RAPPORT
sur
De la connaissance des gènes à leur utilisation___
Première partie :
L'utilisation des
organismes génétiquement modifiés
dans l'agriculture et dans l'alimentation
PAR M. JEAN-YVES LE DÉAUT,
Député
SOMMAIRE
Préface
Introduction
Chapitre premier : Les cultures de plantes
transgéniques sont devenues un enjeu économique primordial
A - Des essais au champ aux cultures en plein champ
B - Limportante activité des entreprises du secteur
C - Le problème des relations économiques
internationales
D - Le problème de la situation des pays en voie de
développement
E - Le devenir de lagriculture

PREFACE
Depuis huit mois, jai écouté, consulté, auditionné,
interrogé. Jai souhaité demander lavis dexperts, de professionnels, de
chercheurs, de consommateurs, de responsables dassociations mais aussi de
" Français comme tout le monde " quon ne voit jamais aux
journaux de 20 heures, mais qui ont pourtant leur avis, leur opinion.
Le Parlement, Assemblée Nationale et Sénat réunis, puisque seize
députés et seize sénateurs siègent à lOffice parlementaire dévaluation
des choix scientifiques et technologiques, a organisé une grande première en France :
une " Conférence de Citoyens ".
Quatorze " candides ", un jury en quelque sorte, a
pris à bras le corps ce dossier, consacré quatre week-ends davril à juin à
sapproprier les questions relatives aux organismes génétiquement modifiés pour
mieux en cerner les enjeux, évaluer les avantages et les risques des biotechnologies,
mieux appréhender les interrogations qui demeurent.
Javais bien sûr également consulté les acteurs de la filière,
des chercheurs, des médecins, des industriels, des responsables associatifs, des
ministres.
Comme les experts, les " candides " ont posé des
questions pertinentes, qui, pour certaines, " décoiffent ". Ils ont
exprimé tout haut ce que dautres disent tout bas. Le débat quils ont
suscité a apporté une grande bouffée doxygène à la démocratie. Il arrive trop
tard, se plaignent certains. Mais au moment de linvention de la machine à vapeur,
Denis Papin navait pas imaginé le T.G.V.
Les biotechnologies vont révolutionner la médecine, lindustrie
pharmaceutique, lenvironnement, lagriculture. Mais tout le monde nest
pas daccord sur les effets bénéfiques du progrès scientifique et technique.
Certains pensent que " tout va trop vite ".
Dautres, au contraire, estiment que limmobilisme et
lattentisme risquent de nous conduire à être très rapidement hors jeu car le
progrès a toujours apporté un plus pour lhumanité, tant quil reste
maîtrisé et domestiqué.
Alors les citoyens ont donné leur avis comme les experts, les acteurs
de la filière ou les accrocs du web. A moi maintenant de donner le mien. Il prend en
compte les avis de ceux que jai entendu et, au fil des mois, je me suis forgé une
conviction. Je lexprime dans ce rapport qui préconise un certain nombre de
recommandations qui éclaireront, je lespère, le gouvernement.
Jean-Yves Le Déaut
INTRODUCTION
Lactualité dans le domaine des biotechnologies sest
accélérée au cours de la dernière année et plus spécialement pendant ces derniers
mois.
Le nouveau gouvernement issu des dernières élections législatives de
mai 1997 a dû en effet assumer les conséquences de la décision incohérente du 12
février 1997. Celle-ci interdisait en effet la mise en culture du maïs transgénique de
la société Novartis tout en autorisant les importations de maïs et de soja
transgéniques en provenance des Etats-Unis. Il faut considérer que, ou bien, il y avait
risque pour la santé et il convenait dinterdire toute importation, ou on estimait
le risque nul et la logique aurait alors voulu que le gouvernement autorise également la
mise en culture du maïs Bt 176 de Novartis.
La décision de principe donnant lautorisation de mise en culture
avait été annoncée le 27 novembre 1997 et elle a été appliquée effectivement par
larrêté du 5 février 1998.
Au cours de sa visite officielle aux Etats-Unis, voilà quinze jours,
le Premier Ministre, M. Lionel Jospin, a eu des entretiens avec le Président des
Etats-Unis sur ce sujet. A cette occasion, M. Lionel Jospin a fait savoir que la France
ferait connaître sa position sur cette affaire après la Conférence de citoyens et le
rapport de lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques
technologiques.
Enfin il convient de rappeler que la " votation " a
eu lieu le 7 juin dernier en Suisse. Le texte proposé aux suffrages de nos voisins se
trouve en annexe. Il interdisait de fait toute activité dans le domaine des
biotechnologies, y compris la recherche médicale. Il a été repoussé par 65% des
votants.
Le moment me semble dautant plus favorable pour présenter ces
réflexions que la Conférence de citoyens, qui a représenté une innovation capitale
dans le développement du débat démocratique sur un sujet scientifique, vient de
sachever. On en trouvera le texte final en annexe.
On peut dores et déjà noter quelques points très importants du
texte élaboré par les Citoyens.
Ainsi celui-ci insiste-t-il sur le principe de précaution à respecter
lorsque la santé humaine ou lenvironnement est en cause, tout en reconnaissant que
le risque " zéro " nexiste pas. Une meilleure information du
consommateur est aussi souhaitée, notamment grâce à un étiquetage clair, la
traçabilité et la séparation des filières. Le souhait dune information claire
sur le produit consommé est également exprimé, ainsi que le désir que soit précisée
la notion de seuil.
Il faut noter que le panel, comme dailleurs les acteurs de la
filière ou les experts, sest divisé sur le point de savoir sil convenait de
proposer un moratoire ou de juger au cas par cas, comme la proposé le gouvernement
en novembre 1997, en assortissant les autorisations à la mise en place dun système
de biovigilance. Le panel a en outre proposé la modification de la prise de décision
dautorisation ou de mise en culture en donnant à des représentants de la société
le pouvoir dévaluer lopportunité de la mise en culture de plantes
transgéniques.
Il a également souhaité que des modifications législatives
précisent les responsabilités de lobtenteur, du vendeur de semences et des autres
acteurs de la filière et instaurent dans la loi la traçabilité des plantes et des
produits.
Ayant établi ces règles de précautions, le panel na absolument
pas rejeté lintérêt des plantes transgéniques. Il a ainsi formulé un avis
proche de celui émis par les Suisses lors de la récente " votation "
sur les biotechnologies.
Il a notamment demandé que des moyens publics soient mobilisés pour
la recherche, percevant ainsi les fantastiques enjeux du développement des sciences du
vivant dans les prochaines décennies. Il a toutefois souhaité que les constructions
transgéniques de deuxième génération correspondent aux attentes du consommateur et ne
se limitent pas à des transferts de gènes de résistance à des herbicides ou à des
insectes.
Ils ont enfin insisté sur la nécessité dune coordination
européenne et internationale pour éviter que le développement des biotechnologies ne se
transforme en guerre économique ou en instrument de pouvoir de quelques firmes
multinationales.
Pour le reste, la préparation du travail que je soumets à
lOffice a suivi un cours assez classique.
Jai effectué un cycle dauditions privées au cours
desquelles jai rencontré plus de deux cents personnes. Jai adopté comme
règle de recevoir quiconque men ferait la demande afin de permettre au maximum de
personnes et aussi de groupements de pouvoir se faire entendre. Je continuerai ces
auditions avant de publier la deuxième partie du rapport.
Jai effectué également un certain nombre de missions à
létranger : Autriche, Suisse et Etats-Unis, déplacements fort riches
denseignements qui mont permis de me rendre compte de la diversité des
approches dans ces différents pays.
Enfin, jai organisé des auditions publiques les 27 et 28 mai
derniers.
Au cours de celles-ci ont été entendus tous les ministres concernés
par cette question : M. Claude Allègre, ministre de léducation nationale, de la
recherche et de la technologie, M. Bernard Kouchner, secrétaire dEtat à la santé,
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire dEtat aux petites et moyennes entreprises, au
commerce et à lartisanat, M. Louis Le Pensec, ministre de lagriculture et de
la pêche, Mme Dominique Voynet, ministre de laménagement du territoire et de
lenvironnement.
Des " tables rondes " publiques et contradictoires
ont également eu lieu pendant ces auditions publiques des 27 et 28 mai. Une nouvelle fois
leur vertu singulière sest vérifiée : elles ont permis que soient discutées un
certain nombre de controverses face à face et non pas par organes de presse voire par
manifestes interposés, avec tous ce que ces moyens dexpression apportent en termes
de réduction et de caricature des positions.
Je ferai un exposé sur lensemble des techniques des
biotechnologies en introduction de la deuxième partie du rapport. Le schéma suivant
donnera une idée assez complète des technologies utilisées pour effectuer des
transferts de gènes chez les plantes.

Il faut être conscient du fait que les biotechnologies
sinscrivent dans lhistoire multimillénaire de laction humaine pour
dabord apprivoiser la nature puis la mettre à son service.
Lexemple du maïs est à cet égard singulièrement éclairant.
Lhistoire de cette plante est en effet étroitement liée à
lhistoire de lhumanité.
Né il y a certainement 7 000 ans sur les hauts plateaux du Mexique et
du Guatemala, il est devenu laliment indispensable des hommes de ces pays. Il est
introduit en Europe en 1494.
Lancêtre du maïs est certainement le téosinte qui présente
des différences importantes par rapport au maïs : tige ramifiée, épi de très petite
taille, petit nombre de grains par épi... Un épi de maïs mesurait environ 2,5 cm il y a
7 000 ans, 10 cm au début de lère chrétienne. Aujourdhui, il peut dépasser
30 cm.
Pour arriver à ce résultat les agriculteurs ont sans relâche
pratiqué une sélection en choisissant comme semences les grains portés par les plus
belles plantes, sur les plus beaux épis et dont les rendements et les qualités étaient
les meilleurs. Lutilisation des techniques dhybridation a permis de créer des
plantes très vigoureuses. Mais cette méthode restait encore assez empirique. Ce sont les
biotechnologies qui vont permettre deffectuer de façon encore plus rationnelle des
progrès, dans la grande lignée du développement des techniques damélioration des
plantes.
Comme la relevé le panel de citoyens, les cultures de plantes
transgéniques sont devenues un enjeu économique primordial tout en suscitant des
interrogations majeures. Cest tout le paradoxe de cette étude puisque votre
rapporteur doit à la fois répondre aux légitimes interrogations que se posent nos
compatriotes, alors quune technologie nouvelle envahit lagriculture et
lindustrie agro-alimentaire, mais aussi cerner les enjeux économiques des
biotechnologies.
Je ferai donc un certain nombre de recommandations immédiates qui
correspondent à mes convictions après les différents cycles dauditions
dacteurs de la filière, dexperts ou de citoyens.
Cette succession dévénements, qui se sont notablement
accélérés depuis, le mois de juin ma incité à communiquer au plus vite mes
réflexions sur ce sujet à lOffice parlementaire dévaluation des choix
scientifiques et technologiques.
Je réserverai pour la deuxième partie du rapport le premier bilan du
processus de biovigilance qui sest mis en place. Je ferai également à ce moment
des recommandations plus précises sur la coordination européenne et internationale qui
concerne lUnion européenne, lO.N.U., lO.M.C., lO.M.S. et la
F.A.O.
CHAPITRE PREMIER
Les cultures de plantes transgéniques sont devenues un enjeu
économique primordial
Lenjeu économique mondial des plantes transgéniques se marque,
après une phase dessais, par le développement des cultures en plein champ au
niveau mondial, par limportante activité des entreprises présentes sur ce marché,
par la croissance des problèmes commerciaux internationaux et par le problème de la
situation des pays en voie de développement. Cet essor des plantes transgéniques pose
également le problème du devenir de lagriculture.
A - Des essais au champ aux cultures en plein champ
La situation actuelle est caractérisée par lessor des cultures
transgéniques dans le monde et par les hésitations de la France. Il convient donc sans
tarder de se fixer des objectifs à long terme.
a - Lessor des cultures transgéniques
Lenjeu économique des cultures transgéniques se traduit par
lévolution qui a affecté ce secteur depuis 1986 où on est passé des essais aux
cultures en plein champ.
Pendant la période 1986 - 1997 ce furent à peu près 25 000 essais en
champ portant sur plus de soixante espèces de végétaux qui ont été conduits dans 45
pays, dont la France. Le rythme de ces essais sest considérablement accéléré
dans les deux dernières années de la période. En effet sur ce total de 25 000 essais,
15 000, soit 60%, ont été menés sur les dix premières années, de 1986 à 1997, et 10
000, soit 40%, dans les deux dernières années, 1996-1997. Cest aux Etats-Unis et
au Canada que ces essais ont été les plus nombreux : 72% du total. Notre pays a eu une
activité très importante dans ce domaine puisque la Commission du génie biomoléculaire
(C.G.B.) a autorisé de 1986 à 1996 la réalisation de plus de
3 000 essais (386 dossiers). Ces chiffres montrent bien, quà
linverse de ce quaffirment les détracteurs des biotechnologies des plantes,
des essais en plein champ sont effectués depuis plus de dix ans. Ils montrent également
que les commissions qui ont pris des décisions dautorisation de mise en culture en
France, en Europe, aux Etats-Unis et au Canada ont bénéficié dun retour
dexpérience leur permettant dévaluer les risques en matière de santé ou
denvironnement.
Les tableaux suivants extraits du rapport pour lannée 1996 de la
Commission du génie biomoléculaire donnent une idée des dossiers examinés par cette
commission :
Année |
87 |
88 |
89 |
90 |
91 |
92 |
93 |
94 |
95 |
96 |
Total |
colza |
0 |
1 |
4 |
8 |
7 |
7 |
12 |
16 |
23 |
32 |
110 |
maïs |
0 |
0 |
0 |
0 |
5 |
6 |
11 |
15 |
21 |
44 |
102 |
tabac |
3 |
6 |
6 |
8 |
5 |
4 |
5 |
4 |
8 |
12 |
61 |
betterave |
1 |
0 |
1 |
4 |
7 |
5 |
7 |
7 |
9 |
12 |
53 |
pomme de terre |
1 |
0 |
0 |
1 |
3 |
1 |
2 |
4 |
1 |
1 |
14 |
melon |
0 |
0 |
0 |
1 |
1 |
3 |
1 |
2 |
0 |
3 |
11 |
tomate |
0 |
1 |
0 |
1 |
1 |
0 |
1 |
3 |
2 |
0 |
9 |
peuplier |
0 |
0 |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
0 |
2 |
2 |
9 |
laitue |
0 |
0 |
1 |
0 |
1 |
0 |
0 |
0 |
1 |
3 |
6 |
tournesol |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
2 |
1 |
3 |
chicorée |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
1 |
2 |
3 |
vigne |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
1 |
1 |
2 |
soja |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
1 |
1 |
2 |
courgette |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
1 |
1 |
Total |
5 |
8 |
13 |
24 |
31 |
27 |
40 |
51 |
72 |
115 |
386 |
Nombre de dossiers examinés par caractère introduit
année |
87 |
88 |
89 |
90 |
91 |
92 |
93 |
94 |
95 |
96 |
total |
Résistance aux herbicides |
3 |
4 |
6 |
14 |
15 |
15 |
20 |
21 |
34 |
36 |
168 |
Résistance aux pestes |
0 |
0 |
2 |
3 |
5 |
4 |
9 |
11 |
16 |
46 |
96 |
mâle stérilité |
0 |
1 |
2 |
2 |
2 |
2 |
5 |
6 |
7 |
7 |
34 |
Résistance aux virus |
1 |
1 |
1 |
4 |
5 |
3 |
4 |
5 |
4 |
6 |
34 |
Autres |
1 |
2 |
2 |
1 |
4 |
3 |
2 |
8 |
11 |
20 |
54 |
Total |
5 |
8 |
13 |
24 |
31 |
27 |
40 |
51 |
72 |
115 |
386 |
Les plantes les plus utilisées pour ces essais ont été : le maïs,
la tomate, le soja, le colza, la pomme de terre et le coton. Les modifications introduites
dans ces plantes ont concerné le plus fréquemment : la tolérance aux herbicides, la
résistance aux insectes, lamélioration de la qualité et la résistance à des
virus.
La République populaire de Chine a été, en 1990, le premier pays à
commercialiser une plante transgénique, un tabac résistant à une virose. En 1994 la
société américaine Calgene a obtenu la première autorisation pour commercialiser une
tomate transgénique, appelée " FlavrSavr ", conçue pour présenter
une résistance plus importante au phénomène de pourrissement.
En 1996, la superficie totale de cultures de plantes génétiquement
modifiées sélevait à 2,8 millions dhectares et en 1997 à 12,8 millions
dhectares, soit une multiplication par 4,5.
Ces superficies se répartissaient ainsi (en millions dhectares)
:
|
1996 |
% du total
|
1997 |
% du total
|
Etats-Unis |
1,5 |
51 |
8,1 |
64 |
Chine |
1,1 |
39 |
1,8 |
14 |
Canada |
0,1 |
4 |
1,3 |
10 |
Argentine |
0,1 |
4 |
1,4 |
11 |
Australie |
E |
1 |
<0,05 |
<1 |
Mexique |
E |
1 |
<0,03 |
<1 |
Source : daprès International service for the
acquisition of agri-biotech applications
On note sur ce tableau la part prépondérante des Etats-Unis à la
fois en valeur absolue et relative, ce pays augmentant encore cette dernière en 1997. La
progression du Canada est aussi importante, de 4 à 10% du total. Les chiffres concernant
la Chine indiquent une progression assez faible dune année sur lautre alors
que le niveau de départ était assez élevé. Les informations se font assez rares sur ce
pays et ne sont peut-être pas très fiables. Mais malgré ces incertitudes, toutes les
indications révèlent que ce pays a pris de façon résolue le tournant des cultures de
plantes génétiquement modifiées.
Hors la situation de lAustralie et du Mexique qui ne paraît pas
encore significative, le cas de lArgentine est très intéressant. En effet celui-ci
montre que ce grand pays agricole, qui fait partie des " pays
émergents ", semble avoir résolument fait le choix des cultures
transgéniques. Ce sera certainement dans le futur un redoutable concurrent sur les
marchés agricoles mondiaux. Autre enseignement très important de ce tableau :
labsence totale de lEurope qui est pourtant une des grandes puissances
agricoles de la planète et qui devrait aspirer à le rester...
Les perspectives pour 1998 estiment à environ 26 millions
dhectares les superficies occupées par les cultures transgéniques dans le monde et
à environ 60 millions dhectares les mêmes superficies en 2000. Il sagit donc
là dune perspective de croissance très rapide, et ce, dautant plus que les
plantes de deuxième génération améliorant les capacités de résistance aux virus, les
qualités gustatives ou nutritionnelles sont à un stade délaboration très
avancé.
La répartition serait la suivante, daprès Rhône-Poulenc
Agro et le G.N.I.S., à ces deux périodes en pourcentage du total des terres
cultivées en plantes transgéniques :
|
1998 |
2000 |
Amérique du Nord |
88% |
81% |
Amérique latine |
6% |
8% |
Asie |
6% |
10% |
Europe |
- |
1% |
Selon ces projections, lensemble de lAmérique du Nord
reste encore, et de façon massive, prépondérante dans le total mondial, lAsie
supplantant par contre lAmérique latine. LEurope reste complètement
étrangère à ce mouvement mondial et ne parvient à apparaître, de façon fort timide,
quen 2000 et avec un pourcentage parfaitement insignifiant. Cest sans doute la
conséquence des interrogations qui demeurent chez les consommateurs dans la mesure où
aucun débat public nest venu les éclairer sur les enjeux des biotechnologies.
Cest aussi la conséquence de laffrontement entre industriels et associations
opposées aux O.G.M. Ces chiffres minquiètent pour lavenir de lEurope
en tant que grande puissance agricole si les questions qui se posent aujourdhui ne
sont pas rapidement tranchées. LEurope est inexistante sur ces marchés du futur.
Concernant les plantes les plus couramment modifiées, on peut noter
quune évolution sest produite entre 1996 et 1997.
En 1996, le tabac était la principale culture transgénique et
représentait 35% du total, soit 1 million dhectares, suivi par le coton (27% du
total et 0,8 million dhectares), et le soja (18% du total), le reste étant
représenté par le colza (5%), les tomates (4%), les pommes de terre (moins de 1%).
Par contre en 1997, les positions ont quelque peu évolué puisque
cest le soja transgénique qui occupe la première place avec 40% de la surface
suivi par le maïs (25% des superficies), le tabac (13%), le colza (10%), le coton (11%)
et enfin les tomates (1%).
Les perspectives pour 1998 seraient de 15 millions dhectares en
1998 pour le soja, dun peu plus de 8 millions dhectares pour le maïs,
denviron 2,5 millions dhectares pour le coton et le colza, les espèces
potagères représentant environ 0,5 million dhectares.
Dans toutes ces perpectives cest lAmérique du nord qui se
taille la part du lion et qui pérennise sa prépondérance.
Cette situation mapparaît extrêmement préoccupante.
Elle peut signifier à terme la complète disparition de nos pays
dEurope de lOuest comme grands fournisseurs mondiaux de produits agricoles.
Cette conjoncture est dautant plus inquiétante à un moment où tous les experts
mondiaux prévoient une croissance de la pénurie de nourriture face à
laugmentation de la population de la planète. Je crains en effet très fortement
que les réticences européennes envers les plantes transgéniques ne constituent
quune bataille darrière-garde qui risque de donner les résultats de tout
combat de ce type, à savoir le sacrifice et lanéantissement de la dite
arrière-garde.
Ce qui est aujourdhui choquant nest pas
linterrogation du consommateur. Il appelle à la prudence puisque certains lui
affirment que des risques demeurent. Cest lincertitude de lUnion
européenne qui est préoccupante. En effet celle-ci est tétanisée, incapable de
décider en matière dimportations, dinformation du consommateur,
dautorisation de mise en culture alors que les Américains se sont lancés comme des
" bulldozers " dans les cultures du soja ou du maïs dans le
Middle-West. Car il ny a en effet quune alternative : ou il y a risque et il
faut sopposer avec détermination, ou il ny en a pas et il faut fixer très
vite les objectifs à atteindre.
Les modifications opérées par transgenèse sur les végétaux avaient
pour but, en 1997, de les rendre auto-résistants aux virus pour 40% des superficies, aux
insectes pour 37%, aux herbicides pour 23% et daméliorer leurs qualités
agronomiques, tels que goût ou résistance au pourrissement, pour moins de 1%.
La situation a également évolué sur ce plan en 1998 dans la mesure
où la première modification concerne la résistance aux herbicides (57% des superficies)
suivie par la résistance aux insectes (31% des superficies) et la résistance aux virus
(14%), les modifications " qualitatives " ne représentant toujours
que moins de 1% des superficies.
Face à ce développement des cultures transgéniques chez nos
principaux concurrents sur les marchés agricoles, la France et lEurope font preuve
de beaucoup dhésitations.
b - Les hésitations de la France
La France présente un caractère paradoxal du point de vue de ce
débat.
En effet comme il a été rappelé supra, un grand nombre
dexpérimentations ont été autorisées dans notre pays par la Commission du génie
biomoléculaire (C.G.B.), lesquelles se sont déroulées sans incident. La France donnait
ainsi limpression, comme cela ma été confirmé aux Etats-Unis lors de ma
mission, dêtre un pays plutôt " en pointe " sur ce dossier.
Cest sans doute en partie pour cette raison quau mois de
novembre 1994, la société Novartis, qui sappelait encore Ciba à lépoque, a
déposé dans notre pays un dossier de demande dautorisation de mise sur le marché
pour un maïs transgénique auto-résistant à la pyrale. Après un avis favorable rendu
par la C.G.B., la procédure dautorisation et de notification a débuté devant la
Commission européenne. Au terme du déroulement de la procédure européenne, la
décision dautorisation de mise sur le marché était adoptée et notifiée à la
France.
Cest à ce moment quest intervenu un coup de théâtre.
En effet le 12 février 1997 le gouvernement français de cette époque
suspendait la mise en culture de cette variété de maïs en France, sans toutefois en
interdire limportation et la consommation en France. Cette décision dont on peut
dire quelle était quelque peu incohérente a suscité lopposition des
agriculteurs. En effet ceux-ci notaient, avec quelque raison, quon leur interdisait
de disposer de ces variétés a priori plus performantes tout en les laissant
devoir affronter leur concurrence.
Il allait revenir au nouveau gouvernement issu des élections
législatives de 1997 de reprendre ce dossier. Le principe de lautorisation de
culture était pris le 27 novembre 1997.
Le nouveau ministre de lagriculture, M. Louis Le Pensec,
décidait dans un arrêté du 5 février 1998, dinscrire au Catalogue officiel des
espèces et variétés de plantes cultivées en France les trois variétés de maïs
transgéniques résistants à la pyrale de la marque Novartis, nouvelle dénomination de
la firme Ciba après sa fusion avec Sandoz.
Comme il était précisé dans ce texte, cette inscription nest
valable que pour une durée de trois ans à compter de la date de cet arrêté.
Il me semble que cette décision était de bon sens et quil
était tout à fait nécessaire de revenir sur la décision inconséquente de février
1997, qui mettait nos agriculteurs dans une position particulièrement difficile.
Cet arrêté de février 1998 a couplé dune façon qui me semble
tout à fait judicieuse lautorisation donnée à la culture du maïs transgénique
à la mise en place dun système de biovigilance afin dévaluer la nouvelle
situation.
Celle-ci me semble assez naturellement devoir prendre la suite des
très nombreuses expérimentations : ce sera ainsi un essai en grandeur réelle qui
permettra dapporter au débat un grand nombre dimportantes
dinformations. Il apparaît que cela aura aussi le très grand mérite de sortir
dune certaine forme de débat qui a prévalu jusquici. En effet on ne peut
quêtre consterné de voir que, jusquici, ne séchangeaient de façon
presque mécanique entre partisans et adversaires de ces cultures des arguments qui
restaient complètement théoriques.
Diverses estimations ont été faites sur lavenir économique des
biotechnologies qui représenteraient un marché de 100 milliards de dollars en 2000 dont
26 milliards pour les médicaments, 16 milliards pour la chimie et 46 milliards pour
lagriculture.
Limportance de ce dernier chiffre est la cause de
limportante activité des entreprises du secteur.
B - Limportante activité des entreprises du
secteur
Limportante activité des entreprises du secteur se caractérise
par une réorganisation et un développement importants ainsi que par lessor de
petites structures.
a - Une réorganisation et un développement importants des entreprises
du secteur
Historiquement ce sont des entreprises chimiques qui les premières se
sont intéressées à ce secteur des plantes transgéniques. Ainsi, de ce point de vue,
lévolution de la firme américaine Monsanto est-elle emblématique.
Cette firme, fondée en 1901 sur la production de saccharine, a bâti
sa réputation et sa fortune sur la commercialisation mondiale dun produit
herbicide, le glyphosate, bien connu sous sa dénomination commerciale,
" RoundUp ". Le tournant vers la biologie sest produit en 1985
avec le rachat de la société pharmaceutique Searle. Depuis une quinzaine dannées,
cette firme a investi une somme denviron deux milliards de dollars dans la création
de plantes résistantes à son produit herbicide en utilisant la transgénèse. Depuis le
début de 1996, Monsanto a investi deux milliards de dollars supplémentaires, soit
environ 11,6 milliards de francs, dans le " genetic engineering ".
Depuis 1995, Monsanto a également procédé à des opérations de
croissance externe en rachetant un certain nombre de sociétés de biotechnologies comme
Calgene, Asgrow et 40% de DeKalb Genetics. Monsanto a ensuite acquis le contrôle total de
cette dernière société en se portant acquéreur des 60% restants.
Cette croissance dans ce domaine a abouti à la fin de 1996 à la
scission de lentreprise qui a abandonné son métier historique, la chimie, pour se
consacrer exclusivement aux " sciences du vivant ", la branche
" chimie " étant isolée dans une société indépendante cotée en
bourse et attribuée à des actionnaires distincts de ceux de Monsanto.
Le dernier événement concernant Monsanto a été, au début du mois
de juin 1998, sa prise de contrôle par American Home Products. Cette opération a été
motivée par la difficulté quéprouvait Monsanto à croître seul du fait des
coûts croissants de la recherche dans ce secteur. Ce nouveau groupe entendait
dépenser chaque année un milliard de dollars en actions de recherche dans les
biotechnologies agricoles. Ce chiffre donne une idée de lenjeu de ce
secteur pour le XXIème siècle.
Cette politique de " recentrage " des entreprises
sur les " sciences de la vie " est dailleurs devenue courante
dans ce secteur.
On peut citer à cet égard lexemple de Novartis. Cette
entreprise est issue de la fusion en 1996 de Ciba-Geigy et de Sandoz. Novartis a
immédiatement, comme cela ma été indiqué lors de ma visite dans cette
entreprise, divisée ses activités en trois unités différentes : protection de la
santé, nutrition et agrochimie. On peut souligner dailleurs que le point commun de
ces divisions est lemploi dans chacune de celles-ci des techniques génétiques.
Du Pont avait de son côté adopté dans un premier temps une attitude
plutôt attentiste mais a finalement rejoint ses concurrents. En effet cette firme a
racheté à la fin de lannée 1997 une participation de 20% dans Pioneer Hi Bred
ainsi que la société Protein Technologies International. Mais à la différence de
Monsanto qui sest dabord focalisée sur les plantes résistantes aux insectes
(coton) et aux herbicides (maïs), Du Pont sest concentré sur le développement de
végétaux à fort pouvoir nutritionnel pour les animaux ou les êtres humains ou
présentant des caractéristiques qui en facilitent la transformation. Il semble que cette
firme vise le long terme où lintérêt principal des plantes transgéniques
résidera la création de produits à très forte valeur ajoutée. Le
" recentrage " de cette société sest ainsi marqué par le
retrait de sa filiale pétrolière Conoco.
A lheure où les géants américains de lagrochimie se
battent à coup de millions de dollars pour sapproprier les technologies-clefs des
biotechnologies végétales, on ne peut que dresser, en le regrettant beaucoup, un bilan
fort mitigé de laction dans ce domaine de lindustrie française.
En effet, M. Alain Chalandon, directeur de Rhône-Poulenc Agro,
ma lui-même déclaré que son entreprise avait de fait peu développé les
organismes génétiquement modifiés. Il a expliqué cette politique par la diminution des
crédits de recherche de 1992 à 1997, conséquence de la réforme de la politique
agricole commune qui a entraîné une baisse dactivité du secteur. Il a cependant
fait observer quun nouveau départ avait été pris de façon vigoureuse à partir
de septembre 1997.
Concernant Limagrain, M. Alain Catala, directeur du groupe, ma
indiqué que linvestissement était de lordre de 50 millions de francs par an
dans les biotechnologies, et que ce groupe avait été sur le point de racheter Calgene en
1990. Si on compare ce chiffre avec les futures dépenses du groupe American Home Products
rappelées plus haut, on se rend compte, avec une grande inquiétude, que ces sommes ne
paraissent pas du tout être à la mesure de lenjeu des plantes transgéniques du
futur.
Il faut noter cependant que Limagrain a créé en partenariat avec la
coopérative Pau-Euralis, Sofiprotéol et Unigrains, la société Biogemma.
Biogemma a annoncé à la fin de lannée dernière la création
avec Rhône-Poulenc Agro dune société mixte détenue à parité, Rhobio.
Lobjectif est dassocier les compétences complémentaires développées par
les partenaires. Cest ainsi que Rhône-Poulenc Agro apportera ses compétences dans
le domaine de lidentification et de linsertion des gènes, Biogemma
fournissant ses qualifications en matière de semences et de création végétale.
Il semble cependant que les entreprises françaises aient pris
conscience de limportance des biotechnologies végétales même si lon peut
déplorer le retard avec lequel elles mettent en place les structures adéquates. De plus,
si lon compare le niveau des dépenses effectuées avec celles engagées par les
groupes américains, les comparaisons apparaissent complètement hors de proportion. Le
titre en forme de boutade de la revue " Courrier International "
présentant Monsanto comme le " Microsoft " du génie génétique
simpose de façon évidente, ce qui est très inquiétant pour lavenir, compte
tenu de la masse critique de dépenses nécessaires sans cesse croissantes pour rester
dans la course aux nouvelles constructions génétiques.
Une certaine inadaptation des structures des entreprises françaises
tient au fait que ce sont les petites structures qui paraissent amener le progrès en la
matière.
b - Le développement de petites structures
On assiste dans ce domaine à un phénomène qui nest pas sans
rappeler lexplosion des petites sociétés informatiques il y a vingt-cinq ou trente
ans. Il y a en effet actuellement, essentiellement aux Etats-Unis, dans ce domaine une
multiplication des petites entreprises. Celles-ci sont créées sur des idées à
linitiative de chercheurs. Mais des structures plus importantes comme les
Universités sont également parties prenantes dans ces créations, comme jai pu le
voir en visitant un certain nombre de celles-ci au cours de ma mission aux Etats-Unis.
En effet, ces Universités, à lexemple de lUniversité
dEtat de lIowa, fonctionnent comme structures daccueil en mettant à la
disposition des petites entreprises non seulement des bâtiments, mais aussi tout un
ensemble de services comme secrétariat, personnel de gestion, matériel informatique...
et aussi assistance juridique, dans la perspective de prise et de défense de brevets. Ces
" incubateurs " dentreprises favorisent les transferts de
technologie.
Mais ces Universités sont aussi des acteurs de la recherche dans la
mesure où elles parrainent la création dans leur sein de sociétés dites start up.
Cest ainsi quà lUniversité de lEtat de Caroline du Nord que
jai visitée, deux ou trois de ces petites sociétés sont créées par an, avec
deux personnes à temps plein pour les aider. Cette Université dispose de sommes variant
de plusieurs millions à plusieurs dizaines de millions de dollars en provenance de
lexploitation des brevets déposés par lUniversité, pour aider des projets.
Ces sommes ne sont certes pas très importantes mais, ainsi que
la fait remarquer M. Alain Coléno, aux Etats-Unis on obtient facilement du capital.
M. Alain Coléno a bien marqué les différences de conception entre les Etats-Unis et la
France concernant ces sortes dentreprises. Ainsi, outre Atlantique, la
rémunération du ou des créateurs de lentreprise est faite par le prix de sa
revente en cas de succès. Les prix peuvent alors atteindre des sommets compte tenu de la
concurrence des grandes entreprises qui sont perpétuellement à laffût de
procédés innovants. Un autre mouvement facilite grandement la naissance et le
fonctionnement de ces structures : cest le financement direct par les grandes
entreprises. En effet, comme la fait observer M. Claude Fauquet, les grandes
entreprises trouvent là une liberté desprit et, par conséquent de créativité
intellectuelle, qui leur fait parfois défaut, compte tenu de leur taille. Elles font
ainsi en quelque sorte des paris parfois couronnés de succès, parfois perdus, sur
déventuelles découvertes.
On peut penser que ce système donne de bons résultats en créant une
atmosphère propice à la créativité et à linventivité. Les réussites
américaines en la matière peuvent tout à fait donner matière à réflexion aux
Européens et à notre pays en particulier même sil ne convient évidemment pas de
transposer tel quel, ces mécanismes. Il convient cependant de noter, comme la fait
M. Alain Coléno, que la dimension " création demplois "
nest pas du tout présente aux Etats-Unis alors quen France, laccent est
mis sur la création dentreprise à long terme avec des créations demplois
stables et la recherche de prêts bancaires. Aux Etats-Unis la longévité de ces petites
entreprises est assez souvent brève : après avoir fait une découverte et lavoir
brevetée, ces petites entités sont disputées entre les grands groupes et absorbées par
lun dentre eux.
Nous évoquerons plus loin les récentes mesures dordre
juridique, fiscal et social que le ministre de la recherche vient de proposer afin
dobvier à une partie des défauts du système français dans ce domaine.
Cette différence de développement entre les Etats-Unis et
lEurope est certainement à la base du problème existant dans ce domaine dans les
relations économiques internationales.
C - Le problème des relations économiques
internationales
Lirruption sur le marché des biotechnologies agricoles
sest faite au moment où le libéralisme en matière déchanges commerciaux
internationaux est devenu, à la suite notamment des accords de Marrakech de 1992, le
modèle extrêmement dominant des relations internationales. Cette évolution a été
symbolisée par le remplacement du G.A.T.T. hérité des années daprès-guerre par
lOrganisation mondiale du commerce (O.M.C.). Il faut noter que le libre échange est
devenu le système régnant quasiment sans partage. On peut en effet observer que se
rallie à lui un nombre croissant de pays, que ce soit ceux de lest de lEurope
ou ceux, de plus en plus nombreux, qui se lient par des pactes régionaux de libre
échange, comme le MERCOSUR en Amérique latine ou lALENA entre les Etats-Unis, le
Canada et le Mexique.
Lautre trait caractéristique de la situation est, cest
bien connu, le développement de la mondialisation et la globalisation de
léconomie. Sans conteste, les coûts des programmes de recherche et leur durée
exercent une influence puissante et croissante dans ce sens. En effet il devient
absolument indispensable de pouvoir vendre les produits finaux sur la plus grande échelle
possible pour rentabiliser les investissements.
Il se trouve que les groupes américains, comme Monsanto ou Du Pont, et
internationaux comme Novartis, ont commencé dans les toutes dernières années à
recueillir les fruits des investissements effectués pour certains dentre eux voilà
plus de quinze ans dans les biotechnologies agricoles et dans la réalisation de plantes
transgéniques. Comme on la vu précédemment, ces plantes sont maintenant
cultivées à grande échelle et les premières sont arrivées en Europe par bateaux
entiers à la fin de lannée 1996 et au début de 1997, déclenchant les problèmes
que lon connaît.
Au niveau global, la mise en place de nouvelles règles du jeu, en
particulier à travers lOrganisation mondiale du commerce, dessine le nouveau cadre
dans lequel va se situer lagriculture internationale. Au sein de cette nouvelle
organisation, les objectifs sont de libérer le commerce des produits et de surmonter les
obstacles au protectionnisme en matière de produits agricoles.
Il est indéniable que lentrée des produits issus de plantes
transgéniques entraîne un certain nombre de difficultés commerciales. Celles-ci ne sont
pas liées à un désir de la part dun certain nombre dEtats européens, dont
la France, de se protéger derrière des barrières non tarifaires, prohibées par
lO.M.C. Il sagit en effet dune approche différente de
lappréciation du risque éventuel présenté par des produits nouveaux, au moins
dans leur processus délaboration.
Certes les consommateurs américains ont accepté la mise sur le
marché des aliments issus de plantes transgéniques, mais il nen est pas de même
de la part des consommateurs dun certain nombre de pays européens.
Nous verrons plus loin ce quil faut penser des interrogations
suscitées par ces plantes transgéniques mais il est de la responsabilité dun
homme politique de tenir compte des réticences envers ces produits. Cette affaire peut
être, à mon sens, rapprochée du contentieux également existant entre lEurope et
les Etats-Unis concernant la viande de bovins ayant fait lobjet dinjections
dhormones de croissance ou de la réticence des Américains à acheter des fromages
au lait cru. Les mêmes mécanismes ont produit et produisent dans ces deux affaires les
mêmes réactions.
Il faut rappeler que, juridiquement, la surveillance des produits est
fondée sur des réglementations nationales, sur des directives européennes et sur le
code de lOrganisation mondiale du commerce; tous ces textes devant naturellement
concourir à assurer la sécurité des consommateurs.
LOrganisation mondiale du commerce a choisi de se référer aux
textes établis par le Codex alimentarius, organisme commun à la Food and
Agriculture Organization (F.A.O.) et à lOrganisation Mondiale de la
Santé (O.M.S.). Le Codex alimentarius a longtemps édicté des recommandations en
matière de sécurité alimentaire que les pays dépourvus de législation propre
pouvaient reprendre à leur compte. Depuis la création de lO.M.C., le Comité
conjoint pour lhygiène des aliments du Codex alimentarius, situé à
Washington et très influencé par les Etats-Unis, est en fait devenu le lieu de débats
scientifiques sous-tendus par les questions de rapports de force commerciaux.
En fait la création de lO.M.C. a considérablement modifié la
situation.
En effet, vouée à la défense de la liberté du commerce, cette
organisation combat toutes les limitations dimportations ou de vente des produits.
Elle sappuie sur le système en vigueur aux Etats-Unis selon lequel sil
nest pas démontré quil existe des risques de toxicité pour des produits,
ceux-ci sont réputé sûrs pour les consommateurs. La philosophie explicite de ce
système est que les fabricants de denrées alimentaires sont responsables devant les
consommateurs et que la sanction du marché et la concurrence sont des enjeux suffisants
pour imposer de ce fait un niveau de qualité élevé. Les pouvoirs publics ne doivent
donc pas, dans ce schéma, intervenir sinon en cas de problème avéré, mais a
posteriori. Ce système a été transposé au niveau de lO.M.C. Cela implique
donc que si un pays veut prendre une mesure de limitation dimportation ou de vente
dun produit, il devra, sil ne veut pas risquer dêtre sanctionné pour
" protectionnisme ", prouver que celui-ci est constitutif dune
réelle menace pour la santé publique.
Cette situation illustre le fait que les Américains donnent la
priorité aux mesures correctives a posteriori alors que la plupart des pays
européens sont plutôt en faveur de mesures préventives. La récente crise de la
" vache folle " a conforté le tenants de cette position. Cest
cette différence dapproche qui fait que lattitude européenne nest
guère comprise outre Atlantique. Cette situation engendre naturellement des conflits.
Concernant cette affaire il faut reconnaître que lO.M.C. ne
soccupe que de litiges. Il serait très hautement souhaitable que des mécanismes de
discussion préalables soient mis en place afin de favoriser une entente entre les membres
de lO.M.C. sur un certain nombre de points, et, notamment tous les produits nouveaux
à venir qui peuvent poser des problèmes comme les plantes transgéniques. Des
scientifiques pourraient dailleurs être réunis au niveau mondial et être
consultés sur tous ces problèmes de produits nouveaux. Cest la proposition qui a
été retenue lors de la rencontre entre M. Lionel Jospin et M. Bill Clinton le 18 juin
1998.
D - Le problème de la situation des pays en voie de
développement
Dans le tableau du développement des cultures transgéniques dans le
monde on voit quun certain nombre de pays dits " émergents ",
comme la République populaire de Chine, le Mexique ou lArgentine commencent à
apparaître comme importants ou même très importants.
Concernant les pays les plus pauvres du monde, on peut dire, très
rapidement, que le discours est considérablement plus important que les réalisations
concrètes, même si celles-ci ne sont pas inexistantes.
Les problèmes des pays les moins avancés de la planète sont assez
souvent mis en avant par le discours résolument favorables aux plantes génétiquement
modifiées.
En effet on présente ces dernieres comme la future panacée qui
permettra dapporter une solution présentée comme définitive au problème de la
faim dans le monde. Certains éléments de ce discours me semblent devoir être pris en
grande considération tel, par exemple, celui insistant sur le problème de la
raréfaction des surfaces arables et de la déforestation dans ces pays, deux phénomènes
tout à fait inquiétants pour ses conséquences au niveau mondial.
Mais il y a un contraste assez saisissant entre ce discours et la
pauvreté des réalisations concrètes en faveur de ces pays. En effet, jusquà
présent les variétés végétales transformées génétiquement sont, très
majoritairement, des variétés de pays industrialisés pour répondre à des problèmes
spécifiques de ces derniers. En effet on ne ma cité aucune recherche sur les
modifications permettant à des plantes de mieux résister à la sécheresse ou à la
salinité.
Des actions existent néanmoins. Il faut tout dabord saluer
laction menée par lO.R.S.T.O.M. en France, à Montpellier, et au sein du
laboratoire mixte de lI.L.T.A.B. établi en Californie. Ainsi M. Claude Fauquet,
directeur de recherches à lO.R.S.T.O.M. et codirecteur de lI.L.T.A.B.,
ma-t-il fait part des travaux réalisés sur le manioc, en tenant compte du fait que
600 millions de personnes consomment cette plante dans le monde.
Les grandes firmes internationales du secteur font également quelques
efforts même sil convient de rester vigilant sur leurs discours en la matière.
Ainsi Novartis a-t-il mis à la disposition du Centre international du maïs et du blé
(C.I.M.M.Y.T.) une souche de maïs transgénique autorésistant à la fusariose. Monsanto
a de son côté effectué un transfert de technologie concernant un riz modifié au profit
de lInstitut international de recherche sur le riz (I.R.R.I.). Cependant malgré ces
quelques actions, M. Ismaël Serageldin, vice-président de la Banque mondiale que
jai rencontré lors de ma mission aux Etats-Unis, a déploré la grande insuffisance
des transferts de technologie dans ce domaine entre les pays industrialisés et les pays
les plus pauvres de la planète.
Concernant ces pays, il sera aussi nécessaire de réfléchir à
certaines finalités de la réalisation de plantes transgéniques dans les pays
industrialisés dans la mesure où un certain nombre de constructions aboutiront à des
substituts de produits actuellement importés des pays pauvres. On peut penser comme
exemple aux recherches menées pour faire produire des acides gras saturés à chaîne
courte ou moyenne à des colzas poussant dans les pays du nord pour en substituer les
huiles à celles importées actuellement des pays tropicaux.
E - Le devenir de lagriculture
Même si mes interlocuteurs se sont partagés sur le point de savoir si
lavènement des plantes transgéniques constituaient une révolution ou seulement
une innovation supplémentaire dans la chaîne multi-millénaire de lamélioration
des plantes, il ne fait cependant aucun doute que lagriculture risque dêtre
assez profondément modifiée.
Une question importante est de savoir quelle sera dans le futur la
place relative des agriculteurs et de lindustrie agrochimique. Celle-ci
devrait sans doute prendre encore plus dimportance dans lavenir et ce,
dautant plus, que la brevetabilité croissante des techniques et des constructions
génétiques " verrouillera " encore davantage la situation. On peut
penser que lagriculteur, par contraste, devrait voir encore se rétrécir sa marge
de liberté et dinitiative, ayant par contre en compensation, à fournir moins de
travail et en obtenant de meilleurs résultats financiers, à moins quun nouvel
équilibre à la baisse des prix mondiaux ne sinstitue, ce qui aurait comme seule
conséquence de favoriser lagriculture intensive.
Larrivée des plantes transgéniques, spécialement celles
résistantes à un herbicide ou à un prédateur, devrait entraîner une augmentation de
la productivité. On doit en effet être conscient des pertes infligées aux récoltes par
les prédateurs, comme le montre ce tableau communiqué par Rhône-Poulenc comportant des
données également citées par le dernier rapport de lI.N.R.A. sur ce sujet :

Cette tendance risque de se heurter, au moins en Europe, aux nouvelles
orientations qui pourraient être assignées à lagriculture, cest-à-dire une
moindre vocation productiviste que par le passé. A cet égard, le ministre de
lagriculture, M. Louis Le Pensec, a estimé lors des auditions publiques, que
" la simple résistance de futures plantes transgéniques à un herbicide
nétait pas un avantage suffisant ".
Larrivée des plantes transgéniques devrait également avoir
tendance à rendre plus difficile lexistence de lagriculture biologique compte
tenu notamment des problèmes de flux de gènes que nous examinerons plus loin. Mais le
problème devrait aussi se poser en matière de fourniture de graines à destination de
cette forme dagriculture.
Il deviendra en effet difficile de garantir le caractère non
transgénique compte tenu de ces flux de gènes et aussi des problèmes de transport,
comme la mésaventure de deux agriculteurs du sud-ouest de la France me la montré.
Ceux-ci sont des agriculteurs produisant du soja selon le cahier des
charges de lagriculture biologique. Ces personnes ont exporté leur soja en
République fédérale dAllemagne où il a été transformé en tofu. La
législation en vigueur dans ce pays impose labsence de produits transgéniques dans
les produits " bio ". Or il est arrivé quune analyse utilisant
la technique de PCR a révélé la présence dA.D.N. modifié dans ce tofu. Il a
donc été refusé, les deux agriculteurs devant reprendre la marchandise et payer les
frais de toutes les analyses et contre-analyses effectuées sans préjudice dautres
frais. Il semble dans cette affaire que les semences américaines qui leur ont été
vendues à lorigine devaient comporter, à linsu de tous les échelons
commerciaux, un très petit nombre déléments transgéniques mais suffisant pour
être détecté par les contrôles.
Cette affaire pose le problème de la responsabilité des obtenteurs et
des utilisateurs dorganismes génétiquement modifiés lorsque, au delà de
laffaire de ce soja, les cultures de semences et de plantes ne sont pas isolées et
peuvent donner lieu à des croisements non recherchés.
Le projet de loi dorientation agricole devra trancher sur la
place des organismes génétiquement modifiés dans " une agriculture sur tout
le territoire, plus soucieuse de lenvironnement qui doit produire les matières
premières compétitives et de qualité pour les filières alimentaires et
non alimentaires ".
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