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N° 2449

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 31 mai 2000.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1)

sur la mission effectuée par une délégation de la Commission

au Timor oriental

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. PIERRE BRANA et ROLAND BLUM,

Députés

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Affaires étrangères

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. François Loncle., président ; MM. Gérard Charasse, Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, vice-présidents ; MM. Roland Blum, Pierre Brana, Mme Monique Collange, , secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, Maxime Bono, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge,  Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Jean-Michel Ferrand, Raymond Forni, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Jean-Claude Lefort, Guy Lengagne, François Léotard, Pierre Lequiller, Alain Le Vern, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Jean-Claude Mignon, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, François Rochebloine, Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. René Rouquet, Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, MM. Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Philippe de Villiers, Jean-Jacques Weber.

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I - LA CONQUÊTE D'UNE INDÉPENDANCE 7

A - UN CONFLIT OUBLIÉ 7

1) Le retrait des Portugais 7

2) L'occupation indonésienne 8

3) L'acceptation d'un référendum d'autodétermination 12

B - L'INDÉPENDANCE AU PRIX DU SANG 14

1) L'organisation du référendum du 30 août 1999 14

2) Massacres et déportations 15

3) Le sursaut de la communauté internationale 16

II - UNE RECONTRUCTION DE LONGUE HALEINE 19

A - UNE PÉRIODE DE TRANSITION DIFFICILE 19

1) Une situation humanitaire rétablie 19

2) Une reconstruction politique et administrative 22

3) Une sécurité fragile 24

B - DES PERSPECTIVES ENCORE INCERTAINES 25

1) L'impatience des Timorais 25

2) Les incertitudes politiques 26

3) La réconciliation nationale 26

CONCLUSION 29

EXAMEN EN COMMISSION 31

ANNEXES 33

Mesdames, Messieurs,

Ce devait être la fin victorieuse d'un combat mené depuis plus de vingt ans, à la fois contre l'armée d'occupation indonésienne et l'indifférence de la communauté internationale. On attendait du référendum pour l'autodétermination du Timor Est, organisé sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies (ONU), le 30 août 1999, qu'il mette fin aux souffrances d'un peuple ayant payé de plus du tiers de sa population (trois cents mille victimes) la politique de « pacification » menée par l'Indonésie depuis l'invasion de 1975. Mais ce référendum fut au contraire le début d'une nouvelle vague de massacres de plusieurs milliers de personnes et de déportations de quelques centaines de milliers d'autres.

Pendant plusieurs semaines, des milices armées ont fait régner la terreur sur le territoire timorais, tuant et brûlant tout ce qu'elles rencontraient sur leur passage. Une fois de plus, la communauté internationale, présente au moment des faits, n'a pas su défendre ceux qu'elle aurait dû savoir protéger. Pourtant, ce scénario catastrophe ne pouvait être considéré comme imprévisible, nous le démontrerons au cours de ce rapport.

Aujourd'hui, le Timor est régi par une Administration provisoire des Nations Unies. Quelle est la situation sur le terrain ? Quelles sont les perspectives d'avenir pour le peuple timorais ? En quoi la France peut lui apporter son aide ? Voilà les questions auxquelles nous nous sommes efforcés d'apporter des éléments de réponse dans ce rapport, après une mission au Timor du 11 au 14 avril 2000.

Il n'est peut-être pas inutile, en guise d'introduction, de rappeler certaines données géographiques et historiques. L'île de Timor, qui s'étend sur 32 000 km² - soit à peu près la superficie de la Hollande - est située à environ 500 kilomètres de la côte nord de l'Australie. Contrairement à la plupart des autres îles de la région, Timor n'est pas d'origine volcanique mais de formation géologique. Selon la tradition religieuse animiste, il s'agirait en fait d'un monstrueux crocodile qui, se dirigeant vers le sud, émergea peu à peu des eaux, pour se transformer finalement en île. Cette légende constitue l'argument poétique que l'on donne habituellement comme explication à l'orientation un peu curieuse de l'île et à sa position tampon entre les monde malais et australien.

La division de l'île en deux entités - le Timor oriental et le Timor occidental - s'explique par l'histoire coloniale. Les navigateurs portugais sont arrivés dans les mers chaudes d'Asie - et tout particulièrement à Timor - au XVIème siècle ; l'installation des premiers prêtres dominicains portugais a marqué profondément l'évolution culturelle et religieuse de cette île. L'arrivée des Hollandais à Kupang - dans la zone ouest - en 1613 obligea les Portugais à se replier dans le nord et l'est de l'île. Un partage définitif du territoire fut réalisé en 1859, après des années de combats intermittents, et il se concrétisa dans un traité signé en 1904 par le Portugal et la Hollande. Puis, alors que le Timor hollandais occidental devenait partie intégrante de l'Indonésie le 17 août 1945, une fois obtenue la reddition du Japon qui avait envahi et occupé en 1942 les Indes orientales hollandaises, le Timor oriental (1) pour sa part continua à être administré de très loin par le Portugal, jusqu'en 1975, année de son invasion par l'Indonésie.

Le relief de Timor Est est très escarpé et ne compte pas moins de dix sommets dépassant les 1 500 mètres d'altitude. Ce caractère accidenté a une extrême importance car il permet de comprendre les difficultés rencontrées d'abord par les Portugais, puis par les Indonésiens, pour venir à bout de la résistance timoraise.

Ainsi, comme on le voit, le Timor fut très tôt fut le jouet des appétits ou de l'indifférence des grandes puissances européennes et de celles de la région.

I - LA CONQUÊTE D'UNE INDÉPENDANCE

L'histoire du Timor depuis la seconde guerre mondiale ressemble à une longue suite d'exactions que la communauté internationale a longtemps choisi d'ignorer, soucieuse qu'elle était de ne pas heurter de front les intérêts de l'Indonésie.

A - Un conflit oublié

1) Le retrait des Portugais

En dépit du mouvement général favorable à la décolonisation qui suivit la seconde guerre mondiale, le processus d'indépendance du Timor Est, comme celui des autres colonies portugaises, n'a débuté qu'après la « révolution des _illets » d'avril 1974.

Le Portugal s'était peu intéressé au développement du Timor : « Tout s'est passé, écrit Gabriel Defert dans son ouvrage « Timor Est : le génocide oublié » paru en 1992 (éditions Harmattan), comme si l'île n'existait plus pour personne. (...) Le fait est qu'entre 1952 et la chute du régime dictatorial portugais en avril 1974, jamais un Président ou un Premier ministre ni même un Ministre des Colonies ne s'est arrêté à Timor ne serait ce que pour y passer quelques heures. Le territoire semble avoir eu pour seule fonction d'accroître « la superficie » et le « poids international » du Portugal ».

Et de fait, les Portugais se contentaient de tirer quelques profits de la culture du café et du commerce du bois de santal, sans chercher à investir ni dans les infrastructures, ni dans l'éducation. Le régime salazariste avait cependant trouvé une utilité à Timor et l'avait transformé en lieu de déportation pour nombre de communistes, de socialistes ou de libéraux accusés de complot contre l'Etat ou tout simplement d'opposition au régime. Un bon nombre de leaders politiques importants du Timor des années soixante-dix sont issus des mariages de ces déportés avec des femmes timoraises.

En accord avec les principes démocratiques rétablis le 25 avril 1974, le nouveau gouvernement portugais établit un programme de décolonisation et reconnaît les partis politiques. Trois forces politiques timoraises émergent alors qui préconisent des solutions différentes concernant le futur statut du territoire. L'Union démocratique timoraise (UDT) défend une autonomie progressive fondée sur le maintien de liens étroits avec le Portugal. L'Association sociale démocrate timoraise, qui deviendra peu après le Front révolutionnaire pour l'indépendance du Timor oriental (le FREITILIN) combat pour le droit à l'indépendance. Enfin, l'Association populaire démocratique timoraise (l'APODETI) propose l'intégration à l'Indonésie. La compétition et la dégradation des relations entre ces partis vont favoriser la montée des pressions et des interventions de l'Indonésie.

Car de son côté, l'Indonésie observe l'évolution de la situation au Timor Est avec une certaine inquiétude ; les militaires, obsédés par le « spectre communiste » auquel ils assimilent - à tort - le Freitilin, craignent l'établissement d'un nouveau Cuba à leur porte. Ils redoutent également qu'un Timor Est indépendant ne devienne un modèle pour les mouvements séparatistes de l'archipel. C'est pourquoi, jouant sur les divisions des partis politiques, ils entretiennent au Timor une campagne de déstabilisation, connue sous le nom « opération Komodo », dont le but ultime est l'annexion du territoire.

Une brève guerre civile éclate en août 1975, opposant l'ADT et l'APODETI au FREITILIN. Ce dernier parti sort vainqueur de cette lutte alors que le Portugal abandonne « de facto » ses responsabilités au Timor, un abandon symbolisé par la fuite secrète du gouverneur portugais, en plein milieu de la guerre civile. Le Freitilin, qui doit faire face à certaines tentatives d'incursion de la part de l'Indonésie, proclame l'indépendance de la République démocratique du Timor Est le 28 novembre 1975. Cette République n'aura qu'une existence éphémère puisque neuf jours plus tard, le 7 décembre, l'armée indonésienne débarque à Dili et organise l'occupation militaire du territoire en dépit de la résistance timoraise.

2) L'occupation indonésienne

Une des premières préoccupations de Jakarta, alors même que son armée ne contrôlait pas encore l'ensemble du territoire timorais - une guérilla importante subsista jusqu'au début de l'année 1979 - fut de créer ex nihilo de pseudo-institutions représentatives et de mettre sur pied une administration pro-indonésienne. La première décision de la nouvelle « Assemblée représentative populaire » dont les membres furent choisis par les autorités indonésiennes fut de réclamer à l'unanimité le retour ( !) du Timor oriental à l'Archipel indonésien. Le parlement indonésien s'empressa évidemment d'accéder à cette requête et le 17 juillet 1976, le Timor oriental devint la 27ème province de l'Indonésie.

Du fait de la résistance des Timorais - dont les combattants s'étaient réfugiés dans les montagnes -, Jakarta maintint en permanence une forte présence militaire destinée à garantir l'emprise indonésienne sur le territoire. De facto, l'armée - et plus particulièrement les Kopassus, c'est-à-dire les troupes spéciales d'intervention - exerçait la totalité du pouvoir. Au fil du temps, elle mit la main sur les richesses naturelles du Timor et en particulier, le café. Elle détournait également une part du budget que l'Etat indonésien allouait chaque année au territoire.

Loin de chercher à gagner la sympathie de la population timoraise dans l'espoir d'une future légitimation démocratique de l'occupation, les militaires choisirent au contraire la violence comme mode de gouvernement. La torture, les viols, les meurtres, les déportations, les mises en scènes les plus macabres, les stérilisations forcées, les arrestations arbitraires, les armes chimiques comme le napalm, furent utilisés comme moyen légitime et adéquat pour combattre la Résistance. Les camps de regroupement et de détention se multiplièrent, qui regroupèrent nombre de Timorais, laissés sans soins médicaux, sans hygiène et sans terrains de culture ; la faim et la maladie ont tué des milliers de gens dans ces camps.

Une telle stratégie de répression trouvait sa source selon Gabriel Defert « dans le mode de conditionnement des troupes, le sentiment de supériorité affiché par les javanais et les différences culturelles - tentative d'imposer le bahasa indonésien comme langue de communication -, religieuses - islam contre catholicisme - et « raciales » - encouragement aux migrants en provenance d'Indonésie - dont l'affirmation a été sensiblement exacerbée par la guerre ».

Plutôt que de multiplier les exemples - innombrables - de violations des droits de l'Homme par les Indonésiens, mis en exergue dans les rapports d'Amnesty international ou de Human Rights Watch en dépit de l'interdiction de séjour au Timor des journalistes occidentaux, vos Rapporteurs préfèrent souligner quelques chiffres particulièrement expressifs. En 1975, au moment de l'invasion, la population timoraise est estimée à un peu moins de 700 000. En 1981, selon un recensement de l'Eglise catholique, elle est tombée à 425 000. En tenant compte du taux d'accroissement naturel, on peut donc estimer à 300 000 morts le coût de la politique d'intégration du Timor à l'Indonésie. Pour José Ramos-Horta, qui représenta pendant vingt ans le peuple timorais aux Nations Unies, « toute l'évidence disponible mène à une conclusion : les actions de l'Indonésie au Timor oriental sont un crime de génocide tel que le définit la Convention des Nations Unies sur la prévention et la punition du crime de génocide » (José Ramos Horta, La saga du Timor oriental, Favre, 1996).

Face à cette violation caractérisée des droits de l'Homme et de l'ordre juridique international, l'ONU se contenta d'un « service minimum ». Certes, à la demande du Portugal, le Conseil de sécurité adopta, le 22 décembre 1975, la résolution 384 qui reconnaît « le droit inaliénable du peuple du Timor oriental à l'autodétermination et à l'indépendance » et demande au gouvernement indonésien de « retirer sans délai » toutes ses forces du territoire. Il réitère cette position en approuvant le 22 avril 1976 la résolution 389, quasiment identique à la première. Cette résolution appelle à nouveau les autorités indonésiennes à retirer, cette fois « sans tarder », toutes leurs forces du territoire.

Puis les Nations Unies se sont progressivement désintéressées de la question timoraise. L'Assemblée générale se contenta d'adopter chaque année, de 1975 à 1982, des résolutions au contenu de plus en plus en faible - dès 1977, il n'est plus question du retrait des troupes indonésiennes -regroupant de moins en moins de partisans. L'ensemble de ces résolutions resta bien sûr sans le moindre effet sur l'Indonésie, et la communauté internationale ne s'en émut pas outre mesure. « Il était clair, écrit José Ramos-Horta, que ni Waldheim - alors Secrétaire général de l'ONU -, ni les grandes puissances ne cherchaient à résoudre le cas du Timor, et qu'ils souhaitaient tous que la question du Timor s'évanouisse dans les airs ».

Cet attentisme, ce que d'aucuns ont même appelé cette complicité, de la communauté internationale s'explique pour plusieurs raisons.

L'attitude des Etats-Unis fut dictée par le syndrome cubain et leur peur de voir le communisme gagner du terrain en Asie du sud-est ; successivement, le Cambodge était tombé aux mains des Khmers rouges et Saïgon entre celles du Nord Viet-Nam. S'ils ne donnèrent peut-être pas formellement leur accord à l'invasion indonésienne, les Etats-Unis ne firent rien pour s'y opposer, alors même qu'ils disposaient de moyens de pression considérables : l'armée indonésienne était engagée dans un programme de modernisation et sa réalisation dépendait principalement de la générosité des Etats-Unis. Les livraisons d'armes américaines à l'Indonésie avaient été multipliées par quatre entre 1974 et 1975. La veille de l'invasion, le 6 décembre 1975, le Président Gérald Ford et son conseiller Henry Kissinger terminaient une tournée asiatique par un bref séjour à Jakarta. Les Etats-Unis du reste ne feignirent pas longtemps la désapprobation : ils choisirent de s'abstenir - comme le Japon - dès le vote de la résolution 389 d'avril 1976.

L'Australie alla encore plus loin dans l'attitude pro-indonésienne puisqu'elle accepta de procéder officiellement en décembre 1978 à une reconnaissance de jure de la souveraineté indonésienne sur le Timor. Cette « trahison », comme l'a qualifié José Ramos-Horta, trouve son explication dans plusieurs éléments : la présence dans la mer de Timor d'importantes réserves pétrolières à l'exploitation desquelles les milieux d'affaires australiens souhaitaient être associés ; la volonté de ne pas se couper en termes de commerce et d'investissement du riche marché indonésien ; le désir de renforcer ses amitiés avec l'ensemble des pays asiatiques qui soutenaient l'Indonésie.

L'Union soviétique et les démocraties populaires adoptèrent également un profil bas sur la question du Timor. L'Indonésie n'ayant jamais accepté la présence de bases américaines sur son territoire - à l'inverse de la Corée du sud, des Philippines ou de la Thaïlande -, l'Union soviétique ne souhaitait pas mécontenter le régime de Suharto, espérant même obtenir le passage de ses sous-marins à travers les détroits de l'Archipel. Quant à la Chine, si elle fut au départ un ferme soutien du Timor oriental, le rétablissement des relations diplomatiques entre Pékin et Jakarta en 1990, ainsi que la croissance spectaculaire des échanges bilatéraux qui s'en suivit, modéra considérablement l'aide auquel le Timor aurait pu prétendre. Les pays arabes de leur côté jouèrent à fond la carte de la solidarité islamique avec l'Indonésie.

Les plus fidèles alliés du Timor oriental sont davantage à chercher chez les pays non-alignés, et plus particulièrement les pays africains lusophones (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau) ainsi que parmi les petits Etats insulaires du Pacifique Sud et de l'Océan indien (Seychelles, Vanuatu). Ainsi le Vanuatu autorisa officiellement par exemple l'installation d'un émetteur radio sur son territoire, destiné à la résistance timoraise.

Les pays européens quant à eux ne brillèrent pas par un courage excessif. La Grande-Bretagne continua sans état d'âme une politique pro-indonésienne ; les Pays-Bas, bien évidemment les plus concernés, avec le Portugal, par le Timor, réagirent avec prudence, ce qui ne les empêcha pas de subir les foudres de Jakarta qui comptait sur un soutien inconditionnel ; la France fit preuve, avant comme après 1981, de la plus grande retenue se réfugiant derrière ce que M. Roland Dumas a appelé en 1986, en réponse à une question d'un député, « les informations fragmentaires et contradictoires » en provenance du Timor. Ce qui n'était pas fragmentaire et contradictoire bien sûr, c'était l'importance des investissements français en Indonésie. Il n'est donc pas tout à fait surprenant que M. Xanana Gusmao, qui fut le leader charismatique de la Résistance timoraise, nous ait accueilli par cette phrase de bienvenue : « Souvent, nous doutons que le Timor soit un cas d'intérêt pour la France. Néanmoins, nous sommes très contents de votre visite ».

Curieusement, le Parlement européen fit preuve sur la question timoraise d'un dynamisme qui manquait aux pays pris individuellement. Il adopta régulièrement, tout particulièrement à partir de 1986 sous la pression du Portugal, des résolutions très favorables au Timor oriental.

Le sort du Timor Est a donc tenu au combat de quelques hommes - au premier rang desquels MM. Xanana Gusmao et José Ramos-Horta - qui ont maintenu la flamme de la Résistance et ont réussi à la transmettre aux nouvelles générations nées après 1975. Le but de cette lutte n'était pas de défaire l'adversaire sur le plan militaire - objectif à l'évidence impossible à atteindre - mais de le priver des bénéfices de sa victoire militaire qui aurait conduit à l'intégration du Timor à l'Indonésie. Cette stratégie s'est révélée un succès.

L'Eglise locale, sous l'impulsion notamment de l'évêque de Dili, Monseigneur Carlos Ximenes Belo, s'est s'engagée sans restriction aux côtés de la population et a joué un rôle important dans la dénonciation des abus de l'armée indonésienne. Témoignage de son action, le nombre de catholiques est passé de 28 % de la population timoraise en 1975 à 85 % une dizaine d'années plus tard. Les mouvements étudiants ont contribué également au maintien du dynamisme de la contestation indépendantiste, en animant un mouvement culturel puissant qui prit la forme de musique tétum - la langue locale - de chansons, de pièces de théâtre, et autres formes d'expression indigène. L'arrestation le 20 novembre 1992 de M. Xanana Gusmao, qui avait réussi l'exploit d'unifier les différents mouvements de résistance, et sa condamnation à vingt ans de détention, fut impuissante à casser cet esprit de résistance diffusée dans l'ensemble de la population, dans tous les groupes ethniques, dans toutes les générations.

Vingt ans après l'annexion, l'Indonésie devait reconnaître un double échec en dépit de sa mainmise militaire sur le Timor occidental : ce territoire n'était pas toujours pas apaisé et l'exemple de l'Australie qui avait reconnu sa souveraineté sur l'île n'avait pas fait école. Au contraire, progressivement, la question de l'autodétermination du Timor oriental et son corollaire, le respect des droits de l'Homme sont deux causes qui vont progressivement gagner du terrain. On le doit principalement à la chute du communisme en Union soviétique et le renouveau de la problématique des droits de l'Homme sur la scène internationale, ainsi qu'à l'action efficace du réseau d'expatriés timorais qui ont su faire connaître la situation de leur pays.

3) L'acceptation d'un référendum d'autodétermination

L'attribution du Prix Nobel de la Paix en octobre 1996 à Mgr. Ximenes Belo et M. José Ramos-Horta, pour leur action en vue d'une solution juste et pacifique de la question timoraise, replaça sur le devant de la scène internationale l'occupation et l'annexion du Timor Est par l'Indonésie. Le Comité Nobel avait clairement exprimé son souhait que l'attribution de ce prix puisse « donner un nouvel élan aux efforts tendant à trouver une solution diplomatique au conflit du Timor Est, basée sur le droit de son peuple à l'autodétermination ».

Les pressions se multiplièrent de la part de la Communauté internationale pour davantage de flexibilité dans l'attitude indonésienne. Diverses ONG et personnalités étrangères - en particulier Nelson Mandela dont la rencontre en juillet 1997 avec le prisonnier Xanana Gusmao fut très médiatisée - lancèrent des campagnes en faveur du Timor oriental, mobilisant ainsi l'opinion internationale. Au sein même de la population indonésienne, une certaine irritation se fit jour du fait de l'isolement croissant de l'Indonésie dans les forums internationaux où la question timoraise était de plus en plus souvent évoquée et de l'incapacité du gouvernement Suharto à sortir de cette impasse.

La brutale mise à la retraite du général Suharto après 32 ans de régime autoritaire et son remplacement par B. J. Habibie à la tête de l'Indonésie accéléra les événements. Après quelques tergiversations dues à la crainte d'ouvrir la voie à une dangereuse balkanisation du pays, en raison des revendications sécessionnistes exprimées par des provinces indonésiennes - en particulier Aceh, Sulawesi et Irian Jaya -, le Président Habibie créa la surprise générale en annonçant fin janvier 1999 qu'il était prêt à octroyer l'indépendance au Timor oriental, si tel était le choix de sa population. A l'évidence, il estimait qu'il valait mieux pour l'Indonésie prendre le risque de se séparer d'un membre gangrené, plutôt que de laisser la maladie se propager.

Les consultations sur l'organisation de la consultation populaire promise aux Timorais s'engagèrent rapidement à New York sous l'égide des Nations Unies, entre l'Indonésie et le Portugal, toujours considéré comme puissance tutélaire. Elles débouchèrent le 5 mai 1999 sur un accord en bonne et due forme, qui prévoyait l'organisation au Timor Est d'un référendum au cours duquel la population timoraise serait invitée à se prononcer sur le statut d'autonomie élargie offert par Jakarta. C'était là une façon de poser de façon indirecte la question de l'indépendance, tout en respectant la susceptibilité des Indonésiens en cas de refus. Cette consultation devait être organisée avec l'appui d'une Mission des Nations Unies au Timor oriental (MINUTO). Le Conseil de sécurité annonça son intention de créer cette mission par la résolution 1236 du 7 mai 1999 mais la décision de création elle-même fut prise seulement un mois plus tard par la résolution 1246 du 11 juin 1999. Il y était précisé que la MINUTO était chargée « d'organiser et de mener à bien une consultation populaire, prévue pour le 8 août 1999, au scrutin direct, secret et universel, visant à déterminer si la population du Timor oriental accepte le cadre constitutionnel proposé (...) ou rejette l'autonomie spéciale (...), ce qui entraînerait la sécession du Timor oriental de l'Indonésie ».

B - L'indépendance au prix du sang

1) L'organisation du référendum du 30 août 1999

Aux termes de l'accord du 5 mai 1999, la responsabilité de maintenir la paix et la sécurité dans le territoire pendant le scrutin incombait aux forces de Jakarta. Une telle disposition revenait à permettre aux 30 000 militaires indonésiens présents au Timor de contrôler entièrement l'évolution de la situation avant, pendant et après le vote. Par contraste, il est prévu que la MINUTO soit constituée, entièrement déployée, de 241 fonctionnaires internationaux, d'un élément de police civile comprenant 280 policiers sans arme agissant comme conseillers de la police indonésienne, ainsi que de 420 Volontaires des Nations Unies, pour l'essentiel affectés à des fonctions d'agents électoraux sur le terrain. Six pays furent invités à surveiller le scrutin par le biais d'observateurs : l'Australie, le Japon, les Philippines, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.

Nombreux sont ceux qui s'interrogent à l'époque sur la pertinence de la confiance accordée à l'armée indonésienne, une confiance qui paraît dénuée pour certains de tout sens commun. L'armée indonésienne - et tout spécialement ces commandos d'opérations spéciales, les Kopassus, qui avaient pris part à la majorité des campagnes de répression au Timor -, avait toujours considéré le Timor occidental comme une chasse gardée, nous l'avons déjà évoqué, et comme une rente de situation dont elle avait grassement profité, à titre collectif et individuel. Ayant subi des pertes importantes au cours des années d'occupation (pertes estimées à 5 000 hommes), elle était très hostile à abandonner brutalement un champ de man_uvres où s'étaient aguerris nombre de ses officiers supérieurs. Mais les Etats occidentaux ont cherché à ménager les troupes indonésiennes en refusant de faire pression sur Jakarta pour qu'elle accepte l'envoi d'une force internationale destinée à garantir la sécurité lors du référendum.

Ces inquiétudes sont confirmées en partie dans la période de préparation du scrutin. Dans ses rapports successifs au Conseil de sécurité (le 22 mai 1999, le 26 juin 1999 et le 20 juillet 1999), le Secrétaire général des Nations Unies dénonce les activités de milices locales pro-intégration, qui opèrent avec le consentement de certains éléments de l'armée. La création de ces milices n'a du reste pas été spontanée. Mises sur pied, armées, encadrées et entraînées par les militaires pour intimider les partisans de l'indépendance, elles rassemblent principalement des Timorais ayant appartenu à des groupes paramilitaires antiguérilla formés par les Kopassus, avec au surplus des mercenaires d'origine indonésienne, voire certains éléments de l'armée. Ces milices commettent de nombreux actes de violence et exercent une influence intimidante sur la population ; on estime que 3 000 à 5 000 personnes furent tuées dans les mois qui précédèrent le scrutin, un chiffre que l'on peut comparer avec celui des 2 000 morts avancé par l'OTAN pour le Kosovo l'année précédant les bombardements. Selon le HCR, 12 000 réfugiés fuyant les persécutions étaient déjà présents au Timor occidental avant même le scrutin.

Malgré cette campagne d'intimidation et de terreur, le référendum, dont la date a été reculée à deux reprises par l'ONU pour se tenir finalement le 30 août 1999, fut l'objet d'une forte et courageuse participation - 98,5 % des inscrits -, à l'image de ce que fut la campagne d'inscription qui l'a précédé. Le projet d'autonomie ne recueillit que 21,5 % des suffrages exprimés, c'est à dire que 78,5 % des votants se prononcèrent en faveur de l'indépendance. Ces résultats furent officiellement annoncés le 3 septembre par Kofi Annan et reconnus le même jour par le Président Habibie. Pour preuve de sa bonne foi, ce dernier libéra Xanana Gusmao le jour même.

2) Massacres et déportations

Les résultats du référendum ont été ressentis par les forces armées indonésiennes et les milices prônant l'intégration comme une cuisante défaite. Elles déclenchèrent en conséquence une véritable campagne de terreur sur tout le territoire. Les membres de la MINUTO assistèrent impuissants à ces massacres et se retirèrent, abandonnant les Timorais à leur triste sort.

Divers rapports des Nations Unies ont tenté de faire le point par la suite sur ces trois semaines de cauchemar. Parmi les nombreuses violations commises, les plus systématiques sont les massacres gratuits, la destruction des biens et le déplacement des populations.

Nombre de militants pro-indépendantistes et autres personnalités locales, y compris des membres du clergé, ont été tués en représailles de leur soutien à l'option indépendantiste. Des tueries aveugles et massives - à l'arme automatique, au pistolet ou à la machette - se sont également déroulées en divers lieux tels que Dili ou autres endroits où la population avait cru pouvoir trouver refuge (l'église de Suai par exemple). On estime à une dizaine de milliers le nombre de Timorais ayant trouvé la mort durant ces quelques jours, victimes de la soif de vengeance de l'armée et des milices indonésiennes.

L'armée indonésienne a également organisé le déplacement forcé de plusieurs milliers de Timorais, qu'elle a transportés à bord de navires ou d'avions dans divers endroits d'Indonésie, et par camion au Timor occidental. Environ 250 000 personnes selon le HCR - un quart de la population - ont été ainsi déplacées par les milices, hors du Timor Est, entre le 5 et le 21 septembre 1999. L'état-major indonésien évoque quant à lui des mouvements spontanés de la population craignant la brutalité de certains groupes indépendantistes. Le but de ces déportations est double : permettre aux anti-indépendantistes de reprendre le dessus, au moins dans les zones urbaines ; faire croire à un rejet généralisé des résultats du référendum et donner l'impression d'une situation de guerre civile qui aurait pu favoriser une nouvelle mainmise indonésienne.

Enfin, la plupart des maisons et des immeubles sont systématiquement pillés et pour une bonne partie brûlés. On estime entre 60 et 80 % la proportion des bâtiments du pays qui ont été détruits. Nous avons pu vérifier sur le terrain la réalité de ces chiffres. A Dili, les 80% sont largement atteints. Selon M. Pierre Kerblat, responsable de la cellule d'urgence du HCR, le scénario habituel était le suivant : des miliciens armés débarquaient dans un quartier ou un village, tiraient en l'air pendant près d'une heure, puis obligeaient les gens à quitter les bâtiments, pour finalement y mettre le feu à l'aide de solvants de peinture ou de gas-oil.

De nombreux témoignages - dont celui de M. Bernard Kerblat déjà cité - insistent sur le caractère organisé et programmé de ces actes de terreur et de massacres. A l'évidence, comme au Rwanda, il y eut planification préalable et exécution systématique du plan. La conclusion du rapport de la mission du Conseil de sécurité dépêchée à Jakarta et à Dili du 8 au 12 septembre 1999 est particulièrement inquiétante : « on ne saurait écarter l'hypothèse qu'il s'agit là des premières mesures d'une campagne de génocide visant à éliminer, par la force, le problème du Timor oriental. »

3) Le sursaut de la communauté internationale

L'ampleur des destructions, des massacres, des déportations, la sensibilisation des ONG et de l'opinion publique occidentale, l'action diplomatique du Portugal et de MM. Horta et Gusmao ont joué en faveur de la mobilisation internationale. Mais l'essentiel est sans doute ailleurs : le contexte diplomatico-politique avait évolué et la politique d'indifférence de la communauté internationale adoptée en 1975 n'était plus tenable en 1999. Certes, le Timor n'avait pas acquis plus d'importance stratégique et son cas restait avant tout une question humanitaire. Mais ce qui a changé, c'est qu'après le Rwanda et le Kosovo, les questions humanitaires graves sont désormais devenues des questions d'importance stratégique. Comme l'écrivait Stanley Hoffmann le 7 septembre 1999 dans l'International Herald Tribune, ne pas intervenir au Timor aurait signifié faire machine arrière par rapport aux valeurs et principes affirmés et imposés au Kosovo. José Ramos Horta, qui avait sans doute très vite compris l'intérêt d'un tel précédent pour le Timor, avait du reste été l'un des rares Prix Nobel à soutenir l'intervention de l'OTAN au Kosovo. La crainte de laisser se réaliser un nouveau Rwanda a été déterminante dans la décision finale de la communauté internationale d'intervenir.

Et pourtant force est de reconnaître que la communauté internationale a encore tergiversé pour deux raisons. La première tenait à la nécessité de s'assurer que la Chine - a priori hostile à tout ce qui pourrait ressembler à un Kosovo asiatique - n'utiliserait pas son droit de veto au Conseil de sécurité ; mais Pékin a su surmonter ses réticences. La seconde condition, voulue par les Etats-Unis et l'Australie, était d'obtenir l'accord préalable de l'Indonésie à toute intervention. A vrai dire cet accord ne se justifiait pas, fût-ce en droit classique. Il n'y avait en effet aucune souveraineté de l'Indonésie à respecter puisque les Nations Unies elles-mêmes estimaient qu'il y avait en la circonstance usurpation de titre. En conséquence, une intervention-sanction ne pouvait être considérée comme une atteinte à la souveraineté indonésienne. Mais Washington et Canberra étaient soucieux d'éviter de faire perdre la face au gouvernement indonésien vis-à-vis de l'armée qui s'était instaurée en gardien sourcilleux de la souveraineté indonésienne. Les deux capitales tenaient formellement à l'expression d'un accord indonésien préalable, quitte à exercer de fortes pressions. Les menaces de sanctions économiques se sont multipliées tant de la part des Etats-Unis, de l'Union européenne que du FMI et de la Banque Mondiale pour arracher cet accord.

Et c'est seulement le 12 septembre 1999, au cours d'une intervention télévisée, que le Président Habibie a finalement accepté de donner son accord pour le déploiement d'une force internationale au Timor oriental. Quelques jours plus tard, le 15 septembre 1999, le Conseil de sécurité, par la résolution 1264, autorise l'envoi d'une force multinationale pour restaurer la paix au Timor oriental, placée sous commandement australien.

La force internationale au Timor oriental (INTERFET) ainsi créée, a pour fonction de restaurer la paix et la sécurité au Timor oriental, de protéger et soutenir la MINUTO dans l'accomplissement de sa tâche, de faciliter les opérations d'aide humanitaire. Il est ainsi pris acte qu'il n'y a pas de paix à maintenir au Timor oriental, mais une paix à restaurer. Cette force est placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, ce qui lui permet l'usage de la force. Il était essentiel d'éviter de se retrouver dans une situation de type « FORPRONU » qui, faute de moyens et de mandat clair en Bosnie, n'avait pu empêcher les massacres. La résolution 1264 demande également aux troupes indonésiennes de coopérer avec les troupes internationales.

L'arrivée de l'INTERFET à Dili à partir du 20 septembre 1999 a rapidement amélioré et même normalisé la situation en matière de sécurité interne. Composée de 7 000 hommes dont 4 500 Australiens et 1 500 Thaïlandais - la France en a fourni 600 -, l'INTERFET a subi quelques accrochages - notamment dans les zones limitrophes du Timor occidental - mais n'a pas rencontré de véritable résistance armée. Très vite, la majorité de la population a été à l'abri de toute menace de violence et a pu recommencer à se déplacer normalement. La situation humanitaire restait néanmoins catastrophique et la priorité a été de gérer les milliers de réfugiés, afin de les aider à se réinstaller dans un pays totalement détruit par les milices.

Le 20 octobre 1999, l'Assemblée du peuple indonésien révoquait le décret de 1978 annexant le Timor Est à l'Indonésie. Le 25 octobre 1999, par la résolution 1272, le Conseil de sécurité décidait de créer une Administration transitoire des Nations Unies au Timor oriental (ATNUTO) pour assumer la responsabilité générale de l'administration sur ce territoire, c'est-à-dire exercer l'ensemble des pouvoirs exécutifs et législatifs, y compris l'administration de la justice.

II - UNE RECONTRUCTION DE LONGUE HALEINE

Timor, année zéro ! L'ONU est partie de rien pour la reconstruction du Timor, laminé par la politique systématique de terre brûlée menée par les milices pro-intégrationnistes. Et cette absence de moyens est un frein important à la reconstruction malgré l'existence d'une volonté politique.

A - Une période de transition difficile

La simple lecture des missions assignées par la résolution 1272 a l'ATNUTO laisse deviner l'ampleur et le difficulté des tâches qui l'attend : assurer la sécurité et le maintien de l'ordre sur l'ensemble du territoire de Timor Est, mettre en place une administration efficace , aider la création de services civils et sociaux, assurer la coordination et l'acheminement de l'aide humanitaire ainsi que de l'aide au développement, appuyer le renforcement des capacités timoraises en vue de l'autonomie, et contribuer à la création des conditions d'un développement durable.

Pour remplir ces objectifs, l'ATNUTO comprend trois composantes  : une composante gouvernance et administration publique, une composante aide humanitaire et relèvement d'urgence et une composante militaire qui a pris la suite de l'INTERFET.

L'ATNUTO est placée sous l'autorité d'un administrateur provisoire, représentant spécial du secrétaire général pour Timor Est, M. Vieira de Mello. Celui-ci est assisté de deux représentants spéciaux adjoints, dont le préfet français M. Jean-Christian Cady, chargé des questions de gouvernance et d'administration publique.

Au cours de notre rencontre, le préfet Cady a insisté sur la nouveauté absolue que constituait la tâche confiée à l'ATNUTO : reconstruire un Etat à partir de zéro. Il a souligné que l'Administrateur provisoire disposait d'une autorité véritablement proconsulaire puisqu'il concentrait entre ses mains la totalité des pouvoirs exécutifs et législatifs.

1) Une situation humanitaire rétablie

M. Akira Takahashi, le responsable du pilier humanitaire, est un homme fatigué mais heureux. Il nous a annoncé que ce pilier devrait disparaître d'ici la fin de l'année, absorbé par la composante administration publique. Il semble en effet que le risque de catastrophe humanitaire soit désormais écarté.

Sur les 800 000 habitants du Timor en août 1999, 500 000 ont été déplacés à l'intérieur des frontières de Timor Est et 250 000 sont passés au Timor occidental. Sur ces 250 000, on estime que 160 000 sont revenus dans des conditions satisfaisantes, d'eux mêmes (30 %) ou grâce à l'aide du HCR ou de l'Office des migrations internationales (70 %).

Bon nombre de réfugiés restant encore dans des camps à l'Ouest, hésitent à revenir en raison des rumeurs qui circulent sur les conditions économiques et l'absence de sécurité au Timor Est. Il est vrai que l'on note une certaine déficience des opérations d'information menées dans ces camps. Le HCR estime toutefois que 50 000 de ces réfugiés devraient rentrer avant le 30 juin prochain. M. Kerblat, du HCR, a souligné devant nous qu'une partie des réfugiés encore présents au Timor Ouest, notamment dans les camps autour de Kupang, sont des anciens miliciens qui craignent d'être maltraités à leur retour. Les quelques cas réels de lynchage, très amplifiés par les responsables miliciens, les confortent dans cette hésitation.

Outre le rapatriement et la protection des réfugiés, des efforts considérables ont été accomplis dans les secteurs suivants : sécurité alimentaire, santé, éducation et formation technique, eau et abris. Dans tous ces secteurs, les institutions onusiennes (PNUD, UNICEF) sont aidées par de nombreuses ONG. Une structure de coordination a été mise en place et des zones géographiques ainsi que des secteurs propres ont été attribués aux ONG, ce qui n'empêche pas parfois, les duplications selon les témoignages que nous avons recueillis.

En matière de sécurité alimentaire, les efforts sont désormais ciblés sur les enfants et les personnes vulnérables (personnes âgées, femmes enceintes, handicapés...). On estime que les autres adultes peuvent se suffire à eux-mêmes. M. Takahashi a souligné qu'une fois passée la période de distribution d'urgence, l'aide alimentaire a consisté essentiellement à fournir des semences et des outils plutôt que de la nourriture afin de relancer l'agriculture (80 % des actifs étaient agriculteurs) et contribuer à la remise en place d'une indépendance alimentaire. Les premières récoltes de maïs et de riz ont déjà eu lieu, ce qui permet de diminuer les besoins. Il est prévu que le Timor atteigne l'autosuffisance en riz en 2001 avec deux récoltes par an.

Les besoins restent nombreux en revanche en matière de santé. Mme Françoise Jacob, responsable de la mission de l'ONG Action contre la faim, a précisé que les quatre pathologies principales dont souffraient les Timorais étaient les suivantes : la tuberculose, la malaria, les diarrhées infectieuses et les affections respiratoires. Elle a estimé que tous les enfants des villages de montagne étaient plus ou moins malades à cause du froid et de la malnutrition et que le risque était grand qu'un simple rhume se transforme rapidement en bronchite, entraînant la mort faute de soins. L'espérance de vie est actuellement de 56 ans.

Le Timor manque cruellement de personnels médicaux (2): les infirmières sont en nombre insuffisant, le recrutement des médecins problématique. AICF a lancé en priorité des programmes de formation d'infirmières en zones rurales qui durent de trois à six mois. De son côté, l'UNICEF a lancé des programmes de vaccination systématique.

Le taux d'analphabétisme au Timor est aujourd'hui voisin de 40 %, ce qui illustre les besoins en éducation. Le problème de la langue constitue un obstacle. Les Indonésiens avaient rendu obligatoire l'apprentissage du bahasa indonésien. La langue locale, le tetum est difficilement utilisable car elle est essentiellement une langue orale et comporte plusieurs variantes. Désireux de rompre avec la langue de l'occupant indonésien et pour des raisons à la fois sentimentales, historiques et culturelles, les Timorais semblent vouloir renouer avec le portugais qui est parlé par moins de 20 % de la population. Un temps d'apprentissage est donc nécessaire pour passer de l'indonésien au portugais.

Aujourd'hui, l'Unicef estime que 90 % des enfants sont scolarisés en primaire. Ses représentants à Dili, M. Rodney Hatfield et Anne-Claire Dufay, nous ont détaillé les actions qu'ils menaient pour convaincre les instituteurs de rester au Timor en leur octroyant argent et nourriture. L'UNICEF fournit également du matériel pédagogique (tableaux et crayons), réhabilite les toits des écoles et contribue à la formation des instituteurs. Dans le supérieur, un problème particulier tient à ce que de nombreux étudiants timorais qui suivaient des cours à Jakarta ont suspendu leurs études. Le gouvernement indonésien a promis de rétablir les bourses mais nombre d'entre eux craignent pour leur sécurité s'ils retournent à Jakarta.

Concernant les infrastructures, des efforts importants ont été accomplis en matière d'électricité, ainsi que de fourniture et d'assainissement d'eau ; de nombreux réseaux de distributions avaient été en effet endommagés ou détruits. A Dili ou Baucau par exemple, l'électricité a été rétablie 24 heures sur 24 mais ce n'est pas le cas partout, et nombreuses sont les zones où l'électricité n'est encore disponible que cinq à six heures par jour. Avec l'aide notamment du PNUD qui a mis sur pied des chantiers de rénovation à haute intensité de main d'_uvre, l'état du réseau routier s'améliore lentement. Le PNUD finance également un programme important de tri sélectif des déchets de la ville de Dili.

M. Takahashi a souligné l'importance qu'il attachait à la reconstruction des maisons puisque les logements ont été systématiquement pillés et détruits en même temps que les bâtiments publics. Des kits de reconstruction (avec matériaux et ciments), d'un poids de 1,5 tonne chacun, sont distribués pour permettre aux Timorais de rebâtir leur maison. Ce programme est très long à réaliser car il nécessite une excellente coordination des ONG qui contribuent à la distribution des kits et il se heurte aux difficultés de transport (états des routes et des ponts). A ce jour 5 000 kits ont déjà été délivrés en trois mois alors que l'objectif est d'en distribuer 35 000. Au rythme actuel, il faudrait dix-huit mois supplémentaires.

Au total, les engagements des donateurs pris lors de la réunion de Tokyo en décembre 1999, organisée à l'initiative de la Banque mondiale et de l'ONU, s'élèvent à 522 millions de dollars américains pour trois ans. Le Préfet Cady nous a fait remarquer que ce budget représentait un peu moins que celui du département de la Seine-Maritime pour un an. Sur cette somme, seulement 22 millions avaient déjà été versés en avril 2000.

2) Une reconstruction politique et administrative

Progressivement, le pilier gouvernance et administration publique est appelé à se substituer à l'aide humanitaire d'urgence. L'objectif est de créer des structures politiques et administratives capables de prendre en main le pays lors du retrait de l'ATNUTO, aujourd'hui prévu pour la fin 2000.

Le premier souci de MM. Vieira de Mello et Cady a été d'associer étroitement les représentants des Timorais à la prise de décision. Pour ce faire, un Conseil consultatif national du Timor oriental a été mis en place. Composé de quinze membres, ce Conseil comprend quatre représentants de l'ATNUTO , dont l'Administrateur provisoire qui exerce la présidence ; sept représentants du Conseil national de la résistance timoraise (CNRT), que préside M. Gusmao et qui constitue la coalition des partis politiques indépendantistes ; un représentant de l'Eglise catholique ; trois représentants de groupes politiques autres que le CNRT et ayant défendu lors du référendum l'option de l'autonomie au sein de l'Indonésie. Dans les faits seulement deux sur ces trois derniers sièges sont occupés, une faction autonomiste n'ayant pas encore désigné son représentant.

Jusqu'à maintenant, ce Conseil consultatif a entériné l'ensemble des règlements - dix-sept jusqu'à aujourd'hui - promulgués par l'Administrateur provisoire et qui font office de loi. Ces règlements portent sur des sujets aussi divers que l'organisation du système judiciaire, les marchés publics ou encore la création d'un registre du commerce. M. Vieira de Mello a été très attentif à ce que les décisions du Conseil soient adoptées à l'unanimité. L'excellence de ses relations avec M. Gusmao et la fréquence de leurs rencontres permettent de régler bon nombre de problèmes.

A l'échelon local, des administrateurs de districts - il en existe treize - ont été nommés par l'ATNUTO. Ils ont comme interlocuteurs principaux des conseils consultatifs de district qui les aident à déterminer les priorités. Nous avons ainsi rencontré l'administrateur du district de Baucau, Mme Sarwar Sultana, qui a présenté les grands axes de son action : restauration de l'ordre public, fourniture de l'aide humanitaire - elle a souligné une fois de plus le rôle décisif des ONG - et reconstruction économique. Les femmes ont été associées en tant que groupe spécifique au conseil de district.

Les difficultés pour créer une nouvelle administration timoraise compétente, impartiale et efficace sont nombreuses. L'ATNUTO a décidé de ne pas reconduire systématiquement les anciens fonctionnaires dont beaucoup se trouvent encore dans les camps de Timor Ouest ; la plupart d'entre eux ne rentreront au Timor Est que s'ils reçoivent les assurances que ce retour n'affectera pas leur droit à retraite que devra leur servir l'Indonésie.

Une Commission de la fonction publique a été créée en janvier 2000 pour superviser la sélection et le recrutement des futurs fonctionnaires. Cette nouvelle fonction publique devrait être considérablement allégée par rapport à celle qui prévalait sous l'occupation indonésienne. Selon les chiffres fournis par le Préfet Cady, le nombre de fonctionnaires devrait être limité à 13 000 personnes contre 28 000 auparavant. L'objectif est de mieux les former, et de mieux les payer pour éviter la corruption. La grille des futurs salaires fait d'ailleurs l'objet de discussions avec la Banque mondiale et le FMI. 4 100 fonctionnaires ont déjà été recrutés, principalement dans les secteurs de l'enseignement et de la santé. Une banque centrale et une autorité fiscale ont été instaurées. L'existence d'une administration fiscale est bien sûr un préalable à tout recouvrement de l'impôt ; pour l'instant, seuls des droits de douanes sont appliqués mais on prévoit par la suite la création d'un impôt sur le revenu et une taxe sur les transactions. Selon le préfet Cady, on espère 15 millions de dollars de recettes fiscales pour l'an 2000.

Une académie de service public a été créée mais le problème de la langue (le portugais) et le fort taux d'analphabétisme ne rend pas la tâche aisée, surtout pour les niveaux les plus élevés.

3) Une sécurité fragile

En matière de sécurité extérieure, la principale préoccupation du général Jaime de Los Santos, qui commande la composante militaire de l'ATNUTO, tient aux incidents de frontières avec le Timor Ouest dus aux incursions des milices pro-intégrationnistes. Divers mémorandums ont été signés entre l'ATNUTO et les forces indonésiennes pour mieux gérer ces incidents. M. Vieira de Mello a également demandé au gouvernement indonésien que les miliciens et anciens policiers timorais soient réinstallés dans d'autres parties de l'archipel que Timor Ouest.

Le soutien des Indonésiens aux miliciens intégrationnistes de l'autre côté de la frontière est un sujet d'inquiétude majeur de la part des Timorais. C'est un problème sur lequel M. Gusmao a attiré notre attention car il y voit un élément de menace pour la stabilité du Timor, après le départ de l'ATNUTO.

La composante militaire de l'ATNUTO, qui a recueilli formellement les compétences de l'INTERFET le 23 février dernier, comprend 8 000 hommes issus de 24 pays. La contribution de la France se limite aujourd'hui à la présence de trois officiers d'état-major, ce que regrettent nombre de Timorais qui nous ont déclaré n'avoir qu'à se louer de l'action des militaires français.

En matière de sécurité intérieure, la principale difficulté provient de l'augmentation du taux de criminalité, en particulier à Dili et dans les autres centres urbains. Cette augmentation est liée au taux élevé du chômage qui touche 85 % de la population active. La police civile des Nations unies, qui comprend 950 personnes en provenance de 35 pays, a été déployée sur l'ensemble du territoire. Mais cette police ne communique avec la population que par le biais d'interprètes et n'est pas capable d'anticiper les problèmes. Une académie de police a été créée qui forme actuellement 50 policiers timorais devant être opérationnels début juillet. L'objectif est de former 3000 policiers sur trois ans.

La loi applicable est la loi indonésienne, sauf quand elle n'est pas compatible avec les normes internationales sur les droits de l'Homme.

La question de la sécurité intérieure se heurte également à deux autres problèmes qui renforcent le sentiment d'impunité : la quasi-inexistence de tribunaux et de prisons. Actuellement seulement seize juges timorais et six avocats généraux sont en fonction, avec un avocat pour la défense dans chaque juridiction. Des procès sont en cours mais aucune sentence n'avait encore été rendue lors de notre mission. Il devient également urgent de construire des prisons ; selon le préfet Cady, on en est rendu au stade où pour admettre un meurtrier, il est nécessaire de libérer un violeur.

B - Des perspectives encore incertaines

Le mécanisme de retrait de l'ATNUTO n'est pas très clair aujourd'hui. Le terme de sa mission devrait être marqué par l'adoption d'une constitution timoraise mais on ignore encore selon quelle procédure. Deux hypothèses sont envisageables : ou un projet rédigé au sein du Conseil national consultatif qui serait ensuite proposé aux Timorais par référendum ; ou l'élection d'une assemblée constituante chargée d'adopter la constitution. Dans les deux cas, du temps est nécessaire et certains s'interrogent sur l'éventualité d'une dégradation de la situation.

1) L'impatience des Timorais

La lenteur du processus de reconstruction, le fait que la réhabilitation des bâtiments et des habitations est très loin d'être terminée, l'absence d'emplois - la mise en place par l'ATNUTO de projets à haute intensité de main-d'_uvre n'a entraîné que la création de 600 emplois, temporaires de surcroît - (80% des Timorais sont au chômage), le différentiel de niveau de vie entre les expatriés et la population locale, l'envolée des prix, nourrissent au sein de la population un fort ressentiment, contrôlable pour l'heure, mais qui constitue une véritable poudrière si les conditions de vie ne s'améliorent pas rapidement. Diverses manifestations ont déjà été organisées devant les bâtiments de l'ATNUTO. Des échauffourées ont eu lieu à Dili et Baucau, causées par la misère. Les forces de l'ONU ont dû prêter main-forte aux policiers, trop peu nombreux.

« On est passé de la domination au rêve, on est en train de passer du rêve à la frustration » nous a confié Mgr. Basilio Do Nacimento, évêque de Baucau. M. Xanana Gusmao s'est aussi inquiété de la montée du mécontentement de la population. Il compte toutefois sur le déblocage des fonds promis et le rôle pacificateur de l'Eglise pour calmer ces impatiences.

Nous avons pu mesurer l'importance de cette impatience et de ces reproches lors d'une rencontre qui avait été organisée à notre intention avec des étudiants timorais. A l'évidence, ceux-ci s'interrogent sur les critères de décision, la lourdeur des procédures et la capacité d'organisation de l'ATNUTO.

Une des chances futures de l'avenir économique du Timor se situe au large de ses côtes, dans une zone maritime appelée Timor gap, riche en pétrole et en gaz. L'ATNUTO réexamine avec Canberra et Jakarta un accord d'exploitation pétrolière portant sur ce secteur maritime. On ne peut exclure que d'ici quelques années le Timor Est bénéficie de royalties pétrolières pour financer son budget.

2) Les incertitudes politiques

Cette impatience de la population est d'autant plus lourde de menaces que le consensus politique symbolisé par le CNRT se fissure de plus en plus. La lutte pour l'indépendance avait servi de ciment à l'unité du CNRT. Celle-ci acquise, M.  Xanana Gusmao estime logique que les luttes de pouvoir reprennent leur rôle et que les anciennes divisions resurgissent en fonction des sensibilités politiques et sociales des différents partis. Mgr. Do Nacimento s'inquiète toutefois de la résurgence des vieux démons d'opposition entre les partis ; c'est pourquoi il souhaite le maintien de la présence internationale pendant encore cinq à sept ans, un délai qui lui semble nécessaire pour préparer les Timorais à se prendre en charge eux mêmes. Les étudiants nous ont toutefois affirmé maintenir leur confiance au CNRT et à Xanana Gusmao même s'ils appellent de leurs v_ux une réforme des structures du CNRT.

Mgr. Do Nacimento s'est également inquiété de l'absence actuelle de cadres politiques prêts à assumer les responsabilités du pouvoir. Il a très clairement indiqué que l'Eglise timoraise (3), dont le rôle a été si important lors de la lutte pour l'indépendance, souhaitait aujourd'hui se dégager du processus politique - maintenant que ces circonstances exceptionnelles étaient révolues - pour se consacrer à un rôle exclusivement pastoral. De son côté, M. Xanana Gusmao nous a confié son peu d'appétit à assumer les responsabilités suprêmes. Evoquant les figures historiques des héros de l'indépendance se fourvoyant dans la gestion quotidienne, il nous a déclaré : « Je me sens plus utile dans la société civile pour la consolider et modérer ses demandes, ce que je n'aurais pas le pouvoir moral de faire si j'exerçais le pouvoir. Je suis donc sérieux lorsque je dis que je ne serai pas candidat à la Présidence de la République ».

3) La réconciliation nationale

L'avenir de Timor-Est passe également par la normalisation de ses relations avec l'Indonésie et la mise en place d'un processus de réconciliation nationale.

Après une visite de M. Gusmao à Jakarta en novembre 1999, le nouveau président indonésien, M. Wahid, s'est rendu à Timor le 29 février dernier. Cet échange de visites a permis de poser le cadre d'une future coopération bilatérale : création d'un bureau de liaison de la République d'Indonésie à Timor-Est, ; délimitation des frontières maritimes et terrestres ; versement de pensions aux anciens fonctionnaires timorais ; reprise des liaisons aériennes, maritimes, postales et téléphoniques ; possibilité pour les étudiants timorais de poursuivre leurs études en Indonésie.

Pour essayer de faire le point sur les violations des droits de l'Homme par les Indonésiens à Timor Est, deux commissions d'enquête ont été instituées. La première est une commission d'enquête internationale établie par le Secrétaire général de l'ONU qui a rendu son rapport en février dernier. Ses conclusions sont sans appel : « la commission pense que c'est l'armée indonésienne qui est responsable des actes d'intimidation et de terreur, des massacres et des autres actes de violence subis par la population du Timor oriental avant et après le référendum ». Elle préconise la création d'un tribunal pénal international, semblable à ceux mis en place pour juger les criminels du Rwanda ou de Yougoslavie. Parallèlement à la Commission d'enquête internationale, une commission d'enquête nationale indonésienne a été instituée qui a mis en cause une trentaine de responsables, dont plusieurs généraux, notamment l'ancien ministre coordinateur pour la sécurité et les affaires militaires, le général Wiranto, finalement suspendu de ses fonctions le 14 février dernier. Un complément d'enquête est en cours. Par ailleurs, une loi portant création d'un tribunal des droits de l'Homme est en passe d'être soumise au Parlement. Mgr. Do Nacimento s'est déclaré confiant en la démocratisation de l'Indonésie.

Le véritable défi demeure la réconciliation nationale. M. Xanana Gusmao considère cette réconciliation comme une nécessité. Il s'est réjoui devant vos Rapporteurs de l'accueil réservé aux 300 miliciens qui ont déjà choisi de rentrer - ceux qui avaient le moins de choses à se reprocher - et qui ont accepté d'effectuer des travaux d'intérêts général. Il distingue trois niveaux de responsabilité : les miliciens de base, les commandants des milices, les organisateurs des massacres (les responsables politiques) : « Naturellement, notre peuple demande justice. Il faut donc naviguer entre ce désir de justice et l'impératif besoin de la réconciliation. Pour le premier niveau - les miliciens de base -, la réconciliation doit l'emporter. Pour les deux autres, la justice doit s'exercer ». De son côté, Mgr. Do Nacimento semble préconiser des procédures inspirées par l'exemple sud-africain de pardon des fautes publiquement avouées.

CONCLUSION

Au terme de cette étude, vos Rapporteurs voudraient tirer certaines leçons de cette douloureuse expérience timoraise.

La première leçon est positive. L'évolution de l'attitude de la communauté internationale - de la passivité à l'action - est pleine d'espérance pour l'avenir. A une époque où les droits fondamentaux des individus sont menacés par l'émergence d'un nationalisme identitaire - comme on l'a vu au Rwanda et au Kosovo -, l'intervention onusienne au Timor, après des années de tergiversations, illustre ce que doit être l'objectif des Nations Unies selon Kofi Annan : « protéger les individus, pas ceux qui les tourmentent ». Le défi auquel doivent se préparer les Etats démocratiques est l'éventualité d'une intervention dans des conflits internes. Définir une doctrine des interventions humanitaires devrait être une des priorités d'une politique de défense européenne.

La seconde leçon concerne la fragilité des résultats obtenus dont la consolidation dépendra pour l'essentiel de la démocratisation de l'Indonésie, de la patience et de la persévérance dont feront preuve les Timorais et de la capacité des Nations Unies à gérer leur départ. Les principaux pays concernés sont bien sûr les pays de la zone asiatique : le Japon, l'Australie et la Nouvelle-Zélande mais aussi les Etats-Unis et le Canada. Ce sont ces pays que l'on retrouve parmi les principaux donateurs qui se sont réunis à Tokyo. L'Union européenne, avec l'exception du Portugal, ne s'est guère avancée. On peut le comprendre mais il apparaît nécessaire que la France exprime plus concrètement sa solidarité envers le drame qu'à vécu le Timor. Trois mesures seraient très appréciées sans être d'un coût prohibitif : l'octroi d'une aide bilatérale ciblée sur un ou deux projets (construction d'un bâtiment public par exemple), la mise à disposition d'experts pour aider à la mise en place des institutions et surtout l'octroi d'un certain nombre de bourses à de jeunes étudiants timorais. Cette participation de notre part à la construction de ce nouveau pays indépendant serait un geste de solidarité apprécié des Timorais et permettrait à la France d'entretenir un relais de sympathie dans cette région du monde. C'est cet appel au gouvernement que nous lançons en conclusion de ce rapport.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent rapport d'information au cours de sa réunion du mercredi 31 mai 2000 , sur le rapport de MM. Pierre Brana et Roland Blum.

M. Pierre Brana a tout d'abord retracé l'histoire du Timor oriental, ancienne colonie portugaise, envahie militairement par l'Indonésie en 1975, au moment même où ce territoire aurait dû accéder à l'indépendance. Après 25 années d'occupation, l'Indonésie a finalement accepté d'organiser un référendum d'autodétermination qui fut l'objet d'une forte et courageuse participation en dépit des pressions exercées, et qui donna la victoire aux indépendantistes. Il s'en suivit une vague de massacres, de déportations et de destructions organisés par les milices pro-intégrationnistes avec l'aide de l'armée indonésienne. L'intervention d'une force multilatérale sous mandat onusien fut nécessaire pour rétablir l'ordre.

La tâche de reconstruction du Timor est immense. 60 à 80% des habitations ont été détruites ; l'état de santé de la population est préoccupant et le Timor manque cruellement de médecins et d'infirmières. Le taux de chômage atteint 80% de la population, ce qui nourrit la criminalité.

L'administration provisoire des Nations Unies associe très étroitement les Timorais à toutes les décisions, par l'intermédiaire d'un Conseil consultatif national du Timor oriental regroupant les représentants des principaux partis politiques. Certaines critiques se font entendre sur la lourdeur de l'organisation de l'ONU et la lenteur du déblocage des fonds promis.

M. Pierre Brana a souhaité en conclusion que la France accorde une aide au Timor, qui pourrait se décliner en trois composantes : une aide bilatérale pour un projet d'équipement clairement identifié, une école par exemple ; l'envoi d'experts pour la mise en place d'institutions démocratiques, comme le parlement ; l'octroi de bourses à de jeunes étudiants timorais.

M. Roland Blum a développé les leçons que l'on pouvait tirer selon lui de l'expérience du Timor. Soulignant qu'il a fallu vingt-cinq ans pour mettre fin à l'occupation illégale du Timor par l'Indonésie, il a estimé que la communauté internationale n'existait en tant que telle que lorsque quelques Etats étaient disposés à agir. Il a appelé de ses v_ux une réflexion sur une doctrine des interventions humanitaires qui répondrait aux craintes exprimées par certains pays redoutant les effets d'un unilatéralisme américain. Il a fait état du sentiment parfois exprimé par les Timorais face à l'administration de l'ONU de subir une nouvelle forme d'occupation ; cela doit inciter l'ONU à maintenir dans ses missions des liens importants avec la population et agir avec efficacité.

En application de l'article 145 du Règlement, la Commission a décidé la publication du présent rapport d'information.

ANNEXES

Annexe I : Programme de la délégation

Annexe II : Résolutions 1236, 1246 et 1272 du Conseil de sécurité

Annexe III : Organigramme de l'Administration transitoire des Nations Unies au Timor Oriental

Annexe IV : Audition par la Commission des Affaires étrangères, le 4 décembre 1997, de M. Jose Ramos-Horta, prix Nobel de la paix 1996 pour son action à Timor

Annexe V : Carte du Timor

Programme de la délégation

Mardi 11 avril 2000

6 h 45 Arrivée à Dili par le vol TL 500 en provenance de Darwin

9 h 00 Entretien avec le chef de l'administration de l'Atnuto, le Préfet Jean-Christian Cady

10 h 00 Entretien avec le représentant de la Banque mondiale

11 h 00 Entretien avec l'ONG timoraise Yayasan hak

14 h 00 Entretien avec le Chef de la force de maintien de la paix, le Général Jaime de Los Santos, suivi d'une rencontre avec un officier français de l'OMP

16 h 00 Entretien avec le représentant du CICR

20 h 00 Dîner offert par le Préfet Cady

Mercredi 12 avril

8 h 00 Entretien avec le représentant de l'UNICEF

8 h 45 Entretien avec le représentant du PAM

9 h 30 Entretien avec les ONG françaises

11 h 00 Entretien avec le chef de l'assistance humanitaire et de la reconstruction de l'Atnuto, M. Akira Takahashi

13 h 30 Entretien avec le Président du CNRT, M. Xanana Gusmao

15 h 30 Entretien avec le Représentant du Haut Commissariat aux Réfugiés

16 h 30 Entretien avec des représentants d'organisations d'étudiants et de femmes

Jeudi 13 avril

8 h 30 Départ pour Baucau

11 h 30 Déjeuner avec l'administrateur du district de Baucau

13 h 00 Entretien avec l'évêque de Baucau, Mgr. Basilio do Nacimento

14 h 00 Retour à Dili par la route

17 h 00 Entretien avec le représentant du PNUD

Vendredi 14 avril

7 h 30 Départ de la délégation pour l'aéroport

2449 - Rapport de MM. Pierre Brana et Roland Blum sur la mission effectuée par une délégation de la Commission au Timor oriental (commission des affaires étrangères)