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________________________ OFFICE PARLEMENTAIRE
D'ÉVALUATION ________________________
RAPPORT SUR LE CLONAGE, LA THÉRAPIE
CELLULAIRE
Table des matières SAISINES 7 INTRODUCTION 9 PREMIèRE PARTIE : ELéMENTS DINFORMATION SUR LE CLONAGE CLONAGE REPRODUCTIF ET CLONAGE « THéRAPEUTIQUE » 13 I - Données générales sur le clonage reproductif : définition et techniques 13 1. Le clonage par scission dembryon 14 2. Le clonage par transfert nucléaire 14 II - Lexpérimentation animale du clonage reproductif par transfert de noyau 15 1. Les développements de la recherche 15 1.1. Lapplication du clonage reproductif à plusieurs espèces de mammifères 15 1.2. Le clonage à partir de cellules somatiques adultes 16 2. Lefficacité des résultats 17 2.1. Le rendement encore très faible de la méthode en termes de naissances 17 2.2. Fragilité et anomalies affectant les animaux clonés à partir de cellules somatiques adultes 18 III - Lintérêt du clonage animal reproductif : recherche fondamentale et applications médicales et pharmaceutiques 20 1. Le clonage et la recherche biologique fondamentale 20 2. Les ressources offertes par lassociation transgenèse-clonage 21 2.1. Lefficacité escomptée du couplage transgenèse-clonage 22 2.2. Transgenèse ciblée et création de nouveaux modèles animaux 23 2.3. La production de protéines thérapeutiques 24 2.4. Transgenèse et xénogreffes 25 3. Un développement industriel encore aléatoire compte tenu de la fragilité des résultats et des contestations touchant la propriété intellectuelle 27 IV - Du clonage reproductif animal au clonage thérapeutique humain 28 DEUXIèME PARTIE : THéRAPIE CELLULAIRE ET MéDECINE RéGéNéRATRICE 31 I Les applications déjà éprouvées de la thérapie cellulaire 32 1. Les greffes allogéniques de cellules souches hématopoïétiques (CSH) 32 1.1. Le prélèvement de CSH à partir du sang périphérique 32 1.2. Le prélèvement de CSH à partir du sang placentaire 33 2. Les greffes de peau 33 II Les démarches expérimentales en cours : tissus et cellules 35 1. Lingénierie tissulaire 35 2. La greffe de cellules allogéniques 37 2.1. La greffe de cellules adultes 38 2.1.1. Les cellules du foie (hépatocytes) 38 2.1.2. Les cellules pancréatiques (îlots de Langerhans) 40 2.2. La greffe de cellules ftales 43 2.2.1. Les cellules souches hématopoïétiques (cellules de foie ftal) 43 2.2.2. Les neurones ftaux 45 III Les perspectives ouvertes par les cellules souches 49 1. Définition et typologie des cellules souches 49 2. Les cellules souches pluripotentes : des perspectives prometteuses encore grevées de larges incertitudes 50 2.1. Les ressources attendues des cellules souches pluripotentes 51 2.1.1. Un intérêt immédiat pour la recherche 51 2.1.2. Les applications thérapeutiques à plus long terme 52 2.2. Les problèmes à résoudre 55 2.2.1. Lobtention des cellules souches pluripotentes 55 2.2.1.1. Lobtention à partir dembryons in vitro et de ftus avortés 55 2.2.1.2. Lobtention par clonage thérapeutique : obstacles techniques, objections éthiques et risques médicaux 58 2.2.2. Le contrôle de la différenciation et la prévention des risques tumorigènes 62 3. Les cellules souches adultes : de nouvelles perspectives pour la thérapie cellulaire 64 3.1. La découverte de cellules souches neuronales 65 3.2. La plasticité des cellules souches adultes 67 3.3. Un intérêt thérapeutique qui justifie un élargissement du champ de la recherche sur les cellules souches 68 TROISIèME PARTIE : ENJEUX éCONOMIQUES ET DéBATS JURIDICO-SCIENTIFIQUES 71 I La situation de la recherche dans le monde anglo-saxon 71 1. Les stratégies commerciales anglo-américaines 71 2. Les débats en cours sur un assouplissement de lencadrement législatif et réglementaire 75 2.1. Aux Etats-Unis : des fonds fédéraux peuvent-ils soutenir la recherche sur les cellules souches pluripotentes ? 75 2.1.1. Létat actuel du droit 75 2.1.2. Vers un financement public de la recherche 76 2.2. Au Royaume-Uni : convient-il de légaliser le clonage humain à but thérapeutique ? 78 2.2.1. Rappel du droit en vigueur 78 2.2.2. Les recommandations des experts et le sursis à statuer du Gouvernement 79 Audition du 30 septembre 1999 Professeur Pierre CESARO, chef du service de neurologie de lHôpital Henri-Mondor de Créteil, professeur Gilles DEFER, chef du service de neurologie du CHRU de Caen, et docteur Marc PESCHANSKI, directeur de lUnité 421 de lINSERM « Neuroplasticité et thérapeutique » Audition du 7 octobre 1999 Professeur Jean-Pierre CAMPION, Centre hospitalier régional universitaire de Rennes Auditions du 21 octobre 1999 1. Professeur François FORESTIER, chef du service de médecine et biologie ftale à lInstitut de puériculture de Paris 2. Professeur Jean-Louis TOURAINE, chef du service de néphrologie, Hôpital Edouard-Herriot de Lyon Audition du 28 octobre 1999 Professeur Jean-Paul VERNANT, chef du service dhématologie à la Pitié-Salpêtrière, président de la Société française de greffe de moelle Auditions du 10 novembre 1999 1. Professeur Claude SUREAU, membre de lAcadémie de médecine 2. Docteur François PATTOU, Centre hospitalier régional universitaire de Lille Audition du 2 décembre 1999 M. Charles THIBAULT, Professeur émérite à lUniversité Paris VI- Pierre et Marie Curie Auditions du 9 décembre 1999 1. Dr Philippe BRACHET, U 437 de lINSERM (Immuno-intervention dans les allo et xénotransplantations) 2. M. Jacques SAMARUT, directeur de recherche au CNRS, chef du groupe « Oncogenèse virale et différenciation cellulaire » à lENS de Lyon, et Mme Martine LOISEAU, chargée de mission éthique au département des sciences de la vie au CNRS Audition du 26 janvier 2000 M. Michel FOUGEREAU, conseiller scientifique pour les sciences de la vie et de la médecine à la Direction de la Recherche, professeurs Alain FISCHER (Université Paris V) et Marc TARDIEU (Université Paris XI) COMPTE RENDU DES AUDITIONS PUBLIQUES DU 25 NOVEMBRE 1999 Le rôle des autorités britanniques de régulation en matière de thérapie cellulaire et de clonage, et la ligne adoptée par les différents pays de lUnion européenne. Docteur Anne Mc LAREN, Membre de lHFEA et du Groupe européen déthique des sciences et des nouvelles technologies Les conséquences médicales de la recherche sur les cellules souches pluripotentes. M. John GEARHART, Professeur de gynécologie et dobstétrique à lUniversité Johns Hopkins de Baltimore Les applications du clonage animal reproductif et les perspectives économiques escomptables dans ce domaine. M. Ian WILMUT, Professeur à lInstitut Roslin dEdimbourg Les objectifs de recherche, les prévisions et la stratégie générale de la société Geron Bio-Med. M. Simon BEST, Directeur général de Geron Bio-Med La législation américaine et les évolutions prévisibles en matière de clonage et de recherche sur les cellules embryonnaires. Mme Lori ANDREWS, Professeur de droit à lUniversité de Chicago Le statut de lembryon. M. Gordon DUNSTAN, Professeur émérite de théologie morale et sociale au Kings College de Londres, Membre du Nuffield Council on Bioethics de 1991 à 1995 Le thème de ce rapport dont lOffice a été saisi conjointement par les bureaux de lAssemblée nationale et du Sénat avait été proposé par le professeur Axel KAHN lors de la réunion tenue le 20 janvier 1999 avec le Conseil scientifique de lOffice. En nous en confiant lélaboration, lOffice nous a permis de prolonger et dapprofondir un certain nombre de questions que nous avions évoquées succinctement dans notre précédent rapport consacré à lapplication de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à lutilisation des éléments et produits du corps humain, à lassistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal. Nous navions traité quincidemment du clonage, le législateur de 1994 ne layant pas abordé puisque cette technique ne semblait pas, à lépoque, applicable à lhomme. Depuis la naissance, en juillet 1996, de Dolly, premier clone somatique dun mammifère adulte, les expériences se sont multipliées : obtention en 1997 dune brebis clonée transgénique dont le lait est susceptible de produire une protéine thérapeutique, puis de deux primates clonés à partir de cellules embryonnaires ; naissance en juillet 1998 de 22 clones de souris à partir de cellules adultes dans un laboratoire de Hawaï ; annonce, en novembre 1998 non confirmée par une publication scientifique de lobtention dun embryon par implantation dune cellule somatique humaine dans un ovule de vache énucléé. Parallèlement, se développent des interrogations sur lâge réel et la fragilité des animaux produits par clonage somatique. Nous avions déjà souligné, et nous y revenons plus en détail dans le cadre de ce nouveau rapport, les utilisations potentielles prometteuses dont le clonage animal peut être le vecteur dans le domaine de la médecine et de la recherche médicale : amélioration des connaissances génétiques et physiologiques, réalisation de modèles de maladies humaines, production à un moindre coût de protéines thérapeutiques, constitution de banques dorganes et de tissus servant à des xénogreffes. Plus inquiétante, en revanche, est la perspective que le perfectionnement des techniques sur le modèle animal ne conduise à lexpérimentation sur lhomme du clonage reproductif. Proclamations, résolutions et interdictions se sont multipliées ces deux dernières années à léchelon européen comme au plan mondial pour faire barrage à une telle éventualité. La prochaine révision de la loi française conduira vraisemblablement à linscription dune prohibition plus explicite dans notre droit interne. Cependant, le débat sur lapplication à lhomme des techniques de clonage a pris une dimension nouvelle avec lintroduction dune distinction entre le clonage reproductif unanimement condamné et le clonage thérapeutique dont de nombreux scientifiques soulignent aujourdhui lintérêt quil pourrait revêtir dans lexploitation des ressources médicales offertes par les cellules souches pluripotentes. Récemment isolées et mises en culture par deux équipes de chercheurs américains, ces cellules ont la capacité de se différencier, sous linfluence de facteurs biologiques et chimiques, en cellules appartenant aux trois types de tissus (endoderme, ectoderme, mésoderme) et pourraient être utilisées dans le traitement des diverses maladies dues à des lésions cellulaires (Parkinson, diabète, dystrophie musculaire ). Pour exploiter au mieux leur potentiel thérapeutique et surmonter les problèmes de rejet immunitaire, lune des solutions envisagées consisterait à transférer le matériel génétique des cellules du patient dans un ovocyte énucléé, à laisser lembryon se développer jusquau stade du blastocyste puis à prélever dans la masse cellulaire interne et à mettre en culture les cellules pluripotentes en tous points semblables à celles de ladulte qui leur aura donné naissance. Cest à cette technique que renvoie la notion de clonage thérapeutique, également dénommée « somatic cell nuclear transfer » (transfert du noyau de cellule somatique) par les anglo-saxons. Les champs considérables que les cellules souches embryonnaires sont susceptibles douvrir à la thérapie cellulaire ne doivent pas pour autant conduire à négliger les possibilités offertes par les cellules souches ftales et adultes qui possèdent, à des degrés moins élevés, des capacités de différenciation porteuses de nombreuses applications thérapeutiques et ne soulèvent pas les mêmes problèmes éthiques. Ainsi sétablit, à travers cette présentation liminaire, la complémentarité entre les trois termes du rapport qui nous a été confié. Il sinscrit, comme le précédent, dans la perspective dune révision de la loi de 1994 qui ninterviendra vraisemblablement pas avant le second semestre de lan 2000. Cependant, la démarche est ici prospective et non plus évaluative, lobjectif étant déclairer les choix du Parlement en faisant le point sur létat de la science sans négliger les enjeux économiques qui stimulent la recherche, notamment aux Etats-Unis. Nous avons voulu clairement distinguer ce qui est dores et déjà possible de ce qui sera réalisable à court et à moyen terme en faisant apparaître les diverses voies que pourrait emprunter la thérapie cellulaire. Sans placer au premier plan la dimension éthique du problème, il nous a paru nécessaire, comme nous avions pu le faire précédemment, de mettre en évidence la tension existant entre les principes posés en 1994 (et, notamment, le respect de la vie dès son origine) et les perspectives thérapeutiques offertes par le progrès scientifique, perspectives qui pourraient conduire à certains assouplissements du cadre législatif en vigueur. Enfin, le contexte européen et international devait également être pris en compte, quil sagisse du problème de la brevetabilité des techniques ou de lharmonisation des législations relatives au clonage et à lutilisation de lembryon à des fins de recherche. Le contenu de ce rapport sappuie très largement sur les informations et réflexions que nous ont apportées les praticiens et chercheurs français. Une journée dauditions publiques, très riche denseignements, a, dautre part, permis dentendre quelques-uns des meilleurs spécialistes de la recherche sur le clonage et les cellules souches dans les deux pays (Etats-Unis et Royaume-Uni) où elle est la plus avancée. Le compte rendu de ces diverses auditions est reproduit en annexe du rapport. * * * Nous tenons à exprimer notre gratitude aux experts qui, malgré des emplois du temps très chargés, ont bien voulu nous guider dans lorientation de notre réflexion et le choix de nos auditions. Ce comité de pilotage comprenait : - le professeur Axel KAHN ; - le docteur Jacques MONTAGUT, directeur de lIFREARES (Institut francophone de recherche et détudes appliquées à la reproduction et à la sexologie), membre du comité national déthique ; - le docteur Bernard LOTY, directeur médical de lEtablissement français des greffes ; - le professeur Jean-Paul RENARD, directeur de recherche à lINRA. Nos remerciements vont également au docteur Françoise TOURAINE-MOULIN et à Mme Brigitte MELIN qui nous ont apporté, à Washington et à Londres, un concours efficace pour organiser laudition des experts américains et britanniques. Première
partie : Précisons demblée que le clonage reproductif humain et les problèmes philosophiques, juridiques et médicaux que soulèverait sa mise en uvre ne seront pas ici abordés. Sur le plan expérimental, aucun pas décisif na dailleurs été franchi même si une équipe sud-coréenne a prétendu, sans publication scientifique à lappui, être parvenue à créer un embryon humain développé jusquau stade de quatre cellules selon la technique mise au point par lInstitut Roslin dEdimbourg. Sur le terrain éthique et juridique, beaucoup a été et sera encore écrit mais il nentre pas dans notre mission dapporter une contribution supplémentaire à ce vaste débat dès lors que notre étude ne doit envisager le clonage que sous langle de ses applications thérapeutiques. Il nous a paru cependant nécessaire de consacrer un certain nombre de développements au clonage animal reproductif par transfert nucléaire, dune part parce que cette même technique pourrait, avec des finalités différentes, être utilisée dans le cadre de la thérapie cellulaire, dautre part parce que ce type de clonage offre lui aussi pour lhomme, à plus ou moins long terme, des applications thérapeutiques du plus haut intérêt. I - Données générales sur le clonage reproductif : définition et techniques On sen tiendra ici à lénonciation de quelques données simples destinées à faciliter la compréhension générale des problèmes soulevés par ces techniques. Le clonage vise à la production asexuée, à partir dune cellule ou dun organisme, dentités biologiques génétiquement identiques à cette cellule ou à cet organisme. Il sagit donc ici dune reproduction et non dune procréation qui « se ramène, au niveau cellulaire, à lalliance au sein de lélément féminin de deux moitiés aléatoires de lADN, chacune spécifique dun des membres du couple » 1. Aussi la distinction couramment utilisée aujourdhui entre clonages reproductif et non reproductif nest-elle guère satisfaisante au plan scientifique et mieux vaudrait séparer nous aurons loccasion dy revenir le clonage reproductif dorganismes et le clonage reproductif de lignées cellulaires 2. Deux procédés sont utilisables pour parvenir à cette duplication génétique. 1. Le clonage par scission dembryon Ce procédé est le plus facile à mettre en uvre et, sans doute, le plus efficace. Il consiste à déclencher artificiellement in vitro ce qui se produit à létat naturel chez les mammifères en cas de gémellité vraie (jumeaux monozygotes). Lorsque lembryon fécondé se divise en deux cellules, on sépare celles-ci de façon que chacune delles produise à son tour un embryon. La scission de lembryon de mouton ou de vache permet des taux de gestations gémellaires élevés (plus de 60 %). « Mais lopération ne peut être renouvelée sur les demis (ou quarts) dembryons obtenus, car les cellules qui ont été séparées se trouvent déjà engagées dans le programme de développement. » 3 La faisabilité de cette méthode a été récemment démontrée chez le primate 4. Lobjectif était de créer une fratrie composée danimaux parfaitement identiques pouvant servir de modèles de maladies ou de cobayes pour lexpérimentation thérapeutique. 2. Le clonage par transfert nucléaire Il consiste à introduire, dans le cytoplasme dun ovule non fécondé dont on a retiré le matériel nucléaire, le noyau dune cellule provenant dun embryon, dun ftus ou dun organisme adulte. « On cherche à leurrer le cytoplasme de lovocyte qui tente alors dorganiser le nouveau noyau pour lui redonner ses caractéristiques embryonnaires. » 5 · On peut utiliser des cellules embryonnaires à un stade où elles sont encore peu différenciées (embryon de 32 à 64 cellules). Il est alors théoriquement possible de reproduire un embryon en autant dexemplaires quil compte de cellules pourvoyeuses de noyaux. Cet artifice est utilisé depuis une douzaine dannées pour produire des clones chez les principaux mammifères délevage, 6 à 10 % des embryons reconstitués aboutissant à une naissance. Plus récemment (1997), lopération a été réussie avec des primates. · Lutilisation de cellules déjà différenciées prélevées sur un individu adulte permet de disposer dune source illimitée de noyaux. Comme lindique Jean-Paul RENARD, une simple biopsie de quelques millimètres carrés suffit pour fournir plusieurs milliers de cellules. Mais lopération est alors plus aléatoire car lactivité de ces noyaux doit nécessairement être reprogrammée pour leur faire acquérir les caractéristiques de noyaux dembryon. Ce clonage par transfert de noyau de cellule somatique prélevée sur un individu adulte est celui qui a abouti à la naissance, en juillet 1996, de la brebis Dolly. Depuis cette date, les expériences se sont multipliées. Quels ont été les progrès accomplis, les résultats obtenus ? Quelles interrogations subsistent sur les effets de cette méthode ? Cest ce que lon examinera maintenant. II - Lexpérimentation animale du clonage reproductif par transfert de noyau 1. Les développements de la recherche Plusieurs étapes significatives ont été franchies au cours de ces trois dernières années dans un climat de compétition fortement exacerbé par les enjeux économiques. Aussi convient-il daccueillir avec prudence les annonces triomphalistes des laboratoires et de ne retenir que les informations auxquelles leur publication dans des revues de haut niveau scientifique confère une incontestable crédibilité. Ces précautions prises, deux types davancées semblent pouvoir être mis en évidence. Les premiers résultats avaient été obtenus sur des ovins. Au cours de lannée 1998, ont été rapportés des clonages de souris, de veaux et de chèvres à partir de cellules ftales ou de cellules adultes. Sagissant des bovins et des caprins, animaux à forte production laitière, lintérêt du clonage est associé, comme on le verra plus loin, à celui de la transgenèse permettant la production de protéines pharmaceutiques et médicales. Les recherches sur le porc et le lapin ont été jusquici infructueuses. Quant aux primates, deux clones de singes rhésus produits à partir de cellules embryonnaires sont nés en mars 1997 au Centre de primatologie de Beaverton (Oregon). En revanche, si ce même centre a pu obtenir des embryons clonés à partir de cellules somatiques, aucune grossesse na jusquici été menée à terme après transfert in utero. Plus la cellule donneuse de noyau est différenciée, plus sa « reprogrammation » est difficile et plus, par voie de conséquence, les chances de succès sont aléatoires. Rappelons que 277 tentatives infructueuses de transfert ont précédé la naissance de Dolly, premier clone dun mammifère adulte. Un premier progrès important a été réalisé en juillet 1998 6 par léquipe du docteur YANAGIMACHI (Université de Hawaï) qui a produit 22 souris à partir de cellules du cumulus ovarien prélevées sur des animaux adultes. Cinquante souris supplémentaires et trois générations de « clones de clones » ont été obtenues après ce premier résultat. Quelques mois plus tard 7, une équipe japonaise (Université Kinki, Nakajami, Nara) créait 8 veaux à partir de cellules du tissu ovarien et de loviducte prélevées sur un animal adulte. Plus récemment encore, ont été rapportés des résultats obtenus à partir de cellules prélevées sur des animaux mâles alors quil navait été fait usage jusquici que de cellules rattachées au système reproductif de la femelle (glande mammaire, tissu ovarien, oviducte). Léquipe de Hawaï a ainsi créé un clone mâle de souris 8. De son côté, une équipe américano-japonaise (Institut de Kagoshima et Université du Connecticut) a produit un veau à partir de fibroblastes provenant de loreille dun taureau de 17 ans 9. Cette dernière expérience présente un intérêt supplémentaire dans la mesure où les cellules utilisées ont été maintenues en culture durant une période prolongée, allant jusquà trois mois. Ainsi dispose-t-on dassez de temps pour pratiquer sur le patrimoine génétique des interventions sophistiquées et obtenir des populations de cellules purifiées porteuses de toutes les modifications souhaitées (délétions homozygotes, mutations conditionnelles, transgène, etc.). Mieux quun long commentaire, le tableau ci-après, établi daprès les expériences menées à lINRA par lunité de recherche du professeur Jean-Paul RENARD, illustre la faiblesse de ce rendement.
1 avortement tardif 2 dont 1 mort-né, 2 morts à la naissance et 1 mort deux mois après la naissance (daprès Y. HEYMAN,
J.P. RENARD Anim. Reprod. Sc., 1996, 42, 427-436 Comme la indiqué le professeur Charles THIBAULT 10, le taux déchec constaté avec des cellules provenant de tissus de ftus âgés ou dadultes résulte dune mortalité embryonnaire tardive qui ne se produit jamais dans des conditions normales de procréation. Cette donnée est actuellement constante et les quelques expériences qui ont pu linfirmer sont encore trop exceptionnelles pour être significatives. Globalement, souligne le professeur THIBAULT, on peut estimer que le rendement est de : - 7 à 10 % avec des noyaux de blastocystes - 2 % avec des cellules dorigine ftale - = 1 % avec des cellules somatiques adultes. Comment expliquer cette efficacité réduite ? Citons ici Ian WILMUT, créateur de la brebis Dolly : « Au cours dexpériences de transfert nucléaire réalisées sur des grenouilles il y a presque 30 ans, à Cambridge, John GURDON a observé que le nombre des embryons qui survivent et qui deviennent des têtards diminue à mesure que les cellules donneuses sont prélevées à des stades de différenciation plus avancés. Nous avons obtenu les mêmes résultats avec des mammifères. Daprès toutes les études de clonage décrites, une proportion notable dembryons et de ftus meure : un à deux pour cent seulement dembryons franchissent le cap de la naissance. De surcroît, la mortalité postnatale est importante. « On ignore la cause de cette surmortalité, mais elle indique que lon ne maîtrise pas parfaitement la reprogrammation génétique qui seffectue avant la naissance des jeunes animaux viables. Il suffit quun seul gène sexprime de façon inappropriée pour que lembryon cesse de se développer, faute dune protéine vitale. Or, une telle reprogrammation met probablement en jeu des milliers de gènes selon un scénario partiellement aléatoire. Diverses améliorations techniques pourraient réduire la mortalité. » 11 Le propos très prudent du savant écossais conduit à tempérer le caractère triomphaliste de certaines annonces dont la grande presse a pu se faire lécho. Aucun progrès décisif ne sera sans doute acquis de façon irréversible tant que subsistera lignorance des chercheurs sur les mécanismes par lesquels le cytoplasme dun ovocyte peut mettre en uvre la lecture complète et ordonnée du génome de luf fécondé ou de luf reconstitué. On ne dispose encore que dinformations limitées sur les pathologies du développement qui peuvent affecter les mammifères obtenus par clonage, les chercheurs faisant plus volontiers état de leurs succès que de leurs échecs. Linaltérable bonne santé affichée depuis plus de trois ans par la brebis Dolly ne doit cependant pas dissimuler les problèmes susceptibles de se poser en ce domaine, au moins pour les gros animaux. Cest à une équipe française, financée sur fonds publics, que revient le mérite davoir fourni récemment sur ce point un certain nombre déclairages qui peuvent susciter quelques interrogations. Dans une étude publiée par le Lancet du 1er mai 1999, le laboratoire de biologie cellulaire et moléculaire, département de physiologie animale, de lINRA a rapporté le cas dun veau, né dun clonage à partir dune cellule adulte, qui, après six semaines de développement normal, a perdu ses globules rouges et ses lymphocytes et est mort au bout de dix jours danémie sévère. Les cellules utilisées comme sources de noyaux avaient été prélevées sur un animal lui-même issu dun clonage embryonnaire ; le même protocole avait été utilisé pour obtenir cet animal sans que de tels problèmes apparaissent, ni dailleurs pour plus dune centaine dautres veaux obtenus dans ce laboratoire par la même technique de clonage embryonnaire. Les facteurs techniques liés à lopération peuvent dont être écartés. En outre, lanimal donneur fait partie dun clone de trois animaux dont la santé ne sest pas altérée, ce qui permet de repousser lhypothèse dun problème lié à la constitution génétique de l'animal donneur. Lautopsie na décelé aucune anomalie circulatoire mais un déficit global du système de production des cellules sanguines et, en particulier, des lymphocytes. Le thymus, organe clef du développement immunitaire, était de taille très réduite. Des constatations similaires avaient pu être faites sur Marguerite, premier veau cloné par lINRA à partir dune cellule dun ftus de 60 jours, morte elle aussi dune anémie sévère au bout de six semaines, en 1998. Diverses autres anomalies ont pu être observées chez des animaux produits à lINRA : taille trop élevée, anomalies cardiaques et respiratoires, dème généralisé et épanchements liquidiens dans les cavités. Les chercheurs de Jouy-en-Josas mettent en cause des facteurs inhérents au clonage somatique, tels que le prélèvement aléatoire dun noyau donneur porteur dune mutation, ou un défaut de régulation au cours de la reprogrammation du noyau. Jean-Paul RENARD souligne que la recherche des causes de ces pathologies nécessite le recueil de données épidémiologiques dont la collecte est difficile car de nombreux chercheurs travaillent pour des sociétés de biotechnologie privées qui ne commentent pas volontiers les décès de leurs clones. Quel est lâge réel des animaux clonés par transfert nucléaire ? Cette interrogation est née des constatations effectuées par les chercheurs de la firme PPL Therapeutics et leurs collaborateurs du Roslin Institute et publiées dans la revue Nature du 27 mai 1999. Elles portent sur la longueur des télomères, séquences de nucléotides situées à chaque extrémité des chromosomes. On sait que chaque division cellulaire en dehors du tissu embryonnaire où agit la télomérase est accompagnée dun raccourcissement des télomères qui décroissent avec lâge, jusquà atteindre une taille critique au delà de laquelle surviennent des anomalies de la division. Comparés à ceux danimaux témoins du même âge, les télomères de Dolly et de deux autres brebis clonées se sont révélés plus courts (20 % environ dans le cas de Dolly). Lexplication la plus probable, selon les chercheurs, est que la longueur des télomères chez les animaux clonés reflète celle des noyaux transférés. En dautres termes, le transfert du noyau dune cellule adulte dans une cellule plus jeune ne remet pas « lhorloge biologique » des chromosomes à zéro. Pour autant, on ignore si lâge physiologique des animaux nés par clonage est précisément reflété par la longueur de leurs télomères. Selon Axel KAHN, on ne peut affirmer que la télomérase constitue lhorloge biologique principale de la sénescence. La question mérite quon lui apporte une réponse précise dans léventuelle perspective, que lon examinera plus loin, du recours au clonage dans le cadre de la thérapie cellulaire. Au vu des informations que nous venons de rapporter, le constat que lon peut établir est très nuancé : en dépit de progrès spectaculaires, le clonage par transfert nucléaire constitue à lheure actuelle une technique aléatoire, de faible rendement et dont les résultats sont hypothéqués par des incertitudes quune pratique plus prolongée permettra seule de dissiper. Malgré ce taux déchec élevé et ces divers aléas, un certain nombre darguments militent en faveur dune poursuite de la recherche sur les mammifères délevage et de laboratoire. Laissant de côté ceux qui se rattachent aux enjeux zootechniques de maîtrise de la reproduction, on évoquera ci-après lintérêt du clonage animal reproductif pour la recherche fondamentale et les applications médicales et pharmaceutiques. III - Lintérêt du clonage animal reproductif : recherche fondamentale et applications médicales et pharmaceutiques 1. Le clonage et la recherche biologique fondamentale Le professeur THIBAULT énonce ainsi les faits fondamentaux concernant le fonctionnement du vivant sur lesquels les recherches relatives au clonage animal reproductif pourraient apporter des lumières 12 : - Quels sont les facteurs qui, dans un ovocyte mûr, sont capables dinitier lactivation du génome de luf en développement à partir du stade 2, 4 ou 8-16 cellules ? - Comment ces facteurs peuvent-ils aussi initier lactivation de la totalité du génome dun noyau appartenant à une cellule différenciée qui nétait apparemment capable dutiliser que des gènes codant pour des protéines spécifiques du tissu auquel il appartenait (protéines du lait pour la mamelle, kératine pour lépiderme) ? - Comment, au cours de la différenciation, séteignent les gènes qui ne seront plus utilisés et comment, corrélativement, sactivent les gènes spécifiques ? De son côté, Jean-Paul RENARD souligne que létonnant pouvoir « reprogrammateur » que manifeste le cytoplasme de luf reste aujourdhui peu compris. « Il met en jeu des remaniements complexes de lorganisation des protéines qui organisent le noyau (la chromatine) et impose des états de conformation étroitement contrôlés à la molécule support des gènes, lADN. Or cette plasticité fonctionnelle du génome des cellules différenciées se manifeste aussi quand des cellules acquièrent un comportement de cellules cancéreuses. Par exemple, des cellules cancéreuses bronchiques sécrètent des hormones présentes normalement dans lhypophyse. Le clonage est donc, pour la recherche biomédicale, une voie supplémentaire de recherche pour une meilleure compréhension des mécanismes qui conduisent au dérèglement de lactivité des gènes. Il pourrait être riche denseignement pour des études de base sur la différenciation et le vieillissement cellulaires. » 13 Sur un ton plus caustique, Jacques TESTART observe quant à lui que la réussite du clonage apporte dores et déjà une démonstration scientifique qui « va à lencontre de la mystification généralisée qui voudrait nous faire croire au tout-génétique : le clonage a démontré limportance du facteur cytoplasmique pour contrôler lexpression du génome, cest-à-dire la dépendance du génétique par rapport à des facteurs variés (épigénétiques, environnement) » 14. 2. Les ressources offertes par lassociation transgenèse-clonage La naissance de la brebis Polly, annoncée par le Roslin Institute au cours de lété 1997, fit moins de bruit que celle de Dolly, quelques mois plus tôt. Il est vrai que Polly avait été clonée à partir dun fibroblaste de ftus, cellule moins différenciée que celle utilisée pour la création de son illustre congénère. Elle nen constituait pas moins une nouveauté scientifique considérable puisquil sagissait du premier gros mammifère cloné porteur du gène dune protéine humaine : le facteur IX de coagulation 15. Cette application concrète du clonage aux biotechnologies animales représente pour la transgenèse une avancée notable. La création danimaux transgéniques fait lobjet de recherches poussées depuis une dizaine dannées compte tenu des applications quelle peut offrir, dune part pour la production de protéines thérapeutiques, dautre part pour la transplantation chez lhomme dorganes « humanisés » susceptibles de surmonter lobstacle immunitaire. Si les résultats sont restés jusquici assez décevants, cela tient en partie à la faible efficacité des méthodes employées ; le recours au clonage par transfert nucléaire permettrait, selon les avis autorisés, daccomplir sur ce point des progrès très sensibles. La méthode de transgenèse la plus couramment appliquée jusquici consiste à injecter un fragment génétique une séquence dADN comportant un gène intéressant dans un grand nombre dovules fécondés. Quelques chromosomes incorporent ce fragment dADN qui sexprime alors dans cette cellule, dans les cellules filles, et chez lanimal après la naissance. Celui-ci transmet le fragment dADN à sa descendance. Cette technique, dite de la micro-injection, est lente, imprécise et peu rentable : 1 à 4 % des animaux nés après de telles manipulations expriment la protéine recherchée. Si, en revanche, on modifie génétiquement les cellules utilisées comme donneuses lors dun transfert nucléaire, le risque est nul dobtenir un animal mosaïque dont les cellules de la lignée germinale nont pas intégré le transgène et qui ne peut, par conséquent, transmettre le nouveau caractère à sa descendance. La transfection des cellules avant le clonage permet aussi, en théorie, de modifier un génome de façon plus importante et plus précise en utilisant des chromosomes artificiels ou en réalisant un remplacement de gène. Daprès les chercheurs du Roslin Institute, le clonage, comparé à la micro-injection dembryons, permet de diminuer dun facteur 2,5 le nombre de brebis nécessaires à lobtention dun agneau transgénique. Les cellules effectivement transfectées sont porteuses, outre le gène dintérêt, dun gène marqueur (codant par exemple une résistance à un antibiotique) et leur sélection est infiniment plus aisée à mettre en uvre que des tests de détection sur embryon. De plus, le sexe est prédéterminé par la cellule donneuse, ce qui présente un intérêt particulier lorsque lanimal destiné à produire dans son lait une protéine codée par le transgène doit être impérativement une femelle. En outre, des lignées de cellules donneuses adéquatement transfectées peuvent être conservées et stockées avant leur utilisation au moment opportun. On notera enfin que le recours au clonage permet, une fois lanimal transgénique créé, de le multiplier en diffusant son génotype 16. Ainsi peut-on passer du cloné transgénique au transgénique cloné. On signalera, pour conclure sur ce point, lexpérience de transgenèse spermatique réalisée en 1999 à Hawaï par léquipe du docteur YANAGIMACHI 17. Utilisant la technique de lICSI, les chercheurs ont injecté dans des ovocytes de souris des spermatozoïdes, débarrassés de leur queue et de leur membrane protectrice et mélangés à des fragments dADN codant un marqueur protéique fluorescent pour vérifier lefficacité de la transgenèse. Les embryons issus de cette fécondation in vitro ont été transférés dans des souris porteuses. Près de 20 % des souriceaux qui sont nés se sont révélés porteurs dans leur génome dune à plus de cinquante copies du gène marqueur. Ainsi a été démontrée la capacité dun spermatozoïde nu de capter un gène étranger et de permettre son transfert dans le génome de lembryon. Selon Bernard JÉGOU, directeur à lINSERM du groupe détude de la reproduction chez le mâle, « si la technique marche aussi bien sur le bétail que sur la souris, il est probable que les investissements sur le clonage dadulte perdront une grande part de leur intensité ». 18 Le clonage par transfert nucléaire peut être précédé dune intégration ciblée du transgène dans la séquence dADN dont on souhaite modifier le fonctionnement. Ces stratégies dintervention sur le génome sont déjà mises en uvre chez la souris à partir de cellules souches embryonnaires qui peuvent se maintenir en culture pendant de longues périodes mais conservent leur capacité de participer ensuite au développement. Ces outils cellulaires ne sont pas encore disponibles chez des mammifères plus proches de lhomme mais plusieurs laboratoires, dont celui de lINRA, tentent dobtenir ce résultat à partir de cellules ftales ou embryonnaires 19. La transgenèse ciblée est donc « une véritable microchirurgie génétique » 20 qui peut être utilisée pour fabriquer des modèles animaux de maladies humaines. On songe, dans un premier temps, à la mucoviscidose mais aussi, ultérieurement, au diabète, à la maladie de Parkinson et à la dystrophie musculaire pour lesquels on ne dispose pas, aujourdhui, de traitements parfaitement efficaces. Le marché des modèles animaux, indique Jean-Paul RENARD, est estimé aujourdhui à environ 1 milliard de francs par an et intéresse évidemment les grands groupes pharmaceutiques et les équipes biomédicales. Il pourrait en outre souvrir à des nouvelles demandes de nature très différente, telles que la production dun lait de vache « maternisé » ou dune viande sans prion. « Un animal », écrit Jean-Paul RENARD, « est un biotransformateur très efficace, capable de transformer des aliments simples, comme lherbe, en composés complexes, comme le lait qui contient plus dune centaine de protéines différentes. Plusieurs protéines de lait, comme les caséines ou la protéine du petit lait, ne sont produites que par les cellules de la glande mammaire car leurs gènes sont régulés par des séquences dADN ne fonctionnant que dans ce tissu. Si on associe ces séquences à celles de gènes codant pour une molécule dintérêt thérapeutique [ ], cette molécule sera produite dans le lait [ ]. Disposer demblée, avec le clonage, de plusieurs animaux à forte production laitière comme la vache, cest non seulement réduire le coût de production de la molécule, mais cest aussi simposer rapidement sur de nouveaux marchés. » 21 Divers grands groupes financent une importante activité de recherche dans ce domaine avec la perspective dun marché mondial dont la fourchette destimation se situe entre 40 et 55 milliards de francs. On citera ci-après quelques-uns des centaines de projets actuellement à létude. Genzyme Transgenics (Framingham, Massachusetts, Etats-Unis) a rapporté récemment 22 le clonage, par transfert dune cellule embryonnaire ayant intégré le transgène, de trois chèvres transgéniques produisant lantithrombine III humaine, molécule présente dans le sang et dont le déficit génétique se traduit par la manifestation de thromboses veineuses postopératoires. Cette société possède ainsi des cellules embryonnaires en culture exprimant de manière constante le gène de lantithrombine et peut reproduire, à la demande, un clonage identique. La chèvre présente le double avantage de produire plus de lait que la brebis 300 kg de protéines purifiées sont envisageables annuellement et dêtre moins sujette que les ovins et les bovins au risque de développer une encéphalopathie spongiforme transmissible. Cette molécule pourrait être mise sur le marché dans les deux années à venir. Genzyme a en outre passé un contrat avec ACT (Advanced Cell Technology, Worcester, Massachusetts), société spécialisée dans la culture de fibroblastes de bovins et le transfert nucléaire, pour la création de vaches transgéniques produisant de lalbumine, utilisée notamment en cas de chocs traumatiques et pour le traitement des grands brûlés et dont les besoins mondiaux sont de lordre de 400 tonnes par an, le prix de revient au gramme ne devant pas excéder 25 francs. Un autre projet de Genzyme vise la production dun anticorps pour traiter les rhumatismes articulaires. Un million de patients sont concernés aux Etats-Unis, chacun devant recevoir 5 grammes de substances actives par an. Cinq tonnes danticorps doivent donc être produites annuellement à un prix de revient inférieur à 50 francs par gramme. Jean-Paul RENARD indique qu« en considérant une production de 1 gramme par litre de lait (après purification), 700 à 1 000 vaches (5 000 à 7 000 litres de lait par an) suffiront pour couvrir les besoins mondiaux ». De son côté, Geron Bio-Med (filiale écossaise de Geron associé au Roslin Institute) devrait commercialiser dici deux ans la production de lalpha-1 antitrypsine, protéine du foie dont la déficience génétique est génératrice demphysème pulmonaire et de cirrhose hépatique. Son administration peut en outre soulager les malades atteints de mucoviscidose. Ce marché est estimé à 100 millions de dollars. Pharming (Leiden, Pays-Bas), qui a annoncé la naissance, en janvier 1999, de son premier veau transgénique cloné par transfert de noyau de cellules ftales, poursuit ses recherches sur la lactoferrine protéine fixatrice du fer qui possède de nombreuses propriétés thérapeutiques et stimule notamment le système immunitaire et lalphaglucocidase (ou maltose), enzyme qui hydrolyse le maltose en glucose et permet de traiter les glycogénoses. Les vaches transgéniques destinées à la production de ces protéines seraient clonées avec la collaboration dInfigen (De Forest, Wisconsin, Etats-Unis). Plus futuriste est le projet de Nexia Biotechnologies (Montréal) associé à Genzyme, qui a cloné trois chèvres transgéniques dont le lait contient la protéine constitutive des fils de soie daraignée. Ce biomatériau pourrait trouver des applications en chirurgie réparatrice mais aussi dans lindustrie aérospatiale. Nous avions indiqué dans notre précédent rapport que le marché des xénogreffes, destinées à pallier la pénurie de greffons dorigine humaine, est très porteur : les évaluations vont de 1,4 à 6 milliards de dollars dici à 2010 et la plupart des laboratoires sappuient sur des firmes puissantes : Nextran et Alexian aux Etats-Unis ; Imutran au Royaume-Uni, racheté par Novartis, qui sapprête à investir plus dun milliard de dollars dans ce domaine. La production de porcs « humanisés » dont les organes ne seraient pas exposés, lors de la transplantation, aux habituels phénomènes de rejet immunitaire, peut se trouver facilitée par le recours à la technique du clonage. Pour la réalisation de cet objectif, Imutran a signé, en janvier 1999, un accord de recherche avec Infigen visant à la production par clonage de lignées danimaux transgéniques. Alexion Pharmaceuticals (New Haven, Connecticut, Etats-Unis) a annoncé, en avril 1999, la transplantation réussie de neurones provenant dun porc génétiquement modifié chez un modèle animal de la maladie dAlzheimer. Elle compte passer à la clinique, salignant sur les xénogreffes déjà pratiquées chez lhomme par léquipe dOle ISACSON, à lEcole médicale de Harvard et par des chercheurs de la société Dacrin (Charlestown, Massachusetts). Alexion collabore également avec Harvard pour le traitement de maladies neurodégénératives et avec lUniversité Yale pour des xénogreffes destinées aux patients victimes de lésions de la moelle épinière 23. Il reste que la xénotransplantation soulève, comme nous lavions indiqué dans notre premier rapport, bon nombre de questions scientifiques, juridiques, éthiques et sanitaires. Lun des aléas majeurs concerne la transmission à lhomme de zoonoses et de rétrovirus dorigine animale qui pourraient atteindre des proportions pandémiques. Sans entrer dans les détails dun sujet qui déborde le champ de notre étude, on rappellera que la France est le seul pays européen à avoir mis en place un encadrement législatif 24 qui devra sans doute être précisé et complété à loccasion de la révision de la loi du 29 juillet 1994. Cest lune des recommandations contenues dans lavis qua publié en juin 1999 le Comité consultatif national déthique. Ce document souligne par ailleurs lintérêt de la création de porcs transgéniques tout en estimant quil convient de multiplier les essais expérimentaux de greffes dorganes de porcs transgéniques sur des singes qui représentent un excellent mais très coûteux modèle de xénogreffe humaine. Plus récemment, ont été publiés 25 les résultats dune étude conduite par une équipe dImutran qui portait sur 160 patients ayant reçu des tissus dorigine porcine peau pour des brûlures graves, îlots pancréatiques pour un diabète ou ayant bénéficié dune circulation extracorporelle utilisant des cellules de porc (rate, foie, reins). Lobjectif était détablir les risques de contamination par le rétrovirus endogène porcin (PERV) et den déterminer les conséquences. Si lon a bien retrouvé, chez 23 patients dont certains avaient été traités huit ans auparavant, la présence, dans la circulation, de cellules de porc, aucun signe dinfection na été établi, même chez 36 patients qui étaient pharmacologiquement immuno-déprimés. Même si labsence de tout risque sanitaire se trouvait confirmée, le problème du rejet que la transgenèse sefforce de résoudre demeurera le principal obstacle au développement de la xénotransplantation. Selon Louis-Marie HOUDEBINE, spécialiste de la transgenèse animale à lINRA, « il faudra peut-être supprimer ou ajouter au moins dix gènes chez les porcs pour adapter leurs organes à la greffe humaine, mais lesquels ? Si on les connaissait, la technique ne serait pas un frein » 26. Il reste que, même si les chercheurs parviennent à maîtriser le rejet suraigu et le rejet vasculaire différé, ils devront également surmonter les rejets cellulaires retardé et chronique qui font intervenir des cellules du système immunitaire comme les lymphocytes et les macrophages. Cest dire quil convient denvisager avec prudence les ressources thérapeutiques offertes par les animaux transgéniques dans le domaine de la transplantation dorganes. 3. Un développement industriel encore aléatoire compte tenu de la fragilité des résultats et des contestations touchant la propriété intellectuelle La propriété intellectuelle des méthodes de clonage constitue à lévidence un atout décisif dans la compétition commerciale qui oppose, des deux côtés de lAtlantique, les grandes sociétés de biotechnologie. Le Roslin Institute a déposé en 1997 deux demandes de brevets destinés à couvrir non seulement la technique qui a permis de créer le clone dadulte et ses précurseurs mais aussi tous les dérivés de cette technique : les clones eux-mêmes, leurs descendants et leurs produits, quils soient à usage agricole, pharmaceutique, chirurgical ou médical. Ces demandes ont été homologuées en janvier 2000 par lOffice britannique des brevets. Deux autres brevets avaient été précédemment délivrés. Le premier, attribué en juillet 1998 à la firme australienne Pro Bio America, couvre la « technique de Honolulu » mise au point sur les souris par les docteurs YANAGIMACHI et WAKAYAMA. Elle procède par micro-injection de noyau et non par fusion de cellules, méthode utilisée par le Roslin Institute. Celui-ci na pas contesté la réalité de cette variante. Un litige sérieux loppose en revanche à ACT (Advanced Cell Technology) associé à lUniversité du Massachusetts. Cette société sest vu accorder en août 1999 par loffice américain un brevet couvrant le clonage de tout mammifère non humain, à partir de toute cellule somatique, ftale ou adulte, durant toute phase de croissance de la cellule, excepté la quiescence. Cest sur ce dernier point que porte la contestation : ACT affirme en effet avoir obtenu des veaux clonés à partir de cellules en cours de division 27 alors que Ian WILMUT considère que la quiescence des cellules donneuses conditionne la réussite du clonage et met en doute loriginalité de la méthode brevetée par la société américaine. Ce conflit nest quun épisode parmi dautres de la guerre commerciale que se livrent, par partenaires interposés, ces deux « major companies » américaines de la biotechnologie que sont Geron et Genzyme pour la conquête dun marché qui pèse plusieurs centaines de millions de dollars. Cependant, par delà ces controverses juridico-scientifiques qui trouveront probablement leur épilogue devant les tribunaux, un autre élément hypothèque lavenir industriel du clonage transgénique : même si les progrès rapides qui ont été enregistrés au cours de ces dernières années amènent certains commentateurs à évoquer une banalisation de la technique du clonage reproductif, ces avancées resteront sujettes à caution tant que des explications précises et déventuels remèdes nauront pas été fournis sur le manque de résistance des animaux clonés. Ces incertitudes ne remettront sans doute pas en cause la stratégie de grands groupes industriels attirés par la perspective de bénéfices colossaux. Elles devraient au moins tempérer loptimisme dune opinion publique trop souvent prête à tenir pour acquises des avancées scientifiques et médicales dont la promesse est encore en germe dans les éprouvettes des chercheurs. Cette observation vaut plus encore pour le clonage « thérapeutique » dont lutilisation ouvre des perspectives jusquici insoupçonnées mais dont la faisabilité demeure, pour linstant, hypothétique. IV - Du clonage reproductif animal au clonage thérapeutique humain Dans lavis n° 54 du 22 avril 1997 quil a établi au sujet du clonage reproductif à la demande du Président de la République, le Comité consultatif national déthique soulignait la nécessité dune distinction entre le clonage reproductif aboutissant à la naissance dêtres humains et le clonage non reproductif qui recouvre lui-même deux sortes de techniques déjà usitées ou envisageables : « - la production et la culture de cellules dorigine embryonnaire ou adulte qui ne peuvent donner lieu par elles-mêmes à la constitution dun embryon. Ces techniques, couramment pratiquées et très précieuses pour la recherche diagnostique et thérapeutique, posent des problèmes éthiques qui ne diffèrent pas fondamentalement de ceux quont déjà conduit à traiter dautres aspects de la recherche biomédicale [ ] « - la production dembryons dont le développement serait arrêté à un stade plus ou moins précoce pour obtenir des cellules immuno-compatibles à des fins de thérapie cellulaire ». Nous aborderons plus en détail, dans la deuxième partie de ce rapport, les ressources thérapeutiques considérables attendues des cellules souches pluripotentes présentes dans lembryon à son premier stade de développement. Linterconnexion du clonage en vue dobtenir des cellules souches et la mise en culture de ces cellules permettraient dobtenir pour chaque malade une collection spécifique de ses propres cellules immunitairement homogènes. Citons là encore lavis n° 54 du CCNE : « La possession de cellules embryonnaires génétiquement et donc immunologiquement identiques à celles du receveur faciliterait considérablement les greffes et renforcerait très vraisemblablement leur efficacité [ ]. Le clonage par transfert de noyaux provenant dun organisme adulte pourrait permettre de préparer, en quelques mois, de telles cellules en cas de besoin. Dans ce scénario, un embryon serait créé, utilisant un ovocyte receveur et le noyau dune cellule somatique de la personne malade [ ]. Il sagirait ensuite de cultiver cet embryon ex vivo puis, au bout de quelques jours, de mettre en culture des populations de cellules dont la différenciation pourrait être induite in vivo et qui pourraient ainsi être utilisées pour la greffe. » Lobjectif est donc, dans cette hypothèse, non de parvenir au développement dun être humain mais dobtenir, à partir des cellules somatiques dun patient, les cellules souches dont la différenciation contrôlée permettrait de traiter laffection dont il est porteur sans provoquer de phénomène de rejet. La technique est bien la même dans les deux hypothèses : reproduction non sexuée dentités génétiquement identiques. La finalité diffère : création, dans le premier cas, dun organisme complet, dans le second, de lignées cellulaires, le passage obligé étant, en létat actuel de la science, le développement préalable dun embryon in vitro. Les insuccès fréquents rencontrés dans le clonage animal reproductif compromettent-ils les chances du clonage thérapeutique ? Jean-Paul RENARD fonde un avis contraire sur le fait que la faible efficacité du clonage résulte avant tout dune mortalité ftale élevée. « Pourquoi, alors, ne pas chercher à mieux tirer parti de cet embryon cloné dont les cellules peuvent apparemment sengager normalement dans une première voie de différenciation ? Au lieu de viser lobtention dun développement à terme, tentons dorienter les cellules embryonnaires, qui sont capables de multiplication active, dans une voie de différenciation donnée pour en faire des cellules nerveuses, des cellules épithéliales de peau, des précurseurs de cellules osseuses. » 28 Cet optimisme ne fait pas lunanimité au sein de la communauté scientifique. A titre dexemple, le professeur EDWARDS met laccent sur les facteurs épigénétiques incontrôlables qui risquent de compromettre la normalité des cellules obtenues par clonage somatique. Nous aurons loccasion de revenir, dans les développements consacrés aux cellules souches pluripotentes, sur les débats que suscite, tant sous langle de la faisabilité technique que de lacceptabilité éthique, une méthode dont la mise au point nécessitera encore, en tout état de cause, plusieurs années de recherche. Deuxième
partie : Depuis que la presse spécialisée sest fait lécho, à la fin de lannée 1998, des avancées de la recherche américaine, lattention du public et dune partie de la communauté scientifique sest polarisée sur les cellules souches embryonnaires et leurs très riches potentialités thérapeutiques. Un débat, qui nest pas encore clos, sest ouvert aux Etats-Unis sur le financement public de ce type de recherche et lon a assisté à la floraison de sociétés « start-up » faisant appel au capital-risque qui parient sur les substantielles retombées économiques de ce nouveau secteur des biotechnologies. Pour autant, un arbre qui sort à peine de terre ne doit pas cacher la forêt. Si lun des objectifs de ce rapport est de faire le point sur les conditions et les délais dans lesquels la science pourra progresser sur ce terrain particulier, il doit aussi rendre compte dune réalité diversifiée en dressant un tableau des différentes voies dans lesquelles sest engagée, depuis plusieurs années, la thérapie cellulaire. Ceci permet de mettre en évidence des démarches médicales qui ne soulèvent pas, notamment au plan éthique, les mêmes problèmes que lutilisation des cellules prélevées sur un embryon humain. Dans cette logique, nous nous proposons de distinguer, dans la deuxième partie de notre étude : - les applications déjà éprouvées de la thérapie cellulaire (greffes de cellules souches hématopoïétiques et de cellules de la peau) ; - les démarches expérimentales (ingénierie tissulaire, greffes de cellules ftales et adultes notamment pour le traitement des maladies neurodégénératives) ; - les perspectives ouvertes par les cellules souches pluripotentes dorigine embryonnaire ou ftale mais aussi par les cellules souches adultes, dites « progénitrices », dont on découvre, depuis peu, les étonnantes capacités de transdifférenciation. I Les applications déjà éprouvées de la thérapie cellulaire 1. Les greffes allogéniques de cellules souches hématopoïétiques (CSH) Ces greffes, qui sont destinées au traitement de maladies hématologiques, peuvent provenir de trois sources qui sont, dans lancienneté de leur utilisation, la moelle osseuse, le sang périphérique et le sang placentaire (ou sang de cordon). On insistera plus particulièrement sur ces deux derniers types de prélèvement dont il est fait, en raison de leurs avantages, un usage croissant. Le recours aux CSH périphériques présente, pour le receveur, lintérêt dobtenir un plus grand nombre de cellules quavec un prélèvement de moelle. La prise de greffe et la sortie daplasie 29 sont, dans ce cas, plus rapides. La greffe nécessite ladministration préalable au donneur, sans bénéfice personnel, dun facteur de croissance (GCSF recombinant) dont les risques théoriques sont liés à lhyperleucocytose quil provoque chez le donneur et qui a conduit, dans deux cas, à des infarctus du myocarde, 48 heures après son administration. On a pu, dautre part, relever deux cas de rupture de rate chez des donneurs sains dont lun était âgé de 17 ans 30. Même si ces risques sont limités, ils justifieraient que le donneur bénéficie dune information particulière qui nest pas prescrite par les textes, la loi ignorant ce type de prélèvement (cf. sur ce point les observations développées dans notre précédent rapport, page 54). Le professeur VERNANT observe dautre part que les prélèvements de CSH périphériques peuvent être opérés en situations apparentée (frère et sur) et non apparentée. Dans cette seconde hypothèse, on se trouve dépendant dun fichier mondial interconnecté qui regroupe environ 5 millions de donneurs. Certains pays disposent dune législation qui permet ladministration du facteur de croissance et le prélèvement de CSH périphériques ; ils peuvent donc en fournir aux receveurs français alors que la réciproque nest pas possible en létat actuel de notre droit. Il y a donc là un problème de mise en concordance des différentes législations européennes. Ce type de prélèvement représente aujourdhui le cinquième des greffes allogéniques de cellules souches hématopoïétiques. Lintérêt de ce type de prélèvement est de fournir des cellules relativement immatures qui créent moins de réactions immunitaires que les CSH dorigine médullaire ou sanguine. Les greffes de CSH requièrent en effet une identité entre donneur et receveur qui soit la plus parfaite possible, lidéal étant, dans lordre décroissant, le jumeau monozygote et le frère ou la sur géno-identiques. Même dans cette seconde situation, la réaction GVH (« graft versus host ») déclenchée par le greffon survient dans 30 à 40 % des cas et est mortelle dans 10 % des cas. Le fichier mondial ne permet de satisfaire à cette exigence didentité que dans 50 % des cas. Lavantage des lymphocytes « naïfs » existant dans le sang placentaire est dêtre beaucoup plus tolérants à légard des différences dantigènes existant entre eux et le receveur, donc de réduire considérablement le risque de GVH. Cependant, le sang placentaire ne peut être recueilli quen très faible quantité (quelques dizaines de millilitres) et ne fournit donc quun nombre de CSH insuffisant pour un adulte de taille et de poids normaux. Lavenir passe par la mise au point de techniques dexpansion sur lesquelles travaille actuellement une équipe bordelaise. Lutilisation de cette source de cellules sanguines sest développée tardivement, malgré son intérêt, en raison de la plus grande complexité et du coût relativement important des opérations de recueil, typage et stockage par congélation 31. Les crédits aujourdhui dégagés devraient permettre de recueillir et de congeler, dans les cinq années à venir, environ 10 000 sangs placentaires. Ainsi sera-t-il possible de traiter des catégories de population qui sont sous-représentées dans les fichiers de donneurs volontaires. Pratiquées aujourdhui de façon courante, notamment pour le traitement des grands brûlés, ces greffes tirent parti des capacités de régénération dont sont dotées les cellules souches de lépiderme. On sait quune assise cellulaire épidermique sélimine toutes les 24 à 48 heures par desquamation de la couche cornée et que lépiderme se renouvelle en totalité en quelques dizaines de jours. Ces greffes sont, en règle générale, autologues : on prélève par biopsie sur le patient un fragment de peau de très faible dimension que lon met en culture afin den accroître la surface. Le greffon peut ensuite être placé sur la plaie sans susciter de réactions immunitaires. La société américaine Genzyme Tissue Repair a ainsi commercialisé, depuis 1987, le procédé « Epicel » qui guérit en moyenne 75 grands brûlés par an et représente plus de 30 % de ce marché, soit plus de 12 millions de dollars 32. Un autre procédé est développé en Europe par la société italienne Fidia Advanced Biomaterials. Les kératinocytes, cellules souches de lépiderme du patient, sont cultivés sur une matrice de polymères biodégradables. Lorsquils ont proliféré le long de la matrice à laide de facteurs de croissance, ils forment un tissu qui peut être placé dans le corps. Parallèlement à la vascularisation, le support biodégradable disparaît en quatre semaines et le tissu se trouve parfaitement intégré à lépiderme au bout de deux mois. Lorsque les lésions chroniques, comme les ulcères aux pieds des diabétiques, sont plus profondes et atteignent le derme, les cultures de cellules servent aussi à remplacer le tissu interne. Le système « Dermagraft », fabriqué par la start-up américaine Advanced Tissue Sciences, se compose dune matrice synthétique utilisée comme support de culture de cellules du derme. En assurant la stabilité de celui-ci, il accélère aussi le processus naturel de cicatrisation : les kératinocytes situés autour de la blessure migrent pour couvrir le derme artificiel et produisent des facteurs de croissance jusquà la guérison. Ces méthodes sont maintenant employées pour le remplacement de cartilages défectueux à partir de chondrocytes mis en culture pendant plusieurs semaines et greffés par arthroscopie. Cette technologie, mise au point par lhôpital suédois de Gothenburg, a permis de reconstruire, depuis 1995, les genoux de plus de 2 000 patients. A lhôpital des enfants de Boston, Joseph VACANTI a même réussi à reconstituer les cartilages thoraciques dun patient de 12 ans victime dune malformation héréditaire à partir de cellules mises en culture sur un support de forme adéquate 33. Pour traiter temporairement les situations durgence, on pratique des allogreffes à partir de cellules prélevées dans des banques de donneurs. Les greffes dépiderme utilisent ainsi des kératinocytes venant de cliniques spécialisées dans les circoncisions. Chaque prépuce circoncis peut donner 200 000 carrés de peau prêts à être greffés sans phénomène de rejet. Ces cellules se multipliant facilement, il est aisé dobtenir des tissus en grande quantité tout en testant leur innocuité. On rappellera enfin que la pénurie de cellules dorigine humaine conduit dans certains cas à pratiquer des xénogreffes à partir de cellules du derme porcin. II Les démarches expérimentales en cours : tissus et cellules Lingénierie ou génie tissulaire est, selon la définition quen donne le docteur François AUGER, directeur du laboratoire dorganogenèse expérimentale (LOEX) à lhôpital du Saint-Sacrement (Québec), un nouveau domaine biomédical regroupant les principes de la biologie cellulaire et du génie biologique, qui permet de reconstruire des structures proches des tissus à partir de cellules vivantes pour des usages in vivo ou ex vivo. Le concept clef en est la reproduction, avec des caractéristiques simplifiées, de larchitecture tissulaire, qui conduit à une intégration immédiate et interactive de ces tissus dans le corps humain. Deux méthodes sont actuellement expérimentées pour la création de « néo-organes » à partir de cultures cellulaires in vitro. 1°) La première fait appel à des biomatériaux pour la culture in vitro et limplantation des cellules. Les cellules incorporées dans ces supports sécrètent des quantités variées de matrice extracellulaire conduisant à la reconstruction dune structure proche du tissu dorigine mais comprenant également la trame biodégradable du biomatériau. Ces tissus offrent une bonne résistance mécanique mais la présence dun squelette biodégradable peut être un handicap dans les organes pulsatiles, comme les vaisseaux sanguins, en raison dune incompatibilité de compliance entre les cellules et leur matrice extracellulaire, dune part, et la structure du biomatériau, dautre part. De plus, le processus de biodégradation de ces matériaux savère plus complexe quil navait été initialement prévu. Cette technique a été utilisée à la Harvard Medical School de Boston par Anthony ATALA pour expérimenter sur des chiens la création dune vessie bioartificielle. Des cellules musculaires lisses et des cellules de la paroi interne de la vessie, dites urothéliales, sont prélevées par biopsie chez lanimal receveur et mises séparément en culture pendant quatre semaines. Le tissu ainsi cultivé est ensuite fixé sur un moule de polymère biodégradable ayant la taille et la forme dune vessie de chien. Les cellules urothéliales sont placées à lintérieur du moule et les cellules musculaires à lextérieur, en couches successives, après passage dans un incubateur. Au bout de six semaines, les chercheurs remplacent la vessie naturelle par ce néo-organe qui fonctionne correctement un mois plus tard. Après onze mois, la vessie retrouve 95 % de la capacité dun organe normal. Lintérêt de cette expérience, par delà son aspect spectaculaire, est davoir réussi à reconstituer une structure fonctionnelle composée de plusieurs tissus différents. Pratiquée avec succès sur dix animaux, elle devra encore être affinée avant son expérimentation sur lhomme. Néanmoins, léquipe dAnthony ATALA a déjà élaboré des cultures de cellules de vessie humaine in vitro. Ce néo-organe pourrait intéresser 400 millions de personnes connaissant des problèmes de vessie qui vont de la malformation congénitale à linfection chronique et au cancer. 2°) La seconde méthode consiste, sans apport extérieur, à exploiter la capacité quont les cellules à sauto-assembler spontanément, à sécréter leur propre matrice extracellulaire et à en organiser larchitecture interne, lorsquelles sont placées dans un environnement favorable. Les tissus ainsi obtenus sont dénués de tout matériel exogène et présentent de surcroît des propriétés mécaniques remarquables. Ce procédé a été expérimenté par le LOEX à Québec pour la fabrication de vaisseaux sanguins à partir de cellules humaines prélevées sur un cordon ombilical. On en a extrait, pour les cultiver séparément, les trois types de cellules constitutives dun vaisseau sanguin : des cellules endothéliales pavimenteuses qui tapissent la paroi interne du vaisseau (« intima ») ; des cellules musculaires lisses logées dans la couche médiane (« média »), qui assurent la contractilité du vaisseau ; des fibroblastes qui forment la couche externe (« adventice »). On obtient, après culture, deux feuillets cellulaires, la média et ladventice, quon enroule autour dun mandrin pour reproduire la forme tubulaire du vaisseau. Puis des cellules endothéliales sont ensemencées dans la lumière du vaisseau. Ainsi réunies, les espèces cellulaires entament un « dialogue » qui concourt, par un échange de messages chimiques (cytokines et facteurs de croissance), à structurer la matrice extracellulaire pour en faire une structure de soutien. Les vaisseaux sanguins ainsi reconstruits ont 3 à 5 mm de diamètre. Ils se prêteraient donc bien aux pontages coronariens et pourraient également réparer les dégâts artériels causés par lathérosclérose. « Les vaisseaux », indique le docteur AUGER, « supportent une tension de vingt fois supérieure à celle dune personne normotendue. En outre, ils sécrètent eux-mêmes des substances antithrombotiques qui préviennent la formation de caillots susceptibles dobstruer le flot sanguin. Or, ces deux caractéristiques font défaut aux prothèses synthétiques qui ont servi de greffons jusquà présent. » 34 Obtenus à partir des propres cellules du patient, ils éviteraient les problèmes de rejet et de transmission pathogène qui sont les principaux écueils liés à la transplantation dorganes étrangers. Dautres recherches sur la reconstruction tissulaire tridimensionnelle sont actuellement en cours. Elles portent notamment sur la cornée. Deux chercheurs de lEye Institute de lUniversité dOttawa et de la faculté de médecine de lUniversité du Tennessee ont ainsi mis en culture, en couches superposées, trois types de cellules composant la cornée (épithélium antérieur qui constitue la membrane extérieure, stroma qui forme la couche intermédiaire composée de kératinocytes et endothélium antérieur, ou couche profonde de la cornée). Après deux semaines, ils ont pu disposer dun tissu transparent ayant à peu près les mêmes propriétés que la cornée humaine. Avant den envisager la greffe, il conviendra dune part de vérifier labsence de risque cancérigène et de réactions immunitaires, dautre part de sassurer que ces cornées artificielles ne sopacifient pas avec le temps. Cela étant, ce tissu artificiel présente un grand intérêt pour la recherche et « pourrait servir de modèle pour répondre à bon nombre de questions fondamentales » comme le note Terence OBRIEN, chirurgien de la cornée au Wilmer Eye Institue (Johns Hopkins School of Medicine) 35. Les différentes méthodes de génie tissulaire ouvrent donc de nouvelles voies dans le domaine de la transplantation dorganes. Elles pourraient en outre apporter un concours précieux au développement de la thérapie génique en permettant lintroduction de gènes actifs dans des équivalents tissulaires in vitro et limplantation de ceux-ci au niveau des sites anatomiques adéquats. On soulignera enfin quelles présentent lavantage non négligeable de ne soulever aucun problème éthique puisquelles font exclusivement appel à des cellules adultes qui ne se heurtent pas, de ce point de vue, aux mêmes objections que les cellules embryonnaires. 2. La greffe de cellules allogéniques Les voies thérapeutiques actuellement explorées par les chercheurs qui expérimentent ce type de greffe sur lanimal et sur lhomme visent, pour lessentiel, deux objectifs : · fournir une alternative à la transplantation dorganes pour le traitement des affections hépatiques graves et du diabète. Outre le problème habituel que pose la pénurie de donneurs, les greffes de foie et de pancréas constituent des procédures chirurgicales lourdes qui exposent le patient à des suites parfois émaillées de complications et dont le taux de réussite est, de ce fait, assez faible dans les conditions actuelles. On peut redouter, dautre part, les effets pathogènes induits par ladministration prolongée dun traitement immunosuppresseur ; · soigner de façon plus efficace des affections neurodégénératives (maladie dAlzheimer, maladie de Parkinson, sclérose en plaques, chorée de Huntington) qui ne font actuellement lobjet que de traitements palliatifs et dont la fréquence saccroît avec le vieillissement de la population. Les cellules utilisées proviennent selon les cas de résidus opératoires, de donneurs décédés accidentellement ou de ftus après IVG. On renverra, pour les problèmes juridiques que posent ces différents types de prélèvements, aux observations énoncées dans notre rapport sur lapplication de la loi du 29 juillet 1994. Les recherches en cours concernent les cellules du foie (hépatocytes) et les cellules du pancréas (îlots de Langerhans). Les hépatocytes sont des cellules du parenchyme hépatique à fonctions multiples (transformation, synthèse, détoxication, production de bile). La recherche sur ces cellules a pris un tournant décisif lorsquont été mises au point des méthodes disolement et de purification par digestion enzymatique de lorgane entier par la collagénase. Après de nombreuses étapes préliminaires qui ont analysé le fonctionnement et le métabolisme de ces cellules, on a pu mettre au point des modèles de culture et de stockage. A lheure actuelle, les hépatocytes sont essentiellement obtenus par le biais de déchets opératoires, à loccasion dinterventions chirurgicales pratiquées pour le traitement de pathologies tumorales. Dans cette hypothèse, lablation pratiquée est assez large pour permettre de récupérer une partie du parenchyme non affectée par la tumeur et den extraire les cellules hépatiques. Toutefois, la proximité de ces cellules avec une tumeur les rend impropres à un usage clinique. Pour la recherche fondamentale, elles sont imparfaites puisque les patients ont souvent reçu de nombreux médicaments qui modifient lexpression des gènes régulant les fonctions hépatocytaires 36. Les prélèvements post-mortem constituent, en revanche, une source dapprovisionnement qualitativement satisfaisante mais se heurtent à des difficultés liées au régime de consentement établi par la loi du 29 juillet 1994 37. A Rennes, deux unités INSERM (U 522 « Recherches hépatologiques » et U 456 « Détoxication et réparation tissulaire ») travaillent actuellement sur les hépatocytes. Dans le cadre de la thérapie cellulaire, deux programmes de recherche pré-clinique sont en cours de réalisation. - Le premier concerne la mise au point dun foie bioartificiel qui pourrait être fonctionnel et disponible à tout moment pour faire face, en urgence, à la menace vitale des insuffisances hépatiques aiguës, telles que lhépatite fulminante. Lorgane artificiel constitue ainsi une suppléance hépatique transitoire et extracorporelle. Le maintien en survie du patient laisse à son foie le délai nécessaire pour une régénération spontanée et permet de faire léconomie dune transplantation dorgane. Le bon fonctionnement de ce dispositif implique que soient satisfaites plusieurs conditions : maintien de la viabilité des hépatocytes durant plusieurs heures, voire plusieurs jours ; bon fonctionnement général de ces cellules ; mise à disposition, à tout moment, du foie bioartificiel, ce qui oblige à congeler les hépatocytes du donneur. Le système mis au point à Rennes est fondé sur limmobilisation dhépatocytes (dorigine humaine ou porcine) dans des billes dalginate 38, composé naturel extrait des algues marines. Les billes sont congelées dans de lazote liquide et disposées, pour leur utilisation, dans un bioréacteur extracorporel couplé à un séparateur plasmatique. Les premiers résultats obtenus à partir de cellules animales sont très encourageants : lensemble des fonctions hépatiques analysées, notamment celles de détoxication et de synthèse protéique, sont restaurées, et la protection immunologique des hépatocytes est totale. - Lautre axe de recherche concerne la transplantation dhépatocytes pour remédier aux déficits enzymatiques congénitaux dorigine hépatocytaire et traiter, en urgence, lhépatite fulminante. Sur ce dernier point, on peut faire état des recherches menées par Alexandre MIGNON et plusieurs de ses collègues de lunité INSERM U 129 (physiologie et pathologie génétiques et moléculaires) dirigée par Axel KAHN. Les expériences menées par cette équipe procèdent des constatations suivantes : lors dune infection touchant les cellules hépatiques, les lymphocytes T affluent dans le foie et libèrent une molécule le ligand de Fas qui se fixe indistinctement sur tous les hépatocytes, sains ou infectés, et conduit à leur autodestruction (apoptose). Des cellules génétiquement modifiées, produisant la protéine Bcl2, qui est un bouclier contre lapoptose, ont été greffées sur des souris chez qui ladministration dun anticorps imitant le ligand de Fas a déclenché lautodestruction des hépatocytes dorigine. A lissue de lexpérience, le foie des animaux greffés contenait, dans le meilleur des cas, 16 % dhépatocytes modifiés fonctionnels. La transposition de cette méthode à lhomme présuppose que soit démontrée linnocuité à long terme des hépatocytes ainsi modifiés. Si tel était le cas, on pourrait envisager le prélèvement des cellules sur le malade lui-même et leur modification in vitro avant réimplantation afin déviter les risques de rejet et les traitements immunosuppresseurs. Si la faisabilité et la fiabilité du procédé étaient confirmées, dautres adjonctions transgéniques pourraient être envisagées, comme lintroduction du gène codant une molécule qui découpe les ARN messagers du virus de lhépatite C et bloque ainsi la synthèse de nouvelles particules virales. La transgenèse pourrait également être utilisée pour compenser un déficit génétique : une recherche pré-clinique est en cours sur lanimal avec le gène du facteur VIII et le gène codant les récepteurs du cholestérol, dont labsence provoque, dans le premier cas lhémophilie, dans le second une hypercholestérolémie. Les îlots de Langerhans sont des structures grossièrement sphériques composées dun bon millier de cellules dont la majorité, les cellules ß, sécrètent de linsuline. Ces cellules endocrines représentent 2 % de la masse totale du pancréas. Leur obtention passe par le prélèvement de lorgane sur un donneur en état de mort cérébrale. Après séparation des autres tissus constitutifs du pancréas et purification, ces cellules sont injectées, sous anesthésie locale, dans la veine porte du foie. Les îlots vont ainsi se disperser dans le flux sanguin hépatique et simplanter dans le foie. Au terme dun délai qui peut aller de quelques jours à quelques semaines, ils se remettent à fonctionner et sécrètent de linsuline en fonction des taux de sucre dans le sang. Cette méthode présente plusieurs avantages : · la procédure thérapeutique elle-même est simple et peu agressive ; · les îlots peuvent être congelés pour être stockés ou expédiés, ce qui facilite considérablement lorganisation de la greffe ; · enfin, il est théoriquement envisageable de manipuler les îlots en éprouvette afin de réduire les risques de rejet. De telles greffes ne sont concevables pour linstant que sur des diabétiques soumis, par ailleurs, à un traitement immunosuppresseur parce quils attendent une transplantation rénale ou en ont déjà bénéficié. Les résultats sont encourageants : selon lexpérience allemande qui sappuie sur la pratique la plus développée, cette thérapie cellulaire permet dobtenir dans 20 % des cas une indépendance totale vis-à-vis de linsuline, dans 70 % une amélioration notable se traduisant par une réduction majeure des doses, sans sevrage complet 39. Les perspectives qui souvrent à lheure actuelle aux chercheurs sont bien identifiées grâce, notamment, à lAssociation américaine des diabétiques qui finance cette recherche à même hauteur que les NIH (National Institutes of Health), le but affiché étant de guérir le diabète dans les dix ans à venir. Les plus grands groupes de recherche américains sintéressant à cette maladie, assurés dun financement récurrent, se sont lancés dans une bataille qui était jusquici menée par des équipes plus restreintes. Deux objectifs ont été définis : - Le premier est de parvenir à se passer de limmunosuppression afin de pouvoir proposer cette technique à tous les diabétiques. Avec des cellules qui présentent la particularité dêtre disponibles quelques jours, voire quelques semaines, avant dêtre greffées ce qui nest pas le cas des organes de nombreuses solutions théoriques sont possibles. Lune dentre elles, envisagée de longue date, consiste à encapsuler les îlots dans un dispositif synthétique (polymère biocompatible), quil sagisse de microcapsules ou de fibres creuses, arrêtant les cellules immunitaires mais laissant diffuser linsuline et le glucose. Des résultats intéressants ont été obtenus chez le rongeur : à lINSERM U 341 (Hôtel-Dieu de Paris), des îlots de porcs encapsulés greffés dans le péritoine de souris diabétiques ont corrigé leur glycémie pendant plusieurs semaines, sans traitement immunosuppresseur. Lexpérience reste à confirmer chez le gros animal. - Le second objectif est de développer une source alternative de cellules insulino-sécrétrices, quasiment illimitée et éventuellement accessible à un projet industriel 40. La xénogreffe, solution théorique initialement avancée, a subi, pour ce qui concerne les îlots de Langerhans, un sérieux coup darrêt en raison de problèmes infectieux qui, dans le cas du diabète, maladie létale, revêtent une particulière gravité. La source principale est offerte par lembryologie à partir de cellules souches. Des cellules souches endothéliales ont été caractérisées chez le rongeur adulte et, plus récemment, chez lhomme. On peut sous certaines conditions, pathologiques chez lhomme, expérimentales chez lanimal, réinduire leur différenciation. Des cellules souches canalaires pancréatiques peuvent ainsi conduire à la création de cellules endocrines pancréatiques. Ceci ouvre la porte sur deux voies principales : · la néoformation in vitro, à base de cellules souches adultes, de lignées continues qui se développent de façon illimitée et pourraient être, soit allogéniques, soit autologues. Cette solution paraît réalisable dans les dix années qui viennent ; · la création de lignées continues de génie génétique à partir de cellules hépatiques ou musculaires. Elle pose, sur le plan scientifique, un problème conceptuel important : sil est tout à fait possible de faire sécréter de linsuline par une cellule hépatique ou musculaire humaine, cette sécrétion doit être très finement régulée par le glucose, faute de quoi elle expose à un risque important dhypoglycémie. Or, les systèmes utilisés par la cellule ß pancréatique naturelle pour réguler sa production dinsuline sont complexes et lon ne dispose pas actuellement des outils permettant de réguler artificiellement cette sécrétion. Lutilisation de cellules ftales à des fins thérapeutiques présente de nombreux avantages : encore peu différenciées, elles possèdent une grande capacité de multiplication et peuvent, grâce à leur immaturité, transgresser les barrières dincompatibilité plus aisément que les cellules adultes, y compris dune espèce à une autre. Ainsi a-t-on pu développer, à partir de souris affectées de déficits immunitaires sur lesquelles sont greffées des cellules ftales humaines, des modèles permettant de tester des médicaments, notamment contre le SIDA 41. Se pose, en revanche, le problème de leur obtention en quantité suffisante, sachant que plusieurs ftus sont, par exemple, nécessaires pour le traitement, à partir de cellules neuronales, dun patient atteint de la maladie de Parkinson. Or, cette obtention passe nécessairement par une interruption thérapeutique ou le plus souvent volontaire de grossesse. Afin déviter tout abus visant à adapter loffre à la demande, ces pratiques ont été encadrées par deux avis du Comité consultatif national déthique, en date des 22 mai 1984 et 13 décembre 1990, qui tendent notamment à garantir une stricte séparation entre la décision de recourir à une interruption de grossesse et lacte de prélèvement dorgane ou de tissus. Le législateur pourrait être amené à sen inspirer pour remédier au silence actuel des textes 42. Dans ce contexte à juste titre restrictif, les praticiens seront tentés de sorienter, comme ils commencent déjà à le faire de façon expérimentale, vers des xénogreffes dorigine porcine si celles-ci confirment leur faisabilité et leur innocuité. 2.2.1. Les cellules souches hématopoïétiques (cellules de foie ftal) - Le professeur Jean-Louis TOURAINE a expérimenté à Lyon, depuis une quinzaine dannées, la greffe de cellules souches hématopoïétiques pour le traitement, chez les nourrissons et les enfants, des déficits immunitaires congénitaux, des maladies sanguines et de quelques erreurs innées du métabolisme. Les indications sont voisines de celle de la greffe de moelle osseuse mais lavantage de cette technique est de pouvoir saffranchir des exigences de compatibilité. Ce traitement vise notamment les « enfants bulles », privés de système immunitaire. On parle indistinctement, en lespèce, de prélèvements embryonnaires ou ftaux parce quils sont effectués entre la huitième et la douzième semaine suivant la fécondation alors quon place la frontière, nécessairement floue, entre lembryon et le ftus à la huitième semaine de grossesse. Ces cellules ont fait la preuve de leur efficacité avec, cependant, un taux déchec de 30 % qui tenait à deux causes principales : · la survenue dinfections avant que le traitement ne soit devenu opérant ; · la manifestation de phénomènes de rejet 43. A partir de 1988, on a donc décidé, après expérimentation animale, dappliquer le traitement dès le stade ftal, immédiatement après le diagnostic prénatal, pour parer à des réactions de rejet. Cette méthode a très sensiblement amélioré les résultats 44. - Le professeur François FORESTIER vient, de son côté, de lancer un projet de recherche très voisin qui associe lUniversité Paris IX et le CHU de Lausanne, après accord du comité déthique de cet établissement. Ce projet sappuie sur le fait quil existe, dans la nature, des chimérismes, cest-à-dire des situations dans lesquelles des individus peuvent vivre en symbiose avec des cellules ne provenant pas de leur organisme. Lobjectif est de traiter des maladies ftales, notamment monogéniques, qui sont actuellement incurables et auxquelles la transplantation ne peut apporter quune réponse très imparfaite. Lexpérimentation fait appel à des foies ftaux prélevés après avortement entre 12 et 14 semaines de grossesse. Laccord de la mère, sollicité après la décision dinterruption de grossesse, est totalement indépendant de cette décision. Le don est rigoureusement anonyme et exclusif de toute rémunération comme de toute association de la donatrice aux résultats futurs de la recherche. Lintérêt que présentent ces cellules de foie ftal tient au fait : · quentre 12 et 14 semaines de développement du ftus, elles sont immunologiquement neutres et ne suscitent donc pas de phénomènes de rejet ; · quà ce stade, elles sont multipotentes et peuvent, sous linfluence de facteurs de croissance, conduire à une différenciation contrôlée en globules rouges, globules blancs, plaquettes, cellules musculaires, cellules osseuses. Elles ont, par ailleurs, une très grande capacité de prolifération, leur nombre saccroissant dun million au bout de 90 à 120 jours. Un seul foie permettrait ainsi doffrir une transplantation de moelle osseuse à 150 receveurs 45. Une banque de 27 foies ftaux congelés a pu ainsi être constituée à partir de 52 organes prélevés, cet écart sexpliquant par le délai variable et non contrôlable qui sépare linterruption de grossesse du prélèvement. Deux contrôles de séroconversion sont pratiqués sur la mère, lun le jour du prélèvement, lautre trois mois plus tard. La phase thérapeutique entamée après ce second contrôle consistera dans linjection de ces cellules, par voie péritonéale, à des ftus atteints de déficits immunitaires sévères, constatés par un diagnostic prénatal effectué à 10 semaines. Linjection sera effectuée entre la douzième et la treizième semaine de grossesse. Une prise de sang ftal permettra de contrôler lexpression du chimérisme conduisant à la création dune molécule particulière. Lappréciation du résultat sera communiquée aux parents, à qui reviendra la décision dune éventuelle interruption de grossesse 46. La transplantation de cellules neuronales dorigine ftale pour le traitement de la maladie de Parkinson a été inaugurée en Suède à partir de 1989 et sest développée ensuite aux Etats-Unis, en France et en Belgique. Elle a été pratiquée, les premiers temps, de façon unilatérale (cest-à-dire sur un seul hémisphère cérébral), sur des patients sévèrement atteints et présentant les principales complications de la maladie (fluctuations motrices et dyskinésies). La première greffe française a été réalisée, en juin 1991, à lhôpital Henri-Mondor de Créteil par léquipe du professeur Pierre CESARO. Depuis cette date, 25 interventions portant sur les deux hémisphères cérébraux ont été pratiquées sur 13 malades parkinsoniens. Ces essais cliniques font appel à des neurones prélevés sur des embryons 47 issus dIVG, de 8 à 10 semaines post-gestation, et dont les cellules du système nerveux central sont en cours de différenciation. Conformément au protocole établi en 1990 par le CCNE, laccord de la mère sur un prélèvement éventuel à des fins scientifiques ou médicales est recueilli, sous forme écrite, par les obstétriciens et non par les neurologues. Une information plus précise sur lutilisation des prélèvements peut être fournie sur demande de la patiente mais elle nest, dans les faits, que très rarement sollicitée. Selon la procédure la plus couramment utilisée, le tissu contenant environ 3 millions de neurones est implanté en trois endroits du putamen, le principal noyau cérébral affecté par la déficience en dopamine, dans chaque hémisphère cérébral. Les points dimplantation sont contrôlés par repérage radiologique. Le cerveau étant considéré comme immuno-protégé, la pratique française sest orientée vers un traitement immunosuppresseur réduit qui na pas suscité de phénomènes de rejet. La survie et le développement des neurones dopaminergiques greffés sont évalués annuellement grâce à des techniques dimagerie cérébrale : la tomographie par émission de positons (TEP) ou limagerie par résonance magnétique (IRM). Lévolution des patients est suivie selon un protocole international, le CAPIT (core assessment program for intracerebral transplantation). Selon le bilan présenté par le professeur Gilles DEFER 48, on a pu noter, après une greffe bilatérale, une amélioration qui peut être chiffrée de 30 à 40 % dans la majorité des cas et qui se traduit par une réduction des périodes de blocage, une amélioration des capacités motrices et une modification des dyskinésies. Les critiques fondées sur leffet placebo ont été abandonnées face à lhomogénéité des résultats cliniques. Dautre part, lautopsie de patients décédés a mis en évidence les effets positifs et persistants des greffes. « Dans tous les cas », note de son côté Philippe HANTRAYE (service hospitalier Frédéric-Joliot, Orsay), « la transplantation a permis de réduire les doses du traitement médicamenteux par la L-Dopa et déliminer ses effets secondaires .» 49 La plus récente étude clinique américaine, « randomisée » avec groupe contrôle et réalisée sur fonds fédéraux par les équipes de Curt FREED (Université de Denver, Colorado) et de Stanley FAHN (Columbia-Presbyterian Medical Center, New York) a été communiquée en avril 1999 par le National Institute of Neurological Disorders and Stroke. Elle a été effectuée en double aveugle avec un groupe placebo sur un échantillon de 40 individus. Un an après, plus de la moitié des transplantés présentait une augmentation significative de la production de dopamine mais la durée et la persistance de cet effet restent à préciser. Dautre part, seules les personnes traitées de moins de 60 ans, soit 9 patients, ont connu une amélioration significative de leur état. « Lancienneté et la sévérité de la maladie influent incontestablement sur lefficacité du traitement. » (Pr. DEFER) Plus récemment 50, une équipe britannico-suédoise a rapporté les résultats obtenus sur un des 17 patients traités, qui avait fait lobjet en 1989 dune greffe unilatérale. Ladministration de L-Dopa a pu être interrompue au bout de 32 mois et le traitement immunosuppresseur suspendu après 64 mois. Six ans plus tard, une dose réduite de L-Dopa a dû être réadministrée pour soigner les symptômes provenant de lhémisphère cérébral non greffé. Cette expérience a permis de constater sur une période de dix ans le maintien en activité des neurones implantés et une innervation normale du striatum par ces derniers alors que cette innervation a disparu dans la partie non traitée. Ces données confirment lintérêt de la greffe de neurones ftaux mais ne sauraient conduire à sous-estimer la longueur du chemin que lexpérimentation clinique doit encore parcourir en ce domaine. Un débat existe dailleurs en France sur les mérites comparés de la stimulation électrique et de la transplantation cellulaire pour le traitement du Parkinson. Un programme européen du réseau NECTAR (network of european CNS transplantation and regeneration), coordonné par le professeur DEFER et le docteur LEVIVIER (hôpital Erasmus, Bruxelles), vise à mettre au point un protocole dévaluation standardisée, destiné à tous les types de chirurgie du Parkinson (greffe neuronale, stimulation électrique et pallidectomie 51). Il doit être complété cette année par louverture dune banque de données européenne localisée à Bruxelles qui tiendra un registre des patients opérés, quel que soit le type dintervention pratiquée. Pour parer à la faible disponibilité, déjà évoquée, des cellules neuronales dorigine humaine, des expériences à base de cellules animales ont été mises en uvre. Aux Etats-Unis, la société Genzyme Tissue Repair a développé des cellules provenant de ftus de porcs non transgéniques ; des essais cliniques de phase 1 sont en cours sur 24 sujets atteints, pour une moitié, de la maladie de Parkinson, pour lautre, de la chorée de Huntington. Ces patients sont placés, de façon permanente, sous cyclosporine. En Europe, un réseau rassemblant la France, la Grande-Bretagne, la Suède, le Danemark et lAllemagne se prépare à la xénogreffe dans les trois années à venir, après expérimentation sur le primate, en la soumettant à des précautions pré et postopératoires plus strictes que celles qui sappliquent aux Etats-Unis. Lobjectif est daméliorer notamment les traitements immunosuppresseurs. A lhôpital de Nantes, léquipe de Philippe BRACHET (INSERM U 437, Immuno-intervention dans les allo et xénotransplantations) expérimente, dans des transplantations porc-rat, la modification par transgenèse des neurones greffés pour quils sécrètent des cytokines anti-inflammatoires et immunosuppressives de sorte quils inactivent, une fois implantés dans le cerveau, le peu de système immunitaire dont il est doté, rendant inutile ladministration de cyclosporine. Ainsi pourrait-on parvenir à terme à un porc transgénique dont les neurones survivraient chez lhomme 52. A partir de 1996, une étude expérimentale et clinique a été conduite à Créteil par Pierre CESARO, Jean-Paul NGUYEN et Marc PESCHANSKI pour le traitement, par greffe de neurones ftaux, de la chorée de Huntington. Cette maladie neurodégénérative dorigine génétique frappe des adultes jeunes ; troubles moteurs et démence précèdent une issue fatale en dix à vingt ans. Des travaux antérieurs, menés sur un modèle animal partiel de la maladie ne présentant que des troubles moteurs, par des équipes de lINSERM associées au CNRS et au CEA, avaient montré que lon peut obtenir une certaine correction de ces troubles par une greffe de neurones ftaux dans la région du striatum. Une série de cinq patients a fait lobjet, après avis favorable du CCNE, dimplantations bilatérales en deux périodes (juin 1996-décembre 1997, janvier 1998-octobre 1998). Lévaluation finale est en cours. On signalera enfin que léquipe du docteur Marc PESCHANSKI 53 expérimente, depuis avril 1998, une technique de thérapie génique déjà validée chez les primates : elle consiste dans ladministration dun facteur de protection des neurones par implantation de cellules génétiquement modifiées et encapsulées dans un polymère, afin déviter les réactions immunitaires. Ce procédé a permis dutiliser, dans un premier temps, des cellules de hamster. Compte tenu des restrictions qui prévalent actuellement en matière de xénogreffes, lexpérimentation se poursuit maintenant avec des fibroblastes humains (cellules du tissu conjonctif). Les résultats semblent positifs en termes de tolérance et de faisabilité. Le docteur PESCHANSKI souligne à ce propos le caractère artificiel, au regard de sa pratique scientifique, de la distinction entre thérapie cellulaire et thérapie génique puisque les cellules génétiquement modifiées pourraient être conduites à jouer simultanément un rôle de substitution et un rôle neuroprotecteur. 54 III Les perspectives ouvertes par les cellules souches Dans la réflexion très prospective qui se développe sur ce point depuis trois ans, on met généralement au premier plan les progrès thérapeutiques décisifs qui sont attendus des cellules souches embryonnaires et lintérêt que présenterait leur obtention par clonage pour résoudre le problème de lincompatibilité immunologique. Si prometteuses que soient ces perspectives, elles ne sont pas exclusives dune recherche parallèle sur les possibilités offertes par les cellules souches adultes dont on commence à entrevoir le fort potentiel régénératif et, pour certaines dentre elles, la très grande plasticité. Pour éclairer lanalyse des différentes voies qui souvrent aujourdhui aux chercheurs, il est nécessaire, au préalable, de définir les cellules souches et de présenter la classification qui peut en être faite à partir de leurs capacités respectives. 1. Définition et typologie des cellules souches Reprenant ici les indications fournies par le professeur Charles THIBAULT 55, on définira les cellules souches comme des cellules indifférenciées dont les fonctions consistent, dune part à sautorenouveler pour maintenir un pool permanent de ce type de cellules, dautre part à fournir, à la demande, des cellules différenciées telles que les globules rouges, les globules blancs, les hépatocytes ou les cellules musculaires. Ces dernières sont, quant à elles, fonctionnellement spécialisées, morphologiquement très typées et dotées, pour la plupart, dune longévité limitée (24 heures pour les globules blancs, 120 jours pour les globules rouges). On distingue quatre catégories de cellules souches qui sont, dans lordre décroissant de leurs capacités : · Les cellules souches totipotentes : elles peuvent seules conduire au développement dun être humain. Il sagit de luf fécondé et des cellules de lembryon dans les quatre premiers jours de sa croissance (morula de 2 à 8 cellules). Cest donc à ce stade, comme on la vu précédemment, que lon peut pratiquer le clonage reproductif par scission embryonnaire. · Les cellules souches pluripotentes : elles ont vocation à former tous les tissus de lorganisme mais ne peuvent à elles seules aboutir à la création dun individu complet. Elles proviennent en effet de la masse cellulaire interne du blastocyste (au stade de 40 cellules) alors que le placenta qui nourrit lembryon et le protège de tout rejet par le système immunitaire est produit par la couche cellulaire externe (ou trophectoderme). Selon James THOMSON, elles ne peuvent être utilisées pour le clonage reproductif, à la différence des cellules somatiques adultes 56. · Les cellules souches multipotentes : présentes dans lorganisme adulte, elles sont à lorigine de plusieurs types de cellules différenciées. Les plus anciennement connues sont les cellules souches hématopoïétiques présentes dans la moelle osseuse qui peuvent donner tous les types de cellules sanguines mais aussi, on la constaté récemment, des cellules dun autre lignage comme la cellule ovale du foie. · Les cellules souches unipotentes : elles ne donnent quun seul type de cellules différenciées (peau, foie, muqueuse intestinale, testicule). Certains organes, tels que le cur et le pancréas, ne renferment pas de cellules souches et nont donc aucune possibilité de régénération en cas de lésion. 2. Les cellules souches pluripotentes : des perspectives prometteuses encore grevées de larges incertitudes On présentera ici, au préalable, une remarque dordre terminologique. La dénomination de cellules « pluripotentes » qui se réfère à leurs capacités de diversification paraît devoir être préférée à celle de cellules « embryonnaires » qui renvoie à leur origine. Cette seconde appellation est trop réductrice puisque la source de ces cellules peut être également germinale. Elle risque dautre part dinduire en erreur sur leur finalité puisquelles ne peuvent, comme on la déjà indiqué, reconstituer un embryon ni, a fortiori, un individu complet. Comme la expliqué le professeur John GEARHART 57, ces cellules comportent trois propriétés quaucun autre type de cellule ne possède : - elles sont capables de se répliquer indéfiniment en culture tout en conservant, dans des conditions appropriées, leur caractère indifférencié et pluripotent ; - elles sont normales du point de vue génétique et ne présentent ni mutations, ni anomalies chromosomiques ; - elles peuvent, en culture de laboratoire, se différencier en plus de 200 types de tissus (cellules nerveuses, sanguines, de cartilage, etc.). Elles présentent un intérêt immédiat pour la recherche et offrent, à terme, des applications thérapeutiques de très grande ampleur. Un tel matériau constitue un sujet détude fondamental pour le biologiste dont lun des objectifs est de comprendre comment une cellule peut avoir des potentialités multiples et les exprimer dans certaines conditions. Ces cellules permettent de reconstituer certaines étapes très précoces du développement embryonnaire que lon connaît actuellement fort mal chez lhomme. On limagine par inférence de ce que lon observe chez lanimal mais il y a vraisemblablement des différences importantes : au niveau moléculaire, notamment, aucune étude na pu être faite sur lembryon humain à son tout premier stade de développement. Les extrapolations à partir du modèle animal ne sont pas toujours fiables et lon peut rappeler à ce propos lexemple de la thalidomide qui navait pas été testée sur lespèce humaine 58. John GEARHART, qui a travaillé pendant 25 ans sur la pathogenèse du syndrome de Down lié à la trisomie 21, souligne de son côté lintérêt de telles lignées cellulaires pour étudier le processus de développement biologique dès sa phase initiale et discerner ainsi jusquoù remontent les défauts qui sont à lorigine de la trisomie 1. Autre point dintérêt pour la connaissance fondamentale, ces cellules pluripotentes, par certaines de leurs caractéristiques (vitesse de division, réactions biochimiques, expressions de gènes), sapparentent de près à des cellules précancéreuses. Elles constituent donc, par leur état instable, un modèle intéressant qui permet daborder une situation dans laquelle une cellule peut basculer vers létat cancéreux. Le fait de disposer de telles cellules chez lhomme permettrait daffiner des études aujourdhui impossibles puisquon ne peut induire artificiellement des développements de cancers comme on le fait chez lanimal 59. Plus largement, cette voie de recherche va de pair avec la recherche génomique : des cellules souches permettront de tester lhypothèse que tel facteur dérivé du programme « Génome humain » peut effectivement assurer lexpansion de la cellule souche, son maintien en survie et son orientation vers la différenciation dans tel ou tel lignage. La conjonction de la biologie cellulaire et de la connaissance des gènes qui contrôlent véritablement la différenciation ouvre un champ très novateur à la recherche et à la thérapeutique. La recherche sur les cellules souches pluripotentes humaines peut en outre induire des changements importants dans le mode de développement des médicaments et permettre de tester ceux-ci de façon saine et sûre. Ainsi, plutôt que de mesurer léventuelle toxicité dune molécule pharmaceutique à partir dun modèle animal complexe, on pourra, avec des cellules souches, réaliser cette évaluation médicamenteuse sur des variétés cellulaires beaucoup plus nombreuses. Un criblage efficace pourra donc être opéré avant de poursuivre les tests chez lanimal entier puis chez lhomme. Nous avons évoqué précédemment les difficultés auxquelles se heurtent les chercheurs pour disposer, en quantité suffisante, de cellules dorigine ftale pour développer lexpérimentation clinique. En létat actuel de la pratique, observe John GEARHART, « le problème qui se pose à nous est que le matériel nest pas renouvelable. Dans les essais cliniques sur les infections de la moelle épinière, on peut utiliser sept ou huit tissus embryonnaires pour une seule moelle épinière. Sil existait une source renouvelable de cellules souches que lon pouvait appliquer aux êtres humains, il ne serait pas nécessaire de se reporter constamment aux tissus ftaux pour ces thérapeutiques. » 60 Lintérêt des cellules souches pluripotentes est précisément de mettre à la disposition des praticiens une source illimitée de tissus ou de cellules spécifiques et délargir considérablement le champ des interventions de la thérapie cellulaire : traitement des maladies dAlzheimer et de Parkinson, des traumatismes de la moelle osseuse, des crises cardiaques ou cérébrales, des brûlures, du diabète, de lostéoarthrite et de larthrite rhumatoïde. On citera quelques-unes des expérimentations récentes à partir de modèles animaux qua présentées le professeur GEARHART : · La transplantation de cellules musculaires cardiaques saines fournit de nouvelles options thérapeutiques aux patients atteints de maladies chroniques, dont le cur ne peut plus jouer de façon adéquate son rôle de pompe. La transplantation sur des souris de cellules musculaires cardiaques développées à partir de cellules souches pluripotentes a permis de constater que ces cellules étaient capables de coloniser avec succès le tissu cardiaque en créant une population cellulaire de novo et de travailler en collaboration avec les cellules hôtes. · Des essais cliniques sont actuellement menés sur les commotions cérébrales dues, pour la plupart, à lhypoxie (diminution de la teneur du sang en oxygène). Une cellule liée de manière très étroite à la cellule souche mais dérivée dune tumeur a été introduite et greffée sur plusieurs patients qui avaient souffert de commotions cérébrales, sur la base détudes réalisées sur lanimal. Ces études ont démontré que les cellules souches réduisent lhypoxie et les dommages causés au cerveau. Les cellules souches pourraient également contribuer au développement du génie tissulaire. Elles ont prouvé leur capacité à produire les quatre types de muscles cardiaques existants et pourraient donc être implantées sur le substrat tissulaire ou sur le muscle lisse des vaisseaux sanguins du cur. Plusieurs types de thérapie génique, présentés par le professeur THIBAULT, sont, par ailleurs, envisageables à partir de ces types cellulaires. - La première sappliquerait à des tissus ou organes anormaux par suite de la présence dun gène muté, chez des individus jeunes ou adultes. A partir de cellules pluripotentes, différenciées en culture selon le type de tissu, il est possible denvisager une thérapie génique, visant à introduire ces cellules normales dans des organes dont les cellules expriment une mutation handicapante ou létale. Une expérience menée sur le rat vient dêtre publiée. Les cellules ont été cultivées en présence de deux facteurs de croissance capables de provoquer leur différenciation en oligodendrocytes fonctionnels (cellules du système nerveux produisant de la myéline). Introduites dans la moelle épinière et le cerveau de jeunes rats présentant un défaut de myélinisation, analogue à la maladie mortelle de Pelizaeus-Merzbacher, héréditaire chez lhomme, elles se sont multipliées, ont migré à partir du site dinjection et ont assuré une myélinisation de = 50 % des axones de ces rats. Mais cette myélinisation ne sétend quautour du site dinjection des cellules, ce qui complique singulièrement leur utilisation. Des enfants à la naissance, ou mieux, des ftus pourraient être traités par cette technique, à condition dêtre capable de différencier les cellules et de sassurer de leur diffusion dans tout le système nerveux. Pour résoudre le problème de lhistocompatibilité, il faudra soit disposer dune large palette de cellules souches pour y puiser le type histocompatible, soit, peut-être, produire des cellules histocompatibles par transgenèse. - La seconde consisterait dans la correction, par thérapie génique somatique, dune anomalie génique portée par les parents et transmise à luf fécondé. Lobjectif serait que lenfant ne présente pas la maladie résultant de lanomalie génique de ses parents. Pour ce faire, il conviendrait : · que soient obtenues des cellules ES issues de blastocystes du couple et qui seront corrigées par transgenèse ; · que ces cellules soient utilisées pour une thérapie génique embryonnaire, par injection dans une morula ou un blastocyste du couple, porteur de lanomalie. Lenfant ne serait guéri que si les cellules corrigées pour le gène muté étaient présentes dans les tissus défaillants. Dans la grande majorité des cas, il restera porteur de lanomalie génique dans sa lignée germinale et sera donc susceptible de la transmettre à sa descendance. - La troisième vise à corriger une anomalie génique par clonage intra-couple, cest-à-dire à obtenir une guérison définitive par la voie du clonage : clonage à partir dovocytes de la femme par transfert de noyaux de cellule ES, corrigés et provenant dun blastocyste du couple. Cette solution est la seule qui permette déliminer définitivement et à coup sûr lanomalie génique, tout en créant un uf reconstitué à partir des génomes des deux parents. Il sagit à la fois dun clonage et dune thérapie germinale, mais à lintérieur du couple. Cest dire que lembryon ayant servi à produire les cellules ES ne sera pas sacrifié mais aura, au contraire, ses chances de conduire à la naissance dun enfant indemne de lanomalie. Le professeur THIBAULT considère quutilisée selon cette finalité, la thérapie germinale ne mérite pas la proscription qui la frappe aujourdhui : « Loin de menacer la dignité de la personne humaine, comme on laffirme de par le monde, elle constitue la voie de recherche quil faut choisir pour protéger notre espèce contre la diffusion de gènes défectueux, acte particulièrement dangereux quand la procréation est en cause, compte tenu des caractéristiques déjà défavorables de la fertilité humaine (fréquence élevée de spermes anormaux, défaut dovulation et ovaires polykystiques, mortalité embryonnaire très élevée, période de reproduction de la femme relativement courte par rapport à la durée de la vie. » 61 Indépendamment des problèmes éthiques et juridiques quelles peuvent soulever, ces différentes perspectives thérapeutiques sont assurément exaltantes pour la recherche. Encore convient-il de ne pas sous-estimer lampleur des problèmes à résoudre, quil sagisse du mode dobtention des cellules souches pluripotentes, du contrôle de leur différenciation ou de lélimination des risques auxquels leur usage peut éventuellement exposer les sujets traités. Dans les expériences rapportées par les équipes américaines qui ont réussi à les isoler et à les cultiver, les deux sources utilisées sont la masse cellulaire interne dun embryon in vitro et les cellules germinales provenant de fragments dovaires et de testicules de ftus. Pour surmonter lobstacle de limmunocompatibilité, une solution est théoriquement envisageable, qui consisterait à cultiver jusquau stade du blastocyste un embryon créé par clonage dune cellule somatique du receveur et à y puiser les cellules souches destinées au traitement. En février 1998, James THOMSON et Jeffrey JONES (Université de Madison, Wisconsin) ont observé que des cellules humaines en culture provenant de la masse cellulaire dun blastocyste ressemblaient aux cellules quils avaient précédemment obtenues à partir dun embryon de primate. Les cellules prélevées ont été cultivées sur une couche nourricière constituée de fibroblastes embryonnaires de souris irradiées. Après deux semaines de mise en culture, les cellules obtenues peuvent être dissociées et replacées sur une nouvelle couche nourricière. La répétition de cette opération permet de conserver ces cellules couches (« embryonic stem cells » ou cellules ES) à un stade indifférencié durant plusieurs mois. A partir de 14 blastocystes humains, les chercheurs sont ainsi parvenus à établir 5 lignées de cellules ES. Dans larticle publié par Science, le 6 novembre 1998, J. THOMSON a rapporté quune fois transplantées sous la peau dune souris, ces cellules avaient formé divers tissus : épithélium intestinal, cartilage, os, muscles lisses et striés, épithélium neuronal (précurseur du système nerveux), ganglion embryonnaire, épithélium stratifié. Les structures ainsi obtenues étaient issues des trois couches dun embryon de mammifère : lectoderme (couche externe), le mésoderme (couche intermédiaire) et lendoderme (couche interne). Lexpérience rapportée le 10 novembre 1998 62 par léquipe de John GEARHART (Université Johns Hopkins, Baltimore) faisait état dun résultat comparable à partir de cellules germinales primitives prélevées sur un ftus après une fausse couche et développées en cellules pluripotentes après deux semaines de culture. John GEARHART a présenté des exemples de cellules nerveuses produites en laboratoire à partir de ces cellules souches (« embryonic germ cells » ou cellules EG). Ces deux types de cellules sont-ils strictement équivalents et, dans laffirmative, pourquoi ne pas utiliser uniquement les cellules isolées sur le ftus dont lutilisation soulève moins dobjections éthiques que celle dun embryon initialement inscrit dans un projet procréateur ? John GEARHART estime quil est trop tôt pour déterminer si les cellules ES et EG sont dotées des mêmes propriétés. « En pratique, dans nos travaux de laboratoire, les cellules germinales embryonnaires sont plus difficiles à manipuler et à cultiver que les autres. Mais cest là toute la connaissance que nous avons actuellement sur le sujet. » 63 Pour le professeur THIBAULT, les cellules EG sont encore pluripotentes quand elles migrent dans lembryon avant de peupler les glandes génitales mais leur potentialité semble plus limitée que celle des cellules ES car leur génome na pas subi lempreinte, mécanisme qui rend fonctionnel lallèle « mâle » ou lallèle « femelle » dun gène. 64 A supposer que soit établie la parfaite équivalence de ces deux types de cellules en termes defficacité thérapeutique, cest donc sur des considérations dacceptabilité éthique que pourrait se fonder la préférence accordée à lune ou lautre source. Sagissant des cellules ES, la solution qui suscite de ce point de vue les critiques les moins vives consiste à utiliser, avec laccord exprès de leurs géniteurs, les embryons surnuméraires après abandon du projet parental pour lequel ils avaient été conçus in vitro. Il existe aujourdhui, en Europe et aux Etats-Unis 65, des centaines de milliers dembryons abandonnés congelés dans lazote liquide dont le nombre excéderait largement les besoins actuels de la recherche. Cest dire quaucune raison pratique ne justifie, au moins à lheure actuelle, la création dembryons par fécondation in vitro dans un but exclusif de recherche, cette solution soulevant par ailleurs, dun point de vue éthique, des objections majeures. Le prélèvement de cellules EG sur des ftus morts pose a priori moins de problèmes à condition quun strict encadrement des pratiques permette déviter que le don des tissus ftaux ninflue sur la décision de recourir à une interruption de grossesse. La législation fédérale américaine applicable, il convient de le souligner, aux seules greffes de tissus ftaux financées sur fonds publics a édicté sur ce point des règles très proches de celles qua mises en place le CCNE pour pallier les lacunes de la loi de 1994. Encore faut-il noter que plusieurs Etats américains (Arizona, Indiana, Nord et Sud-Dakota, Ohio, Oklahoma) interdisent toute recherche sur le ftus quelle que soit la cause de son décès (avortement spontané, interruption thérapeutique ou volontaire de grossesse). Dans douze autres Etats, les ftus peuvent être utilisés à condition quils ne proviennent pas dun avortement volontaire. Cependant, des difficultés pratiques se posent pour obtenir du tissu ftal provenant davortements spontanés. Cest pourquoi la recherche américaine se tourne prioritairement vers des embryons issus de fécondation in vitro 66. Lefficacité thérapeutique des cellules souches pluripotentes suppose par ailleurs que soit surmonté le principal problème de la transplantation : le rejet du greffon par le receveur. Parmi les solutions envisageables, la plus efficace, dun point de vue théorique, consisterait à créer un embryon par fusion dune cellule somatique prélevée sur le receveur et dun ovule énucléé. Cultivé jusquau stade blastocyste, il pourrait offrir des cellules souches pluripotentes génétiquement identiques aux cellules du malade. On retrouve là le clonage thérapeutique par transfert de noyau que nous avons présenté dans la première partie du rapport 67. Scientifiquement séduisante, cette méthode suscite quelques interrogations sur le plan éthique et demeure encore très hypothétique eu égard aux difficultés techniques qui restent à surmonter et aux risques médicaux dont elle peut être porteuse. Lexpérimentation animale démontre, on la vu, le caractère aléatoire et le rendement aujourdhui très faible du clonage par transfert du noyau pour la production dun sujet viable. Il est vrai, dune part, que cette technique est sans doute appelée à se perfectionner, dautre part, que dans lhypothèse où nous nous plaçons ici, lobjectif nest pas de mener une grossesse à terme mais de créer un embryon dont le développement serait interrompu au bout de quelques jours. Néanmoins, le nombre dovules nécessaires pour parvenir à ce résultat multiplié par celui des bénéficiaires potentiels de la greffe sera tel que les seuls dons consentis par des femmes soumises à stimulation ovarienne dans le cadre dune AMP ne permettraient pas de satisfaire les besoins thérapeutiques. Pour pallier cette offre insuffisante, le professeur WILMUT envisage la récupération de tissus ovariens à loccasion dovariectomies pratiquées pour des raisons cliniques. « Le tissu ovarien contient des centaines dovules à différents stades de maturation. Il y a donc un potentiel important dovules disponibles mais des progrès techniques sont indispensables pour y avoir accès. » 68 Une autre méthode, sujette à multiples controverses, consisterait à recourir à une source dorigine animale pour disposer, en très grand nombre, dovocytes receveurs. Sans quaucune publication scientifique soit venue cautionner la réussite de lexpérience, la société Advanced Cell Technology (Worcester, Massachusetts) a annoncé, le 12 novembre 1998, quelle était parvenue à créer un embryon en fusionnant le noyau dune cellule somatique humaine et un ovule de vache énucléé. Cet embryon aurait été détruit au bout du douzième jour. Lors de son audition devant le Sénat américain, Michael WEST, président dACT, a fait valoir quun tel procédé, si sa faisabilité était confirmée, présenterait lavantage de fournir une source abondante dovocytes, « acceptables sur le plan éthique et économique » pour le clonage thérapeutique, lobjectif étant de manipuler les cellules pour permettre leur différenciation et non de développer un embryon à des fins reproductives. De nombreux scientifiques expriment leur scepticisme face à cette annonce spectaculaire. Pour le professeur THIBAULT, lexpérience visant à fusionner un noyau humain et un ovocyte de bovin est « hérétique du point de vue du fonctionnement cellulaire : la température de lovocyte bovin est de 39°5, celle de lovocyte humain de 37°, et tout donne à penser que cette différence perturbe les mécanismes moléculaires, biochimiques et enzymologiques » 69. John GEARHART rappelle que chez les espèces animales, les gènes situés dans le noyau et les gènes situés dans le cytoplasme ont connu une évolution qui nest pas seulement génétique mais cytoplasmique. « On sait, grâce à des études de laboratoire, que le noyau et le cytoplasme ne peuvent pas être échangés entre espèces. Lorsquils le sont, le métabolisme ne peut pas se mettre en place. Il est donc difficile de concevoir quune expérience consistant à implanter des noyaux humains dans des ovocytes bovins puisse aboutir. » 70 Répondant, le 20 novembre 1998, aux préoccupations exprimées à ce sujet par le président CLINTON, le docteur Harold SHAPIRO, président de la NBAC (commission nationale consultative de bioéthique), observait que les questions éthiques posées par cette expérience ne sont pas totalement nouvelles. Les scientifiques mènent déjà de façon courante des recherches combinant du matériel biologique dorigine humaine et animale qui ont conduit à des thérapies utiles telles que le facteur coagulant pour lhémophilie, linsuline, lérythropoïétine et les valves cardiaques. « Associer des cellules humaines et des ovocytes animaux pourrait aboutir un jour à la maîtrise des réactions immunitaires sans avoir à créer des embryons humains ni à soumettre des patientes à des méthodes invasives et médicalement risquées pour obtenir des ovocytes humains. » Bien que la NBAC nait pas réabordé la question dans lavis quelle a remis en juin 1999 au président américain à propos dun financement fédéral de la recherche sur les cellules souches, lopinion nuancée exprimée par Harold SHAPIRO donne à penser que la recherche publique ne se verra pas nécessairement opposer un veto catégorique pour développer de nouvelles expériences dans cette direction. ¬ Les objections dordre éthique Même sil ne devait pas emprunter les voies aventureuses que nous venons dévoquer, le clonage thérapeutique prête à discussion dun point de vue éthique. Dans le rapport explicatif accompagnant le protocole additionnel à la Convention européenne de bioéthique qui condamne le clonage reproductif humain, une distinction est établie entre « le clonage de cellules en tant que technique, lutilisation des cellules embryonnaires dans les techniques de clonage et le clonage dêtre humains au moyen, par exemple, des techniques de division embryonnaire ou de transfert de noyau ». Le clonage reproductif est seul visé par le Protocole additionnel, le clonage thérapeutique devant être examiné dans le Protocole sur la protection de lembryon. On voit ainsi que la séparation entre clonage reproductif condamné et clonage thérapeutique autorisé mérite dêtre nuancée puisque ce dernier met en cause les finalités qui peuvent être assignées à lutilisation des embryons. Selon Henri ATLAN, « la cellule totipotente produite [sans fécondation] par transfert de noyau nest donc pas un embryon du point de vue de la façon par laquelle elle a été produite, bien que, dans certaines conditions, elle puisse avoir les propriétés dun embryon au point de donner naissance à un individu adulte. [ ] Il est donc parfaitement cohérent de considérer, dune part, un individu né par clonage comme une personne à part entière et dinterdire cette pratique pour cette raison ; et dautre part, de ne pas considérer linstrumentalisation thérapeutique dune cellule totipotente produite par transfert de noyau comme une instrumentalisation de lembryon. » 71 Nous citons cette argumentation subtile, non pour la faire nôtre, mais pour illustrer la difficulté que lon rencontre pour tracer une frontière nette entre le licite et lillicite. Les progrès de la science ne conduiront-ils pas à vider ce débat de son contenu ou, tout du moins, à en atténuer la vivacité en permettant de fabriquer des cellules pluripotentes sans faire appel à un embryon ? John GEARHART et Davor SOLTER envisagent une approche consistant à reprogrammer le noyau de cellules adultes à partir du cytoplasme de cellules pluripotentes. « De tels « cybrides » pourraient être obtenus grâce à la fusion du cytoplasme de cellules ES avec le noyau de cellules somatiques. Dans une expérience déjà ancienne, une équipe a transplanté le noyau de cellules du tissu conjonctif (des fibroblastes) dans le cytoplasme de cellules cancéreuses de foie, en culture. Les cybrides produisirent un gène hépatique spécifique mais il ne fut pas possible de déterminer le degré exact de la reprogrammation nucléaire. » 72 Pour J.B. GURDON et Alan COLMAN, il serait également concevable de congeler, à la naissance, un échantillon de cellules du cordon ombilical. Ce tissu est riche en cellules souches qui, après multiplication et différenciation, pourraient être utilisées à des fins thérapeutiques tout au long de la vie du donneur-receveur 73. Dans un avenir encore plus lointain dessiné par Ian WILMUT, les biologistes parviendront peut-être à mettre au point des méthodes pour fabriquer des cellules souches en les « dédifférenciant » directement sans avoir à passer par une étape intermédiaire 74. Cependant, quelles que soient les chances daboutissement des perspectives plus ou moins hypothétiques que nous venons de tracer, se pose dès à présent une interrogation fondamentale sur le déséquilibre avantage-risque auquel peut exposer la création de cellules pluripotentes à partir de cellules provenant du receveur lui-même. ¬ Les risques médicaux Commentant les constatations publiées par son équipe dans le Lancet du 1er mai 1999 sur les anomalies des bovins clonés, J.P. RENARD estimait que la technique du clonage somatique pourrait être à lorigine d « effets pathologiques durables ». Ces effets décelés après la naissance des sujets clonés ne pourraient-ils pas être en germe dans lembryon et affecter la qualité des cellules qui le composent ? Que sait-on des facteurs épigénétiques qui seraient susceptibles de compromettre leur normalité ? Lactivité télomérasique dun embryon obtenu par clonage est-elle identique à celle dun embryon résultant dune procréation ? En létat actuel des connaissances, ces questions demeurent sans réponse et justifient, pour le moins, la poursuite dune recherche approfondie sur lanimal avant toute expérimentation sur lhomme. Certains chercheurs, tel Jacques SAMARUT, se déclarent défavorables au clonage thérapeutique qui présente, à leur point de vue, dénormes risques : à partir du moment où lon prélève un noyau sur une cellule déjà engagée dans une voie de différenciation, on ne peut être certain de lintégrité de son patrimoine génétique. On sait que dans un tissu somatique, la proportion de cellules qui renferment des anomalies génétiques est très importante. On pourra détecter un réarrangement chromosomique mais non des anomalies ponctuelles et ce risque paraît trop élevé pour une utilisation thérapeutique. Eu égard, par ailleurs, au fait que la création dun embryon pour chaque patient serait une solution extrêmement onéreuse, il peut paraître à tous points de vue préférable, pour résoudre les problèmes de compatibilité, de sorienter vers les solutions déjà employées dans la transplantation dorganes qui visent à neutraliser, temporairement ou à long terme, le système immunitaire. Peut-être sera-t-il possible de reprogrammer génétiquement, de façon très ciblée, les cellules pluripotentes en y introduisant des éléments bien identifiés qui permettraient de les rendre compatibles ou de ne pas exprimer certains déterminants conduisant à leur rejet 75. La mise au point de telles techniques nécessitera sans doute un certain temps. La création de cellules véritablement universelles, adaptées à tous les types de receveurs, paraît, en tout état de cause, difficile car elle supposerait linhibition ou la modification dun très grand nombre de gènes pour empêcher les cellules dexprimer à leur surface les protéines indiquant au système immunitaire quelles ne font pas partie du « soi ». Cette solution est donc moins « performante » mais sans doute plus respectueuse du principe de précaution que le clonage par transfert de noyau, sauf à démontrer la parfaite innocuité de ce dernier. Pour mesurer la longueur du chemin que la recherche doit parcourir sur ce point avant que les promesses ne deviennent réalités, citons ici les questions encore non abordées que formulent D. SOLTER et J. GEARHART dans leur article précité : - Peut-on contraindre des cellules souches pluripotentes à se différencier dune manière déterminée ? - Peut-on amener toutes les cellules dune culture à se développer dans cette direction ? - Quels sont les types cellulaires intermédiaires ? - Quels marqueurs et quelles méthodes peuvent être employés pour sélectionner le modèle désiré ? Lessentiel de ce que lon sait aujourdhui en ce domaine est issu détudes menées à partir de 1981 aux Etats-Unis sur des cellules souches dembryons de souris. Gerard BAIN et David GOTTLIEB (Université de médecine de Washington) ont ainsi montré que des cellules souches de souris se différenciaient en neurones quand on les traite par de lacide rétinoïque (un dérivé de la vitamine A). De même, au cours dune autre expérience, des cellules souches transplantées dans le cerveau de souris adultes se sont différenciées en neurones mais on na pas encore vérifié si elles fonctionnent comme des neurones et lon ignore quel est le facteur de croissance qui stimule cette différenciation chez la souris 76. Serge ALONSO (Institut de biologie du développement de Marseille) souligne que la différenciation chez la souris demeure encore très chaotique. « Au mieux, on obtient entre 20 et 30 % de neurones après différenciation de cellules ES et on ne parvient que difficilement à identifier les différentes sous-populations neuronales qui conduisent à des types de neurones particuliers. » 77 Les chercheurs doivent déterminer des marqueurs cellulaires différents et les combiner entre eux pour parvenir à cette identification. Dans le cerveau, ce problème atteint un niveau de complexité très élevé. Ajoutons, pour tempérer une fois encore les excès denthousiasme, que, comme lindique John GEARHART, on ignore pour linstant si les cellules ES humaines ont le même degré de pluripotence que celles de la souris. Dautre part, leur capacité à élaborer des organes complexes en culture reste complètement inexplorée. « Les organes résultent dinteractions entre des tissus embryonnaires provenant de deux couches distinctes : les poumons, par exemple, se forment lorsque des cellules issues du mésoderme interagissent avec des cellules de lendoderme qui donnent le tube digestif. Linteraction stimule ces cellules endodermiques qui se ramifient en prolongements, lesquels deviendront les poumons. Pour construire des organes, on devra apprendre à commander les interactions des cellules souches pluripotentes. La difficulté est redoutable mais quelques embryologistes étudient le problème. » 78 Le potentiel oncogène des cellules souches pluripotentes est lié à cette très forte capacité de développement dans laquelle réside par ailleurs leur intérêt thérapeutique. Lorsquon les introduit dans les tissus dune souris adulte, elles forment, en se multipliant, des tératomes (amas de cellules indifférenciées et différenciées en cellules musculaires, nerveuses, épidermiques) ou des tératocarcinomes (tumeurs malignes développées à partir dun tissu épithélial). On ne sait rien aujourdhui du nombre minimal de cellules nécessaires pour quune tumeur se forme, ni du temps nécessaire pour quelle se développe. Les expériences sur les souris ne fournissent pas de réponse à ces questions parce quelles ne représentent pas, en raison de leur vie trop brève, un modèle adéquat 79. Lutilisation chez lhomme ne pourra se faire quaprès différenciation en un type cellulaire précis. Quelle que soit la méthode employée pour séparer les cellules indifférenciées de leurs descendantes différenciées et non cancérigènes, on devra donc acquérir la certitude que cette séparation a été parfaite. Si un ou plusieurs gènes pouvaient être introduits pour limiter le nombre de divisions que les cellules peuvent subir avant leur différenciation finale (stade où elles ne peuvent plus se diviser), elles seraient incapables de proliférer sans contrôle. Ce mécanisme de sécurité, appelé « gène suicide », va être expérimenté sur des souris et des rats mais également sur des singes 80. Une autre solution, évoquée par J.B. GURDON et A. COLMAN, consisterait à réduire la longueur des télomères pendant la culture in vitro. La prévention des risques implique des tests sur les cellules mises en culture afin de vérifier quelles ne sont pas susceptibles de transmettre des maladies. John GEARHART reconnaît quil sagit là dun problème important et complexe. La réglementation américaine interdit toute enquête sur le donneur et on ne connaît pas toujours lhistorique des patients à partir desquels les cellules sont obtenues. De son côté, le professeur ANDREWS observe quil nest pas possible, aux Etats-Unis, de pratiquer un nombre illimité de tests sur chaque cellule, en raison des problèmes de financement du service de santé. Le panorama que nous venons de dresser comporte encore de larges zones dombre. Beaucoup dincertitudes devront être levées et beaucoup de problèmes résolus avant que les virtualités thérapeutiques des cellules souches pluripotentes ne deviennent réalité. L'attitude très prudente des scientifiques que nous avons entendus contraste sensiblement avec les effets dannonce qui font naître dans le public des espoirs prématurés. Il paraît, dautre part, de plus en plus évident que dautres voies souvrent aujourdhui à la recherche compte tenu des ressources offertes par les cellules souches multipotentes, présentes dans lorganisme adulte. 3. Les cellules souches adultes : de nouvelles perspectives pour la thérapie cellulaire Lexistence de cellules souches dans lorganisme adulte, capables de se multiplier presque indéfiniment et dengendrer non seulement des copies conformes mais aussi différents types cellulaires, est connue de longue date. Les unes (peau, foie, intestin ) sont unipotentes et nassurent donc le renouvellement que dun seul type de cellules différenciées. Dautres sont multipotentes : ainsi les cellules souches de la moelle osseuse peuvent-elles former des cellules souches plus spécialisées (chondrocytes cartilagineux) et des cellules complètement différenciées (globules rouges, plaquettes et divers types de globules blancs). Nous avons précédemment décrit lusage qui en est fait pour le traitement des maladies sanguines et des déficits immunitaires 81. Les avancées récentes de la recherche fondées sur lexpérimentation animale laissent entrevoir la possibilité de progrès médicaux décisifs à partir de ces cellules souches adultes. Deux types de découvertes peuvent être ici mentionnées : - la présence de cellules souches, jusquici ignorées, dans le système nerveux central ; - la capacité de transdifférenciation possédée par les cellules souches neuronales, hématopoïétiques et mésenchymateuses. Le cerveau de lhomme adulte compense parfois certaines lésions par de nouvelles connexions entre les neurones épargnés. Toutefois, on pensait jusquà une date récente quil ne se « réparait pas » faute de cellules souches neuronales pouvant assurer la régénération. Les premiers doutes ont émergé en 1997 avec la constatation dune neurogenèse chez des petits rongeurs et des primates. Mais la méthode dobservation, impliquant la destruction du cerveau des animaux étudiés, nétait évidemment pas transposable à lhomme. La découverte de cellules souches neuronales humaines rapportée en novembre 1998 par Fred GAGE (Institut Salk, La Jolla, Californie) et Peter ERIKSSON (Université de Göteborg, Suède) est partie de lobservation de tissus cérébraux prélevés sur des patients décédés qui avaient reçu, dans le cadre dun traitement anticancéreux, une substance radioactive destinée à mesurer la vitesse de croissance des tumeurs. Lanalyse de lhippocampe de ces sujets (zone cérébrale essentielle pour la mémoire et pour lapprentissage) a révélé la présence de neurones porteurs de ce marqueur, qui avaient donc été produits, vraisemblablement par prolifération et différenciation de cellules souches, après ladministration de la substance 82. Cette observation a pu être faite chez cinq personnes décédées entre 16 et 781 jours après linjection du produit radioactif. Les travaux ont été repris sur les rongeurs à la suite de cette découverte. Les recherches précédentes avaient révélé que de nouveaux neurones apparaissaient tout au long de la vie des animaux dans lhippocampe et dans les zones cérébrales du système olfactif. Des cellules souches sont également présentes dans certaines zones du cerveau telles que le septum (qui participe aux émotions et à lapprentissage), le striatum (qui intervient dans les activités motrices de précision) et la moelle épinière. Toutefois, dans les conditions normales, seules les cellules souches de lhippocampe et du système olfactif semblent produire de nouveaux neurones. Les perspectives tracées par Fred GAGE et Gerd KEMPERMANN à partir de ces premières avancées sont évidemment très prometteuses. Elles impliquent au préalable lisolation des gènes qui participent à la production de neurones et le décodage des réactions qui aboutissent à laugmentation ou à la diminution de cette activité génique et, par conséquent, de la neurogenèse. Les biologistes disposeront alors des informations nécessaires au déclenchement de la régénération neuronale qui pourrait être obtenue par laction combinée de la thérapie génique et de la greffe de cellules souches. « Avant datteindre ces objectifs, des décennies détudes soutenues simposeront, mais lenjeu est considérable : nous avons la perspective de réparer des aires cérébrales où lon sait que la neurogenèse a lieu et des aires où des cellules souches existent mais ne se divisent pas. On envisage ainsi de stimuler la migration des cellules souches vers des aires inhabituelles et leur différenciation en tel ou tel type de cellules nerveuses. Les nouvelles cellules ne reconstruiront pas des zones entières du cerveau et ne restitueront pas la mémoire perdue, mais elles pourraient par exemple fabriquer de la dopamine. » 83 Des expériences de transplantation de cellules souches neuronales pour le traitement de la maladie de Parkinson et dautres affections neurologiques sont en cours, tant aux Etats-Unis quen France, sur des modèles animaux. - Une étude réalisée par Evan SNYDER (Childrens Hospital de Boston) et financée par le National Institute of Neurological Disorders and Stroke a montré que des cellules souches neurales implantées dans le cerveau de souris privées de leur capacité à fabriquer de la myéline (substance qui entoure et protège les nerfs), ont migré et se sont transformées en oligodendrocytes capables de synthétiser cette protéine myélinique qui restaure la gaine protectrice des axones. La capacité de ces cellules souches à pallier une carence cellulaire précise a ainsi été démontrée. Reste à vérifier cette possibilité chez lhomme et la résistance des cellules transplantées à la maladie dégénérative 84. - Léquipe de Jacques MALLET (CNRS, hôpital de la Pitié-Salpêtrière) a utilisé des vecteurs adénoviraux pour modifier ex vivo des cellules souches neurales provenant de cerveaux dembryons (cette méthode pouvant être ultérieurement expérimentée sur des cellules adultes). Ces vecteurs sont porteurs du gène codant la tyrosine hydroxylase, enzyme clé de la synthèse de dopamine, et dun système de contrôle conditionnel de lexpression de ce gène, dépendant dun antibiotique ajouté dans leau fournie aux rats. Une fois greffées, ces cellules produisent de la dopamine à larrêt de ladministration de lantibiotique 85. Ces cellules peuvent-elles se comporter comme des cellules souches dautres tissus que celui auquel elles appartiennent ? Plusieurs découvertes récentes semblent le confirmer. ¬ La transdifférenciation des cellules sanguines Des cellules de la lignée hématopoïétique dune souris normale, injectées à des souris présentant une anomalie du gène de la dystrophine (myopathie de Duchenne), sont capables de se comporter comme des cellules musculaires restaurant partiellement lexpression de la dystrophine dans les muscles de cette souris 2. Dautre part, des cellules souches hématopoïétiques injectées à des rats dont le foie a été sévèrement détruit forment des cellules souches hépatiques (cellules ovales) puis des hépatocytes et des canaux biliaires. Leur transformation en cellules souches hépatiques est réelle, les marqueurs moléculaires utilisés ne laissant subsister aucun doute. Mais la participation de ces cellules souches hématopoïétiques est très faible, de 0,10 à 0,16 % 86. Les cellules souches mésenchymateuses, issues également de la moelle osseuse, sont susceptibles de se différencier sous forme de cellules de cartilage, dos, de ligament, de tendon, de muscle ou de tissus adipeux 87. Cette découverte, soutenue par la société Osiris Therapeutics (Baltimore), ouvre la voie au traitement de lostéoarthrite, des muscles cardiaques endommagés par une congestion pulmonaire et de la moelle détruite par un traitement anticancéreux. ¬ La transdifférenciation des cellules nerveuses Une équipe italo-canadienne dirigée par le docteur Angelo VESCOVI (Institut national neurologique de Milan) a démontré que des cellules souches nerveuses dorigine murine, normalement commises à la création des trois types cellulaires présents dans le cerveau (neurones, astrocytes, oligodendrocytes), faisaient preuve dune étonnante plasticité puisquelles pouvaient se transformer in vivo en précurseurs médullaires hématopoïétiques qui donnent naissance aux différentes lignées de cellules sanguines. Lexpérience avait été réalisée sur des souris préalablement irradiées pour détruire leur moelle osseuse, siège des cellules souches hématopoïétiques. Un an après la greffe initiale, les nouvelles cellules se retrouvaient dans le sang des souris receveuses, ce qui confirmait bien la colonisation de la moelle osseuse par les cellules nerveuses injectées 88. La transdifférenciation cellulaire franchit ici un pas supplémentaire, comme la souligné Axel KAHN. « Une équipe italienne a récemment démontré que des cellules souches hématopoïétiques peuvent engendrer des cellules musculaires, mais les cellules sanguines et musculaires ont une même origine mésodermique. » Les travaux du docteur VESCOVI « suggèrent que les cellules souches appartenant au feuillet embryonnaire neuroectodermique, qui engendrent normalement les cellules nerveuses, peuvent également engendrer des cellules sanguines dorigine mésodermique. Si cela se confirmait, cela signifierait que la plasticité de reprogrammation du génome est beaucoup plus importante quon ne le croyait jusqualors. » 89 3.3. Un intérêt thérapeutique qui justifie un élargissement du champ de la recherche sur les cellules souches Si les propriétés des cellules souches adultes mises récemment en évidence chez lanimal et, principalement, leur pouvoir élevé de transdifférenciation, sont transposables à lhomme, on perçoit aisément les importantes ressources quelles peuvent offrir à la thérapie cellulaire. Deux avantages doivent être soulignés : - prélevées sur lorganisme adulte, elles ne soulèvent, au plan éthique, aucune objection dès lors que seront respectées par ailleurs les règles générales touchant le recueil du consentement et lévaluation du bénéfice-risque ; - si lon parvient à isoler les cellules dun patient puis à conduire in vitro leur division et leur spécialisation, on pourra pratiquer des greffes autologues permettant de résoudre les problèmes dimmunocompatibilité sans passer par le clonage thérapeutique, méthode dont nous avons pu souligner le caractère coûteux, complexe et controversé. Pour autant, on ne doit pas sous-estimer les limites importantes auxquelles se heurte pour linstant lutilisation des cellules souches adultes : · sil est bien établi que ces cellules peuvent se multiplier en culture en conservant leur caractère propre, leur division nest pas infinie, contrairement à celle des cellules souches embryonnaires, de sorte que leur développement en culture tissulaire est, lui-même, nécessairement limité 90 ; · elles nont pas été isolées dans tous les tissus du corps humain : ainsi na-t-on pas pu localiser des cellules souches cardiaques ou pancréatiques ; · lutilisation de ces cellules en greffe autologue requiert au préalable quelles soient isolées et mises en culture en nombre suffisant pour obtenir les quantités nécessaires au traitement. En cas de trouble aigu nécessitant une intervention rapide, le délai risque dêtre trop court pour parvenir à ce résultat ; · daprès les études menées sur les animaux, les cellules souches dérivées du système nerveux central nont pas le profil génétique des cellules souches « normales » observées au cours de lembryogenèse. John GEARHART se déclare « préoccupé » par leur évolution après la greffe, certains résultats tendant à prouver quelles pourraient ne pas se différencier 91 ; · le recours à la greffe autologue pour le traitement des maladies génétiques peut poser problème si lanomalie affecte les cellules souches destinées à la transplantation. La question peut dailleurs se poser dans des termes comparables pour le clonage thérapeutique par transfert de noyau dune cellule somatique. Alors que la recherche fait ses premiers pas sur ce terrain, rien ne permet dapprécier dans quelle mesure et dans quels délais la science peut apporter des solutions aux problèmes que nous venons dénumérer mais il serait, pour les mêmes raisons et face à tant dinconnues, de mauvaise méthode de privilégier une direction de recherche au détriment dune autre. Dans le rapport déjà cité quelle a remis lan dernier au président CLINTON, la Commission nationale consultative de bioéthique a estimé qu« en raison des importantes différences biologiques qui séparent les cellules souches adultes et embryonnaires, cette source de cellules souches ne devrait pas être considérée comme une alternative à la recherche sur les cellules ES et EG ». Nous ne souscrivons pas à ce point de vue et pensons que ces deux voies doivent être explorées avec la même détermination. Lun des éminents scientifiques que nous avons entendus, américain de surcroît, ne professe pas une opinion opposée : « il nexiste pas tant une compétition entre cellules quune compétition entre chercheurs qui utilisent différentes sources de cellules. Elle permettra de déterminer les cellules qui se prêtent le mieux aux applications cliniques. Exclure lune ou lautre approche ne serait pas bénéfique à long terme. » 92 Troisième
partie : Un paysage fortement contrasté se dégage dune comparaison entre la situation du monde anglo-saxon (Etats-Unis, Grande-Bretagne) et celle des principaux pays membres de lUnion européenne. · Dun côté, une recherche très dynamique, stimulée par dalléchantes perspectives commerciales, se déploie avec le soutien conjoint de capitaux privés et publics, tandis quune réflexion teintée de pragmatisme sur lassouplissement dune réglementation déjà très libérale est en passe daboutir. · De lautre, coexistent dEtat à Etat des législations très diverses, marquées, majoritairement, par une orientation restrictive qui limite les avancées scientifiques. Cette hétérogénéité législative rend, en outre, malaisée lédiction de règles communes au plan européen. Le Parlement ne pourra pas faire abstraction de cet environnement international lorsquil procédera à la révision de la loi de 1994 qui fit figure en son temps de législation pionnière. Cest la raison pour laquelle il nous paraît nécessaire dy consacrer quelques développements avant danalyser les termes dans lesquels se pose le débat pour le législateur français. I La situation de la recherche dans le monde anglo-saxon 1. Les stratégies commerciales anglo-américaines Nous avons déjà évoqué les investissements considérables que consacrent diverses entreprises nord-américaines à la recherche sur le clonage et la transgenèse pour la production de protéines thérapeutiques. Les progrès médicaux espérés de lutilisation des cellules souches, éventuellement associée au clonage thérapeutique, suscite dépôts de brevets et alliances stratégiques entre les sociétés start-up qui se spécialisent dans ces techniques. Il faut dire que le marché de ces nouvelles thérapies cellulaires apparaît très porteur compte tenu du nombre des bénéficiaires potentiels. Selon lOMS, 135 millions dadultes étaient atteints du diabète en 1995, dont 33 millions en Europe et 31 millions sur le continent américain. Cette population devrait sélever à 300 millions en 2025, dont 80 millions dans le Sud-Est asiatique. Les chiffres sont actuellement de 20 millions pour la maladie dAlzheimer et 4 millions pour la maladie de Parkinson qui affecte, en Europe, 1,6 % des personnes âgées de plus de 65 ans. John GEARHART évalue à 128 millions les personnes souffrant, aux Etats-Unis, de maladies chroniques aiguës (diabète, maladie de Parkinson, hémiplégie, immunodéficience, arthrite, etc.) 93. Quels sont les profits escomptables ? Une prévision est difficile à faire compte tenu du stade de développement encore très précoce des thérapies cellulaires. Simon BEST, directeur de Geron Bio-Med, estime que la médecine régénératrice pourrait accroître de 25 % la valeur du marché mondial pharmaceutique dici 25 ans. « Le marché pharmaceutique mondial représente environ 250 milliards de dollars. Ce chiffre ne fait quaugmenter. Pour les laboratoires comme le nôtre, lopportunité commerciale de la médecine régénératrice pourrait représenter quelque 60 milliards de dollars au cours des vingt prochaines années. » 94 Geron Corporation (Menlo Park, Californie) est le leader de la médecine régénératrice aux Etats-Unis. Spécialisée dans la lutte contre les maladies liées au vieillissement, elle a déposé un brevet couvrant les techniques de clonage des principaux composants de la télomérase. Cette enzyme, susceptible d« immortaliser » les cellules, peut jouer un rôle déterminant dans le développement de la thérapie cellulaire, notamment pour la greffe de cellules adultes dont la longévité pourrait être ainsi durablement prolongée. Geron a financé les recherches sur les cellules souches embryonnaires et germinales menées par James THOMSON et John GEARHART, ainsi que celles que développe sur le même sujet Roger PEDERSEN à lUniversité de San Francisco. Elle détient deux brevets et une licence exclusive sur lisolation et la production en culture in vitro des cellules souches pluripotentes. Avant même que ne soit confirmée la faisabilité de leur transplantation chez lhomme, Geron envisage, en liaison avec des entreprises de génomique, dautres applications qui visent à la production de protéines thérapeutiques favorisant la régénération des tissus. Geron a conclu un partenariat avec le Roslin Institute, pionnier, comme on la vu, du clonage par transfert de noyau, en rachetant la société écossaise Roslin Bio-Med, créée en 1998 par ce même institut avec des capitaux-risques pour développer, quand elles seront disponibles, les techniques de transgenèse ciblée chez le mouton et le porc. La nouvelle société, rebaptisée Geron Bio-Med, est désormais une filiale britannique de Geron. Pour financer ses travaux et, notamment, la recherche sur le clonage reproductif qui a abouti à la naissance de Dolly, le Roslin Institute sest appuyé, selon une pratique désormais courante en Grande-Bretagne, sur des organismes publics (ministère de lAgriculture, Office de la science et de la technologie) mais aussi et surtout sur une firme privée, PPL Therapeutics, qui espérait ainsi être la première à bénéficier des avancées du clonage danimaux transgéniques pour la production de molécules pharmaceutiques. Dans le cadre du nouveau partenariat quil vient détablir, linstitut bénéficiera en outre, sur six ans, dun soutien de 12,5 millions de livres pour mener à bien des programmes de recherche fondamentale en coopération avec Geron. Le transfert de technologie est ici à double sens : - Dun côté, Geron apporte à Roslin son savoir-faire dans lutilisation de la télomérase qui permettrait daméliorer la production par clonage danimaux transgéniques. Comme lexplique Simon BEST, directeur de Geron Bio-Med : « nous sommes limités à un nombre de modifications relativement réduit à chaque génération en utilisant des cellules avant quelles ne perdent leur totipotence. Avec la télomérase, en particulier, nous espérons avoir une fenêtre plus large qui nous permettra deffectuer davantage de modifications en un moins grand nombre de générations. » 95 - Dans lautre sens, la recherche doit porter sur la nature du mécanisme qui permet au transfert nucléaire de faire « régresser » une cellule différenciée vers la totipotence, lidéal étant de parvenir à reprogrammer cette cellule adulte sans avoir à passer par la création dun embryon. Selon les termes de Simon BEST, « lassociation de Roslin et de Geron permet datteindre un niveau dexcellence dans la recherche sans que cela ne coûte rien aux contribuables ». 96 Le 19 janvier 2000, deux brevets ont été délivrés par lOffice britannique au Roslin Institute et aux deux organismes gouvernementaux qui soutiennent ses travaux (ministère de lAgriculture et Biotechnology and Biological Sciences Research Council). Ils couvrent la technique du clonage par transfert de noyau de cellules quiescentes à lexclusion du clonage humain reproductif. Ceci inclut la méthode de production danimaux, de lignées de cellules souches embryonnaires et dembryons humains au stade blastocyste ainsi que les animaux, embryons et cellules créés selon cette méthode. Lattribution de ces brevets valorise les licences exclusives dont bénéficient PPL Therapeutics (pour la production de protéines humaines à partir du lait de ruminants et de lapins) et Geron (pour toutes les autres applications). Le principal concurrent de Geron est Genzyme Corporation dont la filiale Genzyme Transgenics (Framingham, Massachusetts) a réussi à produire, comme nous lavons déjà indiqué, un anticoagulant dans le lait de chèvres transgéniques. Genzyme Transgenics a conclu, en 1997, un accord avec Advanced Cell Technology (Worcester, Massachusetts) pour utiliser ses techniques de clonage en échange du paiement de 10 millions de dollars sur cinq ans. ACT a réussi le clonage des premiers veaux transgéniques, George et Charlie, et travaille sur la création de vaches transgéniques pour la production dalbumine. Cette société détient une licence exclusive de lUniversité du Massachusetts. Elle a obtenu le 31 août 1999 de loffice américain un brevet couvrant « le clonage de tous les mammifères non humains à partir dune cellule somatique adulte ou ftale, pendant toutes les phases de croissance à lexception de la quiescence ». Le Roslin Institute conteste, on le sait, loriginalité de cette méthode 97. Rappelons, dautre part, quACT prétend, sans lavoir scientifiquement établi, être parvenue à créer un embryon par fusion dune cellule somatique humaine et dun ovocyte de bovin. Parmi les autres sociétés engagées dans cette compétition, on citera Osiris Therapeutics (Baltimore) qui travaille depuis 1993 sur le développement de produits thérapeutiques pour la régénération de tissus musculaires endommagés et a réussi récemment à isoler et à mettre en culture des cellules souches mésenchymateuses promises, semble-t-il, à un bel avenir 98. En juin 1997, Novartis, qui sintéresse aux recherches dOsiris pour le traitement des os et des cartilages, lui a apporté 10 millions de dollars de fonds propres et 3 millions de dollars de fonds de recherche, avec la possibilité de financements supplémentaires en fonction des résultats. Osiris a signé, en outre, en octobre 1998, un accord de coopération avec Genetica (Cold Spring Harbor, New York), spécialisée dans le clonage rapide des gènes. 2. Les débats en cours sur un assouplissement de lencadrement législatif et réglementaire 2.1. Aux Etats-Unis : des fonds fédéraux peuvent-ils soutenir la recherche sur les cellules souches pluripotentes ? Les dispositions législatives et réglementaires qui encadrent, aux Etats-Unis, la recherche sur les cellules souches pluripotentes dorigine embryonnaire ou ftale sont dune grande diversité qui tient, dune part à la distinction qui y est faite entre recherche publique et recherche privée, dautre part au partage de compétences entre le législateur fédéral et les Etats fédérés. - Au niveau fédéral, il nexiste aucune prohibition générale et absolue. La création dembryons pour la recherche est autorisée à condition que la valeur de la recherche projetée soit indiscutable et quelle ne puisse être menée à bien autrement. En revanche, une loi de 1994 (« Omnibus Consolidated and Emergency Supplemental Appropriations Act ») interdit lattribution de fonds fédéraux pour : · la création dembryons humains pour la recherche ; · la recherche conduisant à la destruction dembryons humains ou les exposant à des risques supérieurs à ceux qui sont légalement admis pour la recherche sur les ftus in utero. Lembryon est défini comme tout « organisme » obtenu par fécondation, parthénogenèse, clonage ou tout autre moyen à partir dun ou plusieurs gamètes humains ou de cellules diploïdes humaines. Sagissant du clonage humain, le président CLINTON a interdit, en mars 1997, lapport de fonds fédéraux pour des expériences de cette nature mais le Sénat a repoussé en février 1998 une proposition dorigine républicaine interdisant définitivement toute forme de clonage humain. - Au niveau fédéré, la recherche sur lembryon in vitro est interdite dans neuf Etats (Floride, Louisiane, Maine, Massachusetts, Michigan, Minnesota, Nord-Dakota, Pennsylvanie, Rhode Island). Par ailleurs, six Etats (Arizona, Indiana, Nord-Dakota, Ohio, Oklahoma, Sud-Dakota) proscrivent toute recherche sur des ftus avortés. Le 19 janvier 1999, le professeur Harold VARMUS, alors directeur des NIH (National Institutes of Health), rendait public lavis quil avait sollicité du DHHS (Department of Health and Human Services) sur la légalité dune attribution de fonds fédéraux à la recherche utilisant des cellules pluripotentes. La réponse positive qui lui avait été fournie se fondait sur le fait que les cellules pluripotentes nentraient pas dans la définition de lembryon tel que défini par la loi en vigueur dès lors quelles navaient pas la capacité de développer un être humain. Le DHHS précisait en outre que les cellules pluripotentes dérivées de ftus avortés étaient incluses dans la définition générale des tissus ftaux humains et se trouvaient donc soumises, pour leur utilisation, aux règles édictées à léchelon fédéral, qui concernent essentiellement les conditions de recueil du consentement. Sappuyant sur cet avis, le directeur des NIH a annoncé son intention de subventionner la recherche sur les cellules ES et EG. Avant toute décision effective, il convenait de consulter la commission nationale de bioéthique (NDAC) et le Congrès. Il fallait surtout mettre au point un guide de bonnes pratiques dont le respect conditionnerait lattribution des fonds. En septembre 1999, la Commission nationale consultative de bioéthique a rendu public le rapport qui lui avait été demandé à ce sujet par le président CLINTON. La NBAC juge éthiquement acceptable lattribution de fonds fédéraux pour lobtention et lutilisation de deux catégories de cellules pluripotentes : - les cellules EG dérivées de tissus ftaux. Les règles en vigueur devraient être amendées pour établir clairement que les garanties éthiques qui entourent la transplantation de tissus ftaux sappliqueront également à lobtention et à lutilisation des cellules EG à des fins de recherche ; - les cellules ES provenant dembryons surnuméraires conçus dans le cadre dun traitement contre linfertilité. Une exception devrait donc être apportée à la règle interdisant le financement public de la recherche sur lembryon sous réserve de dispositions réglementaires précisant les conditions dans lesquelles seffectuera la donation. La NBAC na pas cru devoir fixer deux régimes distincts pour lobtention et lutilisation des cellules EG, considérant que les procédés de dérivation de cellules étaient porteurs de riches enseignements scientifiques. Dès lors, la recherche publique doit également pouvoir en bénéficier. Il est par ailleurs proposé dexclure tout financement public pour la recherche sur des cellules provenant dembryons créés spécialement à cet effet par fécondation in vitro ou par clonage. Les propositions de directives (« guide lines ») élaborées par les NIH ont été rendues publiques le 2 décembre 1999. Suivant en cela lavis de la NBAC, elles indiquent que les recherches ne seront possibles que sur des cellules dembryons congelés provenant de centres de traitement de linfertilité et non réimplantés pour de stricts motifs médicaux. Aucune pression ou rémunération visant à favoriser le don ne sera possible. Une séparation nette devra être établie entre léquipe responsable du traitement contre linfertilité et celle qui recueillera le consentement conduisant au don de lembryon. Les demandes de financement seraient examinées par un comité spécifique (Human Pluripotent Stem Cells Review Group). Les recommandations énumèrent enfin les domaines dans lesquels aucun fond ne pourrait être accordé : utilisation des cellules pour la création dun nouvel embryon, association à un embryon animal, clonage humain, transfert dun noyau de cellule somatique dans un ovocyte humain ou animal. Ces propositions sont soumises au débat public pendant 60 jours et seront à la base des directives finales qui encadreront sur le plan éthique lexamen des demandes de financement. Au sein de lopinion publique américaine, un débat oppose une coalition de patients potentiels dont les traitements dépendent du succès de ces recherches (American Parkinsons Disease Association, Juveniles Diabetes Foundation, Christopher Reeve Paralysis Foundation) aux groupes hostiles à lavortement qui considèrent que ces expériences sont contraires aux principes de lexpérimentation humaine. En février 1999, 70 membres du Congrès sétaient publiquement déclarés hostiles à la position défendue par Harold VARMUS et avaient demandé au gouvernement fédéral dinterdire tout financement public pour ce type de recherche. Ils ont suscité la réaction de 67 prix Nobel qui, dans une lettre publiée par Science le 19 mars 1999, ont apporté leur soutien aux propositions des NIH. Une loi sera-t-elle nécessaire pour la mise en uvre éventuelle de ces financements publics ? Certains juristes américains observent que les dotations budgétaires dont dispose le ministère de la Santé autoriseraient les NIH à affecter des fonds aux chercheurs 99. En tout état de cause, comme le souligne le professeur Lori ANDREWS 100, la réglementation fédérale ne visera que lutilisation de crédits fédéraux et laissera toute latitude aux Etats pour édicter, chacun en ce qui le concerne, la législation médicale quil juge la plus appropriée. La législation britannique, moins restrictive que la nôtre, procède du « Human Fertilization and Embryology Act » de 1990. Ce texte établit une distinction essentielle entre lembryon, jusquau 14ème jour qui suit la fécondation, et le ftus, au delà de cette limite 101. La recherche sur lembryon ainsi défini est admise avec les finalités suivantes : - faire progresser les traitements de linfertilité ; - accroître les connaissances sur les causes des maladies congénitales et des fausses couches ; - développer des techniques plus efficaces de contraception ; - élaborer des méthodes de détection des anomalies génétiques ou chromosomiques des embryons avant limplantation. Il est par ailleurs interdit, aux termes de la loi : · de conserver in vitro ou dutiliser un embryon après lapparition de la gouttière primitive ou au delà du 14ème jour ; · de transférer un embryon dans lorganisme dun animal ; · de substituer au noyau dune cellule embryonnaire un noyau provenant dune cellule dune personne ou dun autre embryon ; · daltérer la structure génétique dune cellule embryonnaire. La fabrication de cellules souches embryonnaires pour les motifs ci-dessus énumérés est licite. La HFEA a ainsi autorisé un certain nombre de recherches sur la génération de lignées de cellules ES pour examiner les facteurs affectant le développement dembryons conçus et développés in vitro et pour évaluer leur potentiel de développement. Aucun agrément na été, en revanche, délivré pour des recherches portant sur le développement de la thérapie cellulaire et tissulaire. Après une consultation publique de trois mois qui avait permis de recueillir lavis dorganismes professionnels, dassociations religieuses et laïques mais aussi de simples citoyens, la « Human Genetics Advisory Commission » et la « Human Fertilization and Embryology Authority » ont suggéré quelques modifications au droit en vigueur dans un rapport remis au Gouvernement en décembre 1998. Ces deux instances mettaient en évidence les bénéfices que la science et la médecine pourraient tirer des applications du clonage à visée thérapeutique. Aussi proposaient-elles den autoriser la pratique contrôlée et détendre les objectifs de la recherche sur lembryon au traitement des maladies mitochondriales et à la thérapie cellulaire et tissulaire. Tout en admettant dautre part que les dispositions en vigueur renforcées par la ligne de conduite adoptée par la HFEA suffisaient à interdire le clonage humain reproductif, elles suggéraient den inscrire dans la loi la prohibition formelle. Dans les réponses quils ont faites le 24 juin 1999 à ces propositions, les secrétaires dEtat à la Santé et à la Science ont confirmé le caractère non éthique du clonage humain à visée reproductive et linterdiction absolue de sa pratique au Royaume-Uni. Ils ont dautre part demandé un délai de réflexion supplémentaire sur lapplication de la technique du clonage à la production dembryons comme sources de tissus humains de remplacement. Ils reconnaissent a priori les avantages potentiels des applications du clonage thérapeutique à la culture de cellules et de tissus immunologiquement compatibles, mais ils demandent que la nécessité dune telle recherche soit démontrée de façon plus évidente : cela implique une évaluation précise des risques et bénéfices potentiels et une analyse au regard de toutes les techniques alternatives utilisables aux mêmes fins. Le professeur Liam DONALDSON, responsable des Affaires médicales, a été chargé de constituer et de présider un comité consultatif indépendant dexperts de tous bords, britanniques comme étrangers. Un délai dun an lui a été donné pour remettre un rapport au Gouvernement et à la « Human Genetics Commission » récemment constituée. Il nest donc pas question, dans limmédiat, dassouplir la loi en vigueur, qui interdit le clonage humain sous toutes ses formes, pour autoriser la recherche à partir dembryons clonés de quelques jours en vue dapplications potentiellement bénéfiques à la médecine. On notera, pour conclure sur ce point, la situation très particulière de la Grande-Bretagne au regard du Protocole additionnel à la Convention européenne de biomédecine du 12 janvier 1998 qui a interdit le clonage humain. Dès lors, en effet, que la définition de lêtre humain est laissée à lappréciation de chaque pays, le Royaume-Uni pourrait, comme le souligne Jacques TESTART, « honorer la loi commune tout en produisant des clones expérimentaux qui seraient détruits après deux semaines, terme du « pré-embryon » et préparer dans les meilleures conditions lapplication médicale du clonage » 102. 1 Jacques TESTART. Des hommes probables, Seuil, 1999, page 64. 2 Henri ATLAN. Le clonage humain (ouvrage collectif), Seuil, 1999, page 18. 3 Jean-Paul RENARD. « Clonage : les bases du débat », Revue de la CFDT, novembre 1998, page 4. Il est largement fait appel ici aux informations contenues dans cet article très clair et très complet. 5 J.P. RENARD. Op. cit., page 5. 9 Proceedings of the National Academy of Sciences, 06/01/2000. 11 Ian WILMUT. « Le clonage des mammifères », Pour la Science, n° 256, février 1999. 13 Revue de la CFDT, Op. cit., page 8. 14 Des hommes probables, Op. cit., page 67. 15 Les premières expériences de transfert de gènes ont été réalisées en 1981 sur des souris, aux Etats-Unis. 16 « Clonage et transgenèse : une association davenir », Biofutur, juin 1999, page 11. 17 A. PERRY et al., Science, 284, 1180, 1999. 19 Un premier pas vient dêtre franchi avec le clonage de veaux à partir de cellules maintenues en culture prolongée que nous avons précédemment évoqué. Il devient donc possible de combiner clonage animal et ciblage de gène, et ce aussi bien pour inactiver un gène donné (animaux « knock-out ») que pour introduire une séquence génétique particulière. 20 J.P. RENARD, Op. cit., page 14. 22 Nature Biotechnology, mai 1999. 23 Biofutur n° 190, juin 1999. 24 Article L 209-18.3 du Code de la santé publique issu de la loi du 1er juillet 1998. 26 La Recherche n° 320, mai 1999. 29 Laplasie médullaire est la réduction, dans la moelle osseuse, de lune ou plusieurs des trois lignées sanguines. 30 Pr. Jean-Paul VERNANT, audition du 28/10/99. 31 La première greffe a été effectuée il y a une dizaine dannées par le professeur Eliane GLUCKMAN sur un jeune patient atteint de la maladie de Fanconi (anémie, due à une aplasie médullaire congénitale, évoluant vers la leucémie aiguë). 32 LUsine Nouvelle. Réparer lhomme Les espoirs et les enjeux, n° hors série, juin 1999. 33 Une telle opération de reconstruction sinscrit dans cette forme nouvelle de médecine régénératrice que lon dénomme génie tissulaire et à laquelle nous consacrons plus loin quelques développements. 34 Science et Vie n° 973, octobre 1998. 35 Science, cité par Courrier International n° 479 du 6-12 janvier 2000. 36 Pr. J.P. CAMPION, audition du 07/10/1999. 37 Cf., sur ce point, notre précédent rapport, pages 60 et suivantes. 38 Procédé mis au point par « Bioprédic International », entreprise « start-up » dont la création a été soutenue par lINSERM. 39 Une expérience a été tentée récemment avec succès à Strasbourg, dans le service de diabétologie du professeur PINGET (Le Figaro du 23/11/1999). 40 Dr François PATTOU, audition du 10/11/1999. 41 Pr. Jean-Louis TOURAINE, audition du 21/10/1999. 42 Cf., sur ce point, notre précédent rapport, pages 57 et 58. 43 Le professeur VERNANT estime, pour sa part, que les greffes sur le petit enfant en haplo-identique à partir de moelle des parents donnent de meilleurs résultats que le foie ftal, à condition de retirer tous les lymphocytes T du greffon (audition du 28/10/1999). 44 Pr. J.L. TOURAINE, audition du 21/10/1999. 45 Le foie est, au stade ftal, un organe hématopoïétique majeur dont la nature est à la fois hépatique et médullaire. 46 Pr. FORESTIER, audition du 21/10/1999. 47 Sur la qualification embryonnaire ou ftale des cellules utilisées, on renverra aux observations présentées page 34. 49 Biofutur n° 190, juin 1999. 50 Nature Neuroscience, 22/11/1999. 51 Destruction du pallidum, formation grise interne du noyau lenticulaire du cerveau. Lopération est pratiquée aux Etats-Unis mais tend à être abandonnée en Europe. 52 Dr Philippe BRACHET, audition du 09/11/1999. 53 INSERM U 421, Neuroplasticité et thérapeutique, Faculté de médecine de Créteil. 56 Audition devant le Sénat américain du 02/12/1998. 58 Jacques SAMARUT, audition du 09/12/1999. 59 J. SAMARUT, audition du 09/12/1999. 62 Proceedings of the National Academy of Sciences 95, 13726-13731. 65 A la différence de la législation française, la réglementation fédérale américaine exclut la destruction des embryons surnuméraires en quelque circonstance que ce soit. 66 Pr. Lori ANDREWS, audition du 25/11/1999. 68 Ian WILMUT, audition du 25/11/1999. 71 Le clonage humain, Op. cit., page 37. 72 D. SOLTER et J. GEARHART, Science, 05/03/1999. 74 Pour la Science, février 1999. 75 J. SAMARUT, audition du 09/12/1999. 76 Roger PEDERSEN, Pour la Science n° 260, juin 1999. 77 Science et Vie n° 981, juin 1999. 79 D. SOLTER et J. GEARHART, Op. cit. 80 Ian WILMUT, audition du 25/11/1999. 82 Nature Medicine, vol. 4, n° 11, novembre 1998. 83 G. KEMPERMANN - F. GAGE. « La multiplication des neurones chez ladulte », Pour la Science n° 261, juillet 1999. 84 Proceedings of the National Academy of Sciences, 08/06/1999. 85 GUSSONI et al., Nature 401, 390-394, 1999. 86 Bryan PETERSEN et al., Science 284, 1999. 87 PITTENGER et al., Science 284, 1999. 90 James THOMSON, audition devant le Sénat américain du 02/12/1998. 92 J. GEARHART, audition du 25/11/1999. 95 Biofutur n° 190, juin 1999. 99 Miranda BIVEN. Journal of Law, Medicine and Ethics 27, n° 1 (1999). |