulaire Scrivener laisse supposer qu'elles devaient être les conditions générales de vente du fournisseur, mais on peut concevoir que le client établisse des conditions générales de vente de services de coopération commerciale.

· La circulaire Delors du 22 mai 1984

Face à l'extension des services de coopération commerciale et dans la perspective de la libération complète des prix, M. Jacques Delors, ministre de l'économie, des finances et du budget, précisa, dans une circulaire du 22 mai 1984 relative à la transparence tarifaire dans les relations commerciales entre les entreprises, le champ d'intervention des contrats de coopération commerciale et les conditions de légalité des rémunérations accordées à ce titre par les fournisseurs :

« II.- Coopération commerciale.

« Le rôle directeur qui doit revenir aux conditions générales de vente dans les relations commerciales ne fait pas obstacle à ce que les clients proposent aux fournisseurs des services particuliers, ni à ce que les parties mènent ensemble des actions se traduisant pour chacune par des avantages équilibrés.

« La coopération commerciale est un accord contractuel conclu entre un fournisseur et un distributeur qui, dans le cadre de leur politique respective, décident de collaborer pour augmenter, à un moindre coût, leur efficacité commerciale.

« L'accord est conclu pour une période relativement longue - plusieurs mois - ce qui distingue la coopération commerciale des opérations promotionnelles, de courte durée, répétitives ou ponctuelles.

« 1° Un accord de coopération commerciale porte sur la fourniture par un distributeur à son fournisseur de services spécifiques ne relevant pas des obligations résultant des actes d'achat et de vente.

« Le caractère spécifique et qualitatif des services rendus par le distributeur ne permet pas que leur rémunération soit annoncée par celui-ci.

« Les accords de coopération commerciale ne doivent pas néanmoins entraîner des discriminations injustifiées. En particulier, les services rendus par le distributeur doivent être réels et bien identifiables et leur rémunération justifiée.

« 2° Pour garantir la réalité et l'identification des services et la non-discrimination, les engagements réciproques et personnalisés souscrits par les parties dans le cadre de la coopération commerciale doivent être consignés dans un contrat écrit communicable à l'Administration sur simple demande de sa part et comportant au minimum les rubriques suivantes :

« - définition claire et précise des services fournis ;

« - définition des modalités d'application, durée et conditions de renouvellement du contrat ;

« - pénalités en cas de non-exécution du fait de l'une ou l'autre des parties ;

« - conditions de financement et modalités de règlement.

« En tout état de cause, les avantages consentis dans le cadre de telles actions communes ne peuvent avoir qu'une portée restreinte par rapport à ceux accordés en application des conditions générales de vente afin qu'ils ne remettent pas en cause le principe de transparence tarifaire et ne créent pas des discriminations injustifiées. »

Cette circulaire reprenait donc les trois conditions posées par la circulaire Scrivener pour considérer comme légales les remises de coopération commerciale :

- « les services rendus par le distributeur doivent être réels » ;

ils doivent être « bien identifiables » ;

- « leur rémunération (doit être) justifiée » ;

ils ne doivent pas créer « des discriminations injustifiées » ;

les avantages financiers qui sont leur contrepartie doivent avoir « une portée restreinte » par rapport à ceux accordés en application des conditions générales de vente.

En outre, la circulaire Delors imposait l'établissement d'un contrat écrit de coopération commerciale, comportant notamment une définition précise des services et des pénalités en cas de non-exécution. Ce point était une nouveauté. Mais le dernier alinéa du paragraphe II reproduit ci-dessus restait prudent sur la portée des services de coopération commerciale puisqu'il maintenait l'exigence de « portée restreinte par rapport à ceux accordés en application des conditions générales de vente ».

· L'article 33, 5ème alinéa, de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986

L'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence a traduit dans la loi ces principes généraux afin de donner une base légale à la coopération commerciale. Son texte d'origine (article 33, 5ème alinéa) disposait que :

« Les conditions dans lesquelles un distributeur se fait rémunérer par ses fournisseurs, en contrepartie de services spécifiques, doivent être écrites. »

Ce dispositif a été modifié par l'article 18 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques afin, d'une part, de renforcer la transparence et la sûreté juridique des accords de coopération commerciale en substituant à la simple exigence d'un écrit l'obligation d'établir un contrat écrit en double exemplaire et, d'autre part, d'étendre le dispositif aux prestataires de services. La modification relative au contrat écrit reprend, en fait, la disposition de la circulaire Delors du 22 mai 1984. Désormais l'article 33, 5ème alinéa, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dispose que :

« Les conditions dans lesquelles un distributeur ou un prestataire de services se fait rémunérer par ses fournisseurs, en contrepartie de services spécifiques, doivent faire l'objet d'un contrat écrit en double exemplaire détenu par chacune des deux parties. »

Depuis la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, ces dispositions n'ont fait l'objet d'aucune modification, y compris lors de la discussion du projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales qui a pourtant fait l'objet, au printemps 1996, de deux lectures dans chaque assemblée mais au cours desquelles aucun amendement n'a été adopté, ni même déposé, sur ce dispositif.

Ce silence ou cette inaction peut aujourd'hui étonner mais il faut se rappeler qu'en 1996 le principal dysfonctionnement observé dans les relations entre fournisseurs et revendeurs et entre les distributeurs eux-mêmes tenait aux prix de revente en magasin (calcul du seuil de revente à perte, opérations promotionnelles totalement libres pour attirer la clientèle par des prix d'appel, prix abusivement bas). La loi dite loi Galland du 1er juillet 1996 a mis un terme à « la baguette à 1 F » et à la revente à perte en encadrant strictement le contenu des factures pour limiter l'incorporation dans celles-ci des remises et ristournes, en redéfinissant le seuil de revente à perte et en interdisant les prix de vente aux consommateurs des produits industriels inférieurs à leurs coûts de production et de transformation ainsi que les promotions sans stock. Cependant, en encadrant la marge avant des clients des fournisseurs, cette loi a reporté la négociation des remises et ristournes sur leur marge arrière, c'est-à-dire sur les opérations financières et commerciales placées hors du champ de la facture d'achat ou de vente des produits et des services.

En quelque sorte, la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 relative à la loyauté et l'équilibre des relations commerciales a atteint son but en mettant fin aux abus dénaturant la réalité économique des prix de revente aux consommateurs, mais au prix d'un déchaînement, au sens premier du terme, des forces de vente ou d'achat sur les marges arrières dont la réglementation n'avait pas été modifiée. Les lacunes du système économique ne sont donc pas nouvelles ; elles étaient seulement inexploitées par les acheteurs - et soulignons-le par de nombreux gros fournisseurs - avant 1997.

La mission d'information estime que cette situation résulte en premier lieu de l'inapplication des deux circulaires Scrivener du 10 janvier 1978 et Delors du 22 mai 1984. Les dysfonctionnements actuels sont le résultat du non-respect des règles posées par l'Etat et traduite au 5ème alinéa de l'article 33 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.

Il s'est agi d'une véritable dérive tacitement acceptée par les services du ministère de l'économie. Cette dérive a porté aussi bien sur le contenu (ou absence de contenu) de la coopération commerciale que sur le montant de la rémunération des services de coopération commerciale.

b) Le contrôle de l'application de l'article 33 de l'ordonnance

Depuis 1997, le contrôle de la coopération commerciale est une tâche permanente programmée par le directeur général de la concurrence (voir titre IV du rapport sur l'action de la DGCCRF). Les vérifications sont systématiquement effectuées lors des contrôles sur pièce et sur place des factures et de l'application des conditions générales de vente. En 1998, 738 actions de vérification ont été effectuées sur l'application de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (ces actions ont été conduites aussi bien chez les fournisseurs que chez les distributeurs) ; elles ont révélé un taux d'anomalie de 4 %. Au premier semestre 1999, 431 actions de vérification ont été menées ; elles se sont traduites par un taux d'anomalie de 3 %.

Ce faible taux d'infraction s'explique par le fait qu'il recense le nombre d'anomalies que les services de la DGCCRF ont pu démontrer. Or, il est extrêmement difficile pour les agents de l'administration d'entrer dans des relations commerciales entre deux partenaires qui veulent toujours les rendre les plus opaques possibles vis-à-vis de leurs concurrents. Les négociations commerciales sont par nature non transparentes et leurs termes ne sont jamais mutualisés, sauf dans le cas particulier des relations entre un distributeur et ses fabricants de marques propres où le distributeur demande le plus souvent à son fabricant de lui présenter ses livres de comptes. Il est donc difficile pour les fonctionnaires de la DGCCRF de démêler les fils de la coopération commerciale et de la discrimination tarifaire et des conditions de vente.

Ces anomalies donnent lieu à établissement d'un procès-verbal adressé au parquet. Le nombre de condamnations est faible : en 1998, sur 360 dossiers contentieux transmis au parquet, il y a eu 174 condamnations en première instance pour non-respect des articles 31 à 34 de l'ordonnance (111 au titre des facturations, 60 au titre de la revente à perte, 2 au titre de l'article 33 et 1 pour non-respect de l'interdiction des prix et marges minimums). Sur ces dispositions, la DGCCRF réalise environ 15 000 contrôles par an, et 20 000 sur l'ensemble des dispositions du titre IV.

Les condamnations pénales les plus fréquentes se traduisent par une amende de quelques dizaines de milliers de francs. Cependant, le 29 juin 1998, la Cour d'appel de Paris a condamné Intermarché à une amende de 300 000 F et son dirigeant à une amende 50 000 F en raison des termes trop généraux des facturations de vente de produits et surtout de coopération commerciale qui ne permettaient pas de prouver que les services qu'ils mentionnaient étaient des services spécifiques de coopération commerciale (prestations de « participation publicitaire ») et qu'ils avaient effectivement été rendus et bénéficié au fournisseur. Lidl a également été condamné à 250 000 F d'amende par le tribunal de grande instance de Strasbourg (jugement définitif). Les parties civiles obtiennent des dommages et intérêts significatifs à l'occasion des procédures portées devant le juge pénal : en 1998, en matière de facturation les organisations professionnelles ont obtenu 1 013 000 F.

c) La dérive du contenu de la coopération commerciale

Dans les faits et la pratique administrative, les services relevant naguère des conditions générales de vente (point 5 de la circulaire Scrivener reproduit ci-dessus) ont fini par être assimilés à des services spécifiques relevant de la coopération commerciale. Ils sont donc librement négociés, hors de toute exigence de transparence.

Aujourd'hui, le champ de la coopération commerciale se définit avant tout a contrario : on peut dire que sont considérés comme services spécifiques relevant de la coopération commerciale les services qui ne sont pas inhérents à la fonction de distribution, c'est-à-dire qui ne sont pas détachables ou concevables hors de cette fonction de distribution. Dès lors, l'administration et les tribunaux considèrent que tous les services visant à favoriser la vente de certains produits par rapport à d'autres similaires ou non relèvent de la coopération commerciale.

En revanche, les services constituant des modalités d'achat ne peuvent être accordés par des accords de coopération commerciale. De même, les avantages traduits par des rabais, remises ou ristournes dans les conditions générales de vente sont considérés comme placés hors du champ de la coopération commerciale.

La Cour de cassation a ainsi donné une interprétation large de la coopération commerciale en y incorporant toutes les obligations souscrites par un distributeur à l'exclusion de celles mises à sa charge par le code civil en exécution du contrat de vente qu'il a souscrit (Cour de cassation, chambre commerciale, 27 février 1990 : services allant « au-delà des simples obligations contractées ordinairement entre fournisseur et distributeur » et « des simples obligations résultant des achats et des ventes »). Mais cette doctrine n'était pas encore bien installée puisque le même arrêt avait conclu en écartant de la coopération commerciale l'obligation pour le distributeur de maintenir dans ses rayons un échantillonnage complet de la gamme des produits du fournisseur, ce qui relève aujourd'hui clairement d'une pratique de coopération commerciale.

Cette conception de la coopération commerciale conduit à faire des actions publicitaires ou de mise en valeur en magasin le principal canal de la coopération commerciale. Il est d'ailleurs fréquent que les fournisseurs appellent celle-ci la « participation publicitaire ». On peut citer :

- la présentation des produits en tête de gondole (9), la garantie d'emplacement dans un linéaire, la disposition spéciale des produits dans une allée, d'un panneau spécial attirant le regard des clients dans les allées ou sur les linéaires, etc.

- la mise en place d'un stand d'animation, des annonces sonores, l'installation d'affiches sur les aires de stationnement, etc.

- l'animation dans le magasin, la décoration spéciale pour attirer le chaland, etc.

- une campagne publicitaire, la présence du produit dans un catalogue ou un prospectus, etc.

Le versement de marges arrières prend également d'autres formes que la coopération commerciale stricto sensu, qui ne s'appuient pas sur la fourniture de services spécifiques par le distributeur.

On trouvera ci-joint l'exemple de la convention de ristourne établie par Leclerc et Intermarché.

graphique

d) La dérive des prix de la coopération commerciale

En 1990, le rapport de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sur les pratiques tarifaires entre les entreprises en France, établi en application de l'article 12 de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989 (publié au BOCCRF du 12 janvier 1991), indiquait que les services de coopération commerciale étaient rémunérés fréquemment par un taux moyen de remise de 2 % calculé sur le prix des produits achetés par le revendeur.

Lors de son déplacement en Allemagne, la mission d'information a constaté que ce taux était encore fréquemment appliqué pour les achats de produits alimentaires. Cependant, le rapport de 1990 soulignait déjà que la coopération commerciale était une source importante de discrimination abusive dans la mesure où très peu de contrats définissaient précisément le service rendu par le fournisseur.

L'Institut de liaisons et d'études des industries de consommations (ILEC) a évalué le double mouvement engagé depuis 1995 de rétrécissement de la marge avant et d'accroissement de la marge arrière. Voici ces résultats :

ÉVOLUTION DE LA MARGE COMMERCIALE BRUTE TOTALE (AVANT + ARRIÈRE)

Secteurs d'activités

1995

1997

1999

Epicerie

100

127

146

Produits frais / ultra frais / surgelés

100

104

106

Entretien / hygiène-beauté

100

120

134

Liquides

100

149

167

Autres secteurs (jouet, textile, etc.)

100

104

109

Source : ILEC

RÉPARTITION DE LA MARGE COMMERCIALE EN POURCENTAGE ENTRE MARGES AVANT ET ARRIÈRE

Secteurs d'activités

1995

1997

1999

Avant

Arrière

Avant

Arrière

Avant

Arrière

Epicerie

26

74

19

81

12

88

Produits frais / ultra frais / surgelés

50

50

46

58

34

66

Entretien/hygiène-beauté

- 6

106

18

82

14

86

Liquides

- 1

101

18

82

11

89

Autres secteurs (jouet, textile, etc.)

61

39

58

42

56

44

Source : ILEC

Lors de l'audition du 30 novembre 1999 de la commission (voir son compte rendu en fin de rapport), M. Luc Soupirot, exploitant agricole (production de légumes), nous a indiqué qu'il y a dix ans il versait 3 % de ristournes à Carrefour mais qu'aujourd'hui le taux est passé à 6,5 % auquel s'ajoutent une remise de référencement (de 1,5 %), des remises pour des promotions et des retours de produits, ce qui porte le total des remises hors factures à globalement sur une saison 10 %.

Une PME produisant des produits alimentaires du terroir a écrit à son député, M. Jérôme Cahuzac, député du Lot et Garonne : « Cette coopération commerciale, qui à l'origine était marginale, peut atteindre aujourd'hui 35  % du prix de vente du fournisseur. Ainsi, aujourd'hui, un produit vendu « à prix coûtant », sans marge par rapport au prix figurant sur la facture du fournisseur, laisse au distributeur une « marge arrière » de 35  % pour ses frais de distribution et son résultat ; elle va en s'amplifiant au fil des regroupements qui interviennent dans la distribution. Cette situation a pour conséquence l'application de prix de vente au consommateur anormalement élevés, pour tous les produits à marque par rapport aux produits à marque de distributeur, la coopération commerciale, obligatoirement prise en compte dans le tarif, n'étant pas répercutée dans le prix de vente au consommateur ».

Une grosse PME de biens d'équipement a vu passer les marges arrières qu'elle doit consentir à la grande distribution de 4 % à 6,5 % de son chiffre d'affaires en trois ans. Une autre PME réalisant 330 millions de chiffre d'affaires avec les grandes surfaces de vente reverse 22 % de ce chiffre d'affaires en coopération commerciale, contre 15 % il y a trois ans. Une opération promotionnelle ou une feuille publicitaire dans un catalogue est facturée de 300 000 à 600 000 F par une des plus grandes enseignes d'hypermarchés, ce qui peut porter le budget des « participations publicitaires » à deux ou trois millions de francs par an pour cette seule enseigne.

Selon, l'association nationale des industries agro-alimentaires, la grande distribution demande aujourd'hui jusqu'à 35 % de remises supplémentaires au titre de la coopération commerciale alors que les industriels étaient habitués à verser un taux de remise d'environ 5 %. Les sommes versées deviennent vite considérables pour les plus gros fournisseurs car la réussite du lancement d'un produit exige qu'il soit présent dans 40 % des points de vente d'un pays, soit au moins 600 hypermarchés en France. M. Thierry Jacquillat, directeur général de Pernod-Ricard, nous a indiqué que la coopération commerciale représentait entre 10 et 25 % du chiffre d'affaires des différentes sociétés du groupe.

L'évolution des prix de la filière laitière montre l'impact déflationniste de la coopération commerciale, sans que pour autant le consommateur en bénéficie au travers des prix de revente. De 1994 à 1997, les coopératives laitières, ce qui exclut Danone et Nestlé, ont perdu 0,4 à 0,6 point par an sur le prix de vente net-net-net (prix de vente ristournes incluses duquel sont déduites les remises de coopération commerciales) exprimé en francs courants du beurre et du lait de consommation et 0,8 à 1,2 point par an sur le prix net-net-net du fromage et des produits laitiers frais (les produits des coopératives laitières représentent 60 % des produits laitiers commercialisés en France). Le taux de marge de la filière coopérative est tombé à moins de 1 %, et la mission demande comment les transformateurs et producteurs pourront poursuivre leurs investissements dans la sécurité et la qualité. Pour les producteurs, le prix de vente courant a en revanche été stable sur cinq ans, mais il a baissé en 1999 (les prix en francs constants qu'ils ont touchés ont toutefois baissé), car un accord avec la distribution permet de reverser aux producteurs, par l'intermédiaire des transformateurs, une fraction du prix de revente ou une fraction de la marge perçue par la distribution lorsque les cours chutent. Mais la dégradation du prix net-net-net de la filière lait est entièrement imputable à la coopération commerciale : selon les indications fournies par la FNSEA, en 3 ans les remises de coopération commerciale se sont accrues de 10,29 % dans les produits laitiers alors que les prix de base n'ont augmenté que de 7,3 %. Le partage de la marge commerciale se fait depuis 1997 au détriment de la filière de la production laitière. Mais retenons également la conclusion de bon sens des représentants du CNJA : la coopération commerciale sur le lait de consommation n'a pas de sens car jamais elle ne permettra d'accroître la consommation ; elle est avant tout destructrice d'entreprises.

Toutes les études prouvent que les producteurs les plus puissants, comme les multinationales sont privilégiés par les distributeurs et que les produits qu'ils vendent sont mieux placés sur les linéaires.

3. L'application du principe de non-discrimination

La discrimination est inhérente au commerce : un acheteur ne peut répondre favorablement à toutes les offres équivalentes qui lui sont proposées et un vendeur sélectionne ses clients en fonction de sa politique commerciale ; un client cherche toujours à obtenir de meilleures conditions de vente que ses concurrents au motif que ses activités sont plus bénéfiques pour son fournisseur que celles de ces derniers. Il est donc naturel qu'un acteur économique traite différemment ses partenaires. Cependant, cette discrimination commerciale est fondée sur des faits économiques objectifs ; la discrimination ne saurait être une fin en soi, notamment elle ne doit pas être un moyen de pénaliser ou d'affaiblir le partenaire sur le marché.

L'article 85 du traité de Rome donne une définition claire de la discrimination abusive en matière commerciale : elle consiste à « appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ».

Le droit de la concurrence français s'appuie sur la définition figurant dans le traité de Rome. L'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence reprend une terminologie comparable pour définir le régime de responsabilité des entreprises en matière de relations commerciales professionnelles et ses article 7 et 8 interdisant les pratiques anticoncurrentielles portant atteinte au jeu de la concurrence sur le marché s'appuient sur la même interprétation de la notion de discrimination abusive.

La difficulté d'appréciation du caractère abusif de conditions de vente données tient en ce que le choix d'un client ou d'un fournisseur se fait à partir d'une multitude de critères qu'il est vain de formaliser exhaustivement. Ainsi, une direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a répondu à un chef d'entreprise que « concernant la facturation des insertions dans les catalogues publicitaires X (enseigne), il est difficile de caractériser une pratique discriminatoire en comparant votre contribution au coût de revient d'une page publicitaire. En effet, la contrepartie du prix réclamé a été réelle (les annonces ont bien été effectuées dans les catalogues) et le prix de cette prestation a été librement fixé par l'annonceur et négocié par les parties. »

a) La définition du principe de non-discrimination

Le fonctionnement correct d'une économie de marché postule que les opérateurs doivent être traités de manière indifférente par les offres et les demandes, c'est-à-dire être en position d'égalité au regard du contenu de ces offres et demandes, pour atteindre un optimum économique. Ce principe d'égalité n'est pas un principe d'identité mais un principe de non-discrimination exigeant que les opérateurs placés dans une même situation de droit et de fait doivent être traités de la même manière.

Le principe de non-discrimination dans les relations commerciales entre les entreprises a longtemps été absent des textes de loi ; il a fini par être introduit dans l'ordonnancement législatif par le décret n° 58-545 du 24 juin 1958 (pris sur habilitation législative), qui a complété la rédaction de l'alinéa a du point 1 de l'article 37 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 sur les prix par les dispositions suivantes (en italique) :

« Art. 37.- Est assimilé à la pratique des prix illicites le fait :

« 1° par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :

« a) de (...) ainsi que de pratiquer habituellement des conditions discriminatoires de vente ou des majorations discriminatoires de prix qui ne sont pas justifiées par des augmentations correspondantes du prix de revient de la fourniture ou du service ».

L'objectif du gouvernement du Général de Gaulle était de protéger la nouvelle forme de vente en supermarché, notamment les centres Leclerc, des pratiques discriminatoires des industriels, des producteurs et des grossistes visant à empêcher ces magasins de s'approvisionner dans des conditions identiques aux autres commerces, notamment en leur imposant des prix majorés sans justification économique autre que la volonté de les empêcher de pratiquer des prix bas.

La croissance de la puissance d'achat des enseignes de grande distribution ayant inversé le rapport de force entre les opérateurs, il est apparu indispensable de rendre cette législation réversible, c'est-à-dire applicable aussi bien aux fournisseurs qu'aux distributeurs. Cette réforme a été réalisé par l'article 37 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat, dont le dispositif voté en 1973 était le suivant :

« Art. 37.- Il est interdit à tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :

« 1° de pratiquer des prix ou des conditions de vente discriminatoires qui ne sont pas justifiés par des différences correspondantes du prix de revient de la fourniture ou du service ;

« 2° de faire directement ou indirectement, à tout revendeur, en fraude des dispositions du 1° ci-dessus, des dons en marchandises ou en espèces ou des prestations gratuites de services.

« Tout producteur est tenu de communiquer à tout revendeur qui en fera la demande son barème de prix et ses conditions de vente. »

La loi n° 85-1408 du 30 décembre 1985 portant amélioration de la concurrence a codifié au sein de l'article 37 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix ces dispositions, en en simplifiant la rédaction :

« Art. 37.- est assimilé à la pratique des prix illicites le fait :

« 1° Par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :

« (...)

« g) De pratiquer à l'égard d'un partenaire économique, de lui demander ou d'obtenir de lui des prix ou des conditions de vente discriminatoires ou encore des dons en marchandises ou en espèces dans des conditions de nature à porter atteinte à la concurrence. Lorsque ces avantages sont obtenus d'un partenaire en situation de dépendance, les peines applicables sont celles prévues à l'article 41 de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945 [4 mois à 4 ans d'emprisonnement et 120 F à 400 000 F d'amende]. »

L'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence a retiré le caractère de délit à la discrimination commerciale illicite. Son article 36 dispose :

« Art. 36.- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :

« 1. De pratiquer, à l'égard d'un partenaire économique, ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ; ».

Ces dispositions n'ont pas été modifiées depuis la publication de l'ordonnance.

Le principe de non-discrimination figure également à l'article 8 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. Il permet de caractériser l'existence d'un abus de position dominante ou de dépendance économique : « ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. »

Cette disposition signifie que toute mesure discriminatoire commise par une entreprise en position dominante ou commise à l'égard d'un partenaire en situation de dépendance économique constitue une infraction. L'ordonnance n'impose pas explicitement que la pratique, pour être discriminatoire, se traduise par un avantage ou un désavantage dans la concurrence, mais le Conseil de la concurrence ou tout tribunal saisi d'une plainte sur le fondement de l'article 8 de l'ordonnance ne peut prononcer une sanction que si la pratique a « pour objet ou (peut) avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ».

b) L'application du principe se fait difficilement

Les condamnations pour pratiques discriminatoires commises par des entreprises en position dominante sont multiples. Il en est de même dans tous les pays.

Le Conseil de la Concurrence a également sanctionné les pratiques discriminatoires mises en _uvre dans le cadre d'ententes dès lors qu'elles avaient les effets indiqués. Ainsi la Cour de cassation a considéré illégales au sens de l'article 7 des remises prévues dans des conditions générales de vente d'entreprises signataires d'un accord de distribution car constitutives d'ententes restrictives de concurrence (Cour de cassation, chambre commerciale, 12 octobre 1993, affaire n° 91-16.988).

L'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 a dépénalisé l'interdiction des pratiques discriminatoires. Celles-ci sont interdites par la loi, mais leur mise en _uvre n'entraîne qu'une obligation de réparer : le contentieux est donc civil ou commercial, sous réserve d'une sanction infligée pour infraction à l'article 8 (sanction pécuniaire pouvant être prononcée par le Conseil de la concurrence et atteindre 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France ; peine de six mois à quatre ans d'emprisonnement ou 5 000 à 500 000 F d'amende pouvant être prononcée par le juge pénal). On se reportera à la dernière partie du rapport pour l'étude du contentieux.

La coopération commerciale est devenue le domaine d'excellence de la discrimination commerciale, mais les deux concepts sont fondamentalement différents. En effet, contrairement à un accord de coopération commerciale, une discrimination commerciale peut être légale alors même qu'elle n'est pas accompagnée d'une contrepartie réelle pour le partenaire, dès lors qu'elle ne crée pas un avantage ou un désavantage dans la concurrence et que dans les conditions générales de vente elle est transparente et offerte à tous les clients potentiels. Ainsi, par le biais d'une discrimination commerciale, un déséquilibre du marché peut être corrigé sans que, par exemple, le revendeur accorde une contrepartie réelle mais également sans qu'il n'acquière un avantage dans la concurrence. Seul l'effet négatif sur le jeu concurrentiel existant sur le marché en cause peut conduire à qualifier une pratique d'abusivement discriminatoire. En cela, le dispositif de l'article 36 se rapproche beaucoup des dispositifs des articles 7 et 8 de la même ordonnance interdisant les ententes anticoncurrentielles et les abus de position dominante ou de dépendance économique. La mission reconnaît que cette analyse est bien théorique, mais elle explique la rédaction de l'article 36 et le fait que les services de la concurrence renoncent à introduire certaines actions devant les tribunaux.

Cette conception de la discrimination permet de justifier des pratiques discriminatoires nées du fait qu'un concurrent a, sur le même marché, mis en _uvre de telles pratiques. Cette exception d'alignement sur les conditions plus favorables accordées par un concurrent a explicitement été prévue par le législateur : le rapporteur, M. Robert Malgras, l'explique dans son rapport de nouvelle lecture (n° 3110, p. 8), « cette définition, inspirée de l'avis de la commission de la concurrence sur les centrales d'achat, permettrait d'autoriser des discriminations justifiées comme les exceptions d'alignement » ; de même lors du vote du projet de loi (JO.débats AN, 6 décembre 1985, p. 5447) le rapporteur déclara : « le critère (...) sera désormais l'atteinte à la concurrence, indépendamment de la notion de dépendance. L'exception sera autorisée dans la mesure où elle traduit le renforcement de la concurrence sur un marché ». Cette rédaction issue de la loi n° 85-1408 du 30 décembre 1985 portant amélioration de la concurrence, qui a été reprise par l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a renversé la jurisprudence de la Cour de cassation qui, sur le fondement de l'article 37 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, avait condamnée, dans un arrêt du 22 juin 1981 de sa chambre criminelle(D. 1990.521), cette exception d'alignement.

Le rédaction de la loi conduit par ailleurs la victime d'une pratique discriminatoire à en apporter la preuve aussi bien quant à son existence et sa nature qu'à son étendue. Cependant, pour obtenir réparation, la victime n'a pas à montrer que des pressions anormales ont été exercées sur elle pour obtenir les conditions de vente discriminatoires en cause (par exemple, Cour de cassation , chambre commerciale, 27 janvier 1998, affaire n° 96-12.205).

4. L'abus de dépendance économique

Article 8 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986

Est prohibée, dans les mêmes conditions, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises :

1. D'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ;

2. De l'état de dépendance économique dans lequel se trouve, à son égard, une entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solution équivalente.

Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.

Article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986

Art. 36.- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :

(...)

(Loi n° 96-588 du 1er juillet 1996, art. 14).- « 3. D'obtenir ou de tenter d'obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné et, le cas échéant, d'un service demandé par le fournisseur et ayant fait l'objet d'un accord écrit ; »

a) Le droit en vigueur

L'interdiction de l'exploitation abusive d'un état de dépendance économique vise à poser des limites à la domination d'un acteur économique sur son partenaire dans leurs relations bilatérales. Avant 1985, cette pratique anticoncurrentielle n'était pas appréhendée par le droit de la concurrence français. Elle figurait pourtant dans le droit allemand depuis 1957 (article 26 de la loi fédérale du 27 juillet 1957 relative aux restrictions de concurrence ; ses dispositions figurent aujourd'hui à l'article 20 de cette loi, notamment son alinéa 4, depuis sa modification par le 6ème amendement entré en vigueur le 1er janvier 1999) :

« Article 20.- Interdiction des pratiques discriminatoires et des entraves déloyales -(1) Il est interdit aux entreprises qui occupent une position dominante sur le marché, aux associations d'entreprises au sens des articles 2 à 8, 28, alinéa 1, des articles 29, 30, alinéa 1, et 31 et aux entreprises qui pratiquent des prix imposés aux termes des articles 15, 28, alinéa 2, 29, alinéa 2, et 30, alinéa 1, d'empêcher, directement ou indirectement et de manière inéquitable, une autre entreprise d'accéder à un marché normalement accessible à des entreprises similaires ou de lui infliger, de façon directe ou indirecte, un traitement discriminatoire injustifié par rapport à ces entreprises similaires.

« (2) L'alinéa 1 est également applicable aux entreprises et associations d'entreprises dont dépendent des petites et moyennes entreprises qui fournissent ou achètent un certain type de marchandises ou de services commerciaux dans la mesure où il n'existe pas pour elles de possibilités suffisantes ou réelles de s'adresser à d'autres entreprises. Au sens de la première phrase, le fournisseur d'un certain type de marchandises ou de services commerciaux est présumé dépendre d'un acheteur, lorsque ce dernier, outre les réductions de prix ou autres remises en usage dans le commerce, bénéficie régulièrement de faveurs spéciales qui ne sont pas consenties à des acheteurs analogues.

« (3) Il est interdit aux entreprises qui occupent une position dominante et aux associations d'entreprises telles que définies à l'alinéa 1 de profiter de leur situation sur le marché pour obliger d'autres entreprises exerçant des activités commerciales à leur accorder des conditions préférentielles injustifiées par les faits. La première phrase s'applique également aux entreprises et associations d'entreprises au sens de l'alinéa 2, première phrase, dans leurs rapports avec les entreprises qui dépendent d'elles.

« (4) Les entreprises qui sont en position de force sur le marché vis-à-vis de petits et moyens concurrents ne doivent pas exploiter cette position afin d'entraver, directement ou indirectement et de manière inéquitable, les activités de ces concurrents. Il y a pratique anticoncurrentielle au sens de la première phrase, notamment si une entreprise qui offre des marchandises ou des services commerciaux pratique des ventes à perte systématiques, à moins que cela ne soit justifié par les faits.

« (5) Si, à la lumière de l'expérience générale, certains faits donnent à penser qu'une entreprise a exploité sa position de force sur le marché au sens de l'alinéa 4, il incombe à cette entreprise de réfuter cette impression et de clarifier ce qui, dans son secteur d'activité, a pu créer une telle impression, dans la mesure où le concurrent concerné ou une association au sens de l'article 33 ne peut le faire et où elle-même, en revanche, a toute facilité pour le faire et peut se le voir demander.

« (6) Les associations économiques et professionnelles ainsi que les associations formées en vue de défendre les labels de qualité ne peuvent refuser l'admission d'une entreprise dès lors que ce refus constitue un traitement discriminatoire injustifié susceptible de placer injustement cette entreprise dans une position concurrentielle défavorable sur le marché. »

Sur la proposition formulée dès 1985 de la Commission de la concurrence, le Gouvernement a introduit cette infraction dans l'article 8 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.

Une première amorce de l'interdiction de l'abus de dépendance économique avait toutefois été posée par l'article 1er de la loi n° 85-1408 du 30 décembre 1985 portant amélioration de la concurrence, qui avait modifié l'article 37 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix. Cet article interdisait les pratiques discriminatoires et précisait que « lorsque ces avantages [discriminatoires] sont obtenus d'un partenaire en situation de dépendance, les peines applicables sont celles prévues à l'article 41 de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945 [4 mois à 4 ans d'emprisonnement et 120 F à 400 000 F d'amende] ».

Du fait que l'interdiction est aujourd'hui insérée dans le titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence est amené à statuer sur son respect, même si tout tribunal est habilité à faire application du dispositif (mais sans pouvoir disposer des prérogatives attribuées au Conseil de la concurrence ou infliger les sanctions prévues par l'article 13 de l'ordonnance).

La jurisprudence du Conseil de la concurrence, de la Cour d'appel de Paris et de la Cour de cassation est aujourd'hui bien établie. On peut se reporter à l'avis n° 97-A-04 du Conseil de la concurrence du 21 janvier 1997 sur diverses questions portant sur la concentration de la distribution, reproduit en annexe du présent rapport, pour l'analyse des critères d'appréciation de la situation de dépendance économique : sont primordiales l'importance de la part du fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur, la notoriété de la marque du fournisseur, l'importance de la part de marché du fournisseur, l'impossibilité pour la victime de trouver des produits ou des débouchés équivalents.

b) Les déficiences du droit français

Le dispositif du point 2 de l'article 8 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 peut s'appliquer en plusieurs hypothèses : la dépendance d'un commerçant vis-à-vis des fournisseurs disposant d'un produit incontournable sur le marché ; la dépendance d'un fournisseur vis-à-vis d'un acheteur réalisant une part importante de son chiffre d'affaires ; la situation de certains sous-traitants à l'égard de donneurs d'ordre ; la dépendance d'entreprises vis-à-vis de conglomérats leur fournissant des matières premières et qui cessent l'approvisionnement en cas de pénurie afin de privilégier l'approvisionnement des sociétés de leur groupe (situation essentiellement tirée du cas allemand).

Cependant, la situation du fournisseur vis-à-vis du distributeur est au c_ur du dispositif français. Le ministre de l'économie et des finances avait, en 1985, expliqué au rapporteur du Sénat l'intérêt d'une législation sur l'abus de dépendance économique en citant le cas « du producteur qui réalise auprès d'une centrale d'achat une part importante de son chiffre d'affaires, à laquelle il ne peut renoncer sans mettre en péril son activité, et qu'il ne peut reconstituer rapidement auprès d'autres clients » (rapport n° 54 de M. Jean Colin, du 30 octobre 1985, p. 24). Cette circonstance et cet objectif conservent encore, et si ce n'est plus, toute leur pertinence.

Une première difficulté à laquelle sont confrontées des entreprises victimes d'un abus de dépendance économique tient à la nécessité pour ces dernières de fournir la preuve de leur état de dépendance économique. Cette règle résulte d'un principe général de procédure et a été explicitement rappelée par les arrêts de la Cour de cassation.

Il nous semble, en fait, pour faciliter l'aboutissement des recours de ces entreprises, particulièrement délicat de définir dans la loi une présomption de dépendance économique en raison de la variété des cas de figures susceptibles de donner lieu à application du point 2 de l'article 8 de l'ordonnance.

A la lecture des décisions de jurisprudence, le critère tenant à l'absence de solution équivalente pour la victime semble être une condition difficile à démontrer.

Mais la condition d'application du dispositif la plus difficile à mettre en évidence, au point d'être rédhibitoire, tient à la nécessité d'une atteinte au jeu de la concurrence sur le marché concerné par la pratique abusive mise en _uvre. Cette exigence résulte du renvoi du premier alinéa de l'article 8 aux conditions figurant à l'article 7 de l'ordonnance : la pratique doit avoir « pour objet ou (peut) avoir pour effet d'empêcher, de retreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ».

Or, jamais une PME-PMI subissant des pratiques restrictives de concurrence par exploitation abusive de son état de dépendance économique ne sera susceptible d'affecter le jeu de la concurrence sur le marché sur lequel elle opère, même si les pratiques conduisent à la cessation de son activité. Dans le secteur des biens de grande consommation, une PME-PMI réalisant 100 millions de francs de chiffre d'affaires n'affecte pas par son activité, ou la cessation de son activité, le marché : quelles que soient les remises de référencement ou de coopération commerciale, quels que soient les produits qu'elle fabrique, quels que soient les types ou la consistance des abus subis, quels que soient les segments de marché, ces pratiques ne perturberont pas le jeu de la concurrence.

Dès lors, dans les relations entre fournisseurs et revendeurs où règnent des rapport de force permanents, des milliers d'entreprises vivent dans un état de dépendance économique, lorsque des abus surviennent, ils ne peuvent pas être sanctionnés par le Conseil de la concurrence. Or le conseil a clairement identifié, dans ses multiples décisions, certaines pratiques constitutives d'abus de dépendance économique : l'exigence de remises ou de dédommagements rétroactifs, l'exigence de fournitures gratuites sans contrepartie, la présentation de demandes excessives pour rompre des relations commerciales, l'exigence d'une corbeille de mariée lors d'une fusion d'enseignes ou d'une concentration d'acheteurs lorsque cette demande ne s'accompagne pas de l'offre par le distributeur de contreparties précisément définies ou de services de promotion des ventes, l'exigence de réduire des remises accordées à des concurrents. Des exemples de ces pratiques ont également été apportés à la mission.

Le législateur a, par la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 relative à la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, tenté de combler certaines lacunes observées en complétant l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 par la définition de certaines pratiques illicites caractéristiques d'une exploitation abusive d'un état de dépendance économique : il s'agit du référencement sans contrepartie (point 3 de l'article), de la menace de rupture des relations commerciales dans le but d'obtenir des conditions manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente (point 4), de la rupture de ces relations sans préavis écrit (point 5) (10). Mais ces pratiques restrictives de concurrence n'engagent que la responsabilité civile et commerciale de ceux qui les commettent, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent être condamnés qu'à réparer. Or, si la PME victime a disparu à cause de ces pratiques, il est vain, pour le marché, d'obtenir des réparations après des années de procédure. A titre d'illustration de l'impossibilité de sanctionner, on peut se reporter notamment à la décision n° 93-D-21 du 8 juin 1993 du Conseil de la concurrence relative à la demande de corbeille de la mariée du groupe Cora, qui a constaté l'existence d'abus mais a conclu à l'absence d'atteinte au jeu de la concurrence sur le marché.

Par souci de rendre effective la loi et les intentions du législateur de 1985, la mission demande donc que la sanction de l'abus de dépendance économique soit déconnectée de l'exigence d'une atteinte au jeu de la concurrence sur le marché. Cette réforme passe par la réécriture du point 2 de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Cette proposition est étudiée en détail dans le chapitre sur le Conseil de la concurrence de la dernière partie du présent rapport en raison de ses conséquences sur l'activité du conseil et parce que cette réforme nécessite une réflexion bien plus profonde sur l'application de la loi par cette autorité administrative indépendante et l'administration.

On peut, en outre, étudier la possibilité de compléter l'article 36 de l'ordonnance en inscrivant explicitement l'obligation de réparer toute exploitation abusive d'un état de dépendance économique. Mais nous attirons l'attention sur le risque de double emploi de cette disposition générale, constituant une solution simpliste, avec les points 3, 4 et 5 de l'article 36.

Par ailleurs, il est indispensable d'avoir à l'esprit l'objection formulée par M. Michel-Edouard Leclerc à une législation trop restrictive sur l'état de dépendance économique : au lieu d'apporter un soutien aux PME-PMI, elle risque de les pénaliser car les distributeurs, pour se prémunir de toute poursuite et condamnation, veilleront à ne pas leur attribuer des parts de marché trop substantielles, exigeront qu'elles se diversifient et trouvent plusieurs clients pour être référencées et refuseront d'accroître les commandes une fois qu'un certain chiffre d'affaires réalisé avec elles sera atteint.

Conscient de ces déviations, la mission estime que si une telle stratégie commerciale est mise en place, les courants d'affaires provenant de la distribution seront pour chaque PME peut-être réduits mais ils seront plus nombreux car la demande des grandes surfaces de vente devra être satisfaite notamment en produits sous marque de distributeur. Or comme on l'a vu, il est impératif pour les enseignes que ces produits aient une image de qualité et de terroir ; il est donc peu vraisemblable que la grande distribution fasse appel à des PME étrangères pour remplacer des PME françaises.

c) La place croissante des marques de distributeur

Nous sommes convaincus que les enseignes de grande distribution se différencieront de plus en plus sur le critère de la complémentarité des offres de services aux consommateurs et sur la qualité des produits et des services. Chaque enseigne a mis au point une marque de distributeur reposant sur une image de qualité forte.

Carrefour a été la première enseigne à offrir des produits sous marque propre. C'était en 1976 les « produits libres » dont la publicité vantait qu'ils étaient aussi bons et moins chers que les grandes marques. Les industriels virent immédiatement en eux une menace mortelle directe et les concurrents de Carrefour déréférencèrent les industriels fabriquant ces produits. Toutes les enseignes finirent pourtant par faire fabriquer des marques propres.

Les parts de marché des marques de distributeur (en valeur), hors produits des magasins de maxidiscompte, ont évolué comme suit en France selon les estimations d'ACNielsen :

1991 : 15,7 %

1992 : 17,2 % 1996 : 17,2 %

1993 :19,0 % 1997 : 18,0 %

1994 : 17,1 % 1998 : 19,4 %

1995 : 17,4 % 1999 (estimations) : 20,0 %

d) Les avantages et les inconvénients du système des marques de distributeur

Comme l'a souligné M. Daniel Bernard, président de Carrefour, lors de l'audition du 30 novembre 1999, le produit sous marque de distributeur bénéficie de l'image de l'enseigne et de sa force de vente et l'enseigne engage sa réputation et se bâtit une image de qualité sur ces produits. C'est pourquoi les produits du terroir sont très recherchés. Or, ce sont les PME-PMI qui sont en général en mesure de fournir ces produits du terroir.

Un responsable de l'agro-alimentaire a résumé ainsi le paradoxe de l'essor des marques de distributeur : « Les dés sont pipés. Vous avez affaire à des clients qui sont vos concurrents. Les marques de distributeur plastronnent au milieu du linéaire. »

L'intérêt des produits fabriqués sous marque de distributeur est évident puisque le distributeur achète souvent un produit au coût le plus bas, mais en assurant au producteur des volumes importants de vente. Les avis des producteurs divergent sur l'intérêt des marques de distributeur, les uns ayant signé des conventions de partenariat avec de grandes enseignes, les autres récusant cette position de vassal, en position de sous-traitance totale et de dépendance économique, où le prix, les investissements, la viabilité de l'entreprise dépendent totalement des commandes du distributeur.

Lors de l'audition du 30 novembre 1999 de la commission, M. Daniel Bernard, président directeur général de Carrefour, a expliqué que ses enseignes faisaient travailler les PME grâce aux marques de distributeur, que les PME représentaient 40 % de leurs références alimentaires, dont 17 % sous leurs marques propres, et a cité en exemple Cantalou, fabricant de chocolat qui, il y a dix ans, n'était rien et aujourd'hui est une grande entreprise. De même, selon lui, les petits brasseurs survivent grâce aux distributeurs et non grâce aux grandes marques industrielles. La grande distribution continue à acheter en France 35 % du textile qu'elle vend et elle absorbe entre 20 et 40 % des productions agricoles françaises.

ITM Entreprises (Intermarché) a poussé plus loin la logique d'intégration du stade de production, par volonté d'avoir une indépendance d'approvisionnement par rapport aux multinationales de l'agro-alimentaire. C'est ainsi que le groupe est entré dans le capital de plusieurs sociétés de production. Par exemple, ITM Entreprises travaille principalement avec Fichaux Industries pour le café. Dans plusieurs filières, Intermarché contrôle la production, la logistique, l'approvisionnement et la distribution. L'autonomie est assurée et la filière complète est maîtrisée.

Par les marques de distributeur, les grandes enseignes contrôlent maintenant le produit de l'exploitation à l'usine et aux rayons de magasins. Et, la mission a observé un déséquilibre de plus en plus grand dans l'offre sur les linéaires : le produit sous marque de distributeur occupe des places de choix alors que « il faut nous chercher à quatre pattes dans la cave » se plaint un industriel indépendant auditionné. « Aujourd'hui, le linéaire est un média. »

L'argument selon lequel grâce à la grande distribution de nombreux emplois sont conservés en France est cependant exact. Des expériences ont été menées par certaines enseignes pour réaliser un réapprovisionnement automatique : à chaque vente d'un produit à la caisse, une commande est adressée automatiquement à l'entrepôt. Ces expériences sont intéressantes car il est bien sûr totalement inconcevable de mettre au point un tel système avec des usines délocalisées à l'Ile Maurice ou au Bangladesh.

La grande distribution exporte des produits français fabriqués par des PME françaises à l'étranger. La marque « eau des montagnes d'Auvergne » est le premier article français vendu à Taiwan. Les « Galettes de Pont-Aven » se vendent au Brésil. Certaines enseignes aident, affirment-elles, les entreprises françaises à s'implanter à l'étranger, ce que confirment plusieurs industriels pour les cas de l'Amérique du Sud.

De plus, les grandes enseignes affirment qu'en dehors des référencements nationaux tout responsable régional ou gestionnaire d'un magasin a la possibilité de promouvoir des produits régionaux. Les chiffres qui correspondent à des productions régionales (hors fruits et légumes) sont cependant marginaux : ils sont inférieurs à 1 % des ventes.

La mission s'inquiète des évolutions actuelles des marques de distributeur. Lorsqu'un producteur devient totalement dépendant du distributeur, il est très fragile car s'il ne produit plus que des marques de distributeur, il n'a plus de clientèle propre. En cas de déréférencement, de changement de stratégie du distributeur, c'est la mort assurée. Cela pourrait malheureusement arriver pour un grand nombre de PME qui maillent le territoire national.

Les marque de distributeur ont d'autres inconvénients.

Les marges bénéficiaires sont assurées pour le distributeur du fait de la conjugaison des marges arrières sur les produits sous marque industrielle et des marges substantielles qu'il réalise avec ses marques propres. Plus les marges arrières augmentent, plus le prix du produit vendu au consommateur est élevé car l'industriel tente de compenser les reversements de marges arrières par un barème de prix plus élevé. Beaucoup de personnes auditionnées ont assuré à la mission que sans ces marges arrières, les prix auraient baissé, alors que les gains de productivité et de compétitivité n'ont servi qu'à financer la fausse coopération commerciale.

Cela a pour conséquence de favoriser les marques de distributeur et d'accroître, pour le seul distributeur, les marges bénéficiaires brutes qui peuvent être de 30 % ou 40 % sur ces produits. Les négociations se font sur la base de l'analyse de valeur en prix net, par la pratique d'appels d'offres annuels et la connaissance parfaite des bilans des entreprises partenaires. La diminution des tarifs payés au producteur est issue d'une véritable étude de comptabilité analytique.

Cela, d'autant plus, que les cahiers des charges prescrits aux entreprises sont très contraignants et leur font endosser la totalité des risques. Un interlocuteur désigne cette situation par l'aphorisme « à la production les risques, à la distribution les bénéfices ».

Le distributeur exige d'accroître la qualité, car les consommateurs sont souvent déçus par les produits génériques ou basiques. Ils réclament par exemple des matières premières et ingrédients où sont absents les organismes génétiquement modifiés, ou encore le remplacement des matières grasses animales - suspectes de contenir de la dioxine - par des matières grasses végétales plus chères, sans payer cette « assurance qualité ».

Des contraintes supplémentaires ont été imposées aux producteurs de marques de distributeur pendant la crise de la dioxine. De nombreuses enseignes ont refusé d'accepter des produits de biscuiterie si le fournisseur n'assurait pas qu'ils étaient totalement dépourvus de dioxine alors que les réglementations européennes étaient totalement floues et les analyses des différentes sortes de dioxine impossibles à réaliser. Dans ce cas, le producteur devait prendre tous les risques.

Mais, le plus grave semble que sur les marques de distributeur, tous les efforts de labellisation sont réduits à néant. Les grandes enseignes vendent leurs marques propres et de l'avis de la mission, il est urgent de bien préciser que tout signe de qualité doit rester la propriété du producteur qui doit en avoir la totale responsabilité et non revenir à la distribution. L'exemple d'enseignes qui utilisent sous leurs propres marques le label rouge pour des poulets a été cité (voir les développements sur la filière agricole en conclusion).

Certains producteurs montrent même, photographies à l'appui, que certaines enseignes font de la contrefaçon, plagient les innovations, même brevetées, en faisant fabriquer des produits identiques par des fournisseurs, en Asie par exemple (au besoin en lui faisant comprendre que le propriétaire du brevet va être déréférencé).

Il nous apparaît donc que la réglementation sur la séparation entre producteur et distributeur devrait être précisée. Aux Etats-Unis, un distributeur ou un prestataire de services n'a pas le droit d'être un fabricant ; AT&T a été démantelé pour ces motifs dans les années 1980. La mission est particulièrement attentive à ce que l'étiquetage indique dans le cas des marques de distributeur, l'entreprise qui a fabriqué le produit, le groupe auquel elle appartient et que les signes de qualité ou d'origine restent associés au producteur.

Enfin, pour les marques de distributeur, les contrats et les cahiers des charges doivent préciser les responsabilités de chacun des acteurs de la filière dans l'exigence de qualité et de sécurité alimentaire.

C.- LE RÉFÉRENCEMENT

Dans un arrêt du 5 juillet 1994, la chambre commerciale de la Cour de cassation a élevé au rang de « liberté fondamentale » la faculté pour un commerçant ou un industriel de choisir ses fournisseurs. De son côté, la Commission de la concurrence (transformée en Conseil en 1987) a, dans un avis du 14 mars 1985 sur la situation des centrales d'achat et de leurs regroupements, considéré que la liberté ainsi donnée aux acheteurs était « un des ressorts majeurs de la concurrence et le principal moyen par lequel le commerce stimule chez les producteurs l'accroissement de la productivité, l'amélioration de la qualité des produits et des services ainsi que l'abaissement des prix ».

Cette position rend caduques les dispositions de la circulaire Scrivener du 10 janvier 1978 relative aux relations commerciales entre entreprises qui, dans son interprétation de l'article 38 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat (article portant interdiction de pratiques discriminatoires), considérait comme condamnables les pratiques consistant à obtenir ou chercher à obtenir des fournisseurs « des prestations telles que droit d'entrée, primes de démarrage au titre des premières commandes, primes de référencement, cadeaux à l'occasion d'anniversaires, (...) ».

La jurisprudence considère donc la pratique du référencement comme licite en elle-même. Le Conseil de la concurrence a refusé d'y voir une pratique restrictive anticoncurrentielle (décision du 13 décembre 1994 sur les pratiques relevées dans le secteur des lessives). Cependant le référencement ne doit pas être pratiqué de manière discriminatoire ou donner lieu à des pressions anticoncurrentielles constitutives d'abus de position dominante ou de dépendance économique. En 1996, en raison des dérives constatées, le législateur a éprouvé le besoin d'encadrer cette pratique ainsi que le déréférencement.

Comme l'ont fait valoir nos interlocuteurs de la grande distribution, les industriels n'ont plus aujourd'hui d'équipes de vente pour aller négocier avec chaque point de vente. Le système du référencement permet de négocier les ventes à plusieurs centaines de points de vente en un seul rendez-vous, ce qui représente une économie réelle qu'il est justifié de faire payer. Nous pouvons accepter ce raisonnement dès lors que le versement de cette rémunération s'accompagne effectivement d'engagements de commandes fermes et ne traduit pas simplement un droit à commencer une négociation commerciale.

1. La notion de référencement et sa consistance

Le référencement est un contrat par lequel une structure - centrale d'achat ou centrale de référencement - représentant plusieurs revendeurs distributeurs, détaillants ou grossistes - autorise un fournisseur, en contrepartie de conditions de vente ou d'avantages financiers particuliers, à proposer ses produits (la revente des services n'existe pas à ce jour) à la revente chez ses affiliés.

Par opposition, le déréférencement est une pratique consistant à retirer à ce fournisseur l'autorisation d'accès à la centrale d'achat ou de référencement pour la revente de ses produits. Le déréférencement est une pratique unilatérale puisque seule la centrale en a l'initiative. Il peut être mis fin au contrat de référencement pour tous les produits du fournisseur, pour l'accès à seulement certaines enseignes affiliées à la centrale ou pour quelques produits précis.

Au delà des tarifs, la négociation du contrat de référencement donne lieu à une discussion sur les qualités du produit, les hypothèses de vente, les prévisions de parts de marché, les investissements publicitaires, les développements industriels possibles, etc. Une estimation volumétrique des ventes est toujours réalisée. Mais, le système français centre le référencement sur l'octroi, par le fournisseur, de contreparties financières et la réalisation de promotions commerciales par le revendeur.

a) Les remises de référencement

En 1996, l'Institut de liaisons et d'études des industries de consommation (ILEC) évaluait le budget moyen de référencement par enseigne pour un seul produit de marque nationale (rappelons que plusieurs enseignes sont adhérentes d'une centrale) à :

- de 1 à 3 millions de francs en France ;

- de 800 000 à 900 000 francs en Allemagne ;

- de 120 000 à 200 000 francs en Grande-Bretagne.

Ces chiffres n'ont cependant pas un grand sens économique car les rémunérations versées au titre de la coopération commerciale varient considérablement d'une entreprise à une autre et d'un produit à un autre.

Dès lors, une grande marque nationale peut être contrainte de verser jusqu'à 15 millions de francs pour pouvoir mettre dans les rayons des grands distributeurs un nouveau produit. Même une PME peut être conduite à verser sous forme de remises des millions de francs.

Selon les informations recueillies par la mission d'information, des sommes de cet ordre doivent être accordées par les fournisseurs :

« Afin de pouvoir être présent sur un prospectus national lors d'une opération spécifique, Promodès a demandé une participation de 50 000 F pour qu'un produit soit présenté sous forme d'une photo. Le chiffre d'affaires réalisé a été de 253 000 F. Notre participation au catalogue a donc été de 20 % du chiffre d'affaires généré. »

Le Conseil de la concurrence a reconnu la validité des « primes de référencement » dès lors que les remises étaient « calculées sur la base d'engagements d'achats négociés en fonction des potentialités des revendeurs » (décision n° 97-D-15 du 4 mars 1997, affaires Jean Chappelle, confirmée par la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 10 mars 1998). Il a estimé qu'elles ne constituaient pas des pratiques discriminatoires abusives dans la mesure où le fournisseur en tirait une contrepartie réelle consistant en l'assurance que leurs produits de marque seront mis en vente pendant de larges périodes et pour des assortiments importants. La Cour d'appel a cependant souligné, a contrario, qu'elles présenteraient un caractère anticoncurrentiel si elles n'étaient pas assorties d'une contrepartie réelle et objectivement définie pour le fournisseur. En conséquence, un référencement non suivi de commandes doit être considéré comme dénué de contrepartie réelle.

b) Les procédures de référencement

Les ristournes accordées par les fournisseurs pour la revente de leurs produits le sont aux revendeurs adhérents. Elles transitent par la centrale d'achat ou la centrale de référencement qui doit les reverser intégralement aux affiliés pour la part qui leur revient. La décision du 13 décembre 1994 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques relevées dans le secteur des lessives, confirmée en appel le 1er décembre 1995, a mis en lumière les pratiques existant en la matière. Cependant, de plus en plus, les centrales d'achat ou de référencement se rémunèrent également par des prestations de services qui sont parfois fictives.

M. Jean-Paul Charié a, dans son rapport n° 2595 du 6 mars 1996 sur le projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, fait une analyse précise des principaux mécanismes de référencement existant en France. En voici son texte :

« Il n'existe pas de statut spécifique de la structure référençant les fournisseurs. Les statuts et les modes d'organisation varient notablement selon les enseignes de distribution.

« La jurisprudence a distingué la centrale d'achat, qui possède le statut de commissionnaire, de la centrale de référencement, qui est un courtier (la détermination de cette dernière qualité résulte d'un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 6 décembre 1988). La première est chargée de négocier pour ses commettants le meilleur assortiment et les meilleures conditions d'achat et de revente chez ses commettants auprès des fournisseurs. Sa fonction ne l'amène donc pas à acheter pour revendre dans un but lucratif ; elle n'est à aucun moment propriétaire des produits référencés.

« Le contrat liant les commettants à leur centrale d'achat est en principe de longue durée (jusqu'à 20 ans) et confie à cette dernière la tâche de sélectionner les produits à revendre, de déterminer un prix indicatif de revente et de planifier les approvisionnements. Les commettants présentent à leur centrale leurs besoins prévisionnels au regard de l'état du marché local.

« La centrale d'achat est rémunérée par ses commettants par une commission calculée, en principe, proportionnellement au montant des transactions effectuées pour leur compte ou au montant des ventes réalisées par chaque commettant. Il s'agit essentiellement de ristournes sur les ventes.

« La centrale d'achat peut être une association ou plus fréquemment, en raison de la nature et du volume des transactions qu'elle réalise, une société commerciale.

« La centrale de référencement met en relation des fournisseurs avec des revendeurs en s'assurant que ces derniers auront les meilleures conditions de vente possibles. Les ventes sont conclues directement entre le revendeur et le fournisseur, la centrale de référencement n'intervenant juridiquement en aucune manière dans celles-ci. La centrale est chargée de transmettre à ses affiliés une liste de fournisseurs référencés (avec leurs produits) et de communiquer à ces derniers la liste des revendeurs affiliés.

« La réalité des centrales est plus complexe que ne le fait paraître cette analyse juridique. En particulier, des centrales de référencement peuvent être amenées à négocier, notamment des volumes de commandes, en tant que commissionnaires. Un groupe de distribution ne choisit donc pas de mettre en place des centrales d'achat ou des centrales de référencement.

« La présentation des modes d'organisation et des structures juridiques de cinq groupes ou enseignes de distribution français permet de mieux saisir les mécanismes des systèmes de référencement.

·  Les centres Leclerc sont régis par une association loi 1901 coprésidée par Edouard et Michel-Edouard Leclerc, l'Association des centres distributeurs Leclerc (A.C.D.LEC). L'Association autorise des commerçants indépendants à utiliser l'enseigne Leclerc et met à leur disposition des moyens d'achat et de revente, en particulier les centrales d'achat, sous réserve du respect d'un cahier des charges  (11).

« A.C.D.LEC a en fait un rôle d'orientation stratégique. Elle regroupe plus de 600 adhérents qui sont des chefs d'entreprise indépendants, propriétaires de leurs magasins et donc responsables de leurs investissements.

« Les fournisseurs et leurs produits sont référencés à deux niveaux. Tout d'abord, pour que les produits d'un fournisseur arrivent sur les rayons d'un centre, il faut que ce dernier soit référencé à l'échelon national par le GALEC, groupement d'achats Leclerc. Le GALEC négocie pour l'ensemble des centres Leclerc les conditions d'achat auprès des fournisseurs (1700 référencés en 1992). C'est une société coopérative à capital variable. Il ne réalise que des prestations de services pour le compte des adhérents et du groupement. Les référencements qu'il accorde ne constituent qu'une autorisation de se présenter au référencement régional. Economiquement, il ne s'agit que d'un droit d'entrée.

« Le second échelon de référencement est donc régional. Il est réalisé par seize centrales d'achat régionales. Ce sont également des sociétés coopératives à capital variable. Ces référencements régionaux ne constituent pas non plus un droit à avoir ses produits présents sur les rayons des centres. Les référencements consistent à introduire les fournisseurs et leurs produits sur des banques de données et à convenir des conditions de vente, en particulier le prix net de revente. Les commandes et les achats sont décidés et effectués par les centres Leclerc qui règlent les factures d'achat.

·  Le groupement Intermarché est également constitué de magasins indépendants. Il est coiffé par la Société civile des Mousquetaires et ITM Entreprises SA, société anonyme contrôlant ITM France SA, Cofipar SA et ITL France SA. Les royalties des contrats de franchise accordant aux magasins l'utilisation de l'enseigne et mettant à leur disposition les moyens d'achat et de vente du groupement remontent à cette société anonyme. Il n'existe aucun lien direct entre les fournisseurs et ITM Entreprises SA.

« Les référencements sont négociés et conclus par 43 sociétés centrales d'achats spécialisées (viandes, volaille, agrumes, parfumerie, vins, textile, automobile, etc.) qui sont des sociétés en nom collectif sauf sept d'entre elles qui sont des sociétés anonymes. Elles sont contrôlées à 90 % par ITM France SA et à 10 % par Cofipar SA.

« Les sociétés centrales d'achats passent les commandes de produits auprès des fournisseurs référencés selon les besoins des « bases ». Les bases - il en existe 38 - sont des plates-formes régionales chargées d'exploiter un fonds de commerce de réception et de stockage des marchandises pour le compte des sociétés centrales d'achats. Elles sont constituées sous la forme de sociétés anonymes contrôlées à 99 % par ITL France SA. Les produits entreposés ne leur appartiennent pas. Leurs immobilisations sont la propriété d'ITM Entreprises SA. Les fournisseurs livrent donc les bases qui livrent les points de vente. Ces derniers peuvent toutefois passer des commandes en direct à des fournisseurs.

« Les factures de vente des produits sont établies par les fournisseurs à l'ordre de la société centrale d'achats concernée et adressées à la base régionale livrée. Leur règlement est effectué par la société centrale d'achats (elles sont toutes situées au même siège).

« Les ristournes sont encaissées par ITM France SA qui dispose d'un mandat d'encaissement des sociétés centrales d'achats.

« La responsabilité d'ITM Entreprises SA dans l'activité des sociétés centrales d'achats, donc dans les référencements, est, en conséquence, limitée à son apport en capital dans ITM France SA (300.000 F de capital) et Cofipar SA (1.000.000F de capital).

« Les contrats de prestations de services (coopération commerciale) sont conclus avec les fournisseurs par les sociétés centrales d'achat. Les facturations sont établies par ITM France SA qui reçoit les règlements grâce à un mandat d'encaissement des centrales.

·  Carrefour a une centrale de référencement nationale qui possède des compléments régionaux. Le référencement accordé à l'échelon national (2000 fournisseurs) donne droit au fournisseur à avoir ses produits présents sur les rayons de tous les hypermarchés Carrefour de France. Afin de compléter la gamme nationale, des fournisseurs sont en outre référencés à l'échelon régional et par magasin. Au total, en métropole, 25.000 fournisseurs sont référencés aux échelons régionaux et locaux. Une moyenne régionale est délicate à avancer car les écarts sont grands entre les départements. Rappelons qu'un hypermarché Carrefour contient en moyenne 50.000 à 60.000 références dont 6000 en épicerie. Ces chiffres représentent largement la moyenne des hypermarchés français, les hypermarchés Auchan étant ceux offrant le plus de références (environ 100.000, les plus grands complexes pouvant atteindre plus de 160.000 références).

« Carrefour est un groupe intégré. Ce sont donc des entités internes à la société qui sont chargées du référencement. Les centrales, nationale ou régionales, effectuant les référencements passent également les commandes auprès des fournisseurs, sauf en cas de livraison et de référencement direct auprès du magasin. Les commandes sont livrées à des entrepôts, plates-formes spécialisées (produits frais, détergents,...). Les magasins s'y approvisionnent selon leurs besoins.

« Mais dans tous les cas, les paiements sont effectués par un centre de règlement des fournisseurs qui règle les factures adressées à Carrefour et agit pour le compte des magasins.

·  Promodès (enseignes Continent, Shopi,...) possède une centrale d'achat, la société Interdis, qui négocie les conditions de vente avec les fournisseurs et leur adresse les commandes, mais elle ne les référence pas. Le référencement est délivré par un service de la maison mère, « marketing enseigne », qui définit également les assortiments souhaités par la société. Les magasins Shopi, qui sont des commerces indépendants, empruntent également ces filières.

·  Système U (32 hyper U, 505 super U et 205 marchés U, en 1994) est un mouvement de commerçants indépendants associés au travers de cinq centrales régionales qui sont des sociétés anonymes coopératives à capital variable. Ces cinq coopératives sont unies au sein d'une centrale nationale qui est également une société anonyme coopérative à capital variable. Celle-ci est chargée d'assurer la cohérence de la marque et des enseignes U. Elle définit le schéma d'organisation (communication, formation, finances, relations interprofessionnelles) et la politique d'achat nationale ; elle perçoit certaines ristournes et négocie des opérations de coopération commerciale nationales qu'elle facture et dont elle perçoit le règlement.

« Les centrales régionales définissent l'assortiment régional de base que les adhérents demeurent libres de prendre ou non. Elles achètent et paient les marchandises auprès des fournisseurs qu'elles ont référencés. Elles stockent celles-ci dans des entrepôts qu'elles gèrent et les livrent aux magasins. Elles conduisent les opérations de coopération commerciale régionale. L'essentiel des flux financiers du groupement passe donc par elles.

« Les commerçants adhérents choisissent librement les produits qu'ils mettent en vente en se conformant aux règles contenues dans la charte à laquelle ils ont souscrit en entrant dans le groupement. Ils peuvent réaliser des prestations de coopération commerciale locale (tête de gondole notamment) dont ils établissent la facture et reçoivent le règlement.

« Le système conserve une grande ambiguïté en raison de l'incertitude de la nature juridique des opérations commerciales des centrales (achat de marchandise, coopération commerciale) : elles peuvent agir pour leur propre compte ou en tant que mandataire des adhérents.

« La présentation succincte de ces différents systèmes met en évidence l'extrême complexité des mécanismes juridiques et économiques s'articulant autour des contrats de référencement. Il serait vain de vouloir réglementer les systèmes et encore plus de les sanctionner pénalement, d'autant plus que les pratiques sont très mouvantes. La loi doit strictement se limiter à définir les abus.

« Cette présentation montre aussi que l'entité délivrant le référencement n'est pas toujours celle qui passe les commandes ou effectue les paiements. »

2. Le droit en vigueur

Article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986

Art. 36.- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :

(...)

(Loi n° 96-588 du 1er juillet 1996, art. 14).- « 3. D'obtenir ou de tenter d'obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné et, le cas échéant, d'un service demandé par le fournisseur et ayant fait l'objet d'un accord écrit ; »

L'article 14 de la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 a imposé au revendeur de s'engager par écrit à acheter un volume proportionné à l'avantage qu'il obtient en contrepartie de la passation de la commande et, le cas échéant, à effectuer une prestation de service demandée par le fournisseur. Ce dispositif figurant au point 3 de l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence vise les remises de référencement mais sa rédaction en termes généraux lui permet d'avoir une application plus large et notamment toucher la revente de services.

L'avantage obtenu en contrepartie du référencement doit être accordé par le fournisseur, ou présenté par le revendeur, ou simplement considéré par l'un ou par l'autre, comme une condition préalable à la passation de commandes. L'engagement sur un volume d'achat ou la prestation d'un service demandé par le fournisseur doit avoir fait l'objet d'un accord entre les deux partenaires. Cette exigence a pour but de maintenir le caractère synallagmatique du contrat.

L'objectif de l'article 36-3 n'est pas d'interdire le versement d'une rémunération par le fournisseur pour le référencement d'un de ses produits, mais de garantir que cette rémunération soit proportionnelle à l'avantage commercial qu'il tire du référencement. Cet avantage peut consister ou bien en un volume de commandes ou, à défaut, en la prestation d'un service demandé par le fournisseur. Ce service ne saurait bien entendu, comme il a été précisé dans les travaux préparatoires à l'adoption du projet de loi (voir le rapport n° 2801 de M. Jean-Paul Charié, p. 57 et le JO.débats AN du 29 mai 1996, p. 3597), consister en le référencement lui-même.

L'ordonnance du 1er décembre 1986 précise clairement que la contrepartie naturelle d'un référencement est l'engagement sur un volume d'achats proportionné à l'avantage accordé, mais dans certains cas elle peut consister en une prestation de service spécifique (voir l'intervention de M. Jean-Paul Charié sur l'amendement n° 32, JO.débats AN, 29 mai 1996, p. 3597).

Les termes de la loi font supporter la responsabilité de l'infraction civile ou commerciale sur le distributeur (voir l'intervention du ministre chargé de l'économie, JO.débats AN, 28 mars 1996, pp. 2180 et 2181 et la rectification en ce sens de l'amendement n° 29).

3. Quelques pratiques abusives relevées par la mission

Le président d'une PME a adressé à la mission une description instructive du processus de négociation d'un référencement :

· « Que se passe-t-il sur le terrain ?

« Aucun distributeur ne s'engage sur un chiffre potentiel.

« La méthode la plus couramment utilisée consiste à nous demander une prévision de chiffre d'affaires du produit sur un an. Le plus souvent cette prévision est trouvée trop faible par le distributeur qui refuse de lancer un nouveau produit qui génère soi-disant moins que le plus petit produit de son assortiment. Il nous oblige donc à prendre des risques sur cette prévision sans que nous ne maîtrisions tous les paramètres de diffusion à ce moment de la vente.

« Une fois ce chiffre annoncé, il nous formule une demande en valeur absolue qui représente 10  % à 15  % du chiffre d'affaires potentiel. De plus, il nous demande de verser au moins 50  % de cette somme pour un test de trois mois, délai au delà duquel, soit il décide de retenir le produit, et nous devons payer le solde, soit il décide de ne pas référencer, et nous perdons la somme déjà versée. Dans le cas où le produit est retenu et qu'il n'atteint pas le chiffre d'affaires potentiel, aucun remboursement n'est effectué.

« Le fabricant doit donc prendre tous les risques à sa charge alors que le distributeur pour sa part est gagnant à tous les coups. Il est même plus gagnant lorsque le produit n'obtient pas les ventes attendues dans les trois mois de son lancement puisqu'il perçoit 50  % d'un budget qui a été calculé sur un chiffre d'affaires qui ne sera jamais atteint.

« L'autre variante de cette méthode consiste à traduire le budget de référencement en valeur relative et à l'inclure dans l'enveloppe totale des différés. De la sorte, si le fabricant ne lance pas de nouveaux produits l'année suivante, le distributeur se garantit le même taux de différés. »

Les chiffres suivants illustrent les abus subis par les PME dans leurs rapports avec les grandes enseignes de distribution. Une PME avait réalisé en 1997 moins de 20 millions de francs de chiffre d'affaires. Dans sa négociation avec l'enseigne de distribution, son objectif de chiffre d'affaires prévisionnel pour 1998 a été fixé à 23 millions de francs et le montant de sa « coopération commerciale » à 30  %. Celle-ci devait être prélevée mensuellement par compensation sur les factures dues par le distributeur, ce prélèvement mensuel étant fixé à 575 000 francs par mois. Le chiffre d'affaires réalisé en 1998 n'a en réalité atteint que 19 millions de francs. L'enseigne de la grande distribution a donc bénéficié d'un trop perçu de 1,2 million de francs. Après d'âpres discussions elle n'en a rétrocédé que la moitié, soit 600 000 francs, ce qui a porté le pourcentage réel de la coopération commerciale à plus de 33  %.

Les centrales de référencement installées à l'étranger se permettent tout :

· « Notre société était référencée par Leclerc depuis plusieurs années. En 1997, Leclerc nous informe avoir confié ses achats, pour les produits qui nous concernent, à une Centrale Suisse, dénommée EMD - European Marketing Distribution - située à Pfaffikon (canton de Zurich) et nous demande de prendre contact avec celle-ci pour obtenir le référencement à compter du 2ème semestre 1998. Rendez-vous fut pris à Zurich (à l'aéroport ... ). Il nous fut alors signifié que, si nous voulions continuer à être référencé, nous devions passer par cette centrale en lui octroyant une commission de 0,35 % sur le chiffre d'affaires global, avec un minimum perçu d'avance de 1 000 euros (65 000 F) .Il ne nous était rien proposé en contrepartie.

« Le minimum demandé - 10 000 euros - ne pouvait, en ce qui nous concerne, être amorti que dans la mesure où nous obtenions un minimum de chiffre d'affaires. La centrale EMD n'ayant pas voulu garantir ce minimum, il nous a été financièrement impossible d'accepter de telles conditions. Nous avons donc été déréférencés et avons perdu 6 millions de francs de chiffre d'affaires (soit l'équivalent de 6 emplois salariés). Bien plus, la centrale suisse EMD a prétendu nous réclamer le paiement du minimum garanti, alors que nous n'avions jamais été référencé par elle, et par conséquent, jamais livré les entrepôts Leclerc par leur entremise. (...)

« Il convient de noter que, pour l'année 2000, Leclerc semble avoir renoncé, en ce qui concerne les produits que nous commercialisons, à obliger les industriels à passer par la centrale EMD. »

Les référencement sans contrepartie existent encore :

· « La centrale d'achat Opéra demande à tous les fournisseurs de ses adhérents (Casino, Cora, Match) une somme fixe payable dans les délais les plus rapides. Cette somme est qualifiée de « participation de l'industriel à la création d'Opéra ». Elle est calculée sur les chiffres d'affaires réalisés par l'industriel en 1998 avec les enseignes membres de cette centrale (plus ou moins 150 000 F en ce qui nous concerne).

« Il n'est donné aucune contrepartie à cette somme, ni garantie de chiffre d'affaires, de référencement ou autres avantages. »

L'attention de votre rapporteur a été attirée par un témoignage écrit sur une pratique inquiétante liée au conditionnement de pommes de terre qui laisse supposer qu'un emballeur est imposé aux fournisseurs dans des conditions déloyales et peu transparentes par les grandes surfaces :

« Les centrales déguisent les prix d'achat chez les agriculteurs car elles les obligent à prendre des conditionnements chez un seul fournisseur référencé chez eux (Filpack, revendeur d'un Espagnol). Sinon, elles ne travaillent plus avec cet agriculteur (pommes de terre). Ces conditionnements peuvent être payés le double dans certains cas que chez un autre fournisseur. Les pommes de terre ne sont pas pour autant achetées plus cher à cet agriculteur.

« Une autre façon de se faire des marges cachées. Elles toucheraient sur le conditionnement et sur le produit fini vendu !

(...)

« Que faire ? Les consommateurs ne se rendent pas compte que d'ici quelques années il n'y aura plus de petits ni de moyens producteurs. Uniquement des conditionneurs qui achèteront leurs produits au Maghreb. Tout est fait à l'inverse de la demande des consommateurs. Nous ne connaissons plus l'agriculteur ; il est impossible de retrouver le producteur, ni la provenance. On standardise tout sous une marque avec obligation d'acheter les bandes de cette marque à un seul fournisseur plus cher dans une volonté évidente de faire plus de profits et de pouvoir un jour mettre en vente les pommes de terre de n'importe quelle région du monde achetées beaucoup moins cher avec beaucoup moins de contrôles sanitaires.

(...)

« Ce sont des faux référencements. Car un seul fournisseur obtient un rendez-vous. Les centrales ne regardent ni nos prix ni notre qualité de service ou de produit. Il n'y a pas de référencement. J'ai depuis un an, et même avant, demandé à recevoir un cahier des charges. Ni Auchan, ni Promodès, ni Casino ne l'ont fait. Pourtant ils ont tous référencé un seul fournisseur toujours le même, implanté depuis des années avec un système de dessous de table. Il n'y a aucune autre raison ! Si on leur demande, ils disent, c'est comme cela ! Pas d'explication sur leur choix.

« Aujourd'hui l'heure est grave car Intermarché vient aussi dans le plus grand secret de référencer toujours le même fournisseur. En plus, les clients doivent aussi changer de fournisseurs de cartons (box) dans lesquels ils envoient leurs sacs de pommes de terre conditionnées. Je suis sûre qu'ils touchent partout sinon ils n'auraient aucune raison de référencer un fournisseur de carton pour la livraison en magasin d'un produit qui sera de toute façon sorti de ce carton. Tous les frais sont à la charge du conditionneur (frais de nouveaux clichés, etc.) et les cartons sont plus chers ! Il n'y a plus que les Leclerc qui ne le font pas, mais je suppose que cela ne va pas tarder.

« Les gros conditionneurs marchent avec le système, ils répercutent le coût sur le fournisseur de pommes de terre toujours le même, c'est le producteur qui paie. Dans deux ans, seuls deux gros conditionneurs seront référencés ont décidé les centrales. Finis les petits ou moyens producteurs, ils ne pourront plus vendre et devront brader aux gros conditionneurs avant de disparaître avec leurs pommes de terre. Derrière, c'est toute la profession qui meurt : producteurs de légumes, fabricants de sacs, de filets, de bandes publicitaires, de cartons, etc. ».

D.- LA RUPTURE DES RELATIONS COMMERCIALES

On se reportera au début du chapitre précédent pour l'analyse de la notion de déréférencement.

Il faut souligner que la référence à des relations commerciales établies permet de dépasser la notion de cadre contractuel. Ainsi, les dispositions de l'ordonnance sont susceptibles d'être applicables aux relations commerciales engagées par anticipation de la signature du contrat, ou poursuivies après la fin du contrat liant les deux partenaires commerciaux, ou établies sans base contractuelle écrite.

1. La menace de rupture

Article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986

Art. 36.- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :

(...) (Loi n° 96-588 du 1er juillet 1996, art. 14).- « 3. (...)

« 4. D'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale des relations commerciales, des prix, des délais de paiement, des modalités de vente ou des conditions de coopération commerciale manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente ; »

a) Le droit en vigueur

L'article 14 de la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 a rangé au nombre des pratiques restrictives ou déloyales l'emploi de la menace de rupture brutale des relations commerciales pour tenter d'obtenir des prix, des délais de paiement, des modalités de ventes ou des conditions de coopération commerciale qui sont manifestement dérogatoires par rapport aux conditions générales de vente. Contrairement au point 3 de l'article 36, qui vise spécifiquement une pratique des revendeurs, le point 4 inséré dans l'article 36 concerne aussi bien des pratiques des acheteurs que des pratiques des vendeurs. Le dispositif s'appuie cependant sur les conditions générales de vente qui sont des documents établis par les fournisseurs. Rappelons en effet que la loi ne reconnaît pas l'existence, et donc l'opposabilité, d'éventuelles conditions générales d'achat.

Le dispositif de l'article 36-4 constitue une protection destinée aux fournisseurs menacés de déréférencement dans le but de les contraindre à revoir à la baisse leurs conditions générales de vente. Il ne peut s'appliquer qu'aux entreprises ayant établi un tel document (ce qui, au titre de l'article 33 de l'ordonnance, n'est pas obligatoire). Le fournisseur doit apporter la preuve de la menace et démontrer le caractère manifestement dérogatoire des exigences par rapport aux conditions générales de vente.

L'absence de référence aux usages commerciaux pour apprécier le caractère dérogatoire (ou exorbitant, comme le disposait le projet de loi d'origine) dans les cas où le fournisseur n'a pas établi de conditions générales de vente, est destinée à inciter les producteurs à établir de tels documents et à renforcer leur force juridique dans les relations commerciales établies. Il faut, de ce point de vue, noter que la loi ne se réfère pas aux « conditions de vente », documents qui sont le résultat d'une négociation entre le fournisseur et le revendeur, mais aux conditions générales de vente, documents qui ont un caractère unilatéral même si leur rédacteur ne peut que tenir compte de la demande existante lorsqu'il les établit (en dernier ressort, en tous les cas, il en est le seul maître).

b) Les pratiques déloyales relevées par la mission

La loi ayant encadré le déréférencement et la cessation des contrats d'achat, certaines enseignes ou responsables de magasins de grande distribution ont mis en place des systèmes de véritable « pourrissement » des produits du fournisseur pour que celui-ci s'incline devant les exigences du client ou quitte volontairement l'enseigne. Ainsi, afin de pénaliser le fournisseur :

- ses produits sont placés dans la plus mauvaise position sur le linéaire (complètement en bas ou très haut pour être inaccessibles à beaucoup de clients) ;

- le linéaire ou la section de linéaire n'est pas entretenu (rangement des produits, entretien, y compris des sols face aux produits comme l'a rappelé un membre de la mission ayant naguère reçu un témoignage en ce sens) ;

- des ruptures d'approvisionnement des linéaires se produisent fréquemment, notamment le samedi en début de matinée ;

- des prix de revente élevés sont pratiqués sur de courtes périodes bien choisies ;

- absence de soutien promotionnel ou négligences dans la promotion due au fournisseur ;

Il va de soi pour les distributeurs interrogés que toutes ces pratiques sont involontaires, accidentelles, dues à la négligence, le fait de personnes isolées et non responsables, anecdotiques, fantaisistes, imaginées par des esprits insatisfaits, etc. Les membres de la mission d'information, à l'unanimité, affirment qu'elles sont réelles, intentionnelles et quasi générales (mais toutefois pas pour la totalité des abus cités) et que leurs effets sont catastrophiques.

2. La rupture brutale des relations commerciales établies

Article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986

Art. 36.- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :

(...) (Loi n° 96-588 du 1er juillet 1996, art. 14).- « 3. (...) 4° (...)

« 5. De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels. Les dispositions précédentes ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou de force majeure ;

a) Le droit en vigueur

A l'instar du 4 de l'article 36, le dispositif du 5 de l'article 36, introduit par la loi du 1er juillet 1996, s'applique aussi bien à l'acheteur qu'au vendeur même si son établissement a été motivé par des pratiques abusives de déréférencement. Est donc considérée comme déloyale la rupture brutale des relations commerciales établies avec un fournisseur ou un client, sans préavis écrit.

La loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 n'a pas entendu encadrer les motifs d'une rupture des relations commerciales mais seulement établir une procédure permettant au partenaire victime de cette rupture de rechercher de nouveaux clients ou fournisseurs lui permettant de remplacer le courant d'affaires rompu. Une rupture de relations commerciales ne saurait donc être considérée comme illégale au motif que l'entreprise à l'origine de cette rupture n'en a pas donné les motifs à son partenaire qui en est la victime (voir par exemple l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 10 juin 1999, La Redoute, Le Printemps, FNAC et autres c/ Tir Groupé).

La rupture peut être totale ou partielle. La pratique des déréférencements partiels permet en effet de graduer la pression sur le fournisseur en ciblant le déréférencement sur des produits dont la présence dans les rayons n'est pas indispensable au revendeur mais dont la vente est indispensable pour le maintien du chiffre d'affaires de l'industriel ou du producteur. De même, l'industriel peut être tenté pour faire pression sur un revendeur (pour qu'il achète la gamme complète des produits, pour que ses produits soient mis en avant dans le magasin, pour avoir une planification des livraisons à sa convenance, etc.) en refusant de le réapprovisionner en produits « leaders » que recherche la clientèle.

Dans les cas visés aux 4 et 5 de l'article 36, pour obtenir réparation, la victime de la pratique devra prouver l'existence de la menace, le caractère brutal de la rupture des relations commerciales ou le caractère dérogatoire par rapport aux conditions générales de vente des demandes qui lui sont faites.

L'article 36-5 vise à encadrer les pratiques de déréférencement. Il subordonne le déréférencement à l'envoi d'un préavis écrit à l'intéressé. L'absence d'un tel écrit doit permettre à la victime d'établir devant les tribunaux la rupture brutale ; c'est le sens de cette précision qui résulte de l'adoption d'un amendement de la commission de la production et des échanges.

Cette procédure s'applique au déréférencement aussi bien d'un fournisseur que d'une gamme de produits ou d'un seul des produits. Il a en effet été constaté à plusieurs reprises que certains produits d'un fournisseur étaient littéralement pris en otage par le revendeur pour obtenir des conditions exorbitantes sur les produits phares ou stratégiques du même fournisseur, pour qui le maintien du niveau des ventes des produits non leader est indispensable à la préservation de ses marges et de son activité.

Ni le Parlement, ni le Gouvernement n'ont, en 1996, souhaité fixer dans la loi un délai minimal de préavis ou un mode de détermination de celui-ci (la commission de la production et des échanges avait cependant adopté un amendement en première lecture proposant de fixer un délai minimal de quatre mois, qui n'a pas été voté en séance publique). Les situations et les pratiques des différents secteurs de l'économie paraissaient en effet trop disparates pour arrêter un tel délai. De plus la loi aurait figé une situation par nature mouvante.

En Espagne, les Cortès ont adopté, le 16 décembre 1999, un projet de loi directement inspiré de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 imposant, entre autres dispositions, que la rupture de relations commerciales entre un fournisseur et un distributeur soit précédée d'un préavis de six mois.

Le préavis est défini tacitement, ou expressément dans le contrat de vente, en fonction des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels (afin de donner une base de référence aux partenaires ayant pour la première fois des relations commerciales). Cependant, comme il avait été indiqué par le rapporteur de l'Assemblée nationale, quasiment aucun accord interprofessionnel n'existe en dehors des filières agro-alimentaires et les accords interprofessionnels existants ne mentionnent aucun délai de préavis pour rupture de relations commerciales établies.

La loi admet cependant que le revendeur puisse ne pas respecter le préavis en cas de non-respect par le fournisseur de ses obligations ou en cas de force majeure (l'incendie du magasin a été donné en exemple lors de la discussion du projet de loi, voir JO.débats AN, 29 mai 1996, p.3598), afin de rappeler que les règles traditionnelles du droit civil des obligations continuent de s'appliquer en la matière.

La stratégie mise en place par certaines enseignes de distribution et centrales d'achat à la suite de la promulgation de la loi du 1er juillet 1996 et consistant à dénoncer les contrats d'achat quelques mois avant les négociations annuelles de référencement ne les exonère pas d'adresser un préavis écrit d'une durée adaptée aux relations qui ont été établies et de considérer qu'il y a rupture brutale si le fournisseur ou une partie de ses produits n'est plus référencé pour l'année suivante. En effet, d'une part, cette dénonciation ne s'accompagne pas d'une cessation des commandes, des livraisons et des paiements, et d'autre part, la brutalité d'une rupture des relations commerciales ne s'apprécie pas au regard de l'existence d'un contrat à la date de la rupture mais de l'ensemble des relations établies depuis plusieurs années souvent. Ainsi, une succession de contrats à durée déterminée établit des relations commerciales au sens de l'article 36 de l'ordonnance car c'est la rupture d'une stabilité des relations et la disproportion entre la durée de ces relations et la brièveté du délai accordé par le partenaire pour trouver des contrats de substitution ou reconvertir ses unités de production ou de vente qui ont été visées par le Parlement.

b) L'application des dispositions de l'article 36, alinéa 5

La diversité des pratiques et la variété des contraintes des différents secteurs de vente des produits de grande consommation n'a pas permis au législateur de fixer un délai de préavis dans la loi ni même un délai minimal.

La jurisprudence n'a pas imposé un délai uniforme mais a apprécié la brutalité de la rupture des relations commerciales en fonction de l'ancienneté des rapports commerciaux, leur stabilité et les usages du secteur en matière de cessation des relations commerciales lorsqu'il en existait. Une importante étude réalisée par Me Jean-Marie Meffre, avocat à la cour d'appel de Paris, a analysé les contentieux portant sur l'application de ces dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (Lamy droit économique, bulletin n° 122, novembre 1999).

Le tribunal de commerce de Nanterre a ainsi jugé, le 20 novembre 1998 (1ère chambre), que des relations commerciales étaient établies du fait qu'il existait un courant d'affaires en constante progression entre les deux entreprises depuis plusieurs années et que plusieurs commandes, accompagnées d'un règlement, étaient passées par mois. La référence à « un courant d'affaires sans cesse croissant pendant x années » est fréquemment utilisée par les tribunaux pour motiver leur décision ; elle a été utilisée par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans l'arrêt Bridel du 28 février 1995 dans une affaire similaire de rupture des approvisionnements.

Cette démarche conduit les tribunaux à sanctionner, comme le souhaitait le législateur, les ruptures partielles de relations commerciales, qui conduisent à une chute du chiffre d'affaires du partenaire commercial. La cour d'appel de Rouen a ainsi, dans un arrêt du 3 novembre 1998, reconnu la responsabilité d'une entreprise, Saint-Gobain Desjonquères, pour avoir réduit de plus de la moitié le volume des travaux confiés à un sous-traitant, la société Antigone chargée de trier des flacons, puis avoir rompu complètement les relations commerciales, le tout sans préavis.

La loi permet donc de sanctionner ce que certaines entreprises appellent un déréférencement partiel, à savoir le retrait de la vente de quelques produits d'un fournisseur ou la cessation de la vente des références d'un fournisseurs dans quelques points de vente. Il faudrait que ce déréférencement partiel n'entraîne aucune baisse significative du chiffre d'affaires du fournisseur avec l'enseigne pour que la loi ne soit pas opposable à cette enseigne.

La détermination de la durée du préavis relève de l'appréciation souveraine des juges du fond et échappe donc à la Cour de cassation qui ne s'immisce pas dans l'appréciation des circonstances de faits. Les décisions judiciaires sont variées : le délai de préavis imposé est compris entre deux mois et deux ans, selon les affaires.

Dans l'étude précitée, Me Jean-Marie Meffre a résumé les critères pris en considération par les tribunaux pour déterminer la durée raisonnable du préavis : « l'ancienneté des relations, l'objet de l'activité, la notoriété des produits, la dépendance économique ou le caractère mono-client du partenaire, le volume d'affaires importantes et la progression constante du chiffre d'affaires, l'accord d'exclusivité, les investissements réalisés ».

La cour d'appel de Rouen, dans l'arrêt précité du 3 novembre 1998, a estimé qu'un préavis d'un an aurait dû être respecté pour la rupture de relations commerciales entre des partenaires liés pour une durée de cinq ans, renouvelable par périodes annuelles (sauf volonté contraire exprimée avec un préavis de trois mois, disposition devenue caduque).

Le tribunal de commerce de Paris a jugé, dans une décision du 2 avril 1999 (sté Esmar c/ Galeries Lafayette), que le préavis de quatre mois appliqué par les Galeries Lafayette pour mettre fin à la location d'un stand personnalisé mis à disposition d'une entreprise de mode dans son magasin du boulevard Haussmann était insuffisant (mais la décision n'a pas indiqué quel aurait dû être le délai minimal acceptable).

Les auditions de la mission d'information montrent qu'un délai de six mois paraît usuel dans le commerce des produits alimentaires, mais il est insuffisant si des investissements ont été effectués pour répondre à la demande des distributeurs ou s'il s'agit d'une PME qui ne dispose pas d'un carnet de clients suffisant pour lui permettre de se retourner. C'est pourquoi un délai d'un an est souvent souhaité car les contrats sont eux-mêmes annuels, ce rythme annuel influant directement sur les politiques commerciales et les investissements.

D'une manière générale, l'esprit de la loi est respecté par les tribunaux : ce préavis écrit doit avant tout permettre à l'entreprise, sans chute brutale de son activité, de trouver des contrats de vente ou d'achat de substitution ou lui permettre de réorienter ses unités de production ou de vente de manière à récupérer le courant d'affaires perdu sur un autre créneau économique.

() Estimations de votre rapporteur.

() Signalons toutefois que Prisunic s'était installé en Espagne dès 1964 et Docks de France, groupe succursaliste, également en Espagne en 1965.

() Mais les caissières, qui doivent retenir le numéro de code des six cents références qu'elles tapent sur leur clavier sans détourner leurs yeux du tapis de défilement des produits, pour éviter l'achat de caisses à lecture optique très coûteuses, sont payées 5 000 marks bruts par mois ! Les caissières passent la moitié de leur temps à la caisse et l'autre moitié à approvisionner et entretenir les rayons.

() Capital détenu à 22,89  % par Carrefour qui dispose de 33,16  % des droits de vote ; 66,60  % du capital et 51,31  % des droits de vote étant répartis entre les divers détenteurs de parts (marché boursier).

() Capital détenu à 53,6  % par le groupe Rallye et par 5,1  % par la famille Guichard.

() La revue LSA indique que le premier hypermarché français a avoir franchi le cap des deux milliards de francs de chiffre d'affaires sur un an a été l'hypermarché d'Auchan Vélizy le 31 octobre 1994 (il a réalisé 2,1 milliards de francs de chiffre d'affaires en 1998).

() Asda est le troisième distributeur alimentaire britannique : il possède 229 magasins, détient 12,6  % des parts de marché dans la distribution alimentaire. Il a été racheté 11 milliards de francs.

() L'utilisation des organismes génétiquement modifiés dans l'agriculture et dans l'alimentation. Rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologies n° 1054 Assemblée Nationale - n° 545 Sénat, présenté par M. Jean-Yves Le Déaut (1998).

() Le commerce en libre-service s'est distingué par la mise à disposition des consommateurs des produits sur des linéaires appelés à l'origine, en raison de leur forme, des gondoles ; en début d'allée, là où le maximum de clients peuvent voir les produits exposés, se trouvent les têtes de gondoles.

() Voir l'analyse de ces dispositions dans le chapitre suivant relatif au référencement.

() Recherche du prix de vente le moins élevé, plafonnement du taux de marge ou respect d'un prix maximal par produit, soutien financier aux nouveaux adhérents, respect de ratios fonds propres/chiffre d'affaires (25 % en moyenne et 50 % après trois ans d'existence), plafonnement des frais financiers à 3,5 % du chiffre d'affaires, etc.


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