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Rapport sur l'aval du cycle nucléaire
Par M. Christian Bataille et Robert Galley
Députés
Tome II : Les coûts de production de l’électricité

Chapitre I (suite de la partie II)

II. La contribution positive de l’electronucleaire a la competitivite globale de l’economie française

C. Le solde fortement exportateur de la filière électronucléaire française 1

C. Le solde fortement exportateur de la filière électronucléaire française

La contribution de la filière nucléaire au solde positif de la balance commerciale française ne se réduit pas à une économie d’importations de combustibles fossiles. Non seulement la production d’électricité est compétitive en France, mais l’industrie du cycle du combustible l’est aussi, sans oublier la construction de réacteurs nucléaires.

Si la vente de réacteurs nucléaires est une activité irrégulière, au demeurant de plus en plus difficile, l’exportation d’électricité et le cycle du combustible ont généré en 1997 un solde positif de 27,7 milliards de francs. Cette année 1997, à cet égard, ne constitue pas une année exceptionnelle.

· Les exportations de Framatome : 35 milliards de francs courants de 1970 à 1998

La francisation rapide par Framatome des technologies américaines des réacteurs à eau pressurisée est une réussite exemplaire de l’industrie française. D’utilisateur sous licence de technologies américaines, Framatome devient rapidement un fournisseur de technologies à son partenaire américain, exporte ses propres produits dès 1982 et cesse tout versement de redevances en 19921.

a) La francisation des chaudières nucléaires initialement sous licence Westinghouse

L'examen des relations entre Framatome et Westinghouse permet de constater qu'elles trouvent leur origine dans les accords que le Groupe Schneider entretenait avec Westinghouse depuis 1928. Lors de la création de Framatome le 1er décembre 1958, Westinghouse faisait partie des premiers actionnaires, avec 15 % du capital, aux côtés de Schneider, Merlin Gérin et du Groupe Empain. La participation de Westinghouse est ensuite montée à 45 % du capital de Framatome de 1972 à 1975, avant de redescendre, à la demande des pouvoirs publics, à 15 %, en janvier 1976, le CEA reprenant la participation cédée par Westinghouse. Les derniers 15 % détenus par Westinghouse ont été repris par Creusot-Loire en 1981, de sorte que depuis cette date, il n'y a plus de lien capitalistique entre Framatome et cette société américaine.

Sur un plan pratique, Westinghouse a concédé à Framatome en février 1959 une licence de fabrication de composants de chaudières nucléaires à eau pressurisée. Cette licence a été utilisée pour la réalisation de la centrale franco-belge de SENA (Chooz) dans les Ardennes.

Après cette réalisation, Westinghouse a commandé pour ses propres besoins plusieurs cuves de réacteurs aux ateliers du Creusot, avant qu'en 1969 Framatome reçoive les commandes des chaudières nucléaires de Tihange puis de Fessenheim. Tout en se faisant dans le cadre de la licence de 1959, ces réalisations marquent un début d'émancipation de Framatome qui réalise notamment l'étude des régimes transitoires de fonctionnement et la fabrication de l'instrumentation du cœur du réacteur de cette centrale.

En 1972, la licence de Westinghouse est étendue à l'ensemble des éléments permettant la conception du réacteur, ce qui permet à Framatome d'obtenir les informations lui permettant de maîtriser tous les aspects de la conception d'une chaudière nucléaire, et d'apporter de nombreuses améliorations, au cours de la réalisation du premier contrat-programme, grâce en particulier au retour d'expérience associé aux premières centrales en service.

Dès 1976, Framatome participe aux études de développement d'un nouveau modèle de centrale de 1300 MW qui sera mis en service aux Etats-Unis bien après les premières mises en service de centrales correspondantes en France. La situation se renverse progressivement. Les Etats-Unis commencent à se montrer intéressés par certains éléments apportés par la technologie française.

Aboutissement logique de ces relations, l'accord de licence de 1972 est remplacé en 1981 par un accord de coopération technique à long terme, appelé NTCA (Nuclear Technical Coopération Agreement).

Cet accord repose sur le respect par Westinghouse des compétences Framatome. Les redevances sont notablement diminuées. Les échanges se font dans les deux sens. Ce degré d'indépendance technique et commerciale de Framatome entraîne le retrait total de Westinghouse du capital de Framatome.

Avec l'appui d'EDF et du CEA, Framatome francise alors la technologie des réacteurs à eau pressurisée en lui faisant des apports essentiels. Le nouveau modèle de centrales de 1450 MWe de type N4, mises en place à Chooz B et à Civaux, les assemblages de combustible de type AFA, l'édition des Recueils de Conception et de Construction (RCC) des chaudières nucléaires sont des signes tangibles de cette indépendance.

Simultanément les accords de coopération technique quadripartites qui réunissaient EDF, le CEA, Framatome et Westinghouse et qui avaient commencé en 1976 perdent de leur substance, les apports de Westinghouse étant de plus en plus faibles.

En 1992, il est mis fin au NTCA entre Framatome et Westinghouse de sorte que la filière des réacteurs à eau pressurisée est totalement « francisée » et qu'il n'y a plus à verser de redevances.

On notera que cette francisation progressive des chaudière nucléaires initialement sous licence Westinghouse, a conduit au dépôt de plus de cent cinquante brevets et à la mise en place d'importants programmes de R & D. Les résultats ont été à la hauteur des espérances. La France est totalement autonome de ses décisions et elle est bien placée sur le marché mondial, comme le montre en particulier, sa capacité à développer ses relations dans ce domaine avec la Chine.

Par ailleurs, sans que cela soit directement lié aux relations avec Westinghouse, on notera que Framatome a pris en 1987 et en 1989 des participations dans les filiales de la Société Babcock et Wilcox, fabriquant de combustible nucléaire et réalisant des services aux centrales, avant d'en prendre en 1992 le contrôle total, en association avec COGEMA pour ce qui touche au combustible.

Fin 1995, le nom de « Framatome Technologies » remplace le nom de « Babcock et Wilcox Nuclear Technologies » qui couvraient ces participations américaines. Framatome dispose donc maintenant d'une base très solide aux Etats-Unis dans l'industrie nucléaire.

b) 28,5 milliards d’exportations réalisées par le Groupe Framatome dans le domaine nucléaire

Le chiffre d'affaires à l'exportation du Groupe Framatome dans le domaine nucléaire s'élève pour l'ensemble de la période 1970-1997 à 28,5 milliards de francs courants, dont 20,5 pour les chaudières et 8 pour le combustible.

Les commandes relatives à la centrale chinoise de Ling Ao ne sont pas encore prises en compte dans ces chiffres d'affaires. Elles représentent environ 5 milliards supplémentaires pour les chaudières et 0,5 milliard pour le combustible. Il convient d'ajouter en outre 0,3 milliard de francs pour la commande de composants pour la centrale chinoise de Quinchan.

Tableau :chiffres d’affaires relatifs aux centrales vendues à l’étranger par Framatome

centrales chaudières combustible2 dont achats et sous-traitance hors groupe autres prestations depuis l’origine remarques
Belgique
Tihange 1 (MSI3 1975 0,7   0,3    
Doel 3 (MSI 1982) 0,8   0,3    
    0,3   1,7  
Tihange 2 (MSI 1982) 0,8   0,3    
Afrique du Sud
Koeberg 1 (MSI 1985) 1,6   0,6   autres fournisseurs : Spie, Cegelec, Alsthom, Thermatome
    0,7   1,8  
Koeberg 2 (MSI 1985) 2 ;2   0,8    
Corée
Uljin (MSI 1988) 1,3   0,5   autres fournisseurs français : Alsthom, Cegelec, Thermatome
    0,2   0,7  
Uljin 2 (MSI 1989) 1,1   0,4    
Chine
Daya Bay 1 3,4   1,1   Autres fournisseurs français : Alsthom, Spie, EDF
    0,5   1,5  
Daya Bay 2 (MSI 1994) 2,5   0,9    

· Le chiffre d’affaire net d’EDF à l’export : 149 milliards de francs, de 1974 à 1998

C’est la mise en service industriel des premiers réacteurs nucléaires qui permet à EDF d’inverser sa position d’importateur net d’électricité en celle d’exportateur net d’électricité. Traditionnellement, les réseaux européens qui sont interconnectés échangent de l’électricité en fonction des besoins ponctuels d’approvisionnement. Comme on le voit sur la figure ci-après, c’est à partir de 1981 qu’EDF devient exportateur net d’électricité. Ce solde s’accroît régulièrement, au fur et à mesure du couplage au réseau des réacteurs nouvellement construits et atteint un maximum de 69, 6 TWh en 1995.

Figure : Evolution des ventes et achats d’électricité d’EDF en Europe de 1974 à 19984, 5, 6

Avec un solde net de 15,3 milliards de francs en 1997 et de 12,7 milliards de francs en 19987, la contribution des exportations aux résultats de l’entreprise représente actuellement environ 8 % du chiffre d’affaires total d’EDF. Le résultat des exportations en termes de marge bénéficiaire tend à diminuer actuellement. Pour s’adapter aux réalités du marché, EDF est en effet contrainte dans certains cas d’accepter de renégocier des contrats.

Tableau : Evolution des ventes et des achats d’électricité d’EDF en Europe de 1974 à 1998 en milliards de francs courants 8, 9, 10

milliards de francs courants Exports Imports Solde

1974

0,1

-0,1

0

1975

0,1

-0,2

-0,1

1976

0,3

-0,5

-0,2

1977

0,2

-0,6

-0,4

1978

0,3

-0,9

-0,6

1979

0,5

-1,2

-0,8

1980

0,8

-1,4

-0,6

1981

2,1

-1,3

0,8

1982

2,3

-1,6

0,7

1983

3,4

-1,1

2,3

1984

5,6

-1,1

4,5

1985

5,3

-1,2

4,2

1986

5,1

-1

4

1987

6,1

-1,1

5

1988

6,4

-1,1

5,3

1989

8,1

-1,9

6,2

1990

9,5

-1,4

8,1

1991

11,9

-1

11

1992

12,1

-0,6

11,5

1993

14,5

-0,6

13,9

1994

15,2

-0,6

14,5

1995

17,4

-1,5

15,9

1996

16,7

-0,8

15,9

1997

16,4

-1,1

15,3

1998

15,1

-2,4

12,7

total

175,5

-26,3

149,1

EDF souligne que certains contrats à long terme de fourniture d’électricité ont, pour la moitié de la puissance exportable, une structure particulière adaptée aux besoins de financement de l’entreprise, lorsque son parc électronucléaire montait en puissance rapidement.

En effet ces contrats particuliers dans leur définition – mais pas dans leur volume, puisqu’ils représentent près de la moitié exportable – se sont traduits par une contribution de la part des sociétés clients à la puissance installée sous forme d’un versement en capital.

Compte tenu des règles comptables françaises, ces versements, qui ont représenté un total de 48 milliards de francs courant à la fin 1998, sont répartis sous la forme d’un amortissement linéaire sur la durée des contrats. Il en résulte un solde à amortir de 31 milliards de francs courants à la fin 1998.

Cette stratégie de participation des clients importants et réguliers à l’effort d’investissement – au demeurant équitable au plan économique – s’est avérée particulièrement opportune pour les comptes d’EDF. Les apports en capital correspondant ont participé au financement du parc électronucléaire français à une époque où EDF s’endettait fortement.

Au plan de l’analyse économique, la structure particulière des exportations d’EDF doit donc se traduire par l’addition aux exportations nettes d’électricité des charges financières que les apports en capital ont permis d’éviter.

En conséquence et à titre indicatif, le chiffre d’affaires économique des exportations brutes s’établit à 18,5 milliards de francs 1998, à comparer au chiffre d’affaires comptable de 15,1 milliards de francs11.

Les débouchés à l’extérieur d’EDF sont certes tributaires de sa capacité de production mais plus encore de la capacité du réseau d’interconnexion en Europe. L’opposition des populations à la construction de lignes additionnelles rend prioritaire l’objectif d’augmenter leur capacité de transport.

· Les exportations de Cogema de 1976 à 1997 : 137,1 milliards de francs

Les exportations cumulées de Cogema s’élèvent à 137,1 milliards de francs courants pour la période 1976-1998. Il s’agit principalement de fabrication et de vente de combustibles nucléaires, de prestations de retraitement de combustibles usés et de service divers comme le transport de matières nucléaires. L’évolution de ces exportations est retracée dans le tableau ci-après.

Tableau : Exportations de Cogema en milliards de francs courants12

année milliards de francs courants
1976 0,8
1977 1,3
1978 1,3
1979 1,2
1980 1,0
1981 1,1
1982 2,3
1983 2,6
1984 6,8
1985 8,8
1986 9,3
1987 8,7
1988 8,3
1989 7,9
1990 6,7
1991 6,7
1992 7,5
1993 9,0
1994 9,5
1995 11,2
1996 12,7
1997 12,4
total 137,1

Cogema souligne que ce chiffre d’affaires à l’export a un contenu très faible en importations. La contrepartie de ce chiffre d’affaires est constituée d’amortissements et de valeur ajoutée, les consommations intermédiaires ne comprenant que des achats nationaux.

Le fort contenu en valeur ajoutée, une valeur ajoutée au surplus nationale, constitue un cas d’espèce. Au demeurant, le ratio « cash flow » / chiffre d’affaires de Cogema est de l’ordre de 30 %, un montant exceptionnel dans l’industrie.

Au surplus, Cogema est une entreprise fortement bénéficiaire, dont l’activité génère une trésorerie abondante.

Cliquer ici pour accéder à la suite de la partie II du chapitre I:
D Un secteur à fort contenu en emplois qualifiés.

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1 Source : Framatome, communication aux Rapporteurs, 20/1/1999.

2 Premier coeur et première recharge du réacteur.

3 MSI : mise en service industriel

4 Audition des représentants d’EDF du 7 janvier 1999.

5 Source : EDF.

6 Nota : les ventes de la filiale SENA sont exclues des résultats, celles liées à la filiale Nersa (Superphénix) sont intégrées aux exportations sur la période 1995-1997, suite aux négociations avec les partenaires étrangers liées au lancement du Programme d’Acquisition des Connaissance (transformation de la fonction de Superphénix, de centrale de production d’électricité en outil de recherche.

7 La baisse des exportations d’électricité en 1998 par rapport à 1997 est principalement due aux arrêts imprévus des réacteurs de Belleville et de Chooz B, ainsi qu’au retard de mise en service des tranches de Civaux 1 et 2.

8 Source : EDF

9 Nota : les ventes de la filiale SENA sont exclues des résultats ; celles liées à la filiale Nersa sont intégrées aux exportations d’EDF sur la période 1995-1997, suite aux adaptations nées des négociations avec les partenaires étrangers.

10 Chiffres d’affaires à l’exportation et à l’importation donnés en francs courants pour leur valeur comptable.

11 Dans ce calcul effectué par EDF, le capital est actualisé à 6 % en monnaie constante.

12 Audition des représentants de Cogema, 7 janvier 1999.



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