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le 29 janvier 2001

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N° 2877

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 janvier 2001

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES (1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (N° 2817) DE M. FRANÇOIS GUILLAUME sur la proposition de règlement du Conseil portant organisation des marchés dans le secteur du sucre (COM [2000] 604 final/E 1585),

PAR M. JEAN-CLAUDE DANIEL,

Député.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Agriculture.

La Commission de la production et des échanges est composée de : M. André Lajoinie, président ; M. Jean-Paul Charié, M. Jean-Pierre Defontaine, M. Pierre Ducout, M. Jean Proriol, vice-présidents ; M. Christian Jacob, M. Pierre Micaux, M. Daniel Paul, M. Patrick Rimbert, secrétaires ; M. Jean-Pierre Abelin, M. Yvon Abiven, M. Jean-Claude Abrioux, M. Stéphane Alaize, M. Damien Alary, M. André Angot, M. François Asensi, M. Jean-Marie Aubron, M. Pierre Aubry, M. Jean Auclair, M. Jean-Pierre Balduyck, M. Jacques Bascou, Mme Sylvia Bassot, M. Christian Bataille, M. Jean Besson, M. Gilbert Biessy, M. Claude Billard, M. Claude Birraux, M. Jean-Marie Bockel, M. Jean-Claude Bois, M. Daniel Boisserie, M. Maxime Bono, M. Franck Borotra, M. Christian Bourquin, M. Patrick Braouezec, M. François Brottes, M. Vincent Burroni, M. Alain Cacheux, M. Dominique Caillaud, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Jean Charroppin, M. Philippe Chaulet, M. Jean-Claude Chazal, M. Daniel Chevallier, M. Gilles Cocquempot, M. Pierre Cohen, M. Alain Cousin, M. Yves Coussain, M. Jean-Michel Couve, M. Jean-Claude Daniel, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Philippe Decaudin, Mme Monique Denise, M. Léonce Deprez, M. Jacques Desallangre, M. Éric Doligé, M. François Dosé, M. Marc Dumoulin, M. Dominique Dupilet, M. Philippe Duron, M. Jean-Claude Étienne, M. Alain Fabre-Pujol, M. Albert Facon, M. Alain Ferry, M. Jean-Jacques Filleul, M. Jacques Fleury, M. Nicolas Forissier, M. Jean-Louis Fousseret, M. Roland Francisci, M. Claude Gaillard, M. Robert Galley, M. Claude Gatignol, M. André Godin, M. Alain Gouriou, M. Michel Grégoire, M. Hubert Grimault, M. Lucien Guichon, M. Gérard Hamel, M. Patrick Herr, M. Francis Hillmeyer, M. Élie Hoarau, M. Robert Honde, M. Claude Jacquot, Mme Janine Jambu, M. Aimé Kergueris, M. Jean Launay, Mme Jacqueline Lazard, M. Thierry Lazaro, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Patrick Lemasle, M. Jean-Claude Lemoine, M. Jacques Le Nay, M. Jean-Claude Lenoir, M. Arnaud Lepercq, M. René Leroux, M. Jean-Claude Leroy, M. Roger Lestas, M. Félix Leyzour, M. Guy Malandain, M. Jean-Michel Marchand, M. Daniel Marcovitch, M. Didier Marie, M. Alain Marleix, M. Daniel Marsin, M. Philippe Martin, M. Jacques Masdeu-Arus, M. Marius Masse, M. Roger Meï, M. Roland Metzinger, M. Yvon Montané, M. Gabriel Montcharmont, M. Jean-Marie Morisset, M. Bernard Nayral, M. Jean-Marc Nudant, M. Jean-Paul Nunzi, M. Patrick Ollier, M. Joseph Parrenin, M. Paul Patriarche, M. Germinal Peiro, M. Jacques Pélissard, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, Mme Geneviève Perrin-Gaillard, M. François Perrot, Mme Annette Peulvast-Bergeal, M. Serge Poignant, M. Bernard Pons, M. Jacques Rebillard, M. Jean-Luc Reitzer, M. Gérard Revol, Mme Marie-Line Reynaud, M. Jean Rigaud, M. Jean Roatta, M. Jean-Claude Robert, M. André Santini, M. Joël Sarlot, Mme Odile Saugues, M. François Sauvadet, M. Jean-Claude Thomas, M. Léon Vachet, M. Daniel Vachez, M. François Vannson, M. Michel Vergnier, M. Gérard Voisin, M. Roland Vuillaume.

INTRODUCTION 5

I.- LES ÉLÉMENTS CARACTÉRISTIQUES DE L'ORGANISATION COMMUNE DE  MARCHÉ DU SUCRE 7

A.- UN MÉCANISME DE RÉGULATION DU MARCHÉ ORIGINAL 7

1. Le cadre réglementaire 7

2. Les spécificités de l'OCM sucre par rapport aux autres organisations de marché 8

B.- LE BILAN DE FONCTIONNEMENT DE L'OCM SUCRE EST LARGEMENT POSITIF 11

1. Les réussites de l'OCM 11

2. Les critiques adressées l'OCM 12

II. - UN PROJET DE RÉFORME PRÉMATURÉ 15

A.- PRÉSENTATION DU PROJET DE RÉFORME DE LA COMMISSION EUROPÉENNE 15

1. Retards dans la procédure d'adoption d'un prochain règlement sur l'OCM sucre 15

2. Le projet de règlement de la Commission 16

B.- UNE RÉFORME PRÉMATURÉE COMPORTANT DES MESURES TRANSITOIRES QUI REMETTENT PROFONDÉMENT EN CAUSE LES MÉCANISMES RÉGULATEURS DU MARCHÉ DU SUCRE 17

1. L'OCM n'a pas à être réformée dans l'immédiat 17

2. Les risques de déstabilisation du marché résultant des mesures transitoires 19

a) Les risques d'une suppression du système de péréquation des frais de stockage 19

b) Les conséquences pour les DOM de la suppression de l'indexation de l'aide au raffinage sur les cotisations de stockage 20

c) La remise en cause du régime d'exonération applicable au sucre utilisé pour la fabrication de produits chimiques 21

C.- LES SOLUTIONS ALTERNATIVES À L'OCM ACTUELLE SEMBLENT TRÈS PRÉJUDICIABLES À LA STABILITÉ DE LA FILIÈRE SUCRIÈRE ET FORT ONÉREUSES POUR LE BUDGET COMMUNAUTAIRE 22

1. La remise en cause du régime des quotas 22

2. L'application au secteur du sucre du modèle de l'Agenda 2000 serait une option coûteuse et peu efficace 24

3. La Commission présente, dans le même temps, des projets de réforme contradictoires : l'OCM sucre et l'accès en franchise des produits des PMA sur le marché communautaire 24

III.- UNE NÉGOCIATION DÉLICATE ENTRE LA COMMISSION ET LES ÉTATS  MEMBRES DE L'UNION EUROPÉENNE 26

A.- LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE DE L'UNION EUROPÉENNE N'A PU OBTENIR UNE DÉCISION DÉFINITIVE SUR LA RÉFORME DE L'OCM 26

B.- LE MAINTIEN DES RÈGLES DE L'OCM ACTUELLE JUSQU'EN 2006 EST NÉCESSAIRE 28

EXAMEN EN COMMISSION 31

TEXTE DE LA PROPOSITION DE RESOLUTION ADOPTÉE

PAR LA COMMISSION 37

TABLEAU COMPARATIF 39

MESDAMES, MESSIEURS,

La commission de la production et des échanges est saisie d'une proposition de résolution présentée par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne relative à la proposition de règlement du Conseil portant organisation des marchés dans le secteur du sucre (COM [2000] 604 final/E 1585).

La Commission européenne a présenté en effet le 4 octobre dernier un projet de réforme du règlement sucrier européen, le régime actuel de l'organisation commune de marché (OCM) n'étant applicable que jusqu'au 1er juillet 2001.

Mais au lieu de proposer la reconduction jusqu'en 2006 du système actuel de régulation du marché du sucre, la Commission propose une réforme de l'OCM en deux temps, une première série de modifications substantielles applicables dès le 1er juillet 2001 avec notamment la suppression des frais de stockage et des aides au raffinage pour les producteurs ainsi que la réduction des quotas de production. A compter de 2003, une réforme d'ensemble de l'OCM serait proposée à partir d'études d'impact approfondies mais il semble d'ores et déjà acquis que le système des quotas et des prix garantis sera remis en cause.

Ce régime transitoire applicable jusqu'en 2003, loin d'être un simple réaménagement technique de l'OCM, affecterait l'équilibre global de la filière sucrière et nuit gravement à la visibilité économique de ce secteur économique où la forte intensité des investissements suppose une stabilité à moyen terme des conditions de production pour permettre un amortissement des investissements.

La Commission européenne n'apporte aucune justification économique crédible pour modifier dans la précipitation les données de base de l'OCM et elle n'a d'ailleurs réalisé aucune étude d'impact préalable pour démontrer la nécessité de ce régime transitoire.

Des négociations à l'échelon européen sont en cours. Le 19 décembre 2000 une majorité qualifiée d'États membres a rejeté la proposition de la Commission européenne demandant la reconduction du régime actuel de l'OCM sucre jusqu'en 2006. Mais ce compromis politique reste fragile notamment en raison de la Présidence suédoise de l'Union européenne, la Suède étant clairement favorable à une libéralisation du marché du sucre. L'annonce d'une réforme profonde de l'OCM sucre dès 2003 pourrait être « un ballon d'essai » en vue de réformes touchant d'autres aspects de la politique agricole commune.

Injustifiée sur le plan économique et précipitée pour des raisons largement inavouables, cette réforme de l'OCM sucre doit être fermement rejetée.

I.- LES ÉLÉMENTS CARACTÉRISTIQUES
DE L'ORGANISATION COMMUNE DE MARCHÉ DU SUCRE

A.- UN MÉCANISME DE RÉGULATION DU MARCHÉ ORIGINAL

1. Le cadre réglementaire

La filière sucrière est régie depuis 1968 par une organisation commune de marché. Depuis sa création cinq « règlements sucre » se sont succédé.

Le règlement actuel organise le marché pour les campagnes sucrières de 1995 à 2001 (règlement n° 1101/95 (CE) et a reconduit les principes fondateurs de l'OCM tout en intégrant les modifications rendues nécessaires par les engagements pris par l'Union européenne dans le cadre du GATT et en raison de l'entrée de nouveaux membres producteurs de sucre raffiné.

Cette organisation commune de marché a connu une extension de son champ d'application au cours du temps. Outre les betteraves à sucre, les cannes à sucre et le sucre qui en est issu l'OCM englobe tout à la fois les sous-produits (mélasses et pulpes) et d'autres produits directement substituables tel l'isoglucose (issu des céréales) et depuis le 1er juillet 1994 le sirop d'inuline (extrait de la chicorée).

Les principes fondamentaux de l'OCM sont les suivants :

·  Des prix institutionnels (prix fixés pour soutenir le marché communautaire) : un prix minimal que les producteurs de sucre doivent payer aux agriculteurs pour la betterave sucrière ou la canne à sucre, et un prix d'intervention auquel les organismes d'intervention achètent la totalité du sucre que leur proposent les producteurs communautaires. Fixés chaque année par le Conseil sur proposition de la Commission, ces prix sont restés gelés depuis 1985. Le mécanisme d'intervention n'a pas été utilisé depuis 1986, grâce à la possibilité d'adaptation annuelle des quotas de production.

·  Un régime d'échanges avec les pays tiers, comportant des droits à l'importation payés par les importateurs de sucre en provenance de pays tiers, et des restitutions à l'exportation payées aux exportateurs communautaires. Ce régime tient compte de la différence très importante entre les prix du sucre sur le marché communautaire et les prix sur le marché mondial. Des accords préférentiels ont été conclus avec les pays ACP et l'Inde.

·  Un contrôle de la production par le biais de quotas (fixés par pays et par entreprise) dans le cadre desquels les producteurs bénéficient de prix garantis. Les « quotas A » correspondent plus ou moins à la demande intérieure communautaire et les « quotas B » aux quantités pouvant être exportées avec restitution à l'exportation. Le sucre hors quotas, ou « sucre C », est le sucre produit en plus du total des quotas A et B ; il est exporté sans restitution. Les quotas peuvent être adaptés annuellement en tenant compte de la production, de la consommation, des stocks et des importations. Les exportations sous quotas sont de deux types :

- les exportations nettes (d'excédents de la production communautaire), donnant lieu à des restitutions financées grâce à un régime d'autofinancement, par le biais de cotisations (sous forme de prélèvements à la production) payées en totalité par l'ensemble des producteurs (agriculteurs et industrie sucrière) ;

- la réexportation, financée par le budget communautaire, de produits importés dans le cadre des accords préférentiels avec les pays ACP et l'Inde.

·  Le règlement de l'OCM énumère un certain nombre d'aspects de l'organisation des campagnes sucrières qui relèvent d'accords interprofes-sionnels entre agriculteurs et fabricants de sucre.

2. Les spécificités de l'OCM sucre par rapport aux autres organisations de marché

La première originalité de cette organisation de marché agricole est liée à l'attribution des quotas aux entreprises sucrières et non pas aux agriculteurs producteurs de betteraves ou de canne à sucre.

En effet, le règlement communautaire prévoit que les États membres attribuent les quotas A et B aux entreprises sucrières. Sur la base des quotas qui lui sont notifiés, l'entreprise attribue aux planteurs dans le cadre d'une « commission mixte d'usine » des droits de livraison de betterave. Les commissions mixtes d'usines, commissions composées paritairement de représentants des planteurs et de délégués de l'usine, sont créées auprès de chaque sucrerie. Leur mission est d'appliquer l'accord interprofessionnel en vigueur, en tenant éventuellement compte des conditions locales, et d'assurer l'approvisionnement de l'usine. Les réunions des commissions mixtes d'usines sont dirigées alternativement par un président planteur de betteraves et par un président fabricant. Les décisions sont prises avec l'accord des deux catégories professionnelles représentées au sein des commissions.

Pour la France, deux organismes parapublics sont chargés par l'État de mettre en _uvre la politique communautaire dans le secteur des sucres et de favoriser les relations entre les planteurs et les industriels.

Le Fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre (FIRS), établissement public à caractère industriel et commercial est chargé de préparer et d'exécuter les décisions gouvernementales et communautaires relatives à l'organisation du marché du sucre.

Son rôle de gestion est important car il exécute sur le territoire français les opérations qui comportent la mise en _uvre de ressources communautaires et achète notamment les sucres mis à l'intervention par les industriels français jusqu'à leur vente par adjudication, sur décision de l'Union européenne. Mais son conseil d'administration étant composé à parité de représentants de l'administration et des différentes professions de la filière (planteurs de betteraves et cannes, fabricants de sucre, distillateurs d'alcool), il est aussi un organe de concertation.

Le deuxième organisme, le Comité interprofessionnel des productions saccharifères (CIPS) fonctionne comme une association professionnelle de droit privé et représente les différents acteurs de la filière sucrière. Il a un rôle d'instance consultative pour éclairer les pouvoirs publics sur les problèmes de l'économie sucrière mais sa mission essentielle est d'élaborer des accords interprofessionnels liant producteurs agricoles et industriels sucriers et d'en assurer la mise en _uvre notamment en coordonnant les travaux des différentes commissions mixtes d'usines.

Enfin le CIPS joue un rôle important de coordination et d'orientation entre planteurs et fabricants en ce qui concerne la commercialisation des sucres hors quota. De nombreux aspects de la régulation de ce marché trouvent leur origine dans des accords professionnels et, malgré la forte concentration des industriels du sucre, les relations entre agriculteurs et producteurs sont assez équilibrées.

La deuxième caractéristique de cette organisation de marché est son autofinancement à l'exception du sucre importé des pays ACP et de l'Inde, à titre préférentiel, et réexporté vers les pays tiers avec le bénéfice de restitutions à l'exportation financées par le budget communautaire.

A la différence d'autres organisations communes des marchés, l'OCM sucre a pu perdurer pendant plus de trente ans sans dérive inflationniste pour le budget communautaire. En effet, les planteurs et les fabricants de sucre par le biais de cotisations à la production et de cotisations de stockage ont été en mesure d'autofinancer l'intégralité des dépenses de soutien du marché.

Les dépenses de restitutions liées aux exportations de sucre du quota sont financées intégralement par les producteurs au moyen de cotisations à la production perçues sur les sucres du quota et supportées par les fabricants de sucre et les planteurs de betteraves respectivement à hauteur de 40 % et 60 %.

Pour financer la charge à couvrir, il est perçu :

- une cotisation de base d'un maximum de 2 % du prix d'intervention sur la production A et B ;

- une cotisation additionnelle sur le quota B pouvant aller jusqu'à 37,5 % du prix d'intervention (règlement 1755/96 de la Commission) ;

- si le produit de ces deux cotisations n'est pas suffisant pour couvrir la charge d'exportation, les cotisations complémentaires, dont le niveau varie d'une campagne sur l'autre, sont appelées sur l'ensemble du sucre A et B et acquittées par les producteurs (industriels et planteurs) avant la fin de l'année suivant la période de production.

Le sucre est produit sur trois mois et commercialisé tout au long de l'année. Afin d'éviter la vente de tonnages excessifs pendant la campagne de fabrication, un système cotisation de stockage / prime de stockage a été instauré. En contrepartie du versement des cotisations de stockage à l'organisme d'intervention, les commerçants, fabricants ou raffineurs reçoivent chaque mois une prime pour chaque quintal de sucre stocké pendant le mois. Cette prime est destinée à couvrir les frais de financement du sucre stocké, le loyer d'entrepôt et l'assurance de la marchandise. Elle comprend deux éléments : un élément variable (taux d'intérêt) et un élément fixe (coût technique). Le montant de la cotisation de stockage et la prime correspondante sont fixés chaque année par le conseil des ministres, dans le cadre de la fixation annuelle des prix.

Ce système de péréquation des frais de stockage a permis de réguler l'écoulement de la production de sucre sur l'année et a permis d'éviter de recourir au mécanisme d'intervention, alors que la suppression de la prime de stockage inciterait les opérateurs à écouler toute leur production en début de campagne avec en conséquence une chute des prix qui obligerait à recourir à l'intervention pour obtenir un prix minimal garanti. Le remboursement des frais de stockage a donc permis un lissage du prix de vente du sucre sur l'année et évité la participation du budget communautaire.

B.- LE BILAN DE FONCTIONNEMENT DE L'OCM SUCRE EST LARGEMENT POSITIF

1. Les réussites de l'OCM

Dressant un bilan du régime actuel de l'OCM sucre, la Commission européenne, dans l'exposé des motifs de son projet de réforme souligne que l'organisation de marché « a rempli un grand nombre des objectifs qui lui avaient été assignés ». Parmi les aspects positifs, elle cite :

- l'approvisionnement régulier du marché intérieur avec un coût réduit pour le budget communautaire grâce au système professionnel d'autofinancement ;

- une garantie de revenu stable aux producteurs de betterave à sucre alors que les prix sur les marchés mondiaux connaissaient une extrême volatilité ;

- une flexibilité du régime des quotas qui a permis d'ajuster la production compte tenu des prix du marché mondial, de la consommation intérieure et des importations. Cette très forte capacité d'adaptation de l'OCM a permis d'éviter le recours au mécanisme d'intervention depuis 1986, ce qui est une performance remarquable alors que sur la même période le marché mondial a connu de fortes crises ;

- une contribution positive au développement des pays ACP et de l'Inde : ces pays sont autorisés à écouler sur le marché européen, sans payer de droit de douane et à un prix égal au prix d'intervention communautaire, des quantités importantes de sucre de canne (1 304 000 tonnes, soit l'essentiel de leurs exportations de sucre). Ces conditions ont été reconduites jusqu'en 2008 par le protocole sucre des accords de Cotonou. Ce régime d'importations préférentielles constitue un avantage financier considérable pour les pays ACP : il est un des éléments majeurs de l'aide qu'apporte l'Union européenne au développement de ces pays (environ un milliard d'euros par an). La stabilité des prix agricoles et la garantie d'un écoulement de leur production sont un moyen de permettre le développement économique des pays les plus pauvres de la planète.

Pour conclure sur ces aspects positifs de l'OCM, il convient de rappeler que l'Europe était déficitaire en sucre dans les années soixante et que la création de l'OCM lui a permis d'atteindre l'autosuffisance puis de devenir actuellement le troisième exportateur mondial.

2. Les critiques adressées l'OCM

Plusieurs critiques ont été faites à l'encontre de ces mécanismes de régulation du marché du sucre et notamment pour la Cour des comptes européenne ; elles justifieraient une réforme drastique de l'OCM afin de mettre en _uvre d'autres mesures de soutien plus conformes aux nouveaux principes de la politique agricole commune définies dans le cadre de l'Agenda 2000 (basculement d'un système de soutien des prix des produits vers un système de soutien des revenus des producteurs, nécessité de réduire le prix des produits agricoles pour les rendre plus compétitifs sur les marchés mondiaux) (1).

La première critique est relative au coût élevé du sucre sur le marché intérieur communautaire, le consommateur final supportant ainsi le coût des mesures de soutien aux producteurs et aux entreprises de transformation du sucre. En effet, en raison de l'écart entre les prix dans l'Union européenne et le marché mondial, de droits de douanes élevés et de la nécessité de limiter l'accès au marché communautaire en recourant à la clause spéciale de sauvegarde, le prix du sucre communautaire est trois fois supérieur à celui des cours mondiaux.

Cependant, l'impact du prix du sucre sur les consommateurs doit être fortement relativisé en tenant compte des réalités économiques suivantes :

- la dépense en sucre du consommateur européen représente 1,5 % des dépenses alimentaires alors que, dans des pays où il n'y a pas d'OCM, ce chiffre représente couramment 4 % ;

- 75 % du sucre consommé dans l'Union européenne est en fait acheté par les industries utilisatrices qui le transforment en produits sucrés ;

- le prix de détail des produits transformés sucrés n'est pas plus élevé dans les pays de l'Union européenne que dans d'autres pays du monde ; ainsi, une bouteille de boisson coca-cola coûte aussi cher en Australie, aux Etats-Unis, au Brésil ou en Argentine alors que le prix du sucre est sensiblement plus bas que dans l'Union européenne. De plus, la part du prix du sucre dans le prix des produits sucrés est négligeable par rapport aux coûts de marketing et de distribution ; elle ne constitue pas un élément qui détermine le prix de détail des produits ;

- le positionnement des marques des produits, et le degré de concentration de l'industrie agroalimentaire dans l'Union européenne est l'élément qui détermine le plus le prix de détail des produits sucrés.

Selon les diverses études économiques, notamment celles de l'université d'Exeter (Royaume Uni), une baisse des prix du sucre serait peu ou pas perceptible pour le consommateur. Les bénéficiaires seraient l'industrie utilisatrice de sucre et la distribution, qui verraient leurs marges augmenter sensiblement.

Il convient de plus de souligner que le cours mondial du sucre ne saurait constituer un indicateur économique valable susceptible d'orienter la politique communautaire du sucre.

La chute des cours du sucre au niveau mondial s'explique largement par la croissance spectaculaire des exportations du Brésil ces dernières années alors que les exportations de l'Union européenne ont été stables depuis une dizaine d'années (5 à 5,5 millions de tonnes).

A titre de comparaison, les prix du sucre aux Etats-Unis, au Canada ou en Australie correspondent au prix du marché mondial multiplié par 2,9. Aux Etats-Unis le prix d'intervention du sucre fixé pour la période 1996-2002 est similaire à celui fixé pour l'Union européenne.

L'approvisionnement en sucre au prix mondial aurait donc un effet marginal pour le consommateur final alors qu'il procurerait des gains substantiels pour les entreprises leaders de l'agroalimentaire telles que Coca Cola ou Mars.

Pour relativiser l'impact du prix du sucre, il est utile de garder en mémoire que sur 15 ans les prix réels du sucre ont baissé de 36 %, dans le cadre de l'Union européenne.

La deuxième critique porte sur l'absence de concurrence entre les acteurs de cette filière et sur l'opacité des données économiques permettant d'analyser la formation des coûts de production et de transformation du sucre.

Cette critique est évidemment relayée par les services de la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne qui estiment que le régime actuel favorise la formation de cartels et les abus de position dominante.

Sur ce point, il est indéniable, comme l'indique la Cour des comptes, que plus de la moitié des quotas de l'Union européenne est détenue par cinq entreprises seulement. De même, il est vrai que dans une dizaine d'États membres, la totalité des quotas nationaux est détenue par un ou deux fabricants. Dans deux affaires, des entreprises sucrières ont été condamnées pour abus de position dominante. Les services de la Commission ont d'ailleurs indiqué que d'autres plaintes étaient en cours d'examen.

La Cour des comptes européenne a aussi souligné que faute d'informations économiques suffisantes, la Commission européenne n'avait pas revu les composantes du prix d'intervention depuis plusieurs années.

Pour la partie la plus importante, celle qui concerne les coûts de transformation de la betterave en sucre blanc, la Commission ne possède que les données fournies par l'organisme qui défend les intérêts de l'industrie de transformation (le Comité européen des fabricants de sucre CEFS). Ces données ne sont pas suffisamment détaillées pour permettre une vérification des coûts de transformation.

Certains éléments des coûts de production ont subi des modifications considérables au fil des années. Les progrès dans les techniques de culture, par exemple, ont permis de prolonger la période de production dans certains pays, optimisant ainsi l'investissement en capital ; les taux d'intérêt ont chuté et une importante rationalisation a entraîné la fermeture de petites usines non rentables. Dans ses propositions de prix, la Commission n'a pas fait état de ces changements.

Ce défaut d'information, qui fait que les décideurs et les autres parties intéressées ont du mal à apprécier les éléments à la base des propositions de prix de la Commission, a été fortement critiqué par le Comité des consommateurs de la Commission (2) et par les utilisateurs industriels de sucre. Les utilisateurs industriels ont procédé à leur propre évaluation des coûts de transformation et sont arrivés à la conclusion que la marge actuelle incluse dans le prix d'intervention est trop élevée (3).

Cette opacité dans la formation des coûts a aussi eu pour conséquence de créer des distorsions de prix entre les principaux produits agricoles et une forte inégalité dans la progression des revenus entre agriculteurs.

Les revenus des producteurs betteraviers ont été affectés par des rendements croissants, résultant de la mécanisation et de la concentration ainsi que de l'utilisation d'herbicides, de pesticides, etc. plus efficaces. De plus, les prix d'autres cultures ont été sensiblement réduits depuis 1992. Le Comité des consommateurs de la Commission a déclaré que le prix du sucre « s'écarte de plus en plus de ceux des autres cultures arables » et qu'il faut s'efforcer de réduire les effets des distorsions commerciales qui caractérisent ce secteur ».

L'OCM sucre ne profite donc qu'à un nombre peu élevé d'exploitants agricoles mais elle leur garantit un revenu d'un niveau largement supérieur à celui des principales autres cultures.

Les critiques relatives au manque de concurrence dans la filière du sucre sont souvent justifiées notamment en raison de la très forte concentration des industriels, détenteurs des quotas et qui peuvent exercer une domination économique sur les planteurs. Le système des quotas a pu figer les situations et empêcher la venue sur le marché de nouveaux transformateurs ou planteurs. De plus, l'OCM a eu pour effet de protéger la production de sucre dans des régions qui n'y sont pas bien adaptées et qui, dans certains cas, ont dû bénéficier d'aides nationales à la production. Inversement, les régions les plus efficaces en termes de production n'ont pu obtenir un relèvement des quotas.

Mais si ces faiblesses sont incontestables, les solutions proposées pour y remédier par la Commission européenne comportent de réels dangers de déstabiliser le secteur du sucre et n'ont pas fait l'objet d'études d'impact suffisamment précises pour en mesurer toutes les implications.

II. - UN PROJET DE RÉFORME PRÉMATURÉ

A.- PRÉSENTATION DU PROJET DE RÉFORME DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

1. Retards dans la procédure d'adoption d'un prochain règlement sur l'OCM sucre

L'organisation actuelle de l'OCM sucre étant applicable jusqu'à la fin de la campagne sucrière 2000-2001, soit jusqu'au 30 juin 2001, son devenir aurait dû faire l'objet d'une décision du Conseil, le Parlement européen s'étant au préalable prononcé sur la nécessité de réformer les mécanismes de régulation du marché du sucre. Cette décision du Conseil aurait dû intervenir avant le 31 décembre 2000.

Cette négociation a pris du retard en raison de dissensions au sein même de la Commission et de l'opposition entre le Conseil des ministres et la Commission, le Parlement européen devant se prononcer sur le projet de réforme de la Commission le 12 février 2001.

2. Le projet de règlement de la Commission

Le 4 octobre 2000 la Commission a présenté le nouveau projet de règlement sur l'organisation commune du marché du sucre.

Cette proposition envisage de réformer l'OCM sucre en deux étapes. Elle propose de reconduire le régime des quotas, des prix garantis et le régime d'importation préférentielle pour deux campagnes seulement, soit jusqu'à la mi-2003, mais d'appliquer dès juillet 2001 des mesures transitoires qui constituent déjà une profonde remise en cause de l'OCM.

La réforme en profondeur des mécanismes de régulation du marché du sucre interviendrait en 2003 après la réalisation d'études d'impact approfondies sur les solutions alternatives envisagées et en tenant compte de l'évolution de la politique agricole commune, des nouvelles négociations de l'organisation mondiale du commerce concernant l'agriculture et de l'état d'avancement des négociations sur l'élargissement de l'Union.

Les mesures transitoires applicables dès juillet 2001 seraient les suivantes :

- le maintien des prix garantis inchangés pendant les deux prochaines campagnes ;

- réduction de 115 000 tonnes du niveau des quotas, ce qui correspond à 50 % de l'excédent structurel annuel autorisé à l'exportation dans les limites du GATT. Cette réduction s'appliquera de manière proportionnelle à tous les quotas nationaux selon le mécanisme défini dans la réglementation actuelle. Par ailleurs, la procédure de réduction annuelle des quotas, qui permet à la Communauté de se conformer à ses engagements envers l'OMC, continuera d'être appliquée avec la flexibilité rendue possible par les dispositions existantes ;

- suppression du remboursement des frais de stockage. Outre une économie de quelque 300 millions d'euros par an de dépenses du FEOGA, cela permettrait d'accroître la concurrence au profit du commerce, des industries utilisatrices de sucre et des consommateurs. La Commission propose par ailleurs de supprimer l'obligation de stock minimal destinée à faire face à une éventuelle situation de crise ;

- autofinancement à 100 % des restitutions à la production du sucre et de l'isoglucose utilisés par l'industrie chimique (actuellement, cette intervention n'est que partielle) ;

- le maintien du régime d'importation préférentielle fondé sur les obligations découlant de l'accord de Cotonou des 2 et 3 février 2000 avec les pays ACP et de l'accord du 15 juillet 1975 avec l'Inde, et visant en outre à assurer l'approvisionnement de raffineries de l'Union qui dépendent de l'importation de sucre brut de ces pays.

B.- UNE RÉFORME PRÉMATURÉE COMPORTANT DES MESURES TRANSITOIRES QUI REMETTENT PROFONDÉMENT EN CAUSE LES MÉCANISMES RÉGULATEURS DU MARCHÉ DU SUCRE

1. L'OCM n'a pas à être réformée dans l'immédiat

La Commission a justifié sa proposition de réforme en soulignant qu'elle visait à accroître la concurrence dans le secteur, à maintenir un prix raisonnable du sucre sur le marché communautaire et à simplifier la réglementation. Elle devrait permettre de faire face au défi de la surproduction sur un marché marqué par le niveau très bas des prix mondiaux en tenant compte de la stricte limitation des exportations avec restitutions dans le cadre des accords du GATT.

La Commission n'a pas donné d'explications pertinentes justifiant la nécessité d'une réforme globale en 2003 alors même que les études d'impact sur des solutions alternatives n'ont pas été menées. Il en est de même d'ailleurs pour les mesures transitoires applicables dès 2001, notamment celles concernant la suppression du remboursement des frais de stockage pour lesquelles le Comité économique et social européen a regretté qu'elles aient été décidées sans étude d'impact (avis du 30 novembre 2000 - CES 1423/2000).

En réalité la nécessité d'une réforme n'apparaît nullement, dans un contexte où l'OCM sucre a atteint ses objectifs, permettant la stabilité et la cohésion de la filière sans coût budgétaire, traversant les crises sur le marché mondial sans que soit mis en _uvre le mécanisme d'intervention, et impliquant de manière très étroite les filières canne à sucre dans les départements français d'outre-mer, ainsi que dans les pays ACP.

Une réforme ne pourrait qu'introduire des perturbations dans un équilibre global, qui s'est progressivement construit par la prise en compte d'intérêts multiples en trente années d'existence du régime.

Il est à noter en particulier que les dispositions visant au respect par l'Union européenne des engagements qu'elle a souscrits dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sont intégrées dans l'OCM via un mécanisme automatique de réduction de quota. Ce mécanisme vient d'ailleurs de jouer pour la première fois en vue de satisfaire les contraintes à l'exportation pour la campagne 2000-2001 : la Commission a dû procéder à une réduction de quota de près de 498 000 tonnes dont 9 229,8 tonnes pour les DOM (règlement n° 2073/2000 du 29 septembre 2000).

Il convient de rappeler que les accords de Marrakech dans le cadre du GATT comportaient l'engagement pour le secteur sucrier de réduire les exportations avec restitutions de 21 % en volume et 36 % en valeur au cours des six campagnes de 1995/96 à 2000/01 et de réduire les tarifs à l'importation de 20 % au cours des mêmes six campagnes.

Le marché du sucre européen ne connaît pas de déséquilibre majeur, les stocks disponibles s'élevant à 1 million de tonnes environ, soit 10 % de la consommation ;

Le processus d'élargissement n'impose aucune adaptation particulière de l'OCM. En effet, l'industrie sucrière des PECO se développe sous l'impulsion des intérêts européens qui sont très présents. Des quotas pourront être sans problème attribués aux nouveaux Etats membres du fait de l'expérience acquise lors des précédents élargissements et du travail de préparation accompli par la Commission européenne. Ainsi, les compléments d'information demandés par celle-ci aux pays candidats, dans le cadre des négociations du chapitre agricole, permettront d'attribuer ces quotas sur une base solide, garantissant le respect des contraintes et engagements de l'OMC et la neutralité pour les actuels pays membres ;

Le cadre financier décidé à Berlin qui court jusqu'en 2006 a fixé pour six ans le cadre budgétaire de la PAC. Si les accords de Berlin prévoient d'ores et déjà une révision des OCM pour certaines cultures céréalières ou oléagineuses, le sucre n'a pas été visé par ces accords et même si le marché du sucre fait partie de secteurs qui feront l'objet en 2000-2003 d'expertises critiques, les nouveaux mécanismes de régulation ne seront applicables qu'après 2006 ;

Seules les négociations de l'OMC sur l'agriculture, qui devraient débuter à la fin de cette année, représentent une menace pour le maintien de l'OCM sucre actuel. La protection du marché communautaire n'étant assurée que grâce au recours à la clause de sauvegarde, sa remise en cause dans les prochaines négociations conduirait à une réforme du régime sucrier. Compte tenu de la complexité de ces négociations, il est peu probable qu'elles débouchent sur des mesures concrètes avant 2005-2006, ce qui permet à l'OCM d'être reconduit à l'identique pour une période de cinq ans.

Cette proposition de réforme est donc prématurée et la reconduction pour deux campagnes seulement du régime des quotas risque de pénaliser le secteur qui ne disposera plus de visibilité à moyen terme pour programmer les efforts de restructuration nécessaires. En effet, la culture de la betterave et ses transformations industrielles nécessitent des investissements lourds dont les amortissements sont d'autant plus longs que la campagne sucrière ne s'étend que sur quatre mois de l'année.

Cette absence de visibilité est encore accrue par l'adoption de mesures transitoires applicables dans moins de six mois qui remettent profondément en cause les mécanismes de régulation actuels.

2. Les risques de déstabilisation du marché résultant des mesures transitoires

a) Les risques d'une suppression du système de péréquation des frais de stockage

La suppression du système de péréquation des frais de stockage a pour objectif déclaré de générer des économies de l'ordre de 300 millions d'euros par an. Cependant, le système de stockage en vigueur depuis l'origine est neutre pour le budget communautaire.

En effet, si les frais de stockage du sucre sont avancés aux fabricants par voie d'un remboursement mensuel fixé annuellement par le Conseil, ceux-ci versent une cotisation fixée par la commission qui équilibre le système. L'économie générée pour les finances communautaires serait donc tout à fait transitoire (période durant laquelle les frais de stockage sont avancés aux industriels mais que ceux-ci remboursent collectivement par le biais des cotisations de stockage).

Par ailleurs, la suppression du système perturbera la trésorerie des industriels qui continueront à supporter les coûts de stockage ; elle aura également des conséquences négatives sur le marché (risques de mise à l'intervention coûteuse pour le FEOGA).

L'autre argument est d'ordre économique. Une partie de la production de sucre C hors quota peut être stockée et reportée pendant douze mois : considérée comme le sucre du quota pour la campagne suivante, elle bénéficie du remboursement des frais de stockage ; la Commission estime que ce système des reports a incité les opérateurs à développer leur production hors quota, ce qui était contraire à l'objectif initial. La suppression de la prime de stockage serait ainsi un moyen de mettre fin à ce système des reports, source non négligeable d'augmentation des excédents sucriers.

Mais en supprimant la possibilité de basculer du sucre produit d'une campagne sur l'autre, la Commission risque de rigidifier à l'excès le système : les producteurs devraient en début de campagne essayer de calculer au plus juste les superficies emblavées, se privant ainsi de toute marge de man_uvre en cas de fluctuation imprévue des rendements ou de variation des prix.

Par ailleurs, le système de péréquation des frais de stockage est un moyen de réguler l'écoulement de la production de sucre sur l'année : la suppression de cette prime inciterait les opérateurs à écouler toute leur production en début de campagne, ce qui entraînerait une chute des prix et obligerait à recourir à l'intervention dont le coût serait supporté par le budget communautaire.

La remise en cause de ce dispositif risque d'avoir un autre effet préjudiciable : alors que le remboursement des frais de stockage permet de lisser les prix de vente, ils deviendraient désormais variables au cours d'une campagne. Les grandes entreprises pourraient alors en profiter pour obtenir des baisses de prix au détriment des petits utilisateurs et des petits fabricants de sucre.

b) Les conséquences pour les DOM de la suppression de l'indexation de l'aide au raffinage sur les cotisations de stockage

Des aides sont actuellement versées aux raffineurs - situés dans quatre États membres (France, Royaume-Uni, Portugal et Finlande) - pour l'importation de sucre brut de canne en provenance des pays ACP et de l'Inde mais aussi des départements d'outre-mer français.

Ces aides permettent de garantir une marge suffisante aux industries concernées qui achètent leur sucre brut au prix d'intervention européen.

Mais la suppression du système de péréquation des frais de stockage proposée par la Commission aurait pour effet de faire disparaître parallèlement le mécanisme d'ajustement de l'aide au raffinage, qui est actuellement fonction de l'évolution des cotisations de stockage. Ceci fragiliserait les raffineurs et, par voie de conséquence, l'ensemble de la filière amont (fabricants de sucre brut dans les DOM et planteurs de canne à sucre).

L'aide spécifique au raffinage accordée aux industriels traitant du sucre en provenance des DOM est d'un montant non négligeable puisqu'elle représente 4,92 euros par quintal, alors que pour les importations de sucre ACP cette aide n'est que de 2,92 euros par quintal.

Cette aide spécifique au sucre des DOM vise à assurer une égalisation des conditions de prix entre le sucre DOM et le sucre préférentiel ACP et se justifie par les handicaps spécifiques des DOM notamment liés au relief accidenté qui limite les possibilités d'intensifier la mécanisation et d'améliorer la productivité.

Les conditions économiques actuelles ont déjà conduit l'État français à verser des aides économiques et des aides complémentaires à la production pour compléter les revenus des planteurs. De plus, grâce au règlement cadre agricole POSEIDOM, les départements d'outre-mer bénéficient d'aides communautaires visant à améliorer la productivité des cultures de canne, financées par le FEOGA.

Si les aides au raffinage sont supprimées, la survie de la filière sucrière dans les DOM exigera que des mesures compensatoires soient mises en place, la France ne pouvant accepter ni la remise en cause de cette filière qui représente 25 % des exportations des DOM et 30 000 emplois dont 22 000 emplois directs, ni de financer sur les seuls crédits nationaux des mesures compensatoires rendues nécessaires par une décision totalement injustifiée.

Je proposerai à la commission de la production et des échanges d'amender la proposition de résolution pour demander au gouvernement d'exiger des instances communautaires que des mesures compensatoires soient attribuées aux DOM sur les fonds communautaires si les aides au raffinage venaient à être supprimées en raison de la suppression de la péréquation des frais de stockage.

c) La remise en cause du régime d'exonération applicable au sucre utilisé pour la fabrication de produits chimiques

Le comité économique et social européen a contesté l'opportunité de cette mesure transitoire. Il rappelle en effet que sur le marché de l'industrie chimique, le sucre et l'amidon sont en concurrence. Or, les restitutions « amidon » à l'industrie chimique sont financées par le FEOGA dans leur totalité sans cotisation des producteurs, alors que les restitutions « sucre » à l'industrie chimique sont financées dans leur majeure partie par les cotisations des producteurs de betteraves, de canne et de sucre. Il considère donc légitime que les finances communautaires continuent à prendre à leur charge les restitutions à la production accordées à 60 000 tonnes de sucre utilisées dans l'industrie chimique.

Les mesures transitoires étant soit inutiles, soit néfastes à la stabilité du marché du sucre, la France a demandé à ce que l'OCM actuelle soit reconduite à l'identique pour cinq campagnes, soit jusqu'à la fin 2006.

C.- LES SOLUTIONS ALTERNATIVES À L'OCM ACTUELLE SEMBLENT TRÈS PRÉJUDICIABLES À LA STABILITÉ DE LA FILIÈRE SUCRIÈRE ET FORT ONÉREUSES POUR LE BUDGET COMMUNAUTAIRE

La proposition de règlement soumise à notre examen n'est qu'une première étape avant une réforme plus fondamentale du secteur du sucre en 2003. Si la Commission n'a pas indiqué le sens de cette réforme - puisque des études devront auparavant être réalisées sur la concurrence dans l'industrie alimentaire et sur l'impact d'une modification éventuelle du régime des quotas - il est acquis que les modifications qui seront alors proposées seront de grande ampleur.

Deux pistes de réflexion semblent être privilégiées :

1. La remise en cause du régime des quotas

Le régime des quotas est critiqué par certains services de la Commission - et par des commissaires - au point de faire figure de symbole des pratiques anticoncurrentielles qu'il faut combattre.

Une option radicale consisterait à supprimer le régime des quotas existant et à libéraliser l'organisation de marché : l'Union s'appro-visionnerait sur le marché mondial pour le plus grand bénéfice du consommateur qui profiterait de cours mondiaux plus bas tandis que les planteurs européens incapables de s'aligner se reconvertiraient dans d'autres activités.

Cette option est loin d'être marginale : elle semble avoir la faveur de pays tels que la Suède, le Danemark et a été suggérée par la Cour des comptes. Elle exprime les intérêts des multinationales qui souhaitent parvenir ainsi à une forte baisse des prix.

Cette solution radicale aurait pour principaux inconvénients de déstabiliser fortement les régions agricoles de l'Union européenne où la culture betteravière est importante et de faire perdre à l'Union européenne toute sécurité et régularité d'approvisionnement.

En s'approvisionnant sur le marché mondial, l'Union européenne provoquerait une remontée des cours internationaux qui se ferait à son détriment ; elle se mettrait en situation de dépendance vis-à-vis d'un marché alimenté irrégulièrement sous l'effet des « à-coups » nés de l'instabilité des prix.

Cette solution compromettrait aussi toute la politique d'aide au développement fondée sur les importations préférentielles des pays ACP.

L'Union européenne est ainsi le troisième importateur mondial de sucre. Elle importe chaque année plus de 1,6 millions de tonnes en provenance des pays ACP, dans le cadre du protocole sucre annexé à la convention UE/ACP. Ce protocole impose que le sucre soit acheté au prix européen, c'est-à-dire à un niveau de valorisation nettement supérieur à celui que les producteurs ACP pourraient trouver sur le marché mondial. De ce point de vue, et compte tenu de l'importance économique et sociale de la filière sucre dans ces pays, ceux-ci sont très attachés au maintien du régime sucre européen. Ils ne pourraient que demander compensation en cas d'affaiblissement de ce régime leur portant préjudice. Sur ce volet, une réforme de l'OCM sucre serait génératrice de dépenses budgétaires.

Il convient de souligner que l'importation à prix élevé d'une grande quantité de sucre en provenance des pays ACP, qui s'ajoute à la maîtrise de la production européenne par le système des quotas, contribue à la stabilisation du marché mondial. Une totale libéralisation du marché du sucre contribuerait à renforcer les mouvements erratiques des prix.

En réalité, loin de fausser la concurrence, le régime des quotas permet de préserver une certaine répartition des marchés physiques autorisant des approvisionnements de proximité dans toute l'Union européenne : en stabilisant les situations de marché, il favorise la présence de planteurs et de fabricants sur une large partie du territoire communautaire ; il permet ainsi de compenser la puissance des fabricants par l'organisation des producteurs.

La seule vraie alternative aux quotas serait la mise en place de relations contractuelles entre les fabricants et les producteurs de betteraves, encadrées par une organisation interprofessionnelle de toute la filière qui se substituerait à l'autorité des pouvoirs publics. Mais la Commission n'y semble guère favorable, assimilant ce type d'organisation à des ententes contraires à la libre concurrence.

Une autre option consisterait à maintenir le système des quotas mais à l'assouplir en autorisant la vente des droits à produire et en attribuant des quotas aux agriculteurs. A priori séduisante, cette approche ne semble pas adaptée. A la différence du lait ou des céréales, la betterave est un produit difficile à transporter dont la culture doit forcément se localiser près des usines de transformation. Un marché des quotas ne serait donc pas adapté à ce type de production agricole. De plus, la profession agricole y est hostile. Non sans raison, car ce système favoriserait les producteurs les plus aisés au détriment des jeunes et des petites structures.

Un régime totalement libéralisé aurait l'inconvénient d'éliminer les producteurs les moins efficients de l'Union européenne et de résumer l'espace de production des betteraves à sucre à la France, à l'Allemagne, et à quelques régions d'Italie, ce qui créerait de nouveaux problèmes de répartition équilibrée des espaces agricoles dans l'Union européenne.

2. L'application au secteur du sucre du modèle de l'Agenda 2000 serait une option coûteuse et peu efficace

Un autre scénario de réforme consisterait à appliquer à l'OCM « sucre » le schéma de l'Agenda 2000 : baisse des prix compensée par l'octroi d'aides directes aux agriculteurs.

Une telle piste serait d'abord coûteuse sur le plan budgétaire : la Commission estime elle-même dans l'exposé des motifs de sa proposition qu'une baisse des prix de 25 % compensée à hauteur de 50 % aurait pour effet d'augmenter les dépenses de 1 125 millions d'euros par an.

Elle serait par ailleurs d'un effet nul sur la consommation comme le montrent nombre d'études réalisées. Le sucre représentant en effet moins de 5 % du prix des produits alimentaires sucrés, une baisse du prix garanti du sucre en Europe n'aurait qu'une faible incidence sur les prix de détail : sa seule conséquence serait d'accroître la marge des industries utilisatrices du sucre et de la grande distribution sans bénéfice réel pour le consommateur final.

3. La Commission présente, dans le même temps, des projets de réforme contradictoires : l'OCM sucre et l'accès en franchise des produits des PMA sur le marché communautaire

L'Organisation mondiale du commerce (OMC) a arrêté en 1996 un plan d'action destiné à améliorer l'accès des pays en développement les moins avancés (PMA) aux marchés des pays industrialisés. Ce plan recommande notamment aux pays industrialisés d'octroyer aux produits originaires des PMA un accès en franchise de droits.

La Communauté a donné une première suite à ce plan en accordant à tous les pays les moins avancés les avantages commerciaux prévus dans la Convention de Lomé.

Par ailleurs, l'accord de Cotonou, qui a été conclu en juin dernier, prévoit que la Communauté permettra, au plus tard à la fin de l'année 2005, un accès en franchise de droits pour l'essentiel des produits originaires de l'ensemble des PMA.

La Commission propose d'aller au-delà de ces engagements en accordant, dès à présent, à tous les produits des PMA (exceptées les armes et les munitions) une franchise des droits de douane sans limitation quantitative (proposition de règlement doc 500 PC 051).

Cette proposition est généreuse dans son principe, mais on peut s'interroger sur la cohérence d'ensemble de la démarche de la Commission. En effet, pour trois productions agricoles - la banane, le riz et le sucre -, la suppression totale des droits de douane ne serait pas sans conséquence. Or, précisément, des réformes des organisations de marché sont en cours de discussion pour ces trois produits. Il ne paraît pas de bonne méthode de lancer ainsi, en parallèle, des réformes qui ont été préparées sur certaines bases, et une initiative commerciale qui pourrait modifier ces bases.

La Commission a annoncé qu'elle allait présenter une étude d'impact concernant les effets d'une libéralisation totale pour ces trois produits. Il paraît nécessaire d'attendre en tout état de cause les résultats de cette étude avant qu'une décision ne soit prise. Un certain souci d'affichage politique ne doit pas conduire à prendre à la hâte des décisions qui pourraient se révéler ingérables, d'autant que des risques de fraude à grande échelle ne peuvent être écartés.

D'après les éléments communiqués par les instances européennes, la Commission devrait adopter le 24 janvier 2001 une communication qui permettra d'évaluer l'impact pour les produits agricoles européens de cet accès en franchise de droits des produits des PMA.

Le projet de règlement présenté par la Commission prévoit déjà que, pour les produits sensibles tels que le riz, le sucre et la banane l'accès en franchise sera étalé sur une période de trois ans.

Les ministres de l'agriculture, lors du conseil du 19 décembre 2000 ont demandé une étude d'impact pour les produits agricoles car des dissensions ont été constatées au sein de la Commission entre la Direction générale du commerce et de l'agriculture, leur évaluation de l'impact du plan d'aide aux PMA étant très divergente. A titre d'exemple, la Direction générale de l'agriculture aurait estimé que l'ouverture du marché communautaire pourrait entraîner une arrivée de 2,7 millions de tonnes de sucre (soit 20 % de la consommation annuelle de l'Union européenne), ce qui représenterait un coût de 1 milliard d'euros au titre de la PAC. Pour la Direction générale du commerce les exportations de sucre seraient évaluées à 900 000 tonnes.

Ces profondes divergences d'appréciation soulignent la nécessité d'approfondir l'instruction de cette réforme qui ne peut être adoptée en l'état.

Lors de la réunion du collège des commissaires européens le 17 janvier 2001 Pascal Lamy a dû se résoudre à concéder que la Commission reporterait à 2006-2008 l'entrée en franchise sur les marchés européens des produits agricoles sensibles compte tenu de la difficulté d'apprécier les effets potentiels de cette décision sur l'agriculture européenne.

D'ores et déjà pour limiter l'effet de ce projet de règlement sur les produits agricoles sensibles des solutions sont envisagées notamment pour éviter des détournements de trafic.

La mesure la plus drastique serait de réintroduire un contingentement quantitatif évalué à partir de la production nationale ; une autre solution plus libérale serait de renforcer les contrôles et les procédures de règle d'origine afin d'éviter que des pays n'achètent à bas prix du sucre sur le marché mondial pour le revendre sur le marché communautaire. D'après les informations recueillies auprès du ministère de l'agriculture il semble très difficile d'instaurer des règles fiables de « traçabilité » sur l'origine réelle du sucre exporté vers l'Union européenne.

III.- UNE NÉGOCIATION DÉLICATE ENTRE LA COMMISSION ET LES ÉTATS MEMBRES DE L'UNION EUROPÉENNE

A.- LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE DE L'UNION EUROPÉENNE N'A PU OBTENIR UNE DÉCISION DÉFINITIVE SUR LA RÉFORME DE L'OCM

Adoptée le 4 octobre par le collège des commissaires, cette proposition de règlement a été transmise le 16 octobre au Conseil qui en a débattu en formation ministérielle et au niveau des experts.

Les débats ont fait apparaître que dix délégations sur quinze sont hostiles à la proposition de la Commission et favorables à la prorogation pour au moins cinq ou six ans du régime actuel. La France a adopté une position ferme demandant le rétablissement pour six ans du nouveau régime sucre ainsi que le maintien de la prime de stockage et contestant l'utilité de réduire le montant des quotas. Quatre États - le Danemark, la Suède, le Royaume-Uni et les Pays-Bas - sont favorables au texte de la Commission et à la prorogation pour deux ans seulement du régime des quotas. Leur souhait est de parvenir le plus tôt possible à une baisse des prix - compensée ou non - et à une libéralisation accrue du système.

Un pays, l'Italie, occupait une position intermédiaire. Il a rejoint dans un premier temps le groupe des quatre - au point de militer avec eux pour une réforme profonde de la PAC au sein du groupe CAPRI (« Common Agricultural Policy Reform Initiative ») - mais son attitude a changé car il a pu obtenir satisfaction sur deux demandes précises : maintien de la possibilité qui lui avait été accordée en 1995 de verser des aides nationales pour les industriels et agriculteurs du sud (à hauteur de 81 millions de francs) ; augmentation des quotas A (ou transfert de quotas B vers le quota A, l'Italie n'étant pas un pays exportateur).

Lors de la dernière réunion du conseil des ministres de l'agriculture sous présidence française le 19 décembre 2000, les pays membres ont donc trouvé un compromis rejetant la proposition de la Commission à la majorité qualifiée.

Le compromis est basé sur les éléments suivants :

- prorogation du régime actuel pour cinq campagnes (jusqu'à 2005/2006 inclus), assorti d'un rapport intermédiaire à présenter par la Commission fin 2003;

- maintien du système de péréquation des frais de stockage et donc, en conséquence, du dispositif des aides au raffinage, avec toutefois suppression de l'obligation de stock minimal ;

- non-baisse des quotas actuels et des besoins maximaux d'approvisionnement de l'industrie du raffinage ;

- pleine application du principe d'autofinancement au régime d'aide spéciale pour l'industrie chimique ;

- maintien des aides nationales au niveau atteint pour la campagne 2000/2001 pour le sud de l'Italie, pour l'Espagne en ce qui concerne la production de canne à sucre, et pour le Portugal dans sa région continentale.

Cet accord marque un progrès significatif sur le plan politique mais il n'a pas de valeur juridique car la décision du conseil des ministres ne peut être adoptée qu'après l'avis du Parlement européen. Celui-ci devrait intervenir au début du mois de février 2001.

De plus, à l'issue du conseil des ministres du 19 décembre, la Commission a maintenu son texte, ce qui signifie que la majorité qualifiée n'a pas suffit à lui faire retirer sa proposition. Selon l'article 250 du traité, il faut l'unanimité des délégations pour modifier une proposition de la Commission contre son avis.

Au plan politique, deux événements sont défavorables en ce début d'année 2001 : la Suède qui assure la présidence européenne est notoirement favorable à une remise en cause de l'OCM et l'Allemagne semble être sur le point de changer de position, sans doute en raison du changement politique intervenu à la tête du ministère de l'agriculture.

Ces nouveaux éléments soulignent bien l'incertitude du devenir des négociations mais il est certain que si le Parlement européen rejette clairement la position de la Commission, le compromis politique du 19 décembre a de fortes chances d'être mis en _uvre.

B.- LE MAINTIEN DES RÈGLES DE L'OCM ACTUELLE JUSQU'EN 2006 EST NÉCESSAIRE

A la différence du secteur céréalier et de la viande bovine, l'organisation du marché du sucre a fait de longue date les preuves de son bon fonctionnement. Rien n'impose dès maintenant une réforme de ses mécanismes de régulation : ni l'élargissement, ni les contraintes de l'OMC qui sont parfaitement intégrées dans le fonctionnement de l'organisation de marché, ni enfin le cadre budgétaire qui excède les besoins. Si la Commission souhaite, de manière plus ou moins explicite, remettre en cause l'OCM, ce n'est nullement pour des raisons budgétaires - puisque le régime est autofinancé - mais bien par dogmatisme pour préparer une réforme d'ensemble de la PAC d'inspiration libérale.

Or, l'OCM sucre repose sur un équilibre d'avantages et une imbrication d'intérêts (aides nationales pour l'Italie, soutien à l'exportation dont profite la France, aides au raffinage dont le Royaume-Uni est le principal bénéficiaire...) qu'il serait hasardeux de remettre en cause au risque de ruiner le système.

Toute réforme précipitée aurait le double inconvénient d'un « produit de remplacement » moins performant que l'existant et d'un affaiblissement de l'Union européenne pour entamer le nouveau cycle de négociations agricoles de l'OMC.

C'est pourquoi il convient de proroger le système de l'OCM sucre sur les bases du compromis politique du 19 décembre 2000 adopté par une majorité qualifiée d'États membres parmi lesquels figurent les trois plus gros producteurs de sucre européens.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 24 janvier 2001, la commission de la production et des échanges a examiné, sur le rapport de M. Jean-Claude Daniel, la proposition de résolution de M. François Guillaume (n° 2817), rapporteur de la délégation pour l'Union européenne, sur la proposition de règlement du Conseil portant organisation des marchés dans le secteur du sucre (COM [2000] final/n° E 1585).

Après avoir présenté son rapport, M. Jean-Claude Daniel a conclu, en soulignant qu'injustifiée sur le plan économique et précipitée pour des raisons largement inavouables, cette réforme de l'OCM sucre devait être fermement rejetée.

Il a ensuite tenu à attirer l'attention des membres de la commission sur les enjeux importants de cette réforme :

- cette proposition de réforme est prématurée alors que dans le même temps la Commission propose un accès en franchise sur le marché européen des produits des pays les moins avancés (PMA), notamment du sucre. Il ne peut être question de réformer l'OCM du sucre sans connaître au préalable l'impact économique que pourrait avoir pour la filière sucrière européenne l'arrivée sur le marché européen d'importations massives de sucre en provenance des PMA en franchise de tout droit de douane et sans contingentement ;

- les accords de Berlin relatifs à la politique agricole commune prévoyaient un maintien du dispositif actuel de régulation des marchés agricoles jusqu'en 2006 ; il ne paraît donc pas cohérent de modifier l'OCM sucre avant cette échéance ;

- la proposition de réforme proposée par la Commission européenne résulte d'un intense lobbying auprès des instances communautaires des multinationales de l'agroalimentaire qui réaliseraient des économies substantielles si le prix du sucre était libéré et s'alignait sur le cours mondial actuel ;

- pour le consommateur final une forte baisse de prix du sucre serait sans conséquence, le prix de détail des produits sucrés étant beaucoup plus déterminé par les coûts de marketing et de distribution que par le coût de la matière première ;

- l'OCM sucre actuelle est d'une importance primordiale pour la stabilité de l'économie des départements d'outre-mer et toute remise en cause de l'organisation actuelle supposera des mesures compensatoires pour les départements d'outre mer.

M. François Guillaume, usant de la faculté offerte par le premier alinéa de l'article 38 du Règlement, a approuvé les propos du rapporteur sur l'importance des enjeux nationaux, européens et mondiaux de la réforme de l'OCM sucre. Cette organisation du marché existe depuis 1967 à la satisfaction générale. Le système des quotas a conduit les producteurs à installer les plantations autour des usines de transformation, ce qui a permis de rationaliser la chaîne de production et développer économiquement des territoires.

Cependant, il a fait observer que les grandes entreprises agro-alimentaires internationales avaient intérêt à la suppression du système actuel d'organisation du marché pour pouvoir s'approvisionner en sucre au prix mondial, alors que le consommateur est peu sensible au bas niveau de ce cours mondial compte tenu de la faiblesse de la part du sucre dans le budget alimentaire des ménages. Ces prix mondiaux sont en fait des prix résultant de l'équilibre économique de marchés résiduels. S'aligner sur eux risquerait de conduire à des dérives productivistes comparables à celles que l'on constate dans le secteur des céréales et des oléagineux avec les organismes génétiquement modifiés.

M. François Guillaume a ensuite rappelé que la Commission européenne avait présenté une première proposition de règlement portant organisation des marchés dans le secteur du sucre, qui a été rejetée. La présidence française de l'Union européenne n'a pas pu parvenir à un accord sur la seconde proposition, dont l'Assemblée nationale est saisie, en raison des perturbations provoquées par le rejet de la première proposition. M. François Guillaume a exprimé des inquiétudes quant au devenir de ce texte sous la présidence suédoise.

Il a enfin commenté le dernier alinéa de la proposition de résolution adoptée par la Délégation pour l'Union européenne qui demande au Gouvernement de tenir compte de la volonté de l'Union européenne d'ouvrir son marché intérieur aux produits des pays les moins avancés. Il a jugé qu'il s'agissait là d'une idée généreuse mais qui résistait mal à l'analyse en raison des effets pervers qu'elle induisait. En effet, la Communauté européenne achète, au prix communautaire, 1,3 million de tonnes de sucre aux pays Afrique-Caraïbes-Pacifique, ce qui correspond à 10  % du volume de la production communautaire. Ce système a rendu florissante l'économie de l'île Maurice qui vend à la Communauté européenne 600 000 tonnes de sucre par an. L'ouverture de ce système aux pays les moins avancés, qui est demandée, risque d'avoir des retombées négatives sur les achats de la Communauté européenne dans les pays Afrique-Caraïbes-Pacifique. Ainsi, le Soudan, qui produit annuellement 700 000 tonnes de sucre, soit une quantité inférieure à sa consommation, sera tenté d'acheter au Brésil du sucre au prix mondial pour le réexporter vers la Communauté européenne en le présentant comme du sucre soudanais.

Rappelant que sur le marché de la banane, la Communauté européenne cherchait à éviter d'augmenter le contingent des bananes dollar, M. François Guillaume a fait valoir qu'elle devait adopter la même attitude pour le sucre. C'est pourquoi il aurait été préférable de ne pas citer les pays les moins avancés dans le dispositif de la proposition de résolution, mais d'évoquer le problème dans les considérants.

M. Léonce Deprez a jugé que l'OCM sucre était un système qui fonctionnait bien et permettait de vendre ce produit à un prix raisonnable. Evoquant le rapport spécial de la Cour des comptes sur ce sujet, il a estimé qu'il n'appartenait pas à cette instance de porter des appréciations de nature politique sur l'évolution de l'OCM sucre ; l'opportunité politique relève des seuls gouvernements et parlements et non de cours administratives ou de justice. Il a conclu que, selon lui, le système des quotas permettait d'avoir une organisation efficace du marché.

M. Pierre Micaux a fait un parallèle entre la négociation de l'OCM sucre et celle relative au marché de la banane. Il a jugé que, comme dans cette dernière, la Communauté européenne devait affronter les pressions américaines relayées par la Grande-Bretagne et qu'on pouvait se demander dans quel camp se trouvait réellement ce dernier pays.

Pour répondre à certains points évoqués par les précédents intervenants, M. Jean-Claude Daniel a tout d'abord indiqué qu'il partageait l'appréciation de M. François Guillaume sur la mention faite dans le dernier alinéa de la résolution sur l'ouverture du marché européen aux PMA.

Cette mention, qui résulte d'un amendement voté par la délégation pour l'Union européenne, attire l'attention sur l'importance de l'axe nord-sud mais elle pourrait être mal interprétée. Compte tenu de la complexité de cette question il n'a pas semblé possible d'amender le texte voté par la délégation et il a invité les membres de la commission à se référer à son rapport pour disposer d'une analyse sur la difficulté de concilier la reconduction de l'OCM sucre et l'ouverture aux importations de sucre des PMA sans droit de douane ni contingentement tarifaire.

Il a indiqué que, compte tenu de la difficulté à évaluer l'impact que pourrait avoir cette mesure en faveur des PMA pour les productions agricoles de l'Union européenne telles que la banane, le riz et le sucre, le commissaire européen Pascal Lamy avait annoncé le 17 janvier 2001 un report à 2006-2008 de l'entrée en franchise des produits agricoles sensibles, alors qu'initialement une période transitoire de trois ans seulement avait été envisagée pour ces trois produits.

Concernant le bon fonctionnement du système de l'OCM actuel souligné par M. Léonce Deprez, le rapporteur a tenu à nuancer cette appréciation. Certaines critiques justifiées ont été adressées à l'OCM notamment un manque de transparence de la formation des coûts qui a conduit à une fixation des prix garantis sans appréciation objective de l'évolution des conditions de production.

Il a aussi souligné les risques d'abus de position dominante, la moitié des quotas de l'Union européenne étant détenue par cinq producteurs de sucre.

Si l'OCM comporte des aspects contestables, ils ne justifient pas une réforme précipitée, de nouveaux mécanismes de régulation étant très complexes à définir et nécessitant des études d'impact préalables qui pourront être menées d'ici 2006.

Le rapporteur a conclu son intervention en insistant sur la nécessité de reconduire l'OCM actuel jusqu'en 2006 et a proposé d'amender le texte de la résolution pour souligner l'importance de la régulation du marché du sucre pour les départements d'outre mer.

La commission a ensuite procédé à l'examen de l'article unique de la proposition de résolution.

· Article unique

Après le sixième alinéa, la commission a adopté un amendement du rapporteur soulignant l'importance de l'OCM sucre, dans sa forme actuelle, pour l'économie des départements d'outre mer.

Après le onzième alinéa, la commission a adopté un amendement du rapporteur indiquant que toute modification de l'OCM sucre, dans sa forme actuelle, entraînerait des mesures compensatoires spécifiques aux départements d'outre-mer français, financées sur les fonds communautaires pour tenir compte des handicaps structurels de la filière de la canne à sucre dans ces départements.

Puis la commission a adopté la proposition de résolution ainsi modifiée.

*

* *

En conséquence, la commission de la production et des échanges vous demande d'adopter la proposition de résolution dont le texte suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

sur la proposition de règlement du Conseil portant organisation
des marchés dans le secteur du sucre

(COM [2000] 604 final / n° E 1585)

Article unique

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Conseil portant organisation des marchés dans le secteur du sucre (COM [2000] 604 final / n° E 1585),

Vu l'avis du Comité économique et social du 30 novembre 2000 en faveur d'une prorogation du règlement actuel jusqu'à l'échéance de 2006,

Considérant que l'Organisation commune de marché (OCM) du sucre permet un approvisionnement régulier du marché, sans coût pour le budget communautaire et dans des conditions de compatibilité avec les règles de l'OMC ;

Considérant que les pays Afrique - Caraïbes - Pacifique (ACP) - ainsi que l'Inde - bénéficient d'un accès préférentiel au marché communautaire qui doit être préservé ;

Considérant l'importance de l'OCM sucre, dans sa forme actuelle, pour l'économie des départements d'outre-mer ;

Considérant qu'une prorogation pour deux années seulement de l'OCM sucre constituerait un facteur d'incertitude pour les professionnels ;

Considérant que la suppression du système de péréquation des frais de stockage affecterait le fonctionnement de l'OCM sans permettre pour autant de réaliser les économies escomptées sur le budget communautaire ;

Considérant la nécessité de respecter l'accord intervenu lors du Conseil européen de Berlin, qui a déterminé le cadre budgétaire de la politique agricole commune (PAC) jusqu'en 2006 et prévu une clause de révision à mi-parcours limitée à quelques produits seulement (blé, oléagineux, lait) ;

Demande au Gouvernement :

- de s'opposer à la proposition de règlement portant organisation des marchés dans le secteur du sucre, dans le texte présenté par la Commission (document n° E 1585) ;

- d'affirmer que toute modification de l'OCM sucre dans sa forme actuelle entraînerait des mesures compensatoires spécifiques aux départements d'outre-mer français, financées sur les fonds communautaires, pour tenir compte des handicaps structurels de la filière de la canne à sucre dans ces départements ;

- d'obtenir la reconduction pour au moins cinq ans du régime actuel d'organisation du marché du sucre, y compris le maintien du système de péréquation des frais de stockage qui constitue un moyen efficace de réguler l'écoulement de la production ;

- de tenir compte, dans la future négociation, de la situation particulière des pays ACP et de la volonté de l'Union d'ouvrir les marchés mondiaux aux produits des Pays les moins avancés (PMA).

TABLEAU COMPARATIF

___

Texte de la proposition de résolution

(n° 2817)

___

Conclusions de la Commission

___

Article unique

Article unique

L'Assemblée nationale,

(Alinéa sans modification)

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

(Alinéa sans modification)

Vu la proposition de règlement du Conseil portant organisation des marchés dans le secteur du sucre (COM [2000] 604 final / n° E 1585),

(Alinéa sans modification)

Vu l'avis du Comité économique et social du 30 novembre 2000 en faveur d'une prorogation du règlement actuel jusqu'à l'échéance de 2006,

(Alinéa sans modification)

Considérant que l'Organisation commune de marché (OCM) du sucre permet un approvisionnement régulier du marché, sans coût pour le budget communautaire et dans des conditions de compatibilité avec les règles de l'OMC ;

(Alinéa sans modification)

Considérant que les pays Afrique - Caraïbes - Pacifique (ACP) - ainsi que l'Inde - bénéficient d'un accès préférentiel au marché communautaire qui doit être préservé ;

(Alinéa sans modification)

Considérant l'importance de l'OCM sucre, dans sa forme actuelle, pour l'économie des départements d'outre-mer ;

Considérant qu'une prorogation pour deux années seulement de l'OCM sucre constituerait un facteur d'incertitude pour les professionnels ;

(Alinéa sans modification)

Considérant que la suppression du système de péréquation des frais de stockage affecterait le fonctionnement de l'OCM sans permettre pour autant de réaliser les économies escomptées sur le budget communautaire ;

(Alinéa sans modification)

Considérant la nécessité de respecter l'accord intervenu lors du Conseil européen de Berlin, qui a déterminé le cadre budgétaire de la Politique agricole commune (PAC) jusqu'en 2006 et prévu une clause de révision à mi-parcours limitée à quelques produits seulement (blé, oléagineux, lait) ;

(Alinéa sans modification)

Demande au Gouvernement :

(Alinéa sans modification)

- de s'opposer à la proposition de règlement portant organisation des marchés dans le secteur du sucre, dans le texte présenté par la Commission (document n° E 1585) ;

(Alinéa sans modification)

- d'affirmer que toute modification de l'OCM sucre dans sa forme actuelle entraînerait des mesures compensatoires spécifiques aux départements d'outre-mer français, financées sur les fonds communautaires, pour tenir compte des handicaps structurels de la filière de la canne à sucre dans ces départements ;

- d'obtenir la reconduction pour au moins cinq ans du régime actuel d'organisation du marché du sucre, y compris le maintien du système de péréquation des frais de stockage qui constitue un moyen efficace de réguler l'écoulement de la production ;

(Alinéa sans modification)

- de tenir compte, dans la future négociation, de la situation particulière des pays ACP et de la volonté de l'Union d'ouvrir les marchés mondiaux aux produits des Pays les moins avancés (PMA).

(Alinéa sans modification)

2877 -Rapport de M. Jean-Claude Daniel sur la proposition de règlement du Conseil portant organisation des marchés dans le secteur du sucre (COM [2000] 604 final/E 1585) (commission de la production)

1 () Rapport spécial n° 20/2000 relatif à l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre - 26 octobre 2000.

2 () Opinion du Comité consommateurs sur la réforme de la politique agricole commune, Bruxelles, le 14 juin 1999.

3 () CIUS (Commitee of Industrial Users of Sugar), proposition relative à la réévaluation de la marge institutionnelle de production, 22 décembre 1998.