Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques Le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires Par M. Claude Birraux, Première partie PREMIÈRE PARTIE : LA RECONVERSION À DES FINS CIVILES DES STOCKS DE PLUTONIUM MILITAIRE 17 Chapitre 1 : le plutonium militaire en excès 19 Section I : La notion de plutonium militaire en excès 20 Section II : L'originalité de la démarche internationale 23 Chapitre 2 : Le plutonium : déchet dangereux ou ressource énergétique ? 25 Section I : Le plutonium et ses dangers 26 Section II : Les conceptions du plutonium 30 Première Partie : La reconversion à des fins civiles des stocks de plutonium militaire « Des tonnes, je dis bien des tonnes de plutonium d'armes des Etats-Unis et de Russie ont été déclarées en excès suite aux progrès réalisés dans le désarmement nucléaire. Des milliers, je dis bien des milliers d'armes nucléaires ont été reconverties afin de nous assurer que ce plutonium et ces matières ne seraient plus jamais utilisés pour des armes ou ne tomberaient jamais entre de mauvaises mains. Cette situation est déterminante pour notre sécurité, pour le désarmement ainsi que pour la non-prolifération et la mise en place de partenariats durables en Europe. » Michäel Guhin, Ambassadeur des Etats-Unis Audition de l'OPECST, 29 11 2000 Chapitre 1 : le plutonium militaire en excès Héritage de la fin de la guerre froide, les Etats-Unis et la Russie se retrouvent détenir des stocks importants d'uranium hautement enrichi et de plutonium, matériaux clés pour la fabrication des armes. Si l'uranium hautement enrichi peut être transformé par dilution en uranium faiblement enrichi utilisable dans les réacteurs nucléaires le plutonium pose beaucoup plus de problèmes. La mise en _uvre des accords internationaux de désarmement a entraîné une diminution considérable du nombre de têtes nucléaires. Les évaluations communiquées à votre Rapporteur par les responsables du Carnegie Endowment for International peace, avec lesquels il a eu une longue réunion de travail au cours de son séjour aux Etats-Unis, sont les suivantes : De 1990 à 2000 le nombre de têtes nucléaires est passé de 21 000 à 10 500 aux Etats-Unis, de 38 000 à 20 000 en Russie, de 300 à 185 au Royaume-Uni, de 504 à 450 en France et de 432 à 400 en Chine1. Si cette politique est ancienne, elle connaît depuis une dizaine d'années une accélération. Les positions actuelles de la Russie comme des Etats-Unis vont vers une diminution de l'arsenal nucléaire ou, plus précisément du nombre de têtes nucléaires car des projets d'amélioration qualitative subsistent. Le G8, c'est-à-dire le sommet des huit chefs d'État et de Gouvernement des pays les plus industrialisés de la planète a pris une décision extrêmement explicite au sommet d'Okinawa ; elle figure aux paragraphes 76 et 77 de la déclaration commune : « L'élimination définitive et la gestion dans de bonnes conditions de transparence, de sûreté, de sécurité et de respect de l'environnement, du plutonium issu du démantèlement d'armes nucléaires, sont essentielles ». L'accord sur l'élimination du plutonium conclu entre les Etats-Unis et la Russie le 1er septembre 2000 constitue une étape cruciale dans la mise en _uvre de ce processus. L'éradication du plutonium militaire en excès vise non seulement l'arsenal nucléaire stratégique mais également tactique. Les armes nucléaires tactiques, très nombreuses (elles se comptent par milliers), sont moins connues en termes de données publiques. Elles ont également fait l'objet, au début des années 1990, d'engagements unilatéraux d'élimination par chacun des Gouvernements soviétiques (puis russes) et américains. L'information est relativement plus fiable sur les stocks de têtes nucléaires stratégiques couvertes par les accords START dont les éléments sont très calibrés ; les accords entre russes et américains prévoient, quasiment à l'unité près, l'évolution de l'arsenal stratégique, couvert par les accords START 1 et 2 complétés par leurs protocoles. Il faut noter que la question de l'uranium hautement enrichi a pu être réglée dès 1992 : Les Etats-Unis et la Russie ont signé un accord par lequel ils s'engageaient à acheter à la Russie 500 tonnes d'uranium russe hautement enrichi, dilué en Russie et utilisable comme combustible pour les centrales. Mais la mise en _uvre de cette politique a fortement perturbé les marchés. Les russes avaient déclaré 500 tonnes d'uranium enrichi à 90 % (sur un stock estimé à plus de 1 000 tonnes), les américains 200 tonnes d'uranium enrichi à 50 %, dont 175 tonnes recyclables (le reste étant chimiquement impropres). Au total, cet accord a permis de recycler sur le marché environ 80 tonnes d'uranium enrichi russe. Avant d'analyser les politiques conduites la première question que je me suis posée concerne la nature et la quantité du plutonium militaire en excès. Section I : La notion de plutonium militaire en excès La Russie et les Etats-Unis ont conclu un accord en 1998 sur les principes de gestion et d'utilisation du plutonium militaire en excès ; il prévoit l'élimination progressive des stocks russes et américains, une cinquantaine de tonnes de plutonium de qualité militaire était visée au départ. Le chiffre final retenu, de 34 et non de 50 tonnes, est le résultat d'une analyse sur la qualité du plutonium effectuée par les Américains et les Russes qui se sont mis d'accord sur ce montant. La France considère pour sa part que, si elle dispose de stocks suffisants pour ses besoins militaires, elle n'en a pas en excès. En septembre 2000, les Etats-Unis et la Russie ont conclu un accord à caractère intergouvernemental très complet concernant la coopération nécessaire à l'élimination de 34 tonnes de plutonium de qualité militaire dans chaque pays. Votre Rapporteur a essayé de déterminer l'importance des stocks globaux de plutonium de qualité militaire pour aller au-delà de ce chiffre de 34 tonnes. Lors de l'audition publique du 29 novembre 2000 la seule précision venue du négociateur américain a été la suivante : « Non, pas précisément. Je pense que certaines informations sont évidemment classifiées. Je suis persuadé que mon collègue russe a également une estimation classifiée de nos stocks comme nous avons une estimation classifiée de leurs stocks. « Il me semble qu'il serait correct de dire sur la base des documents non classifiés que l'élimination des 34 tonnes américaines représente environ 33% de l'ensemble de notre programme de plutonium. Je ne parle pas uniquement du plutonium à des fins militaires mais de l'ensemble du plutonium, y compris celui qui n'est pas à des fins militaires. « Je pense que si nous tenons compte de nos estimations non classifiées, cela représenterait à peu près 25 % de ce que nous pensons être les stocks russes de plutonium. » Si nous nous basons sur ces estimations, avec toutes les précautions qui s'imposent s'agissant d'un domaine classifié nous atteindrions un chiffre global pour les Etats-Unis et la Russie de l'ordre de 200 tonnes de plutonium militaire, ce chiffre est cohérent avec d'autres évaluations qui le situent à 250 tonnes. De manière plus approximative, nous savons aujourd'hui, que les stocks de plutonium militaire en excès s'élèvent pour l'ensemble du monde à quelques centaines de tonnes. Devant cette « langue de bois officielle » votre Rapporteur à fait des recherches et le chiffre le plus convaincant qu'il ait pu trouver lui a été remis lors de sa mission aux Etats-Unis par le Carnegie Endowment for International peace (cf. tableau ci-après). Stock de matériaux fissiles à usage militaire en tonnes
(a) : Comme la Chine a refusé de signer un moratoire, ces dates sont à utiliser avec précaution. La production de matière fissile pourrait reprendre, elle a même peut-être continué. Source : Institut Carnegie Traduction non officielle Section II : L'originalité de la démarche internationale Comme cela a été souligné par les participants à l'audition du 29 novembre 2000, le calendrier international s'est quelque peu accéléré ces derniers temps : Lors du Sommet d'Okinawa, le G8, a en effet décidé de présenter à chaque Gouvernement un calendrier, un cadre institutionnel international ainsi qu'un plan de financement de la neutralisation du plutonium nucléaire en excès, lors du sommet de Gênes de juin 2001 La politique conduite au niveau international sous l'impulsion du G8 est innovante ; elle a su, sans avoir besoin de recourir à une organisation internationale spécifique, mobiliser les énergies, tout en n'obéissant pas à une logique exclusivement institutionnelle pour s'appuyer sur plusieurs cercles. Ce point a été particulièrement souligné par le Secrétaire général de la défense nationale lors de l'audition du 29 novembre et votre Rapporteur fait sienne son analyse. Au centre du règlement de la question du plutonium militaire en excès nous trouvons le noyau constitué par la relation russo-américaine et l'accord bilatéral visant à gérer la mise en _uvre des différents accords START aboutissant à l'élimination d'armements à têtes nucléaires stratégiques. Comme leur nom l'indique, les accords START ne visent que les têtes nucléaires équipant les missiles stratégiques des deux pays. Ceci est le noyau. Cette coopération est centrale. Sur le plan technologique et industriel, il existe un second noyau également central constitué des pays disposant des différentes capacités technologiques de recyclage du plutonium, essentiellement européens, plus particulièrement français et allemands dont le concours est fondamental si les Russes souhaitent réaliser l'objectif de l'accord russo-américain d'élimination du plutonium de qualité militaire, issu des armes démantelées, selon le calendrier établi. Si plusieurs voies sont possibles il est clair aujourd'hui que la voie de l'immobilisation n'est pas la voie privilégiée par les Russes, pour les raisons exposées au chapitre suivant (cf. chap. 2) mais elle fait partie des possibilités figurant dans les accords. La voie du MOX est privilégiée par les experts ainsi que par les Gouvernements, y compris le Gouvernement américain, en particulier depuis 1998 et, la France dispose d'une expérience de premier ordre dans ce domaine. Ce partenariat qui associe les grandes entreprises européennes, notamment les Françaises aux Allemandes et aux Russes est complémentaire du noyau central russo-américain, et la France a un rôle important à jouer. Il existe également un accord entre un consortium conduit par des industriels français (en particulier la COGEMA).et le Gouvernement américain concernant les 34 tonnes américaines. Au-delà de ce partenariat, plusieurs cercles existent : le cercle européen tend à s'étendre ; les Italiens et les Belges qui ont pris un certain nombre d'engagements souhaitent adhérer formellement à l'accord trilatéral de 1998 conclu entre Français, Allemands et Russes. Un accord politique, dont la traduction juridique est en cours, est intervenu, déjà acté au niveau des Gouvernements. L'existence de ce cercle européen conduit à évoquer l'intervention de l'Union Européenne, dont le rôle pour le moment marginal (cf. chap 4), mériterait d'être élargi, sous réserve de garder des structures souples à l'écart des dérives bureaucratiques décrites dans la deuxième partie de ce rapport. Chapitre 2 : Le plutonium : Pour l'opinion publique, le plutonium (Pu) est un produit inquiétant, car associé aux armes nucléaires. Cette dimension militaire du plutonium explique qu'il ne soit pas perçu comme une matière fissile ordinaire. L'accumulation des stocks issus du démantèlement des ogives nucléaires présente des dangers de prolifération des armes nucléaires suffisamment inquiétants pour que les autorités politiques des principaux pays, engagés dans la politique de réduction de l'arsenal nucléaire, aient entrepris une politique d'élimination des stocks de plutonium de qualité militaire, considérés comme en excès par rapport aux besoins des arsenaux nucléaires nationaux2. Néanmoins le plutonium ne constitue pas seulement la composante d'un explosif, il est également un combustible utilisable, après conversion, dans des centrales nucléaires civiles (réacteurs à eau pressurisée ou réacteurs rapides) sous forme de combustible MOX (mélange d'oxyde d'uranium et de plutonium) ou sous une autre forme. Dans ces deux cas le plutonium à usage militaire est transformé en plutonium à usage énergétique et il devient « définitivement », nous dit-on, impropre à une utilisation militaire. L'autre méthode de neutralisation du plutonium consiste à le stocker dans des couches géologiques profondes, dans cette perspective il n'est pas assimilé à un combustible mais un à déchet. Cette méthode pose le problème de sa récupération pour une éventuelle utilisation militaire. A partir de là nous voyons poindre les deux termes du débat : le plutonium, dont la nocivité n'est pas contestable, doit-il être considéré comme un déchet à réduire ou bien faut-il malgré ses dangers voir dans ce dernier une ressource énergétique à utiliser. La réponse à cette question conditionne la stratégie à adopter pour gérer les stocks de plutonium en excès. Section I : Le plutonium et ses dangers Le plutonium existe dans la nature de manière extrêmement résiduelle. En effet les noyaux lourds tels que le plutonium et l'uranium sont présents dans tout le système stellaire en formation. La terre n'a pas fait exception mais la décroissance de la radioactivité a fait disparaître les isotopes du plutonium de sa surface ; seul l'isotope 244, avec une période de 83 millions d'années demeure présent à l'état de trace. Si à l'heure actuelle du plutonium continue à se former, d'une manière naturelle, en quantité infinitésimale la principale cause de dissémination du plutonium provient des essais nucléaires atmosphériques. Nous pouvons estimer qu'entre 1945 et 1973, 4,2 tonnes d'un mélange de plutonium 239 et 240 ont été disséminé dans l'atmosphère sous forme d'oxyde. Environ 90% de la quantité dispersée avant 1963 est actuellement retombée et représente dans les deux premiers centimètres du sol environ 0,4% de la radioactivité alpha globale. Aussi, le plutonium apparaît-il d'abord comme un élément radioactif artificiel produit par tout réacteur nucléaire utilisant de l'uranium comme combustible.3 Il a été obtenu pour la première fois par l'équipe de Glenn T Seaborg à l'université de Berkeley (Californie) en décembre 1940,. Il existe quinze isotopes connus du plutonium d'une masse allant de 232 à 246. La période radioactive (selon les isotopes : 2,8 ans pour le PU 236 à 3,87 x10 puissance 5 ans pour le PU 242) et le niveau de radioactivité sont très variables selon les types de plutonium. Le plutonium 239 est produit dans les réacteurs nucléaires à partir de l'uranium 238 mais sa manipulation exige de strictes précautions en raison de sa toxicité chimique et des dangers présentés par les rayonnements alpha, en outre il constitue un produit radioactif à vie longue (période de 24 386 ans pour le pu 239) Il existe plusieurs qualités de plutonium différentes par leur composition isotopique. Le plutonium utilisé dans les armes nucléaires comporte 90% d'isotopes 239, il permet de fabriquer des armes avec une quantité de matière limitée, de cinq à six kilogrammes, c'est un plutonium métal, d'aspect blanc argent, obtenu à partir de l'oxyde purifié. Le plutonium à usage civil récupéré après retraitement du combustible sur les réacteurs à eau sous pression d'EDF ne comporte qu'environ 60% d'isotopes 239 mais également des quantités significatives de plutonium 240 à 242, c'est-à-dire au moins un quart d'isotopes non fissiles4 et de nombreuses impuretés indésirables pour un usage militaire. Le risque d'utilisation du plutonium civil pour fabriquer une bombe nucléaire est limité, même si les États-Unis ont affirmé avoir réalisé une bombe nucléaire à partir du plutonium civil. Cette réalisation est complexe, le résultat incertain, les compétences exigées de haut niveau et les moyens à mettre en _uvre considérable. Par contre l'utilisation du plutonium à des fins terroristes ne peut pas être exclue mais plus par son caractère extrêmement polluant sur le plan chimique que comme explosif nucléaire. La nature du plutonium
B - Les dangers intrinsèques du plutonium Le plutonium apparaît comme le produit nucléaire le plus redouté du fait de son image « d'explosif nucléaire » ; or au-delà de cette dimension il émet un rayonnement alpha très peu pénétrant, il peut être approché sans grand risque même à courte distance mais est extrêmement nocif s'il pénètre dans l'organisme par ingestion, blessure ou inhalation. Il faut noter que la plupart des isotopes du plutonium sont classés comme étant des radionucléïdes de très forte radiotoxicité, au sens de la réglementation relative à la protection contre les rayonnements ionisants du décret n°66-450 du 20 juin 1966 (modifié). En effet à l'extérieur de l'organisme le plutonium est habituellement moins dangereux que les sources de rayonnement gamma car, les particules alpha transmettent leur énergie sur une courte distance et déposent pratiquement toute leur énergie sur les couches externes, non vivantes de la peau. Mais, s'il pénètre dans l'organisme, le plutonium 239 est une substance cancérigène très dangereuse, du fait de ses propriétés chimiques, qui peut être à l'origine de cancers du poumon ou de l'os chez l'homme. Il existe également d'autres substances plus cancérigènes que le plutonium, par exemple le radium 226 mais, ce dernier ne peut pas être utilisé pour réaliser des armes. Le plutonium ne se distingue pas en effet des autres émetteurs alpha par une radiotoxicité plus élevée lorsque les expositions sont exprimées en dose absorbée. Si nous exprimons par exemple l'exposition sur une base pondérale le plutonium 239 n'est en effet pas le radionucléïde le plus toxique, le polonium 210 est un radionucléïde 10 000 fois plus puissant que lui. Mais, une fois incorporé le plutonium se dépose de préférence dans les tissus mous, notamment le foie et les régions osseuses qui ne contiennent pas de cartilage ; le dépôt dans la moelle osseuse peut avoir des effets néfastes sur la formation du sang, qui s'opère à cet endroit, et provoquer une leucémie. C - Le danger de prolifération Le danger le plus redoutable du plutonium est lié à la prolifération nucléaire car, il constitue l'un des composants utiles à la fabrication d'une bombe nucléaire. Le danger de prolifération de l'arme nucléaire est mortel pour l'humanité mais mon propos n'est pas de faire du sensationnalisme facile : il est certes exact que le plutonium constitue un « explosif » nucléaire susceptible d'intéresser des personnes mal intentionnées mais, il n'est toutefois pas très facile de fabriquer une bombe nucléaire. Ce n'est pas parce que les principes permettant sa réalisation sont facilement accessibles que la fabrication d'un engin nucléaire est possible par un "bricoleur" de génie détenant des matières fissiles. Tout un environnement scientifique de qualité est nécessaire. Penser qu'un groupe de terroristes puisse fabriquer une bombe nucléaire est une idée fausse car, seuls les états disposent de la technologie et des budgets nécessaires. Si certains états peuvent être qualifiés de terroristes et que dans ce domaine une extrême vigilance soit nécessaire, le fait de pouvoir se procurer du plutonium détourné est très loin de constituer une condition suffisante pour fabriquer une bombe nucléaire. D'autre part, il serait faux de penser que le plutonium de qualité militaire ne pourrait pas être produit dans des réacteurs civils. Il est possible en effet de produire du plutonium de qualité militaire dès qu'il y a présence simultanée d'uranium 238 et de neutrons. Concrètement, dans un réacteur à eau sous pression, il suffit d'extraire après quelques jours seulement le combustible qui a été irradié. Ce n'est pas le cas dans le cadre d'une exploitation normale d'un réacteur électronucléaire où les électriciens cherchent à épuiser au maximum le potentiel énergétique du combustible avant de le décharger mais, si l'exploitation ne s'effectue pas de manière normale... Aussi, penser que le danger de prolifération du plutonium trouverait son origine unique dans les stocks de plutonium militaire est une idée fausse ou, pour le moins, à relativiser. Section II : Les conceptions du plutonium Le débat sur le caractère du plutonium -ressource ou déchet dangereux ?- a déterminé, au départ, des approches différentes sur les solutions à mettre en _uvre mais, aujourd'hui devant les contraintes techniques les points de vue des Etats-Unis et de la Russie se sont considérablement rapprochés. 1) La nature de ce combustible Deux usages du plutonium sont connus dans le domaine industriel : - La conversion directe en électricité de la chaleur émise par le rayonnement du plutonium 238 ( simulateurs cardiaques, satellites, balises...) ; - L'utilisation du plutonium 239 comme matière fissile dans les réacteurs électronucléaires. Les premiers essais industriels pour l'emploi du MOX datent de 1963 dans le réacteur BR3 de Mol en Belgique et pour ce qui concerne la France de 1974 dans le réacteur de Chooz A (aujourd'hui arrêté). Le combustible MOX irradié est un combustible né du plutonium, récupéré après traitement des combustibles irradiés, ajouté à de l'uranium (combustible U2) afin d'être recyclé. Le combustible MOX a une histoire qui n'a rien à voir au départ avec celle du plutonium militaire. Il a été conçu et fabriqué dans une logique de recyclage et de récupération d'énergie avec à l'esprit l'idée d'une possible pénurie d'uranium (plausible si tous les programmes d'édification de centrales nucléaires annoncés dans les années 75 avaient vu le jour). L'utilisation du combustible MOX entraîne la destruction pure et simple d'une partie importante - de 30 à 40 %- du plutonium. En outre, la modification de la composition du plutonium restant, fait qu'il n'est plus à apte ensuite à un usage militaire. Le plutonium après traitement et le plutonium militaire ont des caractéristiques isotopiques très différentes qui font que l'utilisation de plutonium de traitement à des fins militaires est très difficile. Il apparaît à votre Rapporteur que l'option consistant à brûler le plutonium dans des réacteurs est effectivement l'option la plus irréversible connue à ce jour. En outre, le plutonium a une valeur énergétique considérable. Ainsi la fission totale d'un gramme dégage une énergie de 22 000 kilowattheures thermiques, soit 7000 kilowattheures électriques. Un gramme de plutonium recyclé une fois dans un réacteur à eau pressurisée (REP) permet de produire la même quantité d'énergie qu'une tonne d'équivalent pétrole. La France dispose d'une grande expérience dans ce domaine ; EDF a, en France, développé l'utilisation du combustible MOX depuis 1987 : Aujourd'hui une vingtaine de réacteurs de 900 Mw est alimentée par ce combustible. Cette solution permet de recycler en partie le plutonium, issu de la combustion de l'uranium dans les réacteurs nucléaires. Le recyclage du plutonium provenant du retraitement sous forme de combustible MOX contribue à la production d'énergie électrique d'origine nucléaire pour environ 7%, soit près de 30 TWh par an. Lors de l'audition du 29 novembre 2000,5 réalisée par l'Office parlementaire, le représentant russe M. Koutchinov a été extrêmement clair sur la conception du plutonium par son pays « Nous partons du principe que le plutonium provenant du désarmement nucléaire constitue un patrimoine national à potentiel énergétique élevé. A titre d'exemple, nous pouvons dire qu'un gramme de plutonium constitue l'équivalent de 3 tonnes métriques de pétrole. Nous pensons que l'usage le plus efficace de ce plutonium consisterait à l'utiliser comme combustible pour les réacteurs à neutrons rapide ». J'ai effectivement lors de la mission que j'ai conduit à Moscou pu vérifier que les autorités russes tiennent un langage extrêmement catégorique : Le plutonium est d'abord une ressource énergétique, donc une richesse économique à valoriser et, si la Russie ne peut pas le faire immédiatement, à préserver absolument. 2) La transformation du plutonium en combustible Au préalable il est nécessaire de préciser que lorsque nous parlons de plutonium d'origine militaire il existe au moins deux catégories de plutonium considérées dans cet ensemble : le plutonium de qualité « Armes », pour la réalisation des armes et le plutonium utilisé dans les cycles de production de ce plutonium de qualité « Armes » qui se trouve sous un régime de classification à la suite de cet usage sans en avoir pour autant les spécifications6. Le plutonium de qualité « Armes » est un plutonium de concentration isotopique faible en isotopes pairs, donc très réactif. Il a par conséquent des propriétés particulières qui nécessitent des précautions dans l'ensemble de la chaîne d'emploi ultérieur. Le combustible MOX utilisant du plutonium de qualité militaire n'a jamais été fabriqué à l'échelle industrielle car, les usines de fabrication de MOX en exploitation utilisent un oxyde de plutonium (« plutonium de qualité réacteur ») provenant des usines de retraitement du combustible usé des centrales nucléaires. Les usines de retraitement utilisent des procédés à base d'acides et de solvants pour séparer le plutonium de l'uranium au sein des produits de fission donnant une poudre d'oxyde de plutonium utilisable directement pour la production de MOX. Inversement la plus grosse partie du plutonium militaire est sous forme de métal dans des c_urs (pits) qui contiennent d'autres matériaux en petites quantités. Mes interlocuteurs américains rencontrés à l'occasion de ma mission ont particulièrement insisté sur le problème posé par le gallium. Aux Etats-Unis le plutonium militaire comporte jusqu'à un pour cent de gallium dont la présence complique le procédé de fabrication du MOX car il doit être préalablement éliminé. Aussi, faut-il purifier le plutonium militaire et le convertir en oxyde pour pouvoir l'utiliser. Les Etats-Unis comptent utiliser un procédé sec (ARIES) pour éliminer le gallium des c_urs alors que la Russie envisage (en collaboration avec la France) des méthodes classiques de retraitement (phase aqueuse et sels fondus). Tous les réacteurs nucléaires peuvent être candidats à l'élimination du plutonium sur le plan technique mais les réacteurs à eau pressurisée ont aujourd'hui le mérite d'être très nombreux. Il faut toutefois relever que les réacteurs à neutrons rapides constituent la solution certainement la plus adaptée sur le plan de la physique afin de retraiter le plutonium, votre Rapporteur ne peut que regretter que la décision de fermeture de Super phénix n'ait pas intégré ce problème et que notre pays se soit privé d'un outil de recherche scientifique de premier ordre. La solution de recyclage dans les réacteurs à eau, existant sur le plan industriel, est certainement la solution la plus plausible à court terme et la plus efficace car, elle dénature totalement le plutonium. Bien qu'elle ne le détruise pas entièrement, elle lui ôte les caractéristiques susceptibles d'en faire un plutonium intéressant pour la réalisation des armes. Il s'agit surtout d'une solution industriellement disponible rapidement, puisqu'elle repose sur des procédés développés dans certains pays et appliqués industriellement en Europe, en particulier en France. Cette utilisation des installations existantes explique que le coût de réalisation de ce programme soit sensiblement inférieur à celui que générerait des solutions techniques conduisant au développement de filières nouvelles. Les Russes ont effectué dans cette perpective des comparaisons sur trois options de combustion du plutonium : par les réacteurs à neutrons rapides, par les réacteurs du type à eau légère et par les réacteurs à hélium. M. Koutchinov exposait devant l'Office le 29 novembre dernier qu': «Il convient de dire que nous obtenons des résultats différents. Dans quelle mesure avons-nous détruit ce plutonium militaire ? Avec le BN 800. Nous détruisons uniquement 17 % du plutonium de qualité militaire 239 en le faisant passer plusieurs fois dans ce réacteur. « Si nous utilisons le MOX dans les réacteurs du type à eau sous pression ou à eau légère, nous détruisons alors 60 % de plutonium 239. « La troisième variante concerne le réacteur à hélium étudié à cette fin...Qui permet, en le faisant passer plusieurs fois dans ce réacteur, de détruire 90 % du plutonium. Nous obtenons un produit ne contenant plus de plutonium. Dans les autres cas, une partie du plutonium initial demeure dans le produit final et nous pouvons l'extraire, à condition de le recycler, comme le fait COGEMA dans ses usines. « C'est une question de fond. Devons-nous détruire ce plutonium ou devons-nous le dissimuler, le transformer, le convertir sous une forme qui le rende difficilement utilisable ? » L'utilisation du plutonium apparaît donc comme la moins mauvaise des solutions réalistes, sur le plan des délais de mise en _uvre et du coût, mais il est clair que seule la recherche sur des réacteurs de nouvelle génération permettra d'apporter une réponse satisfaisante à l'élimination du plutonium et in fine au stockage des déchets nucléaires auxquels sont confrontés tous les pays exploitants des réacteurs nucléaires. B - Le plutonium considéré comme déchet Je ne sais pas si le terme de « déchet » est celui qui reflète le mieux la pensée dominante américaine mais, j'ai eu le sentiment lors de ma mission aux Etats-Unis, que la solution du MOXage, c'est-à-dire de la transformation du plutonium en combustible utilisable dans les centrales nucléaires était une solution pour laquelle les Américains optaient à regrets car à leurs yeux, et cela est certainement le cas de leur opinion publique, le plutonium est d'abord un déchet toxique à neutraliser. Ils ont dans l'accord de septembre 1998 accepté de procéder à l'élimination par la filière MOX de 24 tonnes sur les 35, ce qui est le reflet d'une évolution considérable par rapport à leurs positions de départ. Le paradoxe de cette situation est que malgré la différence de sensibilité et d'approche entre les deux pays sur la nature du plutonium les solutions retenues dans l'immédiat soient identiques. Les obstacles techniques pour stocker et neutraliser de manière irréversible le plutonium sont encore considérables : il est nécessaire de développer un conteneur, une forme physique permettant d'assurer ce conditionnement définitif, en outre le stockage, même en incluant le plutonium dans une matrice, ne détruit pas la matière physique qui existe toujours quel que soit le procédé d'enfouissement. Nous parlons certes de procédés irréversibles mais il n'en reste pas moins que la destruction n'est pas physiquement réelle. En outre, compte tenu des problèmes de stockage définitif de déchets radioactifs de longue période que nous rencontrons dans la plupart des pays, la crédibilité de ce type de programmes sur le très long terme n'est pas assurée. 1) Les techniques d'immobilisation du plutonium Les techniques d'immobilisation aujourd'hui disponibles sont-elles suffisamment sûres pour garantir la non-récupération du plutonium à des fins militaires ? L'idée de l'immobilisation implique de mélanger des combustibles usagés au plutonium militaire et d'intégrer le tout dans la composition d'un verre. Votre Rapporteur a pu constater l'existence d'un consensus pour considérer que si l'extraction de cet ensemble demandait un travail supplémentaire en termes chimiques, elle était théoriquement et techniquement faisable, moyennant des coûts certainement extrêmement importants. Cette question est essentielle il apparaît aujourd'hui clairement établi que l'état qui aura stocké du plutonium, même dans une matrice vitrifiée, aura très certainement la possibilité de le récupérer lui-même. S'il s'agit d'un groupe terroriste, c'est probablement plus difficile à imaginer. D'ailleurs la Présidente de la COGEMA, Mme Lauvergeon, a bien précisé lors de l'audition du 29 novembre que « COGEMA est aujourd'hui le leader mondial en matière de vitrification, cette expérience est le résultat de la vitrification après traitement des déchets de combustible usé. Il s'agit d'une technique que nous connaissons bien. Cette voie a été écartée par les Russes, elle reste à l'étude pour les Américains qui envisagent son utilisation pour les 9 tonnes de plutonium qui ne seront pas recyclées. Cette vitrification du plutonium est techniquement possible mais elle n'a jamais été pratiquée à grande échelle. Même si elle est techniquement et théoriquement possible, certains développements complémentaires seront nécessaires et, à notre connaissance, ils n'ont été initiés ni par COGEMA ni ailleurs. Nous pouvons donc affirmer aujourd'hui que nous disposons d'une technologie qui correspond à peu près à la demande mais il faudra l'affiner afin de répondre au problème spécifique du plutonium. « Votre question est plus précise : peut-on récupérer le plutonium une fois qu'il a été vitrifié ? L'Académie des Sciences américaine a répondu hier que le sujet ne lui semblait pas totalement garanti et que cette vitrification effectuée sur du plutonium militaire pouvait dans certaines conditions particulières être réversible. Nous parlons de choses très hypothétiques puisque je vous le dis, nous n'avons pas aujourd'hui de techniques totalement développées concernant la vitrification du plutonium militaire. Cependant, il semblerait théoriquement possible, éventuellement avec des investissements considérables et bien évidemment dans un cadre non pas terroriste mais dans un cadre étatique contrôlé, de rendre ce phénomène partiellement réversible. Voilà ce que nous pouvons dire aujourd'hui techniquement sur le sujet. « Le traitement des combustibles usagés, c'est-à-dire le traitement des déchets nucléaires, consiste à extraire le maximum de plutonium et il en reste des traces résiduelles qui sont effectivement vitrifiées. Nous procédons à certaines expérimentations afin de connaître la quantité maximale de plutonium à insérer dans les verres. Nous n'avons pas aujourd'hui d'expérimentation portant sur 10, 15, 20 ou 30%. Nous n'avons pas de référence. C'est la raison pour laquelle je parle de développements supplémentaires nécessaires ». M. SICART, du Commissariat à l'énergie Atomique été également extrêmement clair sur ce sujet « de notre point de vue, un stock de plutonium en abandon en milieu géologique serait de toute façon récupérable (qu'il soit stocké) sous forme de verre ou même des meilleures matrices envisageables aujourd'hui. « Bien sûr c'est une question de prix, les excellentes matrices sont chères et deviendront absolument hors de prix mais c'est une remarque importante. Il sera de toute façon toujours possible de récupérer ce plutonium ». La position sur ce dernier point exprimée par le Représentant américain M. Michäel Guhin7 me paraît poser très clairement la problématique du stockage : « Il est physiquement possible qu'un Gouvernement puisse le faire (récupérer le Pu immobilisé) mais la question est de savoir si un Gouvernement le ferait ; Telle est la question. Nous ne pouvons pas apporter de réponse toute faite à cette question. Nous ne savons pas si un Gouvernement le ferait et dans de nombreux débats que nous avons eus avec nos collègues russes, au niveau non technique, nous sommes convaincus qu'aucun Gouvernement ne le ferait, en particulier s'il avait d'autres possibilités de trouver du plutonium. Reste la question d'une menace terroriste. » Ces difficultés expliquent les retards américains dans la mise en _uvre de la solution de l'immobilisation8. Il convient de noter que ce sentiment est partagé par les russes, l'académicien M. PONOMAREV-STEPNOÏ est particulièrement clair sur ce point : « La question de l'élimination du plutonium de qualité militaire est en effet une question fort importante. Je reviendrai sur la question de la vitrification. Ce procédé ne permet pas la destruction du plutonium. Il le transforme sous une autre forme qui rend plus difficile l'extraction du plutonium mais notre expérience indique qu'il est toujours possible de récupérer ce que nous souhaitons récupérer, quelle que soit la forme de fixation et d'immobilisation. La vitrification ne permet pas de résoudre ce problème afin de rendre le plutonium irrécupérable ». Il est assez probable effectivement que les Russes et les Américains ne cherchent pas à récupérer le plutonium immobilisé pour la simple raison qu'ils disposent de la faculté d'en fabriquer à un moindre coût mais, il serait de toutes façons nécessaire d'assurer sur plusieurs centaines d'années la sécurité des installations de stockage. 2) Le contrôle international du stockage du plutonium n'est pas réglé La nature militaire du plutonium stocké l'exclut actuellement des contrôles internationaux, en particulier de ceux de l'AIEA. Aussi une politique de stockage du plutonium issu du démantèlement des armes nucléaires doit-elle s'accompagner de la mise en place d'un système de garanties crédible. Il faut noter que l'accord russo-américain du 1er septembre 2000 mentionne que le suivi de cet accord devrait être transparent. Cette transparence ne sera pas uniquement bilatérale puisque la participation de l'AIEA à ce processus est prévue. L'accord stipule explicitement que les deux parties devront engager des négociations avec l'Agence de Vienne afin que les informations concernant le plutonium ne soient plus classifiées. Il sera alors possible à l'Agence de Vienne d'assurer le suivi du processus et la Communauté Internationale aura la certitude que les accords concernant l'utilisation du plutonium sont respectés. L'acceptation de principe par les Etats-Unis et la Russie de l'intervention de l'AIEA constitue une avancée dont ne peut que se féliciter votre Rapporteur. 1 La réduction du nombre de têtes nucléaires au Royaume-Uni, en Chine et en France ne constitue qu'une conséquence indirecte des accords précités 3 cf. description du plutonium par l'IPSN en annexe n°3 4 Fissile : susceptible de subir une fission nucléaire 5 Le compte-rendu intégral de cette audition se trouve en annexe 1 du rapport 6 Aux Etats-Unis 7,5 tonnes de plutonium proviendraient des nécessités de la fabrication d'explosif nucléaire sans présenter les caractéristiques du plutonium militaire (« investigation plutonium »-Wise) 7 audition de l'OPECST du 29 novembre 2000 |