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le 10 octobre 2001

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N° 2311

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 mars 2000.

RAPPORT D'INFORMATION

déposé en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D'INFORMATION COMMUNE
sur les obstacles au contrôle et à la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe (1)

Président
M. Vincent PEILLON,

Rapporteur
M. Arnaud MONTEBOURG,

Députés.

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TOME I
Monographies
Volume 4 - La Grande-Bretagne,
Gibraltar et les Dépendances de la Couronne

(1) La composition de cette Mission figure au verso de la présente page.

Banques et établissements financiers.

La Mission d'information commune sur les obstacles au contrôle et à la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe est composée de : M. Vincent Peillon, Président ; MM. Michel Hunault, Jean-Claude Lefort, Vice-Présidents ; MM. Charles de Courson, Philippe Houillon, Secrétaires ; M. Arnaud Montebourg, Rapporteur ; MM. Philippe Auberger, François d'Aubert, Alain Barrau, Jean-Louis Bianco, Jérôme Cahuzac, Jacky Darne, Arthur Dehaine, Jean-Jacques Jegou, Gilbert Le Bris, François Loncle, Mmes Jacqueline Mathieu-Obadia, Chantal Robin-Rodrigo.

S O M M A I R E

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Pages

AVANT-PROPOS 9

I.- UNE PLACE FINANCIÈRE DONT LA DIMENSION FACILITE LES OPÉRATIONS SUSPECTES 13

A.- LA PLACE DE LONDRES, UNE ACTIVITÉ AU C_UR DE LA VIE ÉCONOMIQUE DU ROYAUME-UNI 15

1.- La compétitivité de la place financière de Londres 16

a) Les caractéristiques de la place financière de Londres 16

b) Forces et faiblesses de la place de Londres 18

2.- La City : un Etat dans l'Etat 20

a) La City : une entité économique 20

b) La City : une entité institutionnelle 21

c) La City : une entité policière 23

B.- DES AUTORITÉS AUX MOYENS LIMITÉS 25

1.- Un arsenal anti-blanchiment classique 27

2.- Le National Criminal Intelligence Service : N.C.I.S. 29

a) Les faiblesses du système britannique 31

b) Les améliorations envisagées 36

3.- La Financial Services Authority : F.S.A. 37

a) La F.S.A. répond à l'échec de l'autorégulation 37

b) L'élaboration par la FSA de nouvelles règles anti-blanchiment : les Money Laundering Rules 46

4.- L'Affaire Abacha : un exemple de la léthargie britannique 51

a) Une enquête limitée 51

b) Les conséquences de l'affaire Abacha 54

II.- UNE PLACE FINANCIÈRE INSUFFISAMMENT ENGAGÉE DANS LA LUTTE ANTI-BLANCHIMENT 59

A.- LES CRITIQUES DES EXPERTS ET DES PARLEMENTAIRES BRITANNIQUES 59

1.- Un dispositif anti-blanchiment trop fragmenté et mal coordonné 59

2.- Réagir au trop faible nombre de condamnations 60

B.- DES ACTEURS FINANCIERS PEU CONCERNÉS PAR LA LUTTE ANTI-BLANCHIMENT 61

1.- Le recours à des sociétés-écrans et aux professionnels de la création de sociétés : une immense brèche dans le système 61

2.- L'inégale participation des banques et la quasi-absence de déclarations par le monde non-bancaire 67

3.- Le bilan très inquiétant de l'année 2000 69

4.- L'utilisation de la City par des organisations financières en relation avec des entreprises terroristes 72

C.- LES TRAVAUX RÉCENTS DE LA FSA 76

III.- UNE COOPÉRATION JUDICIAIRE MISE EN ACCUSATION 80

A.- DES REVENDICATIONS CONCORDANTES 80

B.- DES SYSTÈMES JUDICIAIRES DIFFÉRENTS 82

C.- DES TENSIONS AU SEIN DE L'ADMINISTRATION BRITANNIQUE 89

1.- L'attitude restrictive du Home Office 89

2.- Les ouvertures de la coopération opérationnelle 95

3.-Le Serious Fraud Office : un modèle à suivre 102

IV. - LA BIENVEILLANCE BRITANNIQUE À L'ÉGARD DE SES DÉPENDANCES OFFSHORE 105

A.- UN RÉSEAU OFFSHORE DÉVELOPPÉ 106

1.- La multiplication des centres offshore 106

2. - Au c_ur du blanchiment de l'argent illégalement acquis 122

B.- LE REFUS D'UNE VÉRITABLE COOPÉRATION JUDICIAIRE 128

1. - Gibraltar 128

2. - L'île de Man 130

3. - Jersey 134

C. - L'INSUFFISANCE DES PRESSIONS EXERCÉES PAR LE ROYAUME-UNI 142

1. - Le réquisitoire du rapport Edwards 142

2. - Le temps des réformes 149

3. - La complaisance du Royaume-Uni 154

a) L'immobilisme britannique à l'égard de ses dépendances 155

b) Des juridictions en transition 157

c) Le déplacement des activités dans la sphère britannique des « overseas territories » 161

CONCLUSION 165

EXAMEN DU RAPPORT 169

EXPLICATIONS DE VOTE 173

EXPLICATIONS DE VOTE DU GROUPE DÉMOCRATIE LIBÉRALE 175

EXPLICATIONS DE VOTE DU GROUPE R.P.R. 177

AUDITIONS

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des entretiens de la Mission

page

- GIBRALTAR

- M. Keith AZOPARDI, Ministre du Commerce, de l'Industrie et des Télécommunications, accompagné de M. James TIPPING, Directeur du Centre financier

181

- M. Joe BOSSANO, Chef de l'opposition, Député et ancien Premier ministre

189

- M. Martin FUGGLE, Président de la Commission de contrôle des services financiers (FSC), accompagné de MM. Brian MORRIS, Chef du service des investissements, Kieran POWER, chargé des trusts et des gérants de société, et David PARODY, Assistant du chef du secteur bancaire

195

- MM. Jay A. GOMEZ, Inspecteur de la Royal Gibraltar Police, Directeur du centre de coordination pour le renseignement criminel et la lutte contre le trafic de stupéfiants, et Arthur PERERA, Directeur de l'Unité du renseignement financier et lutte anti-drogue

205

- MM. Anthony LIMA, Directeur principal des douanes, et Emilio MACIAS, Chef de la division des enquêtes douanières et lutte anti-drogue

213

- MM. David DURIE, Gouverneur et Commandant en chef de Gibraltar, et Lawrence WELDON, Second Secrétaire du Foreign and Commonwealth Office, attaché au service du Gouverneur

217

- M. Peter CARUANA, Premier ministre

223

- MM. Kewin WARWICK, Conseiller, et Albert TRINIDAD, procureur général adjoint

231

- M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER, Directeur du Bureau des enregistrements des sociétés de Gibraltar et Directeur du Bureau des enregistrements et immatriculations de navires de plaisance et de commerce, et Maître David J. FARIA

239

- MM. Joseph ULLGER et James McKAY, de la Police Royale de Gibraltar

251

-

 

- Île de JERSEY

 

- MM. Pierre HORSFALL et Jean LE MAISTRE, sénateurs, et William BAILHACHE, procureur général

257

- MM. Anthony RENOUF, Directeur des douanes et David MINTY, Inspecteur

271

- M. Martin SCRIVEN, Directeur de la Barclays Bank, et M. Jean-Frédéric DESBENOIT, Membre du Comité de l'Association des banques

277

- M. Richard PRATT, Directeur Général de la Commission des Services financiers, accompagné de Mme Helen HAMDEN, son assistante, et de M. Andrew LE BRUN, Directeur du service juridique, responsable du respect des normes internationales

283

- Île de MAN

 

- Responsables de l'Unité de renseignement et de lutte contre la criminalité financière (anonymat demandé par les personnes rencontrées)

291

- M. Ian KELLY, Directeur de l'administration fiscale

303

- M. John CORLETT, procureur général, et Mme Lyndsey BERMINGHAM, conseil juridique au bureau du procureur général

307

- MM. John ASPDEN, Directeur général de la Commission de supervision des services financiers, et Bill HASTINGS, Directeur général de la Commission de contrôle des assurances et des retraites

313

-

 

- LONDRES 2000

 

- Mme Lorna HARRIS, Chef du service de la coopération judiciaire, MM. Godfrey STADLEN, Chef du service de lutte contre la délinquance financière et Peter VALLANCE, Expert

317

- MM. John ELLIS, Conseiller pour la lutte contre le blanchiment, James LONDON et Neil JEANS, Chefs de projet en matière de normes anti-blanchiment à la Financial Services Authority (FSA)

329

- MM. Vincent HARVEY, Directeur de la Division Royaume-Uni du NCIS, et Andy BLEZZARD, Responsable de l'Unité financière du NCIS

337

- MM. Tristram HICKS, Chef de l'Unité du renseignement, David TUFFY, chargé de la formation internationale, et Paul LAFFAN, enquêteur, du Metropolitan Police Fraud Squad

349

- M. Gabs MAKHLOUF, Directeur des services internationaux de l'administration fiscale, accompagné de M. Ray CASANOVE, de la Division Nationale des Impôts

359

- Banquiers de la City (anonymat demandé par les personnes rencontrées)

365

- MM. WARDLE, directeur-adjoint, et GRIEVES, responsable de l'entraide judiciaire au Serious Fraud Office (SFO)

371

-

 

- LONDRES 2001

 

- MM. Phillip THORPE, Directeur à la Financial Services Authority (FSA), et Brian DILLEY

375

- Mme Lorna HARRIS, Chef du service de la coopération judiciaire

385

AVANT-PROPOS

La Mission anti-blanchiment poursuit son travail d'investigation à travers l'Europe conformément au mandat qui lui a été confié lors de sa création en juin 1999. Après la principauté du Liechtenstein et la principauté de Monaco, après la Suisse, les députés ont travaillé sur la Cité de Londres, première place financière au monde où sont accumulés près de 25 000 milliards de francs d'avoirs bancaires, ainsi que Gibraltar, et les dépendances de la Couronne que sont les îles anglo-normandes et l'île de Man.

La place financière de Londres et les centres offshore britanniques européens se devaient de faire l'objet d'une attention particulière en raison de leur vulnérabilité au risque de blanchiment des capitaux - ce que les autorités britanniques reconnaissent elles-mêmes -, de l'existence d'une législation de common law admettant l'instrument juridique des trusts ou favorisant la constitution de sociétés écran, de l'absence de régulation de certains métiers de la finance comme les bureaux de change, les agences de transferts électroniques de fonds ou les agents spécialisés dans la création de sociétés.

A ces éléments objectifs viennent s'ajouter des graves difficultés rencontrées dans la coopération judiciaire avec les autorités britanniques, faisant de ces territoires un paradis non seulement fiscal, bancaire et financier, mais malheureusement judiciaire à bien des égards. Le Royaume-Uni fait en effet l'objet de critiques de l'ensemble des magistrats de toute l'Europe engagés dans la lutte contre la délinquance financière.

Ce travail s'est achevé à un moment où la cruelle démonstration vient d'être faite que des organisations criminelles ont su utiliser à leur profit la déréglementation financière inconséquente engagée au milieu des années 80, sans que cette mondialisation croissante des services financiers n'ait été accompagnée des mesures de sécurité que la lutte contre la délinquance financière et le blanchiment des capitaux exige depuis trop longtemps.

La Grande-Bretagne, qui accueille sur son territoire la première place financière au monde est ainsi particulièrement exposée. Ses dépendances offshore, instrument du capitalisme financier constituent autant de refuges pour l'argent criminel. Ce rapport en constitue l'illustration et la démonstration, et devra amener nos amis britanniques à un changement radical de philosophie et de comportement sur ces sujets graves.

Dix années après la création du groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI) en 1990, une liste a été laborieusement établie sous l'influence de négociations diplomatiques évitant soigneusement la mise en cause des plus puissantes places financières comme la Suisse ou la Grande-Bretagne.

On permettra aux députés français, souverains pour porter leur appréciation sur la base de faits, et exclusivement de faits, de ne pas tenir compte des intérêts de puissance dans leurs libres appréciations qu'ils formuleront devant les opinions publiques européennes, le GAFI n'ayant toujours pas imposé la moindre sanction à l'égard des pays considérés par lui comme appartenant à la liste des territoires non coopératifs préférant d'ailleurs le terme plus atténué de contre mesures.

Ces échecs doivent amener les pays européens à faire évoluer d'eux-mêmes leurs exigences à la hausse à l'égard de la lutte anti-blanchiment.

La Mission anti-blanchiment de l'Assemblée nationale a respecté ses principes méthodologiques définis depuis le début de ses travaux dans l'élaboration de cet important rapport. Elle a choisi de ne travailler qu'à partir des faits, des seuls faits. Elle ne s'autorise à porter une appréciation ou un jugement de valeur que pour autant qu'il ait été rencontré dans la bouche de l'un des protagonistes entendus sur le terrain britannique.

Ainsi en Grande-Bretagne, les policiers paraissent extraordinairement critiques à l'égard de la politique du Home Office, dont l'obstination n'a d'égale que l'aveuglement à l'égard des enjeux de coopération judiciaire, l'une des principales critiques contenues dans ce présent rapport.

Les parlementaires britanniques ou les experts chargés de la lutte anti-blanchiment n'ont pas eu, pour leur part, de mots assez durs pour critiquer le système de détection et de renseignement économique ainsi que leurs difficultés à trouver sa pleine efficacité sur le territoire britannique.

Nulle surprise dès lors à constater l'importance, pour les organisations criminelles à visée terroriste, de la place de Londres et des territoires offshore de la Couronne. La Mission anti-blanchiment a pris la responsabilité de publier un document qui sera d'une grande utilité pour la prise de conscience des opinions publiques européennes sur l'infiltration du monde de la finance par de telles organisations.

Ce document a été authentifié par votre rapporteur qui a pris soin d'en rencontrer ses auteurs. Ce document intitulé « Environnement économique d'Ossama BIN LADEN » fait apparaître la place particulière du groupe saoudien BIN LADIN et ses filiales dans la Cité de Londres et ses dépendances offshore.

Enfin, les lecteurs assidus rentreront dans le monde feutré et secret des paradis financiers et judiciaires de l'orbite britannique. Ils apercevront sans doute la nécessité dans laquelle se trouve la communauté internationale d'engager inévitablement des pressions et des sanctions contre ces territoires qui ont fondé une partie de leur développement économique sur la sanctuarisation des avoirs bancaires et de leurs propriétaires.

I.- UNE PLACE FINANCIÈRE DONT LA DIMENSION FACILITE LES OPÉRATIONS SUSPECTES

En novembre 2000, le Select Committee on International Development de la Chambre des Communes procédait à l'audition de différents responsables de la lutte contre le blanchiment des capitaux et s'interrogeait notamment sur le point de savoir comment et pourquoi un tel processus passait par le Royaume-Uni et quels étaient les secteurs et institutions les plus vulnérables 1.

Répondant aux parlementaires britanniques, M. Phillip Thorpe, directeur de la FSA 2, indiquait alors que parmi l'ensemble des institutions financières, seules un très petit nombre d'entre elles - 10 % environ - se préoccupaient très sérieusement de la qualité de leurs systèmes de contrôle interne et déclarait que si cela ne suffisait pas à démontrer l'existence du blanchiment cela prouvait en revanche qu'il convenait de faire porter les efforts sur les procédures de prévention et de détection des risques de blanchiment d'argent.

M. Phillip Thorpe concluait son intervention en disant : « la seule chose que je peux observer, M. le Président, c'est que Londres et le Royaume-Uni représentent un des plus grands centres financiers du monde et que des flux énormes de capitaux passent par nos marchés. Ces marchés sont recherchés pour leur accessibilité, leur professionnalisme et leur capacité à absorber le volume... si vous cherchez à dissimuler des aiguilles vous utiliserez une meule de foin, or, les marchés britanniques sont aujourd'hui comme des immenses meules de foin ».

Cela signifie pour nous que nous avons à faire un très gros travail préventif de vigilance et de contrôle mais cela veut dire aussi que nous aurons d'extrêmes difficultés à identifier les détails des activités engagées dans le but délibéré de rester cachées. »

Monsieur Tim Sweeney, représentant de l'Association des banquiers britanniques n'a pu que confirmer cette analyse en déclarant : « En raison de la taille de notre place financière... nous reconnaissons que nous sommes vulnérables et c'est pourquoi nous devons tant prêter attention à cela... le blanchiment s'opère de multiples façons..., une bonne partie passe à travers les transactions qui se font entre correspondants bancaires... Nous devons garder à l'esprit la sophistication des blanchisseurs... beaucoup d'entre eux ont des techniques extrêmement sophistiquées et sont excellents dès qu'il s'agit de cacher leurs avoirs. »

Le blanchiment des capitaux est par nature un processus long qui exige d'effectuer un nombre important de mouvements à travers des comptes bancaires multiples, la plupart du temps au nom de sociétés-écrans, et qui utilise toutes les ressources du marché (contrats d'assurance-vie, achats et ventes de titres, recours à des produits financiers sophistiqués etc.).

De ce point de vue, Londres est une place idéale, très internationalisée, hautement spécialisée dans l'innovation et la création de produits financiers nouveaux, et régie par la souplesse juridique de la Common Law qui permet sans difficulté la création de trusts ou de sociétés garantissant l'anonymat.

La taille de la place financière de Londres et la multiplicité des opérations financières qui s'y effectuent chaque jour, le caractère très sophistiqué des produits qui y sont proposés, rendent par conséquent la City très attrayante pour les blanchisseurs d'argent.

En 1996, le GAFI avait souligné, lors de la deuxième évaluation du Royaume-Uni, l'existence de grosses affaires de blanchiment non liées au trafic de stupéfiants dépassant souvent les 100 millions de dollars et dans lesquelles intervenaient des professions de conseil dont les services étaient utilisés pour blanchir le produit d'infractions primaires commises hors du Royaume-Uni et portant notamment sur des trafics d'objets de valeur ou de métaux précieux.


D'après le Gafi « Londres attire les blanchisseurs »

« Le Royaume-Uni et, en particulier, la ville de Londres, demeurent attrayants pour les blanchisseurs d'argent, en raison de la taille et de la sophistication de leurs marchés financiers. L'étude d'un certain nombre de grosses affaires de blanchiment d'argent non liées au trafic de stupéfiants sur lesquelles il y a toujours enquête dans la ville de Londres a montré que ces affaires étaient toutes importantes (certaines d'entre elles dépassant les 100 millions de dollars des Etats-Unis), qu'elles avaient toutes une dimension internationale reposant souvent sur l'utilisation de techniques classiques de blanchiment d'argent comme les sociétés écrans et qu'elles se greffaient en majorité sur des infractions primaires commises hors du Royaume-Uni.

Outre que le nombre d'infractions primaires présumées commises en Europe orientale est important et que nombre de professions libérales telles que les avocats sont utilisées pour blanchir le produit de ces infractions, des objets de valeur, métaux précieux notamment, seraient de plus en plus utilisés pour les transferts de propriété d'un pays à l'autre. »

Extrait du 2ème rapport d'évaluation mutuelle du Royaume-Uni par les experts du GAFI, septembre 1996 (p. 3)

A.- LA PLACE DE LONDRES, UNE ACTIVITÉ AU C_UR DE LA VIE ÉCONOMIQUE DU ROYAUME-UNI

Ce n'est qu'à la fin du XIXème siècle que Londres, à l'origine ville de commerce et de négoce, fut reconnue comme la première place financière internationale. Jusqu'à la fin du XVIIIème siècle, Amsterdam avait occupé ce rang avant de décliner après la Révolution, laissant émerger les centres financiers d'Hambourg, Francfort, Berlin ou Paris.

Mais progressivement, Londres éclipsa ces dernières et devint la première place financière, en raison de la puissance commerciale du Royaume mais surtout parce que la ville était perçue comme un lieu de grande stabilité politique, peu réglementé et ouvert aux activités étrangères.

Au XXème siècle, après une période de déclin entre les deux guerres, qui fut cependant marquée par la création du marché des devises (Foreign exchange market), la place de Londres retrouva son importance financière au lendemain de la deuxième guerre mondiale avec, en 1958, l'assouplissement du contrôle des changes et le développement du marché des euro-obligations dans les années soixante.

L'abolition du contrôle des changes en 1979, allait redonner un coup de fouet supplémentaire à la City, amplifié en 1986 par un ensemble de mesures relatives à la dérégulation des marchés (The Big Bang).

Selon les estimations les plus récentes le produit intérieur brut de la ville de Londres évalué pour l'année 2000 à environ 2 000 milliards de francs représenterait ainsi 21 % du produit intérieur brut du Royaume-Uni. Par comparaison, si Londres était un Etat, son revenu national serait plus important que celui de la Belgique ou de la Suède.

Depuis dix ans Londres a connu une croissance économique d'en moyenne 3 % par an. Si le coût de la vie y est 10 % plus élevé que dans le reste du Royaume-Uni, les salaires sont dans le même temps de 30 % supérieurs à ceux du pays.

Aujourd'hui, Londres partage avec New-York et Tokyo le podium des plus grandes capitales mondiales de la finance. Alors que les activités de ces deux derniers centres ont, pour une large part, une origine nationale, Londres est avant tout un centre d'affaires et une place financière internationale.

1.- La compétitivité de la place financière de Londres

a) Les caractéristiques de la place financière de Londres

Londres, comme New-York, a connu depuis vingt ans un développement considérable de ses activités financières essentiellement dû à la libéralisation des échanges commerciaux, l'internationalisation des investissements et la vague de privatisations des grandes entreprises publiques.

- Le caractère international de la place de Londres

Il y a à Londres plus de banques étrangères que dans n'importe quelle autre place financière dans le monde. En avril 2001, le Royaume-Uni comptait 481 banques étrangères.


Nombre de banques étrangères implantées
dans différents pays

Royaume-Uni 481

Etats-Unis 287

France 187

Allemagne 242

Japon 92

En juillet 2000, les banques étrangères implantées à Londres géraient environ la moitié des avoirs bancaires déposés au Royaume-Uni, soit un montant de l'ordre de 17 000 milliards de francs 3.

Très logiquement les banques londoniennes enregistrent le plus fort taux de prêts bancaires transfrontaliers, détenant près du cinquième du marché mondial.

Londres est d'autre part la première place mondiale où s'échangent les devises et il faut conserver à l'esprit le fait « qu'avant même l'arrivée de l'euro, on échangeait à Londres davantage de francs qu'à Paris ou de deutsche marks qu'en Allemagne. » 4

La Bourse de Londres est par ailleurs la plus internationale de toutes les bourses mondiales. Plus de 500 sociétés originaires de 60 pays différents y sont cotées. En 1999, 7,5 millions de transactions ont été effectuées sur des valeurs étrangères, soit plus d'un tiers de l'ensemble des transactions réalisées sur la place britannique.

Dans le secteur de l'assurance, sur les 832 compagnies présentes sur la place anglaise, on trouve 81 compagnies européennes représentant 12 % du marché de l'assurance générale et 6 % du marché de l'assurance à long terme. Le niveau net des primes d'assurance collectées s'élève à environ 150 milliards de francs, ce qui fait du Royaume-Uni le premier marché international de l'assurance.

L'activité de gestion d'actifs est également très marquée par la présence de portefeuilles étrangers puisqu'un quart des fonds gérés sont la propriété de clients ou d'institutions européennes ou étrangères.

Londres enfin concentre en Europe le plus grand nombre de représentations des grandes entreprises puisque plus de 65 % des 500 sociétés les plus importantes y sont représentées et qu'un tiers d'entre elles y ont installé leurs sièges sociaux contre 9 % à Paris et 3 % à Francfort.

- Londres, première place financière mondiale

Comparée régulièrement à New-York, les deux villes se disputent le titre de capitale mondiale de la finance. Si New-York traite davantage d'opérations de fusions et acquisitions, Londres représente actuellement une des premières places pour les transactions internationales. Londres a généré 58 % du trading international des actions en 1999. Londres occupe la première place mondiale pour les changes et les marchés spécialisés (métaux, pétrole...).

Le classement en juin 2000 par la société de conseil en matière financière Thomson Financial Investor Relations montre que Londres reste encore la première place du monde avec 2 500 milliards de dollars - environ 18 000 milliards de francs - détenus dans les portefeuilles de la place 5.

Par comparaison, New-York représente 2 400 milliards de dollars - environ 17 980 milliards de francs - et Paris 458 milliards de dollars - 3 300  milliards de francs - ce qui en fait la deuxième place financière européenne devant Zürich et Francfort.

Londres représente le premier marché d'échanges de devises qui a réalisé, en 1999, un tiers des transactions sur le marché de l'euro. En 1998, avec un montant moyen journalier de plus de 6 000 milliards de francs de transactions, Londres effectuait plus d'un tiers des transactions mondiales sur devises. Ce résultat représente à lui seul plus que le total des montants enregistrés à New-York et Tokyo sur ce même marché.

b) Forces et faiblesses de la place de Londres

Une étude menée en 1999, à la demande de la « Corporation of London », a analysé la compétitivité de la place de Londres en la comparant aux quatre autres grands centres financiers que sont New-York, Tokyo, Paris et Francfort.

Il ressort de cette comparaison qu'il est moins coûteux d'effectuer des opérations financières sur la place de Londres que dans les autres villes étudiées.

L'indice moyen de compétitivité ayant été fixé à 100 pour Londres, on obtient pour New-York 117, Tokyo 143, Paris 155, Francfort 163.

La place de Londres est particulièrement attractive et ce phénomène de concentration financière entraîne à nouveau une économie d'échelle.

- Les atouts de Londres résideraient notamment dans :

· l'usage de l'anglais comme langue internationale des affaires ;

· des coûts de télécommunications pour les entreprises inférieurs d'environ 50 % aux coûts européens. Seule New-York pratiquerait des coûts inférieurs à ceux de Londres ;

· un faible niveau d'imposition comparé à celui des autres pays de l'Union européenne (l'impôt sur les sociétés est de 30 %, le taux supérieur de l'I.R.P.P. est de 40 %) ;

· un marché du travail vaste et hautement qualifié. Les cadres et techniciens spécialisés représentent à Londres 45 % des emplois contre 35 % dans l'ensemble du Royaume-Uni. Le Grand Londres compte quatre millions de personnes et cinq millions vivent dans les régions avoisinantes.

D'autres facteurs favorisent également le développement de la place financière de Londres ; il s'agit notamment de :

· la création de la zone euro, dont les experts ont estimé qu'elle devrait conduire à la création de 8 200 emplois nouveaux et qu'elle aurait permis une croissance supplémentaire de 0,4 % du secteur des services financiers en l'an 2000 ;

· du fait que les services et marchés financiers ont été placés sous le credo de la concurrence et ne sont soumis qu'à une réglementation minimale. Cette dérégulation généralisée met la place de Londres dans une situation favorable en termes de compétitivité.

- En revanche, les faiblesses de la place de Londres identifiées dans cette étude viendraient principalement :

· de la forte prédominance des intérêts étrangers et de la dépendance de la place britannique vis-à-vis de l'extérieur qui la rend plus dépendante de l'évolution de la conjoncture économique à l'étranger.

La présence de 550 banques étrangères à Londres peut être en effet considérée comme une faiblesse car ces établissements restent toujours susceptibles de rapatrier leurs fonds dans leurs pays d'origine ou de se délocaliser dans d'autres centres.

Selon une étude récente, la City sera très certainement contrainte à de profondes restructurations puisque les experts évaluent entre 20 000 et 50 000 le nombre de licenciements qui pourraient intervenir dans la City en 2001 et 2002, à la suite des reculs des marchés boursiers.

· des coûts salariaux élevés. En affectant à Londres l'indice 100 pour représenter le coût des salaires, on s'aperçoit que seules, New-York avec l'indice 125 et Tokyo avec l'indice 102, sont plus chères que Londres, Francfort se situant à l'indice 69 et Paris à l'indice 53.

2.- La City : un Etat dans l'Etat

Le terme de City of London ou de City renvoie à une réalité géographique d'environ un mile carré, soit une superficie d'à peu près 2,8 km², d'où également la référence au « Square Mile » utilisée pour désigner la City.

La City se distingue du Grand Londres qui s'étend sur 610 miles carrés et que la majorité des économistes désigne tout simplement par Londres.

Londres se différencie donc de la City qui désigne aussi un certain type d'activités financières existant dans le périmètre du Square Mile, mais qui peuvent aussi se pratiquer au-delà des frontières du périmètre sacré.

Il s'agit notamment des activités bancaires internationales, des activités sur devises, du secteur de la banque d'affaires, de la gestion de fonds, des activités de conseil en matière financière aux entreprises, des activités sur les marchés dérivés.

Au total, 75 % des emplois du secteur financier sont implantés géographiquement dans la City et 15 % du reste se trouvent à la frontière de ce périmètre.

Mais la City est aussi une entité institutionnelle, avec ses autorités locales et ses propres représentants en matière de justice et de police.

a) La City : une entité économique

En juillet 2001 l'étude précitée sur la contribution de Londres à l'économie du Royaume- Uni, faisait état des résultats suivants concernant la City 6 :

- En 2000, le produit intérieur brut (PIB) de la City était estimé à 22 milliards de livres soit environ 264 milliards de francs, représentant 13 % du PIB du Grand Londres et de l'ordre de 3 % du PIB du Royaume-Uni. Par comparaison au PIB de la City, le PIB du Nigeria est évalué pour cette même année 2000, à 27 milliards de livres et celui du Luxembourg à 13 milliards de livres 7.

- A elle seule, la City représentait, au début de l'année 1999, 19% des entreprises enregistrées dans le secteur financier pour l'ensemble du pays.

- En 1998, 286 000 employés environ travaillaient dans le « Square Mile » dont 138 000 personnes dans les services financiers, soit une augmentation de 12 % des effectifs entre 1991 et 1998 et 89 000 dans le secteur des affaires, soit pour la même période une progression de 56 %.

- Enfin, en 1999, les gains hebdomadaires moyens des personnels employés à plein temps dans La City étaient de 7 120 francs, supérieurs de 78 % à la moyenne des gains en Grande-Bretagne et 37 % plus élevés que la moyenne des gains enregistrée dans le Grand Londres.

Plus généralement, l'étude menée en 2000 par l'Unité de développement économique pour la Corporation of London 8 estime que la concentration des services financiers dans la City réduit, pour le consommateur de l'Union européenne, les coûts d'obtention de services financiers d'environ 16 % et explique une partie des succès de la City par cette économie d'échelle.

Selon ce rapport, si cette concentration n'existait pas, seules 48 % des activités perdues par Londres iraient s'installer dans un autre pays de l'Union européenne, alors que 26 % des transactions iraient s'effectuer en Suisse ou à New-York et que les 26 % restantes disparaîtraient purement et simplement.

b) La City : une entité institutionnelle

La « Corporation of London » est l'autorité locale de la City. Si sa compétence géographique s'étend quelque peu au-delà du strict périmètre de la City, c'est avant tout pour le bénéfice de ses résidents, de ses hommes d'affaires et de tous ceux qui y travaillent, qu'elle assure le développement et le fonctionnement de services municipaux.

Elle agit au travers du Conseil de la City (City's Council) dont les 119 membres élus des 25 quartiers (les Wards) qui forment la City, sont répartis entre 23 commissions chargées de la gestion de la ville et des intérêts des 8 000 résidents de la City of London.

Le maire de la City, le Lord Mayor of the City of London - Sir Michaël Olivier, qui prendra ses fonctions le 9 novembre 2001 -, ne doit pas être confondu avec le Mayor of London, le maire de Londres - Ken Livingstone -, élu depuis le 4 mai 2000 dont l'autorité et les compétences juridiques s'étendent à tout le « Grand Londres ».

Le Lord Mayor de la City, qui reconnaît l'autorité du maire de Londres, exerce des compétences distinctes qui ne concernent que les activités situées dans le périmètre du « Square Mile ». Au-delà de son rôle de maire de la City qui fait de lui le premier magistrat de la City, l'amiral du port de Londres ou le président de la City University, il assure surtout la très importante fonction de promotion du centre financier que constitue la City dont il est l'ambassadeur à l'étranger. Plus largement, la nature apolitique de son mandat fait de lui un personnage habilité à défendre à l'extérieur, les intérêts de l'économie financière britannique.

Une des missions essentielles de la « Corporation of London » consiste en effet à défendre et à conforter la City au premier rang des places financières internationales en y assurant un très haut niveau de compétences et en y imposant des exigences de qualité et de sécurité très élevées.

La « Corporation of London » a notamment élaboré une stratégie permettant à la City de conserver toute sa compétitivité face à des centres tels que Paris ou Francfort.

Quatre objectifs stratégiques ont été définis concernant la City :

- Renforcer et conforter la position de la City en reconnaissant l'importance des institutions qui ont choisi de s'implanter dans le Square Mile et qui contribuent à assurer la pérennité de la City et sa taille critique ;

- Promouvoir l'image de la City comme premier centre financier mondial ;

- Renforcer les critères de qualité et de compétences des personnels, mais aussi la performance des équipements et des infrastructures ;

- Encourager la City à rester au premier rang en termes d'innovation dans le secteur des services financiers.

c) La City : une entité policière

La City possède sa propre police. En 1828, Sir Robert Peel décida la création d'une police municipale dont la City était exclue. Progressivement, celle-ci mit en place sa propre police qui comptait en 1838, 500 personnes. Mais ce n'est qu'un an plus tard, en 1839, que fut créée, en vertu du City of London Police Act, la Police de la City telle qu'elle existe encore aujourd'hui sous la direction d'un commissaire (the commissioner).

La police de la City, placée sous l'autorité de la Corporation of London, se distingue par conséquent de la police de Londres, la Metropolitan Police Fraud Squad, avec laquelle elle collabore.

Ce fractionnement des services de police, hérité de l'histoire, n'est pas considéré par les responsables de la Metropolitan Police comme une difficulté.


La séparation de la police avec la City est historique

M. le Président : Par ailleurs, nous nous interrogeons sur le fait que vous soyez séparés de la police de la City, qui est une police spécifique. Qu'est-ce qui justifie cette séparation ? Dans le cadre de vos enquêtes qui concernent souvent le blanchiment, cette séparation brutale ne pose-t-elle pas de problèmes ? [...]

M. Tristram HICKS :Quant à la séparation de la police avec la City, elle est historique, mais cela ne nous pose aucun problème particulier. Sur le plan opérationnel, nous avons de bons contacts avec la police de la City et nous montons des opérations conjointement sans aucune difficulté.

M. David TUFFY : De toute façon, le Royaume-Uni compte quarante-trois polices régionales, chacune ayant son propre système informatique et ses propres fréquences de radio. La police de la City n'en est qu'une parmi d'autres.

M. Tristram HICKS : Il existe néanmoins un réseau très étroit de coopération et d'information entre les forces de police et les services de lutte contre la fraude dans chacune de ces polices régionales.

M. David TUFFY : Nous avons créé une association pour renforcer ces liens de collaboration.

Extrait de l'audition des responsables de la Metropolitan Police Fraud Squad, le 7 juin 2000.

Parce que la City figure au premier rang des places financières internationales, celle-ci se trouve structurellement exposée aux risques de blanchiment.

La City Police a donc un rôle important à jouer, qui lui a été assigné, de garantir la bonne réputation financière et la sécurité de la place de Londres. Pour remplir cette mission, 8 % environ des policiers de la City sont affectés à cette tâche, soit un pourcentage nettement plus élevé que dans toutes les autres forces de police du pays. La City of London police entreprend des actions de sensibilisation, d'information et de conseil auprès des banques et des sociétés implantées dans le « Square Mile » pour les alerter sur les risques de criminalité financière. Un bureau de la fraude (Fraud Desk) a ainsi été créé en 1998 par la City police pour traiter des enquêtes liées aux fraudes dans la City.

Il est notamment rappelé que de très nombreuses fraudes sont commises avec la complicité des personnels et qu'il faut, notamment en cas de mouvement à l'intérieur de l'entreprise, changer les ordinateurs et modifier les conditions d'accès aux bâtiments.

Il reste néanmoins très difficile de porter la moindre appréciation sur l'efficacité des interventions de la police de la City en matière de lutte contre la délinquance financière et le blanchiment des capitaux.

Si la City Police se montre en effet très disponible et prête à recueillir toute information susceptible d'améliorer la lutte contre la fraude et la délinquance financière, elle est en revanche beaucoup plus réticente dès qu'il s'agit de coopérer dans le cadre de procédures judiciaires. La City Police est la meilleure gardienne du secret bancaire comme certains magistrats français ont pu le constater de visu.


Le policier de Londres posait la question au policier
de la City qui la posait à l'avocat de la banque
qui la posait au banquier...

M. le Rapporteur : Comment voyez-vous la coopération judiciaire avec [...] la Grande-Bretagne ?

M. Renaud VAN RUYMBEKE : Si vous allez à Londres, il faut arriver à pénétrer au c_ur de la City, qui réalise une part importante du PNB de la Grande-Bretagne. Le pouvoir de la City est colossal. Elle a sa propre police et les policiers de Londres n'agissent pas comme ils le souhaitent dans ce périmètre.

Un juge italien m'a fait part des difficultés qu'il a rencontrées pour accéder aux comptes ouverts à la City aux noms de mafieux. Comme il n'avait pas de réponse à sa commission rogatoire au bout de six mois, il s'est rendu sur place pour poser quelques questions au responsable de la banque concernée. On l'a fait entrer dans un bureau où se trouvaient sept ou huit personnes et cela s'est passé de la manière suivante : il posait sa question au policier de Londres, qui la posait au policier de la City, qui la posait à l'avocat de la banque qui la posait au responsable de la banque. Et ce dernier répondait par le même circuit. Voilà un bel exemple de coopération judiciaire !

Ce qui est révélateur, c'est que plus une place financière est forte et respectée, plus elle considère que cette force est liée au secret bancaire. C'est le sentiment qui règne à Londres, aussi bien qu'à Zürich.

Extrait de l'audition du juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke le 2 mai 2000.

La City constitue bel et bien une forteresse impénétrable avec son statut particulier, ses rites et ses coutumes. Un univers clos dans lequel chaque financier, banquier ou homme d'affaires a d'abord choisi de se taire.

La Mission n'a pu rencontrer certains d'entre eux que sous l'absolue condition de l'anonymat. Ces banquiers sont les seuls à avoir accepté d'évoquer les procédures internes de contrôle anti-blanchiment mises en place dans leur établissement. Ces derniers ont toutefois choisi de s'en tenir à des interventions fort générales et à des appréciations aussi rassurantes que possible sur l'excellence de leur système anti-blanchiment...

B.- DES AUTORITÉS AUX MOYENS LIMITÉS

Fragilisé face au risque de blanchiment en raison de la dimension et des caractéristiques de sa place financière, le Royaume-Uni s'est doté d'un dispositif juridique classique de lutte anti-blanchiment, mais n'a consacré, jusqu'à présent, que des moyens opérationnels très modestes à cet objectif et l'on reste frappé en Grande-Bretagne par la faiblesse du nombre des poursuites et des condamnations pénales pour blanchiment : 100 procès y ont été intentés pour blanchiment entre 1986 et 1996 dont 16 en 1993 (pour 7 condamnations), 11 en 1994 (pour 5 condamnations), et 29 en 1995.

Par comparaison, à la même époque, l'Italie a engagé 538 procès et les Etats-Unis 2 034 pour blanchiment de capitaux.

Cette modestie des résultats peut être rapprochée de l'extrême parcimonie des moyens humains mis à la disposition des institutions chargées de lutter contre le blanchiment, puisque seulement une trentaine de personnes au NCIS assument la lourde tâche d'exploiter les 15 000 déclarations d'opérations suspectes qui leur parviennent en moyenne chaque année.

Il existe donc une disproportion flagrante entre la dimension de la place financière britannique qui, de par sa taille, pose des problèmes de surveillance et de contrôle des activités de l'ensemble des banques, établissements et intermédiaires financiers, et la faiblesse des moyens engagés pour lutter contre le blanchiment et la délinquance financière.

Cet état de fait n'a pas échappé aux responsables politiques britanniques puisque l'arsenal juridique et les structures institutionnelles engagées dans la lutte contre la criminalité financière et le blanchiment des capitaux on fait l'objet d'une analyse critique, tant de la part des experts gouvernementaux 9 que des parlementaires eux-mêmes 10.

Conscient de l'attrait de la place financière de Londres et du danger que la criminalité financière fait courir à sa solidité et à sa réputation, le gouvernement britannique a décidé de réagir.

En 1997, dès son arrivée au pouvoir, le Premier ministre travailliste Tony Blair a décidé de rompre nettement avec la politique de libéralisme financier engagée par ses prédécesseurs conservateurs et de soumettre l'ensemble des services financiers à une autorité unique se substituant aux multiples autorités existantes dans chaque secteur (banque, bourse, assurance...).

La création de la Financial Services Authority (FSA) répond à la volonté déclarée d'instaurer une police de la place financière de Londres et traduit le retour à une prise en charge par l'Etat de ses missions de régulation. Cette autorité unique de contrôle et de réglementation des services financiers, dotée de pouvoirs disciplinaires renforcés est expressément chargée de la lutte contre le blanchiment des capitaux, désormais défini comme un objectif prioritaire.

1.- Un arsenal anti-blanchiment classique

Dans les années 1990, le Royaume-Uni s'est doté d'une législation anti-blanchiment très comparable à celle des pays membres du GAFI.

· Sur le plan répressif, le Criminal Justice Act de 1993 (CJA) a élargi le champ du délit de blanchiment au produit d'activités illégales autres que le trafic de drogue ou le terrorisme. Le blanchiment issu du trafic de stupéfiants est visé par le Drug Trafficking Act de 1994, quant au blanchiment résultant du produit d'activités terroristes, celui ci reste soumis à une législation spécifique.

Le Terrorism Act 2000, en vigueur depuis février 2001 a abrogé le Prevention Terrorism Act de 1989. Il prévoit, (article 18), que toute personne qui participe ou se trouve concernée par une opération visant à faciliter la rétention ou le contrôle par une autre personne, d'avoirs terroristes, par dissimulation, transfert dans une autre juridiction, transfert à un prête nom, ou par tout autre moyen commet une infraction de blanchiment, passible d'une peine pouvant aller jusqu'à 14 années d'emprisonnement. En vertu de l'article 19 de cette loi, toute personne qui croit ou qui suspecte un tel acte de blanchiment est tenue de faire une déclaration auprès de l'autorité compétente sans que l'on puisse lui opposer d'avoir enfreint les règles du secret ou de la confidentialité.

De façon générale, la définition de l'infraction de blanchiment est complétée par l'existence d'une obligation de déclaration de transaction suspecte qui s'applique à toutes les personnes présentes au Royaume-Uni. Le fait de se soustraire à cette déclaration constitue une infraction pénale passible d'une peine pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement. Il existe ainsi en Grande-Bretagne, en théorie, une sanction pénale sévère pour non-déclaration.

· Sur le plan préventif, les Money Laundering Regulations, (MLR) adoptées en 1993 au titre de la transposition de la directive européenne anti-blanchiment de 1991, imposent aux banques, aux institutions financières non bancaires ou aux entreprises de placements en valeurs mobilières, une série de règles anti-blanchiment. Ces règles sont entrées en vigueur le 1er avril 1994 et jusqu'à la création de la Financial Services Authority (FSA), l'autorité unique de surveillance du secteur financier, il appartenait aux organismes professionnels d'autorégulation de s'assurer du respect de ces règles par leurs adhérents.

Parmi les règles imposées aux professionnels, on retrouve les obligations d'identification du client ou de son représentant, lorsque le client n'est pas le bénéficiaire réel du compte ou de la transaction, ainsi que l'obligation de conserver la documentation bancaire ou commerciale. Si les documents commerciaux doivent être conservés pendant cinq ans, les « Regulations » imposent de garder les documents d'identification du client pendant cinq ans à compter de la cessation de la relation d'affaires. Le fait de ne pas respecter les « Régulations 93 » peut valoir une amende et jusqu'à deux ans d'emprisonnement.

Les avocats et les comptables qui exercent une activité de placement, pour le compte de leurs clients sont soumis aux obligations de déclaration et d'identification de leurs clients. En revanche, les bureaux de change indépendants auxquels, en principe, s'applique cette réglementation, y échappent de fait largement, puisqu'il n'existe pas d'autorité de régulation dont ils relèveraient.

Un ensemble d'Instructions (Guidance Notes) destinées aux banques et institutions financières mises au point depuis 1990 et régulièrement révisées par un groupe mixte de direction sur le blanchiment d'argent, le Joint Money Laundering Steering Group (JMLSG) précisent dans le détail les meilleures façons de procéder pour établir avec la plus grande certitude l'identité des clients et des bénéficiaires réels.

Ces Guidance Notes sont applicables à toutes les banques, aux institutions de crédit ainsi qu'à toutes les entreprises ou individus intervenant en matière d'investissement au sens de la loi sur les services et marchés financiers, aux compagnies d'assurance y compris les Lloyd's of London. Ces instructions ont été révisées en février 2001 afin notamment de renforcer les procédures d'identification.

· Sur le plan opérationnel, les Britanniques ont opté pour un système de déclaration systématique de toute opération suspecte adressée au Service National du Renseignement Criminel, le National Criminal Intelligence Service (N.C.I.S.) et ont décidé, en 1997, de soumettre l'ensemble des secteurs et des activités financiers à une autorité de contrôle et de régulation unique, la Financial Services Authority (FSA) qui s'est substituée aux multiples autorités de contrôle et de surveillance existant jusqu'à cette date telles que la Banque d'Angleterre pour les banques ou le Securities and Investments Board pour les sociétés de placements en valeurs mobilières.

Dans l'ensemble, le dispositif anti-blanchiment mis en place par le Royaume-Uni a fait l'objet d'une appréciation positive par le GAFI lors de sa dernière évaluation en septembre 1996. En matière pénale, sur le plan des principes, la Grande-Bretagne n'est guère critiquable et se trouve même en avance sur la France en ce qui concerne :

- les professions soumises à l'obligation de déclaration de soupçon puisque les avocats et les comptables qui exercent des activités de placement pour leurs clients y sont assujettis ;

- les sanctions pénales pour absence de déclaration (cinq ans d'emprisonnement pour une affaire de blanchiment liée au trafic de stupéfiants ou aux activités de terrorisme, deux ans dans les autres cas) ;

- le renversement de la charge de la preuve puisque la loi prévoit que l'accusé doit prouver l'origine licite de ses biens s'il est condamné pour trafic de stupéfiants ou pour deux autres infractions graves, sous peine de confiscation ;

- l'allégement de la charge de la preuve car, dans les affaires criminelles de ce type, la règle pénale de la conviction au-delà du doute raisonnable, a été remplacée par la règle civile de la balance des probabilités.

2.- Le National Criminal Intelligence Service : N.C.I.S.

Créé en 1992, le N.C.I.S. est un organisme indépendant des structures administratives qui intervient spécialement sur les questions de grande criminalité et de crime organisé. Il dispose d'un budget de 500 millions de francs et emploie 700 personnes. Le N.C.I.S. travaille en partenariat avec les autres structures - police, douanes... - compétentes dont il constitue le point de coordination. Le N.C.I.S. est informé de toutes les enquêtes criminelles importantes qui se déroulent sur le territoire du Royaume-Uni ce qui doit lui permettre de s'assurer que tous les moyens adéquats ont bien été mis en _uvre et qu'il n'existe pas de doublon qui conduirait à mettre concurremment deux structures sur la même enquête.

Le N.C.I.S. n'est pas un organisme opérationnel ou d'enquête, mais il apporte du renseignement et des services aux structures opérationnelles d'enquête.

Le N.C.I.S. est constitué en six bureaux régionaux, son quartier général est à Londres. Plusieurs unités spécialisées par domaine de criminalité ont été créées au sein du NCIS parmi lesquelles se trouve l'Economic Crime Unit (ECU) qui représente l'unité de renseignement financier du Royaume-Uni, l'équivalent du TRACFIN français.

Les personnels qui composent cette équipe sont issus de la police, des douanes, du fisc, de la FSA, afin de réunir la plus large palette possible de compétences.

L'ECU exerce les fonctions classiques d'études du phénomène du blanchiment et de la criminalité organisée, de conseil et de formation auprès des professions et secteurs économiques concernés, et de représentation dans les instances internationales - les responsables de l'ECU font partie de la délégation britannique du GAFI, l'ECU est membre du groupe Egmont.

Mais surtout l'ECU est destinataire de l'ensemble des 15.000 déclarations annuelles de transactions financières suspectes - Suspicious transactions reports (STR) - que cette unité a la responsabilité d'exploiter et d'analyser avant de les transmettre pour enquête aux autorités policières compétentes.

Les unités spécialisées des forces de police régionales, la police de la City, ou le service des douanes sont alors chargés des enquêtes sur l'activité suspecte.


sur 15 000 déclarations, 14 800 sont envoyées à la police

M. le Président : Sur les quinze mille déclarations que vous recevez, combien sont envoyées à la police et la douane ?

M. Andy BLEZZARD : Dans tous les cas, sur les quinze mille, 14 800 seront envoyées immédiatement à la police. Pour le reste, il s'agira de transactions importantes, d'affaires où nous n'avons pas identifié l'auteur présumé ou d'affaires politiques trop sensibles pour les envoyer immédiatement à la police. Nous conservons ces dossiers par-devers nous, nous les étudions, et au moment approprié, nous les enverrons à la police pour traitement.

On adresse le dossier seulement aux spécialistes dans les forces de police concernées, car il faut respecter la confidentialité.

Extrait de l'audition de M. Andy Blezzard, responsable de l'Unité financière du N.C.I.S.

Cette automaticité de transmission donne aux auteurs des déclarations de transactions suspectes, la certitude que celles-ci parviendront aux services de police.

Ce système de déclaration systématique de toute opération suspecte explique le nombre très élevé de ces déclarations au Royaume-Uni puisqu'en moyenne 15 000 déclarations par an sont adressées au N.C.I.S. depuis sept ans.

Néanmoins, le fait que le N.C.I.S. enregistre un nombre de déclarations de soupçon dix fois supérieur à celui de TRACFIN ne signifie pas pour autant que l'efficacité du système de déclaration de toute opération suspecte en est décuplée.

a) Les faiblesses du système britannique

- Des déclarations difficiles à exploiter

La législation britannique n'impose pas aux déclarants d'effectuer leur rapport sur les transactions financières suspectes dans des formes bien définies. Le résultat est une extrême hétérogénéité des éléments d'information à exploiter qui entraîne un ralentissement général dans le traitement des demandes qui sont analysées dans leur ordre d'arrivée à l'exception des cas estimés comme extrêmement urgents. Cette difficulté due à l'absence de déclarations « standardisées » a été soulignée par le N.C.I.S. devant une commission parlementaire de la Chambre des communes.11

«  Malheureusement l'actuelle législation britannique ne précise pas les formes dans lesquelles les déclarations de transactions suspectes doivent être faites auprès du service chargé de les traiter. Cela entraîne de considérables variations dans les détails des informations contenues dans ces déclarations et réduit effectivement la vitesse et l'efficacité de l'ensemble du système... »

Il en résulte trop souvent des déclarations de qualité insuffisante pour pouvoir être exploitées comme l'ont déclaré certains responsables de la police britannique aux membres de la Mission.

C'est ainsi que des représentants de la Metropolitan Police Fraud Squad - la police de Londres - qui exploite les renseignements fournis par le NCIS, dans le cadre des déclarations d'opérations suspectes, ont indiqué que 5 000 déclarations,, sur les 15 000 qui parviennent au NCIS, étaient traitées par la Metropolitan Police, mais que seulement 10 % d'entre elles donnaient lieu à l'envoi d'un dossier devant les tribunaux. Cela ne signifie pas pour autant qu'il y aura 500 condamnations prononcées puisque, comme l'a souligné le chargé de la formation internationale de la Metropolitan Police : « très souvent, nous préférons enrayer le délit pratiqué, au besoin en informant les fraudeurs que la police a connaissance de leurs agissements. Il est donc très difficile de dire à combien de procès cela a donné lieu. »

La faiblesse de ces résultats s'explique aussi, selon les policiers, par la piètre qualité des déclarations reçues par le NCIS et le manque de moyens dont dispose cette autorité.


Les déclarations de soupçons que nous recevons,

nous posent des problèmes de qualité et de délai

M. le Président : Combien de dossiers sont-ils traités ici à partir des envois du NCIS ?

M. Tristram HICKS, chef de l'Unité du renseignement de la Metropolitan Police Fraud Squad : Le NCIS reçoit environ quinze mille déclarations de soupçons par an, dont cinq mille nous parviennent pour traitement. Nous en transmettons certaines à d'autres services, car toutes les déclarations ne donnent pas lieu à l'ouverture d'une enquête.

M. le Président : Combien d'enquêtes sont-elles ouvertes à partir de ces cinq mille ?

M. David TUFFY, responsable de la formation internationale à la Metropolitan Police Fraud Squad : Sur les cinq mille déclarations reçues, nous pouvons identifier un grand nombre de délits allégués car les informations fournies par les institutions financières concernent systématiquement des transactions suspectes. On peut immédiatement affirmer qu'il s'agit de délits. Néanmoins, sur les cinq mille déclarations reçues, seuls 10 %, soit cinq cents, donneront lieu à l'envoi d'un dossier aux tribunaux.

M. le Président : Par conséquent, cinq cents dossiers seront jugés et donneront lieu à des condamnations.

M. David TUFFY : Ce serait l'idéal, mais ce n'est pas le cas. Nous établissons des dossiers sur cinq cents cas et nous prenons certaines mesures opérationnelles. Mais il ne s'agira pas nécessairement d'un procès car très souvent, nous préférons enrayer le délit pratiqué, au besoin en informant les fraudeurs que la police a connaissance de leurs agissements. Il est donc très difficile de dire à combien de procès cela a donné lieu.  [...]

M. le Président : En tant que policiers, considérez-vous que les déclarations de soupçons qui vous sont envoyées par le NCIS sont un matériau de qualité ou sont-elles difficiles à exploiter ? Par ailleurs, nous nous interrogeons sur le fait que vous soyez séparés de la police de la City, qui est une police spécifique. Qu'est-ce qui justifie cette séparation ? Dans le cadre de vos enquêtes qui concernent souvent le blanchiment, cette séparation brutale ne pose-t-elle pas de problèmes ?

M. Tristram HICKS : Les cinq mille déclarations de soupçons que nous recevons du NCIS nous posent des problèmes et de qualité et de délai. En effet, entre le moment où le NCIS reçoit la déclaration, fait les vérifications nécessaires puis nous envoie un résumé, il s'est écoulé trois mois. Très souvent la qualité des renseignements est médiocre. Le NCIS ne fait pas un bon filtrage des données reçues et ne réussit pas à bien établir les liens entre les différentes transactions. Toutefois, le NCIS s'est engagé à améliorer son système et la qualité des produits.

C'est une question de moyens. Le NCIS n'a pas les moyens financiers d'offrir un bon service. Quant à la police, elle n'a pas perçu la nécessité de bénéficier d'un bon service. Nous reconnaissons devoir beaucoup aux banques et aux établissements financiers qui ont l'obligation de faire ces déclarations, ce qui entraîne des coûts pour eux.

Extrait de l'audition de responsables de la Metropolitan Police Fraud Squad le 7 juin 2000.

Au sein du NCIS, les effectifs de l'Unité de traitement des déclarations de transactions suspectes demeurent en effet très modestes compte tenu de l'importance de la place financière et du mécanisme adopté de déclaration automatique de toute transaction suspecte qui porte en moyenne à 15 000 le nombre des déclarations « non standardisées » à traiter chaque année.

En juin 2000, l'ECU comptait 33 employés, dont 13 personnes chargées de l'informatique et 11 responsables du renseignement parmi lesquels trois policiers, deux douaniers, deux représentants des services fiscaux et un représentant du ministère de la Défense, auxquels se joignaient un policier des services spéciaux et un représentant des douanes américaines.

- Peu de condamnations et une volonté politique encore fragile

Le système de déclarations automatique présente l'avantage indiscutable de faire entrer dans le champ de l'investigation un nombre de déclarations extrêmement élevé - plus de 15 000 par an en moyenne - mais l'efficacité du système n'est pas prouvée pour autant lorsqu'on constate in fine le faible nombre de condamnations prononcées pour blanchiment au Royaume-Uni.

Les chiffres transmis par le N.C.I.S. aux enquêteurs du GAFI en 1996 traduisent une faible utilisation judiciaire des déclarations de transactions suspectes puisque seulement 25 % d'entre elles concernaient véritablement des crimes ou des délits.

Ces résultats illustrent bien les constatations faites par ailleurs sur les mérites comparés des systèmes qui ont choisi d'opérer une séparation stricte entre leur service de renseignement financier et leurs services d'enquêtes et ceux qui ont opté pour une collaboration étroite entre eux.

Dans leur rapport sur la lutte contre le recyclage de l'argent du crime organisé, MM. Gravet et Garabiol estiment en effet qu'il n'est pas certain que le choix d'une relation étroite entre l'unité de renseignement financier et les services de police « donne des résultats plus probants en termes de détection des réseaux de blanchiment à partir des seuls renseignements financiers. Dans tous les pays, il est estimé que le nombre d'affaires judiciaires ouvertes à partir d'une détection du réseau financier ne dépasse pas 15 à 20 % du total. » 12

Les études comparatives menées sur cette question 13 montrent que, sur la période 1987-1998, il y a eu au Royaume-Uni, 357 cas de poursuites dont 136 ont donné lieu à des condamnations. Le nombre des poursuites, malgré une nette augmentation enregistrée à partir de 1994, date à laquelle l'infraction de blanchiment a été généralisée, est inférieur en valeur absolue au nombre des poursuites ouvertes en Italie - 538 poursuites - ou aux U.S.A. - 2 034 poursuites engagées pour la seule année 1995.

Pour l'année 2000, le service de TRACFIN fait état de 156 dossiers transmis à la justice française parmi lesquels 80 ont déjà fait l'objet, pour cette même année, de poursuites pénales et précise par ailleurs, qu'en 1999, 21 condamnations ont été prononcées pour blanchiment.

La modestie des résultats britanniques apparaît d'autant plus criante au regard de la puissance de Londres. La première place financière internationale au monde qui enregistre chaque jour plusieurs dizaines de millions de transactions financières et boursières n'a connu en moyenne qu'une dizaine de condamnations par an pour délit de blanchiment. La politique de libéralisation des mouvements de capitaux et de dérégulation des marchés financiers s'est accompagnée d'une absence délibérée de tout contrôle et de toute sanction.

Il faut à cet égard souligner que la lutte contre la criminalité financière et le blanchiment des capitaux n'a pas été considérée jusqu'à une date récente par les autorités politique, comme une priorité à la différence d'autres types de délinquance davantage liés à la vie quotidienne.

L'engagement du gouvernement britannique, depuis 1997, dans la lutte anti-blanchiment a été perçu comme un tournant comme en témoignent les propos tenus devant la Mission par M. David Tuffy en juin 2000 « La police pourrait améliorer sa performance. Nos services comprennent fort bien l'importance des déclarations de soupçons auxquelles le gouvernement attribue une grande valeur. Mais entre nous et le gouvernement, il y a toute une série de strates qui considèrent que le blanchiment d'argent, la fraude et la délinquance financière ne sont pas prioritaires par rapport aux autres délits tels que le trafic de drogue, les vols, voire les contraventions pour stationnement en zone illégale. Il me semble toutefois maintenant qu'il y a un changement de politique. »

b) Les améliorations envisagées

Dans le rapport précité relatif à la confiscation des produits du crime (Recovering the Proceeds of crime) de juin 2000, les experts du Performance and Innovation Unit (PIU) - cellule d'experts au service de l'exécutif, qui fournit au Premier ministre et aux membres du gouvernement des analyses et des propositions sur les principaux thèmes politiques - ont consacré un développement particulier au renforcement du dispositif anti-blanchiment 14 et concluent en fixant les objectifs suivants :

- améliorer l'utilisation des déclarations de transactions suspectes afin de permettre une meilleure application de la loi ;

- augmenter la quantité et la qualité de ces déclarations faites par les institutions les plus exposées au blanchiment, y compris les bureaux de change et les intermédiaires chargés d'effectuer des transferts de fonds ;

- accroître le taux des poursuites et des condamnations pour blanchiment de capitaux.

Afin d'obtenir une plus grande utilisation des déclarations de soupçons, le rapport préconise notamment :

- le traitement et l'analyse en vingt-quatre heures de 75 % des déclarations présentant les plus grands caractères d'urgence avant leur transmission aux services d'enquête, les autres déclarations devant être traitées dans un délai de cinq jours. Pour atteindre cet objectif, les experts considèrent que le N.C.I.S. doit bénéficier de financements supplémentaires ;

- l'augmentation du nombre des personnels chargés d'analyser et d'enrichir en informations les déclarations de transactions suspectes ;

- la mise en place d'une procédure efficace de retour d'informations auprès des institutions qui ont fait les déclarations de transactions suspectes.

Actuellement, ce « feedback » est jugé insuffisant et trop tardif. Mal effectué, il aboutit à faire douter de l'utilité même du principe de déclaration.

L'amélioration de la quantité et de la qualité des déclarations de soupçons doit, selon les experts, être plus particulièrement recherchée à travers :

- une étroite collaboration avec l'Autorité de contrôle des services financiers (F.S.A.) afin d'obtenir une meilleure contribution des acteurs du secteur financier soumis à l'obligation de déclaration, qui doivent être davantage sanctionnés (action en justice, retrait de la licence) en cas de manquement ;

- l'instauration d'un système d'échanges d'information entre la F.S.A. et le N.C.I.S. ;

- l'introduction d'un régime « allégé » de régulation des bureaux de change et des intermédiaires chargés d'effectuer des transferts de fonds.

3.- La Financial Services Authority : F.S.A.

a) La F.S.A. répond à l'échec de l'autorégulation

La Financial Services Authority (F.S.A.) est d'origine récente. Sa création fut annoncée par le Premier ministre Tony Blair lors du premier discours qu'il prononça, le 20 mai 1997, après la victoire des travaillistes aux élections législatives.

Cette autorité, à la fois juridiction, autorité de régulation et autorité de contrôle des activités financières, regroupe les neuf autorités de contrôle qui existaient jusqu'alors et auxquelles elle se substitue. La F.S.A. est désormais la seule autorité compétente pour la régulation des banques, des services d'investissement ou des compagnies d'assurance puisqu'elle regroupe l'équivalent de notre Commission bancaire, Commission des opérations de Bourse ou Conseil des marchés financiers.

Parmi les objectifs assignés à la F.S.A., figure la lutte contre la délinquance financière, dont le blanchiment d'argent est une des composantes. La F.S.A. dispose donc d'une compétence expressément prévue en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et de pouvoirs spécifiques pour contrôler le respect, par les organismes qui lui sont assujettis, de leurs obligations de vigilance contre le blanchiment.

Autorité normative, la FSA peut édicter des règles nouvelles, parfaire ou préciser des normes existantes, mais elle peut également, en cas de manquement, poursuivre les personnes qui relèvent de son contrôle, devant les tribunaux ou décider d'appliquer des sanctions disciplinaires (retrait d'agrément, blâmes, amendes).

La création de la F.S.A marque une étape importante de l'évolution de la place financière de Londres et rompt avec une tradition d'autorégulation confiant aux professionnels le soin de mettre en place leurs propres systèmes de contrôle et de réglementation des différents marchés et acteurs financiers.

Alors que la Suisse, autre place financière de premier plan, s'est engagée au même moment - l'adoption en Suisse de la loi cadre anti-blanchiment LBA date du 10 octobre 1997 et la présentation officielle de la FSA par le Chancelier de l'Echiquier a eu lieu le 28 octobre 1997 - dans la voie de l'extension de l'autorégulation aux professions financières non bancaires 15, le Royaume-Uni, tout au contraire, a décidé de redonner compétence aux pouvoirs publics pour exercer ces prérogatives de contrôle et de régulation en matière financière, tirant les conséquences des échecs de la politique d'autorégulation de la place financière de Londres.

Les divers affaires et scandales financiers qui ont rythmé la vie de la City au cours des années 1990 n'avaient, en effet, pu que faire apparaître les capacités limitées des professionnels de la banque et de la finance à intervenir de façon efficace.

La tardive révélation du problème des Lloyds, le scandale de la B.C.C.I., la faillite de la Barings, l'affaire Maxwell relative aux fonds de pension, menaçaient sérieusement d'affaiblir à terme l'image de la City et d'entamer son influence, alors qu'il lui fallait, dans le même temps, affronter la concurrence de nouvelles places financières, comme celle de Francfort.

Le gouvernement travailliste de Tony Blair a donc choisi d'apporter une réponse politique à ce problème en mettant un terme à près de vingt ans de développements incontrôlés des marchés financiers exclusivement livrés à la concurrence.


Scandale des Lloyd's : un marché autorégulé

entre « gens de bonne compagnie »

Des documents montrant la « pourriture structurelle » du Lloyd's sont parvenus à des députés d'opposition travailliste qui ont demandé l'ouverture d'une enquête sur le fonctionnement du marché. Le capital du Lloyd's s'est formé par les apports de riches particuliers qui placent leur fortune en gage auprès d'agents souscripteurs pour garantir des risques d'assurance - et empocher les bénéfices lorsqu'il y en a.

Les documents accusent les Lloyd's de pratiquer une discrimination entre les membres « les « names ») en reléguant les non-initiés dans des syndicats de souscription « poubelles » où ils encourent des pertes importantes sur leurs placements. [...]

En demandant l'établissement de règles strictes de régulation du marché, les députés dénoncent également les salaires royaux que s'attribuent les souscripteurs (underwriters) avec l'argent qui leur a été confié par les Names. [...]

Le président des Lloyd's, David Coleridge, a démenti en bloc ces accusations en estimant qu'elles émanent de membres qui n'arrivent pas à supporter l'idée qu'ils ont perdu de l'argent sur le marché. « Ils considèrent qu'il doit y avoir une sorte de scandale là-dessous », a-t-il déclaré jeudi mais il a refusé l'accès de l'ordinateur central des Lloyd's aux Names en colère.

Il a estimé qu'aucune enquête n'était nécessaire et que le marché, dont le fonctionnement est régi par une loi votée en 1982 - le Lloyd's Act - s'est toujours auto-régulé « entre gens de bonne compagnie ».

Le Secrétaire d'Etat aux Entreprise, M. John Redwood, s'est déclaré impuissant dans cette affaire et a suggéré aux Names de saisir le Bureau des fraudes (SFO) s'ils s'estiment victimes d'une machination.

Avec cette nouvelle affaire, c'est le fonctionnement même du Lloyd's, original et désuet, souvent comparé à un « old boys club » traditionnel, qui est remis en question. [...]

Isabelle Malsang, dépêche AFP du 14 février 1992.


Scandale de la BCCI :

La déréglementation financière menée par les gouvernements Thatcher et Major a réduit les pouvoirs de contrôle de la Banque d'Angleterre

Un « trou » d'au moins 10 milliards de dollars, 800 000 déposants sur le sable dont seulement 170 000 en voie d'indemnisation... La Banque d'Angleterre aurait-elle pu éviter cette formidable arnaque bancaire ? Force est de constater, au vu des premières fuites sur le contenu du rapport Bingham sur les responsabilités dans le krach de la BCCI, qu'elle a essayé de le faire... mais trop tard. [...]

Si « The Bank » devrait être ainsi épargnée des turbulences de l'après-Bingham, l'Honorable Leigh-Pemberton n'est pas près de quitter la rubrique des faits divers pour l'anonymat de son palais, qui sied davantage à ce gentleman élevé dans la plus belle tradition d'Eaton et d'Oxford. Les suites financières des incommensurables scandales - BCCI, mais aussi Maxwell, Brentwalker, Polly Peck, Harrod's Bank - et les retombées de la plus grave récession depuis 1945 (crise de l'immobilier et difficultés des banques commerciales) ne cessent de susciter l'opprobre de la City et de défrayer la chronique. [...]

Le renforcement de la surveillance bancaire, les conclusions du rapport Bingham, la longue saga de l'indemnisation des épargnants, ont précipité l'énigmatique Banque d'Angleterre à la « une » de toute la presse. Une véritable irruption sur la scène publique pour cette caste de fonctionnaires plus habitués à l'ombre des antichambres qu'à l'éclat des médias. A commencer par les « incorruptibles » du département-phare, le Banking Supervision Department (BSD), chargé de l'encadrement de banques locales comme étrangères. Ces inspecteurs cultivent suavement la persuasion discrète. Le froncement de sourcils, la tape sur l'épaule, ont fait pendant longtemps merveille auprès des professionnels du « Mile doré » (surnom donné à la City).

OPAQUES. En revanche, cette méthode flegmatique s'est révélée inefficace dans le cas d'organisations opaques et hétérodoxes comme la BCCI. Ses réseaux clandestins faisaient tourner autour de la planète des fonds, propres comme sales, la plupart du temps non comptabilisés, en utilisant des paradis fiscaux. [...]

RE-RÉGLEMENTATION. Par ailleurs, l'internationalisation des mouvements de capitaux, les politiques de déréglementation financière et de libéralisation économique menées par les gouvernements Thatcher et Major, ont fortement réduit la marge de man_uvre de l'institut d'émission insulaire. Paradoxalement, le ministère des Finances, derrière son discours officiel libéral, a pratiqué une sévère re-réglementation des circuits financiers. Résultat : alors que, il y a une décennie, la Banque d'Angleterre tenait les commandes de la City, aujourd'hui une dizaine d'organismes indépendants, sans compter une poignée de ministères, sont également chargés de contrôler ce qui s'y passe. « De tout ce monde, la Banque d'Angleterre est la plus apte à éviter les excès périodiques de certains. Le manque de coordination entre toutes ces autorités est un grand obstacle à une action collective pour assainir la place de Londres », nous explique Richard Brealey, professeur à la London Business School.

Article de Marc Roche dans Le Monde du 14 juillet 1992.


Affaire Maxwell : tout ce que la City compte

d'établissements prestigieux est mouillé

C'est horrible ! « L'avocat qui vient de décrocher son téléphone pour appeler Mark Homan est effaré. Il vient de commencer à éplucher les comptes de Maxwell Communication Corporation, et il ne lui a pas fallu longtemps pour comprendre qu'il aurait besoin d'un expert. Dans son confortable bureau de Price Waterhouse, dont les deux grandes baies vitrées donnent une vue imprenable sur la Tamise, Mark Homan écoute ce début de récit apocalyptique, et accepte de prendre en charge le dossier. [...]

C'en est fini de l'empire Maxwell. Ce groupe de plus de 1 000 sociétés plus ou moins cohérent vole en éclats à mesure que les experts retrouvent la trace des milliards disparus, évaluent les actifs et commencent à dépecer le monstre créé par « Captain Bob » pour indemniser des créanciers qui se comptent en dizaines de milliers. Deux ans plus tard, le gros du travail est accompli. Mais, comme le confie Mark Homan, « il faudra encore plusieurs années avant de pouvoir définitivement refermer le dossier ». [...]

Les fonds de pension :

Neil Cooper, de Robson Rhodes, a donc déjà récupéré environ 300 millions de livres appartenant à Bishopsgate Investment Management, mais il lui manque toujours 440 millions. Pour récupérer les fonds « empruntés » à la société qui gérait les fonds de pension de presque toutes les sociétés du groupe (Mirror Group, Maxwell Communication, AGB), le liquidateur a choisi l'attaque. Dans sa ligne de mire : les banques. Il réclame déjà - devant les tribunaux - 100 millions de dollars à Lehman Brothers et 33 millions de livres à Euris et à la BNP. Motif : des établissements financiers d'un tel niveau ne pouvaient pas ignorer, selon lui, que les transactions auxquelles Robert Maxwell leur demandait de participer n'étaient pas dans les règles.

Les banquiers :

Eux aussi se rangent volontiers parmi les victimes. Comme le corbeau de la fable, ils jurent, mais un peu tard, qu'on ne les y prendra plus. [...]

Au total, la dette bancaire du groupe Maxwell a été évaluée à environ 15 milliards de francs. Tout ce que la City compte d'établissements prestigieux est mouillé. Les banques britanniques (Barclays, NatWest, Lloyd's et Midland) totalisent près de 7 milliards d'engagements, sans doute à peu près le double de leurs concurrentes françaises (Crédit Lyonnais, BNP, Paribas Suisse et Société Générale).

Article de Thierry Arnaud dans La Tribune du 12 octobre 1993.

Dès cette époque, les travaillistes, alors dans l'opposition, envisageaient une série de réformes des services financiers afin de redonner davantage de transparence à ces marchés en leur imposant un minimum de règles et de contrôles.


Les travaillistes veulent réformer la City

Un gouvernement Labour réformerait en profondeur le fonctionnement de la City de Londres. Au programme : une simplification et un renforcement des pouvoirs de contrôle. Un abaissement du seuil au-dessus duquel l'OPA à 100 % est obligatoire. Contre toute attente, les financiers britanniques ne sont pas systématiquement hostiles à ces projets. [...]

Les changements préconisés par l'équipe dirigée par John Smith, le ministre des Finances du cabinet fantôme, concernent sept principaux domaines.

1. L'autoréglementation de la City. Le Labour prévoit de simplifier l'organisation actuelle en ne laissant subsister que deux self-regulating organizations ou SROs, au lieu de quatre actuellement, sous la tutelle du Securities and Investment Board. Il s'appuierait notamment sur les conclusions du rapport Clucas, publié le 17 mars dernier.

2. La transparence des entreprises cotées. La réforme des méthodes comptables serait accélérée. Un organisme de contrôle indépendant des auditeurs serait créé, et les commissaires aux comptes seraient soumis à une rotation obligatoire tous les cinq ans. Une nouvelle loi serait introduite pour étendre la responsabilité des commissaires aux comptes, qui n'ont aujourd'hui de comptes à rendre qu'à l'entreprise qui les emploie. Enfin, le cumul des fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général de la société serait systématiquement découragé.

3. La réglementation des OPA. Le seuil de l'OPA obligatoire sur 100 % du capital, actuellement de 30 %, serait abaissé ; tout projet d'OPA devrait être accompagné d'une notification détaillée sur les projets à long terme de l'acquéreur.

4. La lutte contre la fraude. Le dispositif de lutte contre les délits d'initiés et les sanctions seraient renforcés. Tirant la leçon de l'échec des procès Guinness et Blue Arrow, le Labour donnerait au Bureau des fraudes britannique (SFO) accès à des procédures civiles où les preuves sont moins difficiles à établir.

5. La réglementation bancaire. Son renforcement est présenté comme la conséquence inévitable de l'affaire de la BCCI, avec un fort accent sur le développement de la coopération internationale entre les régulateurs.

6. La gestion des fonds de pension. Là encore, c'est un scandale - l'affaire Maxwell, cette fois, qui nécessite un contrôle beaucoup plus strict de la gestion de fonds, qui se comptent en centaines de milliards.

7. Le Lloyd's. Le rapport Walker sur le plus grand marché d'assurance du monde, en cours de rédaction, verrait son champ de compétence élargi. Une réglementation indépendante serait fermement encouragée.

Article de Thierry Arnaud dans La Tribune du 27 mars 1992.

Ce projet ne pouvait guère rencontrer le soutien d'un gouvernement conservateur, défenseur d'un libéralisme économique sans entraves.

Toutefois, en 1993, un an plus tard, sans remettre en cause le principe de l'autoréglementation, le gouvernement britannique donnait néanmoins son accord à un renforcement des procédures de contrôle et de surveillance des services financiers préconisé par l'autorité de tutelle de l'époque, le SIB.


L'autoréglementation est souvent confondue avec l'intérêt bien compris des institutions financières

Le gouvernement britannique a donné son accord à un renforcement de la réglementation du secteur financier après plusieurs échecs de l'autoréglementation mise en place après la libéralisation de 1986 (le « Big Bang »), a indiqué le chancelier de l'Echiquier, M. Norman Lamont.

Instruit par l'affaire Maxwell, un scandale de soutien artificiel des transactions à la bourse des matières premières (FOX), le développement apparent des délits d'initiés et des abus dans la commercialisation de certains types d'assurance-vie, le Securities and Investment Board (SIB), autorité de tutelle du secteur financier, a décidé d'agir.

Le SIB est l'équivalent de la Securities and Exchange Commission (SEC) aux Etats-Unis ou de la Commission des opérations de bourse (COB) en France mais avec des pouvoirs beaucoup moins importants car son rôle se borne à superviser les « organisations d'autoréglementation » (SRO) qui sont chargées de policer chaque branche des services financiers.

« Désormais, le SIB va non seulement surveiller de plus près les SRO mais également mettre à l'étude la création d'une vaste centrale d'informations sur les transactions boursières destinée à lutter contre les délits d'initiés », a indiqué son président, M. Andrew Large. Le système recevrait des données sur une gamme importante de transactions financières, notamment sur les instruments dérivés (options, contrats à terme, etc.), qui échappent pour l'instant aux régulateurs.

Le rapport ne remet pas en cause le système de réglementation actuel à deux étages avec d'un côté le SIB et de l'autre une vingtaine de SRO chapeautant quelque 28 000 firmes autorisées.

Mais, selon M. Large, trop de fraudes restent impunies et l'autoréglementation est trop souvent confondue avec l'intérêt bien compris des institutions financières.

L'échec le plus grave des dernières années a été le détournement de plus de 450 millions de livres dans les caisses de retraite des sociétés du groupe Mirror par feu Robert Maxwell, que l'organisation censée surveiller les fonds d'investissement (IMRO) a été totalement incapable de déceler à temps.

Dépêche AFP du 26 mai 1993.

Malgré ce souci affiché d'une surveillance renforcée de la place britannique, aucun changement notable n'intervient à cette période et la vie financière dans le périmètre sacré du « Square Mile » a continué de se dérouler sous le regard bienveillant des professionnels autorégulés.

En 1995, la City est à nouveau ébranlée par le scandale de la Barings « la banque de la Reine » déclarée en faillite après l'enregistrement par sa filiale à Singapour de pertes colossales sur le marché des produits dérivés réalisées par un jeune courtier de 28 ans, Nick Leeson.

La Banque d'Angleterre est à nouveau critiquée pour son manque de clairvoyance et il devient urgent de préserver la réputation de la City.

Londres décide la création... d'une commission de réflexion.

« Cette commission de réflexion comprendra des représentants des principaux métiers financiers, des grandes sociétés britanniques et étrangères du secteur, et de la Banque d'Angleterre.

La création de cette commission « est une étape importante pour la promotion du Royaume-Uni comme centre d'excellence financière au niveau international », a déclaré le chancelier de l'Echiquier.

« Notre but est de soutenir avec efficacité les services financiers face à une concurrence de plus en plus vive », a-t-il ajouté, en donnant l'assurance que le gouvernement était décidé à créer un climat favorable au développement du secteur financier.

Selon les milieux financiers, la création de ce groupe de réflexion et le fait que le chancelier de l'Echiquier en prenne lui-même la présidence, montre l'importance du maintien de la Grande-Bretagne, comme l'une des plus grandes places financières mondiales.

Le secteur financier est le premier contributeur aux comptes courants du Royaume-Uni, et ses gains nets à l'exportation se sont élevés à 20,4 milliards de livres en 1994, contre 15,5 milliards en 1993. A elle seule, la City de Londres emploie 150 000 personnes. » (Dépêche AFP du 20 juillet 1995).

Il faudra attendre l'arrivée des travaillistes au pouvoir en 1997 pour que le Royaume-Uni s'engage résolument dans une autre voie et tire définitivement les leçons de l'échec de l'autorégulation et des conséquences néfastes de la politique de libéralisation, sans règles du jeu, des mouvements de capitaux lancée en 1986 sous le nom de big bang financier.

Le gouvernement britannique a pu, sans véritable difficulté, faire accepter à l'opinion publique, qui estimait qu'il revenait à l'Etat d'exercer ces fonctions de surveillance, le principe même de la création de la F.S.A., autorité de contrôle globale, unique en son genre en Europe.

La Financial Services Authority, promise par Tony Blair au cours de sa campagne électorale au printemps 1997, a été officiellement installée en octobre 1997 dans ses locaux de Canary Warf. La FSA n'exercera la plénitude des pouvoirs qui lui sont conférés, concernant les services financiers, qu'à compter du 1° décembre 2001, après l'entrée en vigueur, en novembre 2001, de la loi sur les services et les marchés financiers (Financial Services and Markets Act 2000) adoptée le 14 juin 2000. Cette loi-cadre se substituera alors à l'ensemble de la législation et de la réglementation qui s'appliquent en matière de régulation financière. Jusqu'à la fin de l'année 2001 la FSA n'intervient donc que sur la base de pouvoirs plus limités définis par la législation en cours.

Comme l'a indiqué à la Mission M. Phillip Thorpe : « la nouvelle législation est très complexe... Il faut... une période de transition parce qu'il faut mettre en _uvre des procédures compliquées pour transférer l'ensemble de ces règles dans le nouveau corpus. »

Toutefois, la FSA qui va disposer de pouvoirs propres, à la fois de nature législative - par délégation du Parlement britannique - et de nature réglementaire, a d'ores et déjà élaboré un certain nombre de règles anti-blanchiment qui elles sont applicables depuis le 21 juin 2001.

On ne peut manquer, face à de tels délais d'entrée en vigueur du nouveau dispositif d'ensemble de lutte anti-blanchiment - quatre années se sont écoulées depuis l'annonce de la création de la FSA -, d'être étonné de la lourdeur et de la complexité des procédures engagées alors que depuis ces quatre dernières années les phénomènes de blanchiment n'ont fait que s'accélérer et s'amplifier. La méthode et l'approche retenues par l'Autorité des services financiers témoignent de la lenteur des autorités britanniques à intervenir sur la question du blanchiment des capitaux.

b) L'élaboration par la FSA de nouvelles règles anti-blanchiment : les Money Laundering Rules

En avril 2000, la F.S.A. a exposé, dans un document écrit le « consultation paper 46 » ou CP 46 16, la façon dont elle entendait intervenir en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, en application de la loi sur les marchés et services financiers (Financial Services and Markets Act 2000).

En se fondant sur ce qu'elle appelle la « joined up philosophy », la F.S.A., a défini un ensemble de normes qui viendront renforcer et améliorer les dispositions de la loi de 1993 sur les Régulations et compléter le corpus des règles et instructions contenues dans le guide élaboré par le « Joint Money Laundering Steering group » J.M.L.S.G., auquel elle se réfère explicitement.

Pour autant, la FSA qui n'est pas liée par cet ensemble de règles d'origine professionnelle, élabore sa propre réglementation de façon parallèle et distincte, comme l'a bien précisé M. Phillip Thorpe à votre rapporteur, sans parvenir toutefois à faire partager à la Mission toutes les subtilités et tout l'intérêt d'un système de règles anti-blanchiment de même contenu mais définies de façon parallèle par les professionnels et la FSA. .

« M. Brian  DILLEY, responsable de la FSA : Une approche parallèle mais distincte concerne les règles de la FSA comparées aux exigences des règles de lutte contre le blanchiment des capitaux de 1993 (loi pénale). L'intention est de montrer que les exigences sont approximativement les mêmes mais qu'elles ne sont pas directement liées.

Les Money Laundering Regulations comportent des notes d'interprétation élaborées par des associations professionnelles. Dans ces notes, on trouve des codes de meilleures pratiques, dont l'identification du client, la surveillance, etc. En outre, être en conformité avec ces notes veut dire être en conformité avec les Money Laundering Regulations.

Les règles de la FSA ne sont pas liées directement aux régulations ou aux notes d'interprétation, mais la première règle que vous trouverez dans ce texte est d'identifier de manière appropriée la personne demandant à ouvrir un compte. La FSA doit décider si une institution financière a appliqué la règle ou non, voire si cette institution est en conformité avec les notes d'interprétation des Money Laundering Regulations. »

Il ressort de cette tentative d'explication qu'il existe au Royaume-Uni :

- d'une part des activités et professions soumises à une régulation de caractère général dont la dernière expression législative est le Financial Services and Markets Act 2000

- d'autre part un ensemble d'activités et de professions soumises à une réglementation anti-blanchiment constituée par les Régulations 1993 qui donnent force de loi à la directive européenne sur le blanchiment de 1991 et par un ensemble de règles définies par les professionnels de la banque et de la finance : les Guidance Notes.

Certaines professions ou activités relèvent de cette double réglementation (ex : les banques ou les sociétés de crédit immobilier), d'autres structures ne sont soumises qu'à la législation anti-blanchiment (Regulations 93) sans être régulées par ailleurs. C'est le cas des bureaux de change indépendants ou des agents réalisant des transferts électroniques de fonds (money transmission agents) auxquels ne s'appliquent pas le Financial Act 2000. Inversement les assurances qui relèvent de cette dernière loi ne sont pas visées par les Regulations 93.

La FSA qui exercera son autorité sur l'ensemble des acteurs soumis au Financial Act 2000, a par ailleurs défini en application de cette législation cadre un ensemble de règles anti-blanchiment les Money Laundering Rules qui viennent en complément et en parallèle de la législation et de la réglementation anti-blanchiment existantes à savoir les Regulations 93 et les Guidance Notes. Ces règles ont été élaborées, en concertation avec les professionnels de la finance, par la F.S.A. (consultation paper 46) en avril 2000. Les personnes sollicitées ont fait connaître leurs observations dont la F.S.A. a tenu compte dans son projet final 17.

· Champ d'application des règles anti-blanchiment de la F.S.A

Les règles de la F.S.A. s'appliqueront au territoire du Royaume-Uni. Néanmoins, lorsqu'un établissement lui-même soumis à la régulation de la F.S.A. aura des filiales, situées hors du Royaume-Uni, la F.S.A. s'estime compétente pour apprécier si la maison mère s'est correctement assurée que les mesures adéquates ont bien été prises dans ses filiales pour lutter contre le blanchiment. Sur ce point, un responsable de la FSA a précisé que si la FSA n'aura pas le pouvoir de sanctionner un individu en dehors du Royaume-Uni, il lui sera possible cependant d'engager des poursuites disciplinaires à l'encontre d'une personne au Royaume-Uni qui dirigerait des opérations à l'extérieur en n'ayant pas agi avec intégrité.

Les activités concernées par l'application des règles anti-blanchiment sont celles qui relèvent de la législation du Financial Act 2000. S'agissant des bureaux de change ou des activités de transferts électroniques de fonds, la F.S.A. considère quelle peut toutefois contrôler ces activités lorsque celles-ci sont exercées par des entités elles-mêmes contrôlées par la F.S.A. (bureaux de change dépendant d'une banque par exemple).

· La nomination d'un responsable anti-blanchiment

Le rôle de la F.S.A. est de s'assurer de la mise en place, au sein des institutions qu'elle contrôle, des procédures adéquates pour lutter contre les risques de blanchiment des capitaux.

Les établissements bancaires et financiers ont l'obligation, en vertu des « Régulations 93 » de nommer un responsable anti-blanchiment : le Money Laundering Reporting Officer (M.L.R.O.) dont les responsabilités seront désormais renforcées en même temps que ses pouvoirs seront accrus et qu'un niveau élevé de qualification sera exigé pour sa nomination. Cette personne aura notamment pour mission de recevoir les rapports internes faisant état de soupçons, d'établir les rapports externes à l'attention du N.C.I.S., d'obtenir et d'exploiter les résultats d'études ou d'enquêtes internationales, de vérifier que les actions de sensibilisation et de formation du personnel - une formation est exigée au moins tous les deux ans - sont correctement assurées, de présenter un rapport annuel au Conseil d'administration, lequel devra se conformer aux conclusions qu'il contient. Le M.L.R.O. sera agréé par la F.S.A. ; il devra bénéficier d'une certaine expérience professionnelle et disposer d'une autorité propre.

Cette exigence doit notamment permettre au responsable anti-blanchiment de transmettre au N.C.I.S., sans avoir à solliciter l'autorisation de quiconque, tout élément relatif à une opération suspecte et, d'une façon générale, d'avoir accès à toute information qu'il juge utile à l'exercice de sa mission.

· Les procédures d'identification du client et des bénéficiaires économiques

S'agissant des procédures d'identification, la F.S.A. reprend les principes classiques qui obligent les établissements soumis à son contrôle à prendre toutes les mesures raisonnables pour s'assurer de l'identité de leurs clients et de celles des ayants droit économiques réels, bénéficiaires des fonds, lorsque ces derniers sont représentés par des mandataires.

La F.S.A. admet des exceptions aux procédures d'identification lorsque, par exemple, le client est lui-même une institution de crédit ou une institution relevant de la législation anti-blanchiment.

L'identification n'est pas non plus exigée dans le cas de la réalisation d'une seule opération d'un montant inférieur à 15 000 euros, de plusieurs opérations liées entre elles dont le montant total n'excède pas non plus 15 000 euros. Ce plafond est extrêmement élevé si on le compare à la législation française qui oblige à procéder à un règlement scriptural au-delà de 20 000 francs.

La F.S.A. a surtout maintenu la possibilité de ne pas procéder à l'identification du client lorsque ce dernier est recommandé par une personne agréée qui assure à la banque qu'elle lui fournira les justificatifs d'identification.

Ainsi, le fait pour les avocats ou les experts comptables, de devoir effectuer les procédures d'identification, permet aux banques de s'en dispenser.

De façon générale, par personnes agréées, il faut entendre toutes celles qui relèvent, soit de la législation britannique, soit d'une législation prise en application de la directive européenne anti-blanchiment de 1991, soit enfin d'une autorité de régulation financière ou d'une législation d'un degré équivalent à celui de ladite directive européenne.

La FSA a toutefois précisé 18 que, dans ce cas, la responsabilité disciplinaire et pénale d'une identification correcte pèse sur l'établissement (banque, société de crédit, société d'assurance, etc.) qui entre en relation avec le client.

En conséquence, dans l'hypothèse d'une identification défaillante établie par un tiers représentant le client, c'est l'établissement financier qui reste passible de poursuites de la part de la FSA.

· Sensibiliser le personnel au risque de blanchiment

Les opérations de blanchiment nécessitent toujours à un moment donné la complicité active ou passive d'une personne à l'intérieur de la banque ou de l'établissement financier utilisé pour procéder à la transaction.

Le règlement de la FSA insiste donc tout particulièrement sur les actions de formation des personnes employées dans les secteurs d'activités financièrement régulés.

Il doit être notamment rappelé aux dirigeants de ces établissements que leur responsabilité personnelle est engagée sur divers plans incluant :

- l'obtention de preuves suffisantes pour établir les identifications ;

- la nécessité de procéder à une déclaration d'opération suspecte.

Les entreprises doivent par ailleurs organiser des sessions de formation à échéance régulière tous les deux ans au maximum.

L'ensemble des dispositions qui viennent d'être exposées n'ayant pas encore reçu une pleine application, il n'est pas possible, pour l'instant, de porter une appréciation sur leur efficacité. A l'heure actuelle, la FSA continue d'agir sur la base de pouvoirs limités comme l'a montré l'enquête menée sur les fonds Abacha.

4.- L'Affaire Abacha : un exemple de la léthargie britannique

En septembre 2000, la Commission fédérale des banques suisses dénonçait les insuffisances « crasses » - selon ses propres termes - d'un certain nombre de banques de la place helvétique nommément citées, qui avaient accepté et géré, au mépris de la déontologie la plus élémentaire, les fonds d'origine criminelle de l'ancien dictateur nigérian Sani Abacha et de sa famille.

Cette affaire n'étant cependant pas propre à la Suisse, celle ci, en prenant la décision de geler les avoirs Abacha, a également informé officiellement les autorités françaises et britanniques de l'existence d'autres « fonds Abacha » dans les banques de Paris et de Londres.

Sous la pression conjointe des autorités nigérianes bien décidées à engager dans leur pays des poursuites judiciaires à l'encontre de l'ancien dictateur et de ses proches, et des autorités suisses soucieuses, à juste titre, que les autres places financières concernées réagissent comme la Suisse elle-même l'avait fait, le Royaume-Uni a fini, après bien des réserves, par accepter l'idée d'une coopération avec le Nigeria et le principe d'une enquête de la FSA auprès des banques.

a) Une enquête limitée

Bon gré, mal gré, la City a dû s'y résoudre et accepter le verdict feutré de la FSA qui, après trois mois d'enquête auprès des seuls établissements bancaires, a fait part dans un communiqué daté du 8 mars 2001, de sa franche déception d'avoir à constater que 15 des 23 banques concernées par la détention de « fonds Abacha » montraient des faiblesses significatives dans leurs procédures de contrôle.

Les enquêteurs de la FSA ont dénombré, sur le sol du Royaume-Uni, 42 comptes personnels ou de sociétés rattachés à la famille Abacha ou à ses proches, eux-mêmes répartis dans 23 banques de nationalité anglaise aussi bien qu'européenne ou étrangère.

Le total des avoirs déposés entre 1996 et 2000 sur ces comptes atteignait 1,3 milliard de dollars mais surtout 98 % de cet argent avait été placé dans les 15 banques prises en défaut pour manquement à leurs obligations de vigilance.

Ces 15 banques présentaient des faiblesses graves portant notamment sur les procédures d'identification des bénéficiaires réels des comptes de société, l'insuffisante expérience ou qualification du responsable de la banque chargé du suivi de ces comptes, le manque d'informations sur l'origine de la fortune de ces fameux clients, un manque d'application des règles à suivre pour procéder aux déclarations des transactions suspectes auprès du NCIS, une tendance à faire trop confiance aux simples dires des clients.

Parmi ces 15 banques, huit d'entre elles avaient apporté des correctifs au moment de l'enquête ; sept autres en revanche continuaient d'exercer leur métier dans des conditions défaillantes. A ces dernières, la FSA a fixé un calendrier strict pour qu'elles remettent à niveau l'ensemble de leurs systèmes et leurs procédures, comme l'a indiqué à la Mission un des responsables de la FSA, M. Brian Dilley, rencontré le 13 juin 2001 :

« Nous avons créé un petit groupe d'intervention - Task force - pour faire en sorte que des procédures uniformes soient appliquées à toutes ces institutions bancaires. Nous avons bien dit aux institutions concernées quelles étaient les faiblesses constatées et nous avons fixé à chacune un délai d'exécution pour y remédier.

Nous verrons si, en temps voulu, chaque banque concernée aura pris les mesures qui lui étaient demandées. A cette fin, ont été nommés des comptables, qui doivent nous rendre leurs conclusions avant la fin de l'année. »

Au total, l'intervention de la FSA, qui a agi dans le cadre de l'ancienne législation, est restée modeste. La FSA n'a pas eu le droit, en application du Banking Act de 1987, de citer le nom des banques fautives.

La FSA n'a pas davantage le pouvoir de prononcer le gel des avoirs suspectés de provenir du produit d'activités criminelles.

Enfin, la FSA ne s'est intéressée qu'à la situation des banques alors que d'autres institutions ou intermédiaires non bancaires ont également reçu et géré une partie des avoirs Abacha.

En l'état de la législation britannique applicable au moment de l'enquête, la FSA ne peut guère qu'engager une action de redressement et de mise à niveau des systèmes de contrôle à l'encontre des banques visées.

Elle doit désormais s'assurer des réponses apportées par ces établissements aux exigences fixées, pour chaque banque concernée, par les « rapporteurs-comptables » nommés spécialement.


En attente de la nouvelle loi, nous pouvons utiliser
les pouvoirs que nous donne la loi sur les banques

M. Brian DILLEY : L'étape suivante, dans le cadre de cette enquête de la FSA, est de finaliser le contenu du rapport à fournir par les comptables, nommés rapporteurs. Ceux-ci font leurs études, nous rendent leur rapport et nous vérifierons si les procédures ont été améliorées.

Tout ne se déroule pas en même temps. Les rapports seront échelonnés au long des mois à venir, parce que les institutions se trouvent dans des situations différentes les unes par rapport aux autres. Mais si nous trouvons, à la fin de l'année, qu'une institution n'a pas fait le nécessaire, nous pouvons utiliser les pouvoirs qui nous sont conférés dans le cadre de la loi sur les banques car nous avons, en effet, certaines compétences d'application de la loi.

Ces pouvoirs seront encore renforcés avec la publication, la communication et la mise en application de la nouvelle loi sur les marchés et les institutions financières (Financial Services and Markets Act). Nous pourrons alors engager des procès.

Extrait de l'audition de M. Brian Dilley, représentant de la FSA - Londres le 13 juin 2001.

L'enquête menée par la FSA sur les fonds Abacha a souffert à l'évidence du cadre législatif restreint dans lequel elle s'est déroulée.

Les responsables de la FSA rencontrés le 13 juin 2001 par la Mission l'ont d'ailleurs souligné à plusieurs reprises, cette investigation sur les fonds Abacha détenus par les banques implantées à Londres n'aurait pas eu les mêmes conséquences si la nouvelle législation avait pu déjà s'appliquer.

A l'avenir, en principe dès le 1er décembre 2001, dans un cas semblable, la FSA pourra citer le nom des banques après avoir prouvé l'infraction auprès du tribunal administratif créé par le Financial Services and Market Act 2000.

La FSA pourra également infliger des sanctions disciplinaires et pénales aux établissements défaillants, mais aussi aux responsables de la banque en cause.

Enfin, la FSA aura la possibilité d'étendre, à toutes les institutions financières non bancaires, son contrôle sur les systèmes et les procédures de vigilance.

b) Les conséquences de l'affaire Abacha

Le scandale des fonds Abacha confirme de façon éclatante le principe selon lequel le degré de sécurité d'une place financière se mesure en son point le plus faible. En l'espèce, l'enquête de la FSA a montré que 98 % des avoirs Abacha étaient venus se placer dans le réseau des 15 banques, sur les 23 inspectées, qui présentaient les défaillances les plus graves.

A cet égard, le renforcement de la surveillance des systèmes de contrôle, l'exigence d'une application sans concession des règles et des procédures par les responsables bancaires, la définition de sanctions tant disciplinaires que pénales en cas de manquement aux obligations légales prononcées tant à l'encontre des banques que des individus, constituent des réponses cohérentes.


Chaque fois que nous relevons des faiblesses,
c'est toujours parce qu'un responsable a fait passer
le chiffre d'affaires ou les résultats
avant les principes éthiques

M. Phillip THORPE, Managing Director de la FSA : [...] Jusqu'à présent, notre système accorde une grande priorité aux systèmes et aux procédures de vérification ainsi qu'à la qualité des dirigeants.

Je ne veux pas dire que nous avons toujours trouvé le bon équilibre entre les différents domaines qui doivent être encadrés. En révisant notre démarche d'appréciation du risque, et nous menons cette réflexion pour tous les domaines de notre intervention, notre conclusion est qu'il faut renforcer les systèmes et les procédures de contrôle pour donner aux institutions financières beaucoup plus de possibilités pour prendre des décisions d'ordre éthique, déontologiques.

Je vous l'ai déjà dit, nous n'avons pas encore assez de pouvoirs pour sanctionner les individus et, en ce qui concerne les banques et les autres institutions financières, ce sont de nouveaux pouvoirs pour la FSA et les institutions financières n'acceptent pas volontiers que nous ayons acquis ces nouvelles compétences. C'est donc un petit problème de « marketing » pour la FSA, mais nous devons annoncer très clairement que nous avons bien la possibilité de modifier le comportement des institutions financières, et les dirigeants des institutions financières doivent bien comprendre leur responsabilité personnelle.

Nous avons notre régime de surveillance, qui s'occupe surtout des responsabilités des hauts dirigeants.

Les directeurs d'une institution, les responsables supérieurs, les personnes qui s'occupent du respect des lois, y compris celui responsable du blanchiment des capitaux, bref, toute une série de personnes au sein d'une institution financière sont identifiées comme devant se comporter d'une certaine façon. On leur explique bien qu'elles ont des responsabilités personnelles et qu'elles encourent le risque assez grave d'être en infraction avec la loi.

Il faut vraiment faire comprendre le besoin au sein des institutions financières d'un comportement éthique. Le message ne passera vraiment que lorsque les individus l'auront compris. Chaque fois que nous relevons des faiblesses au sein d'une institution, c'est toujours que quelqu'un a pris une décision personnelle, parce que quelqu'un est responsable, seul, de la priorité accordée au chiffre d'affaires, responsable d'avoir fait passer le chiffre d'affaires ou les résultats avant les principes éthiques.

Extrait de l'audition de M. Phillip Thorpe, Managing Director de la FSA, à Londres le 13 juin 2001.

En attendant de pouvoir prononcer des sanctions à l'égard des personnes, en application des pouvoirs qui lui seront conférés à compter du 1er décembre 2001, la FSA a montré qu'elle entendait faire preuve de fermeté.

Ainsi, le 22 août dernier, la FSA a annoncé avoir infligé à la maison de courtage Paine Webber International UK, une amende de 350 000 livres sterling pour « de sérieuses infractions, dont des contrôles inadéquats pour prévenir le blanchiment » de janvier 1998 à décembre 1999.

Bien qu'elle n'ait enregistré aucun cas de blanchiment cette société s'est « exposée au risque de blanchiment d'argent » ce qui a justifié la sanction de la FSA.

De son côté, l'Association des banquiers britanniques a annoncé le 30 août 2001, le lancement d'un programme de formation pour les employés du secteur financier afin de rendre les banquiers « plus conscients de leurs obligations et de leur responsabilités en matière de prévention et de détection » du blanchiment. Les salariés de l'industrie des services financiers seront soumis à un examen qui permettra de vérifier que les établissements qui les emploient ont correctement formé leurs employés à ce risque.

De façon plus générale, l'affaire Abacha pose le problème de la définition des règles spécifiques à appliquer lors de l'acceptation ou de la gestion des avoirs déposés par des personnels politiquement sensibles - les PEP (politically exposed persons) - ou leurs représentants.

Le Royaume-Uni n'a pas encore répondu sur ce point mais cette question fait désormais partie des thèmes débattus en commun par les autorités bancaires des principales places financières.

A la suite de la conférence qui s'est tenue en janvier 2001 à Lausanne, la FSA s'est interrogée sur le point de savoir s'il convenait d'adopter un cadre uniforme international pour ce type de compte, tout en se réservant, à défaut, la possibilité de modifier son règlement concernant la gestion de ces comptes, la difficulté en ce domaine résidant, pour tous les pays concernés, dans le délicat exercice politique de qualification d'une personne politiquement sensible ou d'un régime corrompu


Le problème, c'est qu'un gouvernement ne peut pas toujours donner un signal très clair

M. Phillip THORPE, Managing Director de la FSA : C'est un domaine délicat. Evidemment, il y a les - PEP - personnes politiquement exposées (politically exposed persons), mais plus généralement la question d'un régime corrompu. Pour la FSA, il ne faut pas caractériser certains régimes comme étant des régimes corrompus.

Ce n'est pas notre rôle. Cela, c'est la tâche d'un gouvernement.

M. le Rapporteur : Mais dans la mesure où vous êtes un peu législateur, vous exercez une tâche gouvernementale ?

M. Phillip THORPE : Oui, mais il faut l'exercer dans le cadre des directives données par le gouvernement. En règle générale, nous estimons que ce n'est vraiment pas à nous de critiquer.

M. le Rapporteur : Je comprends. Ce n'est pas à vous de dire à l'égard de quel pays vous pourriez être amenés à édicter des normes plus restrictives que pour d'autres. Cela, il est vrai, relève du gouvernement.

Pourtant, l'élaboration de critères impersonnels à partir desquels il serait possible de détecter de l'argent sale à travers les caractères politiques de la personnalité en question reste un critère qui n'est pas offensant, pour quelque souveraineté que ce soit. C'est ce qu'a fait l'autorité de contrôle suisse, sans d'ailleurs toujours l'appliquer comme certains observateurs l'auraient souhaité.

M. Phillip THORPE : Je suis d'accord avec vous sur ce point. Nous avons la possibilité d'édicter des normes. Le problème, c'est qu'un gouvernement ne peut pas toujours donner un signal très clair. Il y a souvent une certaine ambiguïté dans les instructions données. Le gouvernement britannique avait des relations avec le régime d'Abacha. Il n'avait pas exclu, mis de côté, le gouvernement Abacha. Cela aurait été gênant.

M. le Rapporteur : Mais vous voyez bien qu'un jugement de valeur moral sur un régime peut être sans rapport direct avec une analyse objective de la fortune incompréhensible d'un ayant droit économique.

M. Phillip THORPE : Nous sommes, à mon avis, sur un terrain tout à fait normal pour la FSA parce que le blanchiment de l'argent est une question de droit qui peut être définie assez exactement et nous pouvons édicter des règles et des critères que les institutions financières doivent appliquer pour décider si, oui ou non, il s'agit de faits qui se produisent dans leur institution. Mais c'est un domaine où la politique et le financier se côtoient et s'imbriquent.

Extrait de l'audition de M. Phillip Thorpe, Managing director de la FSA, à Londres le 13 juin 2001.

L'affaire Abacha a enfin mis en évidence, une fois encore, les difficultés rencontrées par les autorités judiciaires étrangères pour obtenir, même dans les affaires les plus graves, la coopération judiciaire du Royaume-Uni.

De ce point de vue, les atermoiements des autorités britanniques pour prononcer le gel des avoirs bancaires Abacha, qui vient d'être imposé, contrastent nettement avec l'attitude des autorités suisses qui n'ont pas hésité, à la demande des autorités nigérianes, à autoriser immédiatement le blocage des fonds Abacha.

La position du gouvernement britannique a fini par devenir très inconfortable et a dû évoluer sous les pressions extérieures et l'opinion internationale qui aurait compris difficilement que les exigences morales imposées aux Territoires dépendant de la Couronne ne se retrouvent pas sur le sol du Royaume-Uni.


Craignant d'effrayer les grosses fortunes « persécutées »,
le gouvernement Blair répugne à accorder
sa coopération judiciaire

Prenant appui sur le flou d'une législation centenaire, Londres refusait jusqu'à présent de coopérer avec les autorités nigérianes qui réclament, depuis septembre, une aide pour traquer les fonds détournés par l'ex-chef de l'Etat, décédé en 1998. Sous la pression du lobby de la City, le ministre de l'Intérieur, Jack Straw, refusait de geler les « comptes Abacha » ouverts dans une vingtaine d'institutions réputées qui avaient accepté, les yeux fermés, ces fonds suspects. Le gouvernement Blair craignait de pénaliser l'activité - très rentable - de gestion de patrimoine en effrayant les grosses fortunes « persécutées » des pays de l'ex-Empire.

Pour justifier son manque de coopération avec les autorités nigérianes, le ministère de l'Intérieur ressassait les mêmes arguments que ceux utilisés pour refuser d'exécuter la plupart des commissions rogatoires internationales portant sur des affaires de blanchiment : insuffisance des preuves à l'appui de la demande, nécessité d'un vote particulier du Parlement de Westminster pour autoriser le Trésor à rapatrier dans leur pays d'origine des actifs sous séquestre, manque de moyens des organismes chargés de la lutte contre la criminalité financière, immunité souveraine dont jouissent bon nombre de chefs d'Etat du Commonwealth ou des pétro-monarchies et leurs proches.

Extrait d'un article de Marc Roche dans Le Monde du 12 mai 2001.

Le gouvernement britannique s'est finalement engagé à aider les autorités suisses et nigérianes à reconstituer la trace des fonds Abacha et de son entourage.

Par décision de la Haute Cour du Royaume-Uni, les plus grandes banques du monde représentées à Londres ont eu l'ordre de geler les comptes ayant un lien avec le Général Sani Abacha. Parmi ces établissements, on trouve la Commerzbank, BNP Paribas, Crédit Agricole Indosuez, Crédit Suisse, First Boston ou l'Union bancaire privée suisse, mais aussi pour les banques britanniques, la HSBC, Barclays, et Nat West qui dépend de la Royal Bank of Scotland, ainsi que Goldman Sachs International Bank, Merrill Lynch International Bank et City Bank US, auxquelles s'ajoutent sept banques nigérianes.

Cette décision de justice est intervenue le 3 octobre 2001, six mois après l'enquête menée par la FSA 19.

II.- UNE PLACE FINANCIÈRE INSUFFISAMMENT ENGAGÉE DANS LA LUTTE ANTI-BLANCHIMENT

Comme trop souvent en matière de lutte anti-blanchiment, l'existence d'un arsenal législatif et réglementaire ne suffit pas s'il n'est pas accompagné par une volonté politique forte, capable de surmonter les traditionnelles résistances des acteurs financiers.

A.- LES CRITIQUES DES EXPERTS ET DES PARLEMENTAIRES BRITANNIQUES

1.- Un dispositif anti-blanchiment trop fragmenté et mal coordonné

La nécessité de changements et d'un renforcement de la législation a été soulignée par les parlementaires de la Chambre des Communes, membres de la commission d'enquête parlementaire du Select Committee on International Development, qui ont adressé, à l'attention du gouvernement, dans leur 4ème rapport, un ensemble de recommandations destinées à améliorer le dispositif de lutte anti-blanchiment.

Ces derniers ont notamment déclaré que le blanchiment d'argent constituait désormais un enjeu majeur pour le Royaume Uni et ont considéré que la réponse actuelle à ce problème, en termes de structures et en termes législatifs était marquée par une insuffisance de coordination et un caractère fragmentaire (the UK response to money laundering is currently uncoordinated and piecemal).

Ils ont donc appelé le gouvernement britannique à mettre en place des actions coordonnées et dotées de financements suffisants pour lutter contre le blanchiment afin que le Royaume Uni, à travers la City of London, puisse conserver sa réputation d'un des plus grands centres financiers mondiaux.

Sur les aspects préventifs, les parlementaires ont souligné que le principe de l'identification des bénéficiaires réels devait s'étendre à la connaissance des activités économiques des clients et à l'origine de leur fortune. Ils se sont également inquiétés de la très forte absence de contribution de certaines professions, comme les avocats ou les comptables, en matière de déclarations d'opérations suspectes et ont incité à la mise en place d'actions de sensibilisation et d'information au risque de blanchiment auprès de ces professions.

Sur les aspects répressifs, ils ont pris acte du fait que peu de poursuites judiciaires avaient été intentées sur la seule incrimination de blanchiment ce que le Home Office, en la personne de Mme Lorna Harris, a confirmé en reconnaissant qu'il n'y avait pas suffisamment de poursuites au titre de cette seule infraction. Le Select Committee a d'autre part déploré le manque de ressources et de moyens attribués à la détection et aux enquêtes, en mentionnant plus particulièrement le problème de l'exploitation des déclarations de transactions suspectes.

Rappelant que les investigations en matière de blanchiment sont complexes et nécessitent la contribution d'experts spécialisés, les parlementaires britanniques ont estimé qu'il convenait de mieux coordonner les actions des différents services d'enquêtes.

En ce qui concerne enfin la possibilité de geler les avoirs d'origine douteuse, à la demande d'une juridiction étrangère, le Select Committee a déclaré son approbation au projet du gouvernement (Proceeds of Crime Bill) de permettre aux autorités du Royaume-Uni d'ordonner un tel blocage dès lors qu'une enquête judiciaire a été engagée dans le pays demandeur, sans qu'il soit nécessaire pour ce pays d'avoir prononcé la confiscation de ces dits avoirs.

Ce point est crucial puisqu'il s'agit là d'une revendication parlementaire mettant à mal les principes de l'habeas corpus. Les parlementaires britanniques ont également souhaité que le gouvernement encourage l'ensemble des autres pays de common law à procéder à une telle réforme.

Sur les aspects institutionnels, le Select committee a demandé au gouvernement d'étudier la possibilité d'une extension des pouvoirs d'enquête du Serious Fraud Office en matière de lutte contre la corruption et le blanchiment des capitaux et l'octroi de moyens correspondant à cet objectif.

2.- Réagir au trop faible nombre de condamnations

Ces différentes observations complètent les propositions formulées par les experts précités du Cabinet Office qui estiment que les poursuites et les condamnations des blanchisseurs nécessitent pour être améliorées :

- une simplification de la législation anti-blanchiment avec la création d'une seule infraction de blanchiment qui permettrait de couvrir les cas où il est raisonnable de penser que l'accusé a pu bénéficier des produits d'un crime ;

Le fait qu'il y ait actuellement trois types de blanchiment selon que les capitaux proviennent du trafic de drogue, des activités terroristes ou d'autres infractions pénales graves, est aujourd'hui considéré comme un facteur de complication inutile. 20

Les experts de la Performance and Innovation Unit (PIU) se sont donc prononcés en faveur de la création d'une infraction unique de blanchiment qui ne distinguerait plus entre les capitaux issus du trafic de drogue et les autres infractions sous-jacentes.

- une incitation des autorités compétentes à poursuivre davantage sur la base de l'infraction de blanchiment en se concentrant plus spécialement sur les secteurs où existe ce risque ;

- la création d'une formation de haut niveau dispensée aux enquêteurs financiers chargés des affaires de blanchiment.

B.- DES ACTEURS FINANCIERS PEU CONCERNÉS PAR LA LUTTE ANTI-BLANCHIMENT

1.- Le recours à des sociétés-écrans et aux professionnels de la création de sociétés : une immense brèche dans le système

A l'heure actuelle, la situation de loin la plus préoccupante car elle constitue une béance dans le système, vient du fait, constaté en 1996 par les experts du GAFI eux-mêmes, que les institutions financières demeurent dans l'incapacité juridique de procéder à l'identification du client final dès lors que des avocats, experts-comptables ou créateurs de sociétés financières créent pour le compte de leurs clients des sociétés-écrans au nom desquelles des comptes sont ouverts.


« Il y a une brèche potentielle dans le système »

Il y a une brèche potentielle dans le système, dans la mesure où [...] les institutions financières sont juridiquement dans l'incapacité d'obtenir de l'information sur les détails du compte du client sous-jacent. Bien que la législation primaire s'applique, les opérations de blanchiment de capitaux peuvent s'effectuer de cette façon sans que personne ne soit tenu ou à même de respecter efficacement les obligations en matière d'identification des clients et de déclaration.

Les autorités britanniques ont reconnu qu'il serait sans doute bon d'envisager l'adoption des règles retenues par la Law Society d'Ecosse, qui applique les Règlements à toutes les opérations effectuées par l'avocat. L'Association des banquiers britanniques (B.B.A.) était d'avis que, comme un important volume de blanchiment d'argent s'effectue par l'intermédiaire de sociétés-écrans et au moyen de comptes de sociétés créés par des avocats, des experts-comptables ou des spécialistes de la constitution de sociétés, les Règlements devraient viser cet aspect.

Les grandes banques ont également noté les difficultés que soulève l'identification des clients quand des avocats ou des experts-comptables utilisent des comptes ouverts au bénéfice de leurs clients.

La Law Society a reconnu la menace inhérente à ce domaine, en particulier pour les plus petits de ses membres, et il est nécessaire que des mesures appropriées soient envisagées afin d'empêcher que les blanchisseurs utilisent des professionnels pour dissimuler leurs activités de recyclage.

Extrait du 2ème rapport d'évaluation mutuelle du Royaume-Uni par les experts du GAFI - septembre 1996 (p. 22).

Dans son rapport annuel du 3 février 2001, le GAFI est revenu sur cette question et a estimé que le recours à ces professionnels du droit était « sans doute un facteur décisif dans la multiplication des mécanismes complexes de blanchiment de capitaux. » 21

Le GAFI s'est ainsi fortement inquiété du rôle joué, sciemment ou non, par les avocats, notaires, comptables ou autres professionnels de la finance qui servent « d'ouvreurs de porte » aux circuits de blanchiment.


Les professionnels du droit sont

les « ouvreurs de porte » du blanchiment

Les avocats, notaires, comptables et autres professionnels proposant des conseils financiers constituent désormais une composante commune dans les mécanismes complexes de blanchiment de capitaux. Cette tendance est évoquée par pratiquement tous les membres du GAFI. Les précédents exercices sur les typologies ont évoqué leur rôle souvent déterminant dans la mise en place de ces mécanismes, notamment dans le cadre de l'activité d'agent de création de sociétés examiné durant l'exercice de l'an dernier. On a donc jugé utile d'accorder une attention plus particulière aux professions concernées, compte tenu de la complexité du traitement de leur rôle dans le blanchiment de capitaux et de certains points sensibles que touche ce traitement.

Nature de l'implication de ces professions : les « ouvreurs de porte »

Les efforts permanents des pouvoirs publics pour lutter contre le blanchiment de capitaux ont rendu plus difficile le travail du blanchisseur de capitaux. En partie pour contourner les mesures de lutte contre le blanchiment, les blanchisseurs ont dû élaborer des mécanismes plus complexes. Du fait de l'accroissement de cette complexité, ont noté les experts du GAFI, les individus souhaitant blanchir le produit d'activités criminelles - sauf s'ils détiennent déjà les compétences professionnelles nécessaires à cet effet - doivent solliciter celles des professionnels du droit, des comptables, des conseillers financiers et d'autres experts pour les aider au déplacement de ces produits illégaux. Si l'on se penche sur les types d'assistance que peuvent apporter ces professionnels, il apparaît qu'une partie de ces fonctions constituent la porte d'entrée que doivent emprunter les blanchisseurs pour atteindre leurs objectifs. En conséquence, les professionnels du droit et de la comptabilité sont en quelque sorte des « ouvreurs de porte », puisqu'ils ont la possibilité d'ouvrir l'accès (sciemment ou à leur insu) aux diverses fonctions susceptibles d'aider des criminels ayant des fonds à déplacer ou à dissimuler.

Services professionnels fournis par les :

Avocats Comptables

Conseil juridique Conseil financier

Défense Pratique de vérification comptable

Testaments/homologation Conseil fiscal et planification fiscale

Transactions immobilières Comptabilité

Services d'investissement Création de société

Fiducie Administration de société

Création de société Fiducie

Administration de société Transactions immobilières

Introduction auprès de banques Introduction auprès de banques

Toutes ces fonctions n'ont pas la même utilité pour une opération potentielle de blanchiment. Les fonctions les plus utiles à un blanchisseur potentiel sont les suivantes :

· Création de structures de société ou autres montages juridiques (fiducies, par exemple). De tels montages peuvent servir à brouiller les liens entre les produits d'une infraction pénale et son auteur.

· Achat ou vente de biens immobiliers. Les mutations immobilières servent soit à couvrir le transfert de fonds illégaux (phase de l'empilement) soit à représenter l'investissement final de ces produits après leur passage par le processus de blanchiment (phase d'intégration).

· Réalisation de transactions financières. Parfois, ces professionnels effectuent diverses opérations financières pour le compte du client (par exemple, des dépôts ou retraits d'espèces, des opérations de change manuel, l'émission ou l'encaissement de chèques, l'achat ou la vente d'actions, l'envoi et la réception de virements internationaux, etc.).

· Conseil financier et fiscal. Des criminels disposant de sommes considérables à investir peuvent se présenter comme des particuliers espérant minimiser leurs cotisations fiscales ou désireux de placer leurs actifs hors de portée afin d'éviter des cotisations futures.

· Accès à des institutions financières.

De toute évidence, dans certaines de ces fonctions, le blanchisseur potentiel ne s'en remet pas seulement à la compétence de ces professionnels, mais il les utilise et se sert de leur statut professionnel pour minimiser les soupçons entourant ses activités criminelles. Un avoué représentant un client dans une transaction financière ou lui ouvrant les portes d'une institution financière confère à ce client une certaine crédibilité aux yeux de la contrepartie ou de l'interlocuteur en raison des normes éthiques censées être associées à l'exercice de ces professions. [...]

Exemple : Un conseiller financier monte des opérations de blanchiment par des sociétés-écrans.

Un conseiller financier travaillant dans un centre financier européen (pays A) apporte ses compétences pour la mise en place de sociétés-écrans dans un pays voisin devant servir de « boîte à lettres » (entreprises qui n'existent que sur le papier et qui ne sont redevables d'aucun droit ou taxe) afin de dissimuler l'origine des profits tirés de la contrebande de marchandises vendues sur le marché noir du pays B. Des chèques bancaires ont été tirés sur des comptes des sociétés-écrans dans le pays B au profit de comptes bancaires ouverts au centre financier au nom d'autres entreprises du pays B. Les fonds ont finalement été transférés vers le Moyen-Orient et utilisés dans des opérations sur matières premières en vue de leur légitimisation définitive avant leur rapatriement vers le pays B. L'intervention et les conseils de professionnels de la finance tout au long du processus ont été essentiels pour l'opération de blanchiment.

Extrait du rapport du GAFI sur les typologies du blanchiment,

3 février 2001.

Les agents spécialisés dans la création de sociétés - corporate services providers - qui proposent leurs services sur la place de Londres, ne sont pas soumis à la régulation financière et échappent à toute surveillance de la FSA.

Un blanchisseur peut donc faire appel en tant que client à un agent de création de sociétés qui lui constituera une société implantée dans un territoire offshore. Cette société « boîte aux lettres » sera titulaire d'un compte bancaire dont il sera très difficile d'identifier les bénéficiaires réels mais qui servira à la réalisations des transactions financières.

La question de la non-réglementation de l'activité de ces professionnels constitue donc, pour le Royaume-Uni, une très grave lacune.

Un premier pas pourrait cependant être franchi en décidant de soumettre aux obligations anti-blanchiment les dix mille personnes, si ce n'est plus, spécialisées au Royaume-Uni dans la création de sociétés.

Mais il ne semble pas que le gouvernement ait l'intention d'en faire une priorité si l'on en croit M. James London, un des chefs du projet de la F.S.A., chargé des normes anti-blanchiment.


Les agents spécialisés dans la creation de « coquilles vides » ne sont pas tenus de respecter les normes :

M. John ELLIS, conseiller pour la lutte contre le blanchiment à la FSA : Notre démarche jusqu'ici a été de fournir des conseils à la profession pour l'identification des commanditaires. Restent cependant d'autres problèmes qui ne seront pas pris en compte dans le manuel. Il s'agit entre autres de l'utilisation d'agents spécialisés dans la création et l'établissement de sociétés qui créent ces coquilles vides destinées à dissimuler les ayants droit économiques.

Nous avons là une faiblesse que le gouvernement a reconnue. En effet, ces agents spécialisés dans l'établissement de sociétés ne sont pas tenus de respecter les normes. Le gouvernement va probablement présenter un projet de loi, dans un avenir proche, pour remédier à cette situation.

M. James LONDON, chef de projet à la FSA : De toute façon, nous devons respecter les directives, et le principe général est qu'une institution financière doit obligatoirement identifier les ayants droit économiques. En ce qui concerne les personnes qui se spécialisent dans la création d'entreprises, toutes les parties concernées ont identifié ces agents comme présentant un problème. Je ne pense pas vraiment que le gouvernement a l'intention, pour le moment, de soumettre l'activité de ces personnes à une réglementation particulière, mais il croit à un remède proportionnel au problème posé ainsi qu'à une analyse du bénéfice par rapport au coût.

Comme plus de dix mille de ces personnes se sont spécialisées dans la création d'entreprises, nous aurions des difficultés à créer un système pouvant réglementer de manière adéquate ces activités. Je suis moins optimiste que M. Ellis quant à l'intention du gouvernement de procéder à des mesures pour réglementer ces personnes.

M. John ELLIS : En fait, j'ai dit que le gouvernement avait identifié la faiblesse dans le système, en ce qui concerne nos défenses contre le blanchiment d'argent, et qu'il pourrait peut-être un jour décider de procéder à une action précise, mais c'est tout ce que je peux vous dire. Ce n'est pas un problème pour la FSA car elle ne s'en occupe pas.

Extrait de l'audition de M. John Ellis, Conseiller pour la lutte contre le blanchiment, et de M. James London, Chef de projet en matière de normes anti-blanchiment, à la Financial Services Authority (FSA) en juin 2000 à Londres.

Monsieur Phillip Thorpe a confirmé à la Mission, le 13 juin 2001, qu'il faudrait adopter une nouvelle législation car, si les pouvoirs de la FSA vont être « considérables », ils ne vont pas s'étendre aux corporate services providers.

Il a précisé qu'un rapport élaboré par le cabinet du Premier ministre britannique envisageait différentes solutions pour compléter la législation et prévoyait notamment de soumettre les bureaux de change, les ventes aux enchères, les revendeurs d'automobiles et les agents immobiliers à des obligations anti-blanchiment.

Enfin, il faut rappeler que les exigences d'identification du client ou des ayants droit n'auront pas d'application rétroactive dès lors que la relation d'affaires aura été conclue avant l'entrée en vigueur des règles anti-blanchiment édictées par la F.S.A.

2.- L'inégale participation des banques et la quasi-absence de déclarations par le monde non-bancaire

De façon générale, en 1999, sur les 7 300 entités financières soumises directement à la régulation de la FSA - banques, sociétés de crédit immobilier, compagnies d'assurance, sociétés boursières - seules 444 avaient effectué des déclarations d'opérations suspectes.

Parmi les 554 banques étrangères implantées à Londres, 10 d'entre elles ont effectué 78 % des déclarations d'opérations suspectes, soit 39 % du total des déclarations.

Comme on le constate dans les autres pays, d'une part, la participation du secteur bancaire est très inégale selon les banques, d'autre part, le secteur non bancaire et les professions ou activités non soumises à une réglementation ou une régulation ne procèdent que très marginalement à des déclarations de soupçons ou d'opérations suspectes.

Seulement 4 % des compagnies d'assurance et 6 % des entreprises membres du London Stock Exchange ont procédé à de telles déclarations contre 76,8 % des sociétés de crédit immobiliers.

L'absence de régulation des bureaux de change, pour lesquels il est réclamé un régime allégé comprenant un enregistrement, l'existence d'un minimum d'informations relatives à l'identité des propriétaires et l'application de quelques règles essentielles de vigilance, explique également la faible contribution de ces bureaux qui n'ont effectué que peu de déclarations d'opérations suspectes.

En 1999, en dépit de progrès, puisque ces bureaux ont fait plus de 2000 déclarations, il faut souligner que 90% d'entre elles sont effectuées par sept organismes seulement.

Quant aux comptables, leur participation dérisoire se situe entre 0,3 % et 0,7 % du nombre total des déclarations.

Enfin, en 1999,  sur un total de 12 500, seuls 57 cabinets juridiques (Solicitors) ont fait des déclarations de transactions suspectes.

Or, pratiquement toutes les opérations complexes de blanchiment au Royaume-Uni font apparaître la création de sociétés-coquilles en Grande-Bretagne, qui nécessitent l'intervention de ces professions juridiques ou d'agents spécialisés.

En dépit de cette constatation, en 1999, il n'y a eu qu'une seule déclaration de la part d'un agent spécialisé dans la création de sociétés.

Rencontrés par la Mission, les responsables du NCIS ont, eux aussi, déploré cette situation et estiment qu'il faut notamment faire évoluer les comportements des avocats qui sont toujours absents de ce combat, puisque sur 15 000 déclarations, 180 seulement émanent des professions juridiques.


Le grand problème au Royaume-Uni vient des avocats
et des comptables qui sont tenus de faire des déclarations

M. le Rapporteur : Vous avez instauré, dans la loi en Grande-Bretagne, des sanctions pénales pour absence de déclarations de soupçons. En France, un débat a actuellement lieu sur le renforcement de l'arsenal permettant de lutter contre le blanchiment, sur la question de savoir s'il faut des sanctions pénales en cas de non-déclaration de soupçons. Cela exige une part d'intentionnalité, c'est-à-dire d'accomplissement de l'infraction en connaissance de cause par l'établissement bancaire ou toute autre personne assujettie à la déclaration de soupçons. Vous qui recevez les déclarations de soupçons, quel bilan faites-vous de ces sanctions pénales ? Sont-elles positives ou, au contraire, ont-elles trop d'effets pervers ?

M. Andy BLEZZARD, responsable de l'Unité financière du NCIS : Les sanctions sont de cinq ans d'emprisonnement et, depuis 1987, quatre procès ont eu lieu.

Le grand problème au Royaume-Uni vient des avocats et des comptables qui sont tenus de faire des déclarations. Toutefois, l'année dernière, nous n'avons reçu que 180 déclarations émanant de ces professions sur les quinze mille, ce qui est peu. Très souvent, ces personnes ne voient uniquement que ce qu'elles veulent voir et arrivent très facilement à se convaincre qu'il n'y a rien de suspect ou de criminel dans ce qu'elles font. Nous sommes en train d'étudier, sans être encore parvenu à une conclusion, le moyen d'améliorer le respect de la loi.

M. le Rapporteur : S'agissant d'avocats, c'est préoccupant !

M. Vincent HARVEY, Directeur de la division Royaume-Uni du NCIS : Mais nous sommes en train d'introduire un nouveau système informatique. Les avocats et les comptables vont tous recevoir une disquette, ce qui va leur faciliter le travail. Ils ne pourront plus arguer du fait qu'ils n'ont pas le matériel pour faire les déclarations. D'ailleurs nous allons préparer des formulaires qui indiqueront exactement ce qu'il faut révéler. Puis, après un temps de transition, nous leur dirons qu'ils ont eu leur chance. S'ils n'ont pas fait de déclarations, ils en paieront les conséquences.

M. le Rapporteur : Quelle est la position de la Law Society sur ce point ?

M. Andy BLEZZARD : Il y a un débat en cours. Très souvent, les avocats se cachent derrière le respect de la volonté du client. Le client n'ayant rien dit, ils ne pouvaient pas savoir qu'il s'agissait d'argent sale. Pour notre part, nous disons que cette justification est loin d'être suffisante, il faut faire mieux.

Audition de responsables du NCIS à Londres le 7 juin 2000.

3.- Le bilan très inquiétant de l'année 2000

Les résultats les plus récents, portant sur l'année 2000, sont des plus préoccupants car ils indiquent une dégradation des comportements des populations les plus exposées au risque de blanchiment que masque une augmentation du nombre total des déclarations de transactions suspectes qui restent l'apanage d'une minorité de banques.22

Le directeur général du NCIS, M. John Abott, a précisé qu'en dépit des actions de sensibilisation au risque de blanchiment menées auprès des professions juridiques et comptables, le nombre des déclarations de transactions suspectes effectuées par les professionnels étaient passées de 256 en 1999, à 248 en 2000 pour les avocats, et de 84 en 1999, à 77 en 2000 pour les comptables.

Monsieur John Abott a déclaré à cette occasion avoir des preuves démontrant l'utilisation, par les criminels, des services et conseils des professionnels juridiques qui, dans une faible proportion, deviennent complices des opérations de blanchiment en toute connaissance de cause.

Les bureaux de change dont l'activité est non réglementée depuis l'abolition du contrôle des changes en 1979, mais qui sont soumis à déclaration, contribuent davantage au système avec environ 2 000 déclarations.

Néanmoins, compte tenu du fait que ces bureaux font chaque année transiter, d'après les estimations du Trésor britannique, environ 45 milliards de francs, dont 65 % seraient d'origine criminelle, ces mêmes bureaux devraient logiquement faire beaucoup plus de déclarations. Or seuls, une poignée d'entre eux participent à la lutte anti-blanchiment.

« Le rôle de ces organismes dans les activités criminelles et terroristes est connu depuis longtemps » et « il est très facile de faire circuler l'argent à travers eux », a déclaré le National Criminal Intelligence Service (NCIS).

Le Gouvernement britannique vient d'annoncer son intention de prendre des mesures afin d'encadrer l'activité de ces bureaux.

A titre d'exemple, lorsque les Pays-Bas ont introduit une telle régulation, deux tiers des bureaux de change ont préféré fermer plutôt que d'être enregistrés 23.

En revanche, le nombre total de déclarations suspectes a augmenté de 27 % pour l'année 2000, atteignant 18 408. Cette progression est due avant tout à une meilleure contribution des grandes banques mais seulement 170 établissements bancaires sur les 575 enregistrés à Londres ont effectué des déclarations de transactions suspectes, dont 20 à 30 % ont pu être utilement exploitées par les services d'enquêtes, selon le NCIS.


De plus en plus utilisés par les criminels pour blanchir
des capitaux, avocats et comptables britanniques
font de moins en moins de déclarations

« Les comptables et les avocats ignorent le blanchiment d'argent et doivent porter davantage attention aux finances de leurs clients », a déclaré hier le chef de l'Unité anti-blanchiment.

John Abott, directeur général du NCIS, qui apporte son soutien aux forces de police, a estimé que les conseillers juridiques et les professions comptables étaient utilisés par les réseaux criminels organisés pour blanchir les capitaux.

Ce service présente aujourd'hui des résultats qui montrent que les déclarations de transactions suspectes faites par ces deux catégories de professions sont même moins nombreuses qu'en 1999, en dépit des avertissements leurs demandant d'adopter une ligne plus dure.

« Nous avons les preuves démontrant que des avocats et des comptables ont été exploités par des criminels et qu'une faible proportion l'ont été en toute connaissance de cause », a indiqué M. Abott.

Le nombre de déclarations de transactions suspectes faites par les avocats est tombé à 248 contre 256 l'année dernière, tandis que le nombre de celles effectuées par les comptables était de 77 contre 84 l'an passé.

Quoi qu'il en soit, le nombre total de déclarations a fait un bond en progressant de 27 % pour atteindre 18 408 en raison de l'attention accrue portée au risque de blanchiment par une poignée de grandes banques.

L'Unité de renseignement financier a précisé que seules 170 banques avaient effectué des déclarations sur les 575 établissements enregistrés à Londres et que 20 à 30 % de ces déclarations servaient à combattre le crime.

Le Gouvernement a été amené à porter davantage d'attention au blanchiment d'argent après s'être trouvé, l'an dernier, sous le feu de la critique lorsqu'il est apparu que 1,3 milliard de dollars sur les 4 milliards supposés amassés par l'ancien général nigérian Sani Abacha, avaient été blanchis via la place de Londres.

L'autorité de régulation de la City, la FSA, exercera ses compétences en matière de lutte contre la criminalité financière en novembre prochain et prévoit de travailler étroitement avec l'Unité de renseignement financier.

Monsieur Abott a déclaré que certains avocats ou comptables avaient invoqué le secret professionnel concernant leur client pour ne pas établir de déclarations, mais a précisé que cet argument n'était pas recevable. La peine maximum d'emprisonnement prévue pour sanctionner le blanchiment est de 14 ans, cette infraction est passible également d'une amende d'un montant illimité.

Article de M. James Mackintosh dans le Financial Times du 1er août 2001.

En somme, à l'heure actuelle, la contribution à la lutte contre le blanchiment au Royaume-Uni reste essentiellement le fait des grands établissements bancaires.

- Les professions juridiques et comptables manifestent une superbe ignorance de la loi.

- Les déclarations faites par les juristes représentent, pour l'année 2000, 1,3% du nombre total des déclarations, et celles des comptables 0,4 % de ce même total.

- Quant aux établissements bancaires, la majorité d'entre eux ne remplissent pas correctement leurs obligations, ce que confirme la récente étude menée par la FSA. Rien de surprenant, dès lors, si la City se trouve être utilisée comme lieu de placement par les organisations terroristes.

4.- L'utilisation de la City par des organisations financières en relation avec des entreprises terroristes

L'utilisation de la City par des organisations financières en relation avec des entreprises terroristes.

Lorsque Phillip THORPE, Directeur de la FSA concluait devant les parlementaires de la Chambre des Communes dans ces termes : « Londres et le Royaume Uni représentent un des plus grands centres financiers du monde que des flux énormes de capitaux passent par nos marchés. Ces marchés sont recherchés pour leur accessibilité, leur professionnalisme et leur capacité à absorber le volume ... si vous cherchez à dissimuler des aiguilles, vous utiliserez une meule de foin, or, les marchés britanniques sont aujourd'hui comme des immenses meules de foin », il faisait à l'évidence allusion à la vulnérabilité de la City de Londres à son utilisation par les organisations criminelles à visée terroriste.

La Mission anti-blanchiment a choisi de publier, en annexe, une étude analytique contenue dans un document intitulé « Environnement économique d'Ossama BIN LADEN ». Ce travail a reconstitué les constructions capitalistiques des associés économiques d'Ossama BEN LADEN, de ses mandataires ou de ses hommes d'affaires. Il fait apparaître l'utilisation des structures offshore et des paradis financiers que sont en Europe la Suisse et la Grande-Bretagne.

Ce document, actualisé à la date du mois de juin 2001 fait apparaître certaines informations datées de 1996 jusqu'à nos jours. Un grand nombre de ces informations ont pu être collationnées à partir de sources tirées de documents officiels puisqu'il s'agit d'un travail considérable de recoupement entre des sources d'information qui ne sont que rarement en contact.

Cette simple constatation nous permet de comprendre l'ancienneté de l'utilisation de la Cité de Londres, des infiltrations dont elle fait l'objet, et surtout l'absence de réaction des autorités de régulation anglaises, confirmant ainsi l'échec des mécanismes mis en place. Ses auteurs exposent ainsi : « La découverte de plusieurs liens capitalistiques établis entre Ossama BIN LADEN et le groupe familial Saoudi BIN LADIN GROUP ainsi qu'avec des proches, sinon des membres de la famille royale saoudienne ressortent de l'examen des réseaux financiers du groupe en Europe et des opérations extérieures ou des investissements conduits par les réseaux financiers ou humanitaires saoudiens à l'étranger ». Les auteurs ajoutent : « Les rapprochements sont souvent le fait de personnalités appartenant à des réseaux financiers frauduleux connus (notamment celui de la BCCI) ».

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Présence du réseau BCCI

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L'ouverture d'une information judiciaire par le Procureur de l'Etat de New York à l'encontre de la BCCI date de 1991. Pourtant les mêmes acteurs issus de cette banque dont les autorités de régulation des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de l'Espagne ainsi que les autorités administratives suisse et luxembourgeoise ont décidé la liquidation sont réapparus dans des liens financiers ou capitalistiques ainsi décrit dans l'organigramme publié dans ce document.

Ces faits mettent clairement à jour la grande perméabilité du système bancaire et financier britannique et la fragilité des contrôles opérés à ses points d'entrée.

La sécheresse des statistiques vient de confirmer cette réalité. Seule une minorité de banques - un peu plus d'un quart d'entre elles - a effectué une déclaration de soupçons en l'an 2000.

Si le nombre total des déclarations a fortement augmenté (+ 27 %), cette progression reste à mettre au compte des établissements vertueux et la place de Londres continue d'héberger toute une nébuleuse de banques qui s'affranchissent sans difficulté de toute règle déontologique, comme l'a montré l'enquête de la FSA menée sur les fonds Abacha déposés en quasi-totalité dans des établissements cumulant les défaillances les plus graves dans leurs systèmes de contrôle.

C.- LES TRAVAUX RÉCENTS DE LA FSA

Sur la question du blanchiment des capitaux, la FSA s'est fixé un certain nombre d'objectifs 24 visant notamment à :

- évaluer la solidité des procédures de contrôle interne et des mécanismes anti-blanchiment dont se sont dotés les entreprises, en application des « Régulations 1993 » ;

- identifier les activités et les secteurs financiers les plus menacés par le risque de blanchiment des capitaux ;

- définir des réponses adaptées à l'importance et à la nature des manquements constatés à l'application des règles anti-blanchiment ;

- établir le profil type des processus de blanchiment dans le secteur financier et insister auprès des sociétés sur les risques qu'elles encourent en cas de non-respect de la législation (Régulation 93 et règles édictées par la FSA).

Afin d'évaluer la solidité des mécanismes de prévention du risque de blanchiment mis en place dans le secteur financier, la FSA a fait procéder à différentes enquêtes, ce qui lui a permis d'établir un inventaire type des principales déficiences relevées par rapport aux exigences requises.

Obligations à respecter

Carences ou manquements constatés

Textes de référence

Connaissance du client et procédures de vérification

- Défaut ou mauvaise application de la procédure d'enregistrement du client

- Absence d'identification complète du client avec vérification de son adresse lorsque ce dernier est représenté ou recommandé

- Défaut de vérification de l'adresse de clients domiciliés à l'étranger

- Absence des vérifications appropriées concernant les bénéficiaires réels dans le cas d'ouverture de comptes de sociétés

- Défaut d'application des procédures de contrôle nécessaires à l'ouverture du compte

- Régulations 93, n° 7, 9 et 10

- Guidance Notes 41-4 259

- Money Laundering Rules de la FSA 3.1.1.-3.1.9.

Formation professionnelle et sensibilisation au risque de blanchiment

- Manque de sensibilisation au risque de blanchiment

- Périodicité insuffisante des actions de formation et faiblesse du niveau de cette formation

- Régulations 93, n° 5

- Guidance Notes 6.1-6.2.3.

- Money Laundering Rules de la FSA 6.1.1.-6.3.3.

Etablissement de déclarations de transactions suspectes en interne et à l'extérieur

- Mécanismes inadaptés de surveillance

- Mauvaise qualité des informations transmises au NCIS

- Régulations 14

- Guidance Notes 5.1-5.56

- Money Laundering Rules de la FSA 4.1.1.-4.3.4.

Conservation des documents

- Défaut de conservation pendant la durée exigée

- Régulations 12

- Guidance Notes 7.1-7.34

-Money Laundering Rules de la FSA. 7.31-7.34

Informations supplémentaires relatives à l'origine des sources de revenus ou de richesses

- Défaut d'informations sur les sources de revenus du client en dépit de l'obligation de connaître la nature des activités du client

- Guidance Notes 4.9-4.11

Connaissance des procédures appliquées par les correspondants bancaires

- Défaut d'enquêtes sur le contexte juridique dans lequel évoluent les correspondants bancaires

- Guidance Notes 4.198-4.203

Le rôle du MLRO (responsable anti-blanchiment obligatoirement désigné dans chaque établissement financier)

-Absence de nomination d'une personne suffisamment expérimentée ou disposant d'une équipe solide

- Absence de documents définissant clairement les fonctions et les responsabilités du MLRO

- Absence de procédures adéquates relatives aux procédures de contrôle, à l'établissement de déclarations, à la formation et à la sensibilisation au risque de blanchiment

- Guidance Notes 3.1-3.22

- Money Laundering Rules de la FSA 2.1.1.-2.1.3. 4.2.1.-4.2.3.

Enquêtes nationales et internationales

- Défaut de prise en compte de l'origine géographique du client et d'exigences renforcées à l'égard de juridictions non-membres du GAFI

- Guidance Notes 3.23-3.34

-Money Laundering Rules de la FSA 5.1.1.-5.1.4.

Ce relevé témoigne des graves défaillances qui peuvent encore exister dans les banques et de l'ampleur des efforts qui restent encore à fournir au sein des établissements financiers de la place britannique, tant les manquements relevés portent sur le respect des procédures de vigilance les plus élémentaires.

Ce tableau résulte en effet de l'exploitation des réponses faites à la FSA par 300 établissements ou professionnels de la finance intervenant sur les divers marchés financiers dans plusieurs pays.

A l'issue de ces travaux, il apparaît que 40 % de ces sociétés ou établissements n'avaient reçu en interne aucun rapport faisant état d'une déclaration de soupçon au cours de l'année écoulée et 60 % d'entre elles indiquaient n'avoir envoyé aucune déclaration à l'ECU, service équivalent de TRACFIN au sein du NCIS.

La FSA a d'autre part identifié six ensembles d'activités (6 clusters) particulièrement vulnérables au risque de blanchiment des capitaux et sur lesquels elle entend exercer une vigilance particulière :

- les banques internationales dont les clients viennent des juridictions non-membres du GAFI ;

- les risques de blanchiment dans les banques nationales à travers les dépôts d'espèces de faible montant mais effectués au total pour un volume important ;

- l'activité de courtage en ligne (opérations de bourse réalisées sur Internet) ;

- les sociétés de crédit ;

- les conseillers financiers indépendants et les fonds offshore. 

- les opérations de spéculation à terme sur les taux qui constitue un vecteur intéressant pour le blanchiment or ce risque n'y est pas pris suffisamment en compte.

En conclusion, la FSA a donc considéré qu'il lui fallait désormais insister sur la mise en place de systèmes de prévention et de contrôle anti-blanchiment appropriés dans les entreprises, la prise de conscience par les professionnels de leurs responsabilités en la matière et l'application de sanctions appropriées en cas de manquement aux obligations de diligence.

La FSA a enfin signé avec le NCIS, le 13 août 2001, un accord de partenariat ciblé sur la lutte contre le blanchiment des capitaux et les actions de prévention et de détection à mener au sein des entreprises.

Depuis 1997, la Grande-Bretagne a manifesté sa volonté politique de défendre la place de Londres contre les risques que lui font encourir la délinquance économique et le blanchiment des capitaux.

Tirant les leçons des échecs d'une libéralisation sans conditions de l'économie financière et d'une politique d'autorégulation des acteurs financiers qui ont laissé la City en proie à des scandales financiers à répétition, le Gouvernement britannique a redonné à la puissance publique entière compétence pour surveiller, contrôler, sanctionner et réglementer l'ensemble des services financiers en créant, fait unique en Europe, une seule autorité de tutelle des services financiers, la Financial Services Authority (FSA).

Toutefois, si la mise en place de la FSA s'est réalisée sans délai, celle-ci, quatre ans après sa création en octobre 1997, ne détient toujours pas, comme l'a montré l'enquête liée aux « fonds Abacha » dans les banques de la City, la plénitude des pouvoirs qu'elle devrait exercer.

Il faudra attendre, en principe le 1er décembre 2001, que le Markets and Services Act 2000, qui accroît les prérogatives de cette Autorité, entre en vigueur.

Il appartiendra ensuite à la FSA, face à des professionnels très réfractaires, de faire ses preuves en faisant notamment application à l'égard des institutions financières, mais aussi à l'encontre de leurs dirigeants ou responsables, des pouvoirs de sanctions pour manquement à leurs obligations.

De la capacité qu'aura la FSA à imposer une surveillance efficace des acteurs et une autorité disciplinaire, dépendra l'efficacité réelle du dispositif anti-blanchiment.

A l'heure actuelle, la caractéristique qui demeure reste avant tout celle d'une superbe indifférence de la place à l'égard du risque de blanchiment, si l'on en juge par l'absence de participation, dénoncée par le NCIS, des professions juridiques et de l'écrasante majorité des banques à l'établissement des déclarations de soupçons ainsi que la piètre qualité des procédures internes de détection du blanchiment dans les banques et institutions financières relevée par la FSA.

A ce manque d'appétit de la plupart des acteurs financiers réglementés, s'ajoute l'intervention sur la place britannique de 10 000 professionnels spécialisés dans la création de sociétés offshore qui échappent au contrôle de la FSA.

Cette grave lacune législative constitue une énorme brèche dans le système du Royaume-Uni en permettant aux blanchisseurs de disposer de sociétés-écrans dont les statuts garantiront l'opacité des transactions et l'anonymat des bénéficiaires.

III.- UNE COOPÉRATION JUDICIAIRE MISE EN ACCUSATION

A.- DES REVENDICATIONS CONCORDANTES

Tout au long de ses travaux en France et en Europe, la Mission a recueilli les plaintes des acteurs de la lutte contre la délinquance financière à propos de la coopération judiciaire internationale avec le Royaume-Uni dont les lenteurs et les difficultés ont été régulièrement dénoncées.

Deux des magistrats français les plus emblématiques de ce combat, MM. Renaud Van Ruymbeke et Jean-Pierre Zanoto, juges d'instruction au tribunal de grande instance de Paris, ont bien résumé la tonalité générale des propos entendus par la Mission sur ce sujet :

« En ce qui concerne la Grande-Bretagne, il est vrai que lorsque l'Appel de Genève a été lancé, tous les juges ont fait le constat qu'il était impossible d'obtenir des renseignements de Londres. » (Extrait de l'audition de M. Renaud Van Ruymbeke le 2 mai 2000).

« Il ne faut pas forcément aller très loin pour trouver des pays qui ne coopèrent pas. La Grande-Bretagne est un exemple flagrant de refus de coopération... et sans un mot d'explication ! Je veux bien que l'on m'explique que l'on ne peut pas exécuter une commission rogatoire parce qu'elle pose un problème majeur qui touche aux intérêts nationaux, parce qu'elle est mal formulée ou parce qu'il y a un problème de droit. Mais qu'on le dise ! Ce silence complet pendant un, deux, voire trois ans malgré les rappels, est inadmissible !

Il me semble que c'est la négation des accords internationaux qui ont été signés. Aussi, je finis par ne plus adresser de commission rogatoire internationale à la Grande-Bretagne. » (Extrait de l'audition de M. Jean-Pierre Zanoto le 9 mai 2000).

Les statistiques élaborées par le Bureau de l'entraide répressive internationale et des conventions pénales (BERICP) du ministère français de la Justice corroborent largement les propos tenus par les praticiens.

Sur la période du 1er janvier 1996 au 30 juin 1999, la France a adressé 392 commissions rogatoires internationales (CRI) au Royaume-Uni, dont 24 % (94 dossiers) relevaient de la délinquance financière (droit pénal des affaires, fiscalité et douanes principalement) et 1,5 % (6 dossiers) du blanchiment stricto sensu.

A la date du 30 juin 1999, le taux de non-exécution des CRI atteignait 53 % en matière de délinquance financière (soit 50 dossiers sur 94) et 83 % en matière de blanchiment (soit 5 dossiers sur 6).

Parmi les affaires d'importance significative non exécutées, on relève notamment du blanchiment du produit de trafic de stupéfiants (CRI du 4 mai 1996) et de trafic d'armes (CRI du 5 décembre 1997).

Le Royaume-Uni n'est donc pas encore un partenaire efficace en matière de coopération judiciaire. Il semble tarder à prendre conscience de cet état de fait.

Ainsi, la France a-t-elle pris l'initiative de nommer un magistrat de liaison à Londres dès janvier 1999 alors que la réciproque n'est intervenue qu'au mois d'avril 2001, soit plus de deux ans après. Ce déséquilibre n'a pu être totalement compensé par les efforts réels de l'Ambassade de Grande-Bretagne en France pendant cette période.

Les textes conventionnels ne sont pas en cause puisque le Royaume-Uni est partie à la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 ainsi qu'à son protocole additionnel qui en étend la portée aux infractions fiscales. Le Royaume-Uni est également partie à la convention européenne relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (dite « convention de Strasbourg ») du 8 novembre 1990, ainsi qu'à la convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes (dite « convention de Vienne ») du 20 décembre 1988.

Le Royaume-Uni a aussi indiqué son intention d'appliquer certaines stipulations de la convention d'application des accords de Schengen du 19 juin 1990 et notamment celles applicables à la coopération judiciaire. Faute de concrétisation dans le droit interne britannique de cette manifestation de volonté, l'article 53 de cette convention, qui autorise la transmission directe de demandes d'entraide entre autorités judiciaires, n'est toutefois pas entré en vigueur au Royaume-Uni.

Enfin, le Royaume-Uni est signataire, comme l'ensemble des membres de l'Union, de la convention d'entraide judiciaire signée le 29 mai 2000, qui assouplit considérablement les modalités de coopération en vigueur de par la convention du 20 avril 1959. Les demandes d'entraide pourront ainsi être adressées directement de magistrat à magistrat en utilisant éventuellement le courrier électronique. Des témoins pourront être auditionnés par vidéoconférence ou téléconférence. Des équipes communes d'enquête composées de policiers de plusieurs Etats pourront être constituées.

Cette convention devra toutefois être ratifiée par au moins la moitié des Etats signataires avant d'entrer en vigueur.

Malgré la diversité de ces conventions, dont l'application donne satisfaction avec nombre de nos partenaires de l'Union européenne (Italie, Belgique, Allemagne...), de sérieuses difficultés persistent avec le Royaume-Uni.

Ces dysfonctionnements concernent l'ensemble des composantes de la coopération judiciaire, qu'il s'agisse d'extradition, de saisies et confiscations, de demandes d'enquête émanant de magistrats du Parquet ou bien de commissions rogatoires internationales adressées par des juges d'instruction.

Par ailleurs, l'attitude restrictive du Royaume-Uni en matière de coopération judiciaire ne s'applique pas qu'aux affaires financières, même si l'ampleur des intérêts économiques britanniques de ce secteur confère une sensibilité renforcée à ces dossiers, mais bien à l'ensemble du spectre des crimes et délits, ce qui tend à montrer qu'elle relève de raisons structurelles.

B.- DES SYSTÈMES JUDICIAIRES DIFFÉRENTS

Le Royaume-Uni est un pays dont les institutions ont été progressivement façonnées par les traditions et les usages, où la jurisprudence a défini au fil des siècles la norme de droit, et qui a toujours fait preuve d'une conception très protectrice des droits de l'individu et notamment de son droit de propriété.

Les particularismes locaux et régionaux y sont nombreux et l'autorité centrale y dispose de moins de leviers que dans un Etat jacobin et centralisé comme la France, pays latin dont la norme est codifiée dans la continuité du droit romain.

Les tribunaux et les forces de police reflètent ainsi un enracinement local très marqué, tant dans leur composition que leur mode de fonctionnement. Le Royaume-Uni compte ainsi quarante-trois polices régionales, chacune ayant son propre système informatique et ses propres fréquences de radio.

La répartition des attributions entre la police qui enquête et les tribunaux qui jugent ou qui autorisent des actes coercitifs de procédure est plus tranchée qu'en France ; le Royaume-Uni ne connaît ainsi ni Parquet, ni juge d'instruction.

Ces oppositions d'organisation et de fonctionnement ont été ressenties et identifiées par la plupart des acteurs de l'Europe judiciaire et par de nombreux interlocuteurs de la Mission.


Une opposition de cultures ?

Pour M. Olivier de Baynast, chef du service des affaires internationales et européennes au ministère de la Justice :

« En ce qui concerne la Grande-Bretagne, il existe de façon générale - et pas seulement en matière de blanchiment - une quasi-incompatibilité entre nos deux systèmes judiciaires. Nous venons d'envoyer un magistrat de liaison, au sein du Home Office britannique, qui a des difficultés à comprendre tous les mécanismes, mais les choses devraient s'améliorer par la suite. En même temps, les liens entre la justice et la police, les possibilités dont dispose l'administration centrale anglaise pour exercer une certaine influence sur la relative passivité de tel ou tel service sont assez différents des nôtres. »

Extrait de l'audition de M. Olivier de Baynast, le 15 septembre 1999.

De même, pour M. Yves Charpenel, directeur des affaires criminelles et des grâces : « Il y a un problème très simple, pour l'instant, que nous ne savons pas résoudre. Les juges anglais refusent d'échanger avec d'autres personnes que des juges et persistent à penser qu'un procureur, qui est le vecteur absolument indispensable de l'entraide en France, n'est pas un juge. Ce débat est particulièrement tétanique avec les Britanniques ; avec les Américains, on peut, en revanche, selon les Etats, arriver à une collaboration. »

Extrait de l'audition de M. Yves Charpenel, le 15 septembre 1999.

Ces différences culturelles apparaissent très nettement tout au long de la procédure pénale et notamment pendant les phases de l'enquête préliminaire et de l'instruction. Les acteurs ne sont pas les mêmes de part et d'autre de la Manche et leurs prérogatives non plus.

La différence des systèmes juridiques constitue certes un argument objectif de nature à expliquer les difficultés de la coopération, mais il se double cependant d'une appréciation politique qui constitue le véritable obstacle.

Tel est l'avis d'un magistrat espagnol : « La question des commissions rogatoires est liée aux exigences des autorités judiciaires de chacun des pays. Dans le cas de la Grande-Bretagne, la situation est encore aggravée parce que la structure organique, l'organisation judiciaire, est différente de celle du continent. Il existe certes une organisation d'assistance mutuelle qui, d'après ce que j'en sais, se trouve au Home Office. En conséquence, les critères pour répondre et offrir une collaboration sont déterminés, non sur la base de critères purement juridiques, mais selon des critères éminemment politiques, puisque cette autorité se trouve au siège du gouvernement, placée auprès du ministère de l'Intérieur [...]

Dès lors qu'en raison de la structure procédurale du Royaume-Uni, qui n'est pas judiciaire, il existe une autorité de ce type chargée de répondre à une demande d'assistance judiciaire lors d'une instruction, cela a pour conséquence que la réponse en matière de collaboration n'est pas guidée par des critères strictement judiciaires et juridiques, mais par des critères d'opportunité. Dans ce cas, ils sont cohérents avec l'organisation du pouvoir exécutif et du ministère de l'Intérieur qui, lui, ne se base pas, à la différence de juges, sur le principe strict de légalité, mais sur un principe d'opportunité politique.

Je vois donc là un obstacle fondamental à toute collaboration. Si l'on passe en revue la liste des commissions rogatoires, on voit immédiatement que pour ce qui est du Royaume-Uni, elles sont toutes en attente. Non seulement en attente, mais, en plus, nous sommes tout à fait sûrs qu'ils ne vont pas répondre ! Mais lorsqu'ils ont eu eux-mêmes des problèmes de poursuites de délinquance liée à l'Espagne concernant la contrebande de tabac, par exemple, ils n'ont pas hésité à venir nous demander une collaboration que nous leurs avons offerte. Nous avons collaboré, mais de leur côté, ils n'ont pas agi de la même manière ; ils n'ont même pas appliqué le principe élémentaire de réciprocité lorsque les autorités judiciaires espagnoles ont demandé leur collaboration.

En dehors de circonstances exceptionnelles (terrorisme notamment), le Royaume-Uni a toujours strictement privilégié le respect des libertés individuelles et accordé une place centrale aux droits de la défense dans sa procédure pénale.

S'il est incontestable que cette tradition est à mettre au crédit du Royaume-Uni, ce dont les Britanniques sont intimement persuadés et ce qu'ils font valoir à leurs visiteurs sans fausse pudeur, on peut s'interroger sur sa nécessaire adaptation aux réalités de la délinquance contemporaine, notamment en matière économique et financière.

En matière d'extradition par exemple, l'habeas corpus voté en 1679 par le parlement britannique afin de s'opposer aux arrestations arbitraires sur simple dénonciation, continue de régir la procédure actuelle au point de la rendre particulièrement inopérante dans l'hypothèse où la personne concernée refuse son extradition.

La multiplication des recours offerte par la procédure britannique a ainsi permis à M. Rachid Ramda, sur lequel pèsent de lourdes charges dans l'affaire de l'attentat du métro Port-Royal du 6 octobre 1995 à Paris, de s'opposer avec succès à son extradition vers la France depuis son placement sous écrou extraditionnel en Angleterre en date du 8 novembre 1995.


L'affaire Ramda : un labyrinthe du droit anglais

On ne peut dès lors que souscrire à l'analyse de M. Jean-Louis Bruguière, vice-président du tribunal de grande instance de Paris, spécialisé dans la lutte antiterroriste pour qui : « Aucune issue n'est en vue. C'est une affaire symptomatique. On est dans une espèce de labyrinthe du droit anglais, avec une législation extrêmement compliquée, avec des voies de recours multiples et à tiroirs, dominée par le système de l'habeas corpus. Une fois qu'un habeas corpus est terminé on en recommence un autre avec des recours jusqu'à la Chambre des Lords, et ainsi de suite. C'est sans fin.

Il n'est pas acceptable dans un Etat de droit de se retrouver cinq ans après sans aucune perspective, parce qu'on peut très bien atteindre ainsi les six ou sept ans dans cette affaire. »

MM. Pierre Rancé et Olivier de Baynast - L'Europe judiciaire, Dalloz, Paris 2001.

De même, le Royaume-Uni encadre très strictement les procédures d'enquête et d'instruction préalables au jugement. Il est viscéralement hostile à une démarche d'investigation élargie autour d'un individu, sauf si elle est directement rattachable à des soupçons précis et argumentés. Il qualifie ainsi très souvent les demandes d'enquête émanant des magistrats continentaux d'« expédition de pêche aux informations » et s'y refuse absolument au nom de la défense des droits de l'homme.

Madame Lorna Harris, chef du service de la coopération judiciaire au ministère de l'Intérieur, a développé cette conception restrictive de l'instruction devant la Mission dans les termes suivants :


L'obstination du Home Office

Mme Lorna HARRIS, chef du service de la coopération judiciaire :« Le fait d'être contre les expéditions de pêche aux informations ne nous met pas dans une situation unique par rapport aux autres pays. Notre système offre une certaine protection des droits de l'homme. Si un dossier est ouvert en France, par exemple, dans une affaire d'assassinat et que vous demandiez au Royaume-Uni de vérifier si l'individu accusé possède des comptes bancaires au Royaume-Uni, nous refuserons votre demande.

En revanche, si vous nous offrez des informations précises selon lesquelles la personne inculpée a reçu une certaine somme du Royaume-Uni, nous accepterons la demande et mènerons l'enquête nécessaire. Nous ferons tout notre possible pour identifier les comptes bancaires s'il existe un lien entre cette demande d'information et le crime en cours d'instruction. »

Extrait de l'audition de Mme Lorna Harris, chef du service de la coopération judiciaire, le 7 juin 2000 à Londres.

Cette attitude, poussée à sa logique extrême, aboutit à des impasses et cristallise les critiques des juges d'instruction de toutes nationalités, aux yeux desquels elle revient à exiger la production d'informations qui sont justement l'objet de leurs investigations.


Fournir des preuves pour obtenir des preuves

M. Jean-Claude Van ESPEN, juge d'instruction au parquet de Bruxelles : « Voici un exemple de réponse de Londres : « Après un examen approfondi, il a été décidé que les moyens que vous avez invoqués à l'appui de la requête sont insuffisants pour procéder à un ordre de perquisition. En particulier, nous estimons que rien ne nous permet de croire que les preuves significatives se trouvent encore sur les lieux à perquisitionner...

En ce qui concerne les preuves bancaires, nous devons savoir pour quelles raisons vous estimez que les preuves au sujet du bénéfice résultant des infractions sous enquête seraient trouvées dans le compte. »

Or c'est justement l'objet de mes vérifications ! Ils me demandent de lire dans une boule de cristal ! »

Extrait de l'audition de M. Jean-Claude Van Espen, juge d'instruction au parquet de Bruxelles, le 24 novembre 1999 à Bruxelles.

Il faut toutefois indiquer que les grands principes qui encadrent l'entraide judiciaire de la part du Royaume-Uni régissent aussi l'activité de ses propres forces de police. Les atteintes au droit de la propriété y sont par exemple rarissimes. La confidentialité des comptes bancaires s'oppose aux policiers britanniques et ne peut être levée, avec une justification précisément argumentée, que sur une décision des tribunaux, susceptible de recours. Par ailleurs, le Royaume-Uni ne dispose pas d'un fichier centralisé des comptes bancaires.

Ces restrictions mises à l'enquête judiciaire étonnent les juges français. M. Renaud Van Ruymbeke, juge d'instruction au tribunal de grande instance de Paris, a ainsi relevé devant la Mission :


Renaud Van Ruymbeke : « Les Anglais m'ont demandé si je voulais un avocat ! »

M. Renaud Van RUYMBEKE, juge d'instruction : « Avec Londres, il y a peut-être aussi un problème de contact. J'ai eu l'occasion de travailler avec les Anglais récemment, et je me suis aperçu qu'il pouvait y avoir des problèmes d'ordre culturel - ils n'ont pas de juges, uniquement des policiers. Par ailleurs, il est très difficile à la police d'avoir accès aux comptes bancaires, le titulaire du compte disposant de voies de recours. Ils m'ont même demandé, alors que j'attendais le résultat d'une commission rogatoire envoyée un ou deux ans auparavant, si je voulais un avocat ! »

Extrait de l'audition du juge Renaud van Ruymbeke, le 2 mai 2000.

Les mêmes difficultés se posent en matière de gel ou de saisie des actifs de personnes suspectées d'agissements criminels ou délictueux.

Conscient des obstacles imposés à sa propre action judiciaire et pénale, le Royaume-Uni a commencé à réformer ses modes d'action en créant par exemple une entité opérationnelle sui generis, le Serious Fraud Office (SFO), dotée de pouvoirs d'investigation coercitifs qui lui permettent notamment de s'affranchir de l'autorisation des tribunaux dans la conduite des enquêtes financières.

Il a aussi annoncé la discussion d'un projet de loi destiné à renforcer l'efficacité des saisies et confiscations de biens détenus par des organisations criminelles, notamment en mettant en place une Agence nationale des confiscations (NCA).

Compte tenu de l'importance des réformes à mettre en place afin d'assurer une meilleure coopération judiciaire avec le continent ou de garantir l'application de la convention européenne sur l'entraide judiciaire du 29 mai 2000 ainsi que du principe de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice adopté au Sommet de Tampere, qui nécessiteront des modifications de la loi de 1990 sur la coopération internationale en matière de justice criminelle (CJICA), il est évident que l'impulsion ne peut venir que du pouvoir politique.

A cet égard, on ne pouvait que se réjouir des propos tenus par M. Jack Straw, ministre britannique de l'Intérieur, le 16 octobre 1998 à Avignon, à l'occasion du colloque sur l'espace judiciaire européen, lorsqu'il affirmait qu'il fallait une coopération « afin d'obtenir des preuves, de garantir que les témoins puissent être interrogés et que le prévenu soit présenté devant le tribunal. » et qu'« il faudrait pouvoir nous libérer de ces concepts du XIXème siècle » qui régissaient encore les relations judiciaires interétatiques. Pourtant, aucune suite n'a été donnée. Le Home Office continue dans sa tradition obstinée à nuire aux enquêtes des autres pays européens, et ralentit lorsqu'il ne paralyse pas la lutte contre le blanchiment.

Cette action politique de réforme est également et surtout souhaitée par de nombreux acteurs britanniques de la lutte contre la criminalité financière que la Mission a rencontrés au Royaume-Uni et qui sont, eux aussi, pénalisés par les nombreuses entraves imposées à leur action par des procédures obsolètes.

C.- DES TENSIONS AU SEIN DE L'ADMINISTRATION BRITANNIQUE

1.- L'attitude restrictive du Home Office

Au-delà des règles et des principes hérités de l'histoire et de la philosophie politique des peuples, la coopération judiciaire avec le Royaume-Uni subit les conséquences d'une organisation administrative contestable.

Il est important de bien comprendre que le caractère opérationnel de la coopération judiciaire entre deux pays repose d'abord sur la connaissance réciproque des rouages administratifs de chacun et sur la bienveillance avec laquelle une règle donnée va être interprétée et expliquée ou une demande étrangère reformulée afin de la rendre compatible avec la norme et d'atteindre l'objectif poursuivi par le pays requérant. La mise en place des magistrats de liaison repose essentiellement sur cette analyse pragmatique.

Au Royaume-Uni, les règles sont complexes et leur application par l'administration est dénoncée comme tatillonne et obtuse par de nombreux magistrats de tous les pays de l'Europe continentale ainsi que par certains opérationnels britanniques eux-mêmes.


Une procédure « impérialiste »

M. Jean-Pierre DINTILHAC, Procureur de la République : « En Grande-Bretagne, nous avons également un magistrat de liaison, mais nous rencontrons des difficultés qui consistent d'ailleurs moins en des non-réponses qu'en des exigences permanentes de précision et de complément de dossier qui finissent par lasser car, à force de s'entendre redemander de présenter les demandes autrement, de traduire, de rajouter les textes des lois, on finit, comme tout cela s'accompagne tout de même d'un certain délai de réponse, par penser que l'on n'y arrivera jamais. C'est notamment le cas pour les dossiers d'extradition avec la Grande-Bretagne, qui sont extrêmement difficiles à monter et qui n'aboutissent que très rarement. »

Extrait de l'audition de M. Jean-Pierre Dintilhac le 6 octobre 1999.

Dans le même registre :

M. Jean-Claude MARIN, Chef de la division économique et financière du parquet de Paris : « Par ailleurs, la procédure anglaise est une procédure impérialiste : tout doit se faire dans les moindres détails, même pour un pays étranger, comme on doit le faire en Angleterre. Ainsi, on doit justifier que la signature de la commission rogatoire est bien celle du juge et il faut pratiquement un affidavit pour certifier que c'est bien M. Untel, premier juge ou juge d'instruction, qui a signé l'acte.

Enfin, les magistrats français n'ont pas toujours connaissance des bonnes questions à poser. Les juges suisses et français ont suivi une « formation permanente » qui porte ses fruits, ou, plus exactement, la permanence des affaires a permis la formation mutuelle de nos magistrats. En revanche, en Grande-Bretagne, jamais il n'y a d'aide en retour. Par exemple, si vous demandez si le compte 55 S a vu passer une somme supérieure à 10 000 francs émanant de telle banque française, on vous répondra négativement, même si l'on sait que le compte 55 S a été clôturé pour erreur d'écriture et s'appelle 55 N dans les livres de la banque.

Extrait de l'audition de M. Jean-Claude Marin, le 6 octobre 1999.

Ce formalisme excessif de la part du Royaume-Uni rallonge d'autant les procédures et décourage les meilleures volontés, tout en permettant de ne pas opposer de refus brutal ou de fin de non-recevoir qui seraient politiquement difficiles à défendre.

L'imagination britannique dans ce domaine semble sans limites.

La Mission a pris connaissance de nombreux exemples de CRI renvoyées à leurs auteurs sous des prétextes variés comme :

- demande d'évaluation financière du préjudice afin de déterminer la procédure applicable ;

- engagement de ne pas utiliser les informations demandées dans une autre procédure que celle pour laquelle elles ont été demandées ;

- engagement de ne pas utiliser les témoignages recueillis contre leurs auteurs sans l'autorisation des autorités britanniques.

D'une manière générale, on est saisi de constater la rigidité des procédures et le nombre de courriers échangés, souvent sans même recourir à la télécopie, alors qu'un simple coup de téléphone aurait permis de gagner des semaines, voire des mois.

Le service administratif qui traite les demandes de coopération judiciaire et qui, au terme de la loi britannique de 1990 précitée, est l'interlocuteur unique des Etats étrangers, est le service central de l'entraide judiciaire (UKCA) qui dépend du ministère britannique de l'Intérieur.

Ce service est identifié par de nombreux opérationnnels, y compris britanniques, comme l'un des verrous essentiels du système. Un peu de sociologie administrative appliquée permet de mieux cerner sa formidable capacité de nuisance.

Le rattachement de cette structure au ministère de l'Intérieur et non au ministère de la Justice, pose un premier problème. Ce ministère est inévitablement plus sensible à la sécurité intérieure du Royaume-Uni qu'à la réussite de la coopération judiciaire avec l'étranger. La hiérarchie de ses priorités éclaire ainsi son attitude en matière d'extradition puisque ses réticences à extrader certains activistes islamiques s'expliquent notamment par son souci de préserver le territoire britannique de ce type de terrorisme.

La capacité de ce ministère à dialoguer rapidement et d'égal à égal avec les juges britanniques est aussi mise en cause alors qu'elle ne fait guère de doutes pour le Crown Prosecution Service qui assure la relation entre les circonscriptions de police et les tribunaux britanniques. Le magistrat de liaison qui vient d'être nommé à Paris est issu de ce dernier service, ce qui est plutôt rassurant sur sa capacité à accélérer les procédures.

Le fonctionnement concret du service central de l'entraide judiciaire renforce encore les interrogations résultant de son ministère de rattachement. Il est composé d'une petite vingtaine de personnes faiblement qualifiées, équivalents de fonctionnaires de catégorie C en France, sous l'autorité d'un chef de service qui est traditionnellement un juriste confirmé. Il est frappant de constater qu'il ne compte aucun opérationnel dans ses rangs, ni policier ni magistrat, alors que son équivalent en France, le bureau de l'entraide répressive internationale et des conventions pénales (BERICP) compte une trentaine de personnes dont six cadres A et qu'il est animé et dirigé par des magistrats. Son chef actuel est par exemple un ancien juge d'instruction.

Le service britannique est par ailleurs directement rattaché au ministre, sans hiérarchie intermédiaire, ce qui renforce sa sensibilité aux arguments politiques et sa propension naturelle à ne prendre aucun risque afin de dégager sa responsabilité en cas de procédures judiciaires engagées contre ses décisions.

Dès 1996, le GAFI avait déjà identifié ce service comme l'une des faiblesses du système britannique, par ailleurs décrit comme satisfaisant, dans son rapport d'évaluation des mécanismes de lutte contre le blanchiment :


En 1996, le service d'entraide judiciaire britannique
déjà épinglé par le GAFI

« Le délai nécessaire au service central de l'entraide judiciaire pour finir de traiter les demandes paraît en fait assez long, même si l'on tient compte du fait que les demandes peuvent faire l'objet d'une procédure rapide en cas de besoin. Cela peut s'expliquer par un manque de personnel au sein du service central de l'entraide judiciaire, par le caractère excessivement compliqué de la manière dont l'entraide doit être fournie selon certains systèmes, ou par le fait que les demandes sont traitées de façon peu prioritaire par les fonctionnaires chargés de leur donner suite. Le système pourrait être rendu plus efficace si la cause était identifiée et si des mesures étaient prises, lorsque cela est possible, pour résoudre le problème. On devrait noter que le service des douanes a affecté une équipe pour traiter les demandes étrangères, et qu'une réponse est normalement fournie en moins de six semaines, même si délai est plus long dans des cas complexes. »

Extrait du 2ème rapport d'évaluation mutuelle du Royaume-Uni par les experts du GAFI, septembre 1996.

La Mission rappelle que le délai moyen d'exécution d'une CRI à destination du Royaume-Uni est d'un an. Le service central s'est engagé dans un programme d'objectifs portant sur la réduction du délai de traitement qui lui est directement imputable. Ce service traite 2 500 demandes d'entraide provenant de l'étranger et 1 500 demandes provenant du Royaume-Uni à destination de l'étranger. Il s'est engagé sur un objectif de vingt jours ouvrables pour le traitement des demandes en provenance de l'étranger et de dix jours ouvrables pour celui des demandes en provenance du Royaume-Uni, mais les délais globaux, incluant l'ensemble du processus et notamment les demandes récurrentes de précisions imposées par ce même service, sont bien supérieurs et sont proches d'une année.

Il semble cependant que, même dans sa fonction de « boîte à lettres », le service central ne soit pas à l'abri de ratés, comme en a témoigné devant la Mission M. Van Espen, juge d'instruction au parquet de Bruxelles :


L'exaspération d'un juge belge.

M. Jean-Claude Van ESPEN, Juge d'instruction « J'ai ici un autre exemple. J'adresse une commission rogatoire internationale le 12 juin 1995, transmise au ministère de la Justice à Londres. La réponse du magistrat national est la suivante : « Me référant à votre courrier du 8 juillet 1996, relatif à la commission rogatoire internationale du 12 juin 1995, j'ai l'honneur de porter à votre connaissance que M. X., directeur à l'office central, a transmis au ministère de la Justice à Londres votre commission rogatoire en date du 18 juin 1996. » Il a donc fallu un an simplement pour qu'elle arrive au ministère de la Justice ! Pourquoi un tel délai ? »

Extrait de l'audition de M. Jean-Claude Van Espen, du 24 novembre 1999 à Bruxelles.

Au-delà des statistiques de délais, l'influence la plus pernicieuse du service central est bien son exigence permanente de strict respect des procédures, son formalisme bureaucratique qui s'explique largement par son positionnement administratif et qui excède jusqu'aux opérationnels britanniques comme en témoigne cet échange surprenant entre la Mission et les policiers de la police métropolitaine de Londres.


Quand les policiers britanniques se plaignent
auprès de députés français
de ne pouvoir travailler correctement

M. Tristram HICKS, Chef de l'unité du renseignement : Que ce soit avec les juges d'instruction en Europe ou les policiers en Grande-Bretagne, notre souhait est de coopérer avec tous. Toutefois nous ne pouvons répondre à la demande qu'une fois que les avocats du gouvernement l'ont vérifiée et se sont assurés qu'elle a été faite en bonne et due forme. Nous rencontrons le même problème lorsque nous demandons des informations à l'étranger. Les avocats du gouvernement britannique filtrent nos demandes et ne laissent passer que celles qui leur semblent acceptables. C'est un système bureaucratique, qui prend beaucoup de temps et qui nous pose beaucoup de problèmes.

Je vous cite un exemple. Dans le cadre d'une opération, menée conjointement en Belgique, en Suisse et en France, la police néerlandaise nous a demandé d'obtenir un permis de perquisition afin de mener une fouille dans des maisons britanniques. Les perquisitions avaient eu lieu dans chacun des pays cités ci-dessus, mais lorsque la demande est parvenue aux autorités britanniques, elle a été déboutée faute de moyen de preuve.

M. David TUFFY, chef de la formation internationale : Nous étions dans l'impossibilité d'accéder à la demande parce que la loi britannique ne le permettait pas. C'est très frustrant pour nous.

M. le Rapporteur : Vous nous faites comprendre, me semble-t-il, que la question est politique, et relève du gouvernement et du parlement britanniques qui ne veulent pas se donner les moyens d'organiser une coopération plus fluide. Aujourd'hui, c'est la loi qui est en cause.

Ce matin, nous avons rencontré les responsables du ministère de l'Intérieur auxquels nous avons posé les mêmes questions. Ils coupent les cheveux en quatre. On ne peut nier le fait que chaque pays a un système juridique qu'il organise souverainement, mais le blanchiment d'argent ne connaît pas les frontières. Notre problème est de lutter contre ces frontières et de les démanteler sur le plan de la coopération simple. Lorsque nous avons demandé à Mme Harris, chef du service central de l'entraide judiciaire du ministère de l'Intérieur et auteur d'un livre qui fait autorité sur la question, s'il pouvait être envisagé d'assouplir les conditions d'obtention de renseignements bancaires, il nous a été répondu que c'était un droit de l'homme que de protéger le secret bancaire.

Considérez-vous que le ministère de l'Intérieur, en la personne de Mme Harris, représente la voix du gouvernement ou celle d'une technostructure qui a des intérêts différents de ceux du gouvernement ?

M. Tristram HICKS : Mme Harris représente un processus bureaucratique. L'objectif de la police est d'arrêter les délinquants et de les mettre en prison. Celui du gouvernement est de lutter contre la criminalité, la délinquance et la fraude. Mais entre les deux, vous avez cette bureaucratie que constituent les tribunaux et les procureurs qui sont là pour se pencher sur les preuves. Nous ne pouvons pas contourner cette couche bureaucratique car ce sont les tribunaux et les procureurs qui nous accordent les permis de perquisition et les injonctions qui nous permettent de poursuivre notre travail. Pour les obtenir, nous devons leur soumettre les preuves nécessaires.

Extrait de l'audition du 7 juin 2000 à Londres.

2.- Les ouvertures de la coopération opérationnelle

Il est bien évident qu'en raison du formalisme rigide imposé à l'entraide judiciaire, la réponse apportée à la criminalité internationale ne peut venir, dans un premier temps, que de la coopération opérationnelle dans sa double dimension de renseignement et de police judiciaire. Cette coopération renforcée trouve cependant ses limites dès lors qu'on procède à des actes coercitifs qui nécessitent l'autorisation des tribunaux, sauf à aboutir à des irrégularités ou des détournements de procédure.

La coopération la plus efficace entre la France et le Royaume-Uni dans la lutte contre le blanchiment doit passer par les échanges d'information entre les unités de renseignement financier comme le directeur de la division Royaume-Uni de l'unité britannique, le NCIS, l'a bien expliqué à la Mission.

Selon M. Vincent Harvey, en effet, « concernant TRACFIN, nous avons de très bonnes relations et nous avons signé un mémorandum d'entente il y a trois ans. Par la suite, il y a eu un échange de personnels car il est très important que chacun comprenne les deux législations. Il faut créer un climat de confiance pour que les deux parties soient convaincues que le secret sera respecté. »

Toutefois, ce bon climat ne débouche pas encore sur un volume d'affaires significatif.


Faute de moyens, le NCIS est d'abord au service
de la police britannique

M. Vincent HARVEY, directeur de la division Royaume-Uni du NCIS : « L'année dernière, les demandes de renseignement de TRACFIN n'ont concerné que deux dossiers alors que les nôtres ont concerné six dossiers. Il y a une raison cachée à cela. Cela tient aux initiatives de notre unité d'innovation et de performance au Cabinet office qui est chargée, plus particulièrement en ce moment, de la saisie et de la confiscation des biens.

Nous avons compris qu'il était nécessaire d'améliorer nos procédures et c'est la raison pour laquelle nous avons fait faire cette étude par nos services. En ce moment, j'ai trente-trois employés alors que je devrais en avoir le double, voire plus. S'il y a une interaction limitée entre TRACFIN et le NCIS, c'est parce que nous devons transmettre ces quinze mille dossiers à la police du Royaume-Uni aussi rapidement que possible. Je peux identifier, dans le lot, quelques cas dont il faudrait aviser TRACFIN, mais étant donné le nombre peu élevé de collaborateurs à ma disposition, j'ai tendance à faire mon métier de base, c'est-à-dire transmettre les dossiers à la police britannique. »

Extrait de l'audition de M. Vincent Harvey, du 7 juin 2000 à Londres.

Il faut développer ces échanges entre services de renseignement en amont des procédures pénales. Outre les travaux menés au sein du groupe Egmont qui fédère l'ensemble des unités de renseignement financier à l'exception de celle de Gibraltar en raison du veto espagnol, la relation bilatérale entre unités importantes est fondamentale. La Mission a pu constater que d'autres services appartenant à la sphère britannique et notamment celui de l'île de Man, étaient demandeurs de cet échange.

Cette forme de coopération présente notamment le grand intérêt de pouvoir monter rapidement un dossier d'enquête préliminaire sans l'intervention préalable des tribunaux britanniques dont les exigences ne permettent pas une action efficace en temps utile. Les unités de renseignement financier entretiennent en effet une relation étroite avec les établissements financiers qui leur permet d'obtenir des informations sans passer par des procédures coercitives qu'ils sont rarement autorisés à mener.


Comment obtenir des informations sans passer
par la coopération judiciaire ?

M. le Rapporteur : Lorsque vous recevez une déclaration de soupçons, avez-vous le pouvoir de retourner vers l'établissement financier et de lui demander des compléments d'information pour étendre votre investigation, à partir de la transaction suspecte afin d'approfondir son contexte ?

M. Andy BLEZZARD, responsable de l'unité financière du NCIS : Nous avons la possibilité de nous adresser à la banque pour demander des renseignements sur une base informelle. Comme nous avons de très bonnes relations avec les banques, nous pouvons obtenir les renseignements voulus. Mais les banques ont aussi la possibilité de refuser auquel cas il faut se tourner vers les tribunaux. Si nous avons les renseignements, nous devons décider si nous avons besoin ou non des justificatifs pour établir les preuves. Nous devons alors nous tourner vers les tribunaux pour obtenir une injonction qui autorisera la banque à violer le secret professionnel.

M. le Rapporteur : Quelle est la condition pour obtenir un complément d'information devant un tribunal ?

M. Andy BLEZZARD : Nous devons avoir des motifs valables de suspecter que la personne soit impliquée dans un blanchiment d'argent ou un délit.

M. le Rapporteur : Est-ce vous ou la police qui va devant le tribunal ?

M. Andy BLEZZARD : C'est en principe la police, mais comme je suis un policier assermenté, ce n'est pas nécessaire. Nous évoquons le sujet au niveau politique en vue d'entreprendre nous-mêmes cette démarche.

M. le Rapporteur : Considérez-vous que vous disposez des mêmes pouvoirs lorsque vous êtes saisi par un service de renseignement étranger que lorsque vous êtes saisi par une déclaration de soupçons en provenance d'un établissement financier britannique ?

M. Andy BLEZZARD : Si cette demande de renseignement précise l'établissement financier concerné, nous pouvons le contacter pour demander des renseignements. La banque généralement répond de façon positive, en précisant que les informations sont données à titre de renseignement confidentiel.

Toutefois, si nous donnons ces informations à la banque, elle est obligée par la suite de poursuivre et de faire une enquête interne pour voir s'il y a eu des transactions suspectes, ce qui débouchera peut-être sur une déclaration adressée à nos services. Si la banque répond par la négative en disant qu'elle ne constate rien de particulier, nous pouvons alors nous retourner vers le pays requérant en lui demandant des précisions sur les renseignements voulus et les moyens de preuve. Nous pouvons, dans un deuxième temps, nous retourner vers nos tribunaux pour une injonction obligeant la banque à révéler des informations.

Toutefois, si on sait seulement qu'il s'agit de la Barclays à Londres mais sans savoir quelle est l'agence, on peut faire une enquête informelle par l'intermédiaire d'Interpol, mais ce serait uniquement dans un cas très important en raison du nombre de banques et de titulaires de comptes.

M. le Rapporteur : Je vous pose cette question car j'ai là toutes les commissions rogatoires des juges français, espagnols, italiens qui ne parviennent pas à obtenir des informations bancaires en utilisant le terrain judiciaire. Vous nous expliquez qu'en utilisant la coopération informelle de service de renseignement à service de renseignement, on peut y parvenir plus facilement.

M. Andy BLEZZARD : Pas tout à fait. Vous devez faire la différence entre renseignements et preuves. Les preuves concernent la coopération judiciaire traditionnelle. Nous ne sommes pas concernés par les preuves. TRACFIN et NCIS doivent pouvoir échanger des renseignements rapidement pour suivre les fonds, pour permettre éventuellement d'obtenir des preuves.

M. le Rapporteur : Quand nous demandons des preuves par le biais de la coopération judiciaire, on nous demande des informations que nous n'avons pas car nous utilisons les moyens judiciaires pour obtenir ce que vous appelez l'information.

M. Andy BLEZZARD : Nous voulons faire en sorte que notre unité financière soit le point de contact pour tous ces renseignements. Le sujet est délicat et nous pensons qu'il y aura des problèmes si la police s'en charge au Royaume-Uni. Si nous avons ici une déclaration de soupçons, nous pouvons demander à TRACFIN d'obtenir les renseignements, et TRACFIN s'adressera directement à la banque. Au Royaume-Uni, nous ne pouvons pas faire cela, mais de manière informelle, nous avons la possibilité d'obtenir rapidement les renseignements.

M. le Rapporteur : Nous voulons seulement obtenir des informations pour établir la preuve. Vos procédures judiciaires sont beaucoup plus exigeantes que les nôtres.

M. Vincent HARVEY : Comme nous l'avons dit, il s'agit d'offrir des informations à titre de renseignement confidentiel et non pas pour les preuves. Il ne s'agit pas uniquement de la relation entre la France et l'Angleterre. Dans le cadre du groupe Egmont, il y a cinquante-trois pays. Nous souhaitons établir des accords avec chacun de ces pays pour mettre en place un échange de renseignements rapide. En effet, nous ne pouvons pas attendre l'utilisation des procédures judiciaires car c'est beaucoup trop long. Au final, nous aurons des liaisons automatiques avec TRACFIN pour un échange rapide d'informations.

Extrait de l'audition de MM. Vincent Harvey et Andy Blezzard, du 7 juin 2000 à Londres.

Cet échange entre la Mission et le NCIS retrace parfaitement les avantages de la coopération entre services de renseignement, mais aussi leurs limites. Elle est toutefois très efficace pour le travail de renseignement préalable à une procédure judiciaire et peut largement préparer le travail d'instruction d'un juge, en accélérer le déroulement et créer les conditions d'une coopération judiciaire efficace.

Dès lors que l'on quitte la notion de renseignement pour aborder celle de preuve dans une procédure pénale, ce qui entraîne une officialisation des informations rassemblées et de leurs circuits de collecte, la coopération judiciaire reprend ses droits, avec ses exigences qui s'imposent aussi aux policiers britanniques, comme l'a regretté devant la Mission M. David Tuffy, chargé de la formation internationale à la police métropolitaine de Londres.


Le souci majeur des policiers britanniques :
éviter la couche bureaucratique des tribunaux

M. le Président : Le secteur bancaire constitue-t-il, pour vous, un monde opaque dans lequel ni vous ni vos collègues étrangers ne peuvent entrer ?

M. David TUFFY, chargé de la formation internationale à la Metropolitan Police Fraud Squad : J'ai une grande expérience en la matière. Je ne pourrais pas mener à bien mon travail sans une bonne collaboration du monde bancaire. Toutefois le problème qui se pose avec la délinquance financière est qu'elle est extrêmement rapide. Elle évolue à la vitesse des fibres optiques. Je suis toujours très frustré si je n'obtiens pas une bonne coopération ou si elle est très lente. J'ai connu moi-même des problèmes de retard concernant des demandes dans tous les pays mentionnés, à part le Luxembourg. La réciprocité pose beaucoup de problèmes. Il faut vraiment vouloir coopérer.

Le meilleur moyen d'obtenir cette collaboration et cette réciprocité est d'éviter la couche bureaucratique et d'établir de bonnes communications à la base entre policiers. De par leur expérience, ce sont eux qui sont les mieux à même de pouvoir dire comment formuler une demande en bonne et due forme, en vue d'obtenir les renseignements nécessaires.

M. le Président : Cette bonne collaboration avec les banques signifie que vous ne rencontrez pas de problèmes particuliers pour connaître l'identité des ayants droit économiques des comptes et leur contenu, lorsque cela vous est nécessaire.

M. David TUFFY : S'agissant des renseignements, nous ne rencontrons pas de problèmes particuliers.

M. le Rapporteur : Mais du point de vue des preuves ?

M. David TUFFY : Il faut passer par les tribunaux et convaincre le juge que la personne concernée a bénéficié du produit d'activités frauduleuses. Entre policiers, nous arrivons à bien coopérer dans les pays du Commonwealth, notamment en ce qui concerne le trafic de drogue et le terrorisme. Pour la délinquance en général, je dois admettre que c'est plus difficile.

M. le Président : La difficulté qu'éprouvent les policiers français ou étrangers, voire les juges, est que les autorités britanniques demandent les preuves alors qu'on les recherche. Par conséquent, le serpent se mord la queue. Le même problème doit se poser pour vous. Quand vous êtes à la recherche de preuves, il faut les avoir déjà en main pour obtenir l'autorisation d'aller les rechercher.

M. David TUFFY : Concernant le trafic de drogue, nous avons une loi très puissante. Il me suffit de convaincre le juge que nous avons des raisons de soupçonner telle personne d'avoir bénéficié du produit d'un trafic de drogue ou d'avoir eu des activités de trafiquant. Le juge acceptera de me donner une injonction. Dans ce cas, je n'ai pas l'obligation d'apporter la preuve.

En ce qui concerne la délinquance, je peux appliquer le même raisonnement. Il me suffit de dire qu'on peut légitimement soupçonner telle personne d'avoir bénéficié financièrement d'activités criminelles.

Extrait de l'audition de M. David Tuffy, le 7 juin 2000 à Londres.

Dès lors que des actes coercitifs sont demandés par des policiers ou magistrats étrangers, les policiers britanniques sont tenus de passer par la procédure officielle de l'entraide judiciaire, ce qui augure mal du succès de la coopération demandée. Pris entre les deux exigences contradictoires de la régularité et de l'efficacité, ceux-ci peuvent faire le choix de la seconde comme ils l'ont reconnu devant la Mission qui n'a pu que les en féliciter.


Quand les policiers britanniques sont conduits
à commettre des irrégularités pour assurer le succès
de la coopération

M. David TUFFY, chargé de la formation internationale à la Metropolitan Police Fraud Squad : Je peux vous citer le cas d'une affaire dont nous a saisis la Nouvelle-Zélande. Les autorités néo-zélandaises nous ont envoyé par télécopie une demande de perquisition chez une personne soupçonnée d'avoir acheté du LSD aux Pays-Bas pour l'expédier par courrier ensuite en Nouvelle-Zélande. Sur la base de cette télécopie nous demandant de rechercher les stupéfiants au Royaume-Uni, car il n'y a pas eu de demande formelle, nous avons convaincu le juge de nous donner l'ordre de perquisition. Nous avons découvert les preuves requises.

De plus, nous avons constaté qu'il y avait eu transfert de fonds entre la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, avec un transit par les Pays-Bas. Toutefois, grâce aux informations données dans cette télécopie, nous avons pu obtenir du juge un permis pour examiner les comptes bancaires, les factures de téléphone, etc. A la suite de cette enquête, la personne a été condamnée à neuf ans de prison.

M. Tristram HICKS, chef de l'Unité de renseignement : Cette procédure n'était pas conforme aux exigences de la loi sur l'assistance mutuelle. En principe, nous devons toujours passer par le ministère de l'Intérieur.

M. David TUFFY : Ma position est la suivante. Si j'obtiens un renseignement, dans le cadre par exemple du groupe Egmont, concernant des activités criminelles, suis-je censé ne pas tenir compte de ce renseignement car il ne rentre pas dans le cadre d'une procédure formelle ? Selon le ministère de l'Intérieur, je ne devrais pas en tenir compte, mais en tant que policier, cela m'est difficile.

Extrait de l'audition de MM. David Tuffy et Tristram Hicks, le7 juin 2000 à Londres.

De tels exemples démontrent à l'évidence que les procédures britanniques encadrant la coopération judiciaire avec l'étranger ne sont plus adaptées à la réalité de la délinquance contemporaine. Le Royaume-Uni en prend lentement conscience mais tarde à mettre en _uvre les réformes qui s'imposent. Il a toutefois créé une entité sui generis, le Serious Fraud Office, dont l'action pourrait utilement inspirer le législateur britannique dans les années à venir.

3.-Le Serious Fraud Office : un modèle à suivre

Plusieurs magistrats français ont signalé à la Mission l'existence d'une institution qui permet d'obtenir des résultats efficaces dans l'entraide judiciaire. Il s'agit du « Bureau des fraudes sérieuses » ou SFO, créé par la loi relative à la justice criminelle de 1987 afin de traiter les dossiers de fraude sérieuse et complexe, c'est-à-dire la grande délinquance financière.

Le SFO est un organisme judiciaire indépendant des autres ministères et qui est directement rattaché au procureur général du Royaume-Uni, au même titre que le Crown Prosecution Service ou que l'agence judiciaire du Trésor. Ce service dirige les investigations de la police ou les conduit lui-même dès lors qu'il s'agit de grande délinquance financière et il déclenche les poursuites devant les tribunaux. Il est composé de comptables, d'avocats, d'enquêteurs financiers, ainsi que d'experts informaticiens. Il traite annuellement de l'ordre de 90 dossiers pour des montants très élevés, atteignant parfois des centaines de millions de livres.

Le grand intérêt du SFO est qu'il dispose de pouvoirs d'investigation coercitifs qui lui permettent de s'affranchir de l'autorisation des tribunaux dans la conduite des enquêtes financières. Le fait qu'il soit compétent en matière de grande délinquance financière, où la dimension internationale est très présente, le conduit aussi à adapter une posture très favorable à l'entraide judiciaire.

La section 2 de la loi relative à la justice criminelle de 1987 permet au SFO d'obliger les personnes détentrices d'une information confidentielle à lui transmettre de même qu'il a un accès direct à des dossiers confidentiels ou des comptes bancaires sans intervention préalable des tribunaux. Il peut aussi demander un mandat auprès d'un tribunal en vue de perquisitionner le domicile privé ou les locaux professionnels d'un individu et d'y saisir des documents.

Le SFO est favorable à l'entraide judiciaire avec l'étranger car il a besoin de la réciprocité pour ses propres dossiers. Il a d'ailleurs spontanément remis à la Mission une brochure rédigée en Français et qui présente de manière très concrète et documentée (identité et coordonnées des personnes compétentes pour l'entraide, principaux cas de collaboration possibles, liste des informations préalables à sa saisine, etc.) les services qu'il peut rendre aux enquêteurs français.

Pour utiliser ses pouvoirs coercitifs au profit d'enquêteurs étrangers, le SFO devra toutefois être officiellement saisi par la procédure de la coopération judiciaire et, donc, par le service central de l'entraide judiciaire du ministère de l'Intérieur. Pour ce faire, ce dernier devra être convaincu du caractère complexe et sérieux de la fraude ou de l'infraction soupçonnée.

Cette notion est complexe et son identification repose sur un faisceau d'indices au nombre desquels :

- le montant du préjudice (la somme de un million de livres, soit onze millions de francs est la référence utilisée) ;

- l'implication de citoyens notoires ;

- l'implication d'intérêts publics ;

- le nombre et la complexité des transactions ;

- le caractère international des montages financiers utilisés.

Cette variété toute britannique de critères pourrait laisser penser que le Royaume-Uni, et notamment son ministère de l'Intérieur, peut accorder à son gré et de manière arbitraire l'aide du SFO et donc décourager les demandes françaises. Il semble en fait que le SFO se fasse l'avocat auprès du ministère de l'Intérieur de demandes d'assistance étrangères et qu'il enregistre un certain succès si l'on en croit les déclarations de son directeur-adjoint, M. Wardle, à la Mission.


Quand le SFO se fait l'avocat des enquêteurs français
auprès du ministère de l'Intérieur de son pays

M. le Rapporteur : J'ai noté que le seuil de votre intervention est fixé à 11 millions de francs, soit 1 million de livres sterling, au titre du montant du préjudice causé par la fraude. Je voudrais savoir qui évalue ce préjudice dans le cadre d'une commission rogatoire d'un juge européen et qui vous saisit. Pouvez-vous être saisis directement par le juge étranger ou est-ce le ministère de l'Intérieur qui distribue l'exécution des commissions rogatoires et qui apprécie ce chiffre ?

M. R. WARDLE, directeur-adjoint au Serious Fraud Office : Ce seuil d'un million de livres permet, au Royaume-Uni, de considérer qu'il s'agit effectivement d'une fraude grave. Si un juge ou un policier nous indique qu'il s'agit d'une fraude grave et importante, nous pouvons nous satisfaire de leurs indications. Si le juge indique qu'il s'agit d'une affaire d'un million de livres, nous accepterons son évaluation et nous utiliserons nos pouvoirs, mais nous ne pourrons les utiliser que si le ministère de l'Intérieur nous a transmis la demande.

Ceci étant dit, nous encourageons les policiers et les juges d'instruction à nous contacter informellement s'ils ont besoin de conseils sur la manière de procéder pour obtenir l'entraide.

M. le Rapporteur : Je vous remercie de ces encouragements que nous ne manquerons pas de transmettre aux juges et policiers. La question que je me pose maintenant est de savoir qui est l'autorité décisionnelle pour votre saisine. Vous nous dites que formellement c'est l'autorité centrale du ministère de l'Intérieur et que vous vous pouvez convaincre cette autorité, dès lors que vous avez connaissance d'une commission rogatoire faite par un juge étranger, de déférer l'affaire au SFO.

M. R. WARDLE : Nous collaborons assez étroitement avec le ministère de l'Intérieur et lui recommandons de nous adresser autant de cas que possible car il nous semble parfois que certains dossiers ne nous sont pas adressés alors qu'il serait approprié qu'ils le soient. La plupart du temps, nous prenons contact avec le ministère de l'Intérieur pour leur signaler de faire quelque chose. A la suite d'une intervention de ce type, il est rare qu'ils refusent de transmettre le dossier. Il faut que cela suive une procédure officielle, c'est-à-dire la signature par le ministre de l'Intérieur de la demande qui est ensuite transmise formellement au directeur qui pourra accepter son exécution. Néanmoins, tout au long de ce processus, nous pouvons intervenir pour faire en sorte que le dossier soit traité aussi rapidement que possible.

Je précise que nous pouvons traiter certaines demandes sans commission rogatoire : par exemple, si les informations sont dans le domaine public ou si les témoins veulent bien témoigner. Ce n'est que pour utiliser nos pouvoirs coercitifs dits de la « section 2 » que nous sommes obligés de passer par des commissions rogatoires internationales.

Extrait de l'audition de M. R. Wardle, le 8 juin 2000 à Londres.

Cette procédure a déjà donné des résultats intéressants comme l'a souligné M. Wardle : « Nous avons déjà utilisé nos pouvoirs pour aider les autorités françaises dans leurs enquêtes. Je peux vous citer un exemple intéressant. Nous traitons actuellement le dossier d'un avocat ayant reçu des millions de livres que nous pensons être le produit d'argent sale. Dans le cadre de cette enquête, nous avons reçu des policiers et juges d'instruction français pendant une semaine, lesquels ont collaboré avec nos propres enquêteurs, nos avocats, etc. C'était vraiment une enquête partagée. » (Audition du 8 juin 2000 à Londres).

La Mission ne peut dès lors qu'encourager les enquêteurs français à saisir systématiquement le SFO dans l'attente d'une extension de ses pouvoirs à d'autres forces de police. Elle s'est assurée que le livret pratique rédigé par le SFO était en possession du bureau de l'entraide judiciaire du ministère français de la Justice (BERICP) et veillera à ce que la diffusion la plus large lui soit assurée.

On rappellera également que dans son quatrième rapport du 4 avril 2001, le Select Committee on International Development de la Chambre des communes a estimé que le Gouvernement devrait sérieusement envisager l'extension du rôle du SFO pour s'attaquer à la corruption et au blanchiment d'argent autant qu'à la fraude, les limites actuelles conditionnant l'intervention du SFO ne permettant pas de lutter efficacement contre ces phénomènes.

IV. - LA BIENVEILLANCE BRITANNIQUE À L'ÉGARD DE SES DÉPENDANCES OFFSHORE

En droit international public, Gibraltar n'est pas reconnu comme une entité souveraine. Depuis 1713 et le traité d'Utrecht, le territoire est dépendant du Royaume-Uni dont la reine d'Angleterre est le chef de l'Etat.

Le Gouverneur est son représentant personnel. Il a compétence pour les affaires extérieures, la défense, la sécurité intérieure et la stabilité financière. Longtemps matérialisée par une garnison importante, la présence britannique se fait aujourd'hui plus subtile. Depuis quelques années, le Gouverneur n'est plus un militaire mais un civil.

Gibraltar dispose d'une Constitution qui date de 1969. Le territoire est géré par un gouvernement (huit membres actuellement) et une Assemblée (quinze membres élus tous les quatre ans et trois membres nommés). Sa législation, y compris fiscale, est donc autonome ainsi que ses juridictions.

Comme pour Gibraltar, le chef d'Etat de l'île de Man est la reine d'Angleterre. Elle est représentée sur l'île par un Gouverneur. En dehors des relations extérieures et de la défense, l'île, qui ne fait pas partie du Royaume-Uni, jouit d'une très grande autonomie législative et politique. Son Parlement, l'un des plus anciens au monde, est bicaméral et compte 35 membres. Le Parlement désigne le chef de gouvernement parmi ses membres.

L'île de Jersey est, elle aussi, un territoire autonome dont le chef d'Etat est la reine d'Angleterre mais qui ne fait pas partie du Royaume-Uni. Le territoire est administré par un gouverneur de la Couronne (Défense et relations internationales) et par un parlement monocaméral, les Etats de Jersey.

Cette chambre est constituée de 12 sénateurs élus pour 6 ans, de 12 connétables élus pour 3 ans, de 29 députés élus pour 3 ans, du gouverneur, de l'évêque, et du procureur général. Elle est présidée par le bailli qui est nommé par la reine.

Il n'existe pas de gouvernement. Ce sont les douze commissions exécutives (7 membres chacune) du Parlement qui gèrent les affaires publiques.

A.- UN RÉSEAU OFFSHORE DÉVELOPPÉ

1.- La multiplication des centres offshore

Situées à quelques encablures des côtes anglaises et françaises, les îles de Jersey, Guernesey et Man pourraient n'être qu'une étape agréable sur le chemin du touriste en quête de villégiature.

La population de ces îles, qui totalise environ deux cent vingt mille personnes - dont quatre-vingt cinq mille à Jersey, près de soixante mille à Guernesey et de soixante quinze mille à Man - est pourtant loin de vivre uniquement des ressources de la pêche, du tourisme et autres activités souvent associées aux territoires insulaires.

Ces territoires se sont au contraire engagés, à partir des années soixante, dans une stratégie de développement rapide fondée sur l'implantation ex nihilo d'une gamme complète de services bancaires et financiers offshore destinés à une clientèle de particuliers fortunés ou d'entreprises multinationales.


Man, une île à guichets ouverts

L'île de Man est d'autant plus jalouse de sa liberté qu'elle jouit d'une prospérité toute nouvelle. Paradis fiscal, elle est devenue une place financière internationale ; sa richesse a doublé en quinze ans. Signe de sa bonne santé, elle comptait, en juillet, 157 chômeurs et 791 emplois vacants. Par le passé, Douglas vivotait de la pêche aux harengs et d'un tourisme populaire. Ses bed & breakfast, des façades blanches à colonnades qui se succèdent en rangs serrés le long de la promenade, se transforment petit à petit en sièges bancaires, maisons de courtage, cabinets de notaires ou d'avocats. Dans Atholl Street, une City en miniature, chaque porte ou presque arbore sa plaque de cuivre: Zurich Financial Service, Banque des Bermudes, Barclays, Deloitte & Tarche, Royal Bank of Scotland, Halifax, Natwest... Toutes disposent de leur petit pied-à-terre mannois et attirent des clients du monde entier avec un impôt sur les sociétés et les individus ramené, depuis peu, de 14 à 12 %. L'île de Man n'a fait que suivre l'exemple donné par ses s_urs anglo-normandes Jersey et Guernesey et baisser ses taux. Depuis son essor, elle traîne une réputation sulfureuse. Son nom a encore été cité, il y a un an, dans une affaire de corruption au Kremlin. Les pots-de-vin destinés à un proche de Boris Eltsine, Pavel Borodine, avaient transité par la succursale de la Midland Bank à Douglas...

Les pays voisins, dont la France, tolèrent de moins en moins l'existence de zones hors taxes à proximité de leurs côtes ; le paradis des uns fait l'enfer des autres. Londres a promis d'essayer de remettre ses îlots dispersés dans le droit chemin fiscal mais se heurte à un refus général. Le gouvernement mannois fait valoir que l'Union européenne, comme le Royaume-Uni, s'arrête à ses falaises couvertes d'ajoncs. « Nous ne pouvons survivre qu'en étant différent. Avec le même régime qu'ailleurs, nous deviendrons comme l'île de Sky [au nord-ouest de l'Ecosse], une terre pauvre, habitée que par des moutons et entièrement dépendante de l'aide extérieure », déclare Fred Kissack.

Malgré le développement économique et l'arrivée massive d'immigrants qui constituent aujourd'hui la majorité des 75 000 habitants, l'île s'ouvre lentement, à l'image de son Parlement sans véritable formation politique et sans alternance. « Nos dirigeants sont tous conservateurs, même s'ils se prétendent indépendants. Les changements sont graduels», selon Linda Ramsey, chef des travaillistes, l'unique parti, qui dispose de trois sièges sur trente et un. Gary Woods, pasteur évangéliste, confirme que ses ouailles « sont très fermées et n'aiment pas recevoir de leçons. Elles ont l'habitude de dire : « Si vous n'êtes pas content, il y a le bateau ! ».

Article de Christophe Boltanski, Libération du 22 août 2000.

Les îles anglo-normandes, l'île de Man ou Gibraltar figurent parmi les pays qui disposent d'une législation spécifique régissant les sociétés offshore. Plusieurs critères se combinent qui facilitent la création de ces structures. Une législation favorable aux sociétés offshore se reconnaît en ce qu'elle n'exige qu'un faible capital de départ, ne prévoit aucune formalité d'enregistrement ou les limite au strict minimum, admet la possibilité pour ces sociétés de tenir leurs conseils d'administration ou leurs assemblées générales d'actionnaires en tout point du monde, permet la nomination d'administrateurs professionnels, autorise les actions au porteur, n'oblige pas à la tenue d'un audit comptable régulier. Lorsque cette législation « sociétés offshore » est complétée par un secret bancaire absolu et une absence de coopération judiciaire, on se trouve en présence d'un Etat ou territoire non coopératif. Les législations offshore ne satisfont pas toujours l'ensemble des critères précités mais répondent néanmoins à plusieurs d'entre eux. Le tableau comparatif de la situation à Gibraltar, Jersey, l'Île de Man montre que ces territoires, comme le Royaume-Uni, favorisent la création de sociétés offshore.

Conditions de création de sociétés offshore

Pays

Gibraltar

Jersey

Ile de Man

Royaume-Uni

Forme de la société

Exempte ou non-résidente

Exempte

Exempte ou non-résidente

Limited

Nombre minimum d'actionnaires

1

2

2

1

Nombre minimum de directeurs

1

1

2

1

Actions au porteur

non

non

non

non

Publication du nom des actionnaires et des directeurs

oui

oui

oui

oui

Exigence de directeurs locaux

Exempte Non
résidente
non oui

non

non

non

Audit comptable annuel

non

non

non

oui

Achats de société existantes

oui

oui

oui

oui

Coûts de constitution de la société en dollars

Exempte Non
résidente
1 400 1 200

1 000

Exempte Non
résidente
1 100 1 150

1 600

Faciles à créer à peu de frais et dans un délai de quelques jours, ces sociétés offshore sont très attractives tant pour des raisons fiscales que de confidentialité.

Ainsi les sociétés exemptes que l'on trouve à Jersey, dont les actionnaires ne sont pas résidents de l'île, peuvent obtenir un statut fiscal privilégié. Une société exempte jersiaise ne paie pas d'impôt à Jersey mais s'acquitte simplement d'un droit forfaitaire d'environ 6 000 francs.

La législation de l'Île de Man, quant à elle, propose trois types de sociétés :

- la société résidente soumise à une imposition de 20 % sur ses profits mondiaux,

- l'exempt company soumise à une simple taxe forfaitaire sans lien avec le montant des bénéfices réalisés,

- la société non-résidente dont le contrôle et la direction doivent être extérieurs à l'Île de Man.

Même si l'identification des administrateurs, actionnaires ou directeurs est exigée assortie d'une publicité, cette contrainte apparente n'est pas dissuasive pour ceux qui, désireux d'opérer à l'abri des regards indiscrets, recourent à ce type de sociétés pour dissimuler leurs opérations financières.

Il est en effet facile de contourner cette obligation en faisant appel à des actionnaires et des directeurs sous mandats que des organismes ou professionnels spécialités dans la création de sociétés offshore proposent à leurs clients pour préserver l'anonymat de ces derniers.

Un bref extrait - tout à fait représentatif - de ce que ces professionnels de l'offshore préconisent sur leur site Internet suffit à se convaincre qu'il n'est guère difficile de préserver son anonymat sous réserve d'un peu d'organisation et d'une utilisation judicieuse de la législation.


Afin de garantir la confidentialité de l'ayant droit économique, nous incitons notre clientèle à recourir à l'usage de directeurs professionnels mandatés.

Dans certaines juridictions, le nom des directeurs doit être mentionné sur un registre légal dont la consultation est autorisée au public. L'anonymat requis ne peut donc être garanti que par le recours à l'usage de directeurs professionnels mandatés. Dans d'autres pays, malgré le fait qu'aucun registre public ne donne des détails sur les directeurs d'une société, la conduite des affaires au quotidien obligera à en divulguer le nom et sa signature dans nombre de documents (bancaires notamment). En outre, les pays de haute imposition (Etats-Unis, France, Belgique, Allemagne, etc.) édictent des lois fiscales restrictives quant à l'usage d'entités offshore : si une société offshore est dirigée ou contrôlée par un de leurs ressortissants, la société est considérée comme résidente et soumise à l'impôt sur le revenu de ses activités mondiales. Pour exemple, une société offshore ayant pour directeur un citoyen britannique se verra soumise par le fisc anglais au paiement de l'impôt britannique sur ses revenus mondiaux. C'est pourquoi, afin de garantir la confidentialité de l'ayant droit économique, et dans le but d'éviter à la société d'être considérée comme résidente du pays d'origine de son fondateur, nous incitons notre clientèle à toujours recourir à l'usage de directeurs professionnels mandatés, eux-mêmes résidents d'une juridiction offshore. La prise en charge annuelle de ces services varie de 180 £ / 300 US$ à 600 £ / 1000 US$, selon la juridiction offshore considérée. Nous nous chargeons également de la fourniture d'actionnaires désignés à des conditions annuelles équivalentes.

Au total on estime à près de 90 000 le nombre de sociétés établies dans les îles anglo-normandes et à l'île de Man - 32 000 sociétés à Jersey, 16 000 à Guernesey, 42 000 à l'île de Man - dont plus de la moitié bénéficieraient d'une exception d'impôt ou d'un régime fiscal privilégié réservé aux non-résidents.


Les territoires offshore anglo-saxons. Eléments statistiques


 

Jersey

Guernesey

Île de Man

Gibraltar

Bermudes

Îles Caïman

Îles vierges


Nombre de sociétés locales (en milliers)
dont :
- sociétés normalement imposées


- sociétés bénéficiant d'une imposition allégée ou non imposées



32 000


16 000



16 000


8 000


8 000



42 000


20 000


22 000



25 000


-


-



12 800


2 300


10 500



47 000


-


-



302 300


1 400


300 990

Source : rapport Edwards, p. 10

Le mécanisme anglo-saxon du trust trouve également sa pleine application dans un contexte offshore. Le trust est un acte juridique par lequel le « settlor » transfère des biens à un « trustee » afin que ce dernier les administre ou les affecte en faveur d'une ou plusieurs personnes déterminées qui en seront les bénéficiaires réels. Le trust prend la forme d'un document écrit appelé selon les cas « Trust Deed », « Settlement Deed », « Trust Instrument » ou « Declaration of Trust » qui fixe les règles de cette administration ou de cette dévolution des biens ou des avoirs.

Le droit anglo-saxon distingue trois types de trusts :

le fixed interest trust : les droits du bénéficiaire sont définis dans l'acte constitutif du trust. Le trustee est tenu d'effectuer les transferts au bénéficiaire au moment et de la manière définie dans l'acte constitutif ;

le discretionary trust : le trustee dispose du pouvoir discrétionnaire de décider des distributions au bénéficiaire désigné dans l'acte constitutif ;

l'accumulation trust : a pour objet essentiel la gestion de biens, sans distribution.

Cet instrument juridique d'utilisation extrêmement souple - une simple lettre - et largement vanté pour permettre une gestion patrimoniale en toute discrétion, a depuis longtemps été détourné à d'autres fins par tous les blanchisseurs et délinquants financiers soucieux de préserver leur anonymat.

Ainsi le trust discrétionnaire très utilisé permet de préserver l'anonymat des bénéficiaires tant qu'aucun bénéficiaire effectif n'aura été désigné par le trustee.

D'autres systèmes de trusts ont été imaginés encore plus diaboliques pour échapper aux interrogations de la justice qui s'intéresserait de trop près à l'identité de certains bénéficiaires. Ces types de trusts bien particuliers sont décrits avec précision par les professionnels de la finance offshore.


« Comment faire disparaître
les bénéficiaires réels du trust »

Trusts alternatifs :

L'administration de certains pays n'admettant pas le secret bancaire peut obliger le trustee à renoncer au secret professionnel et à témoigner en justice par l'application d'un arsenal de lois prévues à cet effet. Il existe donc un système de trust plus sophistiqué que l'on nomme trust alternatif. Le principe est de lier le trustee à un collège de « sous-trustees » qui déterminera quel groupe d'intéressés bénéficiera des avoirs du trust. De son côté, le settlor demandera aux « sous-trustees » de désigner une personne représentative du collège des bénéficiaires. Une lettre de renonciation sera alors faite à son profit. Ainsi, le trustee originel interrogé officiellement pourra témoigner en toute bonne foi que son client n'est pas impliqué dans les bénéfices du trust.

Trust avec « protecteur » :

Dans le schéma d'un trust « protégé », le « protecteur » est le véritable bénéficiaire des investissements réalisés dans le trust mais il n'apparaît jamais juridiquement propriétaire et lui-même peut être remplacé par une société offshore de type panaméenne. Il existe aujourd'hui de multiples et complexes montages de trusts « protecteur »...

Ces types « d'avantages » tirés des trusts ont été confirmés par les représentants de la Commission des services financiers rencontrés par la Mission à Jersey en mai 2000.


Nous n'estimons pas nécessaire
d'avoir un registre des ayants droit des trusts

M. le Président : Quelles sont les raisons qui motivent les clients français à venir à Jersey ? Est-ce d'abord l'attrait fiscal ou autre chose ?

M. Richard PRATT, Directeur général de la Commission des services financiers de Jersey : Il y a peu d'avantages fiscaux pour le citoyen français qui vit en France, mais il se peut qu'il y ait des avantages fiscaux pour un Français qui vit en dehors de la France. Il y a également des clients français qui désirent utiliser le système des trusts qui n'existe pas en France. [...]

M. le Rapporteur : Reste une question sur laquelle nous ne parvenons pas à y voir très clair, à savoir les trusts qui n'existent pas en France. Certains disent qu'il est possible d'obtenir l'identification des ayants droit économiques, c'est-à-dire des véritables propriétaires qui se cachent derrière ces trusts, d'autres disent qu'il est parfois difficile de l'obtenir. En ce qui vous concerne, comment exercez-vous ce contrôle et organisez-vous la transparence conformément aux normes internationales ?

M. Richard PRATT : Un trust n'étant pas une société, il n'a donc pas de propriétaire. Les propriétaires des capitaux du trust sont les trustees qui doivent savoir qui est derrière le trust. Sinon ils violent la loi sur les trusts. Le trustee est soumis à la loi contre le blanchiment. Dans le cas où le trustee exerce une activité professionnelle, il doit obligatoirement faire une déclaration de soupçons à la police s'il considère que le trust est engagé dans des activités suspectes.

Dans le cas d'une enquête policière sur une fraude ou tout autre délit ou si une enquête est en cours dans un autre territoire pour laquelle la coopération de Jersey est requise, la loi donne le droit à la police d'insister auprès du trustee pour obtenir l'identité de ceux qui sont derrière le trust. L'année prochaine, selon la nouvelle loi adoptée à Jersey il y a une semaine, les trusts seront soumis à notre régulation. De ce fait nous pourrons entreprendre des contrôles sur place, de la même manière que pour les autres institutions financières. Nous pourrons trouver qui se cache derrière le trust individuel si besoin est. L'avantage de ce système est que nous pourrons nous assurer que les trustees possèdent effectivement cette information.

M. le Rapporteur : Allez-vous créer un registre des ayants droit économiques des trusts, accessible à tous moments par vos soins, de manière à contrôler la véracité des informations qui sont parfois formellement demandées aux compagnies offshore et aux sociétés qui créent des trusts, mais qui ne sont en réalité jamais vérifiées ?

M. Richard PRATT : Nous n'estimons pas nécessaire d'avoir un registre des ayants droit économiques des trusts pour contrôler la véracité des informations. D'ailleurs aucun pays n'a ce type de registre. Nous aurons un registre des trustees que nous contrôlerons sur place pour nous assurer qu'ils se conforment aux lois. Le point important est que l'identité des personnes derrière le trust doit être une information détenue sur l'île. Ainsi nous pourrons obtenir cette information si besoin est, pour le compte d'un régulateur étranger ou d'une police étrangère. [...]

M. le Président : A combien estimez-vous le nombre de trusts existants que vous allez devoir contrôler sur place ?

M. Richard PRATT : Entre deux et trois cents sociétés de trust. Ils ne pourront continuer d'exercer que lorsque nous leur accorderons l'agrément. Néanmoins ils auront la possibilité de faire une demande prévisionnelle d'agrément. S'ils la font à temps, ils pourront continuer d'exercer jusqu'à ce que nous les contrôlions sur place. Ensuite, nous leur accorderons un agrément.

Extrait de l'audition de M. Richard Pratt, Directeur Général de la Commission des services financiers à l'île de Jersey en mai 2000.

La création d'un registre des trusts constitue indéniablement un progrès permettant d'assurer davantage de transparence et une réglementation de ce secteur. Néanmoins, la question de l'identité des bénéficiaires réels du trust ne sera pas résolue pour autant en l'absence de tout registre des ayants droit économiques. In fine, tout reposera sur le trustee qui devra répondre de l'identité des bénéficiaires de trust dans le cadre d'une enquête. Mais la richesse des mécanismes de trusts peut permettre au trustee de camoufler l'identité des ayants droit : comme il a été expliqué précédemment, dans une organisation de type « trust protégé » le « protecteur » est le véritable bénéficiaire des investissements réalisés dans le trust, mais il n'apparaît jamais juridiquement propriétaire et peut être remplacé par une société offshore de type panaméenne.

A ces milliers de sociétés et trusts offshore, il faut des banques dans lesquelles ouvrir des comptes ; Jersey, Guernesey, l'Île de Man ou Gibraltar n'en manquent pas.

Cette stratégie a rencontré un plein succès qu'attestent les chiffres suivants.

 

Jersey

Guernesey

Île de Man

Gibraltar

Bermudes

Îles Caïman

Îles vierges


Population (milliers)



Densité de la population (hab/mile²)
PIB/tête (£)


Dépôts bancaires
(milliards £)
dont :
- dépôts en £ (milliards)
- dépôts en $ (milliards)


Fonds gérés pour le compte de tiers (milliards £)


Primes d'assurance annuelles (en millions de £)


85,2



1 898

15 854

99,8

32
61,9


37,8



23


61,4



2 040

15 615


49,8

17,8
22,4


16,7



2 139


71,7



316

8 931


20,0

13,7
-


7,5



3 100


27,2



11 738

11 623


2,9

-
-


4



43


61,5



2 934

22 024


8,94

-
12,45


12,1



-


35



178

18 609


303

-
-


118



-


19,1



321

14 940


5

-
-


33



-

Le montant total des dépôts bancaires des résidents et non-résidents dans ces îles, représenterait aujourd'hui environ 170 milliards de £ - dont 100 milliards de £ à Jersey, 50 milliards de £ à Guernesey et 20 milliards de £ à Man. A titre de comparaison, le montant des dépôts des non-résidents gérés au Royaume-Uni est d'environ 1 000 milliards de £, soit environ 12 000 milliards de francs.

Les avoirs des fonds d'investissement collectif (collective investment funds) gérés par des institutions relevant d'un contrôle public s'établissent à près de 63 milliards de £ (38 milliards de £ à Jersey, 17 milliards de £ à Guernesey et 8 milliards de £ à Man).

Les banques locales investissent l'essentiel de leurs dépôts et avoirs au Royaume-Uni ou grâce à des intermédiaires qui y sont implantés. Cette proportion est de 34 % à Guernesey, 48 % à Jersey et même 55 % à Man.

Ventilation des institutions financières
des îles anglo-normandes par nationalité

 

Jersey

Guernesey

Ile de Man

Banques :
Royaume-Uni
Autres Etats de l'Union européenne
Autres Etats européens
Amérique du Nord
Afrique du Sud
Autres Etats étrangers
Banques locales

Institutions d'investissement :
Royaume-Uni
Autres Etats de l'Union européenne
Autres Etats européens
Amérique du Nord
Afrique du Sud
Autres Etats étrangers
Institutions locales

Sociétés d'assurance :

Royaume-Uni
Autres Etats de l'Union européenne
Autres Etats européens
Amérique du Nord
Afrique du Sud
Autres Etats étrangers
Institutions locales


44
20
8
15
4
9
-



30
12,5
9,5
12,5
8
12,5
15



21
14
7
30
21
-
7


40
25
16
9
3
7
-



31
21
9
12
9
10
8



77
10
-
3
4
6
-


63,1
15,4
1,5
3,1
4,6
6,2
3,1


20,5
10,3
6,4
3,8
7,1
6,4
45,5



75
6,0
2,2
3,8
5
7,5
0,5

Source : rapport Edwards, p. 11

A l'origine essentiellement britannique, la clientèle s'est progressivement internationalisée. A Guernesey, seuls 15 % des dépôts bancaires appartiennent à une clientèle britannique (sociétés et particuliers). Ce chiffre est plus élevé à Jersey (19 %) et Man (27 %) mais demeure sans commune mesure avec le niveau moyen rencontré dans une économie développée.

Ventilation des clients
des institutions financières anglo-normandes par nationalité


 

Jersey

Guernesey

Ile de Man

 

Juin 1996

Juin 1998

 

graphique
Dépôts bancaires
Royaume-Uni
Autres Etats de l'Union européenne

Autres Etats européens

Amérique du Nord
Autres États étrangers


Local et autres


Fonds gérés pour le compte de tiers :

Royaume-Uni

Autres Etats de l'Union européenne

Autres Etats européens

Amérique du Nord

Afrique du Sud

Autres États étrangers

Local

Primes d'assurance

Royaume-Uni

Autres Etats de l'Union européenne

Autres Etats européens

Amérique du Nord

Afrique du Sud

Autres États

Locales


15

8


32

4
26


15

-

-


-

-

-


-

-




10,5

3

3,3

17,2

56
-

10


19,4

7,6


32,1

4,1
22.3


14,5





-

-

-

-

-


-

-









16,3




62,8



20,9

-

-

-

-


-

-

-




56,8


23,4


-


2,2

13,2


4,4

-


29,4

13,3


10,8

4,2
13,9



28,4

31,2

1,8





79,7

5,3

-




-

-


-

-

-

graphique
Source : rapport Edwards, p. 12

Les explications de cette réussite sont à chercher dans des facteurs économiques autant que politiques, voire sociologiques.

L'autonomie dont disposent ces territoires vis-à-vis du Royaume-Uni pour régler leurs affaires intérieures, leur a permis de mettre en place des régimes fiscaux particulièrement incitatifs.

Le taux marginal applicable aux entreprises et aux personnes physiques s'y établit ainsi à 20 % du revenu imposable.

Il faut y ajouter la série des dispositions dérogatoires destinées aux personnes non-résidentes. Les personnes physiques bénéficient, par exemple, de la non-taxation des intérêts perçus ou de l'absence d'impôt sur la fortune, sur les biens transmis par héritage ou sur les plus-values en capital. Dans le cadre d'une stratégie de niche, ont été également développés pour les sociétés - et notamment les sociétés multinationales - des instruments spécifiques visant à rendre plus incitative leur domiciliation25.

Il est néanmoins évident que la création d'une zone de « basse pression » fiscale ne constitue pas un élément suffisant pour attirer des capitaux flottants, qui cherchent autant un cadre économique favorable qu'un environnement politique et juridique prévisible.

Ces territoires ont donc su encourager l'idée selon laquelle les liens anciens avec le Royaume-Uni, les points de contact entre les systèmes judiciaires et la similarité des cadres juridique et institutionnel permet d'atteindre un compromis optimal, c'est-à-dire de bénéficier concomitamment des avantages d'une zone offshore et de la sécurité liée à un environnement stable, organisé selon les principes du droit anglo-saxon. C'est sous le vocable « Offshore UK » que les îles anglo-normandes se trouvent ainsi qualifiées dans le langage officiel du Royaume-Uni lui-même : « En comparaison des autres centres offshore, ils ont acquis une réputation de stabilité, d'intégrité, de professionnalisme, de compétence, et d'une bonne réglementation. Leurs liens avec le Royaume-Uni et l'Europe leur ont valu d'être qualifiés « d'offshore UK » ou « d'offshore Europe »26.

Par ailleurs, la proximité géographique et culturelle avec le Royaume-Uni permet d'éviter toute solution de continuité entre les milieux financiers britanniques et ceux des îles. C'est ainsi que de nombreux professionnels londoniens partent exercer leur activité dans les îles, où ils bénéficient d'une fiscalité individuelle allégée tout en conservant une activité tirant avantage de ses liens directs avec la City. Inversement, les élites locales se sont formées dans les meilleures institutions ou établissements britanniques, ce qui permet de nouer des liens amicaux ou professionnels qui peuvent toujours se révéler utiles par la suite.

Ces éléments communs ne doivent pas masquer que chacune des îles conserve des traits propres, qui attestent d'une forme de division internationale du travail à l'intérieur du Royaume-Uni lui-même !

Le développement de l'île de Jersey repose largement sur le secteur bancaire, les activités de constitution et de gestion de trusts et les fonds d'investissement collectif. En 1968, le total des dépôts bancaires avoisinait 200 millions de £ - soit 2,3 milliards de £ en valeur 1998 - et le secteur financier n'employait que moins de 4 % des actifs ; en 1998, ces dépôts représentent une valeur près de cinquante fois supérieure et le secteur financier occupe 20 % des actifs.

Si le nombre de banques s'établit à un niveau comparable à Jersey (79), Guernesey (76) et Man (70), leur passif consolidé (liabilities) est bien supérieur dans la première de ces trois îles : 110,9 milliards de £ contre 55,0 et 22,3 milliards de £, respectivement. Dans tous les cas, les dépôts de résidents britanniques ne représentent qu'une fraction minoritaire de l'ensemble des dépôts (19,4 %, 14,9 % et 26,5 % respectivement).

On retrouve la même situation entre le nombre d'institutions et le montant des actifs gérés en matière de fonds d'investissement : alors que ceux-ci sont en nombre comparables à Jersey et Guernesey (335 et 381, respectivement, contre 102 à Man), le total des actifs investis est à Jersey plus de deux fois supérieur à ce qu'il est à Guernesey (35,3 milliards de £ contre 16,0 milliards de £, respectivement).

L'économie de Man a longtemps reposé sur le tourisme et l'agriculture. Mais le déclin relatif de ces secteurs au cours des trente-cinq dernières années a obligé à une diversification économique, qui semble avoir porté ses fruits puisque les services financiers représentent désormais 37 % de son produit intérieur brut et 18 % de l'emploi.

Plus précisément, cette petite île de 572 km² et soixante-treize mille habitants environ a choisi de faire des activités d'assurance le c_ur de son développement.


L'île de Man, terre d'accueil des sociétés d'assurance

M. le Président : Avez-vous également le contrôle des assurances, qui est un secteur très important ici à l'île de Man ? Comment s'explique d'ailleurs l'importance de ce secteur ?

M. Bill HASTINGS, directeur général de la Commission de contrôle des assurances : Le secteur des assurances de l'île gère des fonds de l'ordre de 4 milliards de livres sterling, ce qui représente environ 20 % du PNB de l'île. L'assurance se divise en deux secteurs : assurance vie et assurances générales.

M. le Président : Comment s'explique cette puissance ?

M. Bill HASTINGS : Le secteur de l'assurance s'est développé au début des années quatre-vingts, en particulier pour des raisons fiscales. Maintenant, ces raisons fiscales ne sont plus valables, mais de nombreuses sociétés d'assurance sont captives. Ce sont des filiales de grands groupes industriels exclusivement dédiées à l'assurance des activités de ce groupe industriel car les sociétés d'assurances classiques n'ont pas le savoir-faire pour assurer ce type de risques. Ces grands groupes ont trouvé ici une expertise pour faire ce métier.

L'autre grande spécialité du marché de l'assurance est l'assurance vie qui s'est développée à la demande des expatriés britanniques. Au départ, ce secteur s'est également développé pour des raisons fiscales car les rendements étaient supérieurs ici à ceux en vigueur au Royaume-Uni. Maintenant les raisons fiscales sont moindres, mais n'en demeure pas moins qu'une expertise s'est créée dans ce secteur.

Extrait de l'audition du 23 mai 2000 à l'Île de Man

Le montant annuel des primes versées aux sociétés d'assurance (insurance premium) avoisine aujourd'hui 3,1 milliards de £, dont 2,1 milliards de £ au titre de la seule assurance-vie. Ce volume de fonds en circulation se situe à un niveau sensiblement plus élevé que celui de Guernesey (2,1 milliards de £) - sans même mentionner Jersey, où cette activité n'occupe qu'une place résiduelle (23 millions de £).

Les actifs gérés par le secteur y totalisent 12,3 milliards de £ - dont 7,6 milliards de £ pour la seule activité d'assurance-vie - contre 7,4 milliards de £ à Guernesey et 0,4 milliard de £ à Jersey.

Gibraltar répond à la même logique d'une richesse économique fondée sur l'attractivité judiciaire, fiscale et financière de la place qui a permis, il y a encore quelques années, la création d'environ 75 000 sociétés. Même si depuis deux ans plus de 20 0000 d'entre elles ont été radiées, parce qu'elles n'avaient plus d'activité ou qu'elles ne respectaient plus les obligations légales de publicité, la constitution de sociétés à Gibraltar permet de préserver l'anonymat, malgré la possibilité d'obtenir, par ordre de justice, dans le cadre d'une commission rogatoire, des informations sur l'identité des bénéficiaires économiques réels.


« Les actionnaires légaux enregistrés
ne sont pas les ayants droit économiques »

M. Peter CARUANA, Premier ministre de Gibraltar : S'agissant des actionnaires, la loi requiert l'enregistrement des actionnaires légaux. Néanmoins les actionnaires légaux enregistrés, dont le nom apparaît auprès du registre des sociétés, ne sont pas nécessairement les ayants droit économiques. La jurisprudence anglaise fait une distinction entre le propriétaire légal, dont le nom est enregistré, et l'ayant droit économique, c'est-à-dire le bénéficiaire, qui n'a pas besoin d'être enregistré.

Le propriétaire enregistré des actions peut avoir une déclaration de trust avec un arrangement de prête-nom. De ce fait, il n'est pas nécessairement le bénéficiaire économique. Ceci est vrai pour toute juridiction légale anglo-saxonne. C'est vrai tant pour Londres que pour Manchester, Gibraltar ou toute autre entité à laquelle s'applique le modèle anglo-saxon.

Cela ne permet pas dire que ces sociétés sont opaques. Cela signifie que l'on ne peut pas avoir l'information auprès du registre public d'enregistrement où le nom du propriétaire, qui est enregistré, peut être une société prête-nom, ou un homme de paille.

Toutefois, dans le contexte d'enquêtes criminelles, le tribunal de Gibraltar a la possibilité d'établir la vraie identité des actionnaires. Le fait que l'information soit disponible auprès du registre public des sociétés n'est pas la seule définition de la transparence. C'est une utopie de transparence.

Extrait de l'audition de M. Peter Caruana, Premier ministre de Gibraltar le 16 mai 2000 à Gibraltar.

Les autorités de Gibraltar déclarent n'appliquer ni plus ni moins que la législation anglaise. On ne peut cependant s'empêcher de penser qu'il est plus confortable de recourir à la loi anglaise à Gibraltar que sur le territoire de la City.

Un témoignage recueilli par votre rapporteur, par un enquêteur infiltré dans les réseaux de la drogue et du blanchiment, fait apparaître la mansuétude des banques gibraltariennes, associée à l'efficacité des avocats pour mettre en place des dispositifs juridiques adaptés aux besoins de chacun...

2. - Au c_ur du blanchiment de l'argent illégalement acquis

Les choix stratégiques opérés en matière fiscale et bancaire par les autorités des îles anglo-normandes, avec l'appui tacite - si ce n'est le soutien explicite - du Royaume-Uni, font de ces territoires de véritables trous noirs de la finance mondiale. Il n'est que trop temps que l'Europe s'inquiète d'abriter en son sein de véritables usines à blanchir l'argent du crime.

Offrant toutes les facilités aux délinquants soucieux de mettre en sûreté le fruit de leurs activités, ces territoires mobilisent en revanche toute leur énergie pour retarder - voire bloquer - d'éventuelles demandes de coopération judiciaire émanant de pays tiers.

Très récemment, le juge Philippe Dorcet, entendu par la Mission le 9 mai 2001, s'est ainsi étonné d'avoir affaire de plus en plus souvent à des sociétés irlandaises pour apprendre ensuite « que l'administration est à Londres et le siège à l'île de Man ».

Le constat désabusé du juge Jean-Pierre Zanoto est représentatif du sentiment de l'ensemble des magistrats rencontrés par la Mission, qui ont vu leurs investigations se heurter à l'inaction des autorités requises.


Jersey, Guernesey et Man
au c_ur du blanchiment d'argent

M. Jean-Pierre ZANOTO, juge d'instruction : Guernesey, Jersey et l'île de Man sont des destinations que j'ai souvent rencontrées.

Ce sont surtout des sociétés qui sont créées dans ces îles, plus que des comptes bancaires ouverts. Il y a toujours un compte bancaire, mais c'est un compte de fonctionnement des sociétés ; ce n'est pas celui qui enregistre les fonds qui nous préoccupent et sur lesquels nous travaillons.

Très souvent, les sociétés sont créées dans les îles anglo-normandes et les comptes bancaires ouverts au Luxembourg et en Suisse. C'est le schéma que je retrouve dans les dossiers que j'instruis. Ce qui vous oblige d'abord à aller à Jersey pour savoir qui est derrière cette société et ensuite à vous retourner vers un autre pays - d'où la nécessité de faire une commission rogatoire internationale à chaque étape.[...]

Dans ces pays qui combinent à la fois la notion de trust et la domiciliation de la société au cabinet d'un avocat, vous vous heurtez très souvent à des obstacles juridiques. Vous finissez par recevoir, au bout d'un délai imprévisible, une montagne de papiers dont rien ne peut être extrait. On nous fournit des statuts de société fort bien rédigés sur une centaine de pages, ornés d'un ruban, parmi lesquelles vous cherchez vainement le nom d'une personne physique. Les seules personnes dont le nom apparaît sont des avocats.

Extrait de l'audition de M. Jean-Pierre Zanoto, juge d'instruction, le 9 mai 2000.

Il est par ailleurs de notoriété publique que l'opération de blanchiment des fonds russes par la Bank of New York, s'est largement appuyée sur la filiale de l'île de Man d'une fiduciaire installée en Suisse.


L'île de Man au centre du blanchiment des fonds russes

Dans son édition du 26 août 1999, le Wall Street Journal a révélé que les enquêteurs américains chargés de l'affaire des fonds russes blanchis par la Bank of New York ont mis en évidence le rôle joué par la filiale de l'île de Man de la fiduciaire Valmet, dont le siège est à Genève. Outre ce paradis fiscal perdu au milieu de la mer d'Irlande, le circuit sinueux de l'argent russe aurait également tourné en boucle entre les places offshore de Gibraltar, Chypre et Dublin.

En 1994, la Menatep, l'établissement financier russe au c_ur du scandale, avait pris une participation minoritaire dans Valmet aux côtés de la Riggs Bank de Washington. Selon le Wall Street Journal, la banque russe aurait chargé, deux ans plus tard, M. Peter Bond - gestionnaire de la filiale de Valmet à Man - de mettre au point une opération d'éclatement des actifs de deux sociétés de production pétrolières appartenant à la compagnie sibérienne Youkos, filiale de Menatep dont le numéro deux n'était autre que Konstantin Kagalovski, cible principale des enquêtes américaines. Ces avoirs auraient été placés par ses soins dans six places offshore, dont les îles Vierges britanniques ou Nauru dans le Pacifique - territoires où la mafia russe est très influente.

Par ailleurs - toujours pour le compte de la Menatep - Valmet contrôlerait TMC (Holdings), société basée à Dublin spécialisée dans la vente directe au rabais de matières premières à des intermédiaires offshore dont les profits aboutissent par des voies détournées et des sociétés écrans dans les caisses de la direction des firmes extractives russes. Ce jeu de piste comprendrait deux autres étapes, Gibraltar et Chypre, qui figurent parmi les lieux particulièrement recherchés par les opérateurs ayant des capitaux à blanchir.

Créée dans les années soixante-dix pour gérer la fortune de grandes familles, Valmet - dont la société holding est domiciliée aux Bermudes - a été rachetée par ses cadres au début des années quatre-vingt. Cette enseigne privée est considérée, aujourd'hui, comme l'une des plus importantes compagnies fiduciaires au monde offrant, en toute légalité, toute la palette de services, de la constitution de trusts pour échapper à l'impôt sur les successions à la création de sociétés coquilles ou de holdings permettant de tirer profit d'avantages fiscaux.

Article de Marc Roche dans Le Monde du 28 août 1999.

Ce cas est malheureusement loin d'être isolé.

Ces territoires peuvent en effet servir de relais commode à des détournements d'héritage. La Mission a ainsi été informée du cas suivant. Un donateur, soucieux d'éviter le paiement de futurs droits de succession et, vraisemblablement, d'attribuer une quotité augmentée à un héritier privilégié, octroie un prêt à une fondation luxembourgeoise, sous forme d'espèces ou de titres au porteur.

Une facture de complaisance est ensuite établie par une société domiciliée au Liechtenstein et rémunérée à cette fin, laissant supposer à l'administration luxembourgeoise un simple transfert de patrimoine. Ce transfert s'effectue apparemment sous forme de tableaux de valeur, ne rapportant pas de dividendes et entreposés au Liechtenstein.

Il suffit de mettre en place une fondation au Liechtenstein pour gérer ces avoirs. On retrouve ensuite l'argent à Gibraltar, disparu de la vue de ses destinataires légitimes et investi dans divers placements, d'autant plus généreusement rémunérés qu'ils n'y sont pas imposés.

Gibraltar accueille également, sans excès de scrupules, l'argent issu du trafic de stupéfiants. Un témoin dont la mission a recueilli les propos sous bénéfice d'anonymat a accepté de relater ses expériences à Gibraltar.


« J'ai acheté à Gibraltar une société coquille pour blanchir l'argent de la drogue »

M. X : Nous partons de Gibraltar avec un voilier, nous allons charger les 600 kg au large de Al Hoceima et nous rentrons à Sotto Grande, quasiment un port franc à 10 km au nord-est de Gibraltar. On y faisait ce que l'on voulait.

Je faisais cela pour 30 000 livres... Je stocke les 600 kg de cannabis dans la villa louée à mon nom à Sotto Grande. Je cours verser mes 30 000 livres à la Barclays Bank.

M. le Rapporteur : En espèces ! Vous ouvrez un compte à la Barclays Bank ?

M. X : J'avais déjà un compte à la Barclays Bank, Main Street à Gibraltar. Vous avez là un dossier complet sur la grande facilité d'arriver à Gibraltar avec des valises d'argent.

M. le Rapporteur : Expliquez-nous comment vous avez monté le système du blanchiment de l'argent de la drogue à Gibraltar et comment cela a fonctionné.

M. X : La première compagnie que j'ai montée à Gibraltar s'appelait.... J'ai acheté une compagnie disponible, une coquille vide, pour presque rien : 600 livres, puis 400 livres par an. Je travaillais avec un cabinet d'avocats, très connu à Gibraltar.

M. le Rapporteur : A quoi servent-ils, ces avocats à Gibraltar, quand vous achetez une compagnie ?

M. X : Ils servent à facturer chaque année des frais de gestion.

M. le Rapporteur : Ce sont eux les gérants ; ils sont donc complices du blanchiment.

M. X : Ils sont indirectement complices du blanchiment. Un nominee vous représente vis-à-vis de la loi anglaise. Pour autant j'apparaissais avec mon nom et mon identité en tant que responsable de la compagnie pour permettre à ces avocats de ne pas être impliqués directement.

M. le Rapporteur : C'est-à-dire qu'en vérité vous apparaissez dans les papiers de l'offshore auprès du cabinet d'avocats, qui se porte garant du secret vis-à-vis de l'extérieur, mais en cas de difficulté les avocats pourront engager votre responsabilité !

M. X : Exactement

M. le Rapporteur : Combien de sociétés avez-vous montées ?

M. X : J'en ai monté sept.

M. le Rapporteur : A quoi servent ces compagnies ?

M. X :Toutes ces compagnies me permettaient d'approcher les banques, comme la Barclays Bank, et de les démarcher, mais comme quelqu'un qui manie de l'argent « gris » ; ni complètement « noir » ni complètement « blanc » puisque j'arrivais avec de l'argent liquide.

Toutes ces compagnies étaient enregistrées auprès de mon cabinet d'avocats avec lequel j'entretenais de très bonnes relations et qui recevait mon courrier. C'était en quelque sorte mon bureau à Gibraltar.

M. le Rapporteur : A quoi servaient ces compagnies au plan purement financier ?

M. X : Tout d'abord, cela permettait d'ouvrir des comptes, de faire des transferts, de faire des règlements en tant qu'armateur de navires. Il y a beaucoup à payer avec des chèques et des virements ; vous ne pouvez pas tout payer en cash.

M. le Rapporteur : Ce sont donc des instruments qui servaient exclusivement à dissimuler votre identité aux yeux de l'extérieur.

M. X : Oui.

M. le Rapporteur : Ces compagnies servent donc, en fait, à faire fonctionner toute la logistique des trafics : payer les bateaux, les fournisseurs, les skippers, etc.

M. X : C'est cela : tout le système...

M. le Rapporteur : Que s'est-il passé avec cette Banco Atlantico, par ailleurs tout à fait honorable ?

M. X : Elle n'est pas tout à fait honorable : elle vient de Banco di Napoli, banque italienne dont on a changé le nom. Les capitaux étaient déjà douteux en 1950, ils le sont tout autant maintenant. A la Banco Atlantico, j'ai blanchi, ainsi qu'à la Barclay's plus de 3 millions de livres.

M. le Rapporteur : Etes-vous arrivé avec de l'argent liquide à Gibraltar ?

M. X : Oui bien sûr, que de l'argent liquide. On me l'a parfois refusé car la loi l'interdisait. Cela a été le cas à la Banque Jyske, banque danoise, je crois, située à Gibraltar. C'est la seule banque qui a refusé mon argent liquide.

Indosuez a accepté, en 1993, pour des opérations de change de pesetas et de livres écossaises en livres anglaises. La particularité de la livre, c'est qu'elle est imprimée aussi bien à Gibraltar qu'en Ecosse.

M. le Rapporteur : Quand vous dites 3 millions de livres, cela fait 30 millions de francs. Vous êtes donc arrivé avec cet argent dans un seul établissement bancaire ? Ou cela représente-t-il l'ensemble de vos opérations ?

M. X : Cela représente l'ensemble de mes opérations.

Il est à craindre que ces comportements ne demeurent encore fréquents à l'avenir.

L'atttractivité financière de la place est en effet vitale pour la survie d'un territoire, dont la situation d'ensemble est fragile. D'une part, le souvenir de la forte diminution de la présence militaire britannique n'est pas oublié. D'autre part, l'Espagne qui l'environne et demande continûment sa rétrocession, ne se prive pas d'utiliser tous les moyens de pression à sa disposition - sous forme, par exemple, de contrôles tatillons aux frontières, de difficultés en matière aéroportuaire ou d'une absence de coopération en matière de téléphonie.

Les autorités se réfugient derrière un discours vertueux, affirmant ainsi que la législation anti-blanchiment est plus stricte qu'en Espagne et que les intermédiaires financiers y sont tenus « d'être plus blancs que blancs » et de « présenter une image sans faille » 27.

Mais, au-delà des déclarations d'intention, les faits demeurent et il apparaît évident que c'est bien sa conversion en paradis financier qui permet à l'économie du Rocher d'afficher des performances enviables en matière de chômage (2 %), d'inflation (1,5 %) ou d'excédent budgétaire (33 % du PIB).

B.- LE REFUS D'UNE VÉRITABLE COOPÉRATION JUDICIAIRE

Chacune des Dépendances de la Couronne dispose de ses institutions héritées de l'histoire et conditionne son entraide judiciaire au respect de ses lois particulières qui, si elles sont fortement inspirées de la législation britannique, demeurent différentes.

Ces micro territoires présentent toutefois des caractéristiques communes qui ne facilitent pas la coopération judiciaire et qui tiennent à la conception anglo-saxonne de leurs normes et à la grande proximité du politique et du judiciaire.

L'autonomie institutionnelle affirmée de ces territoires ajoutée à la tradition juridique anglo-saxonne, ne fait que rendre encore plus difficile la tâche des enquêteurs et des autorités judiciaires continentales.

1. - Gibraltar

A Gibraltar, les services administratifs opérationnels dans la lutte contre le blanchiment (la Commission de régulation des services financiers, les Douanes et le Centre de coordination du renseignement criminel) sont sous l'autorité hiérarchique du gouvernement local.

Le procureur général est anglais et ses adjoints sont gibraltariens.

Le Parquet de Gibraltar affirme répondre à toutes les demandes de coopération judiciaire, comme l'a confirmé à la Mission le procureur général adjoint, M. Albert Trinidad.


A Gibraltar, nous traitons des commissions rogatoires
dans un délai maximum de quatre mois

M. le Président : Par conséquent, vous travaillez beaucoup dans le cadre de la coopération judiciaire. Combien de commissions rogatoires internationales traitez-vous par an et avez-vous des statistiques précises sur ce point ?

M. Albert TRINIDAD, Procureur général adjoint : En 1999, nous en avons traité un peu plus de quatre-vingts, en provenance principalement du Royaume-Uni. Dans les trois dernières années, nous n'en avons reçu qu'une seule de la France. Elles ont toutes été exécutées.

M. le Président : Quel est votre délai d'exécution ?

M. Albert TRINIDAD : De la réception de la commission jusqu'à l'envoi des informations, le délai se situe entre un et quatre mois, selon la complexité de la demande. Par ailleurs, dans un certain nombre de cas, le délai peut être rallongé du fait que les policiers étrangers veulent venir à Gibraltar afin de participer à l'enquête. Si un témoin doit être interrogé, les policiers veulent participer à cet interrogatoire. C'est pourquoi les délais sont rallongés car il faut attendre que les policiers soient disponibles pour venir à Gibraltar. 

Extrait de l'audition de M. Albert Trinidad, du 16 mai 2000 à Gibraltar.

La coopération policière est présentée comme donnant des résultats, comme en témoigne un exemple donné à la Mission par M. Joseph Ullger, chef de la police royale de Gibraltar : « Le port est sous la surveillance des douaniers et de nos policiers, lesquels ont une très bonne relation avec les autorités d'immigration qui transmettent des informations au centre de renseignement financier. La France et Gibraltar enquêtent actuellement sur une affaire de trafic d'une tonne de cannabis. Les trafiquants ont été arrêtés et sont détenus à Gibraltar. Il s'agit de l'affaire Matechek. Les officiers du port nous aident beaucoup car ils nous informent de la provenance des bateaux et de l'identité des passagers.

« Dans l'affaire Matechek, il est évident qu'il y a délit de blanchiment. Nous avons des documents prouvant le blanchiment et l'implication de ces personnes dans l'importation de mille tonnes de cannabis en France. Si des policiers étrangers viennent enquêter à Gibraltar suite à des arrestations que nous avons faites, nous leur indiquons que la loi nous donne un pouvoir d'enquête dès lors qu'il y a un document confirmant des soupçons. »

Du point de vue de la justice espagnole, la réalité de la coopération judiciaire contraste singulièrement avec cette relation idyllique.


Gibraltar ne répond jamais aux commissions rogatoires »

M. Balthazar GARZON, juge d'instruction à l'Audience nationale : Nous menons actuellement une enquête en Espagne qui concerne tout le Sud, entre Malaga et Cadix, notamment Marbella et Estepona. Cette affaire touche le trafic de drogue où 80 % de l'enquête se concentre sur l'étude de sociétés créées ayant des comptes bancaires ouverts dans des établissements de crédits espagnols mais situés sur le territoire de Gibraltar. (...) L'enquête est bloquée depuis 1995 puisque Gibraltar ne répond jamais aux commissions rogatoires.

Extrait de l'audition de M. Balthazar Garzon, le10 mai 2000 à Madrid.

2. - L'île de Man

La coopération judiciaire avec l'île de Man est de faible ampleur et reflète les mêmes difficultés qu'avec le Royaume-Uni, comme en témoigne cet échange entre le procureur général de l'île, M. John Corlett, avocat mannois nommé en 1998, et la Mission.


Une coopération aussi difficile avec l'île de Man
qu'avec le Royaume-Uni

« M. John CORLETT, procureur général : A l'île de Man, nous sommes préoccupés d'être assimilés à Jersey et Guernesey en matière de coopération judiciaire, même si nous travaillons ensemble. Je sais que la France et l'Italie ont une mauvaise opinion de l'île de Man. Après enquête, je peux vous dire que nous avons eu deux cas où les autorités françaises ont fait des demandes de coopération judiciaire. Le premier cas concernait l'affaire du docteur Godard dans laquelle la police de l'île de Man a pleinement coopéré avec la police française.

La deuxième demande concernait un cas de fraude pour lequel mon prédécesseur a eu des difficultés à obtenir des autorités françaises des précisions sur les documents nécessaires.

S'agissant de l'Italie, il y a environ deux mois, nous avons reçu la visite d'un juge d'instruction de Venise qui s'est déclaré satisfait de la coopération qu'il a eue avec les autorités de l'île de Man. Dans ce contexte, plus nous aurons de contacts personnels et de rencontres entre l'île de Man et les autres pays, meilleure sera la coopération. Ce sera tout au bénéfice de la réputation de l'île. Je suis certain qu'il existe de nombreux malentendus quant aux procédures entre le système continental et le système anglo-saxon. Si nous recevons des demandes de la France, nous ferons tout notre possible pour répondre à ces demandes, tout en restant dans le cadre de nos lois. [...]

M. le Rapporteur : Qu'exigez-vous avant de rechercher les informations qui vous sont demandées ? Nos juges ont le droit de savoir, en quarante-huit heures, si une personne suspecte ou poursuivie possède tel compte bancaire en France. Leur demande, qui me semble légitime, est la même à l'égard des juridictions étrangères. Dans tous les centres offshore, il devrait y avoir un organe centralisateur des informations par le biais duquel nos juges pourraient obtenir toute l'information souhaitée.

M. John CORLETT : Lorsqu'il s'agit d'une procédure ouverte dans un pays, le magistrat instructeur ne devrait rencontrer aucune difficulté pour obtenir les informations voulues. Notre loi de 1991 dispose que si je reçois d'un tribunal une demande d'assistance pour obtenir des preuves, dans le cadre d'une procédure déjà entamée ailleurs ou d'une enquête criminelle, j'ai le pouvoir d'accéder à cette demande. Dès lors que les preuves que le tribunal a effectivement ouvert une enquête me sont fournies, je peux exercer mes pouvoirs.

Les difficultés proviennent parfois de la manière dont certains étrangers formulent leurs demandes. Ils nous disent enquêter sur telle personne ou qu'ils ont des raisons de penser que telle personne peut être impliquée, mais cela reste une spéculation. Nous devons rester attentifs à conserver un juste équilibre : préserver la confidentialité tout en coopérant dans le cadre d'enquêtes judiciaires.

M. le Rapporteur : C'est le point de désaccord. Nous estimons que l'ordre public est plus important que les priorités privées et la confidentialité. C'est pourquoi les juges français n'acceptent pas que leurs demandes essuient un refus, sur la base de ces préoccupations.

M. John CORLETT : Je peux vous assurer que la confidentialité ne fait jamais obstacle à une enquête criminelle. C'est un élément très connu de nos lois. Par ailleurs, il est également très bien établi dans nos lois, comme dans celles du Royaume-Uni, qu'un individu a le droit de garder ses affaires privées et confidentielles, à moins de preuves d'activités illicites. Il sera toujours répondu favorablement à la demande officielle d'un magistrat français qui a déjà lancé une procédure officielle. En revanche, on ne peut répondre favorablement si, par exemple, on téléphone à un officier de police de l'île de Man pour lui demander de chercher des informations sur un compte bancaire d'un individu, car cela rentre alors dans le domaine de la spéculation. »

Extrait de l'audition de M. John Corlett, le 23 mai 2000 à l'île de Man.

De fait, la seule CRI envoyée par un magistrat français à l'île de Man en dehors de l'affaire Godard qui ne relève pas de la délinquance financière, s'est achevée sur une impasse classique, même si la mauvaise volonté de l'île de Man n'est pas incontestablement établie.

Tout d'abord, la CRI, en date de septembre 1997, concernait plusieurs territoires indépendants les uns des autres, (Angleterre, Jersey, Guernesey, île de Man) et elle semble avoir été envoyée au Royaume-Uni selon une procédure inappropriée, c'est-à-dire directement au NCIS britannique sans intermédiaire du ministère de l'Intérieur et sans copie aux procureurs généraux des territoires concernés. C'est l'unité de renseignement financier de l'île de Man qui fut destinataire de la requête du juge français via son homologue britannique et qui la transmit au procureur général de l'île. Celui-ci répondit au ministère français de la Justice début 1998 en soumettant sa coopération aux conditions suivantes :

- envoi d'une CRI originale ou d'une copie certifiée conforme et non d'une télécopie transmise par des voies non officielles ;

- une déclaration du juge français confirmant qu'il y avait des motifs raisonnablement fondés de suspecter M. X du délit qu'on semblait lui imputer ;

- la confirmation qu'une procédure d'instruction était engagée en France à son encontre ;

- le nom et le numéro du compte bancaire mentionné dans la CRI ;

- une copie des affirmations d'un témoin à charge.

Cette longue liste de compléments n'a jamais reçu de réponse de la partie française.

Dans ce cas, comme dans d'autres, un contact direct entre le magistrat français ou le bureau de l'entraide judiciaire du ministère de la Justice et le procureur général de l'île de Man qui affirme le souhaiter, aurait vraisemblablement pu accélérer la procédure.

La coopération opérationnelle avec l'île de Man ne semble pas meilleure que la coopération judiciaire britannique, comme en témoigne cette déclaration à la Mission des responsables de l'unité de renseignement financier qui ont souhaité conserver l'anonymat, à propos des demandes d'information émanant des opérationnels français, essentiellement des Douanes :


Sur chacune des commissions rogatoires françaises,
nous avons demandé plus d'informations

« M. Y : Nous avons reçu huit demandes de la France ces trois dernières années. Chacune d'entre elles a reçu réponse. Si vous étudiez les dates de réception de la demande et l'envoi de la réponse, nous sommes dans des délais très courts. Les demandes étant formulées dans des termes très généraux et sans information spécifique, nous y répondons de manière générale.

Sur chacune des commissions rogatoires, nous avons demandé aux autorités françaises plus d'informations sur l'enquête menée en France pour nous aider de notre côté à chercher la bonne information. Mais sur aucune de ces commissions, nous n'avons reçu de demandes supplémentaires après avoir envoyé notre réponse générale. Ce n'est pas normal. D'autres juridictions, qui auraient reçu une telle réponse, s'adresseraient de nouveau à nous pour avoir plus d'informations, mais la France, non. Nous pouvons en tirer deux conclusions : soit ils n'ont pas besoin d'informations supplémentaires, soit il n'y a aucun dossier d'instruction. Nous ne savons qu'en penser.

M. X : Cela a été la même chose pour dix-sept demandes d'informations reçues de la part d'Interpol, mais ce n'est généralement pas le cas s'il s'agit de trafic de drogue. »

Extrait de l'audition du 23 mai 2000 à l'île de Man des responsables de l'unité de renseignement financier.

Il faut aussi noter qu'à l'île de Man, c'est le procureur général qui autorise la transmission du contenu d'une déclaration de soupçon détenue par l'unité de renseignement financier à des enquêteurs étrangers, ce qui contribue à verrouiller davantage encore le système.

3. - Jersey

Le poids des traditions et l'exiguïté du territoire font de Jersey « un petit monde » et le système institutionnel, dans lequel les partis politiques n'existent pas, ne favorise pas la séparation des pouvoirs.

On peut par exemple s'interroger sur la réalité d'un pouvoir judiciaire indépendant à Jersey lorsque l'on prend en compte les éléments suivants :

- le bailli est ès qualité président de la Cour suprême ;

- l'actuel bailli est l'ancien procureur général ;

- l'actuel procureur général est le frère de l'actuel bailli.

La coopération judiciaire avec Jersey donne lieu à un véritable dialogue de sourds.

Au cours de ce déplacement, et comme à Gibraltar et à l'île de Man, la Mission a pu s'entretenir avec l'ensemble des interlocuteurs qu'elle avait souhaité rencontrer, mais l'échange avec les autorités politiques de l'île et son procureur général s'est progressivement tendu, au fur et à mesure que l'on quittait les idées générales pour aborder des dossiers précis. Finalement, les autorités de Jersey, contestant la légitimité et les méthodes de travail de la Mission, ont refusé de relire et de cautionner le procès-verbal de leurs déclarations et ont imposé la même attitude à l'ensemble des services administratifs de l'île, y compris à ceux qui sont censés être indépendants, comme l'autorité de régulation des services financiers.

En matière de coopération judiciaire, la situation à Jersey était gravissime et relevait jusqu'à présent de la complicité à l'égard de l'argent sale.

Les autorités politiques de l'île avaient établi un régime législatif qui interdisait de facto toute entraide à l'exception des « fraudes sérieuses et complexes » prises dans une acception plus sévère qu'au Royaume-Uni puisque, par exemple, le seuil de référence du préjudice n'était pas de un million de livres mais du double. Par ailleurs, d'autres conditions étaient mises à la coopération, comme un délai de forclusion de trois ans - passé lequel il n'est plus possible d'entreprendre une investigation judiciaire - ou l'obligation de l'ouverture préalable de poursuites judiciaires dans le pays requérant.

Cette loi a atteint son but puisque de nombreuses CRI en provenance du continent se sont enlisées à Jersey.

Plusieurs exemples en ont été présentés à la Mission.


L'enlisement des commissions rogatoires internationales
à Jersey

M. Jean-Claude VAN ESPEN, juge d'instruction au tribunal de première instance de Bruxelles : Au nombre des difficultés rencontrées, l'on citera un exemple concernant Jersey. Voici la réponse qui nous a été fournie à une commission rogatoire adressée en 1996. « Je me permets de vous informer que les faits décrits au sein de votre commission rogatoire démontrent effectivement une fraude apparente de la part des responsables de la société. Le montant du préjudice ainsi causé ne semble s'élever qu'à la somme de 31 690 000 francs belge, soit 700 000 livres sterling. Je suis au regret de vous informer qu'à l'exception des affaires de fraude particulièrement complexes ou moralement répréhensibles, le procureur général de sa Gracieuse Majesté ne peut donner suite à votre commission rogatoire. »

Je pourrais vous faire parvenir cette réponse, si le parquet m'y autorise et après occultation des mentions ou notices.

M. le Rapporteur : Cette lettre nous intéresserait. Nous comptons aussi nous rendre au Royaume-Uni.

M. Benoît DEJEMEPPE, procureur du roi : Pendant dix ans, une affaire dite « des obus » - un contrat militaire avec les Américains, dont les versements ont transité par Jersey - a ainsi traîné.

Extrait de l'audition de M. Jean-Claude Van Espen et de M. Benoît Dejemeppe le 24 novembre 1999 à Bruxelles.

Autre variante, un juge d'instruction français ayant envoyé une CRI en 1999 à Jersey au sujet d'une affaire d'escroquerie, d'abus de biens sociaux, de faux et blanchiment de capitaux, a reçu du bureau du procureur général la réponse suivante :


Un exemple « d'entraide » judiciaire à Jersey

« Jersey, le 28 mai 1999,

En principe, nous pouvons vous assister grâce aux Investigations of Fraud (Jersey) Law, 1991 à cet égard. Cependant, avant que le procureur général puisse donner suite à ses pouvoirs conformément à cette loi, veuillez vous adresser à ce qui suit :

a) Ce qui me confond un peu, c'est l'assistance Les autorités de Jersey doivent donner avec « le Mission ». Vous remarquerez que la version anglaise de la lettre rogatoire nous prie :

« to arrange a hearing with the qualified representatives of the following banks ».

Tandis que la version française semble indiquer que vous souhaitez entendre le gestionnaire du compte par M. et Mme X à Y Bank, [Jersey] et déterminer les mouvements qui l'ont affecté de 1997 à 1998 (origine des fonds, destination des fonds).

Veuillez confirmer dès que possible l'assistance que les autorités de Jersey doivent donner à « le Mission ».

b) Veuillez faire remplir (par le juge d'instruction) le « Specimen Undertaking » ci-joint.

c) Etant donné que le juge d'instruction au Tribunal de Grande Instance de Paris affirme qu'il a besoin d'assistance en ce qui concerne le compte bancaire de Y à Jersey, je chercherais des renseignements plus précis : est-ce que une somme d'argent qui se concentre sur le compte à Jersey ouvert par M. et Mme X le résultat d'une fraude grave ou complexe ? Il n'existe pas de référence spécifique dans la lettre rogatoire que des fonds qui résultent de l'escroquerie étaient mis sur ce compte à Jersey.

d) La lettre rogatoire nous souligne les délits suivants en France :

(i) Abus de biens sociaux

(ii) Faux et Usage de faux en écriture de commerce

(iii) Complicité d'escroquerie

(iv) Blanchiment de capitaux

Actuellement, nous ne pouvons qu'assister le juge d'instruction au Tribunal de Grande Instance de Paris conformément aux Investigations of Fraud (Jersey) Law, 1991, en ce qui concerne le bénéfice de l'escroquerie. Il faut que nous sachions le bénéfice (en francs français) de l'escroquerie.

Dans l'espoir que vous me contacterez prochainement, recevez, madame, mes sincères salutations. »

Bien entendu, un tel dispositif législatif n'avait qu'un seul but : garantir la prospérité du centre financier de Jersey en le mettant à l'abri de la curiosité des enquêteurs continentaux.

Avec de tels critères présidant à l'octroi de la coopération judiciaire, l'échec était systématiquement au rendez-vous, sauf si les autorités politiques de l'île en décidaient autrement, pour des raisons totalement arbitraires. Ainsi, M. Jean-Pierre Zanoto a-t-il confié à la Mission sa divine surprise au sujet d'une CRI particulière envoyée à Jersey : « Parfois, la commission aboutit pour des raisons subjectives. Je peux citer un exemple, puisque l'affaire est jugée en première instance. Dans le dossier de l'ARC, je n'ai pas eu de difficultés car, manifestement, j'ai rencontré partout une grande compassion. Les gens étaient scandalisés de ce détournement de fonds destinés à la recherche contre le cancer. Ils étaient outrés et, à Jersey, j'ai eu une personne au téléphone qui, dans un excellent français, m'a expliqué qu'elle avait lu le livre de Montaldo et qu'elle allait m'aider. J'ai eu un renseignement : ce n'était pas grand chose, mais ce renseignement me montrait que, dans cette société à Jersey, il y avait bien quelqu'un qui m'intéressait. Mais cela demeure exceptionnel. » (audition du 9 mai 2000).

Jersey a toutefois pris conscience de la nécessité d'évoluer, ne serait-ce qu'en modifiant la loi applicable à la coopération judiciaire. Il faut dire que l'île y a été fortement incitée par le Royaume-Uni. Jersey a donc promulgué une nouvelle loi entrée en vigueur le 1er juillet 1999 qui assouplit les conditions mises à la coopération, notamment en étendant la définition des délits sous-jacents.

Il est cependant évident qu'un texte de loi ne suffit pas à rompre avec un passé aussi lourd, d'autant que les mêmes hommes, ou leurs frères, sont aux affaires et que la mauvaise réputation de l'île dans ce domaine mettra du temps à se modifier.

Confrontés à ce passé proche, les responsables de Jersey étaient manifestement mal à l'aise. On notera d'ailleurs que le procureur général était accompagné de la présence vigilante de deux sénateurs influents, MM. Pierre Horsfall et Jean Le Maistre, ce qui confirme la grande proximité du politique et du judiciaire à Jersey.


La colère des parlementaires français à Jersey

M. le Président : Sur l'assistance judiciaire, posez-vous des conditions de montants de la fraude, de complexité ou de délai ?

M. William BAILHACHE, procureur général : Cela doit être une fraude grave. Il ne nous serait pas possible de traiter des fraudes de 500 livres. La complexité de la fraude peut avoir un impact sur le délai d'obtention de l'assistance ou la difficulté pour obtenir les informations nécessaires, mais cela n'a aucun impact sur notre désir de coopérer.

M. le Rapporteur : La question des conditions que vous fixez à l'exécution des commissions rogatoires est très importante. C'est d'ailleurs la position des Belges qui ont compris qu'en dessous de 700 000 livres, ce qui est quand même considérable, on considérait qu'il ne s'agissait pas, conformément à la loi de Jersey, de fautes particulièrement complexes et moralement répréhensibles.

M. William BAILHACHE : Il y a un problème qui est sans doute historique. Dans le contexte d'obtention des preuves, il est important, selon nos lois, que la procédure judiciaire ait été entamée. Le magistrat instructeur en Belgique, aux Pays-Bas et parfois en France, a le pouvoir de lancer une enquête avant que la procédure ne soit entamée. Si le but de la commission rogatoire est l'obtention de preuves, selon nos lois sur l'obtention des preuves, elle ne pourra être exécutée car aucune procédure n'est entamée.

Nous pouvons utiliser d'autres lois telles que les lois concernant les enquêtes pour fraudes ou la poursuite d'un délit criminel, qui nous autorisent à lancer une enquête. C'est le point dont nous avons discuté hier à l'Office de lutte antifraude (OLAF).

Le premier point de différence concerne les preuves techniques et l'enquête. Je suppose que le juge français, si c'est une commission rogatoire, a ouvert son dossier en cherchant des preuves. Pour nous, cela signifie que la procédure a été entamée. Mais le magistrat instructeur, selon le droit belge, n'a pas encore lancé cette procédure judiciaire.

M. le Président : S'il n'y a pas de procédure judiciaire lancée, vous ne répondez pas...

M. le Rapporteur : Je voudrais revenir sur ce point qui est décisif. Je viens de recevoir, de mon bureau à Paris, un dossier sur l'échec d'une commission rogatoire française dans une affaire très grave portant sur des millions de francs d'escroquerie. Cette affaire a été révélée grâce à TRACFIN. Nous avons, sous les yeux, une lettre de votre représentant, qui pose des conditions à l'exécution de la commission rogatoire d'un juge de Paris, relatives au montant de l'escroquerie.

D'ailleurs, ce point se retrouve dans les critiques très graves adressées à Jersey par le rapport Edwards. Celui-ci, à la page 129, explique qu'aucun cas ne peut faire l'objet de coopération judiciaire en dessous de 2 millions de livres.

M. William BAILHACHE : Ce seuil a changé, ce n'est plus vrai à ce jour.

M. le Rapporteur : Mais en mai 1999, nous n'avons eu aucune réponse.

M. William BAILHACHE : Je ne peux faire de commentaires.

M. le Rapporteur : Cette limitation posée par Jersey sur le niveau de l'escroquerie ou du préjudice est doublée d'une autre condition qui est de contrôler la nature de la fraude, grave, complexe et moralement répréhensible. Pour nous, cette position est inacceptable car ce n'est pas aux autorités de Jersey de faire le travail du juge d'instruction européen, qu'il soit belge ou français.

M. William BAILHACHE : Vous essayez de me piéger sans que j'aie connaissance des documents auxquels vous faites référence.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas un piège, mais de la colère !

M. William BAILHACHE : Si vous vouliez que j'apporte ma contribution, vous auriez dû me transmettre ces documents au préalable.

M. le Rapporteur : Je viens juste de les recevoir.

M. William BAILHACHE : Vous auriez dû venir un mois plus tard. C'est incroyable ! Ce n'est pas une façon de faire !

M. Jean LE MAISTRE, sénateur : Le problème est que l'on essaie de discuter à deux niveaux. Tout d'abord, il y a la voie légale pour recevoir l'information, et la loi est ainsi faite. Par ailleurs, vous entrez dans des exemples spécifiques. On ne peut demander au Procureur général de pouvoir répondre, sur-le-champ, à ces accusations. Si on travaille dans un esprit de coopération, ces propositions devraient être faites au moment approprié. Je suis certain que le procureur répondra aux questions posées, mais il lui est difficile de le faire sur-le-champ.

M. le Président : Néanmoins, M. le procureur s'est dit attristé des accusations portées contre Jersey, dont celles du juge Jean de Maillard. Nous ne faisons qu'expliquer ici les raisons précises pour lesquelles il y a cette incompréhension entre Jersey et d'autres systèmes judiciaires. Car aujourd'hui, en coopération judiciaire internationale, les normes sont de ne pas mettre de conditions à la communication alors que Jersey met davantage de conditions. Pour nous permettre d'avancer dans notre discussion, le rapporteur ne faisait que citer un exemple pour que l'on puisse partir de faits.

Avec ces exemples, nous sommes au c_ur de notre sujet, mais il n'y a pas de piège. Notre rapport ne sort pas dans l'immédiat et, par conséquent, nous aurons un certain délai pour approfondir les différents points de vue. Il y a le temps de la confrontation, de la réécriture et de l'examen des différentes pièces.

M. William BAILHACHE : Cette lettre vous indique, selon nos lois, ce dont nous avons besoin pour coopérer. Lorsque cette lettre est lue à Paris, elle est considérée comme un refus de coopération. Je ne peux pas comprendre que le destinataire puisse la considérer comme telle. Je travaillerai donc avec mon département pour trouver un moyen de convaincre - notamment les Français car nous avons beaucoup de problèmes avec eux - les juges d'instruction que nous sommes prêts à coopérer, mais que certaines conditions juridiques doivent être remplies.

Rien dans cette lettre ne suggère que nous ne sommes pas disposés à coopérer. Cette lettre commence par « Nous pouvons vous assister... » Nous avons besoin d'informations pour apporter notre coopération. Ce n'est pas à vous de nous dire quelles doivent être nos lois. C'est notre position. Le rapport Edwards, qui va plus loin que vous dans son analyse, reconnaît Jersey au niveau international.

Extrait de l'audition de M. William Bailhache et de M. Jean Le Maistre, le 24 mai 2000 à Jersey.

On peut néanmoins essayer de progresser de part et d'autre et faire table rase du passé. Ainsi, la CRI française mentionnée a-t-elle été réactivée par une nouvelle lettre précisant ce que le juge français attendait de Jersey, le 14 avril 2000, soit à une date postérieure à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Il semblerait que Jersey y ait répondu plus favorablement à la suite d'un déplacement du procureur général à Paris au mois de septembre 2000.

L'insistance et la colère peuvent donc payer...

Compte tenu du contexte politique prévalant sur un territoire aussi exigu que Jersey, il est inévitable que la coopération opérationnelle ressemble à la coopération judiciaire. Elle est de fait embryonnaire, même si des intentions louables sont exprimées, comme en témoigne cet échange avec les policiers de l'unité de renseignement financier de Jersey :


Des échanges embryonnaires
entre services de renseignement

« M. le Rapporteur : Quel type de rapports entretenez-vous avec TRACFIN ou la CETIF belge ?

M. David MINTY, inspecteur de police : Le mémorandum d'entente concernera une circulation libre de toutes les informations. Il est approuvé, mais pas encore signé.

M. Anthony RENOUF, directeur des Douanes : Nous adhérons au mémorandum d'entente à la demande de la Belgique et de la France. Toutefois, ce mémorandum n'est pas nécessaire car nous agissons de toute manière ainsi. Cette signature intervient pour satisfaire leurs propres objectifs.

M. le Rapporteur : Vous adressez systématiquement vos informations au NCIS à Londres ; après le mémorandum, transmettrez-vous spontanément à TRACFIN ou à la CETIF les déclarations qui les concernent ?

M. David MINTY : Tous les rapports vont à NCIS à Londres, mais selon la personne ou la société en cause, nous enverrons spontanément les informations au pays concerné.

M. le Rapporteur : Ce chiffre de treize dans vos statistiques concernant TRACFIN correspond-il au nombre de déclarations que vous leur avez envoyées ou que vous avez reçues de TRACFIN ?

M. David MINTY : Nous n'avons reçu aucune déclaration de soupçons de la part de TRACFIN, mais nous leur en avons envoyé treize.

M. Anthony RENOUF : Nous avons de très bonnes relations de travail avec nos collègues de la douane française. Nous collaborons très étroitement et connaissons un certain nombre d'entre eux personnellement. »

Extrait de l'audition de M. David Minty et de M. Anthony Renouf, le 24 mai 2000 à Jersey).

Un accord bilatéral a été signé entre TRACFIN et l'Unité de renseignement financier de Jersey ; un accord du même type a été définitivement conclu au printemps 2001 avec l'île de Guernesey. En revanche, aucune négociation bilatérale n'est en cours avec l'île de Man.

C. - L'INSUFFISANCE DES PRESSIONS EXERCÉES PAR LE ROYAUME-UNI

1. - Le réquisitoire du rapport Edwards

Confronté aux nombreuses critiques suscitées par cet ensemble de comportements, le Royaume-Uni a officiellement confié à un fonctionnaire du Home Office, M. Andrew Edwards, le soin de dresser un état des lieux de ces divers pseudopodes de la finance britannique.

En 1998, est donc publié un volumineux rapport en quatre volumes, qui fourmille de statistiques et de développements sur les droits fiscal, bancaire, cambiaire ou encore pénal des Etats étudiés.

Il apparaît surtout que, pour l'essentiel, cette minutieuse compilation évite de poser en termes clairs la seule question qui importe vraiment : celle de la manière dont la finance britannique se sert de ses divers démembrements territoriaux pour couvrir ses pratiques les moins avouables.

D'un rapport nourri par la carrière diplomatique de son auteur et un sens tout britannique de l'understatement, on ne s'étonnera donc pas qu'émergent des observations - voire de timides critiques - dont la véhémence n'est pas le trait le plus saillant.

Des dispositifs juridiques opaques. - Le rapport Edwards critique, en premier lieu, l'opacité de certains dispositifs juridiques.

La plupart des entreprises immatriculées dans les îles anglo-normandes sont en effet la propriété de personnes physiques non-résidentes, de trusts ou d'entreprises dont l'activité se situe, pour l'essentiel, à l'extérieur de ces îles. Celles-ci constituent souvent autant de structures coquilles destinées à accueillir des actifs réels et financiers de toute nature (actifs immobiliers, _uvres d'art, bateaux, obligations, participations, etc.), dans le cadre d'une gestion internationalisée prioritairement vouée à éluder l'imposition nationale.

Le rapport Edwards souligne ainsi la mise en place d'ensembles gigognes, dont le c_ur est représenté par un trust qui détient une série de participations dans des sociétés, qui elles-mêmes peuvent ne contenir que des titres de propriété d'entreprises ayant une activité économique réelle.

Les avantages pour les intéressés sont évidents : sauf à procéder à des investigations fouillées, il est en effet presque impossible de s'apercevoir que les actifs de ces différentes entités juridiquement distinctes, ne constituent en réalité que le démembrement fictif du patrimoine d'une même personne physique.


Un holding de Jersey au c_ur du circuit d'évaporation
des sommes récoltées par l'ARC

La déposition de Mme Maud Grüber (Genève) auprès du juge Jean-Pierre Zanoto, lors de l'instruction de l'affaire de l'Association pour la recherche sur le cancer (ARC), a révélé les étranges pratiques des sociétés sous-traitantes de l'ARC.

Mme Grüber a ainsi raconté au juge dans quelles conditions elle avait repris les activités de son père William Grüber, qui avait bâti et développé un système ingénieux permettant de faire disparaître au moyen de fausses factures et de travaux fictifs, grâce aux particularismes fiscaux et bancaires helvétiques, des sommes importantes des comptes de certaines firmes européennes.

Au décès de son père, Mme Grüber prit la suite de ses activités à la tête de la société de droit suisse Prototec SA. Lorsque le fisc genevois se fit trop regardant, elle transforma cette société en Prototec Ltd., société de droit jersiais. En 1990, déclara-t-elle au juge, elle créa même trois sociétés (Colourmix, Block Ltd. et Tchass Company) réunies au sein du groupe Evolution Trust et domiciliées à Jersey par la société Abacus.

Mme Grüber a expliqué au juge que ces sociétés interviennent comme agents : « En d'autres termes, elles perçoivent des sommes d'argent de leurs clients et reversent l'intégralité de ces sommes moins une commission qu'elles gardent. Je suis la seule salariée de ces sociétés, qui ne produisent aucune prestation. » Mme Grüber a expliqué au juge Zanoto que Prototec fonctionne toujours, travaillant pour Elf Atochem et Minerva, mais que Block et Colourmix ont cessé toute activité vers la fin de l'année 1996 ou le début de 1997.

Des diverses investigations diligentées par le juge Zanoto, il ressort que Prototec a perçu, en provenance de Graphing Grafossard, l'imprimerie de Michel Hocquet mis en examen pour recel, complicité d'abus de bien social et complicité d'abus de confiance commis au préjudice de l'ARC, 26 millions de francs entre 1983 et 1990. Colourmix a, de la même manière, perçu plus de 52 millions de francs entre 1990 et 1995.

Si l'on ajoute d'autres mouvements financiers impliquant des sociétés satellites, ce sont plus de 80 millions de francs qui se sont, de la sorte, évaporés.

Article de M. Jean-Yves Nau dans Le Monde du 7 avril 1998.

L'intérêt de certains particuliers ou entreprises pour de tels montages, a conduit les pouvoirs publics des îles anglo-normandes à se transformer sans pudeur en promoteurs des avantages liés à une domiciliation locale - c'est-à-dire, en d'autres termes, à faire commerce de leur propre souveraineté. A ce titre, le manque de curiosité des autorités en matière de connaissance des ayants droit économiques, de publication des comptes ou d'information n'est pas le fruit d'une regrettable négligence : c'est une stratégie délibérée.

A Jersey et Guernesey, les pouvoirs publics imposent à la société en voie de constitution, d'indiquer le nom des ayants droit économiques dans l'hypothèse où ils différeraient de ceux des détenteurs de parts nominaux. Mais, sauf quelques exceptions, aucune obligation d'informer les autorités ne pèse sur les changements de bénéficiaires qui pourraient intervenir ultérieurement. A l'île de Man, les autorités sont encore moins regardantes : il n'y existe aucune obligation de révéler, fût-ce de manière confidentielle, le nom des ayants droit.

Dans aucune des îles, la publication de comptes annuels certifiés ou d'un rapport de gestion n'est exigée des sociétés privées. Il leur est simplement demandé de tenir des comptes et de pouvoir, le cas échéant, les produire : si les entreprises publiques doivent voir leurs comptes contrôlés par un tiers et publiés, les personnes morales de droit privé n'y sont contraintes que si la majorité de leurs actionnaires le demande.

En troisième lieu, les sociétés administrées dans les îles ou y exerçant leur activité mais immatriculées à l'étranger, ne sont soumises à aucune obligation de s'enregistrer auprès des autorités à Jersey et Guernesey - sauf si elles prétendent au bénéfice d'un régime d'exemption fiscale - ou à des obligations minimales (île de Man). Selon les autorités locales, il y aurait ainsi à Guernesey plus de sociétés non enregistrées que de sociétés déclarées...

Des systèmes locaux de contrôle défaillants. - Le rapport Edwards critique, en second lieu, les carences des systèmes locaux de contrôle.

Confrontées à la croissance rapide de leur secteur financier, les îles anglo-normandes se sont progressivement dotées de structures de régulation et de contrôle (Financial Services or Supervision Commissions, ou FSCs).

Leur mise en place ne résulte nullement d'une quelconque volonté des autorités de réguler les marchés financiers afin d'assurer un fonctionnement harmonieux et transparent. Seule la contrainte des événements et les risques de déstabilisation systémique, les ont forcées à agir. C'est ainsi que la FSC de l'île de Man a été créée en 1983, en réponse à la faillite de la Savings and Investment Bank en 1982. C'est ainsi que celle de Guernesey l'a été en 1988, en réponse aux conclusions d'un rapport sur la liquidation de Barnett Christie (finance) Ltd en 1978. Enfin, la FSC de Jersey date seulement de 199828.

Ces structures constituent globalement des institutions mixtes, qui mêlent des compétences normatives et opérationnelles variées dans des secteurs d'activité eux-mêmes divers. A Jersey et Guernesey, les FSCs exercent tout à la fois les missions de la Commission des opérations de Bourse, du Conseil des marchés financiers, de la Commission bancaire et de la Commission de contrôle des assurances, comme au Royaume-Uni la FSA.

Mais il s'en faut de beaucoup que ces FSCs puissent être considérées comme de véritables autorités administratives indépendantes à l'image de la FSA. Au contraire, leur proximité avec le pouvoir politique est de nature à les rendre vulnérables à toutes les pressions.

C'est ainsi que, dans toutes les îles, ces autorités sont placées sous le contrôle financier direct du Parlement, qui peut également, le cas échéant, renouveler discrétionnairement les membres de leur instance délibérative (Board).

L'action du FSC est encadrée par des instructions écrites générales qui leur sont adressées par le Parlement (Jersey et Guernesey) ou par le Trésor et le Conseil des ministres (île de Man).

Quant à la présidence de leur Board, elle n'a pas été longtemps attribuée - comme il est de pratique courante dans les pays développés - à un spécialiste des questions monétaires ou financières, mais systématiquement confiée à un « senior politician » : à l'île de Man, un parlementaire était à la tête de la FSC locale, alors qu'à Jersey et Guernesey, le Chairman de la FSC était même aussi président de la commission parlementaire compétente sur les affaires économiques et financières.

La législation a cependant récemment évolué sur ce point : c'est ainsi que le collège de la nouvelle FSC de Jersey compte sept membres. Il est présidé par un ancien conseiller économique du Parlement dont l'adjoint est l'associé d'un grand cabinet comptable de la place. Le directeur général (M. Pratt) semble présenter davantage de garanties de neutralité puisqu'il arrive directement de Londres où il était responsable des relations extérieures du marché des instruments financiers à terme.

La critique, par le rapport Edwards, des relations ambiguës des milieux politique et économique, n'est pas nécessairement partagée par les intéressés qui se considèrent tout au contraire comme indépendants des pouvoirs publics.


La singulière conception de l'indépendance
des autorités jersiaises

M. Richard PRATT, directeur général de la Commission des services financiers : Je vais (...) vous présenter la commission des services financiers qui est l'organe de régulation. Selon le modèle britannique traditionnel, cet organisme appartient au secteur public, mais il est indépendant du gouvernement. Il est établi sous la forme juridique d'une corporation, mais sans actionnaires. C'est très similaire à la structure de la Commission des opérations de bourse en France.

Cet organisme a pour mission la régulation de l'ensemble du secteur financier. Cela comprend le contrôle bancaire, les services financiers et les assurances. Il fait également office de registre des sociétés. Il assume donc à la fois le rôle de la Commission des opérations de bourse et de la Commission bancaire. Nous sommes indépendants du gouvernement, ce qui signifie que nos décisions, en matière d'agrément, sont nos propres décisions que le gouvernement ne peut remettre en question.

M. le Président : Depuis combien d'années existez-vous ?

M. Richard PRATT : En tant qu'organe indépendant, depuis juillet 1998. Mais avant, les fonctions de régulation étaient directement assumées par le gouvernement.

M. le Président : Combien de personnes travaillent ici ?

M. Richard PRATT : Environ cinquante-cinq. Depuis que j'ai pris ce poste, il y a environ un an et demi, le personnel est passé de trente-huit à cinquante-cinq.

Extrait de l'audition de M. Richard Pratt le 24 mai 2000 à Jersey.

Il n'en reste pas moins qu'un combat feutré oppose les FSCs aux autorités locales, le souci des premières d'établir une indépendance minimale se heurtant à la réticence des secondes à la leur accorder.

En témoigne l'autorisation donnée par les autorités jersiaises à un Bookmaker britannique d'installer sur l'île un site Internet dédié aux paris, en dépit de l'opposition virulente de la FSC (Jersey Evening Post, 23 mai 2000, p. 1).


La tentation de l'économie-casino

M. le Président : Je trouve très intéressante cette idée d'indépendance par rapport au pouvoir politique. Nous arrivons à un moment où un fort débat a lieu au parlement de Jersey sur la possibilité de faire des paris par Internet. Nous avons vu que la commission avait donné un avis négatif, conformément aux recommandations du GAFI, mais nous avons le sentiment que les parlementaires vous écoutent assez peu. Pouvez-vous nous préciser ce débat ?

M. Richard PRATT, directeur général de la Commission des services financiers : Les activités de jeux et de paris ne font pas partie de notre champ de compétences. Lorsque les parlementaires nous ont demandé notre avis, nous avons donné un avis négatif en indiquant que nous étions notamment inquiets que les jeux d'argent sur Internet soient un moyen de blanchiment. Comme nous ne régulons pas le jeu, nous ne pouvons pas nous opposer à la décision. Toutefois notre point de vue est que si les hommes politiques veulent autoriser les jeux d'argent sur Internet, ils doivent les contrôler de la même manière que, pour le blanchiment d'argent, nous contrôlons le secteur financier.

Cela implique que les sociétés de jeux doivent connaître chacun de leurs clients, avoir une preuve de l'identité de leurs clients, déclarent tout pari suspect, gardent des archives et forment leurs employés dans la lutte contre le blanchiment. Ce sont toutes les obligations qui s'appliquent au secteur financier. Nous avons dit aux parlementaires de poursuivre dans leur projet, à la condition de trouver une société de jeux en mesure de se soumettre à ces obligations.

Le sénateur Pastrol a indiqué qu'il était d'accord avec ces conditions, et qu'il n'autoriserait une société de jeux que si elle se conformait à tous les règlements que nous avons établis dans la lutte contre le blanchiment d'argent. Je serais très surpris qu'une société de jeux puisse remplir toutes ces exigences. Nous verrons si une société se présente et est disposée à se soumettre à toutes ces obligations.

Extrait de l'audition de M. Richard Pratt, le 24 mai 2000 à Jersey.

Le rapport Edwards souligne également que les textes applicables aux FSCs sont des plus imprécis, mêlant aux fonctions traditionnellement dévolues aux autorités de contrôle - protection de la clientèle à travers la surveillance du marché, gestion des établissements et respect des bonnes pratiques professionnelles, lutte contre l'utilisation du système financier à des fins criminelles, coopération avec les autorités étrangères - des activités qui confinent au démarchage commercial. C'est ainsi que les FSCs sont invitées à favoriser les intérêts économiques de l'île (« furthering the economic interests of the Island ») - voire, comme il est explicitement prévu à Jersey, promouvoir l'île comme centre financier international.

Par ailleurs, à la différence de la Banque d'Angleterre ou du FSA, les pouvoirs de sanction et de poursuite judiciaire des FSCs étaient pratiquement inexistants. A de rares exceptions près, elles ne disposaient en effet pas de la possibilité de sanctionner par des amendes les comportements répréhensibles.

Des pratiques judiciaires peu coopératives. - Le rapport Edwards critique enfin le manque de coopération des diverses FSCs avec leurs homologues étrangers.

La participation aux échanges d'information et enquêtes internationaux apparaît en effet soumise à des conditions draconiennes. C'est ainsi qu'à l'île de Man, dont la FSC dispose mutatis mutandis des mêmes pouvoirs que la FSA britannique, toute transmission à l'étranger d'informations sur un client, suppose au préalable l'accord formel du Chief minister.

La législation de Jersey fait même naître un paradoxe : si la récente loi sur les investissements (Investment Business Law) renforce les pouvoirs d'inspection et d'investigation de la FSC dans le cadre de la coopération avec les autorités étrangères, elle prohibe concomitamment toute transmission d'information par la FSC à ces autorités, sur l'identité des personnes qui auraient été en relation d'affaires avec une personne immatriculée dans l'île.

2. - Le temps des réformes

Les réformes législatives et réglementaires. - Les critiques du rapport Edwards ont donné lieu à des réponses législatives, réglementaires et opérationnelles des autorités mises en cause. Ces réponses ont pris plusieurs formes.

Les autorités des îles anglo-normandes affichent désormais une volonté politique claire de prévenir, détecter et réprimer sur leur territoire le blanchiment d'argent, la fraude fiscale ou le trafic de stupéfiants et, le cas échéant, de collaborer à cette fin avec les Etats étrangers. C'est ainsi :

· que l'île de Man est partie à la Convention de 1990 du Conseil de l'Europe sur le blanchiment, la recherche, la saisie et la confiscation des produits du crime ;

· que Jersey et l'île de Man sont parties à la Convention de Vienne de 1988 contre le trafic illicite des narcotiques ;

· que toutes les îles sont membres associés du Réseau britannique d'information sur la fraude financière (Financial Fraud Information Network, FFIN) mis en place après la faillite de la BCCI et alimentent la banque de données (Shared Intelligence Service Database) de la FSA.

La mise en place d'instruments législatifs et réglementaires internes, concomitamment inspirés des dispositifs applicables au Royaume-Uni et des Quarante recommandations du GAFI, n'a été que progressive.

Les dispositions visant à combattre la fraude, accordant l'assistance aux autorités étrangères à travers les Mutual Legal Assistance Treaties (MLATs) signés par le Royaume-Uni ou permettant aux juridictions d'obtenir la levée du secret professionnel ou de l'engagement de confidentialité vis-à-vis des clients, sont anciennes.

Mais ce n'est qu'à une date plus récente que ces territoires ont introduit des législations contre le blanchiment en relation avec le trafic de stupéfiants ou le terrorisme, qui permettent la recherche, la saisie et la confiscation des produits de ces infractions. Leur intérêt est notamment de mettre en place, à la charge des institutions financières et de divers professionnels, un mécanisme de déclaration obligatoire des transactions suspectes (obligatory systems of suspicious transaction reporting).

Jersey a adopté le 1er juillet 1999 une loi sur les produits du crime qui généralise la liste des infractions préalables au blanchiment à l'ensemble des délits passibles d'amendes ou de peines de prison significatives, y compris les délits fiscaux. La personne soupçonnée pourra échapper à la mise en cause de sa responsabilité pénale en révélant ses soupçons aux autorités. Par ailleurs, la loi autorise la police à adresser une demande à l'autorité judiciaire aux fins que soient produits les documents sur l'identité de toute personne dont on a des raisons de penser qu'elle est coupable de blanchiment.

Par ailleurs, la loi sur la régulation des services financiers adoptée en juin 2000 a introduit un contrôle plus strict sur la création des sociétés à Jersey, la création d'un registre des trusts et la mise en place d'actions de formation et de sensibilisation des professionnels au risque de blanchiment.

De même, une loi sur la régulation des services financiers a été adoptée au printemps 2000 à l'île de Man. Elle renforce le dispositif d'identification des ayants droit économiques.

Cette législation introduit de façon plus générale un nouveau régime d'agrément et de contrôle des prestataires de services financiers. Elle traite des sociétés et de leurs prestataires de services qui auront désormais l'obligation de connaître l'identité de leurs clients, y compris l'identité des ayants droit économiques qui se cacheraient derrière des trusts et des sociétés.

Pourtant, cette loi ne traite pas des trusts.

Ces réponses législatives tiennent directement compte des critiques formulées par le rapport Edwards. Mais elles ne sont pas suffisantes.


Il n'est pas suffisant de s'en remettre à l'apporteur
d'affaires ou à l'intermédiaire financier
pour identifier les ayants droit économiques

M. X : Quelle était votre image de l'île avant de venir ici ?

M. le Président : C'est une image mitigée avec le sentiment que la difficulté principale pour l'île de Man reste cette question de l'identification des ayants droit économiques. Nous étions informés des efforts faits, dans le cadre de la législation, pour pallier ces difficultés.

M. Z : C'est l'île de Man qui a inventé le concept de l'identification du client en 1986. (« Know your customer » - « Connaissez votre client ». Nous exportons cette initiative dans d'autres territoires.

M. Y : Après avoir mis en place cette pratique, nous avons découvert qu'il n'était pas suffisant de s'en remettre à l'apporteur d'affaires ou à l'intermédiaire, pour identifier les ayants droit économiques, même s'il était implanté dans un pays soi-disant bien régulé appartenant par exemple au GAFI. Désormais nous n'accepterons plus cette façon de faire.

M. le Président : Depuis quand ?

M. Y : Suite à la publication du rapport Edwards. De ce fait, l'organisme de régulation n'admet plus depuis fin 1998 ce procédé. Ils exigent que les détenteurs d'un permis connaissent directement l'ayant droit économique et ne s'en remettent pas à un intermédiaire, fut-il implanté dans un pays du GAFI.

Extrait de l'audition avec des représentants de l'Unité de renseignement et de lutte contre la criminalité financière en mai 2000 à l'île de Man.

La radiation des sociétés coquilles. - Les autorités de certaines îles se sont engagées dans une politique de vérification de la réalité économique des sociétés immatriculées sur leur territoire.

Le résultat de cette opération de toilettage des registres - dont rien n'assure au demeurant qu'il soit exhaustif - a ainsi conduit à la radiation de deux mille sociétés à l'île de Man.


Plus de deux mille sociétés écrans à l'île de Man

M. le Président : Quand on analyse le phénomène du blanchiment à l'île de Man, on constate que cela ne passe pas par des dépôts bancaires, mais plutôt par des sociétés qui permettent à certaines personnes de se dissimuler. Partagez-vous cette analyse ?

M. John ASPDEN, directeur général de la Commission de supervision des services financiers : Si un problème survient, c'est souvent le cas de figure qui apparaît.

M. le Président : Depuis deux ans et demi, six mille sociétés ont été radiées des registres. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette radiation ?

M. John ASPDEN : Il y a un certain nombre de raisons. La première est que le registre des sociétés et la commission de supervision des services financiers contrôlent de plus en plus étroitement la conformité à la législation en vigueur des sociétés. Si un problème de bilan annuel revient de façon récurrente, la société est radiée.

Certaines sociétés anticipent et nettoient leur portefeuille afin d'être en conformité avec la nouvelle législation dont l'entrée en vigueur est imminente. La troisième raison est qu'il est maintenant plus facile pour certaines personnes d'enregistrer des sociétés dans un autre pays qu'à l'île de Man en raison de ces nouvelles mesures de contrôle. C'est peut-être ce qui explique la baisse du nombre des sociétés.

M. le Président : Au profit de quels territoires ?

M. John ASPDEN : Par exemple, les Caraïbes et dans le Pacifique.

Extrait de l'audition de M. John Aspden le 23 mai 2000 à l'île de Man.

Mais ce chiffre reste encore modeste comparé au nettoyage que disent avoir effectué les autorités de Gibraltar, qui se traduit par la radiation de plus de vingt mille sociétés.


Nettoyage du registre des immatriculations à Gibraltar : vingt mille radiations

Maître David J. FARIA : Les sociétés ont obligation, chaque année, d'enregistrer les renseignements légaux. Si la société ne le fait pas pendant quelques années, nous devons le lui notifier. Si elle ne se conforme pas à l'enregistrement des informations, elle est alors radiée, c'est-à-dire que juridiquement elle n'existe plus. Dans les registres, elle est indiquée comme étant radiée.

M. le Rapporteur : Combien ne sont pas radiées ?

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER, directeur du Bureau des enregistrements des sociétés de Gibraltar : Actuellement, plus de vingt mille sont en cours de radiation.

M. le Rapporteur : Sur les 75 000.

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Toutes les sociétés qui n'ont pas rempli la déclaration annuelle depuis dix-huit mois vont également être radiées en raison de la nouvelle législation qui se met en place depuis fin décembre 1999. Nous radions actuellement un grand nombre de sociétés qui n'ont pas actualisé leurs informations. Une fois cet exercice terminé, il restera environ entre 23 000 et 23 500 sociétés.

Si une société radiée veut réexister, il y aura deux possibilités : soit former une autre société avec les mêmes contraintes, soit passer devant le tribunal de Gibraltar pour indiquer les raisons de la reprise d'activités de la société. Si la société n'a pas eu d'activités pendant dix ans, le tribunal ordonnera la publication de toutes les informations qui nous ont manqué pendant cette période de dix ans.

Extrait de l'audition de MM. David J. Faria et Bruno Goutaland Rosset de Greysier le 16 mai 2000 à Gibraltar.

Ces mesures de radiation, pour spectaculaires qu'elles soient, ne signifient pas nécessairement un réel assainissement de la situation. En effet, ces sociétés rapidement constituées à peu de frais, servent pour beaucoup d'entre elles à la réalisation d'opérations ponctuelles et ne correspondent pas à une activité économique continue.

Une fois l'opération réalisée, peu importe que ces sociétés soient ensuite radiées par les autorités. Il sera toujours temps, le moment venu, de créer une autre société pour traiter une autre opération.

3. - La complaisance du Royaume-Uni

Dans le rapport précité de juin 2000 sur la confiscation des produits du crime, les experts britanniques n'ont pas manqué de rappeler la responsabilité du Royaume-Uni à l'égard d'un certain nombre de juridictions offshore, en soulignant qu'il appartenait au Royaume-Uni de prendre des mesures pour encourager ces territoires à se conformer aux règles du jeu international.


La responsabilité du Royaume-Uni à l'égard
de nombreux territoires offshore

- Certains centres financiers offshore vont de pair avec l'existence d'un très faible niveau de normes juridiques destinées à lutter contre la criminalité financière, l'évasion fiscale...

- Le Royaume-Uni a une responsabilité particulière dans cette région en raison des liens constitutionnels qui l'attachent à un certain nombre de territoires à travers le monde qui se sont spécialisés dans la fourniture de services financiers offshore.

- Les Dépendances de la Couronne

· île de Man,

· Guernesey,

· Jersey,

et sept des territoires outre-mer (overseas territories)

· Gibraltar,

· îles Caïman,

· îles Vierges britanniques,

· Bermuda,

· îles Turks at Caicos

· Anguilla,

· Montserrat,

ont développé des centres financiers significatifs offrant des services offshore à l'ensemble des clients du monde entier.

Recovering the proceeds of crime, Rapport du Performance and Innovation Unit (PIU), juin 2000, points 11.34 et 11.35.

La multiplication et le dynamisme de ces centres offshore conduisent toutefois à s'interroger sur la volonté politique réelle du Royaume-Uni à peser de tout son poids à l'encontre de ces territoires.

a) L'immobilisme britannique à l'égard de ses dépendances

Les évolutions observées apparaissent timides, pour ne pas dire notoirement insuffisantes. Faut-il d'ailleurs s'en étonner, dès lors que la politique pratiquée par la Grande-Bretagne constitue plutôt une invitation tacitement accordée à persévérer ?

La preuve éclatante en est fournie parallèlement par l'allégement des contrôles sur les opérations financières réalisées avec Antigua et Barbuda, décidé par le GAFI. Alors que chacun sait que ces territoires constituent des centres accueillants pour l'argent criminel en circulation, le gouvernement britannique s'est promptement conformé à cette décision du GAFI. Le secrétaire d'Etat au Trésor, Ruth Kelly, a officiellement estimé qu'aucune diligence particulière n'est nécessaire . « Nous pensons qu'il n'est pas nécessaire que les institutions financières britanniques apportent une attention particulière aux transactions avec les personnes ou les instituions domiciliées à Antigua et Barbuda », a-t-il ainsi été déclaré, le 16 juillet dernier.

L'Association des banquiers britanniques (BBA) a, de même, publié la liste des pays dont la législation et la réglementation financières seraient d'un niveau équivalent à celles du Royaume-Uni 29. Il est assez surprenant de constater qu'on y trouve - aux côtés de l'Allemagne, des Etats-Unis ou de la France - Aruba et les Antilles néerlandaises. De même Gibraltar, l'île de Man, Guernesey et Jersey, bien que n'apparaissant pas sur cette liste, sont considérées comme disposant d'une législation anti-blanchiment de même degré de qualité que celle de la Grande-Bretagne.

Cette inclusion ne manquera pas de surprendre lorsqu'on connaît les sévères critiques des experts américains adressées à l'encontre de ces territoires que l'on classerait plus volontiers parmi les paradis judiciaires et fiscaux que parmi les pays vertueux.

De façon plus générale, c'est avec bienveillance que les banquiers du Royaume-Uni envisagent leurs relations financières avec les institutions appartenant aux pays ou territoires non coopératifs figurant sur la liste du GAFI.

En octobre 2000, le GAFI a ainsi fait part de certains progrès, entrepris sur le papier, par la majorité de ces Etats « listés ». S'appuyant sur cette constatation, la B.B.A. a alors estimé que les institutions financières britanniques pouvaient tenir compte de cet élément de progrès législatif dans l'application de leurs obligations de diligence renforcées. Lorsqu'on sait la prudence avec laquelle le GAFI a considéré cette première étape engagée par certains de ces pays non coopératifs, la possibilité d'introduire, dès ce premier stade, une certaine souplesse dans les relations financières avec ces Etats non coopératifs, se démarque nettement de la position du GAFI.

Cette promptitude des banquiers et des autorités du Royaume-Uni à accepter la normalisation de ces territoires reconnus comme des juridictions équivalentes à la leur est surprenante comparée aux engagements pris par la Grande- Bretagne, au sein de l'Union européenne, lors du Sommet de Tampere en octobre 1999.

Le point 52 des conclusions de ce Sommet indique : « Les Etats membres sont invités instamment à mettre en _uvre intégralement, y compris dans leurs territoires dépendants, les dispositions de la directive sur le blanchiment d'argent, de la convention de Strasbourg de 1990, et les recommandations du groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux »

Or depuis deux ans, malgré l'amorce de comportements nouveaux il ne s'est pas encore produit de changements significatifs et les graves insuffisances qui caractérisent encore les législations anti-blanchiment de ces centres offshore leur a valu d'être qualifiés de « juridictions de transition » par les experts de l'Offshore Group of Banking Supervisors (OGBS).

b) Des juridictions en transition

Les îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey, ainsi que l'île de Man, ont fait l'objet d'évaluations par le Offshore Group of banking supervisors (OGBS) qui a travaillé dans les mêmes conditions que les experts du GAFI. Ces missions ont eu lieu en fin d'année 2000, début d'année 2001. Gibraltar ayant reçu la visite de ce groupe d'examinateurs les 7 et 8 juin 2001, les conclusions de cette mission ne sont pas encore disponibles.

De façon générale, les experts ont considéré que ces territoires s'étaient dotés de normes juridiques - de standards - qui les placent à un niveau proche de celui exigé par les 40 Recommandations du GAFI.

Toutefois, le caractère récent de certains mécanismes et un certain nombre de lacunes persistantes font que ces territoires apparaissent encore comme des juridictions en transition.

En matière de coopération, les évaluateurs ont préconisé la suppression de l'obligation, pour les autorités administratives ou de police, d'obtenir l'autorisation de l'Attorney général pour transmettre à des juridictions ou des autorités étrangères des informations ou renseignements financiers obtenus dans le cadre des déclarations d'opérations suspectes ou d'investigation.

Cette disposition vaut actuellement pour les îles anglo-normandes comme pour l'île de Man.

Ces territoires sont également encouragés à conclure davantage d'accords de coopération avec les Unités de renseignements financiers de leurs principaux pays partenaires : comme l'écrit l'OGBS à propos de Jersey, ce territoire « ne semble pas avoir totalement réussi à effectuer de façon volontariste des enquêtes en matière de blanchiment et les exemples d'ouverture d'enquêtes dans l'île sont rares. La création d'une nouvelle brigade financière, dotée de nouvelles ressources, est une excellente occasion de mettre en _uvre une nouvelle stratégie opérationnelle volontariste - en associant les compétences de la police, des douanes et des autorités de tutelle. Cette stratégie devrait passer par une analyse plus efficace des renseignements financiers dont disposent les autorités et par une coopération plus étroite avec d'autres juridictions. Les autorités doivent apporter suffisamment de ressources pour s'assurer que cette stratégie peut être mise en _uvre efficacement. »30

En ce qui concerne les professions et secteurs réglementés, le groupe d'examinateurs s'est inquiété du recours à des structures juridiques comme les trusts ou des sociétés offshore utilisés à des fins de blanchiment.

Les autorités anglo-normandes et de l'île de Man ont donc été interpellées afin qu'elles mettent en place dans les meilleurs délais une législation renforçant le contrôle sur les trusts et les sociétés offshore ainsi qu'une réglementation - contrôle, agrément... - des professions financières spécialisées dans la création de ces mêmes trusts ou sociétés.

Aucune de ces exigences n'a été respectée.

Enfin, les experts ont relevé une importante faille dans le système anti-blanchiment de ces trois îles (Serious gap in the system) qui permet à une institution financière de ne pas avoir à procéder aux identifications lui permettant de connaître l'identité du bénéficiaire réel des fonds.

En effet, lorsque le propriétaire bénéficiaire des fonds est représenté par un intermédiaire financier soumis à une régulation telle qu'un avocat, un comptable, un conseil spécialisé dans la création de société ou la fourniture de services financiers, la banque n'a pas à engager les procédures d'identification de l'ayant droit économique réel.

La vérification de l'identité
des véritables bénéficiaires des fonds
n'est pas toujours exigée

Les autorités de Jersey (...) doivent remédier à une lacune importante de leur dispositif. Dans les mécanismes d'apport d'affaires dans lesquels le propriétaire est représenté par un intermédiaire réglementé - comme un prestataire de services aux sociétés ou un comptable - il y a en effet des circonstances dans lesquelles une institution financière n'est pas tenue de vérifier l'identité du propriétaire réel des fonds. Selon les évaluateurs, cela peut constituer une grave défaillance du dispositif et le rapport propose aux autorités d'imposer à toutes les institutions financières de Jersey une obligation impérieuse de connaître le propriétaire réel des fonds avec lesquels elles opèrent (...).

L'utilisation abusive de structures sociétaires et fiduciaires a posé un grave problème pour Guernesey, surtout à travers le Fief de Sercq (...). Sercq, qui n'a pas de droit des sociétés, compte 575 résidents détenant à eux tous 15 000 postes d'administrateurs de sociétés. Les mécanismes de surveillance du secteur fiduciaire dans l'ensemble du Bailliage n'ont pas été suffisamment rigoureuses, ce qui a rendu ce secteur particulièrement vulnérable au blanchiment de capitaux. (...) Les autorités doivent remédier à ce que les évaluateurs considèrent comme une lacune importante de leur dispositif. Dans les mécanismes d'apport d'affaires dans lesquels le propriétaire est représenté par un intermédiaire réglementé - comme un prestataire de services aux sociétés ou un comptable - il y a en effet des circonstances dans lesquelles une institution financière n'est pas tenue de vérifier l'identité du propriétaire réel des fonds. Selon les évaluateurs, cela peut constituer une grave défaillance du dispositif et le rapport propose aux autorités d'imposer à toutes les institutions financières de Guernesey une obligation impérieuse de « connaître » le propriétaire réel des fonds avec lesquels elles opèrent (...).

Les autorités de l'île de Man (...) doivent remédier à une importante lacune de leur dispositif. En effet, dans les mécanismes dit des « apporteurs d'affaires éligibles » dans lesquels le propriétaire est représenté par un intermédiaire réglementé - comme un prestataire de services aux sociétés, un avocat ou un comptable - une institution financière n'est pas tenue de connaître l'identité du propriétaire réel des fonds. Selon les évaluateurs, cela peut constituer une grave défaillance du dispositif et le rapport propose aux autorités d'imposer à toutes les institutions financières de l'Île de Man une obligation impérieuse de connaître le propriétaire réel des fonds avec lesquels elles opèrent.

Extraits des évaluations mutuelles effectuées par le Groupe des autorités de contrôle bancaire des centres extraterritoriaux (OGBS) publiées en annexe C du rapport annuel du GAFI du 22,juin 2001

Des mécanismes de détection et de sanction largement théoriques. Les îles anglo-normandes sont discrètes sur les résultats de leur système de détection des transactions suspectes et l'activité de leurs FSCs.

Le tableau ci-après, repris du rapport Edwards, donne le nombre de déclarations opérées à Guernesey ventilées selon leur provenance.

Institution

Moyenne annuelle
(1992-1996)

1997

Banques

136

173

Compagnies d'assurance

1

8

Autres institutions financières

6

7

Trusts

4

27

Autres sociétés

0

1

Professions juridiques

0

0

Comptables

2

4

Conseils en investissement

0

0

Autres

4

4

TOTAL

153

234

Source : rapport Edwards.

Les rapports d'évaluation précités ont également souligné - à Jersey, le très faible nombre d'établissements - généralement des filiales ou des succursales britanniques - qui effectuent des déclarations de transactions suspectes.

Sur cette question, les autorités douanières de Jersey rencontrées par la Mission en juin 2000 ont précisé qu'elles avaient reçu en 1999, 496 déclarations d'opérations suspectes dont 312 faites par des banques - sans indication du nombre de banques contributives - et 77 en provenance des trusts.

Sur l'ensemble de ces déclarations, aucune poursuite pour blanchiment des capitaux n'avait pu être engagée avant le 1er juillet 1999, date d'application de la nouvelle législation.

En juin 2000, une demi-douzaine d'enquêtes étaient en cours sur le blanchiment des capitaux à Jersey.

Ces résultats sont plus que modestes et restent encore très disproportionnés si on les compare au fait que Jersey recueille pour environ 1 000 milliards de francs de dépôts bancaires et 380 milliards de francs de fonds gérés pour le compte de tiers.

A l'Île de Man, alors même que la contribution du secteur bancaire a été jugée relativement élevée par les experts internationaux, l'absence de participation de certains professionnels fournisseurs de services financiers ou créateurs de société a été dénoncée par ces mêmes experts.

A l'Île de Man, les responsables de l'Unité de renseignement financier ont indiqué à la Mission lors de son déplacement à Douglas en juin 2000, qu'elles avaient reçu pour l'année 1999, un total de 1 000 déclarations d'opérations suspectes.

Parmi ces 1 000 déclarations, 68 % relevaient de la loi portant sur la généralisation des infractions sous-jacentes au blanchiment dite loi portant sur tous les crimes, 30 % s'inscrivaient dans le cadre du blanchiment issu du trafic de drogue et 2 % se rattachaient au blanchiment issu des activités terroristes.

Néanmoins, en 1999, seulement 50 déclarations sur les 1 000 enregistrées venaient des prestataires de services financiers et juridiques. Même si, au cours du premier semestre 2000, ce chiffre était passé à une trentaine, le résultat est encore notoirement insuffisant.

Le défaut de participation aux déclarations de transactions suspectes des avocats, comptables, créateurs de trusts ou de sociétés prestataires de services juridiques et financiers est d'autant plus préoccupant que ces professionnels ont une part extrêmement active dans ces territoires dont la prospérité est quasi exclusivement fondée sur l'économie financière. Or, soit ces professions ne sont pas ou très faiblement régulées (exemple : agents spécialisés dans la créations des trusts ou des sociétés), soit lorsqu'elles le sont (avocats, comptables...), peuvent représenter leurs clients auprès des banques sans avoir à révéler l'identité de ces derniers.

La corrélation entre ces statuts particuliers de mandataires représentants et l'absence de déclarations d'opérations suspectes par ces professions est donc particulièrement alarmante. Les législations récentes adoptées par l'Île de Man pour réglementer l'activité des prestataires de services financiers et juridiques et les sociétés prestataires de services pour les trusts constituent une initiative très positive dont il faudra suivre avec intérêt les conséquences qui vont en résulter.

c) Le déplacement des activités dans la sphère britannique des « overseas territories »

Outre les Dépendances de la Couronne dans les îles anglo-normandes, le Royaume-Uni dispose en effet d'une série de relais dans les Caraïbes (overseas territories). Leur liste ne comprend pas moins de sept noms : Gibraltar, les Bermudes, les îles Caymans, les îles vierges britanniques, Montserrat, Anguilla et Turks et Caicos, connus pour figurer sur les multiples listes des paradis fiscaux et territoires non coopératifs établies par les différentes instances internationales.

Les relations du Royaume-Uni avec ces territoires sont empreintes de la même ambiguïté que celle de la France avec Monaco, que la Mission d'information avait d'ailleurs, en son temps, dénoncée.

Ces territoires suivent un modèle de gouvernement largement commun, moyennant les adaptations rendues nécessaires au cas par cas. Ils bénéficient d'une relative autonomie dans la gestion de leurs affaires locales, qui prend la forme de l'institution d'une instance « législative » élue - éventuellement complétée d'un exécutif. Cette autonomie reste cependant sous tutelle : un Gouverneur (Commissionner), nommé par la Reine sur proposition du Foreign Secretary, est responsable en matière de relations extérieures, de défense et - dans la plupart des cas - de gestion de la fonction publique locale et de sécurité intérieure. Cette responsabilité en matière de défense et de sécurité se traduit par la présence sur place de troupes britanniques - notamment, la Royal Navy et la Royal Air Force.

Dans les faits, le Royaume-Uni conserve la possibilité d'intervenir largement dans l'administration de chacun de ces territoires. Son rôle est en effet, non seulement de garantir la sécurité et la défense, mais aussi « garantir la bonne gouvernance, promouvoir un développement politique, économique et social durable ». Dans le domaine en principe dévolu aux autorités locales, Londres dispose de larges possibilités d'intervention :

· les territoires doivent remettre des rapports annuels sur les activités du secteur public ;

· dans le domaine financier, la compatibilité entre la législation locale et les normes internationales est demandée à travers le respect d'une « check-list » ;

· chaque territoire doit s'entendre avec le Royaume-Uni sur un niveau d'endettement maximum et, dans certains cas, un accord préalable sur chaque emprunt est nécessaire. L'accord de Londres est requis au cas par cas pour les garanties d'emprunt accordées par les autorités locales ;

· les territoires caribéens - ou certains d'entre eux - dépendent également de l'aide financière que leur verse Londres : c'est le cas d'Anguilla, des Îles vierges, de Montserrat et de Turks et Caicos. Celle-ci prend la forme d'aides aux infrastructures, d'une assistance technique, d'une subvention de fonctionnement (Montserrat) et d'une subvention destinée à faciliter l'intégration régionale.

Il est donc impossible aux autorités britanniques d'alléguer qu'elles sont incapables de peser sur les choix politiques et économiques de ces territoires.

Les critiques de plus en plus nombreuses adressées aux centres offshore situés au sein de l'Union européenne, qu'elles soient fondées sur la nécessité de lutter contre la concurrence fiscale dommageable ou sur celle de donner une réalité aux politiques de construction européennes, conduit au transfert progressif des mécanismes et opérations les plus troubles à des territoires situés aux marches de la sphère d'influence britannique

Le tableau ci-dessous, issu du US State Department Report 1999 résume certaines des caractéristiques financières, fiscales et pénales de ces territoires.

 

Anguilla

Bermudes

Iles Caymans

Iles Vierges

Montserrat

Turks et Caicos

Nombre de banques offshore

2

3

584

13

n.d.

n.d.

Existence de trusts

Oui

Oui

Oui

Oui

n.d.

Oui

Nombre de bénéficiaires de régimes IBCs31 ou de non-imposition

1 500

10 216

44 000

304 000

n.d.

13  300

Possibilité d'émettre des actions au porteur (bearer shares)

Oui

Non

Oui

Oui

Oui

Oui

Présence de sociétés d'assurance et de réassurance

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Possibilité de domiciliation économique

Non

Non

Non

Non

Non

Non

Vente de services par Internet

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Jeux de hasard par Internet

Non

Non

Non

Non

Non

Non

Répression pénale du blanchiment de l'argent de la drogue (I) ou du trafic de drogue (II)

I

II

II

II

I

II

Signalement des activités suspectes : obligatoire (I), possible (II), non demandé (III)

II

I

I

I

III

I

Coopération avec les autorités internationales

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Adhésion à des mécanismes ou institutions internationaux : Asia-Pacific Group (I), Carribbean Financial Action Task Force (II), Council of Europe Select Committee on Money Laundering (III), Financial Action Task Force (IV), Offshore Group of Banking Supervisors (V), Inter-American Drug Abuse Control Commission (VI)

II

II,V

II,V

II

II

II

L'essor de ces îles ne peut s'expliquer que par leur stratégie affichée de se positionner en pseudopodes de la finance anglo-saxonne et de constituer autant de territoires satellites propres à accueillir les opérations bancaires les moins présentables.

Le Royaume-Uni semble néanmoins souhaiter que ces territoires présentent une façade acceptable.

Le ministère des affaires étrangères britannique a donc commandé une étude sur ce sujet au cabinet de conseil international KMPG, publiée au cours de l'année 2000 sous le titre Review of Financial Regulation in the Caribbean Overseas Territories and Bermuda. Les carences soulignées dans ce rapport, avec une vigueur qui fait honneur au sens britannique de la litote, ont donné lieu à des adaptations ou modifications qui n'apparaissent, dans l'ensemble, que marginales.

CONCLUSION

Quinze ans après avoir provoqué le big bang (1986) de la planète financière et défendu la libéralisation sans condition des flux de capitaux, le Royaume-Uni a dû affronter une série de scandales financiers que les professionnels de la finance chargés de s'autoréguler n'ont pas été en mesure de prévenir (Lloyds, affaire Maxwell, scandale de la Barings et de la BCCI...).

Si le Royaume-Uni s'est doté en 1993 d'une réglementation préventive anti-blanchiment (les Régulations), c'est en application de la directive européenne de 1991 qui nécessitait une transposition.

Depuis 1997, tirant les leçons de l'échec de la politique d'autorégulation, le Royaume-Uni tente, avec la création d'une autorité financière unique, la Financial Services Authority (FSA), de réguler, au niveau étatique, ses services et ses marchés financiers.

Quatre ans plus tard, le bilan de la lutte anti-blanchiment au Royaume-Uni reste cependant bien maigre.

La non-participation d'un grand nombre de banques qui ne font aucune déclaration de soupçon ne peut manquer d'inquiéter lorsqu'on sait par ailleurs que les systèmes de détection et de prévention du risque de blanchiment mis en place dans de très nombreux établissements présentent de très graves lacunes.

L'enquête menée par la FSA auprès des banques ayant accueilli les fonds d'origine criminelle du dictateur Sani Abacha et de son entourage a corroboré ce constat.

La priorité que la FSA entend désormais accorder aux actions de sensibilisation et au renforcement des procédures de contrôle est un préalable nécessaire mais qui ne dispensera pas l'Autorité financière d'engager des actions plus dures de sanction à l'encontre des établissements qui ne respecteraient pas pleinement les normes anti-blanchiment.

Les déclarations faites en ce sens par les responsables de la FSA à la Mission laissent espérer un changement notable sur ce point.

En revanche, l'utilisation des professionnels du droit et de la comptabilité (avocats, notaires, agents spécialisés dans la création de sociétés, comptables...) comme clé d'accès à des mécanismes juridiques ou financiers permettant de blanchir des capitaux en recourant à des sociétés écran ou des trusts est extrêmement préoccupante.

Alors que ce constat est établi aussi bien par le GAFI que par les autorités du NCIS et de la FSA, le gouvernement britannique ne manifeste aucune volonté politique sérieuse visant à réglementer des professions comme les agents créateurs de sociétés qui échappent aujourd'hui à l'autorité de la FSA ou à exiger en matière commerciale des conditions plus rigoureuses de création de sociétés auxquelles seraient imposées des obligations renforcées de transparence et d'identification.

Toutefois, l'engagement d'une réflexion sur l'environnement juridique commercial des structures offshore qui opèrent sur la place de Londres est indissociable de l'action de démantèlement des territoires offshore, entreprise depuis quelques années au niveau international.

La multiplication et la croissance des centres financiers offshore conduisent immanquablement à s'interroger sur la façon dont certains entendent exercer leurs activités financières.

En effet, les centres offshore ne peuvent se développer impunément en violant les règles universelles de bonne conduite qui impliquent une surveillance des acteurs, une coopération judiciaire et un échange d'informations régulier entre Etats.

C'est cet objectif de respect des normes internationales par les centres offshore que le Forum de stabilité financière, réuni pour la première fois en avril 1999 à l'initiative du G7, entend réaliser.

La Mission soutient pleinement cette démarche et approuve la position de M. Andrew Edwards qui estime que « rien ne vaut la publication des résultats pour faire bouger les centres. » Les centres offshore doivent avoir le sentiment d'une imprescriptibilité des poursuites par la communauté financière internationale, tant qu'ils ne s'amélioreront pas et ne se conformeront pas aux exigences de régulation et de coopération internationales.

Les centres financiers offshore non régulés ne représentant pas seulement un risque pour la stabilité financière internationale, ils restent avant tout des zones de non-droit et des paradis de la délinquance financière.

Aucun des grands pays de la communauté internationale ne peut se satisfaire aujourd'hui d'entretenir sans réagir des relations avec des territoires offshore non coopératifs qui demeurent historiquement dans la mouvance institutionnelle, culturelle ou politique de ces Etats.

Les années récentes attestent d'une prise de conscience du Royaume-Uni de mettre fin aux aspects les plus contestables des choix opérés par des territoires relevant, in fine, de son autorité.

Après le temps du constat, dont le rapport Edwards représente l'élément emblématique, est venu maintenant celui de l'action.

Tout en reconnaissant les progrès accomplis par les Dépendances de la Couronne, les experts de l'OGBS les ont néanmoins qualifiés, en juin 2001, de juridictions en transition.

Le Royaume-Uni qui entretient des liens institutionnels avec les Dépendances de la Couronne et les Territoires « overseas » ne peut rester indifférent aux conclusions de ces récentes évaluations.

La lutte engagée au niveau international contre les paradis fiscaux, bancaires et juridiques d'une part, les engagements pris par les Etats de l'Union européenne à Tampere en octobre 1999 d'autre part, ne peuvent qu'entraîner le Royaume-Uni dans une réflexion générale sur l'encadrement du système financier international, le recours à des mécanismes juridiques du type trust, la réglementation de tous les acteurs financiers et le renforcement de la coopération judiciaire.

EXAMEN DU RAPPORT

La Mission d'information a procédé à l'examen du rapport de M. Arnaud Montebourg au cours de sa séance du 3 octobre 2001.

Le Président Vincent Peillon a rappelé que cette quatrième monographie sur le Royaume-Uni, Gibraltar et les Dépendances de la Couronne, s'inscrivait dans la continuité des précédents travaux de la Mission consacrés aux pays posant des difficultés au regard de la lutte anti-blanchiment.

Après le Liechtenstein, Monaco et la Suisse, la Mission s'est intéressée à la situation d'un pays membre de l'Union européenne et, plus particulièrement, à la place de Londres, première place financière au monde.

Sans se départir des méthodes de travail qui sont les siennes depuis l'origine, la Mission s'est constamment appuyée sur des faits et des témoignages venant de l'extérieur ou des britanniques eux-mêmes, pour se forger une opinion et établir ses conclusions.

Aussi sévère soit-il, le rapport consacré à la Grande-Bretagne et à certaines de ses juridictions de proximité - Jersey, île de Man et Gibraltar où la Mission s'est également rendue en plus des deux déplacements effectués à Londres - n'est cependant rien d'autre que l'expression d'une réalité.

La City, première place financière du monde, reste très vulnérable au blanchiment - les autorités britanniques en conviennent très officiellement - et la récente actualité n'a fait qu'illustrer cette perméabilité des réseaux bancaires et financiers de la place de Londres.

A cette constatation, s'ajoutent les plaintes de l'ensemble des magistrats européens - belges, espagnols, français, suisses... - qui ont unanimement dénoncé la quasi-impossibilité d'obtenir toute coopération judiciaire tant de la part des autorités britanniques que de celles des îles anglo-normandes ou des territoires « overseas » (Gibraltar, îles Vierges britanniques, Caïman, etc.).

Depuis 1997, le gouvernement travailliste a pris conscience de la menace que constitue le blanchiment et la délinquance financière pour l'avenir de la City et a décidé, avec la création d'une Autorité financière unique, la FSA, de rompre avec la politique d'autorégulation menée par les conservateurs.

Néanmoins, quatre ans plus tard, aucun changement significatif ne s'est véritablement produit et les acteurs financiers continuent d'ignorer leurs obligations de diligence, comme l'ont montré l'enquête sur les « fonds Abacha », 1,3 milliard de dollars, déposés dans les banques de Londres et les derniers résultats relatifs au nombre dérisoire de déclarations de soupçons faites en l'an 2000 par les professions non financières.

En conclusion, le Président Vincent Peillon a déclaré que les événements tragiques du 11 septembre 2001 devaient conduire l'ensemble de la communauté internationale à davantage de détermination dans la lutte anti-blanchiment et a souhaité que le Royaume-Uni, particulièrement touché en raison du poids de son économie financière, s'engage pleinement dans la voie de la coopération.

Le Rapporteur, Arnaud Montebourg a préalablement fait état des évolutions politiquement non négligeables survenues dans les différents pays où la Mission s'est rendue.

Il a ainsi rappelé la modification de la législation anti-blanchiment au Liechtenstein lors de l'arrivée au pouvoir de nouveaux représentants politiques ainsi que le réveil de l'autorité judiciaire qui a prononcé des condamnations pour blanchiment.

De même, les relations franco-monégasques sont-elles actuellement remises à plat.

Quant aux autorités suisses, après avoir réagi très vivement aux critiques des parlementaires français, celles-ci ont progressivement admis les failles de leur législation anti-blanchiment (loi-cadre, dite LBA) et certains articles de presse reconnaissent maintenant le caractère fondé et juste des observations de la Mission.

Aujourd'hui, la Mission, souvent critiquée pour ne s'en prendre qu'aux « petits pays faibles », tient à l'encontre de la place financière la plus puissante du monde le même langage international de revendication et reprend à son compte une volonté exprimée, ailleurs, en son temps, par les magistrats de l'Appel de Genève.

Même si la Grande-Bretagne s'est engagée, avec la création d'une autorité financière unique (la Financial Services Authority, FSA), dans une nouvelle politique, elle accuse encore aujourd'hui un retard préoccupant dans la lutte anti-blanchiment, retard d'autant plus inquiétant au regard de sa puissance financière.

Les nouveaux pouvoirs de sanctions ne seront attribués à la FSA qu'à la fin de l'année ; le nombre des déclarations de soupçons reste l'apanage d'une poignée de grandes banques et les professionnels du droit - avocats, notaires, conseillers juridiques...- qualifiés par le GAFI « d'ouvreurs de porte » aux blanchisseurs, sont quasiment absents du combat anti-blanchiment alors qu'ils sont plusieurs dizaines de milliers sur la place de Londres.

Quant à la coopération judiciaire, on peut sans se méprendre considérer qu'elle constitue le problème numéro un du Royaume-Uni.

La Grande-Bretagne fait du compte bancaire un attribut des libertés individuelles protégées par l'habeas corpus, ce qui heurte nécessairement les conceptions du droit romain.

Aujourd'hui, l'exaspération est générale envers l'autorité judiciaire britannique compétente en matière de coopération, y compris de la part des policiers britanniques eux-mêmes qui désespèrent d'avoir sans cesse à apporter « la preuve de la preuve » de ce qu'ils souhaitent obtenir.

Ce manque de coopération est inacceptable de la part d'un pays membre de l'Union européenne. Il contribue à faire de la City, mais aussi de tous les territoires de common law avec lesquels la Couronne entretient des relations privilégiées, des sanctuaires de l'argent sale, comme le souligne le titre même de ce rapport : « La Cité de Londres, Gibraltar et les Dépendances de la Couronne : des centres offshore, sanctuaires de l'argent sale ».

La place de Londres, on l'a dit, reste vulnérable et perméable au blanchiment. A cet égard, la Mission a estimé intéressant de porter à la connaissance du public un document de synthèse relatif à l'environnement économique d'Oussama ben Laden et présenté de façon anonyme pour préserver la sécurité de ses auteurs.

Les fonds d'origine criminelle qui ont pu trouver refuge au Royaume-Uni, circulent et s'investissent en réalité dans un ensemble géographique plus large, satellite de la Grande-Bretagne, constitué par les Dépendances de la Couronne et les territoires « overseas ».

Au terme des déplacements qu'elle a effectués et des entretiens qu'elle a pu avoir, la Mission estime que ces juridictions sont à l'heure actuelle de dynamiques centres offshore, paradis fiscaux, bancaires et judiciaires envers lesquels les Britanniques doivent faire pression plus fortement qu'ils ne l'ont fait jusqu'à présent pour obtenir de ces territoires l'application effective des normes juridiques internationales et la coopération judiciaire indispensable à la poursuite des affaires criminelles.

M. Gilbert LE BRIS a partagé, pour avoir participé il y a un an aux déplacements de la Mission, l'analyse du rapporteur sur les îles britanniques et Gibraltar.

Il a dit en avoir retiré le souvenir d'interlocuteurs à la fois peu disposés à faire évoluer les principes juridiques de la common law même si leur application conduit à une paralysie de la coopération judiciaire internationale, et peu empressés à la perspective de remettre en cause les bases juridiques et fiscales qui, jusqu'à présent, leur ont assuré un fort développement économique au prix d'une grande indulgence sur l'origine des fonds qui viennent s'investir.

Il a conclu en donnant son approbation à la publication de ce rapport.

M. Jacky DARNE a également souscrit à l'analyse contenue dans ce rapport et a souhaité que le compte rendu des entretiens avec les différentes personnes rencontrées figure, comme de coutume, en annexe du rapport.

Dans la perspective du rapport final, il a suggéré la tenue de réunions préparatoires thématiques (coopération judiciaire, contrôle financier, problématique fiscale...) afin que la Mission puisse achever ses travaux en formulant une série de propositions.

Il a conclu en indiquant qu'il approuvait la publication de cette monographie sur le Royaume-Uni et ses Dépendances.

Le Président Vincent Peillon a confirmé la publication des auditions et s'est dit favorable à la tenue de réunions de travail préparatoires.

La Mission s'est prononcée en faveur de la publication de ce rapport.

EXPLICATIONS DE VOTE

EXPLICATIONS DE VOTE DU GROUPE DÉMOCRATIE LIBÉRALE

Le groupe Démocratie Libérale approuve le contenu et les conclusions du rapport de la Mission d'information sur le blanchiment des capitaux relatif à la Grande-Bretagne et à ses dépendances. Ce rapport met utilement en relief l'importance considérable des facilités juridiques et fiscales offertes par les îles de Jersey et Guernesey et l'île de Man pour la City de Londres. Il déplore également les difficultés de la coopération judiciaire avec le Royaume-Uni pour lutter contre le blanchiment de l'argent du crime organisé et du terrorisme.

La lutte contre le blanchiment de l'argent du crime organisé et du terrorisme passe d'abord par une volonté politique de tous les Etats ainsi que de l'Union européenne. Elle suppose l'élimination des paradis juridiques et fiscaux existants, qu'ils soient directement ou indirectement sous l'autorité des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas, de la France ou constitués de pays souverains comme la Suisse ou le Luxembourg.

Cette lutte implique aussi que cesse l'aveuglement conscient ou inconscient de bon nombre de responsables politiques et financiers ainsi que des autorités de régulation bancaire sur les circuits, les intermédiaires et les structures juridiques utilisés pour les transferts et la gestion de l'argent sale.

EXPLICATIONS DE VOTE DU GROUPE R.P.R.

La monographie consacrée à la Grande-Bretagne dénonce avec raison les facilités de blanchiment de l'argent sale et de financement du terrorisme de la place financière de Londres.

S'agissant de l'un des plus grands centres financiers du monde, des flux très importants de capitaux en inondent les marchés.

En raison du manque de coopération judiciaire, de l'existence des centres offshore que représentent, les îles anglo-normandes de Jersey, Guernesey et Man, la Grande Bretagne tolère des territoires de non-droit, qui sont de véritables lieux à blanchir l'argent du crime.

Il faut noter néanmoins la volonté politique des autorités de se doter d'une réglementation très élaborée et d'un système de surveillance illustré par la création de la Financial Services Authority (F.S.A).

Il s'agit d'une autorité unique de contrôle et de réglementation des services financiers dotée de pouvoirs disciplinaires renforcés, expressément chargée de la lutte contre le blanchiment des capitaux.

En raison de la gravité de la situation mondiale liée aux attentats terroristes du 11 septembre dernier, la lutte contre le blanchiment de l'argent sale et le financement du terrorisme prend une acuité toute particulière.

Si la Mission parlementaire a _uvré avec sérieux et objectivité sur les lacunes de la lutte contre le blanchiment, il convient de noter la volonté de la Grande-Bretagne de se doter d'instruments de lutte efficace.

La France serait bien inspirée aussi d'_uvrer à une plus grande coordination des services de lutte contre le blanchiment. C'est tout le sens de la proposition de loi déposée par M. Michel Hunault en vue de créer un observatoire de lutte contre le blanchiment de l'argent sale et le financement du terrorisme. Car, par hypothèse, les mouvements financiers ne connaissent pas les frontières et l'identification des flux est particulièrement complexe.

Le Groupe RPR considère que cette monographie doit être une contribution permettant de révéler les manquements, non pas de la réglementation et de structures britanniques plutôt performantes, mais bien plus des difficultés liées à leur application résultant de la complicité d'intermédiaires et de professionnels peu soucieux des valeurs éthiques.

1 House of Commons, Select Committe on International Development Examination of Witnesses (questions 173-179) 21 novembre 2000.

2 La Financial Services Authority (FSA) est l'autorité unique de contrôle et de régulation du secteur financier.

3 The City's importance to the European Union Economy - Rapport de la Corporation of London. Année 2000

4 Article d'Antonia Feuchtwanger - La Tribune des Marchés du 24 avril 2001.

5 Classement 2000 établi par Thomson Financial Investor, dépêche du 15 juin 2000 - Company News.

6 Economy info. Economy of the City of London. Economic Development Unit. Septembre 2000.

7 London's contribution to the UK Economy - juillet 2001.

8 Economic Development Unit : The City's importance to the European Union Economy - 2000

9 Recovering the proceeds of crime- confisquer les produits du crime - voir notamment chapitres 8 et 9. Travaux du Cabinet Office's Performance and Innovation Unit (PIU) - juin 2000.

10 Select Commitee on International Development - voir notamment 4ème rapport.

11 Select Committee on International Development : Memorandum Submitted by the NCIS, the NCIS and the role of the ECU extrait du point 8, novembre 2000.

12 La lutte contre le recyclage de l'argent du crime organisé - rapport final juin 2000, p. 39, de MM. Dominique Garabiol et Bernard Gravet.

13 Recovering the proceeds of crime, chapitre 9, p. 2 et suiv.

14 Recovering the proceeds of crime, chapitre 9, Tightening the Money Laundering regime.

15 Sur cette question, voir Monographie de la Mission : « La lutte contre le blanchiment des capitaux en Suisse : Un combat de façade ».

16 Consultation paper n° 46 - Money Laundering : the F.S.A.'S new role - avril 2000, publication de la F.S.A.

17 Financial Services Authority - Money Laundering : The F.S.A.'S new role. Policy Statement on consultation and decisions on rules - janvier 2001

18 Sur cette question, voir The Money Laundering Theme, Annexe B, publié par la FSA en juillet 2001.

19 Voir notamment article de John Willmann, Financial Times du 3 octobre 2001.

20 Recovering the proceeds of crime, chapitre 8, a new legislative attack.

21  GAFI, Rapport annuel sur les typologies du blanchiment, février 2001, p. 9, 13 et suiv.

22 Article de James Mackintosh, Financial Times du 1er août 2001.

23 Article de M. Christopher Swann, Financial Times du 1er octobre 2001.

24 The Money Laundering Theme Tackling out our new responsibilities - Publication de la FSA, juillet 2001.

25 C'est notamment le cas des mécanismes de taxation dérogatoire des entreprises immatriculées dans les îles mais effectuant l'essentiel de leurs activités à l'extérieur de leur territoire.

26 Source : Edwards (A)., Review of financial regulation in the Crown dependencies, I : Summary and main conclusions, § S7.

27 Maliniak (Th.), « La britannique Gibraltar se rêve en centre offshore », La Tribune, 6 sept. 2001.

28 Auparavant, il appartenait à la commission du Parlement compétente (Finance and Economics Committee of the Island Parliament) de faire office de régulateur.

29 B.B.A. Equivalence Status of other countries for the purpose of the UK Money Laundering Regulation, Appendix D, novembre 2000.

30 Source : OGBS, Résumés des évaluations mutuelles effectuées par le Groupe des autorités de contrôle bancaire des centres extraterritoriaux, § 4.

31 Les régimes IBCs (International Business Corporations) permettent aux sociétés d'agir dans le plus strict anonymat. Elles constituent la forme moderne des sociétés écran et leur utilisation est fréquente dans les mécanismes internationaux de blanchiment d'argent.