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Session ordinaire de 2000-2001 - 4ème jour de séance, 7ème séance

SÉANCE DU JEUDI 5 OCTOBRE 2000

PRÉSIDENCE de M. Yves COCHET

vice-président

Sommaire

          CONTRACEPTION D'URGENCE 2

          QUESTION PRÉALABLE 7

          ARTICLE UNIQUE 29

La séance est ouverte à neuf heures.

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      CONTRACEPTION D'URGENCE

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, de la proposition de loi de Mme Danielle Bousquet et plusieurs de ses collègues sur la contraception d'urgence.

Mme Hélène Mignon, rapporteuse de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Devant l'importance du nombre de grossesses chez les mineures -près de 10 000 par an, dont 6 700 aboutissent à une IVG.-, et parce que la pilule du lendemain Norlevo est efficace et sans contre-indication, vous en avez, Madame Royal, alors que vous étiez ministre déléguée à l'enseignement scolaire, autorisé, par la circulaire du 6 janvier 2000, la délivrance aux adolescentes en cas d'urgence et à titre exceptionnel. Les dispositions relatives à la distribution de cette pilule du lendemain par les infirmières scolaires, jugées contraires à la loi Neuwirth du 28 décembre 1967, ayant été annulées par le Conseil d'Etat le 30 juin 2000, l'adoption de cette proposition de loi donnera une base légale à la vente libre et à la délivrance du Norlevo, que les médecins scolaires prescrivent d'ailleurs déjà.

Ce texte comporte un article unique qui complète l'article L. 5134 du code de la santé et autorisera l'accès de toutes les femmes à la contraception d'urgence en pharmacie sans ordonnance, la prescription de la pilule du lendemain aux mineures par les médecins sans autorisation parentale et sa distribution par les infirmières scolaires.

Le Gouvernement a souhaité le rétablissement du droit à la contraception d'urgence, dans un communiqué conjoint de Mme Martine Aubry, M. Jack Lang, Mme Ségolène Royal et Mme Dominique Gillot, car il a considéré que son devoir est de protéger la santé des jeunes, plus encore quand une jeune fille doit affronter seule la détresse d'une grossesse non désirée.

Le droit à la contraception du lendemain est demandé tant par les deux syndicats d'infirmières scolaires qui regroupent plus de 80 % d'entre elles que par les médecins scolaires, la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public et le mouvement du planning familial, tous reconnaissant que les infirmières scolaires ont joué un rôle important entre janvier et juillet 2000.

Une enquête de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public a récemment montré qu'ils y sont favorables à 66 %.

Avec les représentants des lycéens, ils reconnaissent qu'il faut revoir l'éducation à la sexualité et à la contraception.

En France -il y a là un problème culturel-, les adolescents parlent rarement de ces questions avec leurs parents et les adultes en général. Les adolescentes peuvent être sous-informées. Tant les infirmières scolaires que les chefs d'établissement nous parlent de mauvaise utilisation d'une contraception normalement efficace et de quasi certitude pour beaucoup de ces adolescents que seuls les rapports répétés peuvent entraîner une grossesse. Tout est en place pour un rapport non protégé et ses graves conséquences.

Depuis 1992, les campagnes d'information ont été surtout orientées vers la prévention du sida au détriment de la contraception.

Si l'on peut saluer la campagne lancée en début d'année par le secrétariat d'Etat aux droits des femmes, il faut une pédagogie à long terme et un renforcement de la prévention. Tel est le but du plan d'éducation à la sexualité annoncé par le ministre de la famille et de l'éducation nationale.

Cette mallette « Bonheur d'aimer » ne doit pas être ridiculisée comme cela a malheureusement été le cas lors d'une émission télévisée.

Mais notre débat porte sur la pilule du lendemain.

Il ne suffit pas de constater qu'aux Pays-Bas, en Finlande, le nombre d'IVG a baissé grâce à la pilule du lendemain. Cette possibilité doit être aussi utilisée en France.

Le 1er alinéa de la proposition de loi autorise comme il est nécessaire la vente libre du Norlevo alors que la loi Neuwirth impose que les contraceptifs hormonaux soient délivrés en pharmacie sur prescription médicale.

Les pharmaciens acceptent généralement de délivrer la pilule du lendemain sans prescription médicale. Ils rappellent que cette contraception d'urgence est active au cours des 72 heures qui suivent le rapport non protégé, mais efficace à 99 % si elle est prise dans les 24 premières heures.

15 000 plaquettes environ ont été vendues d'avril 1999 à juin 2000, et aucune déclaration d'accident médical n'a été signalée.

En revanche, il faut éviter la confusion avec le Tetragymon qui présente des contre-indications.

Rappelons à cette occasion que le RU 486 ne figure pas sur la liste des contraceptifs.

Le premier alinéa déroge donc à la loi de 1967 disposant que les contraceptifs hormonaux ne peuvent être délivrés que sur prescription médicale.

Le second alinéa traite du cas des mineures et leur ouvre deux possibilités d'accès à la pilule du lendemain, sans consentement parental : la prescription médicale et la délivrance par des infirmières scolaires.

Les mineures pourront se voir prescrire la pilule du lendemain par tout médecin et sans autorisation parentale. Bien des médecins le font d'ailleurs déjà, au risque de poursuites.

Enfin, la proposition de loi rétablit le rôle des infirmières scolaires en matière de contraception d'urgence.

Leurs témoignages montrent que le caractère exceptionnel de la délivrance est bien respecté : 7 000 demandes environ, et 1 700 distributions. Les infirmières scolaires ont un rôle crucial d'éducation à la sexualité et à la contraception. Elles sont un chaînon indispensable entre la jeune fille et sa famille.

Malgré les 300 postes créés l'an dernier, tout le monde s'accorde sur la pénurie d'infirmières. Il y a en moyenne une infirmière scolaire pour 2 500 élèves. Chacune assure une présence dans plusieurs établissements et risque de ne pas se trouver dans les délais voulus dans l'établissement où est scolarisée la jeune fille demandeuse. L'augmentation des effectifs doit donc être une priorité du ministère de l'éducation nationale surtout en milieu rural.

En 2001 seront créés, nous dit-on, 50 emplois de médecins scolaires, 150 d'infirmières scolaires et 100 d'assistantes sociales, mais cela reste insuffisant. D'ici juin 2001, 850 infirmières seront formées et toute la profession le sera en 2003, en partenariat avec le planning familial.

L'information doit aussi être facilement accessible dans les établissements scolaires.

Il nous appartient de tout mettre en _uvre pour que les jeunes osent parler de leur sexualité, puissent devenir des adultes responsables, qu'ils soient filles ou garçons, et surtout choisir. Nous avons le droit de nous interroger sur le rôle des parents. Pourquoi une mineure aurait-elle besoin de l'autorisation parentale pour la contraception d'urgence, alors que celle qui dans quelques mois accouchera pourra abandonner son enfant sans cette autorisation. Je souhaite un accord large sur ce texte adopté par la commission car rien n'est plus triste pour une jeune fille que de débuter sa vie sexuelle par une IVG ou une maternité non désirée.

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteuse de la Délégation aux droits des femmes - Sur 20 000 grossesses d'adolescentes, 10 000 ne sont pas désirées et 6 700 aboutissent à une IVG. Dès l'année dernière, la circulaire de Mme Royal a donc autorisé la distribution de la pilule du lendemain par les infirmières scolaires, disposition qui a été annulée le 27 juin dernier par le Conseil d'Etat, qui n'en a cependant pas mis en cause le fond. Il faut, dans ces conditions, une nouvelle loi pour donner une base légale à la vente libre et à la délivrance en milieu scolaire du Norlevo. La Délégation aux droits des femmes, saisie de cette question, a tenu des réunions avec tous les partenaires concernés cet été. Elle a élaboré à partir de leurs observations des recommandations qui portent notamment sur l'application effective de la loi dès son adoption.

La présence d'infirmières dans les établissements scolaires est la première condition de la délivrance de la pilule du lendemain aux élèves. Or, avec seulement 6 100 emplois -ce qui limite le taux d'encadrement à une infirmière pour 2 020 élèves- il n'y en a pas dans tous les établissements où bien souvent, de surcroît, elles n'assurent qu'un service à temps partiel. Les créations d'emplois engagées ces dernières années devront donc être amplifiées. Il conviendrait également d'associer encore plus étroitement les médecins scolaires -eux aussi en nombre insuffisant- à la mise en place de la contraception d'urgence, d'autant que, conformément au code de déontologie médicale, ils sont habilités à intervenir en urgence.

Sur le plan pratique, comme l'ont suggéré les lycéens, les adresses des centres de planification familiale les plus proches et les coordonnées de l'infirmière rattachée devraient être affichées de manière très visible dans l'établissement. Il faudra ensuite, en amont, assurer une véritable éducation à la sexualité : l'enseignement dispensé en 4ème et 3ème ainsi qu'au lycée, souvent jugé trop théorique et trop scientifique, devra mieux correspondre aux attentes des adolescentes. Cet enseignement devra figurer dans la formation initiale et continue des enseignants, ainsi que celle des infirmières scolaires et des assistantes sociales. Les comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté qui ont remplacé en 1998 les comités d'environnement social pourraient intégrer dans leur bilan annuel celui de l'éducation à la sexualité et de la délivrance de la contraception d'urgence. Ils devraient également chercher une plus grande synergie avec les centres de planification familiale. Enfin, comme l'a recommandé l'Académie de médecine, il serait utile de mesurer d'ici deux à trois ans les effets de la délivrance de la pilule du lendemain sur la diminution du nombre de grossesses chez les adolescentes.

La Délégation aux droits des femmes se félicite du rétablissement prochain de la délivrance d'une contraception d'urgence dans les établissements scolaires et souhaite que ses recommandations soient largement suivies (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Je suis heureuse, au nom de l'ensemble du Gouvernement et en particulier de Dominique Gillot et Ségolène Royal mais aussi de Nicole Péry, aujourd'hui retenue à Strasbourg par la présidence française, de soutenir cette proposition de loi. Je remercie tout particulièrement la Délégation aux droits des femmes et sa présidente d'avoir pris aussi rapidement l'initiative de ce texte, le président de la commission des affaires sociales et les deux rapporteuses.

Cette proposition de loi répond à l'annulation par le Conseil d'Etat le 30 juin dernier du protocole mis en place par Ségolène Royal alors qu'elle était ministre déléguée à l'enseignement scolaire, lequel organisait la délivrance en cas d'urgence du Norlevo par les infirmières en milieu scolaire. Elle donnera, au-delà, une base légale à la délivrance sans prescription médicale du Norlevo en pharmacie.

Si ce texte répond à une urgence, il s'inscrit également dans le cadre plus large de la politique menée par ce Gouvernement pour améliorer les droits des femmes. Je pense ici aux textes sur la parité, sur l'égalité professionnelle, ou bien encore aux dispositifs mis en place pour lutter contre la prostitution et les violences faites aux femmes. Une grande enquête nationale sur ce dernier sujet est d'ailleurs en cours.

Il m'a toujours semblé que les questions relatives aux droits des femmes transcendaient en quelque sorte les clivages politiques. Lors de la naissance du MLF, les femmes aimaient à dire que le féminisme était en soi politique, que donc la politique doit se reconnaître dans le combat des femmes. C'est sans doute pourquoi beaucoup de femmes quittèrent, dans l'après-mai 68, les partis traditionnels qu'elles jugeaient trop machistes. Je me souviens du combat de Gisèle Halimi aux côtés de la jeune Marie-Claire, des débats sur l'avortement ici même au cours desquels Mme Veil dut supporter des propos particulièrement choquants. Dois-je rappeler que le texte qu'elle défendait, qui a marqué l'histoire de notre République, fut adopté grâce à une inhabituelle alliance entre moins d'un tiers des députés de la majorité, la moitié des centristes et la quasi-totalité des socialistes, des communistes et des radicaux de gauche ? Depuis les réunions du MLF aux Beaux-Arts, le meeting de Choisy, le procès de Bobigny ou d'Aix, les CADAC ou encore récemment la création de l'association Les Chiennes de garde, beaucoup de femmes refusent d'appartenir à un parti traditionnel, s'engageant d'abord en tant que femmes. C'est pourquoi je souhaite qu'à l'occasion de la présente proposition de loi comme du texte qui vous sera soumis fin novembre concernant l'avortement, nous débattions d'abord des droits des femmes qui ne sont jamais garantis.

Les problèmes que nous évoquons aujourd'hui concernent essentiellement des femmes très jeunes, souvent en difficulté. Comme l'a souligné Marie-Françoise Clergeau, débuter sa vie sexuelle par une IVG constitue un grave traumatisme. Mette un enfant au monde est une décision trop importante pour une femme pour que chacun d'entre nous ne soit pas intimement convaincu de la nécessité d'éviter à nos filles la survenue d'une grossesse non désirée, qui peut dans certains cas conduire à un drame humain. Les jeunes générations ont souvent confondu contraception et préservatif, ce qui les expose à un risque particulier de grossesses non désirées : on en a recensé 10 000 l'an passé, dont 7 000 ont abouti à une IVG. Le taux de recours à l'IVG chez les 15-18 ans est d'ailleurs passé de 6 0/00 à 7 0/00 entre 1995 et 1997. On ne peut s'en satisfaire et il faut donc tout faire pour améliorer l'accès des femmes à la contraception. Je ne reviens pas sur la vaste campagne que nous avons lancée, non plus que sur les multiples actions menées en parallèle auprès des femmes des quartiers en difficulté ou vivant en zone rurale, des détenues ou des femmes du voyage. L'effort doit être poursuivi avec un seul slogan : « la contraception, à vous de choisir la vôtre », car en ce domaine, il importe de garantir la liberté de choix des femmes. Nous continuerons donc de mener des campagnes régulières en faveur de la contraception, notamment pour y sensibiliser les jeunes filles.

Nous souhaitons également faciliter l'accès de toutes les femmes à l'ensemble des contraceptifs. Nous avons déployé beaucoup d'efforts pour inciter les laboratoires à mettre sur le marché les premières pilules du lendemain, le Tetragymon et le Norlevo. Comme vous le savez, j'ai dû batailler fermement avec le fabricant du Norlevo qui avait profité de la publicité indirecte que lui a procuré l'arrêt du Conseil d'Etat pour augmenter de 20 % le prix de sa pilule : en 48 heures, il est revenu au prix initial, il faut s'en féliciter. La législation en vigueur aurait quoi qu'il en soit permis d'aboutir au but recherché : en effet, l'ordonnance du 1er décembre 1986 permet de fixer par voie réglementaire le prix des produits en situation de monopole, ce qui est bien le cas du Norlevo. Le Gouvernement n'hésiterait pas à appliquer cette réglementation s'il devait y avoir une nouvelle hausse des prix. De même, jusqu'à il y a peu, le recours au stérilet était pénalisé puisque la sécurité sociale ne remboursait que 44 F sur 300 F, prix ordinaire de vente. Nous avons avec Dominique Gillot fixé un prix maximal de vente et porté le remboursement à 65 % du prix d'achat, si bien que ne devraient rester que 50 F à la charge des femmes. De même, un générique de pilule de troisième génération sera disponible début 2001. Nous attendons les résultats d'une étude de l'Agence européenne du médicament sur les effets secondaires pour aller plus loin.

La contraception d'urgence a vocation à faire diminuer de façon significative le nombre de grossesses non désirées, en particulier chez les mineures. Aucune n'était disponible il y a peu encore et c'est sur l'insistance des pouvoirs publics qu'ont pu être mises sur le marché les deux pilules du lendemain actuellement disponibles. Celles-ci peuvent être prises sans examen gynécologique préalable, sont d'autant plus efficaces qu'elles sont prises précocement. Ainsi l'efficacité du Norlevo, qui atteint 95 % si cette pilule est prise dans les 24 heures suivant le rapport sexuel non protégé tombe à 58 % si elle l'est seulement entre 48 heures et 72 heures. L'innocuité du Norlevo d'une part, son efficacité fortement dépendante du temps d'autre part nous ont conduit à décider de sa mise en vente libre en pharmacie et de sa délivrance par les infirmières scolaires en cas d'urgence, suivant d'ailleurs en cela l'avis de l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé. Le Tetragymon n'étant officiellement sur le marché que depuis juin 1998 et le Norlevo depuis juin 1999, et bien que 500 000 boîtes de ce dernier aient d'ores et déjà été délivrées, nous ne disposons pas d'un recul suffisant pour évaluer l'incidence sur le taux de recours à l'IVG. Mais nous espérons, comme chez nos voisins, que celui-ci reculera fortement. Ainsi en Finlande, il a diminué de plus de la moitié dans les dix années ayant suivi la mise sur le marché de la pilule du lendemain.

Aujourd'hui le taux de recours est inférieur à 9 pour mille. Quant au taux de recours aux contraceptifs classiques, qui n'est que de 80 % chez nous, il est aujourd'hui de 95 % en Finlande. En effet l'accès à la pilule du lendemain favorise l'efficacité de la politique globale en faveur de la contraception ; la prise de conscience que la contraception est un instrument de maîtrise de son destin se produit souvent lorsque la première difficulté a eu lieu. Acheter la pilule d'urgence dans une pharmacie, aller voir un médecin lorsqu'on le souhaite sont des occasions de dialogue. Bien sûr, la pilule du lendemain ne doit pas devenir une contraception ordinaire, mais elle peut être l'occasion de passer à celle-ci.

Pour toutes ces raisons, le texte adopté par la commission introduit trois exceptions à la législation actuelle sur les contraceptifs.

Tout d'abord, alors que la loi de 1967 constituait pour les contraceptifs une exception au droit commun du médicament, il revient à celui-ci au profit du Norlevo, qui sera ainsi accessible sans prescription médicale. Nous en suivrons les conséquences avec intérêt car pour la première fois, les femmes décident ainsi d'elles-mêmes de s'autoprescrire une contraception. L'histoire des pays qui nous entourent nous montre que plus les femmes s'approprient la responsabilité de la contraception, moins il y a d'IVG. L'intérêt de cet accès sans ordonnance n'est pas seulement de raccourcir les délais, mais aussi de rendre les femmes plus autonomes.

Par ailleurs, cette proposition de loi autorise l'accès libre des mineures au Norlevo ainsi que son administration par les infirmières scolaires. Le Gouvernement est très favorable à ces dispositions, ce n'est pas un mystère. Notre objectif partagé est de faire reculer la fréquence de grossesses non désirées chez les jeunes adolescentes, qui forment une population particulièrement vulnérable du fait de leur grande fertilité et de leur plus faible connaissance des risques encourus lors des relations sexuelles.

L'administration du Norlevo en urgence par les infirmières scolaires permet de gagner plusieurs heures, ce qui est un gage d'efficacité. En outre, c'est l'occasion d'un dialogue et d'une information et c'est le premier pas vers une contraception, comme le montrent les enquêtes menées auprès des infirmières scolaires depuis le protocole ; Ségolène Royal y reviendra. Enfin ce dispositif ne remet pas en cause le rôle des parents ; il convient en revanche d'aider les jeunes filles qui n'ont pas la possibilité de parler avec leur famille.

Le Gouvernement souhaite que ce texte recueille un vote largement positif sur tous les bancs. Il saura accompagner cette réforme par les mesures complémentaires nécessaires : augmentation du nombre des infirmières scolaires, actions de formation en direction des professionnels de santé ; un projet sur ce point est d'ailleurs en cours d'élaboration, avec la collaboration du Planning familial.

Vingt-cinq ans ont passé depuis l'adoption de la loi Veil. Bien des choses ont changé, mais les droits des femmes ne sont jamais acquis une fois pour toutes. Les femmes qui sont au banc du Gouvernement aujourd'hui sont fières de contribuer avec vous à perpétuer ce mouvement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de Mme Christine Boutin une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

Je rappelle que selon une décision de la Conférence des présidents du 9 mai 2000, les motions de procédure dans les fenêtres parlementaires ne peuvent excéder quinze minutes.

Mme Christine Boutin - C'est encore à la sauvette que nous discutons d'un texte qui pose d'importants problèmes de société, à l'occasion d'une niche parlementaire, un jour de moindre affluence dans l'hémicycle. Cette proposition de loi n'est pas un texte anodin, destiné à remédier à un simple dysfonctionnement juridique. Quelle conception du rôle des parents véhicule-t-elle ? Comment s'insère-t-elle dans les objectifs de santé publique ? Quelle image donne-t-elle des responsabilités médicales, éducatives et politiques ?

D'abord, qu'entend-on exactement par contraception d'urgence ? Il semble qu'aujourd'hui, il n'existe que deux produits susceptibles de répondre à cette appellation : le Tétragynon, à base d'_strogènes, et le Norlevo, à base de progestérone. Seul le second serait concerné par le texte dont nous discutons, parce qu'il ne présenterait pas de danger pour la santé.

Ces pilules sont-elles réellement une méthode de contraception ? La notice du Norlevo indique : « La contraception d'urgence est une méthode de rattrapage qui vise à éviter l'ovulation ou l'implantation d'un _uf fécondé en cas de rapport sexuel non protégé ». En d'autres termes, soit le Norlevo a un effet nul si le rapport a été non fécondant ou si l'ovule fécondé est en train de s'implanter, soit il a un effet contraceptif en empêchant la fécondation, soit il empêche l'implantation.

L'implantation de quoi ? De l'ovule fécondé, c'est-à-dire de l'embryon. La vie de l'être humain commence dès la fécondation. L'embryon possède dès ce moment tout son patrimoine génétique. Tout le reste n'est que bavardage.

On nous a affirmé que la grossesse commençait à la nidation de l'embryon, et que le Norlevo ne relèverait donc pas de l'interruption volontaire de grossesse. Pourtant, selon l'Encyclopedia universalis, « l'état de grossesse commence à l'instant de la fécondation et se termine neuf mois plus tard environ ». Quoi qu'il en soit, quand il y a eu fécondation la vie humaine a commencé.

En réalité, le Norlevo peut être une contraception d'urgence dans certains cas mais il peut également être un abortif d'urgence. Dans les vingt-quatre heures après un rapport sexuel non protégé au moment fertile du cycle de la femme, il y a eu fécondation dans 30 % des cas. L'expression « contraception d'urgence » est donc trompeuse, et nous avons le devoir de dire la vérité.

C'est aussi pourquoi il est indispensable de respecter l'objection de conscience du corps médical, qui ne peut être contraint à distribuer le Norlevo.

Par ailleurs, se posent plusieurs questions qui relèvent de la santé publique.

Une pilule de Norlevo équivaut à vingt-cinq comprimés d'anticonceptionnel traditionnel. Ce n'est pas rien. La possibilité de prendre ce médicament ne va-t-elle pas encourager une certaine irresponsabilité chez les jeunes filles, et surtout chez les garçons ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Au moment où les pouvoirs publics s'alarment de la violence sexuelle dans les écoles, cette question apparaît plus que légitime.

Ségolène Royal parlait de l'importance d'apprendre aux jeunes filles à dire non. 50 % des jeunes filles affirment s'être senties forcées à avoir des relations sexuelles ; ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'INSERM, qui ajoute que 5 % seulement des grossesses chez les mineures sont complètement imprévues.

La fréquence des grossesses et des avortements chez les mineures est liée à la situation scolaire ; elle est plus grande en filière professionnelle qu'en filière générale. Les jeunes filles en situation d'échec scolaire considèrent parfois la grossesse et la maternité comme une solution d'acceptation sociale. Si l'objectif est de diminuer le nombre des grossesses, il faudra donc s'y prendre autrement et développer une véritable politique de prévention. D'abord et avant tout, il faut favoriser une bonne orientation scolaire des jeunes filles et leur permettre de s'approprier leur avenir professionnel et affectif. Ensuite, il convient de développer une éducation sexuelle qui soit une éducation à la responsabilité personnelle, au respect de son propre corps et du corps d'autrui. Toutes les campagnes de contraception ont été trop axées sur certaines méthodes : celle de 1992, sur le préservatif -et tout le monde reconnaît aujourd'hui qu'elle a été un échec ; quant à la dernière, lancée en janvier 2000, elle n'a même pas mentionné les méthodes naturelles, qui sont les plus responsabilisantes et qui ont valu un prix Nobel à une femme. Beaucoup de jeunes en ont assez du tout chimique.

Le fait que le Norlevo puisse être délivré sans prescription médicale contrevient au principe de précaution fondamental dans le domaine médical. Dans un article du 28 septembre 1999 de la revue Savoirs, sciences et médecine, il était écrit : « On ne connaît pas encore aujourd'hui très bien le mode d'action de la contraception d'urgence et on ne sait pas si elle agit plutôt sur l'endomètre ou sur la fonctionnalité et l'expulsion de l'ovule ». Depuis, il n'y a pas eu d'autre article apportant de nouvelles précisions.

Nous avons déjà connu des scandales sanitaires dus à un manque de prudence ; en souhaitons-nous d'autres ? (Mme Muguette Jacquaint s'exclame) Une étude financée par l'OMS conclut à l'impossibilité d'administrer de manière récurrente une pilule du lendemain après chaque rapport sexuel pendant six mois. Or nous n'avons pas les moyens de vérifier que les mineures ne prendront pas ces pilules de façon régulière. Une autre étude, britannique celle-là et menée sur 213 jeunes filles, a d'ailleurs démontré que le fait de disposer par anticipation d'une provision de pilules du lendemain contribuait à affaiblir leur vigilance en matière de contraception. Au regard du principe de précaution, il apparaît irresponsable de distribuer le Norlevo sans prescription médicale : vous préparez ici les conditions d'un scandale !

D'autre part, cette prétendue contraception d'urgence va pouvoir être délivrée sans autorisation parentale. Comme vous, je suis consciente des difficultés qui peuvent exister entre adolescents et parents, mais faut-il pour autant que les autorités publiques accroissent ainsi les risques d'affrontement ? Les infirmières scolaires entendues par le groupe UDF nous ont dit qu'elles faisaient tout pour inciter les adolescentes à parler à leurs parents...

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Eh oui !

Mme Christine Boutin - ...Et je les crois volontiers. Mais qu'en serait-il des mineures qui se rendront directement dans une pharmacie sans prendre conseil de personne ? Il est incohérent de dénoncer la démission des parents, puis de l'encourager ou permettre aux enfants de passer outre leur avis et leur autorisation !

Je le dis tout net : je suis profondément choquée que l'on supprime ainsi, même à titre dérogatoire, l'autorisation parentale avant l'absorption de ce médicament.

Cet acte gravissime, qui va affaiblir l'autorité des parents, vous l'avez souvent justifié par l'exception douloureuse qui est trop fréquemment imposée aux jeunes filles maghrébines. Comment n'en être pas scandalisée ? Vous qui êtes confortablement installés dans la hiérarchie sociale, sans doute avez-vous les moyens de faire suivre vos filles par les meilleurs gynécologues et psychologues (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), mais que se passerait-il si elles prenaient ce produit sans vous en parler ? De quel droit passer par-dessus la relation privilégié de parents à enfant ? Est-ce parce qu'il s'agit de Maghrébins qui n'ont pas votre culture ? Penseriez-vous qu'ils seraient incapables d'évoluer (Mêmes mouvements). Croyez-vous qu'une fois le secret levé -car il le sera-, nous ne susciterons pas une réaction hostile de ces familles à l'égard de la société française ? Est-ce ainsi que vous pensez faciliter leur intégration ? Je trouve scandaleux qu'on prenne ainsi en otage les familles les plus modestes pour porter un coup fatal à la famille !

Cet affaiblissement de l'autorité parentale par la loi portera de plus atteinte à l'ensemble des relations parents-enfants dans notre pays. Comment imaginer que des enfants puissent respecter l'autorité de leurs parents lorsque la loi l'exclut pour un acte aussi grave et aussi intime ?

Enfin, pourquoi déclarer l'urgence sur ce texte d'initiative parlementaire ? L'affaire a été menée sans débat, sans réflexion, sans concertation. Et pourquoi séparer cette discussion de celle du projet sur la contraception et l'IVG ? Ne pouvait-on aborder tous ces sujets dans le même cadre ?

Pour cette raison et pour toutes les autres que j'ai énoncées, je vous invite à adopter cette question préalable.

Plusieurs voix socialistes - Vous êtes bien seule !

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance - Je remercie la Délégation aux droits des femmes, la commission des affaires sociales et son président, le groupe socialiste qui a permis ce débat et, bien entendu, les deux rapporteuses, Mmes Mignon et Clergeau.

Il est des sujets, tels que celui-ci, à propos desquels on ne saurait contester à personne le droit d'exprimer une opinion divergente. C'est ainsi, en démocratie, que chacun se forme un avis en connaissance de cause.

Clemenceau le disait ici même : « Gloire aux pays où l'on parle, honte aux pays où l'on se tait ! Ces discussions qui vous étonnent prouvent notre ardeur à défendre les idées que nous croyons justes et fécondes ».

La décision qui vous est soumise aujourd'hui ne l'est pas à la sauvette, comme il vient d'être dit. Elle a été longuement mûrie. Ayant pris il y a un peu plus de dix mois la décision d'autoriser les infirmières scolaires à délivrer le Norlevo dans les cas prévus dans un protocole national de soins, je puis témoigner qu'elle a été précédée d'un an de consultations, sur la base de l'excellent rapport remis en décembre 1998 par le docteur Uzan, chef du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Jean Verdier à Bondy. Le débat s'est poursuivi après que, le 26 novembre 1999, j'ai fait part aux infirmières scolaires de la mission qu'elles seraient amenées à exercer dans le cadre du protocole national. L'Académie de médecine y a pris part en adoptant, le 7 mars 2000, une position favorable à la délivrance de la contraception d'urgence en milieu scolaire, considérant qu'il fallait faire face à un important problème de santé publique. Le Conseil d'Etat également, qui, sans en contester le bien-fondé, a estimé l'été dernier qu'il fallait à cette décision humainement nécessaire une base légale explicite. Grâces soient finalement rendues à la sagesse de la Haute assemblée : elle vous conduit à donner force de loi à des dispositions dont j'estime qu'elles relèvent du devoir de protection de l'adolescence et du lien familial. Rapports, avis des plus hautes instances de la République, débat d'idées, consultations des professionnels concernés, d'associations, de syndicats, de fédérations de parents d'élèves : chacun est, je crois, amplement informé.

L'opinion ne s'y est pas trompée. Depuis un an, elle s'est montrée majoritairement favorable à une mesure de bon sens et de justice qui offre la possibilité de prévenir les interruptions volontaires de grossesse ainsi que ces maternités subies et trop précoces pour être bien assumées. Ce n'est pas l'enquête du Baromètre Santé 2000, rendue publique il y a trois jours, qui risque de faire changer d'avis les Français. Elle confirme que les toutes jeunes filles sont, parmi les victimes de rapports sexuels forcés, les plus exposées -40 % des rapports imposés ont lieu avant 16 ans. Comment imaginer que les grossesses qui en résultent puissent être vécues sereinement et des enfants conçus dans le violence accueillis avec l'amour qui leur est dû ? Comment supposer que devenir mère dans ces conditions favorise l'exercice au long cours de la responsabilité parentale ?

La puberté intervient de nos jours quatre ans plus tôt qu'il y a 100 ans. Est-ce une raison pour être enceinte à 13 ou 15 ans ? Pour n'avoir, à cet âge, que l'IVG comme solution ?

On vient d'évoquer les méthodes naturelles. L'abstinence, certes, met à l'abri. Et les rapports sexuels précoces ne sont pas nécessairement une conquête ! Même lorsqu'ils ne sont pas imposés, ils sont souvent vécus comme une obligation de se conformer à la norme supposée (Exclamations sur les bancs du groupe UDF). L'âge moyen du premier rapport sexuel s'est stabilisé depuis plusieurs années autour de 17 ans, ce qui veut dire qu'il est, pour certaines, plus précoce. Or, nombre d'enquêtes montrent que, dans 60 % des cas, les mineures ont ce premier rapport sans contraception. Il faut donc, c'est sûr, mieux informer et éduquer davantage garçons et filles à la responsabilité, dans l'immédiat, les grossesses précoces touchent chaque année 10.000 jeunes filles, dont près de 7.000 recourent à l'IVG. Les autres n'optent pas sereinement pour une maternité radieuse. Ces jeunes mères malgré elles sont en danger et en détresse.

Les raisons qui les conduisent à cette situation sont multiples et parfois contradictoires : désir de valorisation, de reconnaissance, cri d'alarme, volonté d'échapper à des situations familiales ou scolaires difficiles, conduites à risque, désir de grossesse sans désir d'enfant, désir d'enfant sans idée précise de ce qu'implique être mère. Nous n'avons pas à les stigmatiser mais à les comprendre, pour être mieux à même de prévenir un surcroît de précarité sociale et de solitude affective.

Protéger les toutes jeunes filles, ce n'est pas leur fermer toutes les issues alternatives à une maternité non voulue : c'est leur offrir les moyens d'un vrai choix. Ce choix n'est pas, le plus souvent, celui d'une grossesse menée à terme. Ce que le Norlevo permet, c'est de rattraper l'absence de précaution contraceptive tout en évitant une IVG juvénile.

Notre responsabilité est claire : il faut dire aux adolescentes et aux adolescents d'aujourd'hui qu'il y a un temps pour tout et qu'être parent, ce n'est pas seulement procréer, que c'est faire face à l'éducation d'un enfant, et assumer durablement une décision importante.

Prévenir les grossesses précoces, c'est aussi protéger les nouveau-nés. Car les enfants nés de mères encore immatures sont plus en danger que les autres : en danger de rejet et d'abandon, de maltraitances et de négligences. Sans aller jusqu'aux cas limites d'infanticides, bien des grossesses adolescentes vécues dans la résignation ou l'espoir illusoire d'une entrée fracassante dans le monde adulte signifie en réalité une entrée fracassée dans la parentalité. Le savoir, c'est s'efforcer de le prévenir et permettre aux jeunes filles d'accéder au Norlevo est un aspect de cette prévention.

Parmi les confusions que certains et certaines se plaisent à entretenir, j'entends parfois dire que la délivrance du Norlevo bafouerait les droits de l'enfant et la protection de la vie. Curieuse conception des droits de l'enfant que celle qui fait fi du droit de trouver dans sa famille la sécurité affective nécessaire ! Curieuse conception de la famille que celle qui oppose les droits de l'enfant aux droits des femmes, comme si le malheur des uns pouvait faire le bonheur des autres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Mme Christine Boutin - Vous êtes grotesque !

Mme la Ministre déléguée - Curieuse conception de la vie, enfin que celle qui célèbre l'enfant virtuel et méprise l'adolescence bien réelle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

C'est ensemble qu'il faut garantir les droits de l'enfant et ceux de sa famille. Prévenir la maltraitance, dont trop d'enfants sont encore victimes, c'est prendre en compte toutes les dimensions de la bientraitance, et la proposition de loi qui vous est soumise participe de cette démarche, que le Gouvernement s'attache à mettre en _uvre avec tous les partenaires de la politique familiale. Si le texte en est succinct, c'est qu'il n'y a pas lieu d'entrer dans les détails de son application ; la délivrance du Norlevo en milieu scolaire s'inscrira cependant dans un protocole qui l'encadre très précisément : les infirmières scolaires ont un rôle essentiel à jouer, mais n'ont pas vocation à se substituer aux parents, et ne délivreront directement le Norlevo que dans le cas où le dialogue n'aura pu se nouer entre ces derniers et leur fille et où l'intérêt supérieur de celle-ci l'exigera. Le bilan des six mois d'application de ce protocole, rendu public le 29 septembre, montre bien qu'il n'a donné lieu à aucune dérive : les infirmières scolaires ont délivré la contraception d'urgence à 1618 adolescentes sur les 7074 qui l'avaient demandée, et les ont toutes orientées vers des centres de planification familiale.

Vous vous dites choquée, Madame Boutin, par la suppression de l'autorisation parentale, mais ne vaut-il pas mieux qu'une adolescente ait affaire à une infirmière qui l'écoute, plutôt que d'être livrée à elle-même dans de telles circonstances ? Quel parent peut se targuer de savoir trouver, à tout moment, les mots qu'il faut pour parler à sa fille ? L'adolescence est l'âge des refus et des oppositions, et s'il est une chose dont les adolescents ne parlent pas avec leurs parents, c'est bien de sexualité ! L'autorité parentale ne sera donc pas amoindrie, mais renforcée par cette disposition.

Mme Christine Boutin - Vous dites n'importe quoi !

Mme la Ministre déléguée - L'enfance est un bien trop précieux pour être abandonnée aux aléas d'une contraception mal maîtrisée, à un âge où le droit à l'erreur fait partie de l'apprentissage de l'autonomie, et ce serait bien mal aimer nos enfants que de vouloir, au premier faux pas, leur en faire payer le prix fort.

Mais la délivrance, à titre ponctuel et exceptionnel, du Norlevo n'a de sens que replacée dans un projet éducatif plus large, et c'est pourquoi je reste particulièrement attachée à l'éducation des enfants et des adolescents à la santé et à la sexualité, sous la responsabilité partagée de la famille et de l'école. Cette éducation à la vie n'est pas facile à assumer, car nous ne sommes pas, nous-mêmes, des adultes parfaits, à l'abri des doutes, des échecs et des erreurs. Il faut que les parents puissent trouver des lieux d'échange et des points d'appui, tels que les réseaux de parents, dont les moyens ont été très nettement renforcés cette année.

L'adolescence est un temps de formation et d'expérimentation, qui dure plus longtemps que par le passé et doit être ménagé pour que chacun évolue à son rythme. Or, une grossesse précoce, c'est une adolescence abrégée, et à ceux qui trouvent plus grave d'interrompre une grossesse que de laisser une maternité prématurée saccager une adolescence, j'ai envie de dire : « laissez-les vivre ! » (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV), avant de conclure avec Victor Hugo, qui définissait ainsi l'adolescence : « la plus délicate des transitions, ce commencement d'une femme dans la fin d'un enfant » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Raymonde Le Texier - Chaque année, les deux tiers des quelque 10 000 grossesses d'adolescentes se terminent par une IVG. A cette terrible situation, le Gouvernement a voulu, l'an dernier, apporter une réponse, mais le Conseil d'Etat a considéré que la circulaire prise à cette fin méconnaissait la loi de 1967, qui subordonne la délivrance des contraceptifs à une prescription médicale -il est vrai que la contraception d'urgence était inconnue à cette époque. Nous sommes donc réunis ce matin pour prendre acte de l'inadaptation de la législation.

Le sujet ne mérite ni effets de manche, ni discours passionnels, mais dès que l'on aborde la sexualité, et en particulier celle des jeunes filles, les propos bien-pensants et moralisateurs se font jour chez certains et, hélas, chez certaines, qui tentent de bloquer toute évolution : il y a là un manque de respect pour les femmes, et en particulier pour les jeunes filles.

Mme Christine Boutin - Lamentable !

Mme Raymonde Le Texier - Exagérations, outrances, contrevérités, désinformation : la dialectique de Mme Boutin a les apparences du bon sens, et pourrait même tirer des larmes aux plus sensibles, mais le fond de sa pensée est toujours le même ! Et tandis que nous tergiversons, des femmes, des jeunes filles continuent de vivre des situations insupportables, alors qu'elles entament à peine leur vie d'adulte. La seule chose qu'il y ait à redouter, s'agissant de cette proposition de loi, c'est qu'elle ne soit pas adoptée, ou que son adoption soit différée, car elle est nécessaire pour réduire à la fois le nombre des grossesses non désirées et celui des IVG.

Les six mois d'application du protocole prouvent à quel point l'ensemble des partenaires ont adopté une attitude responsable : dans l'académie de Paris, seules 16 élèves se sont vu prescrire le Norlevo, sur 213 demandes, et les autres ont été orientées, souvent avec leurs parents, vers les dispositifs existants. Il est à noter qu'aucune n'a demandé plus d'une fois la « pilule du lendemain ».

Mme Christine Boutin - Comment le savez-vous ?

Mme Raymonde Le Texier - Comment savez-vous le contraire ?

Mme Christine Boutin - La réponse est un peu courte...

Mme Raymonde Le Texier - Les parents d'élèves ont bien compris l'enjeu, et ceux d'entre eux qui se montraient réservés lorsque la circulaire est parue en reconnaissent, six mois après, le bien-fondé. Ils savent que ce n'est pas en maintenant les jeunes filles dans l'angoisse et le silence qu'on les aide à devenir, plus tard, des mères épanouies et heureuses.

Sur 20 000 grossesses de mineures, 10 000 ne sont pas désirées et 6 700 aboutissent à une IVG -et ces chiffres nous ramènent au problème du nombre important de rapports contraints.

Je ne pense pas utile d'être plus longue pour convaincre que la question préalable doit être écartée. En légiférant aujourd'hui, nous combattons pour la sexualité des jeunes filles et accompagnons les parents dans leur mission difficile : tous préfèrent cette solution d'urgence plutôt que de voir leur enfant vivre une grossesse non désirée. Le groupe socialiste repoussera donc la question préalable sereinement et fermement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

M. Jean-François Mattei - Le propre du débat démocratique est de laisser s'exprimer toutes les convictions et certaines sont d'ailleurs susceptibles de nous faire évoluer dans nos sentiments. Je suis étonné d'avoir à légiférer aujourd'hui : le Norlevo est pourtant déjà en vente libre. Mais à tout prendre, je préfère qu'une adolescente puisse discuter avec l'infirmière de son lycée plutôt que d'aller acheter une boîte de médicaments dans une pharmacie anonyme, sans aucun accompagnement.

Mme la ministre a cité l'Académie nationale de médecine. Y ayant modestement participé, je peux témoigner que médicalement, les médecins sont favorables à la distribution du Norlevo par les infirmières. Le métier de médecin est d'accueillir et j'ai moi-même reçu bien des adolescentes qui m'avouaient avoir fait une bêtise sans jamais m'être senti le droit de leur refuser mon assistance. Je ne m'opposerai donc pas à cette proposition de loi, mais je regrette que, ne faisant que transposer sèchement un article, elle soit totalement dépourvue d'humanité. Le plus important, dans la pilule du lendemain, c'est hier et après-demain. Or il n'en est pas question un instant. Le texte ne devient-il pas un faux-semblant alors, quand on sait que rien ou presque n'est fait ni en amont ni en aval et que nous n'avons même pas les moyens de répondre à la demande qui va se faire jour ? Quoi qu'il en soit, nous repousserons la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et sur plusieurs bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme Muguette Jacquaint - Je ne reviendrai pas sur les chiffres : 10 000 grossesses non désirées, 6 700 IVG. Les jeunes filles concernées sont dans un état de détresse qui mérite que, contre ceux qui veulent freiner le progrès, on essaie de leur donner une vie plus belle. Je ne pense pas que l'on commence sa vie dans de bonnes conditions en étant mère de famille à 14 ou 15 ans. Où sont, dans cette situation, les droits des jeunes filles et les droits de l'enfant ? Il y a beaucoup à faire, mais il faut bien constater que certains développent encore des idées retardataires, les mêmes qu'il y a trente ans lorsque les femmes agissaient pour le droit à la contraception et à l'IVG. Néanmoins, les idées bougent parfois dans le bon sens, M. Mattei en a fait la démonstration. Les progrès médicaux nous permettent de faire évoluer sans risque la contraception et les droits des femmes. Oui, il y a urgence à le faire et le groupe communiste repoussera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

Mme Danielle Bousquet - La décision que nous allons prendre pèsera lourd dans la vie de milliers de jeunes femmes. Il s'agit d'autoriser la vente sans prescription médicale d'un produit inoffensif qui permet d'éviter de recourir à l'IVG.

La circulaire de Mme Royal avait été accueillie favorablement par la communauté éducative, qui reconnaît unanimement le rôle des infirmières en milieu scolaire. Lors d'une audition, une représentante des lycéens a insisté sur le rôle fondamental des infirmières, d'autant que les jeunes filles ne savent pas quoi faire lorsqu'il y a urgence. Or les premiers moments de la vie sexuelle, pour les jeunes, c'est l'inconnu. Depuis des années, le travail de prévention du sida a prévalu sur tout autre. Notre société n'a pas su ou pas voulu délivrer une information continue sur la contraception et l'éducation sexuelle, et tous les jeunes ne sont pas égaux sur ce sujet quel que soit leur milieu social. Oui, il y a donc parfois urgence.

On ne peut donc pas exonérer de leur responsabilité ceux qui à la fois luttent contre l'IVG et contestent le droit à la pilule du lendemain, prouvant par là qu'ils sont coupés de la réalité sociale. Il faut mettre en place une véritable éducation sexuelle plus qu'une simple information. Des analyses internationales montrent que plus l'acceptation de la sexualité est ancrée, moins le recours à l'IVG est important. Un discours positif est donc primordial. Un chercheur de l'INSERM a montré que les jeunes filles accèdent d'autant plus facilement à la contraception qu'elles se sentent reconnues dans la société. Aller à l'encontre constituerait un frein massif à l'information et à la contraception.

Que les parents d'élèves soient favorables à la délivrance du Norlevo par les infirmières scolaires est donc très encourageant et nous pousse à instaurer une éducation à la sexualité, seule prévention de l'IVG. La décision du Conseil d'Etat nous incitait à légiférer. Nous le faisons seulement trois mois après son intervention, car il y a urgence à rassurer les jeunes. Nous nous montrons ainsi responsables, ouverts sur les réalités et soucieux de l'avenir des jeunes filles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

M. Bernard Perrut - Cette proposition de loi, même si elle tient en quelques lignes, touche à un sujet de société et de santé publique. Nous regrettons que la procédure d'urgence n'ait pas permis la tenue d'un large débat de fond. Chacun a ses propres certitudes mais nous partageons tous, en tant que parents, des inquiétudes face aux réalités de la vie et aux grossesses non désirées dont l'issue, quelle qu'elle soit, est toujours douloureuse.

Mais votre solution inquiète aussi le groupe DL, car des questions essentielles demeurent sans réponse. Votre texte est fondé sur le constat d'un triple échec familial, éducatif et social, comme l'a bien vu Jean-François Mattei.

Échec familial d'abord, car comment qualifier autrement le fait qu'une adolescente ne soit pas soutenue par ses parents et ne reçoive pas d'éducation sexuelle par la mère ?

Échec éducatif ensuite : les messages du système scolaire aux adolescents sont inadaptés. La sexualité n'est pas qu'une affaire de technique.

Échec social enfin, car comment qualifier autrement le sentiment de solitude que traduit cette détresse après un acte qui devrait avant tout symboliser le partage, et le nombre inquiétant d'IVG et de violences sexuelles ?

A quoi sert-il de légiférer pour résoudre des situations de détresse si les moyens de les prévenir ne sont pas renouvelés ? L'adaptation de ces moyens ne constituerait-elle pas plutôt la solution ? Ainsi, les lieux de prévention, et notamment les centres de planning familial, sont sous-utilisés, comme l'a rappelé Mme Mignon. Les services offerts sont trop médicalisés alors que la demande porte surtout sur le conseil et l'écoute. Madame le ministre, quelles mesures compte prendre le Gouvernement pour faire de ces services de véritables lieux de proximité ?

Quant aux pharmaciens, leur rôle de conseil doit certes être encouragé, mais se heurte au défaut de confidentialité.

L'on peut enfin s'interroger sur la responsabilité des infirmières scolaires. N'est-il pas hypocrite de la renforcer ainsi alors qu'elles ne sont déjà qu'au nombre d'une pour 2 500 élèves, que beaucoup travaillent à temps partiel parce qu'elles s'occupent de plusieurs établissements, et risquent donc d'être absentes au moment où des adolescentes auront besoin d'elles ? Et comment faire pendant les vacances, les week-end ? Une infirmière scolaire avouait récemment dans un grand quotidien qu'elle était remplacée par la lingère, qui a son brevet de secouriste !

Comment ne pas évoquer, enfin, la nécessité d'un suivi médical à l'école ? La contraception d'urgence n'a rien d'anodin ; les contraceptifs classiques ne sont d'ailleurs délivrés que dans des conditions strictes et sur prescription médicale. L'Académie de médecine a rappelé que la contraception d'urgence est susceptible de perturber le cycle. Je vous demande donc, Madame la ministre, si le ministre de la santé communiquera un rapport annuel à notre Assemblée ?

Il faut aussi un suivi psychologique des jeunes ayant vécu une situation de détresse.

On peut même craindre que l'enfant à naître finisse par être perçu comme un danger social.

Il faut aborder autrement l'éducation sexuelle, comme nous y incitent les statistiques anormales d'IVG chez les jeunes et l'insuffisance d'information. La démarche éducative doit englober une éducation à la responsabilité. L'éducation sexuelle obligatoire en 4ème et en 3ème n'est effectivement assurée que dans un collège sur trois.

En resterez-vous au stade des bonnes intentions ?

Je voudrais rappeler, comme l'a dit Mme Royal il y a quelques jours, que l'éthique éducative est aussi l'affaire de la télévision. Que comptez-vous faire pour combattre les images avilissantes qu'elle diffuse trop souvent ?

Et les parents, les avez-vous oubliés ?

L'adolescence est un moment difficile pour le dialogue avec les adultes et surtout avec les parents. Si le dialogue se noue au sein de l'institution scolaire, il faut impérativement y associer les familles.

Alors que le Gouvernement met actuellement en place un groupe de travail sur l'autorité parentale et un dispositif d'accompagnement des parents dans les écoles, ce texte élude leur rôle. Mme Guigou, dans une interview récente, indiquait pourtant que « les familles ont un rôle unique de transmission des valeurs fondamentales et d'apprentissage des rapports entre autorité et liberté. Notre droit doit permettre à la famille de jouer ses rôles ».

En conclusion, il apparaît que la solution proposée pour répondre de manière exceptionnelle à une situation de détresse, doit être assortie d'engagements de votre part, Madame la ministre, si nous voulons que l'action menée soit efficace. Il faut éviter de banaliser la contraception d'urgence, qui risque de favoriser des relations sexuelles de plus en plus précoces et de faire reculer la responsabilité des jeunes.

Si pour le groupe Démocratie Libérale dans sa majorité l'abstention est justifiée par les réserves qui ont été exprimées et qui touchent à l'intérêt des jeunes et des familles, les députés de ce groupe pourront exprimer des votes différents dans le respect de la liberté de conscience à laquelle nous sommes attachés.

Mme Chantal Robin-Rodrigo - 25 ans après la loi Veil, le lobby anti-avortement s'est reconverti dans la lutte contre la contraception. C'est ainsi que la circulaire de Mme Royal a été abrogée à la suite d'une saisine du Conseil d'Etat par des associations obscurantistes. Il nous faut donc aujourd'hui combler le vide juridique pointé par le Conseil d'Etat. Je ne doute pas que cette proposition de loi portée par la gauche plurielle sera votée par toute notre Assemblée.

Nous devons dénoncer la campagne menée par les adversaires du texte contre la compétence des infirmières scolaires. Celles-ci n'ont jamais eu l'intention de distribuer la pilule du lendemain à la légère.

Les radicaux de gauche voteront ce texte sans réserve. Mais la contraception d'urgence doit demeurer une exception, et il faut surtout des moyens supplémentaires pour l'éducation sexuelle, qui doit concerner aussi les garçons. Quant à la délivrance sans accord parental, elle ne fait que traduire une réalité sociologique. Cela n'empêche pas de promouvoir le dialogue parents-enfants. Par ailleurs, la lutte contre les MST doit aussi rester une priorité.

Ces objectifs ne pourront être atteints que si l'on poursuit les efforts entrepris par le gouvernement Jospin pour les personnels des services de santé scolaires. Avec 6 100 emploi, soit 2 020 élèves pour une infirmière, on est encore loin du compte. Il faut faire de cette question une priorité dans le prochain budget de l'éducation nationale, et développer le rôle du planning familial.

Sur tous ces points, j'attends du Gouvernement des réponses précises, en particulier dans le cadre de la loi de finances pour 2001.

La loi est l'expression de la volonté générale. Une large majorité de parents est aujourd'hui favorable à la délivrance de la pilule du lendemain. En votant ce texte, nous permettrons à des milliers de femmes, mais surtout de jeunes filles, de mieux maîtriser leur vie et leur destin (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme Françoise de Panafieu - L'accès à la contraception reste encore aujourd'hui le progrès le plus important pour les femmes du XXème siècle et la pilule demeure toujours citée en tête des événements qui ont le plus changé leur vie. La pilule a marqué une véritable révolution à laquelle le Collège de France a d'ailleurs consacré un colloque en octobre 1998 : celui-ci a fait ressortir l'importance de la loi Neuwirth qui a permis une diminution très significative du nombre de grossesses non désirées et la généralisation d'une contraception médicalisée, essentiellement de la pilule, utilisée par 40 % des femmes entre 20 et 44 ans et 85 % des femmes entre 20 et 24 ans.

Pourtant, cette révolution reste imparfaite. En effet, on dénombre toujours sur 750 000 grossesses 220 000 avortements déclarés par an en France, triste record en Europe ; 10 000 grossesses non désirées chez les mineures dont 6 700 aboutissent à un avortement. Cela n'est pas acceptable quand on sait les très lourdes conséquences physiques et psychologiques d'une IVG chez une femme, a fortiori sur une très jeune femme. 60 % des premiers rapports sexuels ont lieu sans contraception, ce qui pour être compréhensible, n'en est pas moins inquiétant.

Nous devons donc nous interroger sur ce triple échec de la diffusion de la contraception, de l'éducation sexuelle et de la communication avec les jeunes. Le RPR est prêt à aborder ce débat de société, comme il l'a fait en précurseur en 1967 puis en 1975. On peut simplement regretter qu'il résulte de la précipitation avec laquelle Mme Royal, privilégiant le coup médiatique à la concertation, a décidé la délivrance de la contraception d'urgence en milieu scolaire. Même le fabricant du Norlevo n'était pas au courant !

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Tout à fait.

Mme Françoise de Panafieu - Même encadré par un protocole très strict, il était évident que ce mode de délivrance contrevenait à la loi Neuwirth qui soumet les contraceptifs hormonaux et utérins à une prescription médicale. Le Conseil d'Etat ne pouvait donc qu'annuler cette décision, ce qu'il a fait le 30 juin dernier. Il est regrettable que le débat se soit donc engagé sur fond de polémique alors que ce sujet de société pouvait être propice au consensus. L'interférence entre le débat de ce matin sur la contraception d'urgence et le prochain débat sur l'IVG est également regrettable. L'IVG n'est pas une contraception.

Or, la présentation hier en Conseil des ministres du projet de loi modifiant la loi Veil risque de créer un amalgame entre une adaptation de la législation sur la contraception pour tenir compte de l'existence aujourd'hui d'un contraceptif d'urgence sans contre-indications médicales et l'allongement du délai légal pour l'avortement qui pose, lui, un véritable problème éthique.

Si la contraception d'urgence répond à une situation de détresse et permet de réparer un accident, elle n'a pas vocation à remplacer une contraception classique. Elle doit même inciter à consulter un médecin, et comme toute contraception, tendre à faire baisser le nombre des grossesses non désirées. Elle ne dispense en aucun cas d'une réflexion en amont sur l'éducation à la sexualité et l'accès à la contraception.

M. le Président de la commission - Tout à fait.

Mme Françoise de Panafieu - Oui, l'information sur la contraception et la sexualité est très insuffisante et l'accès à la contraception encore trop restreint. Les campagnes d'information n'ont pas atteint leur but, non plus que l'éducation sexuelle en milieu scolaire : manque de moyens, absence de formation des enseignants, manque d'intervenants extérieurs mais aussi discours mal ciblé qui n'atteint pas les jeunes.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Tout à fait.

Mme Françoise de Panafieu - Une jeune fille franchira-t-elle facilement la porte d'un centre de planification familiale ?

Le message passe aussi par les mots et certaines appellations mériteraient sans doute d'être revues. Selon les infirmières scolaires, les interrogations des adolescents montrent qu'ils n'ont pas toujours bien intégré les informations données lors des cours. Les jeunes attendent non seulement des cours de biologie ou d'anatomie mais aussi un dialogue, par petits groupes, où l'on aborderait la question de la relation à l'autre, du respect et de la responsabilité. J'espère à ce sujet que la « mallette pédagogique », qui vient d'être lancée, ne sera pas un gadget supplémentaire.

L'Education nationale, mais aussi les professionnels de santé et les parents doivent se mobiliser et s'impliquer davantage. Un tiers seulement des établissements scolaires mettent à profit les quarante heures dégagées sur le temps scolaire au collège pour organiser les rencontres d'éducation à la santé lancées en 1998 et d'une façon générale, l'Education nationale éprouve des difficultés à gérer de tels débats. Or, il existe aujourd'hui une obligation de résultat.

Lorsqu'on s'en donne les moyens, les messages peuvent parfaitement passer auprès des jeunes. J'en veux pour preuve le succès du message sur le sida, même si le « tout sida » a desservi la contraception. Il faut en revanche revoir le message sur cette dernière. Le bilan de la campagne d'information, lancée au début de l'année et qui a coûté 20 millions est très mitigé.

En milieu scolaire, la présence d'intervenants extérieurs est indispensable, comme l'a souligné le Professeur Uzan dans son rapport sur la prévention et la prise en charge des grossesses chez les adolescentes. Une meilleure formation des enseignants, des infirmières scolaires, des professionnels de santé, parmi lesquels les médecins et les pharmaciens est également nécessaire. Aujourd'hui moins de deux heures de cours sont consacrés à la contraception dans un cursus médical qui dure sept ans !

La distribution de la contraception d'urgence par les infirmières scolaires exige qu'elles soient réellement présentes dans les établissements mais aussi qu'elles aient reçu une véritable formation afin d'assurer le suivi des adolescentes et de maintenir ou de renouer le lien avec leurs parents.

A ce point, je souhaiterais évoquer le lien familial et le rôle de la famille. Si le dialogue parents-enfants est essentiel, les questions touchant à la vie sexuelle peuvent être difficiles à aborder en famille. Sans même évoquer affrontements, hiérarchie sociale ou différences culturelles, je peux concevoir qu'une jeune fille ait des difficultés à partager avec ses parents le plus intime de sa vie et qu'un professionnel de santé soit, dans certaines situations, un meilleur interlocuteur.

M. le Président de la commission - Très bien !

Mme Françoise de Panafieu - Acceptons qu'il y ait de multiples façons de vivre la relation parents-enfants et plutôt que de l'envisager sous l'angle de l'autorité, je préfère, pour ma part, la considérer sous l'angle de la mission éducative.

Le nombre des infirmières scolaires, une pour 2 500 élèves, est insuffisant, chacun en convient, pour qu'elles puissent assurer correctement leur mission. Une loi, c'est bien, encore faut-il se donner les moyens de sa mise en _uvre.

Dans l'académie de Paris, entre le 20 janvier et le 20 mai 2000, 220 demandes de Norlevo ont été enregistrées par les infirmières scolaires, 15 boîtes seulement délivrées. Renseignements pris, la différence s'explique par le fait que les infirmières scolaires, estimant n'avoir pas la formation nécessaire, ont dirigé les adolescentes vers des centres de PMI ou de planning. Les infirmières sont prêtes à assurer cette mission et à assurer un véritable suivi des jeunes filles, mais, au-delà du protocole qui encadre leur intervention, il faut renforcer leurs effectifs et améliorer leur formation.

Dans le Val-de-Marne, premier département où la pilule du lendemain a été délivrée dès 1998 par les infirmières des centres de PMI, à l'initiative du médecin responsable PMI, 1 081 délivrances ont eu lieu pour 1 132 demandes en un an. Cette expérience a révélé l'absence extrêmement fréquente de contraception chez les jeunes femmes, un recours à la contraception d'urgence chez 90 % des femmes de moins de 25 ans et 45 % des mineures, enfin le passage fréquent à une contraception régulière après une catastrophe d'urgence.

Les pharmaciens, qui depuis avril 1999 peuvent délivrer le Norlevo sans ordonnance, ont également un rôle important de conseil. En auront-ils les moyens ? Comment pourront-ils engager un véritable dialogue avec une adolescente en officine, détecter les cas de violence, diriger les intéressées vers un médecin ou un centre, s'assurer du suivi dans la prise de la contraception ?

La délivrance de la contraception d'urgence exige des moyens et un encadrement. Avec plusieurs de mes collègues, nous défendrons quelques amendements pour rappeler les principes auxquels nous sommes attachés : caractère d'urgence, situation de détresse, accompagnement, suivi, maintien autant que possible du lien familial.

M. le Président - Veuillez conclure, je vous prie.

Mme Françoise de Panafieu - Je voterai, pour ma part, ce texte, étant entendu que sur cette question, comme sur toutes les questions de société, les élus RPR disposent d'une totale liberté de vote. Chacun de mes collègues se prononcera en son âme et conscience, en dehors de tout esprit polémique ou politicien. Personnellement, je suis favorable à la modification de la loi Neuwirth car il faut, avant tout, protéger les jeunes filles en détresse et éviter l'épreuve d'une grossesse non désirée. Mais cette réforme ne sera efficace que si elle s'accompagne des moyens nécessaires : nous sommes à la veille d'un débat budgétaire, au Gouvernement de prendre ses responsabilités (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Muguette Jacquaint - Nous contribuons aujourd'hui à briser un tabou, celui de la sexualité des jeunes. Depuis combien de générations, en effet, cette question est-elle restée objet de secret, de désarroi, de solitude et parfois de honte ? Les mécanismes même de la fécondité sont demeurés mystérieux pour beaucoup. Pourtant un jeune, avant même de décider s'il veut vivre une histoire d'amour jusqu'à l'intimité sexuelle, n'est-il pas en droit d'être clairement informé ? L'insuffisance de l'éducation sexuelle est propice aux erreurs, aux malentendus, aux craintes excessives qui freinent l'épanouissement des jeunes.

Nous ne pouvons que nous féliciter que cette question soit aujourd'hui publiquement débattue, en situant à leur place les véritables responsabilités.

Si les campagnes d'information sur la contraception sont nécessaires, nous savons bien qu'elles ne règlent pas tout et que le moindre relâchement de la pression provoque celui de la vigilance. Les études révèlent une détérioration de la prévention des grossesses chez les adolescentes et 6 700 par an donnent lieu à une IVG -dans de bonnes ou de mauvaises conditions. En outre, on constate une grande inégalité sociale dans l'accès à la contraception chez les jeunes. Dans mon département, le Professeur Michèle Uzan, chef du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Jean Verdier de Bondy, informait en avril dernier la Délégation aux droits des femmes que 5 % des IVG effectuées en Seine-Saint-Denis le sont sur des mineures, dont 50 % ne sont déjà plus scolarisées. Il n'y aurait rien de plus grave que d'encourager le fatalisme et la résignation, alors qu'il existe un médicament efficace à 99 % et dont l'innocuité a été prouvée.

Le Gouvernement a pris des décisions que les députés communistes avaient proposées et soutenues en juin 1999 en autorisant la vente sans ordonnance médicale de la pilule du lendemain dans les pharmacies et en donnant en janvier 2000 la possibilité aux infirmières scolaires de délivrer le Norlevo à titre exceptionnel. Ce caractère exceptionnel a bien été respecté, mais le Conseil d'Etat, dans son arrêté du 30 juin 2000, a annulé les dispositions du protocole national du 6 janvier 2000 -sans en remettre en cause le bien-fondé. Il nous appartient donc de donner une base légale à ces mesures, qui suscitent majoritairement des réactions positives, même si certaines dénoncent avec la plus grande outrance la libération de la femme : nous savons qui elles sont !

J'ai été sensible aux arguments de parents qui m'ont dit avoir su faire grandir leurs enfants dans la confiance mutuelle. Mais il y a encore à faire dans le domaine des relations parents-enfants, surtout lorsqu'il s'agit de la sexualité.

La frontière ne passe pas entre les parents qui sont pour et ceux qui sont contre ; l'important est que chacun voie où est l'intérêt général. Qu'une enquête effectuée pour la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public en août dernier révèle que 66 % des parents d'élèves sont favorables à la délivrance de la pilule du lendemain en milieu scolaire montre que beaucoup de chemin a déjà été fait.

La priorité sera de lever tout obstacle à l'application de la loi que nous allons voter : je pense à la pénurie d'infirmières en milieu scolaire et à l'inexistence de leur formation. Le budget de l'Education nationale devra comporter les mesures nécessaires.

Vous l'aurez compris, le groupe communiste votera sans réserve cette proposition de loi. Aidons les adolescentes, notamment les plus démunies et les plus isolées, à découvrir l'équilibre affectif. Aujourd'hui, c'est un pas important que nous allons effectuer sur le chemin des droits des femmes (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

Mme Marie-Thérèse Boisseau - La question préalable, vous l'avez compris, a été défendue à titre personnel.

Mme Nicole Bricq - Heureusement !

Mme Marie-Thérèse Boisseau - J'essaierai de me faire le porte-parole de la majorité des députés UDF, en commençant par remercier de ses propos Françoise de Panafieu, dont je partage pleinement le point de vue.

L'avortement n'est pas un droit, c'est un drame. Un drame pour la femme, un drame pour la société, qui n'a pas su réduire sa fréquence. Un avortement pour trois à quatre naissances, c'est trop, beaucoup trop !

En revanche, le contrôle des naissances est devenu un droit, peut-être même un devoir. Les femmes doivent éviter de se trouver dans une situation dramatique dont la seule issue serait l'avortement.

La France est l'un des pays où la contraception régulière est la plus développée, mais il peut y avoir, dans toute méthode et dans tout comportement, des ruptures. Dans toute vie, il y a des moments de vulnérabilité. La contraception d'urgence se justifie alors pleinement.

On considère qu'elle permet d'éviter 7 à 9 grossesses sur 10 après un rapport sexuel non protégé.

Je regrette toutefois le manque de concertation avec les responsables concernés. Sur un problème majeur de société, on ne prend jamais trop d'avis !

Mme Françoise de Panafieu - En effet !

Mme Marie-Thérèse Boisseau - La proposition de loi concerne « les médicaments non susceptibles de présenter un danger pour la santé dans les conditions normales d'emploi », et donc, en l'état, uniquement le Norlevo. Ses dispositions sont bonnes. En effet, plus tôt le Norlevo sera pris, mieux cela vaudra ; il est donc logique de ne pas imposer le détour par le médecin ou par le centre de planification. La vente libre en pharmacie se justifie particulièrement les week-ends et dans les communes éloignées de tout centre de planification familiale.

Ne pas exiger l'autorisation parentale est faire preuve de réalisme : il y a longtemps que les mineures utilisent la contraception sans en parler à leurs parents. Mais c'est surtout respecter ce que les jeunes ont de plus intime et le dialogue au sein de la famille, l'autorité des parents elle-même -qu'on ne doit pas confondre avec cette autorisation- ne peuvent que gagner au respect du jardin secret.

Cependant, la contraception d'urgence est une contraception d'exception, qui exige de sérieuses garanties. La délivrance du Norlevo par le pharmacien doit s'accompagner de conseils. Le recours à ces professionnels est, en l'occurrence, indispensable, le réseau des officines étant autrement plus dense que celui des centres de planification et des infirmières réunis. Leur rôle de conseil est précieux et, la plupart du temps, ils l'assument au mieux. Toutefois, il est préférable de l'inscrire dans la loi car il s'agit d'une médication d'exception qui doit être impérativement suivie d'une contraception habituelle.

La distribution par les infirmières ne doit être qu'un dernier recours. Même si elles travaillent en équipes, elles ne pourront en effet que très rarement parler avec les parents et il n'est pas facile d'en appeler aux centres de planification pendant le temps scolaire. Quant aux médecins scolaires, ils devront être informés pour pouvoir assurer un suivi de l'élève.

Les élèves majeures, aussi démunies que les autres, doivent pouvoir elles aussi bénéficier de la contraception d'urgence, en recourant aux infirmières. D'autre part, il est clair que l'insuffisance des moyens rend la loi très inégalitaire et inapplicable dans nombre d'établissements. La médecine scolaire est, en effet, pour la énième année, misérable ! Pour que le dispositif entre en oeuvre, il faudrait en fait une infirmière par établissement, comme le demandait en 1997 le Parlement des enfants. Ce ne sont pas les quelques postes inscrits au prochain budget qui régleront le problème (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Il faut aussi prévoir une formation spécifique des infirmières, pour leur permettre de répondre aux questions des jeunes filles et de les orienter vers un médecin traitant. Je ne puis par ailleurs que regretter la suppression de la spécialité de gynécologie médicale !(Protestations sur les bancs du groupe socialiste) De plus, dans le nouveau diplôme de gynécologie obstétrique, rien ne concerne la contraception !

Les chiffres cités à maintes reprises masquent mal les fortes inégalités entre zones rurales et zones urbaines. Dans certains établissements, l'infirmière n'est présente que quelques heures, une à deux fois par semaine, alors que les centres de planification sont éloignés et l'anonymat plus malaisément observé.

Le prix du Norlevo est trop élevé. Il y a un an, l'association de Paris du planning familial dénonçait déjà la situation mais rien n'a changé : ce prix est toujours de 60 F au minimum, mais le produit étant en vente libre, peut atteindre 150 F la boîte !

La législation sur la contraception habituelle devra être revue : en effet, si cette loi est votée en l'état, le médecin qui prescrira la contraception d'urgence ne pourra le faire de la contraception normale !

Vous annoncez des dispositions ultérieures mais que ne les avez-vous inscrites dans ce texte, à l'intention des mineures qui ne veulent pas en parler à leurs parents ?

La loi, enfin, doit être replacée dans un contexte plus global. Contexte médical d'abord : la contraception d'urgence doit rester une contraception habituelle, si l'on veut éviter de nouveaux échecs. Contexte social, ensuite : l'enquête de l'INSERM le prouve, plus le discours sur la sexualité est positif, plus la contraception sera d'accès facile et efficace. Aux Etats-Unisoù il y a une forte réprobation sociale à l'égard de ce qui touche à la sexualité, le taux d'IVG est trois fois plus élevé qu'en France. En outre, dans un contexte d'interdit, les femmes se sentent socialement stériles et c'est alors qu'il y a le plus d'accidents.

Dernier élément du contexte : l'état de l'éducation à la sexualité. En 1967, le rapport sur la loi Neuwirth concluait déjà : « Le problème fondamental est celui de l'information. Il faut arracher à une clandestinité absurde et dangereuse une vérité que trop d'adolescents découvrent à travers les verres déformants d'une auto-information détestable, donnée dans les cours de récréation, ou acquise à la lecture de brochures vicieuses ou en se livrant à des habitudes solitaires contre nature » (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Nicole Bricq - Qui rendent sourd !

Mme Marie-Thérèse Boisseau - La méconnaissance de la sexualité demeure forte chez les jeunes, quels que soient leur milieu, leur âge ou leur niveau intellectuel, de sorte que 60 % des premiers rapports ne sont pas protégés, que 70 % des adolescentes venant consulter pour une IVG n'ont jamais utilisé de contraceptifs et que 22 % en utilisent de façon périodique et aléatoire. Seulement 6 % des IVG correspondent à des échecs de contraception.

Oui donc à l'éducation à la sexualité, mais à qui la confier ? Il semblerait que les parents ne soient pas les mieux placés : « Le parent est comme un piquet de slalom pour la construction libidinale de l'enfant » dit Israël Nisand, ce qu'exprime aussi une conseillère familiale avec ses mots : « Quand on fait des bisous, on n'est pas du côté de l'éducation sexuelle ».

L'expérience scolaire n'est guère concluante non plus. Le temps ménagé pour cet enseignement est totalement insuffisant et souvent utilisé à autre chose. Et les adolescentes ne doivent pas être en position de dévoiler leur intimité devant les adultes.

Reste alors l'intervention d'équipes spécialisées de médecins, d'infirmières, de conseillères familiales extérieures à l'établissement, à condition qu'elle soit systématique. Cependant, le meilleur moyen, celui du moins que souhaitent les jeunes, c'est encore la discussion entre eux ou avec leurs aînés. Pourquoi l'infirmière ou une équipe extérieure ne formeraient-elles pas un groupe de jeunes qui interviendraient ensuite devant leurs camarades de classe ? Cela s'est déjà fait avec succès et c'est peut-être faute de tels groupes que la campagne sur la contraception de janvier dernier a échoué.

Il faut nous rendre à l'évidence : le nécessaire recours à la contraception d'urgence traduit l'échec des politiques de prévention. Il reste à organiser une éducation à la sexualité qui soit précoce, continue et proche des jeunes, en s'appuyant sur une authentique éducation à la vie en société (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés - Je me réjouis que ce débat soit consensuel et notamment que nous nous accordions sur la nécessité d'une éducation à la santé et à la responsabilité sexuelle. Mais je ne puis laisser dire des choses fausses ! Je ne puis laisser dire que nous voudrions supprimer la gynécologie médicale ! Voici plus d'un an que nous travaillons sérieusement au sujet avec les professionnels et avec des associations et j'ai au surplus multiplié les communications qui sont dans le sens contraire à celui indiqué par Mme Boisseau ! Je vais donc redire clairement ce qu'il en est, en demandant à tous et toutes de relayer l'information dans leurs permanences, afin de mettre fin à ce « marronnier » !

La gynécologie médicale n'était plus enseignée depuis 1984 et la seule voie pour obtenir un diplôme d'études spécialisées était la gynécologie obstétricale et chirurgicale ; grâce à une prise de conscience des dangers démographiques et à la mobilisation de certaines femmes, nous avons pu effectuer un travail approfondi avec l'ensemble des professionnels en vue de restaurer cette formation. Dès cette rentrée, un nouveau diplôme d'études spéciales a ainsi été institué, avec un tronc commun de gynécologie et deux options -obstétricale et médicale. Cette formation sera suivie par des coordinateurs spécialisés. En outre, nous avons décidé de porter le nombre d'internes, de 80 en 1998 à 200 en 2002. On ne peut donc continuer à affirmer que le Gouvernement a décrété la mort de la gynécologie médicale ! Merci de le faire savoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Conchita Lacuey - Le droit des femmes à disposer de leur corps et à maîtriser leur fécondité, est une des conquêtes majeures de ces dernières années. Pourtant, comment ne pas éprouver un sentiment d'échec quand on voit que tant d'adolescentes restent confrontées à des grossesses non désirées ? Pour moi, c'est une question de responsabilité partagée. En effet, de quel droit condamnerions-nous ces jeunes filles à assumer une décision qui engage toute leur vie ? Pour autant, le recours à la contraception d'urgence ne nous dispense pas d'une réflexion publique.

Aujourd'hui, l'essentiel n'est pas de savoir si on est pour ou contre cette contraception, mais bien de se demander comment on pourrait éviter aux adolescentes de se retrouver dans une telle situation. Ce ne sera pas en les culpabilisant mais en les aidant à prendre conscience de la nécessité de la prévention afin qu'à terme, le nombre de jeunes filles qui utilisent ce dispositif diminue.

Plusieurs recherches confirment que les jeunes auxquels on a dispensé des cours d'éducation sexuelle retardent le moment de la première relation et sont plus réceptifs à la contraception. Nous devons donc nous interroger sur la difficulté que nous avons à promouvoir une véritable éducation sexuelle. Nous devons donner à nos adolescents des points de repère successifs, les aider à bien évaluer leur situation et à assumer les décisions qui les concernent, sans éluder la dimension psychoaffective de la sexualité. En effet, si les images qui lui sont associées n'ont jamais été aussi visibles, voire violentes, nous savons trop rarement poser sur elle une parole d'adulte structurante. Or, dans ce domaine comme dans d'autres, les déterminismes sociaux sont très présents, la communication difficile au sein des familles : comment amener enfants et adolescents, soumis à des influences si diverses, à former leur jugement et leur sens des responsabilités ? Parents, enseignants, professionnels de santé sont pour eux une source d'information aussi rassurante qu'indispensable, mais ils peuvent se montrer maladroits ou imprécis ; l'éducation sexuelle scolaire a pour fonction d'aider les jeunes à mieux appréhender ces questions. Le sida a eu pour effet de mettre l'accent sur les aspects sanitaires de la sexualité ; il convient maintenant mieux intégrer la dimension humaine, psychique de celle-ci.

La contraception d'urgence s'inscrit dans une logique de prise en compte des difficultés réelles auxquelles peut être confrontée toute adolescente ; c'est le mérite du Gouvernement que d'avoir entendu et compris les demandes des jeunes filles, afin de leur épargner des souffrances que nos mères et nos grand-mères ont connues inutilement. L'Histoire nous apprend que nous avons raison de faire confiance aux femmes, à leur maturité, à leur intelligence et à leur sens des responsabilités (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Yvette Roudy - Excellente conclusion !

M. Patrick Delnatte - Ce dispositif d'urgence, dont le texte est réduit au strict minimum, est loin de répondre aux doutes légitimes que chacun peut avoir. Plus que le vote lui-même, c'est la richesse du débat qui permet de mesurer les enjeux, et s'il est primordial d'éviter les grossesses non désirées et les IVG, en particulier chez les mineurs, cette approche réductrice laisse de côté trois problèmes.

Le premier est constitué par le double échec que traduisent le nombre élevé des violences sexuelles et l'insuffisance de la contraception volontaire. C'est un échec qui est à la fois celui des parents et celui du monde éducatif, et le Gouvernement serait bien inspiré, s'agissant de l'information sur la sexualité, de suivre les recommandations de la Délégation aux droits des femmes.

Mme Yvette Roudy - Très bien !

M. Patrick Delnatte - L'éducation sexuelle ne doit pas se limiter aux aspects biologiques ni à des conseils de prévention, mais donner toute sa place à la dimension affective, culturelle, sociale de la sexualité, et faire davantage appel, pour cela, à des intervenants extérieurs. Il n'est pas raisonnable, par ailleurs, que cet enseignement reste limité à deux heures obligatoires en quatrième et en troisième.

Le deuxième problème est le risque de banalisation. Nul ne conteste, naturellement, que la contraception d'urgence vise uniquement à répondre, de façon exceptionnelle, à des situations d'urgence, mais le texte ne le dit pas clairement, pas plus qu'il ne fait état des mesures d'accompagnement individuel nécessaires.

Enfin, il est pour le moins paradoxal de prétendre en appeler à la responsabilité des parents tout en supprimant l'autorisation parentale, pour la contraception d'urgence aujourd'hui, pour l'IVG demain. Il faut, chacun s'accorde là-dessus, encourager les médiations familiales, et le groupe RPR a déposé des amendements qui visent à enrichir, notamment sur ce point, la rédaction quelque peu sommaire du projet. On nous objectera que certains ne relèvent pas de la loi, mais la loi doit aussi, selon nous, exprimer des valeurs et des repères, afin que le citoyen ne soit pas livré à lui-même. Le législateur ne doit pas se contenter de rechercher le moindre mal, mais favoriser l'exercice de la responsabilité, celle des familles comme celle des institutions (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Hervé Morin - J'interviens en tant que jeune père, jeune adulte et jeune parlementaire - même si l'on vieillit bien vite sous ces lambris... (Sourires)

M. le Président de la commission - Faux ! (Sourires)

M. Hervé Morin - Je voterai des deux mains cette proposition de loi, qui donne un fondement juridique à l'arrêté et à la circulaire du Gouvernement. On peut certes rêver d'un autre monde, d'un monde idéal où les parents assumeraient, vis-à-vis de leurs enfants, le « devoir de garde, de surveillance et d'éducation » que leur crée le code civil, où régnerait au sein des familles un esprit de dialogue, d'ouverture, de tolérance et de pardon, mais la réalité, tout élu local le sait, n'est point aussi irénique. Relisant hier Une vie de Maupassant, auteur cher entre tous à mon c_ur de Normand, je me disais, devant la page où l'héroïne découvre tout à coup ce qu'est la vie sexuelle, que les choses n'ont pas foncièrement changé depuis un siècle...

On peut aussi rêver d'un monde où le sexe resterait aux portes des maisons closes ou calfeutré sous les édredons (Rires), mais force est de constater qu'il est aujourd'hui partout, jusque dans la publicité, et même sur l'Internet, où il inspire les sites les plus visités. Et à ceux qui souhaitent faire remonter le taux de natalité, je dirai qu'il est tout de même de meilleurs moyens pour cela que la multiplication des grossesses non voulues...

Je défends, pour ma part, une logique réaliste, fondée sur les faits suivants : l'âge moyen du premier rapport est de 17 ans ; il a lieu, deux fois sur trois, sans contraception ; chaque année, quelque 6000 IVG sont pratiquées sur des mineures. Vous comprendrez donc que, lorsque je regarde ma fille, je me dise qu'il vaudrait encore mieux, le cas échéant, qu'elle prenne du Norlevo sans en parler à sa mère...

Plusieurs députés socialistes - Ou à son père ! (Sourires)

M. Hervé Morin - ...que de venir, trop tard, annoncer à son père - ou à sa mère - qu'il faut la conduire dans un service où personne ne souhaite avoir à accompagner son enfant !

Enfin, il ne faut pas être hypocrite : la loi Neuwirth n'était pas appliquée.

Je ferai cependant une critique : la contraception d'urgence n'est pas l'avortement -ce sont deux sujets complètement différents qu'il ne faut pas amalgamer. Si les mots ont encore un sens, il faut bien dire que la contraception est le fait d'organiser son infécondité alors que l'avortement est celui d'interrompre une grossesse.

Faisant partie d'une famille libérale, je crois à la responsabilité. En l'occurrence, c'est donner une liberté supplémentaire aux femmes. Il ne s'agit pas d'une course à la modernité, il s'agit de liberté. Je voterai ce texte parce que la politique est d'abord faite pour donner à nos concitoyens les éléments de progrès apportés par la science et la médecine (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur de nombreux bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Mme Françoise Imbert - L'annulation par le Conseil d'Etat le 30 juin 2000 de la circulaire de Ségolène Royal nous oblige à légiférer. Soit. Ce que nous ne pouvons pas, c'est laisser les jeunes filles mineures se retrouver enceintes sans le vouloir ou recourir à une IVG, avec tous les traumatismes physiques et psychologiques qui en découlent, alors qu'un remède simple et dépourvu d'effets secondaires existe.

Nous ne pouvons pas les laisser dans des situations de grande détresse après un rapport sexuel non protégé ou mal, voire forcé, sachant qu'il s'agit le plus souvent de mineures en situation de précarité.

C'est pourquoi nous devons voter cette proposition de loi.

Pour ma part, j'en retiens plus particulièrement le rôle que vont retrouver les infirmières scolaires.

Les adolescents éprouvent de grandes difficultés à aborder le sujet de la sexualité avec leurs parents.

Il sont peu informés et peu réceptifs à un enseignement qu'ils estiment trop théorique. Ils peuvent aussi, il faut bien le dire, être tentés par des conduites à risque, qu'il s'agisse de sexualité, de tabac, d'alcool ou de drogue.

Les infirmières ont auprès d'eux, depuis longtemps, un rôle d'écoute et de conseil. Elles sont l'interlocuteur adulte dont ils ont besoin et avec lequel ils se sentent en confiance, car la grande majorité d'entre elles -puisque ce sont, en milieu scolaire, presque toutes des femmes- avait accueilli très favorablement la circulaire du 27 décembre 1999, d'autant qu'elles avaient déjà dû faire face à ces situations, et elles ont fort bien su, durant les six mois de son application, suivre le protocole très précis qui leur était imposé. Les infirmières sont conscientes de leurs responsabilités, qu'elles assument pourtant dans des conditions parfois difficiles.

En effet, il y a, en moyenne, une infirmière pour 2 500 élèves. C'est le cas dans un établissement de ma circonscription. Dans d'autres lycées du département, les infirmières ne sont présentes qu'à mi-temps.

Dans les collèges, elles ne sont souvent présentes qu'une ou deux demi-journées par semaine. Pourtant, elles savent aider les adolescentes à assumer une situation difficile.

Les infirmières que j'ai rencontrées affirment qu'elles n'ont prescrit le Norlevo que quand, vraiment, elles ne pouvaient pas faire autrement, notamment quand la médiation avec les parents avait échoué ou avait été refusée par l'élève, quand le centre de planification familiale était fermé ou encore quand un médecin ne pouvait être rencontré rapidement.

A chaque fois, elles ont pu établir un dialogue avec l'adolescente et la conduire à envisager une contraception régulière.

Les infirmières jouent en effet aussi un rôle de prévention.

Elles savent travailler en partenariat avec l'équipe de leur établissement et les professionnels de la santé. Ce travail de grande qualité, elles l'accomplissent malgré, elles le soulignent, un certain manque de formation.

Nous devons leur permettre d'assumer au mieux cette lourde responsabilité.

Tout en adoptant rapidement, comme le souhaitent d'ailleurs une grande majorité de parents, la proposition de loi sur la contraception d'urgence, nous devons aussi leur donner des moyens et une meilleure formation. C'est un combat que nous mènerons à vos côtés, Mesdames les ministres, tout comme celui qui permettra aux femmes de disposer réellement de leur corps et de leur liberté (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Philippe de Villiers - Je commencerai en citant Mme Mignon : « Pour nous, la détresse d'une adolescente, c'est de commencer sa vie d'adulte soit par une grossesse non désirée, soit par un avortement ».

La proposition de loi de Mme Bousquet permet aux adolescentes d'échapper à une détresse en les précipitant dans une autre. Elle ne leur offre aucune alternative aux moments d'inquiétude qu'elles peuvent soudain connaître. Ce texte du groupe socialiste est dangereux et irresponsable.

D'abord, il détourne le sens des mots. La contraception d'urgence n'existe pas. La pilule Norlevo, dite pilule du lendemain n'est pas une pilule contraceptive mais bel et bien une pilule abortive (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Il est hypocrite de prétendre le contraire : qu'il y ait eu nidification au moment de la prise de cette pilule ou non, cela ne retire rien au fait qu'il y ait eu fécondation et conception. Or le seul fait tangible permettant de déterminer le commencement de la vie humaine est sa conception.

Notre législation ne reconnaît pas l'avortement comme un droit des femmes et même la loi Veil commençait par rappeler explicitement le principe intangible de la vie.

Dans la législation actuelle, l'avortement est une exception, avec la pilule du lendemain, vous en faites la règle.

Cette systématisation est dans la ligne du projet de loi de Mme Aubry qui vise à étendre de dix semaines à douze le délai légal d'avortement. Le rapport de Mme Mignon souligne que « le faible nombre d'avortements enregistrés aux Pays-Bas est lié à la grande disponibilité, dans ce pays, de la pilule du lendemain ».

Il s'agit d'un raccourci sémantique : vous voulez faire d'une pilule abortive un moyen contraceptif et vous substituez à un principe de précaution un principe de destruction, en lançant une véritable guerre chimique contre l'enfant à naître.

Dans l'urgence, vous tuez aussi la conscience.

La prise dans l'urgence de cette pilule écarte à jamais des questions que toutes les jeunes femmes trouvent avantage à se poser sur ce qu'est l'avortement, c'est-à-dire une blessure pour la femme et la mort d'un enfant.

Mme Raymonde Le Texier - Ne pensez pas à leur place !

M. Philippe de Villiers - Comment peut-on encore parler d'éducation quand on coupe l'enfant de toute responsabilité ? L'éducation sexuelle consiste aujourd'hui à expliquer comment ne pas avoir d'enfants.

Mme Yvette Roudy - Non, comment maîtriser la fécondité.

M. Philippe de Villiers - Il faut beaucoup de cynisme pour ne pas voir que ce dont a besoin la jeunesse aujourd'hui, c'est d'une éducation affective, fondée sur le respect de la vie et la construction d'une famille, et pas d'une pilule avalée à la hâte, dans l'angoisse et la solitude. Ce n'est pas non plus de la mallette pédagogique que M. Lang a appelé « le bonheur d'aimer », qui est distribuée dans les collèges et les lycées et qui promeut une idéologie de la peur de la vie !

On devrait plutôt chercher à rendre la jeunesse responsable avant qu'il ne soit trop tard, et dégager des moyens pour la vie plutôt que d'accroître le budget des solutions de détresse.

Enfin, on ne peut ignorer le problème de santé publique que contient cette proposition.

En permettant à des infirmières, qui ne sont pas des médecins gynécologues, de délivrer la pilule abortive, en écartant de fait le suivi médical des mineures, en écartant leurs parents de décisions fondamentales, votre dispositif constitue un véritable abus de pouvoir intellectuel, moral et politique contre la jeunesse.

Je voterai donc fermement contre ce texte révoltant.

Mme Nicole Bricq - La proposition dont nous débattons aujourd'hui est d'origine socialiste.

Mme Yvette Roudy - Utile rappel.

Mme Nicole Bricq - En effet, lors de la réunion du groupe qui a suivi la décision du Conseil d'Etat, hommes et femmes ont immédiatement décidé d'utiliser leur droit de tirage parlementaire dès la rentrée pour ce sujet. Il s'agit en effet de mettre fin à l'hypocrisie sociale qui permet de se réfugier derrière le statut de mineures pour ne pas entendre leur détresse.

Lorsque la prescription de la pilule du lendemain a été autorisée dans les lycées par la circulaire de Mme Royal, j'y ai vu aussi un remède contre les inégalités.

Élue de grande banlieue, en Seine-et-Marne, où il y a peu de structures d'accueil, le rôle des infirmières scolaires est décisif et leurs interventions ont été aussi nombreuses que dans des départements beaucoup plus urbanisés. Elles ont ainsi pu corriger certaines inégalités.

Les opposants au texte, certes peu nombreux, invoquent la responsabilité parentale. Mais il n'est pas toujours facile de l'exercer, surtout lorsqu'il s'agit de l'intimité des jeunes filles.

J'ai noté aussi, au travers des résultats de l'enquête menée par une fédération nationale de parents d'élèves, que les parents sont majoritairement favorables à cette proposition. Elle est également bien accueillie par la communauté éducative, même si celle-ci se plaint du manque d'infirmières scolaires. J'ai noté l'annonce faite par Mme Aubry d'un effort à cet égard dans la loi de finances 2001.

J'ai noté enfin, Madame le ministre, que le plan que vous avez annoncé avec le ministre de l'éducation nationale en faveur de l'éducation sexuelle comportera une formation des infirmières à la délivrance de cette pilule, dans les deux ans à venir, en liaison avec le Planning familial et la Direction générale de la santé. Je voudrais d'ailleurs saluer le combat historique du Planning familial pour la liberté des femmes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Il s'agit aujourd'hui de mettre en phase l'évolution de la société et celle du droit. Nous, socialistes, avons toujours été là, en 1967 comme en 1974. Mais, par un juste retour des choses, il se trouvera aussi aujourd'hui des esprits éclairés à droite pour soutenir, avec ce texte, la dignité des femmes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme Martine Lignières-Cassou - L'intention des associations qui ont saisi le Conseil d'Etat, d'ailleurs proches de certains bancs de cette Assemblée, n'était certainement pas de provoquer le débat d'aujourd'hui, dont l'initiative revient au groupe socialiste. Il n'en constitue pas moins une occasion de prendre conscience de l'évolution des mentalités, qu'a notamment révélée un récent sondage auprès des parents.

Notre proposition contribue à la reconnaissance de la vie sexuelle des jeunes, qui est longtemps demeurée un tabou, et à celle de la pratique responsable de ces six derniers mois dans les établissements.

J'ai pu constater hier soir, lors de la diffusion du film Une semaine au Planning.

Mme Yvette Roudy - Très bon film !

Mme Martine Lignières-Cassou - ...organisée par la Délégation aux Droits des femmes, qu'il reste encore bien du chemin à parcourir. J'ai aussi redécouvert la pudeur des adolescents dès qu'il s'agit d'aborder avec leurs parents la question de leur sexualité.

L'indispensable éducation sexuelle doit être intelligente. Telle est bien la volonté de Jack Lang et de Ségolène Royal, traduite par la mallette pédagogique conçue autour du film Bonheur d'aimer. Les jeunes attendent que nous sachions les écouter.

Notre proposition légalise six mois de pratique et s'appuie sur un protocole de mise en _uvre discuté par l'ensemble des acteurs. Un discours social favorable à la sexualité est la meilleure garantie d'une diminution du nombre d'IVG.

J'appartiens à la génération des lois Neuwirth, Veil, Roudy, qui ont donné aux femmes des droits pour maîtriser leur fécondité, des droits qui demeurent fragiles.

La Délégation aux droits des femmes consacre son rapport annuel à la contraception et à l'IVG, elle a organisé un colloque sur ce thème. Nous nous réjouissons de la prochaine révision des lois Neuwirth et Veil à l'initiative du Gouvernement. Le travail fructueux qu'ont mené le Gouvernement, la Délégation aux droits des femmes, les associations et les médias s'avérera ainsi particulièrement utile dans les prochaines semaines. Nous avons là l'exemple d'une fructueuse synergie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Je remercie les intervenants pour la qualité de ce débat. Je remercie la commission des affaires sociales, je remercie la commission des affaires sociales, je remercie la Délégation aux droits des femmes, dont le rôle s'affirme de plus en plus, sous la présidence de Mme Lignières-Cassou. Et je souligne que ce débat s'inscrit dans le droit fil du combat longtemps mené par Mme Yvette Roudy (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste ; Mme Roselyne Bachelot-Narquin applaudit également).

Je salue aussi les deux rapporteurs, Mme Hélène Mignon et Mme Marie-Françoise Clergeau.

A la radio ce matin, un journaliste parlait de retour au politique. Et j'en remercie le président du groupe socialiste, Jean-Marc Ayrault, d'autant que le débat d'aujourd'hui se poursuivra par celui sur la lutte contre les discriminations. Oui, c'est là le retour au politique, c'est là le vrai débat démocratique pour lequel nous avons été élus !

M. Delnatte a parlé de « loi sèche ». Certes, la loi se borne à codifier, mais aussi elle traduit une demande sociale qui, aujourd'hui, se confond avec le refus de l'hypocrisie.

Monsieur Morin, j'ai apprécié votre intervention, sauf sur un point : je peux vous garantir qu'avec la passion qui est la vôtre, vous ne vieillirez pas de si tôt ! (Sourires)

M. Dominique Baert - Parole de connaisseur ! (Marques d'approbation sur de nombreux bancs)

M. le Président de la commission - J'ai été frappé par les mots, récurrents dans ce débat, d'urgence, de détresse, de solitude, d'écoute, de fragilité, de dignité. Je veux saluer l'extraordinaire travail des infirmières scolaires, même si leurs effectifs sont insuffisants, et peut-être Mme Gillot pourra-t-elle nous en proposer une évolution.

Enfin, ce texte est inséparable de son application réglementaire, qui est déjà prête avec un protocole de grande qualité, fruit de six mois de discussion.

Ce débat ne doit pas être isolé de celui qui concerne l'éducation sexuelle et la responsabilisation des garçons, alors que les violences sexuelles et la pression sociale sur les jeunes filles s'aggravent -et l'hypocrisie est un facteur d'aggravation.

Pour ce qui est du rôle des parents, on ne peut mieux dire que Ségolène Royal. « L'éducation à la vie affective n'est pas facile à assumer car nous ne sommes pas nous-mêmes des adultes parfaits, à l'abri des doutes, des erreurs ni des échecs », a-t-elle déclaré dans son intervention, rappelant combien il était difficile aux parents de faire face à la fois à la demande et au rejet des adolescents, à leur besoin de se confier et à celui de protéger leur intimité.

Mme Christine Boutin - Ce n'est pas une révélation !

M. le Président de la commission - Je tenais à vous rendre hommage, Madame la ministre, pour ces propos si justes sur des questions que vous connaissez en tant que mère de famille. En vous écoutant, me revenaient en mémoire les émouvantes images du film Virgin suicides dans lequel Sophia Coppola montre bien, avec une grande détresse, la fragilité des êtres, la difficulté du dialogue et parfois la profondeur des incompréhensions. Cela aussi s'est traduit dans notre débat, je vous en remercie et je salue ce retour au politique, accompli grâce à vous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés - Je ne reviens pas sur les arguments développés précédemment par Mmes Aubry et Royal, que je partage pleinement. Je me félicite par ailleurs de constater que sur un sujet de société comme celui-ci, nous puissions aboutir à un consensus. Faire de la politique, c'est bien essayer de satisfaire les besoins exprimés par nos concitoyens par tous les moyens à notre disposition, en l'espèce scientifiques et médicaux.

Nul ne pourrait nier la situation de détresse dans laquelle se retrouvent des adolescentes enceintes alors qu'elles ne le souhaitent pas et que dans ces cas, leurs parents ne sont pas toujours les meilleurs interlocuteurs. Nous ne pouvons accepter que des jeunes filles, murées dans un isolement douloureux, vivent ainsi une grossesse non désirée ou un avortement, toujours très traumatisant. Comme on peut le constater lorsqu'elles se présentent à l'hôpital pour accoucher sans avoir bénéficié d'aucun suivi ou lorsque l'une d'entre elles a malheureusement fait la une des journaux après la découverte tragique d'un nouveau-né dans une poubelle de lycée, ces jeunes filles ne sont pas toutes, tant s'en faut, maghrébines. Elles sont nombreuses à ne pas avoir osé parler, à n'avoir pas trouvé le conseil dont elles auraient eu besoin. Nous avons donc une responsabilité collective à l'égard de toutes ces jeunes filles, quels que soient leur milieu, leur origine ou leur éducation.

L'immense progrès que représente la contraception d'urgence, atout supplémentaire par rapport à une contraception classique, doit être accessible à tous, tel est bien le sens de cette proposition de loi.

Certains craignent que la pilule du lendemain ne présente un danger pour la santé. Or, l'utilisation depuis déjà vingt ans, du lévonagestrel, principe actif du Norlevo, et l'absence de tout _strogène dans cette pilule permettent d'en garantir la totale sécurité d'emploi, comme l'ont d'ailleurs établie les experts. Pour ce qui est des doses, l'administration ponctuelle de cette pilule rend parfaitement possible sa délivrance sans prescription médicale, et ce en parfaite conformité avec les textes européens. La mise sur le marché de cette pilule du lendemain a suivi les procédures normales d'évaluation du médicament. Les questions soulevées par l'Académie de pharmacie et la position de l'Académie de médecine ont été entendues. Mais bien que le mécanisme d'action de ce médicament, comme celui de beaucoup d'autres, ne soit pas entièrement connu, les experts de l'Agence de sécurité des produits de santé ont jugé que les données sur la sécurité et l'efficacité de cette molécule étaient suffisantes pour autoriser la délivrance du produit sans prescription médicale. Selon eux, les effets secondaires et les possibles troubles du cycle, tout à fait mineurs, ne justifient aucune inquiétude. L'AMM délivrée par la France a d'ailleurs été reconnue par l'ensemble de l'Union européenne. Invoquer ici le principe de précaution, comme l'a fait cet expert en dramatisation qu'est M. de Villiers, n'a donc pas de sens. Comme tout médicament, le Norlevo fera bien sûr l'objet d'un suivi attentif de pharmacovigilance.

Le Gouvernement entend renforcer sa politique en matière d'éducation sexuelle, partie intégrante de l'éducation à la santé. Dès 1973, la circulaire Fontanet définissait le cadre de l'éducation sexuelle à l'école. Malheureusement, peu d'efforts en matière de formation ont accompagné ce texte et la plupart des actions conduites reposaient sur la libre initiative des intervenants. Par la suite, l'épidémie de sida et le devoir de prévention qu'elle a imposé ont accéléré la mise en place d'une éducation sexuelle dans les établissements scolaires, toutefois plus axée sur la prévention que sur la responsabilisation. Dans le cadre du comité interministériel de lutte contre le sida, le ministère de l'éducation nationale a élaboré tout un programme qui a abouti à la circulaire du 15 avril 1998 rendant obligatoire deux heures par an au minimum d'éducation à la sexualité pour les élèves de 4ème et de 3ème. Les personnels les plus intéressés se sont fortement mobilisés et ont développé, au-delà de cette obligation, nombre d'expérimentations aujourd'hui en voie de modélisation. Un plan de formation à l'intention des enseignants, des personnels sociaux et de santé volontaires, ainsi d'ailleurs qu'aux associations de parents d'élèves qui souhaitent être associés à la démarche, est actuellement mis en place.

Il existe désormais plusieurs types d'interventions dans les collèges : outre les deux heures par an prévues par la circulaire de 1998, l'heure de vie scolaire hebdomadaire peut éventuellement être consacrée à l'éducation sexuelle. Quant aux 30 à 40 heures prévues depuis 1999 pour des rencontres éducatives à la santé au cours de la scolarité des collégiens, elles feront l'objet d'une évaluation précise. Le recul est encore insuffisant. Les centres de planification familiale et les comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté, lesquels existent déjà dans la moitié des collèges, ont bien sûr un rôle déterminant à jouer.

Le ministère de la santé soutient très activement l'ensemble de ces dispositifs : deux millions de francs par an ont d'ailleurs été transférés de son budget à celui de l'éducation pour promouvoir l'éducation sexuelle. Un partenariat est envisagé avec le ministère de l'agriculture afin que les élèves des établissements agricoles bénéficient du même effort. Il s'agit rien moins que de favoriser la prise de conscience de leur corps par les élèves et de les aider à acquérir un esprit critique, leur autorisant des choix libres et responsables dans leur vie sexuelle.

Le rôle des infirmières scolaires est primordiale, nous en sommes tout à fait d'accord, c'est bien pourquoi la possibilité de délivrer la pilule du lendemain leur sera rendue. Le Gouvernement poursuivra l'effort sans précédent de créations d'emplois qu'il a entrepris depuis 1998. De 1998 à 2000, 595 nouveaux emplois ont été créés et le collectif du printemps a encore accordé 290 équivalents temps plein sous forme de vacations. Le projet de budget pour 2001 comporte, quant à lui, 150 emplois supplémentaires. Les nouveaux postes ont été en priorité ouverts dans les académies qui accusaient un retard important, et notamment dans les établissements faisant l'objet d'un plan de prévention de la violence.

La délivrance d'une contraception d'urgence n'étant pas seulement un geste technique, il importe d'y former les infirmières scolaires. Avant la fin de cette année, 850 auront bénéficié d'une formation spécifique tendant à améliorer leur connaissance des moyens de contraception et à renforcer leur capacité d'écoute et de conseil.

Mme Christine Boutin - Combien d'établissements ont une infirmière ?

Mme la Secrétaire d'Etat - Ces formations toucheront bien sûr les lycées professionnels comme les autres établissements scolaires. Ainsi, l'ensemble des élèves, quelle que soit leur condition sociale, bénéficiera d'une même écoute et d'un même soutien.

Mme Christine Boutin - Vous savez bien que ce n'est pas vrai !

Mme la Secrétaire d'Etat - Madame Boutin, notre objectif est qu'à terme, chaque établissement scolaire bénéficie d'un personnel formé.

Mme Christine Boutin - C'est par cela qu'il faudrait commencer.

Mme la Secrétaire d'Etat - Bien sûr, en laissant en plan les jeunes filles en difficulté pendant le temps nécessaire. En réponse à Mme de Panafieu, je précise que cette formation des infirmières scolaires sera complétée par une sensibilisation des pharmaciens à l'importance de leur rôle en matière de délivrance de la contraception d'urgence.

L'éducation sexuelle fait partie de l'éducation générale à la santé, qui est l'une de mes principales préoccupations. Il faut inciter chacun à devenir responsable de sa santé et de son devenir. C'est l'un des objectifs qui sera poursuivi par la loi de modernisation du système de santé ; la prévention fera pour la première fois l'objet d'un chapitre entier dans le code de la santé. Les actions menées dans ce domaine sont en effet trop éparses ; les collectivités locales, les caisses d'assurance maladie, les ministères, les agences sanitaires doivent unir leurs efforts et bénéficier de moyens renforcés. Il est prévu dans ce but d'instituer un comité technique national de la prévention qui réunira autour du ministre de la santé l'ensemble des ministères concernés. En outre, un institut national d'information, de promotion et d'éducation pour la santé sera créé.

Le texte d'initiative parlementaire dont nous débattons aujourd'hui est important. Bien sûr, il y aura le projet de loi révisant le dispositif relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, mais il ne faut pas mélanger les deux débats. Nous sommes très favorables à ce que l'accès à la contraception d'urgence, notamment pour les mineures, soit légalisé le plus vite possible. Chaque mois compte pour faire avancer les droits des personnes.

Bien sûr, l'exercice de ces droits suppose des moyens ; le Gouvernement s'engage à les assumer. Faire tomber le tabou de la sexualité des adolescents, donner à tous les moyens de leur autonomie et de leur responsabilité, tels sont nos objectifs. Nous éviterons ainsi la survenue de drames aux conséquences irréparables (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. le Président - Nous pourrions terminer le débat cette séance... (« Oui !» sur de nombreux bancs). J'invite donc chaque intervenant à faire preuve d'une sobriété qui ne me paraît nullement contradictoire avec l'intensité de la pensée (« Très juste ! » sur divers bancs).

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ARTICLE UNIQUE

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - L'absence d'obligation d'une autorisation parentale participerait, nous disent certains, de la destruction de la famille. En fait, jamais les parents n'ont été autant qu'aujourd'hui impliqués dans l'éducation de leurs enfants, jamais ils ne se sont autant investis qu'aujourd'hui -certains trouvent même que c'est excessif ! A l'évidence, le dialogue et la confiance entre les parents et les enfants ne relèvent pas d'une loi et s'ils existent, les jeunes filles s'empresseront, en cas de catastrophe, d'aller vers leurs parents -et surtout vers leur mère. A cet égard, je constate que ce matin, alors que l'Assemblée ne compte que 10 % de députées, nous constituons, chères collègues, 60 % des présents. Cela montre que nos collègues masculins ne se sentent guère concernés (Exclamations sur de nombreux bancs). Mais je salue, bien sûr, ceux qui sont là (« Très bien ! » sur divers bancs) la proportion n'en est pas moins significative.

Exiger une autorisation parentale, c'est remettre le destin d'une jeune fille à la décision de ses parents. Pourtant qu'elle aille au bout de sa grossesse ou qu'elle ait recours à l'IVG, elle sera seule à vivre son expérience indicible. La grossesse non désirée chez une mineure est toujours un échec, et c'est d'abord l'échec des parents, à travers le manque de dialogue et d'information.

En outre, l'incapacité de certains parents à donner une éducation sexuelle est réelle, et elle n'est pas le fait exclusif de classes sociales défavorisées. Le Planning familial avait demandé il y a quelques années à des femmes de dessiner leurs organes génitaux ; on est surpris par l'ignorance de nombre d'entre elles, même agrégées d'université ou ingénieurs !

De même, il faut éviter le simplisme au sujet des violences au sein de la famille. L'inceste se pratique dans tous les milieux. Le livre magnifique de Mme Niki de Saint-Phalle, comme d'autres, en témoigne. Quant à la répression de la sexualité, elle n'est pas l'apanage de familles d'origine méditerranéenne...

Enfin, souvent les parents peuvent parler de la sexualité, mais pas de la sexualité de leur enfant, car ce serait une intrusion dans sa vie personnelle et cela les renverrait à leur propre sexualité. Les sociétés primitives l'avaient bien compris, en confiant les rites initiatiques à d'autres adultes que les parents. Le dialogue entre parents et enfants ne peut résulter que d'un respect mutuel concernant cette part la plus intime de nos êtres (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du RPR et de nombreux bancs du groupe UDF et du groupe socialiste).

M. Jacques Myard - « J'ai pris le temps de faire court », comme le disait Mme de Sévigné...

La contraception des mineures est un sujet qui exige de nous humilité et sérénité. Ne raisonnons pas par slogans, ni d'un côté ni de l'autre.

Plusieurs principes sont en cause : l'autorité et la responsabilité parentales, la responsabilité médicale, la liberté et la responsabilité individuelles.

Je regrette que les parents soient un peu trop facilement écartés. Nous avons tous été des adolescentes ou des adolescents (Mme Bricq manifeste son approbation). Nous avons connu le désarroi, la révolte. Et nous comprenons qu'il est parfois plus facile de parler à un tiers qu'à ses propres parents ; mais ne faut-il pas que les tiers poussent à renouer le dialogue avec les parents ?

La possibilité donnée aux infirmières scolaires d'administrer la pilule du lendemain est une exception faite au principe de responsabilité médicale. Or nombre d'infirmières scolaires que j'ai rencontrées n'y sont pas favorables ; elles pensent que c'est une lourde tâche, qu'elles ne pourront pas toujours accomplir avec le suivi nécessaire, et elles préféreraient que cette mission soit prise en charge par les centres de PMI.

S'agissant de la liberté et de la responsabilité individuelles, privilégiant la liberté totale, vous faites l'impasse sur la responsabilité et aussi sur l'éducation sexuelle.

Pour résumer, je ne condamne pas votre proposition de loi, mais je ne l'approuve pas pour autant. Ayant en outre le sentiment amer de me trouver devant un texte élaboré un peu hâtivement, pour ne pas dire bâclé, sur lequel il faudra donc revenir, je m'abstiendrai ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Catherine Picard - Nous venons d'entendre des discours à la fois prévisibles et étonnants. Prévisibles : nous savions que certains, ou certaines, militaient dans des associations qui brandissent l'étendard de la fécondité, faisant de celle-ci le seul salut pour la famille. Etonnants : ces propos archaïques nous ont, en quelques minutes, fait rajeunir de trente ans -ce qui pourrait être agréable si les souvenirs ainsi convoqués l'étaient eux-mêmes, et s'ils étaient plus largement partagés...

Mais, en trente ans, la société a changé et les lois doivent s'adapter à cette évolution. Nous allons donc adopter un article unique pour résoudre des difficultés uniques, intimes, personnelles, et aider ces jeunes filles à choisir et non à subir. Combien en effet subissent encore les contraintes familiales, culturelles et religieuses, réduites à la peur, à la culpabilité et la clandestinité comme il y a trente ans ? Ces dispositions permettront à chacun de prendre ses responsabilités.

J'approuve ce qui a été dit sur l'importance de l'éducation et de l'information comme facteurs d'autonomie et de responsabilisation, mais n'est-ce pas à quoi travaille chaque jour la communauté éducative et à quoi devraient _uvrer les parents ? Et, s'agissant de mineurs, la loi n'autorise-t-elle pas déjà les pouvoirs publics, dans certains cas, à décider contre le choix des parents, quand la santé des enfants, leur sécurité, leur équilibre ou leur épanouissement sont en danger ? Une grossesse à quatorze ans n'entrerait-elle pas dans cette définition ? Enfin, cette proposition ne s'inscrit-elle pas dans le cadre dessiné par la Convention internationale pour les droits de l'enfant ? En l'adoptant, nous serons fidèles aux exigences des femmes contemporaines, qui veulent être libres et responsables de leurs choix ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pierre-Christophe Baguet - En raison de la gravité du sujet, c'est avec beaucoup de respect et d'humilité que j'aborderai ce débat, d'autant qu'il est d'abord motivé par un échec de notre société. Mon inquiétude ne peut d'ailleurs que croître lorsque je vois que le nombre des grossesses non désirées et des avortements continue d'augmenter parmi les adolescentes, malgré le niveau élevé de la contraception en France. Il est clair que ces jeunes filles souffrent d'un manque de communication, d'information et d'écoute, ainsi que des difficultés d'accès à la médecine, en milieu scolaire tout particulièrement.

Notre rôle d'adultes est de préparer les enfants à devenir à leur tour des adultes responsables, épanouis et respectueux des autres. Nous donnons-nous les moyens d'y réussir ? L'absence d'éducation au choix et à la responsabilité, l'insuffisante formation des garçons à la contraception, le nivellement des références culturelles et cultuelles, la difficulté des relations avec les parents sont autant de facteurs aggravants, susceptibles de conduire au drame d'une grossesse non désirée. La détresse de ces adolescentes sera d'autant plus grande qu'elles seront plus jeunes, plus isolées socialement, en rupture avec leurs proches. Leur permettre de se passer de l'autorisation parentale, ne sera-ce pas distendre encore davantage les liens avec leur famille ?

On nous propose de choisir entre la « solution » extrême, la plus douloureuse -l'avortement- et la pilule du lendemain. Reconnaissons que l'alternative est bien triste ! De plus, ne va-t-on pas banaliser un acte qui devrait exclusivement se fonder sur l'amour et sur le respect de l'autre ? Ne va-t-on pas aggraver la déresponsabilisation dont nous mesurons chaque jour les conséquences néfastes pour la société.

Je ne puis, en ce qui me concerne, me résoudre à une alternative douloureuse. Les responsables politiques ne peuvent rester les bras croisés et renoncer à faire évoluer la société en la rendant plus attentive aux démunis. L'angélisation ne peut y suffire : il faut une farouche volonté et l'espoir de mettre fin à ces misères.

Aux propositions avancées par mes collègues et auxquelles je souscris, j'en ajouterai une qui me tient à c_ur : il faut une politique familiale adaptée et responsabilisante. En attendant, et même si ce débat peut servir d'électrochoc, il est évident que ces drames ne vont pas cesser du jour au lendemain. Au nom de mon espérance en une société plus juste et plus humaine, je serais plutôt enclin à voter contre cette proposition de loi. Mais je suis réaliste et je ne puis me résoudre à laisser subsister ces cas douloureux. Je m'abstiendrai donc par défaut, en souhaitant toutefois de tout c_ur que notre pays se dote des moyens d'aider ces jeunes filles en détresse, aujourd'hui et surtout demain. Je ne voudrais pas que cette loi nous exonère de tout effort : à chacun donc de prendre ses responsabilités, à commencer par le Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

Mme Françoise de Panafieu - J'ai déjà dit quel devait être, à mon sens, le rôle des pharmaciens : d'où l'amendement 4.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - L'amendement 7 va dans le même sens. L'article R 5015-40 qui figure dans le code de déontologie des pharmaciens leur fait un « devoir particulier de conseil » lorsqu'ils sont amenés à délivrer « un médicament qui ne requiert pas de prescription médicale » et de participer « par des conseils appropriés et dans le domaine de leurs compétences, au soutien apporté au patient ». Ce serait une bonne chose que ces obligations soient aussi inscrites dans la loi. Depuis que le Norlevo est en vente libre, plus de 500 000 boîtes ont été distribuées et il convient donc de rappeler aux rares pharmaciens qui l'oublieraient ce rôle de conseil.

Mme la Rapporteuse - La commission a repoussé les deux amendements. En effet, le protocole mentionne à plusieurs reprises ce devoir de conseil et il n'y aurait aucun intérêt à rappeler ce qui figure déjà dans le code de déontologie des pharmaciens.

Mme la Secrétaire d'Etat - Mme Boisseau a elle-même dit pourquoi cette précision était inutile. Répéter ce qui est dans le code de la santé publique serait faire injure aux pharmaciens. Au surcroît, comme je l'ai dit, nous allons travailler à rendre les professionnels qui ne le seraient pas plus sensibles à cette avancée de la pharmacopée.

Les amendements 4 et 7, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Par l'amendement 6, j'entends préciser que l'administration de la pilule du lendemain doit rester un dernier recours mais que les élèves majeures doivent en bénéficier, éventuellement, au même titre que les élèves mineures.

Chaque fois que faire se peut, les infirmières scolaires doivent essayer d'entrer en contact avec les parents, et de travailler en relation avec le Planning familial et le médecin scolaire. Je reconnais que les obstacles peuvent être nombreux mais il n'est pas moins nécessaire de rappeler ce principe.

Quant aux élèves majeures, le protocole national pour l'organisation des soins et des urgences leur reconnaît certes un accès au Norlevo, mais seulement à titre exceptionnel. Or elles aussi peuvent être confrontées à une grossesse et être aussi démunies que les mineures. Il est donc souhaitable que les infirmières scolaires puissent leur rendre exactement le même service.

Mme la Rapporteuse - Cette dernière demande est satisfaite par le dernier alinéa de l'article, tel qu'il résulte d'un amendement de la commission. Quant à ajouter « en dernier recours », est-ce bien utile ? C'est toujours lors de telles occurrences qu'on se tournera vers l'infirmière.

Mme la Ministre déléguée - Avis défavorable à cet amendement comme à tous ceux qui suivent et qui relèvent de la même logique. Vous n'ignorez pas, je pense, que ce dispositif législatif est assorti d'un protocole national de soins -auquel il redonne une base légale et qui s'appliquera notamment à la distribution de Norlevo par les infirmières scolaires. L'amendement ne pourrait qu'affaiblir ce protocole, car il serait forcément incomplet.

Mme Christine Boutin - Ainsi que Mme Gillot vient de nous le confirmer, personne ne sait vraiment quel est le mode d'action du Norlevo. Je demande donc, par le sous-amendement 9, que les infirmières scolaires puissent faire valoir l'objection de conscience, étant donné la gravité possible de l'acte qui leur est demandé.

Mme la Rapporteuse - La commission ne l'a pas examiné, mais j'y suis tout à fait défavorable, car la pilule du lendemain n'est pas abortive : elle empêche simplement la nidation, comme le fait le stérilet.

Mme Christine Boutin - Le stérilet est abortif ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Mme la Secrétaire d'Etat - Il n'y a absolument pas lieu d'assimiler la pilule du lendemain et l'IVG. Le Gouvernement partage l'avis de la commission.

M. Pierre-Christophe Baguet - On peut considérer, contrairement au Gouvernement et à la commission, que reprendre les termes du protocole dans la loi leur donnerait plus de force. Je souhaite, au passage, que le texte nous en soit communiqué sans tarder.

Plusieurs députés socialistes - Il est dans le rapport !

Mme la Ministre déléguée - J'ajoute que le rôle, la mission, l'obligation professionnelle de l'infirmière scolaire est, entre autres, de répondre à la détresse possible des élèves. Je me suis heurtée, lorsque j'ai pris la circulaire, à des résistances qui n'étaient, heureusement, que marginales ; les infirmières, peu nombreuses, qui persisteraient dans leur opposition devraient s'interroger sur leur engagement même dans le système de santé scolaire. La loi, une fois votée, s'impose à tous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Président de la commission - Le texte complet du protocole, qui est sans ambiguïté, figure dans le rapport de la Délégation. Je demande trop souvent que le Parlement soit tenu au courant de l'application des lois pour ne pas me réjouir que tel soit le cas...

M. Jean-Pierre Soisson - Je voterai la proposition de loi. Regardant l'hémicycle, je constate, pour la première fois de ma vie parlementaire, que les femmes y sont en majorité...

Mme Nicole Bricq - Grâce à nous !

M. Jean-Pierre Soisson - ...et je les suivrai dans leur opinion majoritaire sur un sujet qui les concerne au premier chef.

Mme Christine Boutin - Je m'étonne des propos de Mme Royal : peut-on parler de démocratie lorsque la minorité n'a plus voix au chapitre une fois que la majorité s'est prononcée ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Le sous-amendement 9, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 6.

Mme Françoise de Panafieu - L'amendement 1 précise que la contraception d'urgence, n'ayant pas vocation à se substituer à une contraception régulière, ne doit être délivrée que dans des cas exceptionnels d'urgence ou de détresse.

Mme la Rapporteuse - Nous en sommes tous d'accords, mais le dernier paragraphe du protocole le dit déjà très clairement.

Mme la Secrétaire d'Etat - Même avis.

Mme Christine Boutin - J'ai longuement évoqué dans ma question préalable, avec le succès que l'on sait, la question de l'autorisation parentale, dont l'UNAF, laquelle regroupe, je le rappelle, des associations familiales d'orientations très diverses, a déploré qu'elle ne soit pas obligatoire. Le Gouvernement prend la lourde responsabilité de faire définitivement échapper aux échanges entre parents et enfants la question de la sexualité, et, partant, le risque que soit désormais présumée a priori l'incapacité des parents à traiter de sujets sérieux avec leurs enfants. Or, tous les psychothérapeutes que j'ai rencontrés affirment qu'un dialogue, même conflictuel, est de nature à renforcer les liens familiaux par l'épreuve même qu'il constitue. Je m'inquiète beaucoup de la tendance actuelle à alimenter la méfiance des enfants vis-à-vis de leurs parents, sous couvert de développer leur autonomie, et c'est pourquoi je demande, par le sous-amendement 8, que le Norlevo ne puisse être administré à une élève qu'après que ses parents aient été prévenus.

Mme la Rapporteuse - Nous avons assez longuement débattu de ces questions pour qu'il soit inutile d'épiloguer. Le protocole dispose que les parents seront prévenus, sauf refus formel de l'élève. Cela me paraît clair.

Le sous-amendement 8, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 1.

Mme Françoise de Panafieu - L'amendement 2 confie au décret le soin de préciser les conditions de délivrance du Norlevo, ainsi que les modalités de suivi et d'accompagnement.

Mme la Rapporteuse - Cela figure déjà dans le protocole.

L'amendement 2, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Françoise de Panafieu - L'amendement 3 tend à rappeler le rôle d'accompagnement psychologique et de médiation familiale des infirmières scolaires.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - L'amendement 5 souligne l'importance du soutien psychologique et médical. Il s'agit, je le reconnais, d'un v_u pieux, tant les infirmières scolaires sont en nombre insuffisant.

Mme la Rapporteuse - Vous avez tout à fait raison, mais la commission a jugé inutile de reprendre dans la loi les termes du protocole.

Mme la Ministre déléguée - Les deux amendements portant sur le rôle des infirmières scolaires, j'en profite pour souligner que ce débat leur a rendu un formidable hommage. L'accompagnement psychologique qui est au c_ur de leur mission a une importance primordiale et c'est pourquoi le Gouvernement a tout fait pour augmenter leur nombre : en trois ans, nous avons créé autant de postes d'infirmières, de médecins et d'assistantes sociales que dans les dix années précédentes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Je voudrais aussi remercier chaleureusement le groupe socialiste et son président M. Ayrault d'avoir pris l'initiative de ce texte, ainsi que tous ceux qui ont participé à ce débat de grande qualité.

Ce texte, s'il est voté, donnera une base légale à la contraception d'urgence, réhabilitera solennellement une circulaire vivement contestée, donnera du poids au protocole national de soins et surtout permettra de tendre la main à des adolescentes en difficulté. J'ai toujours su que ma démarche était fondée et j'ai bravé des résistances fortes au sein du système scolaire. J'en ai tiré une leçon politique : quand nous pouvons agir, quand nous en avons la conviction, nous le devons, y compris si cela fait prendre des risques -et je salue à ce propos cette génération de femmes et d'hommes qui ont pris de bien plus grands risque, jusque dans leur vie, pour faire en sorte que les jeunes filles d'aujourd'hui et leurs compagnons aient la liberté et la maîtrise de leur vie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et sur divers bancs)

Les amendements 3 et 5, successivement mis aux vois, ne sont pas adoptés.

L'article unique de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance mardi 10 octobre à 9 heures.

La séance est levée à 13 heures 20.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

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ORDRE DU JOUR
DU MARDI 10 OCTOBRE 2000

A NEUF HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions orales sans débat.

2. Fixation de l'ordre du jour.

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Discussion du projet de loi organique (n° 2564) modifiant la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel.

      M. Bernard Derosier, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

      (Rapport n° 2614)

3. Discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi (n° 2482) d'orientation pour l'outre mer.

      M. Jérôme Lambert, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

      (Rapport n° 2617)

      M. Daniel Marsin, rapporteur pour avis au nom de la commission de la production et des échanges.

      (Avis n° 2611)

A VINGT ET UNE HEURES : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.


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