Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires
Deuxième partie :

La reconversion des stocks de plutonium militaire
L'utilisation des aides accordees aux pays d'Europe centrale
et orientale et aux Nouveaux États Indépendants

Par M. Claude Birraux,
Député

Première partie
La reconversion à des fins civiles des stocks de plutonium militaire
(suite)

Chapitre 4 : le programme russe 55

Section I : La perception de la politique de reconversion du plutonium par l'opinion russe 58

Section II : La réalisation du programme russe 59
A - Les objectifs du programme russe 59
B - Le calendrier de réalisation du programme russe 62
1) La nécessité pour les russes de réaliser d'importants investissements 62
2) L'échéancier 63
C - L'expérience russe de production du MOX 64
D - La volonté russe de promouvoir d'autres techniques 67
1) La filière des surgénérateurs 67
2) Les réacteurs à haute température 68
E - Des inquiétudes demeurent 69
1) Un impératif : accroître la place des autorités de sûreté 69
2) La préservation des compétences 70
3) La Russie, centre mondial du stockage des déchets nucléaires ? 71
4) Politique russe ou politique soviétique ? 71

Chapitre 4 : le programme russe

Comme nous avons eu l'occasion de l'examiner au chapitre 2 et cette position a été confirmée à votre Rapporteur lors de son déplacement à Moscou par M. Ivanov, Premier Vice-Ministre du Ministère russe de l'énergie atomique (MINATOM)1, les Russes considèrent que le plutonium est un combustible. Ce point à leurs yeux ne peut pas être discuté aussi toute leur politique est-elle dictée par ce postulat, ainsi que par l'idée qu'en acceptant d'éliminer ses stocks de plutonium militaires la Russie fait un geste à l'égard de la communauté internationale ; les Russes ont le sentiment qu'ils peuvent garder le plutonium pendant quelques années afin d'optimiser son utilisation comme combustible de leurs futurs réacteurs rapides. Cet état d'esprit légitime à leurs yeux l'attitude suivante : la communauté internationale finance d'abord ce programme pour se rassurer car, pour eux le stockage du plutonium en Russie s'opère dans de bonnes conditions de sécurité. Si les occidentaux le financent, il sera mis en _uvre, sinon il sera conduit au rythme du développement de l'énergie nucléaire en Russie, en clair ils iront à leur rythme avec leurs procédés, par exemple les réacteurs à haute température et les rapides ce qui entraînera un délai supplémentaire de dix à vingt ans dans l'élimination des stocks de plutonium militaire. Il semble en effet que si les Russes disposent d'une solide expérience de fabrication de combustible pour les surgénérateurs, ils n'aient pas envisagé au départ d'utiliser le MOX pour leurs réacteurs à eau, cette option résulte d'une initiative occidentale.

Les présidents Clinton et Eltsine ont au début de ce processus confié au Professeur académicien Eugeny P. Velikhov, qu'a rencontré votre Rapporteur, ainsi qu'à un expert américain le soin de rassembler un groupe de scientifiques afin qu'ils établissent des propositions

Très vite il est apparu que les deux points de vue divergeaient : Pour les Russes le plutonium est utile et l'idée de sa liquidation est impopulaire, pour les américains le plutonium est une matière nocive dont l'utilisation n'est pas raisonnable. Ce rapport avait constitué la première tentative pour trouver une solution de compromis.

(Une carte du plutonium en Russie n'a pas été reproduite.)

Section I : La perception de la politique de reconversion du plutonium par l'opinion russe

L'électricité d'origine nucléaire est ancienne en Russie, puisque le premier réacteur au monde a avoir livré de l'électricité au réseau était le réacteur AM-1 de l'Institut de physique d'Obninsk, aujourd'hui transformé en musée et qu'a pu visiter votre Rapporteur, lors de sa journée de travail consacrée aux activités de cet institut.

Aujourd'hui, l'opinion publique russe doit être prise en compte. Votre Rapporteur a mis à profit son séjour à Moscou pour rencontrer des parlementaires de la Douma et il a pu mesurer la nécessité, pour ne pas susciter des réactions nationalistes, de traiter ce pays comme la grande puissance qu'il demeure.

Le sentiment retenu par votre rapporteur est celui d'un clivage de l'opinion publique.

Le premier correspond au clivage éternel entre « slavophiles » et « occidentalistes », certains cherchent à faire passer le message selon lequel les partisans de la réalisation de ces accords sont des « agents de l'Occident » qui « tentent de démolir intégralement la Russie ». Il s'agit notamment de certains éléments du Parti Communiste, et du lobby militaire dont la puissance ne doit pas être sous-estimée.

L'autre lobby réservé sur ces accords est celui qui milite pour la construction de surgénérateurs. Certains estiment qu'il est plus efficace de brûler le plutonium militaire dans les réacteurs rapides. C'est la raison pour laquelle ils pensent que les russes n'ont pas besoin de se presser et devraient attendre vingt ans pour que ce plutonium soit utilisé plus efficacement.

M. Koutchinov a souligné2 que « compte tenu de tous ces facteurs, la Russie n'a aujourd'hui pas de raisons économiques de mettre au point ce programme. Néanmoins, faisant preuve de bonne volonté ainsi que de sa ferme intention de participer au programme de désarmement, non seulement en démantelant les têtes nucléaires mais également en utilisant les matières fissiles qui proviennent de ses têtes nucléaires démantelées, la Russie est prête à utiliser le plutonium militaire dans les VVER. »

Nous voyons à ce niveau apparaître une différence d'état d'esprit avec les occidentaux qu'il est important de souligner ; pour les russes la détention de plutonium ne constitue pas en soi un problème, leur participation à ce programme de conversion du plutonium est un geste à destination des occidentaux.

Section II : La réalisation du programme russe

A - Les objectifs du programme russe

Le point de vue développé par la quasi totalité de mes interlocuteurs russes peut être résumé de la manière suivante : le plutonium est une matière première très utile sur le plan énergétique, qui a de la valeur. Aussi sa destruction ne peut être un objectif en tant que tel.

Le MINATOM a présenté au Gouvernement le 25/5/00, un plan de développement de l'énergie nucléaire, qui prévoit l'augmentation d'ici 2020 de la puissance installée à 50 000 Mwe (contre 21 000 Mwe en 2000). Ce plan est extrêmement volontariste. Sur les dix tranches que le MINATOM prévoit d'achever d'ici 2010, seules 3, compte tenu des financements très faibles alloués aux investissements, sont susceptibles d'être mises en service : Rostov1 (2001), Kursk 5 et Kalinin 3.

En revanche, ce plan a le mérite d'exprimer clairement la position du MINATOM sur la durée de vie des tranches, et en particulier des réacteurs de première génération de type VVER 440-230 et RBMK : l'exploitation de ces derniers serait prolongée de dix ans pour atteindre 40 ans, tandis que les réacteurs de deuxième génération seraient exploités pendant 50 ans. Compte tenu du poids faible de l'Autorité de Sûreté, il est probable que ces hypothèses se concrétiseront.

On peut donc prévoir, sur la décennie, une augmentation légère de la puissance installée nucléaire, renforçant la proportion d'électricité d'origine nucléaire dans la partie européenne.

A moyen-long terme, ce plan s'appuie principalement sur la construction de réacteurs à neutrons rapides, permettant à la Russie de valoriser le plutonium démilitarisé.

Le MINATOM prépare également pour fin 2000-2001 une réforme du rôle de ROSENERGOATOM, qui deviendrait une « compagnie de production d'énergie », avec éventuellement un statut de société par actions. Le n_ud de la réforme est constitué par une centralisation des recettes issues du paiement de l'énergie électrique, accompagnée par la construction de véritables services centraux, déterminant les politiques d'achats et d'investissements.

La Russie a besoin d'accroître sa capacité de production d'électricité (cf. B) aussi le programme d'élimination du plutonium de qualité militaire doit-il accompagner le programme fédéral de développement de l'énergie nucléaire synthétisée dans les deux tableaux ci après.

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L'analyse de mes interlocuteurs moscovites s'appuie également sur un fait important mais oublié en occident : la disparition de l'URSS, a entraîné la chute de ses ressources en uranium. Cette situation explique en partie le retour à l'idée de la surgénération. Les principales mines se trouvent au Kazakstan et en Ouzbekistan. Or, aujourd'hui, le Kazastan vend son uranium au Canada et une seule mine d'uranium est encore exploitée en Russie dans la région du lac Baîkal.

Le problème ne se posait pas à l'époque de l'URSS où les minerais en provenance d'Allemagne et de Mongolie représentaient 16 000 t/an alors que la production russe s'élève aujourd'hui à 2500 tonnes.

Aussi, le programme d'élimination du plutonium doit-il permettre de brûler 280 kilos par an dans chacun des réacteurs rapides affectés à cette tâche et une quantité à peu près équivalente dans chacun des réacteurs à eau de 1000 mégawatts mis à contribution.

Il est actuellement envisagé d'utiliser pour ce programme sept réacteurs à eau de 1000 mégawatts : les quatre réacteurs de la centrale de Balakov et les trois réacteurs de Kalinin. Cela représente une consommation annuelle de plutonium de 2,3 tonnes.

Le programme est par conséquent extrêmement précis et se trouve à un stade très avancé. Outre les problèmes de financement (cf. chapitre 4), pour Jacques Bouchard, Directeur du CEA3, il reste à son avis un assez grand nombre de démonstrations et de problèmes techniques à résoudre mais, qu'aucun de ces problèmes ne constituait un réel obstacle.

B - Le calendrier de réalisation du programme russe

1) La nécessité pour les russes de réaliser d'importants investissements

Pour juger de la réalisation du programme russe il est nécessaire de rappeler la nécessité devant laquelle se trouvent les russes de réaliser des investissements massifs dans le domaine énergétique.

Ils vont être confrontés à une crise énergétique: 30 % du parc thermique est en effet en fin de vie aussi en 2005 ne seront-ils plus en mesure de produire 60 000 MW d'électricité. Cette perspective pose la question de leurs exportations, la Russie craint d'être dans l'incapacité d'exporter car aujourd'hui, le surplus de la production électrique russe est de 20 000 MW mais la capacité réelle d'exportation se situe à 4 000 MW.

En outre le problème de connexion aux réseaux n'est pas réglé sauf si dans un proche avenir il existe des centrales dédiées à l'exportation.

Un obstacle majeur limite les perspectives de collaboration occidentale : les investissements occidentaux impliquent une rentabilité liée à un prix rémunérateur de l'électricité, effectivement payée par le consommateur, condition qui n'est pas toujours remplie.

En effet les actions de coopération rencontrent des limites : les principaux responsables russes soulignent souvent, ils l'ont dit à votre Rapporteur, que les propositions occidentales formulées dans le cadre de Tacis sont trop chères, ce qui conduit les occidentaux à rechercher des partenariats locaux complémentaires. Par exemple, EDF vient de signer un accord pour lancer des centrales thermiques russes, car il est possible de faire jouer la concurrence dans le domaine non nucléaire.

Les Russes essaient donc d'utiliser les programmes de coopération avec l'occident pour développer leurs capacités de production d'électricité, les programmes de reconversion du plutonium militaire n'échappent pas à cette règle.

2) L'échéancier

La première étape de l'accord russo-américain prévoit l'utilisation d'au moins deux tonnes de plutonium.

Cette étape doit débuter en 2007 et se poursuivre jusqu'à ce que tout le plutonium militaire soit transformé en combustible irradié standard. Les objectifs russes sont assez pragmatiques : d'ici cinq à sept ans 2 tonnes de plutonium par an doivent être brûlées après cinq tonnes de plutonium par an car l'accord prévoit également l'accélération de ce processus, en doublant les quantités de plutonium utilisées, afin que cette phase ne s'étende pas sur des dizaines d'années.

Aussi vers 2007 une tonne de plutonium devrait déjà être recyclée.

Mais, jusqu'au sommet de Gênes de juin 2001, nous ne disposons pas d'une bonne vision du financement4, de ce fait le début du travail industriel pourrait être repoussé (en particulier la construction de l'usine de fabrication de combustible MOX).

Aussi, votre Rapporteur souligne-t-il l'urgence qu'il y a à boucler le financement du programme russe car les usines de fabrication du combustible ne sont pas encore construites et le délai retenu apparaît aujourd'hui très tendu.

Après la signature et le bouclage du financement, les travaux industriels pourront commencer, l'ingénierie étant financée par les américains.

Dores et déjà les travaux préparatoires sont engagés. La Russie a commencé le recyclage du BN 600 pour qu'il puisse brûler le combustible MOX : ce travail va durer jusqu'en 2007.

Il existe une série de problèmes liés au démantèlement des ogives : il est nécessaire d'abord de les stocker puis, de transformer le plutonium sous forme d'oxyde préalablement à la fabrication du combustible5.

Les études nécessaires à la réalisation de cette phase sont engagées, les technologies liées au combustible MOX, les pastilles et les éléments combustibles sont gérés par l'Institut BODJVAR  qui est responsable de ces études, l'Institut KOURTCHATOV définit les spécifications de ces éléments ainsi que les conditions d'utilisation de ce combustible dans la zone active. L'institut NIAR, dans la région de la Volga, participe à ces études et met au point des méthodes nouvelles de production de combustible MOX.

Le groupe de travail franco-russe a défini le coût des travaux mais il est encore nécessaire de valider l'applicabilité des méthodes françaises de type melox, le coût et les travaux qui en découlent, car il est aujourd'hui assez probable que ces procédés seront mis en _uvre dans les usines KEMOX et DEMOX qui doivent être installées sur les sites de Krasnoïarsk et Tchéliabinsk.

Il est également prévu la fabrication de trois assemblages expérimentaux pilotes pour les réacteurs à eau pressurisée mais, il est encore nécessaire de réaliser des travaux d'études avant de pouvoir charger le tiers du c_ur en MOX.

D'autant que tous les problèmes techniques sont encore loin d'être résolus, par exemple M. PONOMARIOV-STEPNOÏ soulignait le 29 novembre 2000 que « la Russie a en effet une certaine expérience du combustible MOX, en particulier avec du combustible MOX produit à partir de plutonium militaire et avec des caractéristiques proches de celui-ci. Ce plutonium était utilisé dans des réacteurs du type BN mais il s'agit d'une expérience limitée ».

« S'agissant des réacteurs VVER, nous ne disposons que d'échantillons de MOX de laboratoires. Des essais ont été effectués mais ils ne peuvent servir de base pour le lancement d'une production industrielle. C'est la raison pour laquelle nous pensons aux technologies COGEMA afin de produire du MOX. Il ne s'agirait cependant pas d'une transposition mécanique des technologies COGEMA en Russie. Vous n'êtes pas sans savoir que certains revêtements ne s'adaptent pas à nos pastilles qui sont différentes en Russie. Voilà pourquoi il nous faut conduire des études en profondeur afin de pouvoir utiliser des pastilles COGEMA dans nos réfrigérants et dans nos assemblages... Néanmoins, ce procédé n'est pas simple. Je suis cependant optimiste ».

En effet, dans la mesure où la démarche retenue est une adaptation aux matériels russe de procédés français, validés et éprouvés industriellement, aucun des interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur n'a considéré qu'il existait des obstacles insurmontables.

C - L'expérience russe de production du MOX

Les recherches sur l'utilisation du plutonium comme combustible pour les réacteurs nucléaires ont débuté en Russie dès le début des années 50, cependant les recherches systématiques n'ont commencé qu'au début des années 70. La priorité avait alors été donnée à l'utilisation du plutonium dans les surgénérateurs.

Un article de Anatoli Diakov, professeur de physique à l'Institut de physique et de technologie de Moscou6, décrit de manière détaillée la situation et les perspectives de production du MOX en Russie, je m'en suis inspiré dans la description qui suit.

« Les premiers assemblages expérimentaux de combustible MOX destinés à l'alimentation des surgénérateurs de recherche BR-5 (BR-10) et BOR 60 ont été fabriqués dans les années 70 Des assemblages expérimentaux de MOX ont également été testés dans les surgénérateurs prototypes BN-350 et BN-600, qui d'ordinaire utilisent du combustible d'uranium hautement enrichi. Le tableau ci-dessous donne des chiffres sur les quantités de MOX fabriquées et chargées dans les réacteurs russes, pilotes et commerciaux. En tout, plus de 2000 crayons de combustible ont été fabriqués et testés dans les réacteurs BN-350 et BN-600. Ils avaient une teneur en matière fissile de 9 à 11 %.

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« Les recherches russes sur l'utilisation du plutonium dans les réacteurs à eau ordinaire (REO) ont commencé seulement récemment, dans le cadre du programme de l'évacuation du plutonium et du fait du manque de soutien financier de la part de l'État pour les surgénérateurs. jusqu'ici aucun essai n'a été mené dans les réacteurs commerciaux VVER-1000, bien que les recherches soient en cours sur l'utilisation du MOX dans ces réacteurs. Le but principal de ces recherches est d'utiliser du MOX dans les nouveaux réacteurs VVER-640 (ou NP-500). Une installation réservée à la démonstration a été mise en service pour générer des données à partir des essais et mettre sur pied un programme d'utilisation du MOX. On propose aussi que les recherches sur l'arrangement des crayons de combustible dans les assemblages de combustible uranium-plutonium pour les réacteurs VVER se fassent dans cette usine. Un programme de chargement d'un réacteur déjà en fonctionnement avec 100% de MOX est aussi en cours d'étude.

Les usines de fabrication de MOX en fonctionnement

« Deux usines pilotes pour la fabrication du MOX existent en Russie. Ce sont les usines Paket et Granat toutes les deux situées à Maïak (Tchelyabinsk 65). Ces deux usines sont conçues pour travailler avec du plutonium de qualité militaire, et pour produire du MOX pour les surgénérateurs. Leur capacité n'est pas importante, la production annuelle maximale de plutonium à l'usine Granat est de 50 kg (équivalent à une tonne de MOX) avec un maximum de 300 grammes de plutonium par chargement. La capacité annuelle de l'usine Paket est de 200 kg de plutonium, ou 30-36 assemblages de combustible correspondant à une tonne de MOX par an, avec une teneur en plutonium de 20%.

« L'usine Paket a été mise en service en 1980. A cette usine, les poudres d'oxyde d'uranium et de plutonium qui ont été produites séparément sont mécaniquement mélangées. Ensuite un liant est ajouté au mélange, et tout est à nouveau mélangé, granulé et compressé en pastilles de combustible. Après cela les pastilles sont séchées et frittées. Finalement, les pastilles sont testées et placées dans des colonnes, les colonnes sont placées dans des gaines, et les barres sont soudées et passent un contrôle. Après décontamination, les barres sont envoyées à l'usine Elektrostal, où sont fabriqués les assemblages de combustible. Les spécialistes russes pensent que l'usine Paket peut aussi être utilisée pour fabriquer des barres de combustible expérimentales avec du plutonium provenant des armes et qui pourraient être utilisées dans des réacteurs thermiques de recherche.

« L'usine de Granat, qui a été mise en service au début de 1988, est réservée à la fabrication de granules de MOX pour les surgénérateurs, avec du plutonium séparé du combustible irradié des surgénérateurs ou du plutonium militaire. La teneur en plutonium de ce MOX va jusqu'à 25%. L'usine Granat est à présent à l'arrêt pour raisons de sûreté.

« Cette installation est équipée de 14 boîtes à gants. La méthode de fabrication du MOX à Granat est basée sur la co-précipitation de l'uranium et du plutonium par des solutions d'acide nitrique. Les granules qui en résultent sont très secs et ne produisent presque pas de poussière quand ils sont manipulés. Ces granules sont ensuite dirigés vers l'usine de Paket pour être fabriqués en pastilles et barres.

« La construction du "Complex 300", conçu pour préparer des barres de combustible pour les surgénérateurs a débuté en 1984. La capacité annuelle de l'usine est de 30 tonnes de MOX. La construction a été stoppée en 1989 à cause de retards dans la construction des réacteurs BN-800. L'usine comprend une série de salles conçues pour recevoir une chaîne de production de fabrication des barres de combustible avec des granules de MOX. L'équipement de production est complet, mais il n'a pas encore été installé. Les techniques de fabrication du MOX au Complex 300 sont les mêmes que celles utilisées à l'usine Paket. Cependant, parce que le Complex 300 (contrairement à Paket), est aussi conçu pour travailler avec du plutonium de qualité réacteur, il est équipé de boîtes et manipulateurs blindés.

« L'arrêt de la construction a eu comme conséquence la détérioration du bâtiment et de l'équipement. D'une façon générale, les experts russes voient la reprise de la construction de l'usine d'un _il sceptique, puisque la conception de l'installation est moins sophistiquée que celle des usines de fabrication du MOX à l'Ouest.

« Il est peu probable que l'usine du Complex 300 soit utilisée pour fabriquer du MOX pour les réacteurs thermiques, puisqu'elle est conçue pour fabriquer des pastilles de combustible pour les surgénérateurs. Ces dernières diffèrent sur un certain nombre de points des pastilles pour réacteurs thermiques. De plus l'équipement de la chaîne n'est pas conçu pour la manipulation du plutonium militaire.

« A présent, la Russie travaille en proche collaboration avec l'Allemagne et la France pour développer une usine pilote de fabrication de MOX qui tirera profit de l'expérience et de la technologie de l'Ouest. Deux plans de construction sont retenus. Le premier est celui de l'installation "ToMOX 1300", spécifié dans le programme de collaboration Franco-Russe, AIDA-MOX pour convertir annuellement 1 300 kg de plutonium militaire en assemblages MOX. La capacité annuelle totale de l'usine serait de 30 tonnes de MOX. Une étude conjointe, germano-russe, propose une usine pilote d'une capacité annuelle d'une tonne de plutonium de qualité militaire correspondant à 10 tonnes de combustible pour les REO d'une teneur maximale de 15% de plutonium. Ces études préliminaires sont complétées et, à l'heure actuelle, les trois partenaires sont en train de négocier l'emplacement et le financement de l'usine. Le coût est estimé à $ 130 millions. Des études supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si cette usine pilote pourrait aussi être utilisée pour la fabrication du MOX pour les surgénérateurs avec une teneur en plutonium pouvant atteindre 45%. »

D - La volonté russe de promouvoir d'autres techniques

Le fait que ce programme soit d'abord conçu sous l'angle du désarmement ne saurait justifier aux yeux des russes le « gaspillage » du plutonium. Aussi la plupart de mes interlocuteurs russes ont-ils mis l'accent sur la nécessité de développer d'autres filières, en particulier celle des surgénérateurs.

Une partie des personnalités russes que j'ai rencontrées estime que la communauté internationale devrait mettre en place une politique mondiale visant à brûler les actinides. Pour eux, le sort de l'électronucléaire dans le monde n'est pas défini avec clarté : le débat subsiste entre les pays soutenant le cycle du combustible fermé et les USA qui soutiennent un cycle du combustible ouvert, de plus il existe des contradictions internes au sein des principaux pays, pour eux, en l'absence de concept international du devenir du plutonium, il faut étudier d'autres variantes de réacteurs nucléaires produisant moins de déchets et, par exemple, brûler du plutonium dans les HTR (réacteurs haute température), et, dans l'attente de l'arrivée de nouvelles filières de réacteurs, développer celles qui brûlent le mieux le plutonium, les surgénérateurs.

1) La filière des surgénérateurs

Actuellement il convient d'être extrêmement prudent dans nos analyses; les contraintes financières qui pèsent sur la Russie limitent les ambitions de ses dirigeants et il y a loin du discours à la réalisation.

Si la Russie a entrepris la construction de 3 réacteurs à neutrons rapides (conçus il y a quinze ans), rien ne bouge dans les faits pour le moment. Aussi est-il, malgré les discours officiels, encore difficile de parler de relance de l'industrie nucléaire en Russie.

Les réacteurs à neutrons rapides constituent aux yeux des russes la meilleure des solutions pour éliminer le plutonium. De fait est il est exact que le plutonium provenant du démantèlement des armes nucléaires chargé dans les réacteurs rapides peut être transformé en combustible exclusif d'un usage militaire.

Mais ces réacteurs sont en nombre insuffisant pour procéder dans un délai rapide à la destruction du plutonium. En outre, le prix peu élevé de l'uranium rend peu attractif cette option d'un point de vue économique, il serait en effet difficile vu le prix actuel relativement faible de l'uranium de rentabiliser les investissements considérables nécessaires.

Votre Rapporteur ne peut qu'être d'accord avec le représentant du Minatom lorsque ce dernier souligne le 29 novembre dernier « que faire du combustible irradié une fois qu'il sera passé dans un réacteur à eau légère, même si nous en détruisons 60 % et que sa composition isotopique a été modifiée ? Que se passera-t-il ? Nous l'enfouirons sous forme de déchet sous des formations géologiques. Que ferons-nous ensuite avec ce combustible irradié ?... La Russie cherche à savoir comment utiliser au mieux le plutonium dans les réacteurs rapides.

« Les réacteurs à neutrons rapides seraient peut-être plus efficaces et permettraient de résoudre à l'avenir la question des déchets ».

Le Gouvernement russe a adopté le concept de développement de l'énergie atomique qui intègre la construction de réacteurs à neutrons rapides. Dans cette perspective, il reprend à son compte les programmes anciens d'abord de réacteurs à eau sous pression avec la mise en route de cinq tranches dont la construction a commencé (ex Rostov commencé il y a dix ans est prête à 90%), mais également de surgénérateur avec le projet d'édifier à partir de 2020 un surgénérateur à refroidissement plomb bismuth.

Il faut toutefois être prudent car le bismuth et le polonium 210 sont des émetteurs alpha très puissants. Aujourd'hui pour des raisons sanitaires il est difficile de travailler avec le plomb-bismuth or, le plomb pur est très agressif chimiquement et sa densité forte conduit à des problèmes de pompage difficiles à résoudre du fait de sa température de fusion très élevée.

2) Les réacteurs à haute température

Les réacteurs HTR ne sont pas la priorité des russes mais ces derniers sont partie intégrante au consortium international qui travaille en ce sens7 .

Ce concept de nouveau réacteur qui sera examiné de manière approfondie dans le dernier chapitre de cette partie est soutenu aux USA par le Congrès américain qui, fait intéressant, a voté un budget pour ces travaux.

Toutefois, les responsables du Minatom que j'ai rencontré se montrent prudent devant ces nouveaux projets, y compris le projet de construction du réacteur à refroidisseur lourd plomb-bismuth, car les difficultés techniques demeurent grandes .

Ces deux projets de réacteurs non existants peuvent être utilisés pour la combustion du Pu, mais il n'existe pas de financement par exemple pour le BN 800 ou d'autres procédés comme les réacteurs à sels fondus (bien qu'il existe une veille technologique depuis leur abandon par les USA). Il n'existe pas en dehors du HTR de projets concrets, bien que les différents concepts que je viens d'évoquer soient réalistes.

Mais, l'avenir du projet HTR est loin d'être assuré car sa source essentielle de financement provient du budget octroyé par le Congrès des Etats-Unis. Peu important en niveau, il permet de maintenir ce projet en vie, en particulier au niveau des bancs d'essais. De même, des tests existent dans le cadre de contrats entre les russes et les Sud africains.

S'il existe une certaine animation autour du projet de réacteur à haute température, le développement réel -de type projet de construction d'un pilote est encore loin d'être finalisé.

E - Des inquiétudes demeurent

Nous examinerons à travers le chapitre VII les problèmes internationaux en suspens mais, des difficultés propres à la Russie demeurent.

1) Un impératif : accroître la place des autorités de sûreté

Votre Rapporteur a rencontré à Moscou les représentants de l'autorité de sûreté russe, M. Alexander M.DIMITIEV, Vice-président et M. Alexander  A.KHAMAZA, Chef du département des relations internationales, il s'est inquiété auprès de ses interlocuteurs de la situation faite à l'autorité de sûreté ; l'analyse qui suit est le reflet de son sentiment car j'ai interrogé au cours de mes entretiens la plupart de mes interlocuteurs sur cette question essentielle.

La première décision relative aux organes de contrôle de la sûreté nucléaire est intervenue en 1983 sous la pression d'un groupe de scientifiques qui considérait leur mise en place comme une nécessité et de l'occident (en particulier de l'AIEA).

Aujourd'hui, la situation de cette autorité est toujours en équilibre. Des lobbies veulent restreindre son champ d'investigation et surtout le domaine militaire échappe à son action. De ce fait, elle a du mal à intervenir sur des problèmes pourtant essentiels, par exemple le démantèlement des sous-marins et la gestion des stocks de plutonium d'origine militaire.

A l'heure actuelle, il n'existe pas de base réglementaire pour gérer le processus d'extraction du plutonium des ogives et la fabrication industrielle du MOX pose des problèmes tels que le comportement des gaines en zirconium. Le MOX produit à partir du plutonium militaire n'a jamais été utilisé en Russie sur une grande échelle et l'autorité de sûreté doit travailler activement sur ce problème.

L'absence de documents réglementaires, a conduit à la création d'un groupe de travail dédié à la réglementation du MOX avec les experts américains. En effet, les autorités russes dans ces domaines de reconversion du plutonium ne disposent pas de normes de référence, ce qui inquiète particulièrement certains des responsables de la NRC américaine8.

Aux yeux des autorités de sûreté russe, la France est un pays exemplaire pour l'utilisation du MOX mais il existe des particularités du plutonium de qualité militaire (différence de composition isotopique), qui rendent difficile la transposition de la réglementation française. D'autre part, il existe des procédés d'élaboration et des traditions industrielles russes.

L'exemple des difficultés de l'autorité de sûreté avec le problème de la détention du plutonium par les instituts de recherche est particulièrement édifiant. Pour obtenir la licence d'utilisation du Pu, la demande doit être faite par l'exploitant. Il est nécessaire de déposer une demande à chaque étape et, même un institut d'ingénierie doit disposer de la licence pour détenir du plutonium et présenter les documents appropriés. Or, la situation plutonium en Russie est très curieuse : un institut peut travailler sur le plutonium dans une ville, de ce fait du plutonium (2 à 3 kg ?) se trouve en permanence à Moscou.

Or, il est apparu à votre Rapporteur9 que l'autorité de sûreté avait beaucoup de mal à faire admettre l'idée qu'il n'est pas possible de travailler avec des matières dangereuses en ville.

Ce n'est qu'un exemple mais il illustre la nécessité de conforter l'autorité de sûreté.

2) La préservation des compétences

Mes interlocuteurs russes ont beaucoup insisté sur la nécessité de préserver les compétences dans le domaine nucléaire en reprenant une analyse que j'avais déjà développée dans mon rapport de 1998 consacré au réacteur franco-allemand EPR, à savoir qu'en l'absence de projet mobilisateur il est difficile de préparer la relève des générations et de maintenir les compétences dans des domaines liés à la haute technologie.

Or, il est exact qu'aux USA, en France et en Russie bon nombre des spécialistes des armes vont prendre leur retraite au moment où la moitié des ogives arrivent en fin de vie.

D'où l'intérêt manifesté par les responsables des centres de recherche pour le projet ITER (fusion nucléaire) dont la réalisation aiderait à maintenir les connaissances des générations futures. Le facteur humain demeure la base principale de la sûreté et l'entraînement du personnel est primordial.

3) La Russie, centre mondial du stockage des déchets nucléaires ?

Il existe des projets très avancés aujourd'hui de création de centres de stockage de déchets en Russie ; il semble que les sites de Krasnoïarsk et Mayak aient fait l'objet d'études par les autorités russes pour accueillir du combustible étranger mais une loi interdit l'importation du combustible nucléaire, aussi un projet de loi est il en cours de discussion car la législation russe interdit aujourd'hui l'importation de déchets.

Actuellement la procédure est ajournée sine-die sous la pression des organisations écologistes russes qui seraient, semble-t-il en mesure de recueillir le million de signatures nécessaire pour l'organisation d'un référendum, procédure autorisée par la nouvelle Constitution Russe.

Votre Rapporteur ne traitera pas cet aspect de la politique russe qui fait l'objet d'un rapport de son collègue Christian Bataille dans le cadre de l'Office parlementaire mais, il redoute que les occidentaux ne cèdent à la tentation de la facilité le jour où la Russie leur proposera d'entreposer leurs déchets radioactifs. Il y va de la responsabilité des générations actuelles de dégager des solutions pérennes pour que chaque pays traite le problème de ses déchets radioactifs à vie longue.

Votre Rapporteur ne pense pas que l'on puisse résoudre ce problème par la création de centres internationaux destinés à stocker du combustible irradié dans des pays qui les accepterait pour des raisons financières.

4) Politique russe ou politique soviétique ?

Il serait rationnel pour hâter l'élimination du plutonium de proposer aux pays de l'ex bloc de l'est doté de réacteurs de conceptions soviétiques, en particulier ukrainiens de brûler ce dernier.

Toutefois la mise en _uvre de cette politique se heurterait au désir de beaucoup de ces pays, dont l'indépendance est récente, de ne pas dépendre trop exclusivement de la Russie pour leur approvisionnement énergétique.

1 Rencontre du 11 juillet 2000 à Moscou

2 Audition de l'OPECST le 29 novembre 2000

3 Audition de l'OPECST du 29/11/2000

4 cf. chapitre V

5 cf. Chapitre II

6 Revue énergie et sécurité n°3 1998

7 cf. Chapitre VIII

8 cf Chapitre III

9 lors des contacts qu'il a eu à Moscou en juillet 2000