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Session ordinaire de 2000-2001 - 12ème jour de séance, 27ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 24 OCTOBRE 2000

PRÉSIDENCE de M. Yves COCHET

vice-président

Sommaire

          FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
          POUR 2001 (suite) 2

          EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 2

          QUESTION PRÉALABLE 15

          DISCUSSION GÉNÉRALE 24

          ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 25 OCTOBRE 2000 33

La séance est ouverte à vingt et une heures.

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FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2001 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.

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EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-François Mattei et des membres du groupe DL une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Dominique Dord - Le projet de loi de financement de la sécurité sociale sera le premier texte que défendra Mme Guigou depuis que le Gouvernement a été remanié et, au nom de l'opposition, je lui souhaite la bienvenue dans ses nouvelles fonctions.

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés - Je transmettrai à Mme Guigou vos aimables propos, auxquels elle sera très sensible.

M. Dominique Dord - Je tiens à lui dire aussi combien nous attendons d'elle dans ce secteur essentiel de la vie de la nation, celui où l'écart est le plus grand entre vous et nous mais aussi entre votre gouvernement et les autres gouvernements socialistes européens, qui ont choisi, eux, la « troisième voie », celle du pragmatisme. L'avenir nous dira si Mme Guigou sera, dans la France socialiste, la ministre du pragmatisme en matière d'emploi et de solidarité ou si elle poursuivra la politique archaïque de Mme Aubry.

L'occasion m'est donnée de dresser le bilan de son action, ce que je ferai sans complaisance, mais sans inélégance, j'ai d'ailleurs transmis, cet après-midi, le texte de mon intervention à Mme Aubry.

Mme la Secrétaire d'Etat - Et elle vous a donné son imprimatur ?

M. Dominique Dord - Non...

Les permutations qui viennent d'avoir lieu au sein du Gouvernement rendent ma tâche délicate, puisque mes critiques s'adressent moins à Mme Guigou qu'à son prédécesseur. Il en va de même pour Mme Lebranchu, qui a essuyé les critiques du syndicat majoritaire de la magistrature à la place de Mme Guigou. Il est d'ailleurs frappant de constater que, lors de ce congrès, auquel j'ai assisté, les magistrats reprochaient à la Garde des Sceaux sortante d'avoir exposé la justice à un risque de bogue qui n'interviendra qu'en 2001, lors de l'application de la loi sur la présomption d'innocence. Mon argumentation, pour ce qui concerne la sécurité sociale et l'application de la loi sur la réduction du temps de travail est la même en ce qui concerne Mme Aubry.

De là à imaginer que la stratégie de remplacement des responsables avant que les dégâts qu'ils ont causés n'apparaissent de manière trop flagrante participe aussi de la « méthode Jospin », il n'y a qu'un pas... que bien entendu je ne franchirai pas, quels que soient mes doutes.

Pourquoi Mme Aubry est-elle partie si tôt du Gouvernement, et pourquoi Mme Guigou y demeure-t-elle ? La campagne électorale s'annoncerait-elle plus difficile à Lille qu'en Avignon ? On peut en douter. Seriez-vous en désaccord sur le cumul des mandats ? Y a-t-il habileté ici, maladresse là ?

M. Claude Evin, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance maladie - Nous sommes bien loin de la sécurité sociale !

M. Dominique Dord - J'y viens, pour souligner que, de l'avenir, ce projet fait bien peu de cas. Comment, pourtant, ignorer à ce point les données démographiques, économiques et sociales les plus connues ? En 2040, un Français sur trois aura plus de 60 ans. La croissance que nous connaissons aujourd'hui sera-t-elle durable ? Que faites-vous en prévision des jours plus rudes ? Très peu pour l'assurance maladie, toujours en déficit et, surtout, rien pour le régime des retraites, dont vous êtes bien les seuls à considérer qu'il n'est pas menacé.

Cet héritage est, certes, celui que vous a laissé Mme Aubry, dont le seul titre de célébrité est « les 35 heures »...

M. Claude Evin, rapporteur - Et la réduction du chômage ?

M. Dominique Dord - ...cette réduction autoritaire du temps de travail que nous avons combattue. Les entreprises s'y sont adaptées, bon an mal an, et les salariés en paient le prix.

Mais l'application dès 2002 des 35 heures dans les PME s'annonce plus difficile, car très coûteuse à l'heure du passage à l'euro. Le financement des 35 heures relève de la quadrature du cercle : le budget initial prévoyait 64 milliards pour le FOREC. Finalement, tout en refusant d'indiquer comment il financera les dérapages, le Gouvernement annonce que la facture sera plus lourde : 80 milliards en 2001 et plus de 100 milliards en 2002 y seront consacrés, et il manquera encore 15 milliards en 2001 et 20 l'année suivante. Et déjà, de nombreuses voix s'élèvent pour demander le report de l'application des 35 heures.

Autre bombe à retardement, la couverture maladie universelle, dont le financement est mal assuré. L'universalité des cotisations maladies repose sur un système sans régulation. En 2000, la CMU aura coûté 3,5 milliards et, en 2001, le coût prévu est de 6,6 milliards. Nous vous avions pourtant prévenus : la recentralisation de l'aide médicale gratuite gérée par les départements est une erreur car ils apportaient un service plus efficace, plus généreux, plus proche des besoins et moins onéreux. Mais Mme Aubry, bardée de ses certitudes, en a ainsi décidé, contre le souhait de tous, y compris de la CNAM.

Avec les emplois-jeunes, qui s'achèveront en 2002 et dont nul ne sait ce qu'il adviendra alors, vous avez en fait choisi de congeler le chômage des jeunes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Le volet formation n'a pratiquement pas reçu d'application, l'obligation de proposer des emplois pérennes n'a pas été respectée et pourtant, le dispositif coûtera 22 milliards en 2001 et plus encore en 2002. Bien que l'Etat ait été contraint de s'impliquer massivement, on est loin des 350 000 emplois prévus. Quant aux 350 000 emplois prévus dans le privé, on en cherche vainement la trace...

M. Alain Calmat - A qui la faute ?

M. Dominique Dord - Pas à nous ! Les entreprises n'ont pas vu l'utilité du dispositif et le Gouvernement ne s'est guère montré résolu. On a vu pourtant, avec l'UNEDIC, qu'il était capable de ne pas prendre de gants avec les entreprises...

Le vaudeville de l'UNEDIC est d'ailleurs un autre élément du bilan.

M. Maxime Gremetz - Il s'agit quand même des chômeurs !

M. Dominique Dord - M. Gremetz signale son arrivée au Journal officiel...

L'Etat refuse le libre jeu du paritarisme. En multipliant les vetos, en s'arc-boutant sur une conception dépassée de la prise en charge des demandeurs d'emplois, le Gouvernement a étouffé le dialogue social et négligé le retour à l'emploi au profit du maintien dans l'assistance.

Pour en venir, enfin, à la sécurité sociale, qu'avez-vous fait ? Et même, qu'avez-vous tenté ? Il suffirait que la croissance s'effondre pour que le trou réapparaisse car aucune réforme structurelle n'a été lancée. La Cour des comptes l'a d'ailleurs relevé dans son rapport annuel : l'équilibre du régime général en 1999, résulte « pour une large part de l'excellente conjoncture économique ». Nous ne sommes pas dupes : la croissance dope la sécurité sociale. Elle permet le redressement des comptes mais le déficit de l'assurance maladie reste inquiétant. Pour nous, la croissance devrait permettre de restructurer la sécurité sociale. « Vous gâchez du jeu » comme on dit chez moi.

Par ailleurs, Martine Aubry a réussi à acheter la paix sociale à l'hôpital en offrant, en mars dernier, une enveloppe spéciale de 10 milliards d'ici à 2002, année des élections présidentielles. Toujours cette méthode réglée sur des échéances politiques précises : Madame le ministre, sur tous ces sujets que votre prédécesseur a eu le mérite d'inscrire à son crédit politique, vous héritez de bombes à retardement. Elle a eu les pétales... il vous reste les épines. Arriverez-vous, non pas à vous en sortir vous-même, mais à en sortir notre pays ? Du moins ne pouvez-vous faire pire que Mme Aubry... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

Le projet de loi de financement que vous nous présentez porte les recettes à un niveau jamais atteint de 1 968 milliards, soit, depuis 1997, une augmentation de près de 19 % obtenue par la croissance mais aussi, hélas, la hausse des prélèvements sociaux. Les prélèvements obligatoires affectés à la sécurité sociale ont ainsi augmenté de 4,8 % depuis un an, passant de 20,5 % du PIB en 1996 à 21,2 % en 2000.

La croissance n'a donc pas suffi à faire face à la boulimie dépensière de votre prédécesseur, malgré les sacrifices imposés à la branche famille. Ce sont ces prélèvements, cette ponction sur la croissance et sur la famille qui expliquent la baisse du déficit du régime général, alors que les dépenses maladies augmentent. Les dépenses ne sont donc pas maîtrisées ! Martine Aubry part au moment où les dépenses de santé sont dans une course folle, les honoraires des médecins progressent de 8 % et les prescriptions de 10 %. L'objectif de progression des dépenses, l'ONDAM, qui était de 2,5 % l'an dernier et passe à 3,5 % cette année, n'est plus qu'une utopie. La hausse est en réalité bien supérieure, le Gouvernement ayant décidé, pour la seconde année, de l'asseoir non pas sur l'enveloppe votée l'an passée, mais sur les dépenses à la fin 2000. Avec ce « rebasage » de l'ONDAM, il passe l'éponge sur 13,2 milliards de dépassement de cette année. Les apparences sont sauves alors qu'il y a bien eu dérapage des dépenses.

L'évolution des dépenses de médicaments est indéniablement le point noir. Les remboursements de médicaments devraient progresser de 8,7 % en 2000 et le dérapage atteindrait ainsi 6,2 milliards pour ce seul poste. Certains professionnels parlent même de dérive structurelle. Même les génériques sont un échec car les laboratoires font plutôt la promotion de nouvelles molécules, on le voit avec le traitement de l'angine.

Faute du courage nécessaire pour préparer l'avenir, vous vous abritez derrière la croissance et -c'est plus contestable- derrière l'opacité des circuits de financement. Certes, la méthode n'est pas nouvelle, mais vous franchissez un nouveau palier, rendant presque impossible, de l'avis de certains anciens ministres eux-mêmes, un véritable contrôle du Parlement sur ce PLFSS. Le Gouvernement multiplie les bricolages, il crée des fonds au gré des réformes, il puise dans les excédents des branches famille, vieillesse, accidents du travail pour combler le déficit de l'assurance maladie. De telles pratiques vaudraient à un chef d'entreprise d'être condamné pour abus de biens sociaux...

Il est d'ailleurs impossible de comparer ce budget avec ceux des années précédentes. Les réseaux de financement sont une fois de plus modifiés ; les transferts de l'Etat, la plupart du temps non compensés, sont de plus en plus complexes ; les principes généraux de la comptabilité sont bafoués. Tout cela entrave le contrôle du Parlement, et c'est là le principal grief que je fais à ce projet. Pour rendre plus « vendable » votre politique, vous multipliez les manipulations budgétaires. En un mot, vous jouez l'habileté contre la sincérité.

Financements croisés, transferts de charges et débudgétisations sont si nombreux que l'on n'y comprend plus rien. En buvant, finance-t-on les retraites ou les 35 heures ? En effet, la taxe sur les alcools, auparavant affectée au fonds de solidarité vieillesse, l'est désormais au FOREC. La taxe sur les tabacs finance elle aussi les 35 heures alors qu'elle revenait avant à l'Etat et à la CNAM. Autre exemple : la taxe sur les contrats d'assurance bénéficiera à la branche famille et au fonds de solidarité vieillesse... pour compenser la diminution du produit de la CSG. Pas moins de sept types de ressources dont six impôts serviront au financement des 35 heures en 2001. Fumez, roulez, buvez, faites des enfants, vous financez la réduction du temps de travail ! Beau slogan ! Cela montre en tout cas le mal qu'a eu le Gouvernement à trouver les ressources nécessaires. Entre l'Etat et la sécurité sociale, on ne sait plus qui prend en charge quoi. Quant au FOREC, il n'a toujours pas d'existence juridique et fait l'objet d'une gestion très politique.

Les transferts de charges de l'Etat à la sécurité sociale ont représenté 191 milliards en 1999 : l'ampleur de ces transferts vide le projet de loi de sa substance.

Le principe constitutionnel de sincérité budgétaire n'est pas du tout respecté. Confier une partie des dépenses des centres d'alcoologie à l'assurance maladie y est par exemple contraire. La lutte contre l'alcoolisme relève non pas d'une mission de soins mais de la prévention et de l'éducation sanitaire.

De même, la taxe sur les activités polluantes -dont nous ne savions pas si l'on en traiterait dans le PLFSS comme l'an dernier ou dans le collectif budgétaire comme cette année- est détourné de son but, puisqu'elle sert à financer les 35 heures. Comment nos concitoyens, mais aussi comment les pays voisins pourraient-ils comprendre qu'une telle taxe ne sert pas à lutter contre la pollution ? Mais pour ce gouvernement, tous les moyens sont bons et peu importe à quoi l'on affecte les quatre milliards que rapportera la TGAP en 2001. Cette taxe baladeuse sans affectation précise n'est qu'une source de financement pour l'Etat.

Enfin, certaines mesures de ce projet seraient rétroactives. Ainsi en vertu du huitième paragraphe de l'article 11, la totalité des droits sur les alcools serait affectée au FOREC, y compris en 2000, ce qui contrevient totalement au principe de non-rétroactivité cher au droit français.

La logique des lois de financement, qui était d'identifier pour chaque branche et pour chaque régime les recettes et les dépenses, est bafouée. Ce non-respect de la sincérité budgétaire et un premier motif d'inconstitutionnalité.

Votre politique de sanctions donne une autre raison de censurer ce projet. Vous tentez de freiner la progression des dépenses d'assurance maladie en taxant toujours plus l'industrie pharmaceutique, par exemple. La fameuse clause de sauvegarde devrait permettre de récupérer 70 % du dépassement en 2001, ce qui est proprement confiscatoire. Si vous persistez à les taxer toujours davantage, les laboratoires pharmaceutiques n'investiront plus en France, voire délocaliseront leurs activités. Nous avons pourtant besoin d'une industrie pharmaceutique vigoureuse, d'autant que ce secteur est fortement créateur d'emplois hautement qualifiés.

Madame la ministre, rendez-vous à l'évidence, ni la taxation ni les sanctions contre les médecins ne règlent le problème de la hausse des dépenses.

Le mécanisme des lettres-clefs flottantes pour les professionnels de santé équivaut à une sanction collective. Les mesures d'économies de l'été dernier représentant près de 2 milliards, votées par la CNAM et approuvées par le Gouvernement, ont touché huit professions de santé, accusées du dérapage des dépenses. Et d'autres mesures pourraient être prise en novembre. Ces sanctions sont aussi inéquitables qu'anti-économiques puisqu'elles pénalisent de la même façon les médecins rigoureux en matière de dépenses et ceux qui le seraient moins. Et le pire est à venir, car le jour où la croissance ne sera plus au rendez-vous, ces sanctions, renforcées, tomberont comme un couperet.

A ce propos, je ne peux passer sous silence les revirements du Conseil constitutionnel sur le sujet. La haute juridiction considérait en 1988 qu'en mettant à la charge de tous les médecins une contribution assise sur leurs revenus, indépendamment de leur comportement individuel en matière d'honoraires et de prescription, le Gouvernement avait provoqué une rupture d'égalité. Je ne vois pas en quoi charger la CNAM de la besogne change quoi que ce soit.

Si l'objectif de maîtrise des dépenses est louable, il n'autorise pas à utiliser n'importe quel moyen pour l'atteindre. Reversements ou baisses tarifaires -qui reviennent au même- sont inacceptables, quels qu'en soient les habillages, et ne seront d'ailleurs jamais acceptés. Les sanctions collectives vont à l'encontre du principe d'égalité devant la loi et les charges publiques mais aussi de responsabilité individuelle. Il faut donc en finir avec ce dispositif. La Cour des comptes de la sécurité sociale a proposé comme alternative la possibilité de rompre la convention existant entre un professionnel de santé et la CNAM. Les professionnels concernés ne seraient plus conventionnés, ce qui équivaudrait à une sanction. La solution n'est donc pas là. Tel qu'il est conçu, notre système d'assurance maladie est ingérable puisque l'offre de soins est encadrée et la demande de soins libérale. Il faut sortir de ce schéma : je vous dirai tout à l'heure comment.

La dégressivité de la CSG sur les salaires allant de 1 à 1,4 fois le SMIC -après les débats en commission- est l'une des innovations de ce projet. Maniant l'arme de la démagogie fiscale, le Gouvernement transpose donc les méfaits de la progressivité aux prélèvements sociaux jusqu'ici universels, c'est-à-dire justes.

Cette dégressivité rapproche la CSG d'un impôt : elle devient en fait le premier étage de l'impôt sur le revenu. Cependant, en ne tenant pas compte des capacité contributives des contribuables, notamment des charges de famille, cette mesure va à l'encontre du principe d'égalité devant les charges publiques. Une personne gagnant 1,3 SMIC et ayant trois enfants sera dans la même situation qu'un célibataire sans enfant gagnant le même montant.

Il n'y avait d'autres façons de revaloriser les bas salaires, sans toucher à la CSG : Jacques Barrot l'a remarquablement expliqué dans Le Figaro ce matin (Interruptions de M. Calmat). Monsieur Calmat, cessez donc de vociférer. Si vous trouvez que le futur système est plus juste, vous nous expliquerez tout à l'heure en quoi.

Il est aussi profondément regrettable que le Gouvernement n'ait procédé à aucune consultation préalable avant de décider cette réforme. Cette façon de travailler n'est pas satisfaisante.

D'une manière générale, ce projet va à l'encontre de la philosophie et des objectifs des fondateurs de la sécurité sociale, dont vous vous réclamez pourtant souvent. Il contrevient au préambule de la Constitution de 1946.

En faisant peu de cas des problèmes concernant la famille et les retraités, vous négligez l'intérêt de nos concitoyens.

La branche famille apparaît -sans mauvais jeu de mots- comme le parent pauvre de ce projet. Ce n'est pas nouveau tant la politique familiale brille peu, depuis quelques années, par ses innovations et son efficacité, mais nous atteignons là un record. C'est le signe même que ce Gouvernement n'est pas capable d'anticiper. Car la famille est précisément le lieu où se construit ou non la France des prochaines années. D'ailleurs, le groupe communiste -grand absent d'aujourd'hui- a voté contre le PLFSS en commission après avoir réclamé une hausse des allocations familiales. Simple mouvement d'humeur ou avertissement au Gouvernement ? Nous le saurons bientôt, encore que nos collègues communistes n'aillent pas toujours au bout de leurs convictions.

M. Bernard Accoyer - Ils veulent simplement faire monter les enchères.

M. Dominique Dord - Depuis deux ans, le Gouvernement se targue de mener une politique familiale de grande ampleur, mais quand on compare les déclarations des différents ministres et le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, on s'aperçoit qu'il y a beaucoup de virtuel dans les engagements pris. En juin dernier, Lionel Jospin annonce ainsi 10 milliards en faveur des familles ; trois mois après, Martine Aubry précise le contenu de la loi de financement de la sécurité sociale qui ne dégagera, finalement, que 5 milliards, soit la moitié de ce qui avait été annoncé.

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure de la commission des affaires sociales pour la famille - Vous dites des choses fausses !

M. Dominique Dord - Dans ce projet, il y a quelques bonnes intentions pour la famille comme l'allocation de présence parentale, même si on regrette de ne pas connaître son coût. Mais rien ne répond aux véritables préoccupations des familles, au premier rang desquelles on trouve le problème de l'allongement de la durée des études et donc du versement des prestations familiales. Dans le grand jeu de la redistribution, les familles sont comme toujours les grandes perdantes, en particulier les plus nombreuses.

La branche famille devient la vache à lait du système. Elle supporte en effet 47 milliards de dépenses qui ne relèvent pas de la politique familiale.

Ainsi, elle verse indûment 21 milliards par an à la branche vieillesse pour combler le déficit de celle-ci.

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure - Pas « indûment » !

M. Dominique Dord - Cette hémorragie a été organisée en créant « l'Assurance vieillesse des parents au foyer ». Le principe de cette allocation est de faire cotiser la CNAF pour la retraite des mères au foyer. Dans l'esprit de la retraite par répartition, ces cotisations devraient servir à payer immédiatement des retraites aux mères au foyer actuellement à la retraite. Il n'en est rien : seules celles qui ont cotisé à l'AVPF reçoivent une retraite. Or, l'AVPF étant de création récente, rares sont les mères ayant cotisé qui sont à la retraite. Ce détournement de fonds a même été dénoncé par la Cour des comptes. Mais à quoi servent les dénonciations de la Cour si le Gouvernement n'en tient aucun compte ?

Par ailleurs, l'article 24 du projet prévoit de priver totalement la branche famille de sa part du prélèvement de 2 % sur les revenus du patrimoine, soit une perte de 1,4 milliard.

De plus, la majoration de l'allocation de rentrée scolaire va progressivement être transférée sur le budget de la CNAF, soit 4,5 milliards de charges en 2000 et 6,5 milliards en 2001. Autre transfert de charges vers la CNAF : la majoration de 10 % des pensions de vieillesse accordée aux parents de trois enfants, soit un coût de 2,9 milliards dès 2001.

M. Marcel Rogemont - Les parents de trois enfants, c'est bien la famille.

M. Dominique Dord - Au train où vous allez, Madame la ministre, la branche famille risque de retomber vite dans le rouge !

La branche vieillesse n'a quant à elle pas les orientations qu'elle mérite. Même si de nombreux transferts de charge se font à son profit, nous sommes loin des aménagements qui seraient nécessaires pour, comme le dit la Cour des comptes de la sécurité sociale elle-même, « garantir le financement à long terme et l'équité » du système des retraites.

Une réforme des retraites devrait pourtant être aujourd'hui la priorité absolue. Martine Aubry aura beaucoup gesticulé autour de ce sujet sans jamais y toucher. Il faut saluer cette « performance ». Elle aura donc aussi péché par omission... Le régime général de retraite des travailleurs salariés va afficher dès 2006 un déficit de plusieurs dizaines de milliards, lequel se comptera rapidement en centaines de milliards si aucune mesure n'est prise. De tels gouffres financiers ne seront pas longtemps supportables. L'urgence commande depuis des années une réaction vigoureuse.

Au lieu de quoi, le Gouvernement pavoise derrière ses multiples rapports et ses ersatz de fonds de pension, les PPESV créés dans le projet de loi d'épargne salariale. Avec ces nouveaux outils, vous ne faites que pratiquer la capitalisation collective sans le dire et surtout sans laisser aux Français la liberté de choisir un système individuel, via les fonds de pension. Aucun véritable système de capitalisation semblable à ceux mis en place par nos voisins européens n'est proposé par votre Gouvernement. Pour des raisons purement idéologiques, vous écartez une solution qui viendrait ajouter un étage à la retraite des Français.

Bien sûr, chacun se réjouira de la revalorisation des pensions de retraite et de l'exonération de CRDS pour les retraites non imposables, mais on y verra aussi la marque d'un grand cynisme qui vous mène à faire un cadeau de pure conjoncture électorale alors que le projet reste muet sur les difficultés que nous connaîtrons dans cinq ans. Certes, il y a le fonds de réserve, mais il n'est qu'une rustine. On ne sait d'ailleurs même pas comment il va être géré et les fonds prévus ne sont pas du tout à niveau pour les années à venir. Il est vrai que l'horizon du Gouvernement s'arrête en 2002...

M. Alfred Recours, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les recettes et l'équilibre général - N'importe quoi !

M. Dominique Dord - Tout cela est loin d'être à la hauteur des besoins. Par votre imprévoyance délibérée, vous manquez à votre devoir constitutionnel, de respecter les engagements du préambule de 1946.

Dans ce PLFSS brillent par leur absence bien des mesures promises.

Qu'en est-il de la réforme des études médicales dont il avait été question ? De l'aléa en matière thérapeutique ou du rattrapage des retards dans l'équipement médical ? Quant à l'inégalité en termes de démographie médicale et de répartition des spécialistes, elle n'est pas même évoquée, bien qu'on en parle depuis dix ans.

Décidément, ce projet est très décevant. Permettez-moi maintenant d'évoquer ce qu'il aurait fallu faire, Madame la ministre, et de tracer les grandes lignes d'une réforme qui rompe avec les politiques de contraintes au profit d'une vraie responsabilisation.

Au lieu de pérenniser une logique dénoncée à bon droit comme strictement comptable, il faudrait que l'assurance maladie devienne un acheteur de soins intelligent. Remettons l'assuré social, c'est-à-dire le patient doublé d'un contribuable, au centre du système. Faisons en sorte que l'assurance maladie ait réellement pour objectif de fournir les meilleurs soins au meilleur prix. Pour cela, il faut que l'on cherche à décentraliser et non à centraliser, à responsabiliser et non à encadrer, à jouer la pluralité des acteurs au lieu d'uniformiser à outrance. Il est clair que la gestion des dépenses d'assurance maladie doit se faire selon un système encadré mais de type concurrentiel. Malheureusement, comme pour les fonds de pension, il vous faudra encore quinze ou vingt ans pour y venir.

Il conviendrait d'abord de redistribuer les responsabilités, car aujourd'hui nous subissons la confusion des genres. L'Etat ne peut plus être à la fois le décideur, le gestionnaire et son propre contrôleur. C'est une situation totalement archaïque, vestige d'un étatisme dépassé.

Les responsabilités de l'Etat n'en sont pas moins essentielles.

Premièrement, il lui appartient de définir les besoins sanitaires de la population et de dégager une vision globale de la santé, grâce notamment au processus de consultation entrepris par les conférences de santé.

Deuxième devoir de l'Etat, mettre en place une véritable politique de santé publique, en allant beaucoup plus loin actuellement. Les problèmes de la santé ne s'arrêtent pas aux hôpitaux et à la médecine de ville. L'alimentation, la pollution et l'éducation sont aussi à prendre en compte.

Le troisième devoir de l'Etat est de s'assurer que les professionnels de santé reçoivent une formation adaptée.

Le quatrième est de définir et de recueillir les budgets nécessaires pour que chaque Français face à la maladie bénéficie de la solidarité nationale. C'est une responsabilité essentielle qui doit s'appuyer tant sur les dépenses de l'année écoulée que sur les besoins sanitaires de l'année à venir.

Cinquièmement, l'Etat doit définir un cahier des charges précis pour fixer les règles de l'assurance maladie et lever toute ambiguïté. Les principes seront bien entendu la non-sélection des patients, la non-discrimination des risques, l'égalité devant les soins. Mais si une partie des dépenses de la sécurité sociale relève de la solidarité, une autre, qu'il conviendrait de restaurer, relève de l'assurance. Et il serait bon que les salariés sachent ce qui, dans leur cotisation, relève de l'une ou de l'autre. Ainsi, les prestations familiales relèvent de la solidarité nationale. La politique familiale devrait donc être financée non par des cotisations assises sur les salaires, mais par l'impôt.

Enfin, l'Etat doit évaluer la qualité des services rendus. Il doit devenir une autorité de contrôle qui soit la garante de notre système de santé.

L'Etat doit aussi s'appuyer sur ses partenaires publics, mutualistes ou privés, afin de mettre au point un système concurrentiel à l'intérieur d'un cadre budgétaire et d'un cahier des charges. Cette organisation passe par l'autonomie des caisses régionales d'assurance maladie, qui doivent pouvoir gérer au mieux les dépenses de santé en négociant les prestations avec les médecins, les hôpitaux, les cliniques. L'organisme assureur et payeur négocieraient ainsi, au meilleur coût, les prestations. Les caisses seraient mises en concurrence, chacun pouvant choisir de s'affilier à la caisse de son choix. De cette façon, la régionalisation peut devenir un outil efficace, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La décentralisation correspondrait à un véritable transfert de responsabilités.

Le programme de médicalisation des systèmes d'information, qui consiste à déterminer le budget de l'hôpital en fonction de l'évaluation permanente de son activité réelle et l'informatisation des paiements sont autant d'instruments qui ne peuvent être efficaces que dans le cadre d'une gestion autonome et décentralisée.

Nous ne ferons rien sans les professionnels de santé. Dans un secteur en mutation, ce sont eux les plus déstabilisés. C'est pourquoi il faut renouer le dialogue avec eux et abandonner la politique de la contrainte. Il faut leur donner le choix. Il n'est pas sain qu'ils soient prisonniers d'un monopole. Les professionnels doivent devenir les véritables acteurs des réformes. Le Gouvernement a tué le dialogue, alors que l'adhésion des médecins est indispensable au succès des réformes. Il faut mettre en _uvre une politique de réseau entre la médecine de ville et l'hôpital, cesser enfin de les opposer.

Quant aux mutuelles et aux assurances privées, il devrait être possible de leur donner une délégation pour la gestion de l'assurance maladie. Enfin, les usagers auraient non seulement des droits garantis par l'Etat, mais aussi des responsabilités. Il leur appartiendrait de les assumer en choisissant librement leur organisme de couverture, c'est-à-dire celui qui les prendrait le mieux en charge.

C'est cela, la nouvelle économie de la santé : une économie d'acteurs responsables, avec des règles du jeu à tous les niveaux.

Inspirons-nous de nos voisins européens, qui ont engagé des réformes structurelles. L'exemple de la Suède est particulièrement instructif. L'arrivée du secteur privé dans le système de santé suédois a été bénéfique : elle a permis de diminuer significativement les coûts et d'augmenter les salaires des employés, tout en garantissant la qualité des soins. En 1991, le nouveau gouvernement suédois a changé la juridiction du système de santé, donnant plus de pouvoirs aux administrations régionales. Depuis l'accélération de ces changements en 1997, les coûts de fonctionnement des hôpitaux ont baissé de 10 à 30 %. Les patients peuvent choisir leur hôpital en fonction de la qualité des services. Le réseau de santé se porte mieux. Loin d'être laissés pour compte, les employés de la santé en ont bénéficié. Depuis cinq ans, les salaires des infirmières et des sages-femmes ont augmenté de 26 %.

Certes, des améliorations sont encore nécessaires pour rapprocher davantage le système de l'utilisateur. Mais le système suédois est très enviable. S'il est difficile à transposer on peut au moins s'en inspirer. De plus en plus de partenaires se rallient à cette vision concurrentielle. Ils sont prêts à aller vers une diminution des prérogatives de l'Etat. Ce qui réunit le MEDEF et la CFDT -à votre grand dam- c'est bien cette méfiance à l'égard de l'Etat.

Comme en matière de transport aérien ou de télécommunication, l'ouverture à la concurrence est inéluctable en matière de santé. Mieux vaudrait s'y préparer qu'attendre que Bruxelles vous l'impose.

Violation du principe de sincérité budgétaire, rupture du principe d'égalité devant les charges, non respect des objectifs des fondateurs de notre système de sécurité sociale figurant dans le préambule de 1946 : ce projet est bien irrecevable.

Il a les apparences, ou plutôt la croissance pour lui. Mais qu'en sera-t-il demain ? Madame le ministre, vous faites l'impasse sur l'avenir, sur les réformes de fond. Vous évitez les grandes questions : l'avenir des retraites, la pérennité de l'assurance maladie, l'instauration d'une vraie politique familiale. Tout est vu par le petit bout de la lorgnette. Vous proposez de fausses solutions, afin d'attendre en paix les prochaines échéances.

Bien sûr, nous faisons tous de la politique. Mais comment des responsables politiques peuvent-ils faire passer les objectifs du calendrier électoral avant la sauvegarde du système de protection sociale de 60 millions de Français ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

C'est l'intérêt national qui est en jeu. Tout en admirant votre habileté dans l'art de l'esquive, je vous avoue que tant d'inconséquence me donne la nausée. Si c'est cela, être un bon ministre, je m'interroge alors sur mon propre engagement.

Bien sûr, vous allez argumenter, expliquer, justifier. Le corps social dénonce ce qui ne va pas, c'est légitime, et le Gouvernement explique ce qu'il fait, c'est bien normal. Mais les deux discours ne se rencontrent pas, ne se rencontrent jamais ne se répondent en rien. Ils sont parallèles -simplement parallèles- comme au congrès de l'USM, Madame le ministre. Vendredi, à Chambéry, le président de ce syndicat a expliqué en quoi la justice est devenue virtuelle. Et votre successeur a mis en avant ce que vous avez fait. Avalanche de faits et de chiffres inquiétants, contre avalanche de faits et de chiffres satisfaisants. Les discours passent, les problèmes demeurent.

La politique, sous votre gouvernement est devenue un théâtre d'ombres. L'apparence y compte plus que tout. Ce projet n'est pas vide. Les mesures nouvelles n'y manquent pas. Il représente même une somme de travail considérable. Mais il ne règle aucun des grands problèmes de notre protection sociale. Ainsi va notre débat parlementaire, qui tourne sur lui-même. Il est vrai que son efficacité n'est pas garantie par la Constitution. (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Claude Evin, rapporteur  - Ce n'est pas comme rapporteur, mais au nom du groupe socialiste que je veux répondre à M. Dord. Je passe rapidement sur son introduction, dans laquelle il a parlé des emplois-jeunes et des 35 heures, qui ne relèvent pas de ce projet. S'il faut faire un bilan de la politique conduite par Mme Aubry, les Français reconnaissent qu'elle a répondu à leur préoccupation première, l'emploi. Comme l'a montré M. Cahuzac, la croissance observée aux Etats-Unis, en Italie et en Allemagne n'a été sensible en France qu'après notre arrivée aux responsabilités.

Monsieur Dord, vous avez tenté de prouver que la complexité des financements constituait un motif d'inconstitutionnalité. M. Recours pourtant, en offrant avec quelque malice un tableau des financements à Mme la ministre, a montré qu'il n'y avait pas d'opacité (Interruptions sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Que le système soit complexe, certes. Qu'il ne soit pas transparent, non. Les recettes de chaque branche sont bien identifiées. Le principe de la séparation des branches, posé en 1994, n'est pas remis en cause.

M. Jean-Luc Préel - Si.

M. Claude Evin, rapporteur  - Par ailleurs, choisissez vos arguments ! Comme je crois savoir que l'a fait le Président de la République en Conseil des ministres, vous ne pouvez pas à la fois nous reprocher de ne pas respecter l'ONDAM et de sanctionner les professionnels de santé. Ou bien vous souhaitez qu'on maîtrise les dépenses de santé, ou bien vous ne le voulez pas

Je connais le débat entre maîtrise comptable et maîtrise médicalisée mais pour moi, il n'y a qu'une maîtrise : ou l'on respecte les objectifs tels qu'ils ont été votés ou bien on ne les respecte pas ! L'ONDAM que vous avez introduit dans la réforme de 1996 n'est pas un système d'enveloppe fermée. Vous avez préféré faire voter un objectif, dont le Gouvernement est tenu de se rapprocher. Si vous êtes partisan d'un autre système, où les prévisions de dépenses doivent être tenues au franc près, dites-le aux professions de santé qui manifestent jeudi !

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia - Nous n'avons jamais dit cela !

M. Jean-Luc Préel - Faites sauter les sanctions collectives !

M. Jérôme Cahuzac, rapporteur pour avis de la commission des finances - C'est vous qui les avez inventées !

M. le Président - Veuillez conclure, Monsieur Evin.

M. Claude Evin, rapporteur  - Ces mécanismes de sanctions collectives ont en effet été introduits par l'ordonnance du 26 avril 1996 qui résulte de la réforme Juppé de 1995. Libre à vous d'avoir des remords sur les mécanismes que vous avez vous-mêmes inventés, mais ne mélangez pas tous les arguments ! (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

S'agissant des retraites, le Gouvernement s'est engagé dans une réforme sur le long terme (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) qui est loin d'être achevée. En mettant en place le fonds destiné à assurer le financement du système à l'échéance de 2010-2015, le Gouvernement a posé les fondements du financement des régimes de solidarité.

Pour ce qui concerne la politique familiale, faut-il, Monsieur Dord, vous rappeler un projet de loi présenté par le gouvernement de M. Balladur et adopté en 1994 qui prétendait introduire dans notre législation une « grande loi » sur la famille ?

M. le Président - Veuillez conclure votre explication de vote.

Mme Odette Grzegrzulka - Il faut bien soigner leur amnésie !

M. Claude Evin, rapporteur  - Je précise que j'interviens également au nom de la commission (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). Dois-je rappeler, disais-je, que cette grande loi « famille » n'a jamais été financée ?

S'agissant des chiffres que M. Dord a cités -et dont Mme Clergeau a dit qu'ils sont faux- c'est à la Conférence de la famille que le Gouvernement rendra des comptes sur le respect de ses engagements.

J'en viens aux propos que vous avez tenus sur la réforme de l'assurance maladie. Vous nous dites qu'il faut envisager d'autres formes d'organisation et de financement de notre système et que, in fine, l'assurance maladie se transforme en acheteur de soins. M. Mattei avait développé il y a deux ans les mêmes arguments...

M. Jean-François Mattei - Cela montre notre constance !

M. Claude Evin, rapporteur  - ...et j'avais indiqué alors que la question méritait d'être débattue au fond car il me semble que nous avons de vrais désaccords, notamment sur la notion de dérive des dépenses. C'est là qu'est le fondement de notre opposition. Vous avez déclaré : « en tout état de cause, le système de l'assurance maladie est ingérable puisqu'il y a contradiction entre la socialisation du financement et l'exercice libéral ». Et vous tirez de cette constatation la conclusion qu'il faudrait aller vers une privatisation de notre système d'assurance maladie.

Plusieurs députés DL - Ils n'ont rien compris !

M. Claude Evin, rapporteur - Vous avez cependant senti la nécessité de nuancer votre projet par rapport aux déclarations de M. Mattei car vous savez bien que les Français ne sont pas prêts à vous suivre sur ce terrain. Alors, vous dites qu'il faudrait qu'il n'y ait pas de sélection des assurés sociaux, mais vous savez pertinemment que seul un système public de sécurité sociale peut satisfaire cette exigence et que le système concurrentiel est antinomique avec cette conviction. Je souhaitais que nous puissions avoir ce débat de fond sur nos désaccords. Nous estimons en effet qu'il est nécessaire qu'il y ait une redéfinition de la respectabilité respective de l'Etat et des caisses dans la gestion du système. Toutefois, nous estimons que la redéfinition de ces responsabilités doit s'inscrire dans les conditions fixées par le préambule de la Constitution de 1946, qui visent des objectifs de solidarité inscrits dans des mécanismes de service public.

M. Dominique Dord - Nous n'avons rien dit d'autre !

M. Claude Evin, rapporteur - Nous déposerons donc un amendement pour indiquer au Gouvernement que nous souhaitons que la redéfinition des responsabilités respectives de l'Etat et des caisses de sécurité sociale soit inscrite à l'ordre du jour de nos travaux au cours de l'année 2001. Il est temps de donner aux Français la possibilité d'identifier les positions de uns et des autres afin de sortir du faux-semblant qui s'inscrit notamment dans le cadre de la loi de 1971.

En toute hypothèse, je veux réaffirmer notre attachement aux principes de solidarité et de service public, tels que le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de les préciser à de nombreuses reprises. Attaché à ces principes, le texte que nous propose le Gouvernement est conforme à la Constitution de 1958 et au préambule de la Constitution de 1946. Il y a donc lieu de voter contre votre exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Au nom de la commission et en son nom propre, M. Evin a très bien répondu à M. Dord et je l'en félicite. Je ne vais donc pas répéter les mêmes arguments. Je tiens à remercier les rapporteurs, Alfred Recours, Claude Evin, Marie-France Clergeau, Jérôme Cahuzac, pour avoir soutenu ce projet de loi de financement de la sécurité sociale et je n'oublie par Denis Jacquat, même si je ne le vois pas ce soir. Du reste, il aurait pu relever l'augmentation des pensions à hauteur de 2,2 % -+0,5 % pour les ménages les plus modestes. Le président de votre commission des affaires sociales s'y étant refusé, je n'aurais pas la cruauté de rappeler quel était le niveau du pouvoir d'achat des retraités sous les gouvernements précédents.

Je remercie les rapporteurs d'avoir souligné que nous présentons un bon PLFSS, qui a été préparé par Martine Aubry, à qui je tiens ici à rendre hommage pour tout le travail qu'elle a accompli, avec les résultats que l'on sait en matière de lutte contre le chômage (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Bernard Accoyer - Et les trente-cinq heures !

Mme la Ministre - J'ai entendu au cours de notre débat quelques remarques mesquines à son endroit et je tiens à redire devant la représentation nationale toute notre gratitude vis-à-vis de Martine Aubry pour la préparation de ce projet.

Ce PLFSS propose en effet des mesures significatives pour les familles, pour les retraites et des mesures inédites pour les accidentés du travail. Il fixe également un objectif de progression des dépenses en cohérence avec l'évolution de la richesse nationale. Sans me livrer à une nouvelle description de son contenu, je rappelle les avancées significatives qu'il tend à permettre de réaliser pour améliorer la qualité des soins dans notre pays, lutter contre le cancer ou faciliter les greffes.

A M. Dord qui déplore la complexité des circuits de financement -j'ai d'ailleurs reçu des rapporteurs un très beau tableau que je vais m'empresser de faire encadrer-, je répondrai que nous prenons des mesures qui tendent à simplifier le système et à le rendre plus accessible.

M. Dominique Dord - Où ? Quand ?

Mme la Ministre - C'est ainsi que nous avons décidé de financer les exonérations de charges par des transferts de recettes pérennes, qui sont dès lors des recettes de la sécurité sociale, et non par des crédits budgétaires, révisés chaque année en loi de finances. Pérenniser ces allégements, c'est le moyen d'assurer leur efficacité, et cela marche !

Vous avez ensuite regretté que nous taxions l'industrie pharmaceutique et vous vous êtes fait l'écho des plus vives inquiétudes, n'hésitant pas à utiliser l'argument quelque peu éculé des risques de délocalisation. Nul ne conteste l'importance de l'industrie pharmaceutique pour notre pays, mais laissez-moi vous dire qu'au vu des profits qu'elle dégage en Bourse, il ne semble pas anormal de lui demander de contribuer au financement de notre système de santé.

S'agissant de la CSG, le Gouvernement a pour seul objectif d'alléger la fiscalité qui pèse sur les ménages modestes, qui font les frais d'une contribution fortement augmentée en 1993 et d'une CRDS créée par M. Juppé (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Les mesures que nous avons décidées permettront d'assurer un treizième mois aux smicards (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste) et, en augmentant le salaire net, elles renforceront l'intérêt financier du retour à l'emploi.

Pour ce qui est des familles, je rappelle qu'en deux ans, sept milliards auront été affectés aux aides au logement.

D'une manière générale, vous semblez douter de la capacité de l'Etat à régler les difficultés de notre système de santé, faisant mine d'oublier que le Parlement a délégué à la CNAM une grande partie de la gestion des dépenses. Soyez donc cohérent !

J'aurai l'occasion, au cours du débat, de répondre à vos rapporteurs et notamment à M. Evin, qui a évoqué la très importante question des responsabilités respectives de l'Etat, des caisses et des acteurs de la santé.

Vous avez, Monsieur Dord, exprimé l'ambition de formuler, avec cette exception d'irrecevabilité, une « politique alternative ». J'ai, pour ma part, entendu beaucoup d'outrances, d'incohérences et d'inélégances à l'égard de Mme Aubry.

Ce projet, par les mesures qu'il contient, traduit les préoccupations du Gouvernement à l'égard des familles, des retraités et des ménages modestes. Il est dommage que vous les trouviez sans intérêt, et c'est pourquoi je demande à l'Assemblée de voter contre l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bernard Accoyer - Ce PLFSS présente plusieurs inconstitutionnalités -la principale étant qu'il est contraire aux objectifs de la loi constitutionnelle. Alors qu'il devrait être l'outil garantissant la pérennité de la sécurité sociale, ce projet souligne au contraire l'imprévoyance du Gouvernement en cette matière. Loin d'assurer la continuité du financement qui devrait être de règle, le texte remet en cause son universalité en détournant de leur objet des fonds considérables pour payer les charges induites par l'application obligatoire des 35 heures.

C'est une autre inconstitutionnalité que l'absence de sincérité qui caractérise vos calculs, fondés sur des bases fausses. Et de quel droit l'ONDAM a-t-il fait l'objet de nouvelles bases de calcul, sans que le Parlement ait, pour cela, été consulté ?

Est tout aussi inconstitutionnel le détournement, au bénéfice du FOREC, de 100 milliards qui auraient dû être affectés au fonds solidarité vieillesse. La même insincérité prévaut pour le budget « maladie », puisque vous vous limitez à extrapoler les recettes en vous fondant sur la situation actuelle, sans vous soucier de l'évolution de la croissance. Absence de sincérité, encore, pour les hôpitaux, puisque vous ne prévoyez pas le financement de l'application des 35 heures, et pour les professions de santé, et pour l'hospitalisation privée où, faute de moyens, des lits disparaîtront si bien que les listes d'attentes s'allongeront dans les hôpitaux publics.

Faute que les moyens nécessaires soient dégagés, les objectifs que vous affichez resteront lettre morte. Comment se satisfaire, encore, de ce qu'aucun budget n'est prévu pour rattraper le retard, parfois dramatique, de la France en matière de technologie médicale de pointe ?

L'hypocrisie est à son comble lorsque vous traitez de la branche famille, déjà ponctionnée de 8 milliards l'année dernière, au mépris des textes votés en 1994 et en 1996, M. Evin l'a lui-même rappelé ? Pourtant, vous récidivez, et lui subtilisez, une fois encore, des moyens considérables.

S'agissant des retraites, l'absence de sincérité est la règle de conduite que s'est fixée le Gouvernement et, plus précisément, le Premier ministre, pour des considérations électorales. Il est, une fois pour toutes, décidé que le sujet est tabou, car politiquement sensible. Cette attitude est indigne, comme il est indigne de faire croire que, si le fonds de réserve était alimenté à hauteur de 1 000 milliards en 2020, les problèmes seraient réglés, alors qu'ils le seraient pour 3 ans tout au plus !

Pour toutes ces raisons, le groupe RPR votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Luc Préel - Le groupe UDF votera, avec enthousiasme, l'exception d'irrecevabilité, défendue avec un brio caustique par M. Dord, qui a brossé un bilan sans concession de l'étatisation archaïsante et déresponsabilisante laissée en héritage par Mme Aubry, au mépris du paritarisme et de la contractualisation. Il est impératif, comme l'a demandé M. Evin, de définir les responsabilités respectives de l'Etat et des caisses.

M Dord a évoqué à juste titre le financement des 35 heures par un FOREC inexistant, future usine à gaz qui devrait servir à collecter des taxes détournées de leur objet : la lutte contre la pollution. Mieux vaudrait, par cette taxe, financer les agriculteurs que les 35 heures ! (Protestations sur les bancs du groupe communiste) Et que dire de la création de multiples fonds, des transferts incessants d'un budget à un autre ?

Mme Aubry s'était fixé pour objectif de maîtriser les dépenses de santé et de nouer des relations de confiance avec les professionnels de santé ; les premières ont augmenté de 10 %, les seconds sont dans la rue, poussés à bout par les sanctions collectives ! Mme Guigou aura beaucoup à faire, car le projet ne prévoit rien ni en matière de prévention et d'éducation à la santé, ni pour ce qui est de la démographie médicale, alors que plusieurs spécialités sont sinistrées, ni pour les services d'urgence, ni pour le financement des 35 heures dans les hôpitaux, ni pour les cliniques étranglées par les charges. Le texte maintient en revanche les sanctions collectives, et institue une sanction confiscatoire à l'encontre des laboratoires pharmaceutiques. On note encore l'absence de toute politique familiale, le déni du « papy boom », l'absence de toute réforme du régime des retraites.

Pour toutes ces raisons, l'Assemblée doit, comme le groupe UDF, voter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Maxime Gremetz - Nous ne voterons évidemment pas l'exception d'irrecevabilité, car nous tenons à ce que continue d'exister la protection sociale de qualité qu'avait voulue Ambroise Croizat.

Nous sommes en effet viscéralement attachés au système par répartition qui doit aujourd'hui à la fois assurer une protection sociale de qualité et tenir compte des évolutions et des besoins réels de la société. Cela pose, bien sûr, la question des moyens, donc du financement et, sur ce point, nous ne faisons vraiment pas les mêmes choix que la droite, qui lorgne le formidable marché que représente la santé. Elle l'a montré avec les fonds de pension, avec le plan Juppé et la gestion comptable de la santé, qui furent acclamés ici avant de jeter les foules dans la rue et de contraindre M. Juppé au départ...

Nous devons repousser cette exception d'irrecevabilité afin d'ouvrir ici les vrais débats sur l'assurance-maladie, sur les accidents du travail, sur une vraie politique de la santé qui passe, d'abord, par la prévention fondée sur la médecine scolaire et la médecine du travail. Lançons dès aujourd'hui ces grands chantiers, essentiels pour une protection sociale digne de notre pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

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QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Yves Bur - Ces dernières semaines, dans une mise en scène très étudiée de son départ du Gouvernement, Martine Aubry a vanté le retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale. Il est indéniable que, pour la première fois depuis bien longtemps, les comptes sociaux devraient connaître en 2000 un excédent de 3,3 milliards. Il faut y voir les effets de la croissance, qui profite à l'emploi dans toute l'Union européenne.

Les excédents du régime général demeurent toutefois modestes et Pierre Joxe a souligné, en présentant le rapport annuel de la Cour des comptes à la commission des affaires sociales, que l'équilibre demeurait très fragile et en relation directe avec la croissance et il a préconisé de ne pas relâcher les efforts. Les incertitudes qui pèsent aujourd'hui sur la croissance incitent, en effet, à se montrer prudent.

C'est dans ce contexte que nous abordons cette discussion. La loi de financement de la sécurité sociale, simple prolongement de la loi de finances, est marquée tout d'abord par un véritable ballet de compensations, de transferts, de réaffectations. Les sommes s'additionnent et se soustraient, les fonds se multiplient sans que l'on connaisse les règles qui les régissent. Tout ceci renforce l'opacité du financement de notre protection sociale, que même les spécialistes ont du mal à suivre.

En fait, ces transferts posent la question plus générale de la meilleure utilisation des excédents de la sécurité sociale : doivent-ils servir à alléger les charges du budget de l'Etat ou à rembourser les dettes accumulées ? Et comment accepter le principe de l'exonération de la CRDS, alors que chaque Français a bénéficié d'une certaine façon des déficits accumulés dont nous avons reporté la charge sur les générations futures ?

Faut-il faire croire au Français que tout va bien, que les comptes sociaux sont à l'abri des difficultés et que, dès lors, le Gouvernement peut faire un usage immodéré de la cagnotte sociale en oubliant un peu vite les nuages qui assombrissent le ciel ?

Dans ce projet, le Gouvernement s'en tient à l'un de ses principes, distribuer des avantages sur les finances d'autres institutions. Après les mesures concernant la taxe d'habitation et la vignette, voilà que la sécurité sociale doit supporter des exonérations de CSG. Or, utiliser la CSG comme instrument d'une politique de revenus est particulièrement grave car on renonce ainsi à faire participer tous les revenus au financement de la protection sociale dans un système où comme le rappelle la CFDT, « chacun contribue en proportion de ses revenus, chacun reçoit en fonction de ses besoins ». En vous engageant dans cette voie, vous faites, comme pour la CMU, le choix de l'assistance et vous ôtez ainsi toute signification aux concepts de solidarité et de mutualisation ; vous maintenez ainsi l'archaïsme de notre système fiscal, avec ses multiples exonérations. S'il paraît nécessaire d'augmenter le salaire direct pour les bas revenus -et le groupe UDF a fait des propositions en ce sens- il existe d'autres voies pour y parvenir, notamment l'impôt négatif.

Ces exonérations sur les salaires inférieurs à 1,3 SMIC -ou à 1,4 fois comme le propose la commission- en appelleront d'autres, sous couvert de justice sociale. Même la CGT a exprimé des réserves. L'abattement sur les bas salaires aura certes un impact en termes de pouvoir d'achat, mais il risque aussi de cantonner ces salariés dans la zone d'exonération car, au-delà, le coût des exonérations devient rédhibitoire pour les entreprises.

Vous êtes aussi fidèles, avec cette loi de financement à un autre de vos principes : laisser filer la dépense publique en imaginant que la croissance résoudra toutes les difficultés. L'assurance maladie restera dans le rouge, dépassant d'au moins 13 milliards l'objectif voté par votre majorité. La colère gronde parmi les professionnels de santé, excédés par l'absence de toute volonté de dialogue et par la mise en _uvre de mesures uniquement comptables pour tenter de limiter la dérive des comptes. Ils manifestent leur désarroi face à une politique brouillonne, dont ils ne comprennent ni les orientations ni les objectifs.

Le Gouvernement se contente de gérer la sécurité sociale au fil de l'eau, en profitant des rentrées de la croissance. Au lieu de mettre à profit cette période faste pour engager des réformes de fonds, M. Jospin privilégie l'attentisme pour ne pas obscurcir son avenir. Il en est ainsi de l'assurance maladie, mais aussi de l'avenir des retraites, les choix courageux étant toujours remis à demain alors que nos voisins ont engagé les vraies réformes.

Ce texte marque aussi l'échec d'une méthode : au moment où les comptes s'améliorent on aurait pu penser que cette loi susciterait l'adhésion des différents régimes. Or, force est de constater que l'ensemble des partenaires sociaux ont émis des avis défavorables et même porté des jugements particulièrement sévères sur des dispositions importantes. Ils sont surtout consternés par la méthode Aubry, qui se caractérisait par le mépris à leur égard et par l'absence de toute concertation, et qui, dans le dossier de l'UNEDIC, a finalement conduit le Premier ministre à opter pour l'armistice.

Vous vous contentez d'une présentation arithmétique, qui traduit bien la logique purement comptable du Gouvernement. Pire, l'opacité des comptes est contraire à l'esprit des textes qui fondent ce débat.

Pour la branche vieillesse, nous ne pouvons que déplorer, une fois de plus, l'absence de toute réforme ambitieuse qui assurerait le financement des régimes de retraite à l'horizon 2020. Même si le Premier ministre affirme que l'abondement de 1 000 milliards du fonds de réserve et le maintien d'une croissance forte permettront d'assurer sans trop de difficultés la pérennisation des régimes de retraite par répartition, ce n'est pas l'abondement du FSV de 32 milliards, portant le fonds de réserve à 55 milliards l'an prochain, qui rassurera les Français. En effet, en dehors des apports temporaires des licences UMTS et des caisses d'épargne, ce fonds reste soumis aux aléas de la conjoncture et ce ne sont pas les financements non pérennes que vous nous proposez chaque année qui lui permettront de remplir sa mission. Il est vrai que, pour M. Jospin, le déficit annoncé du régime général et des régimes alignés ne représente que trois points et demi de cotisation : en cas de difficultés, il suffira donc, demain, d'augmenter les cotisations et les impôts !

Le Premier ministre préfère jouer la montre sur le dossier des retraites plutôt que de dire la vérité aux Français. Les partenaires sociaux sont très sceptiques sur cette attitude qui n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Alors que le sujet exigerait du courage et une vision à long terme, le Premier ministre s'en tient à une politique à courte vue.

Nous prenons acte avec satisfaction de la revalorisation de 2,2 % des retraites. Nous regrettons que les allocations familiales, elles, n'augmentent que de 1,8 %. Le Gouvernement une fois de plus renonce à une politique familiale ambitieuse que les excédents de la branche famille lui permettraient pourtant de mener. Les associations familiales ne s'y sont pas trompées et revendiquent que les familles aussi profitent aussi des fruits de la croissance.

Les excédents de la branche famille servent en réalité à alléger les charges de l'Etat. Ainsi le transfert de l'ARS s'est-il opéré sans que pour autant l'Etat prenne à sa charge, comme il s'y était engagé, le coût de gestion du RMI ou de l'AAH. La charge de la majoration des pensions pour les femmes ayant élevé trois enfants -qui représentera en 2001 2,9 milliards- a de même été injustement transférée à la CNAF. Les associations ne comprennent pas cette décision lourde de conséquences, prise sans la moindre concertation. La branche famille aurait besoin d'un financement lisible, on en est loin ! Pourquoi par exemple, sinon pour l'effet d'annonce, créer un fonds spécifique pour multiplier les structures d'accueil de la petite enfance alors que la CNAF dispose déjà du fonds national d'action sanitaire et sociale pour conduire sa politique en ce domaine ?

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure - N'importe quoi !

M. Yves Bur - Les dépenses de la branche maladie, quant à elles, dérivent, s'éloignant chaque jour davantage de l'objectif fixé l'an dernier de 658,3 milliards. Les remboursements de soins de ville auraient progressé de plus de 8,6 % fin août contre 8,2 % fin juillet. Heureusement, la croissance permet d'atténuer le déficit. Il n'en demeure pas moins nécessaire de refonder notre politique de santé.

Rien ne dit que l'objectif d'équilibre, recherché par votre prédécesseur, Mme Aubry, pourra être atteint. J'en veux pour preuve non seulement l'augmentation considérable des dépenses de soins de ville, mais aussi la dizaine de milliards injectés dans l'hôpital public pour calmer le mécontentement social, avant même l'application des 35 heures, qui sera particulièrement coûteuse.

En dépit des dispositifs de maîtrise de plus en plus contraignants imaginés ces dernières années, les dépenses continuent donc de dériver inéluctablement. Face à cela, le Gouvernement se contente de remettre les compteurs à zéro à travers un rebasage annuel de l'ONDAM, sans s'atteler au grand chantier, certes périlleux -nous en savons quelque chose- mais indispensable, de la refondation de notre politique de santé. Faute donc de cela, l'ONDAM, devenu virtuel, signe chaque année le constat de votre impuissance.

Quel sens peuvent encore avoir nos débats dans le domaine de l'assurance maladie si nous savons pertinemment que l'ONDAM, seulement indicatif, sera adapté aux dépenses constatées et n'a pas de lien, compréhensible par les acteurs du système de santé, avec des objectifs de santé publique partagés ? Quel sens quand les seules mesures d'accompagnement de cet ONDAM virtuel sont les contraintes qui visent l'ensemble des professions de santé, modifiées année après année en fonction du degré d'échec constaté en matière de maîtrise comptable ? Quel sens face à l'incompréhension qui existe entre les services de votre ministère et la CNAM ? Le conseil d'administration de cette dernière s'interroge sur la cohérence et l'intérêt des ajustements d'honoraires qu'il doit arrêter prochainement quand vous proposez au Parlement de neutraliser les dépassements de l'ONDAM pour 2000. Quel sens face à l'absence de dialogue avec les professions de santé, qui manifestent unanimement leur incompréhension et leur désarroi ? Combien de tempes pourrez-vous encore conduire une politique de santé sans dialoguer avec les principaux acteurs du secteur sanitaire, voire contre eux ?

Le Gouvernement doit se rendre à l'évidence : la maîtrise technocratique des dépenses de santé est une impasse, comme le montre d'ailleurs l'incohérence de la régulation par les lettres-clés flottantes. Pourquoi avoir réduit autoritairement les honoraires des masseurs-kinésithérapeutes ? Si leur activité augmente, cela tient aussi au vieillissement de notre population. Où est leur faute alors qu'ils ne font qu'exécuter une prescription, établie en fonction d'un besoin réel ? Où est leur faute quand de plus, le soin, soumis à entente préalable, a reçu l'aval du médecin-conseil de la caisse primaire ? On voit bien l'incohérence du dispositif.

Pour les soins infirmiers, le ministère a rejeté la baisse des majorations la nuit, le dimanche et les jours fériés, proposée par la CNAM. Elle aurait eu des conséquences désastreuses pour la prise en charge des personnes âgées dépendantes à domicile alors même qu'elle n'aurait procuré qu'une économie marginale.

Les honoraires de certains spécialistes ont également été revus à la baisse. Je prendrai l'exemple des pneumologues. Leurs prescriptions ayant augmenté de 22 % par an depuis trois ans, la CNAM a décidé de les sanctionner. Mais l'évolution tient essentiellement à la prescription de nouveaux médicaments pour lutter contre les crises d'asthme. Le spray couramment utilisé jusqu'à aujourd'hui permettait de prévenir celles-ci par une prise toutes les six heures et pour un coût de 26 francs par mois. De nouveaux traitements sont apparus qui permettent d'espacer les prises à 12 heures -ce qui améliore notablement le confort des personnes atteintes- mais coûtent au minimum 236 francs par mois, voire 440 francs. Les asthmatiques doivent-ils perdre le bénéfice de ce progrès thérapeutique au nom d'une seule logique comptable ? Les cancérologues hospitaliers ont les mêmes inquiétudes : leurs malades pourront-ils toujours bénéficier des derniers traitements de chimiothérapie très coûteux, alors que les crédits consacrés aux médicaments sont en forte baisse ?

Par ailleurs, la décision de récupérer 70 % des dépassements sans prendre en compte les économies, induites par de nouvelles thérapeutiques médicamenteuses, est littéralement confiscatoire, d'autant qu'une très large part des prescriptions est imputable au transfert de prescriptions hospitalières vers la médecine de ville.

Concernant l'hôpital, qu'en est-il de la résorption des capacités excédentaires ? Celles-ci seraient déjà tombées de 47 000 à 37 000 lits. Entendez-vous aller plus loin ? Si oui, à quel rythme ? Et comment comptez-vous concilier cela avec la réduction du temps de travail ?

Les médicaments génériques progressent, grâce au droit de substitution accordé aux pharmaciens et en dépit des réticences d'une partie des prescripteurs -les malades chroniques sont aussi très attachés à leur médicament habituel. Les interventions de la DGCCRF quant au plafonnement des remises dont pouvaient bénéficier les groupements de pharmaciens grâce à la vente directe, risquent toutefois de décourager les pharmaciens.

Combien de temps pourrez-vous encore vous en tenir à une logique strictement comptable qui vous conduit année après année à contraindre et sanctionner les professionnels de santé sans régler en rien les problèmes de fond ? Si la suppression des comités régionaux médicaux a été bien accueillie par l'ensemble des professions de santé -c'est une bonne décision, je vous l'accorde-, le nouveau dispositif ne recueille guère l'adhésion, d'autant qu'aucune concertation n'a eu lieu en amont avec les ordres professionnels concernés.

Ce bouleversement des procédures disciplinaires risque d'être aussi inopérant que les dispositifs précédents car préparé dans la précipitation. La disparition des commissions médicales paritaires locales vide encore de son sens une démarche conventionnelle à l'agonie. Cette manière de faire traduit une fois de plus l'incapacité du Gouvernement à dialoguer avec les acteurs de la santé. Pourtant, sans dialogue aucune maîtrise durable ne pourra réussir.

Mme Aubry pourra se glorifier d'avoir vidé de toute substance le système conventionnel, comme elle semblait prête à le faire -et avec la même intransigeance- à l'UNEDIC. Il sera intéressant de savoir ce que vous comptez faire, Madame la ministre, pour relancer le dialogue conventionnel, seule voie possible pour assurer des soins de qualité tout en préservant l'équilibre des comptes. Si l'Etat s'entête dans l'exercice solidaire du pouvoir, il ne récoltera que l'échec. Le système de santé doit évoluer pour mieux prendre en compte les besoins sanitaires et sortir d'une logique purement comptable qui contrarie les efforts de modernisation demandés aux divers acteurs de la santé.

L'Etat ne peut pas tout faire. Il est donc indispensable de donner enfin sens à une véritable démocratie sanitaire, où tous puissent s'exprimer, y compris les représentants des usagers.

Cette démocratie devrait d'abord s'exprimer au Parlement, ce qui supposait de sortir le débat du cadre essentiellement financier dans lequel les lois successives du financement nous ont enfermés, celle-ci étant la caricature de ce qu'il faut éviter. Il faudrait d'abord débattre des priorités de santé publique puis définir un objectif de dépenses calé sur les besoins.

Aujourd'hui, certains de ces besoins sont négligés. La santé bucco-dentaire, par exemple. Cela fait des années que de nombreux ministres et de nombreux parlementaires soulignent qu'à cet égard la France se situe parmi les mauvais élèves de l'Europe. Les difficultés d'accès à des soins dentaires de qualité ont d'ailleurs été parmi les facteurs qui ont poussé à la création de la CMU. Pourtant, rien ne bouge. Le rapport annexé au projet de loi mentionne bien que « la réforme des soins dentaires et de leur prise en charge par l'assurance maladie est un objectif prioritaire », mais sans plus d'engagement alors que des propositions innovantes permettant très concrètement d'atteindre cet objectif ont été formulées par des organisations professionnelles et agrées par le conseil d'administration de la CNAM. Tout cela semble repoussé aux calendes grecques car personne ne sait comment en prendre en charge le coût.

Si une démocratie sanitaire rénovée doit commencer au Parlement, elle doit aussi associer davantage les partenaires sociaux, dont on ne peut réduire le rôle à la gestion des enveloppes déléguées. Un véritable débat doit s'engager sur l'organisation même de l'assurance maladie.

De même, il conviendrait de s'interroger sur la place des organismes complémentaires. Ils réclament d'ailleurs une vraie reconnaissance de leurs missions et sont prêts à s'engager davantage. Faut-il, à l'instar de ce que font l'Allemagne et les Pays-Bas, aller jusqu'à introduire une forme d'émulation dans le système de santé, en associant aux organismes de sécurité sociale des organismes complémentaires et en leur laissant une certaine autonomie ? Il est temps en tout cas de redonner du pouvoir aux caisses et de leur confier la mission de véritablement gérer le risque. L'émulation pourrait dès lors s'exercer sur le service rendu aux usagers, dans le cadre d'un panier de soins défini par l'Etat et de ressources financières allouées sur la base d'un ONDAM rénové.

Ce débat démocratique ne peut avoir de sens si l'on n'y associe pas les producteurs de soins, qui se sentent actuellement négligés voire méprisés. Il est donc nécessaire d'engager avec eux une véritable refondation médicale, qui redonne sens et contenu à un contrat conventionnel dont l'objet doit être d'assurer la qualité des soins pour tous. Ce n'est que par le dialogue que l'on peut espérer réussir les évolutions souhaitables. Les dispositifs successifs de contraintes, inspirés par la tentation de l'étatisation, ayant échoué, il est temps d'en tirer les leçons et de redonner aux professions de santé leur place de partenaire à part entière. Comme l'affirmait en mai le Président Jacques Chirac en recevant leurs représentants, « les mécanismes de responsabilité collective ont correspondu à une période de crise financière et de transition. Il faut passer aujourd'hui à un système de responsabilisé librement consenti individuel et contractuel, fondé sur la recherche du meilleur soin et sur l'évaluation des pratiques. » Vous avez l'opportunité, Madame la ministre, d'explorer cette voie de la sagesse et de l'efficacité. Dans ce dispositif, il convient de ne pas oublier l'acteur central qu'est le malade. S'agissant de sa santé, il devrait avoir son mot à dire. En ce qui concerne l'accès aux soins, la CMU a constitué un progrès incontestable mais elle demeure une réponse insuffisante, car non seulement elle n'est pas accessible aux personnes qui ne bénéficiaient pas de l'aide sociale départemental et dont les revenus se situent au-dessus des seuils de la CMU sans pour autant leur permettre de souscrire une couverture individuelle ou familiale, mais en outre elle ne le sera plus aux personnes bénéficiant de minima sociaux comme l'AAH ou le FNS. Il faut trouver une solution qui prenne en compte ces cas.

Par ailleurs, nous ne pouvons que regretter que la loi de modernisation sanitaire soit sans cesse repoussée, car elle permettrait d'actualiser les droits du malade au c_ur du système de soins.

Nombreux sont ceux ici qui partagent la conviction que notre système de santé gagnerait à être piloté à l'échelon régional.

De fait, le groupe de travail auquel j'ai participé a mis en évidence une forte attente de l'ensemble des acteurs pour une véritable régionalisation des politiques de santé. Celle-ci est d'ailleurs déjà partiellement engagée à travers des outils comme les ARH ou les DRASS, mais elle ne s'inscrit pas dans un projet global et cohérent.

Un débat serait nécessaire sur la forme que doit prendre cette régionalisation : déconcentration avec mise en place d'un préfet sanitaire ou véritable décentralisation avec une responsabilisation des acteurs locaux. Mais tous reconnaissent que le niveau régional serait le plus pertinent pour adapter les réponses sanitaires aux besoins de la population. Le système aurait beaucoup à gagner d'une légitimité inscrite dans la proximité. Le niveau régional permettrait de concilier proximité et mise en réseau de l'ensemble des acteurs. Encore faudrait-il lever l'obstacle de la non-fongibilité pour mettre fin au cloisonnement entre l'hospitalisation et la médecine de ville.

Comme vous pouvez le constater, Madame la ministre, la protection sociale suscite, malgré un retour à l'équilibre lié aux fruits de la croissance, de nombreuses interrogations, en particulier pour la branche maladie dont l'avenir demeure des plus incertains. Or, le texte du Gouvernement fait pratiquement l'impasse sur ces questions de fond et traduit en fait l'absence d'un véritable projet et d'une stratégie pour le faire aboutir. Face à la révolte des professions de santé, certains de vos amis commencent d'ailleurs à s'inquiéter, comme nous l'avons vu en commission. Ils ont peut-être compris que l'étatisation n'augurait rien de bon car tous les systèmes d'Etat sont toujours in fine des systèmes de pénurie, qui aboutissent inévitablement à des soins à deux vitesses au détriment des moins favorisés.

Eclairés par l'expérience, celle du plan Juppé qui avait une vraie ambition, celle du gouvernement de Jospin qui gère au fil de l'eau, nous sommes prêts à ce débat de fond pour permettre à la France de conserver ses indéniables atouts tout en adaptant son système de santé aux nouvelles exigences.

Face à l'opacité de l'approche financière, face à l'absence dans ce texte, des enjeux sanitaires, je ne peux que vous proposer de voter cette question préalable et vous demander d'engager le vrai débat (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires sociales - Bien entendu, il y avait dans votre intervention quelque chose de convenu mais c'est la loi du genre. Nous y avons tous un jour ou l'autre sacrifié. Reste que vous mélangez un peu les problèmes et mêlez le vrai au faux. Sans parler du manque de clarté de vos propositions de refondation.

Il est cependant au moins une de vos interrogations que je partage : celle concernant les masseurs kinésithérapeutes et les infirmiers. Des mesures positives ont cependant été prises, qu'il s'agisse de la nomenclature applicable aux kinésithérapeutes -même si son application soulève quelques difficultés- ou des projets de soins infirmiers -même si des problèmes d'application demeurent, en particulier en zone rurale. Madame la ministre en parlera sans doute.

Je ne sais où vous voyez cette étatisation que vous ne cessez de dénoncer. Nous avons au contraire donné une délégation de gestion à la CNAM, et vous vous opposez d'ailleurs aux premières décisions prises dans ce cadre.

S'agissant de l'hôpital, on ne peut nier le succès des ARH, qui étaient un élément fondamental du plan Juppé. Nous ne raisonnons plus en nombre de lits, mais en termes d'efficacité et de réseaux.

Vous invoquez les « besoins réels ». Sauf à imaginer un Gosplan de la santé, il me semble bien difficile de les définir in abstracto, compte tenu de l'évolution de la demande de soins, des découvertes de molécules et du développement des techniques. Nous nous efforçons donc de prendre des mesures d'ajustement progressif. C'est la seule méthode valable. Elle a d'ailleurs permis de mettre en place des programmes importants, comme le plan contre le cancer, le développement de la prévention ou la mise en place des agences de sécurité.

A propos de la CSG, je veux vous préciser que la généralisation d'un système de financement n'est pas l'option contraire à celle d'un ajustement à la réalité sociale. C'est parce que nous l'adaptons à cette réalité que nous le généralisons.

Je connais la théorie de l'impôt négatif. C'est une approche intéressante, mais impraticable.

Enfin, vous n'avez cessé de qualifier notre démarche de « comptable ». Quand on ne compte pas, il y a toujours quelqu'un qui paie... N'oublions pas que les professionnels de santé -monde éclaté, contradictoire- sont aussi des ordonnateurs de la dépense publique. Ils affrontent la souffrance, la maladie, et c'est la grandeur et la noblesse de leur métier, mais ils ordonnent aussi une dépense collectivement assumée. Si c'est cela que vous voulez remettre en cause, ayez le courage de le dire. Si au contraire vous voulez sauvegarder le système, il faut en assumer les contradictions. C'est cela que nous devons faire comprendre aux professionnels de santé. S'ils n'acceptent pas cette double responsabilité, nous ne pourrons pas progresser.

Cessez donc d'employer ce mot de « comptable »...

M. Yves Bur - Il vous gêne.

M. le Président de la commission - Je l'assume. Avec nos outils de gestion, nous pouvons améliorer la qualité des soins tout en nous montrant plus attentifs à la dépense (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR). Comment se fait-il, d'ailleurs, que de tous les pays développés, ce soit la France qui enregistre la progression la plus raisonnée des dépenses de santé, puisque celles-ci évoluent au même rythme que le PIB, c'est-à-dire la création de richesses ? (Mêmes mouvements)

L'observatoire mondial de la santé a procédé à une classification des politiques sanitaires : c'est notre pays qui obtient le meilleur résultat. Félicitons-nous de ce succès (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR).

M. Yves Bur - Tout va très bien, Madame la marquise !

Mme la Ministre - L'équilibre des comptes n'est pas si fragile que le prétend M. Bur. L'excédent sera de 19 milliards l'an prochain et nous en affecterons une bonne part au fonds de réserve pour les retraites.

Vous avez certes le droit de critiquer la création de tels fonds. Mais c'est le gouvernement Balladur qui a créé le fonds de solidarité vieillesse.

M. Bernard Accoyer - Vous le siphonnez !

Mme la Ministre - Nous préparons l'avenir. Le fonds de réserve pour les retraites est déjà doté de 50 milliards. Il en faudra 1 000 à terme, mais seulement en 2020, et non en 2005 comme l'a affirmé M. Dord.

Nous ne laissons pas filer la dépense publique, qui évolue au même rythme que le PIB. Monsieur Bur, voudriez-vous durcir le système ? Seriez-vous un partisan du rationnement des soins ? (Sourires)

S'agissant des retraites, il y a deux méthodes : celle du gouvernement Juppé, dont on connaît les résultats, et la nôtre. Avec patience et persévérance, nous mettons de l'argent de côté, tout en soutenant la croissance par une politique économique adéquate, comme l'a montré M. Cahuzac. En outre, nous nous concertons avec les professionnels, et croyez que j'ai l'intention de continuer à le faire.

A l'égard de la famille, votre sollicitude est touchante. Quand nous sommes arrivés aux responsabilités, vous veniez d'annoncer de grandes lois, sans avoir prévu aucun financement. De même à la chancellerie, je n'ai pas trouvé le premier franc des mesures annoncées. Nous qui avons créé le plus grand nombre de postes de magistrat sous la Ve République, nous avons aussi rétabli l'équilibre de la branche famille qui, en déficit de 15 milliards en 1997, est aujourd'hui excédentaire. Conformément aux engagements que nous avons pris lors de la conférence de la famille, nous allons prendre les mesures les plus urgentes.

Il reste beaucoup à faire, j'en conviens, mais nous prenons des mesures conséquentes.

Quant à l'assurance maladie, vous avez raison de dire que nous avons bien fait d'écarter la baisse des majorations de nuit et de dimanche pour les infirmières qui avait été décidée cet été. Croyez bien que là encore, le satisfecit que vous avez donné au Gouvernement me va droit au c_ur et que j'en ferai part à Martine Aubry à qui revient le mérite de cette décision.

Avec les infirmières et les kinésithérapeutes, qui aujourd'hui nous font part de leurs préoccupations, il nous faut poursuivre la définition de codes de bonnes pratiques, identifier les bons praticiens et ceux, heureusement, peu nombreux, qui font de l'abattage (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Vous avez longuement évoqué les soins dentaires dont chacun sait ici que vous êtes un spécialiste. Or, les dentistes ont à peu près respecté les objectifs de dépenses, ce qui a conduit le Gouvernement à décider d'admettre deux nouveaux actes au remboursement, pour le plus grand bénéfice des patients. Ces décisions montrent bien que le respect des objectifs contractuels est profitable à tous puisque le Gouvernement en tire toutes les conséquences pour améliorer la couverture et renforcer la qualité des soins.

Soyez assuré de notre détermination à poursuivre dans cette voie, en pleine concertation avec toutes les professions concernées (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Foucher - M. Bur a été très clair dans sa démonstration : l'équilibre qui a été atteint reste très fragile et très dépendant de la croissance. Du reste, il n'y a pas dans ce projet de loi de mesures sérieuses pour préparer l'avenir. Il a précisé aussi que cette loi, prolongement de la loi de finances, était marquée par le principe des vases communicants, en sorte qu'on ne sache plus au final qui paie quoi pour qui. Ainsi, la possibilité donnée au Parlement par les ordonnances Juppé de définir le montant des dépenses de santé va progressivement nous échapper puisque la ministre nous a confirmé que la CNAM gérerait elle-même un certain nombre de fonds.

La CSG va perdre son « G » comme le RMI a perdu son « I ». Le « généralisé » n'est en effet plus général et il existait d'autres moyens de tendre à une certaine équité. Le choix est donc irresponsable. Les mesures de maîtrise sont de nature comptables, sans dialogue ni perspective. Pour les retraites, aucune vraie réforme n'est envisagée et les partenaires sociaux sont consternés à bon droit par l'absence de dialogue. Pour les familles, le projet ne contient que des mesures à courte vue et aucune décision courageuse. En matière d'assurance maladie, la maîtrise des dépenses reste d'ordre comptable et repose sur l'existence de sanctions collectives. On nous a objecté cet après-midi qu'il fallait y voir une conséquence des ordonnances Juppé mais si tel est le cas, pourquoi ne pas les avoir modifiées ?

M. Maxime Gremetz - Vous avez raison ! C'est dommage !

M. Jean-Pierre Foucher - A votre place, nous n'aurions pas manqué de faire évoluer le système. Pourquoi s'acharner à sanctionner des professions au motif qu'elles exécutent des actes qui ont bénéficié de l'accord préalable des caisses d'assurance maladie ? Ne faudrait-il pas, dans cette logique, sanctionner plutôt les médecins conseils des caisses ?

Madame la ministre a beau jeu de nous parler d'abattage car lorsqu'on diminue en plein mois d'août la rémunération des actes des kinésithérapeutes, ne les encourage-t-on pas de fait à en exécuter plus pour maintenir leur pouvoir d'achat ?

Il y a lieu, Monsieur le président de la commission, de revaloriser les actes car si l'on étudie les causes de l'excès de prescription de certains médecins, cela s'explique par le fait que le praticien est contraint, pour obtenir un niveau de vie décent, de multiplier les consultations. Si l'acte de consultation était revalorisé, le temps consacré à chaque patient permettrait de poser un diagnostic plus sûr et d'établir un traitement plus fin.

N'y a-t-il pas quelque paradoxe à annoncer concomitamment un ambitieux plan de lutte contre le cancer et des sanctions à l'encontre de l'industrie pharmaceutique ? Les nouvelles molécules peuvent conduire à dépasser l'ONDAM : c'est le prix d'une médecine innovante.

M. Bur a posé les questions que les Français se posent. Ce projet n'y répond d'aucune manière et le groupe UDF votera donc la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia - A partir du moment où la CNAM a reçu de Mme Aubry une délégation, nous sommes en droit de lui demander d'agir et comme elle n'a pu agir, puisque Mme Aubry s'est finalement substituée à elle en juillet dernier, l'on peut estimer que la délégation n'a pas été correctement exécutée.

M. le Président de la commission des affaires sociales - C'est faux !

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia - Vous nous reprochez ensuite de ne pas approuver le dépassement de l'ONDAM mais puisque vous ne cessez de revendiquer la qualité de votre gestion, comment se fait-il que vous n'ayez pas pu contenir la dépense ?

La baisse de la CSG procède d'une intention qui peut se comprendre mais elle dénature la mesure et plonge les ménages les plus défavorisés dans l'assistance, en les empêchant de participer à l'effort social de la nation.

Quant à l'irresponsabilité des médecins en tant qu'ordonnateurs de dépenses de santé, vous avez beau jeu de la dénoncer alors que vous ne les associez pas suffisamment à la conception du système : comment se sentir tenu par des objectifs à l'élaboration desquels on n'a pas été associé ? Bien que le mot « concertation » revienne sans cesse dans vos déclarations, les professionnels de santé ont le sentiment d'être tenus à l'écart de toutes les décisions qui les concernent. Telle est la signification du jour de santé morte de jeudi prochain (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Philippe Nauche - Les démonstrations convaincantes du président Le Garrec et de Madame la ministre ont aisément balayé les arguments caricaturaux et à bien des égards contradictoires de M. Bur.

Vous arrivez en effet à dénoncer à la fois une pseudo dérive des dépenses de santé et l'insuffisance des moyens alloués aux professionnels. M. Foucher nous a ainsi expliqué que certains médecins ne travaillaient pas bien parce que leurs actes n'étaient pas suffisamment rémunérés !

M. Jean-Pierre Foucher - Je n'ai rien dit de tel !

M. Philippe Nauche - Je considère pour ma part que la plupart des professionnels de santé travaillent bien. Vous êtes en fait gêné par un ONDAM qui répond aux besoins constatés et par les réformes structurelles que le Gouvernement a engagées depuis trois ans. Le retour à l'équilibre semble aussi vous contrarier en ce qu'il contredit toutes vos prédictions.

Votre exposé prouve par lui-même que la question préalable n'est pas fondée, puisque vous abordez la question des retraites pour remettre en cause -discrètement, certes, mais l'allusion est là- le système des retraites par répartition, puisque vous traitez de l'importante question de la responsabilité entre l'Etat, les caisses et les professionnels de santé, puisque, de manière générale, vous parlez de la santé publique.

C'est de toutes ces graves questions que nous devons débattre en examinant le PLFSS pour 2001, et c'est pourquoi il faut rejeter la question préalable. C'est ce que ne manquera pas de faire le groupe socialiste (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Maxime Gremetz - Il ne s'agit toujours, nous a-t-on dit, que de gestion comptable. C'est un fait ; mais pourquoi diable, Messieurs de la droite, avez-vous inventé une telle machine infernale ? Que des propositions doivent êtres faites, en partant des besoins réels de la population, qui se modifient avec les progrès de la médecine et l'évolution démographique, nous en sommes les premiers convaincus, et nous en formulerons. A cet égard, je suis toujours étonné que l'on ne parle jamais des conditions de travail en Europe, et donc en France, que l'on ne dise jamais qu'elles sont, en fait, plus rudes qu'autrefois, tant physiquement, pour les ouvriers spécialisés, que psychologiquement, en raison d'un stress accru, pour les cadres notamment. Sachons-le ! La peine au travail n'est pas toujours allégée, et les besoins, en matière de santé, augmentent et se diversifient.

Pendant des années, alors que l'on savait les risques encourus par les travailleurs exposés à l'amiante, on s'est tu. Aujourd'hui, des dizaines de milliers de salariés et d'anciens salariés souffrent et meurent de mésenthéliomes, et si aucune mesure préventive n'est prise, des drames similaires vont se produire à cause de l'exposition d'autres salariés aux éthers de glycol.

Tout cela doit cesser ! Le fric ne doit pas l'emporter sur tout, y compris la santé !

Nous serons, d'autre part, contraints de modifier les fondements de notre système de protection sociale. Il faut davantage de moyens pour la santé publique, il faut davantage de moyens pour les hôpitaux, à nouveau au bord de l'explosion, mais je ne conçois pas que l'on puisse se satisfaire du mode de financement choisi. Dois-je le rappeler ? Pour assurer les remboursements des frais de maladie, il faut fumer beaucoup, boire beaucoup, et polluer beaucoup ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF) Peut-on durablement asseoir notre système de santé sur les recettes de cette sorte ? (« Très bien ! » sur les mêmes bancs). Comme on ne le peut pas, il faut se tourner vers d'autres sources de financement, les plus évidentes.

Alors que la Bourse connaît une ascension historique, que les bénéfices des entreprises progressent comme jamais, que la spéculation fait rage, l'assiette des cotisations sociales demeure inchangée. Un choix doit donc être fait : ou l'on continue de faire payer les individus, ou l'on taxe la spéculation et les revenus financiers. On aura alors le moyen de financer la santé qui est, je le rappelle un investissement et non une dépense.

C'est un grand débat de société que celui-là et il ne doit pas être esquivé. C'est pourquoi la question préalable doit être repoussée (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

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DISCUSSION GÉNÉRALE

Mme Jacqueline Fraysse - Avant d'aborder le contenu du projet qui nous est soumis, je tiens à rappeler les progrès accomplis depuis trois ans dans le domaine social, avec la loi de lutte contre les exclusions, l'instauration de la couverture maladie universelle, la réduction du temps de travail et les mesures en faveur de l'emploi des jeunes. Autant d'avancées indéniables, même si, souvent, nous aurions souhaité aller plus loin. Personne, d'autre part, ne peut nier une certaine reprise économique et la baisse du chômage.

Mais je tiens aussi à rappeler le récent rapport de l'INSERM sur les inégalités sociales en matière de santé, qui sont plus fortes en France que dans les autres pays européens et qui tendent à s'accentuer au lieu de se résorber. Ces données disent les limites de ce qui a été fait jusqu'ici, le décalage entre les réformes proposées et celles qui devaient être menées pour faire évoluer les choses.

Alors que fait toujours défaut une politique de prévention ambitieuse, trop de soins sont mal remboursés, ce qui conduit les plus modestes à y renoncer, car la CMU n'a évidemment pas tout réglé.

Le texte qui nous est proposé n'a pas l'ambition voulue, car les mesures intéressantes qui nous sont proposées, sont de portée très limitée.

En ce qui concerne la branche famille, nous approuvons l'allocation parentale d'assistance et les mesures favorisant le retour à l'emploi. Mais les allocations familiales ignorent toujours le premier enfant, et, malgré l'amélioration de la conjoncture économique, elles ne seront pas revalorisées.

Quant aux pensions de retraite, elles bénéficieront d'un petit « coup de pouce », qui ne compensera pas, tant s'en faut, la perte de pouvoir d'achat cumulée depuis des années. Et le texte ne prévoit toujours pas, en dépit de l'engagement pris par M. Jospin, de les indexer sur les salaires.

En ce qui concerne la branche accident du travail et maladies professionnelles, nous apprécions la reconnaissance et la réparation des pathologies liées à l'exposition à l'amiante. Toutefois, nous sommes inquiets d'un risque de déresponsabilisation des employeurs face à la santé au travail. Cette expérience douloureuse doit conduire à faire appliquer des mesures de prévention pour d'autres risques. De surcroît, la non reconnaissance de ces affections comme maladies professionnelles, conduit à des transferts indus vers l'assurance maladie. Enfin il y a urgence à former des médecins du travail, spécialité à part entière.

L'ONDAM est indiscutablement revalorisé, puisqu'il progresse de 3,5 % par rapport aux dépenses réalisées, mais il demeure très insuffisant au regard des besoins, dans tous les secteurs, en raison des graves retards accumulés. On le sait : les suppressions de lits, les fermetures d'établissement, le manque de personnel, constituent la réalité quotidienne, et le manque de médecins se fait sentir de manière critique dans certaines spécialités. Or il faut dix ans pour les former... Des mesures urgentes doivent être prises, tout comme pour les infirmières, en nombre insuffisant. Comment ferons-nous pour répondre aux besoins et pour appliquer les 35 heures, si nous ne les formons pas dès maintenant ?

Si de telles politiques ne sont pas engagées aujourd'hui, ce sera un prétexte pour fermer telle maternité ou tel service. Sous prétexte que l'on ne parvient pas à recruter un chirurgien, ou un anesthésiste, ou parce que la sécurité n'est pas assurée... C'est vraiment prendre le problème à l'envers !

La réponse sérieuse et responsable serait de former et de moderniser et non d'annoncer, comme Mme Aubry, la suppression de 220 services d'urgence et de 52 maternités.

Malgré sa progression, l'enveloppe proposée ne permettra pas d'avancer. Or, il n'est pas raisonnable de fixer des objectifs que l'on sait ne pas pouvoir tenir.

Il serait donc plus judicieux d'entendre les professionnels, qui savent de quoi ils parlent et qui ne critiquent pas systématiquement un gouvernement qu'ils sont nombreux à soutenir.

La lettre des cancérologues et des gestionnaires d'établissements de santé, que nous avons tous reçue, nous alerte sur l'insuffisance des budgets pour faire face aux prix très élevés des traitements anticancéreux.

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia et M. Bernard Accoyer - Très bien !

Mme Jacqueline Fraysse - Ils demandent un budget spécifique pour ces médicaments. La Fédération hospitalière de France estime que l'évolution proposée permettra uniquement de maintenir l'existant, sans prendre en compte les missions nouvelles. Elle demande en outre une enveloppe spécifique pour rattraper les disparités entre régions. Les médecins, les infirmières multiplient les heures et ne peuvent plus faire face à leurs tâches au service des patients. Quant aux médecins et professionnels de santé du secteur libéral -infirmières, kinésithérapeutes, laboratoires- ils n'acceptent pas d'être soumis aux quotas, aux sanctions et d'être désignés comme coupables de trop dépenser pour soigner, alors que l'accès aux soins reste insuffisant. Il faut les écouter ! Ils ne l'ont pas été l'an dernier malgré leurs appels à dégager davantage de moyens. Quelques semaines plus tard, les médecins et personnels hospitaliers ont conduit un mouvement massif et déterminé dont le Gouvernement a dû tenir compte en signant le protocole du 14 mars. Que de temps perdu ! Quel gâchis !

La rencontre que nous avons organisée le 19 octobre dernier, avec l'ensemble des professionnels des secteurs publics et privés confirme leur forte insatisfaction à l'égard de ce projet. Ils nous ont montré, à partir d'exemples concrets, que ce budget ne permettait pas de travailler au service de tous, avec la qualité et la sécurité exigées aujourd'hui.

Il faut donc prendre dès maintenant les mesures qui s'imposent plutôt que risquer un nouveau mouvement.

Ce texte n'est pas le fruit d'un grand débat public, c'est sans doute son défaut originel. Ainsi, le débat promis au Parlement avant l'été n'a pas eu lieu. De plus, le temps nous a été chichement compté pour un texte d'une telle importance, qui n'a hélas pas donné lieu à un débat en amont avec notre groupe. La solidarité ne doit pas jouer à sens unique ! La ministre nous a présenté le projet en commission le 4 octobre, nous n'avons disposé du texte que le 9 et les rapports viennent d'arriver. Voilà qui rend difficile un travail sérieux.

Mais j'en viens à la question essentielle du financement de la protection sociale. Malgré quelques avancées, ce projet manque de souffle. Non parce que la ministre, le Gouvernement ou les députés ne connaîtraient pas les besoins les plus urgents, mais parce qu'il est impossible de faire plus sans moyens supplémentaires.

Chaque année, nous reparlons des lunettes, des prothèses dentaires et auditives, des appareils pour handicapés, trop mal remboursés. Chaque année, nous reparlons des personnes âgées, particulièrement concernées par ces prestations. J'ai d'ailleurs été sensible à la vigoureuse intervention de Paulette Guinchard-Kunstler en commission, à propos des infirmières libérales et du maintien à domicile des personnes âgées. La réalité est telle qu'elle l'a décrite. Mais alors, pourquoi, nous qui faisons ensemble ce constat, ne décidons-nous pas ensemble les mesures nécessaires ? Parce que l'enveloppe proposée ne le permet pas !

Nous ne changerons rien en profondeur, tant que nous ne modifierons pas le mode de financement actuel de la sécurité sociale, dépassé, injuste, précaire et souvent incohérent.

Sur ce point, le texte prévoit l'allégement progressif jusqu'à suppression de la CSG pour les salaires compris entre le SMIC et 1,3 fois le SMIC. Nous n'allons pas nous en plaindre : c'est un gain de pouvoir d'achat, que nous proposons d'ailleurs d'étendre jusqu'à 1,8 fois le SMIC, comme pour l'allégement de la cotisation employeurs.

Mais si l'objectif est d'améliorer le pouvoir d'achat, pourquoi ne pas augmenter les salaires, en particulier le SMIC ? Nous nous sommes opposés à l'instauration de la CSG parce que nous considérions qu'elle conduirait à la fiscalisation de la protection sociale. C'est aujourd'hui confirmé. La sécurité sociale est financée par un nombre incalculable de taxes...

M. Bernard Accoyer - C'est vrai !

Mme Jacqueline Fraysse - ...sans lien entre elles et souvent sans lien avec la protection sociale. Elles nous écartent d'un financement assis sur la richesse produite, seul moyen d'assurer des ressources durables et plus importantes.

M. Maxime Gremetz - Très bien !

Mme Jacqueline Fraysse - La cotisation sociale sur les bénéfices, votée l'an dernier devait être un premier pas. Pourtant, son taux ne progresse pas. Surtout, il est urgent de réformer l'assiette des cotisations employeur. A défaut, on en restera à une maîtrise comptable des dépenses, à de petites mesures, à des enveloppes étriquées qui ne permettent pas de s'adapter aux besoins.

Nous insistons sur le financement, parce que les moyens existent pour répondre aux besoins de santé, sans laisser personne de côté, dans le cadre d'une protection sociale moderne, solidaire, et ambitieuse.

Mais cela implique davantage de justice, davantage de courage pour exiger que l'argent bénéficie à l'ensemble de la collectivité. C'est pourquoi nous demandons que les revenus des placements financiers des entreprises contribuent à la protection sociale au même taux que les salaires. Cette mesure de justice élémentaire permettrait à la fois de dégager des moyens nouveaux, et de dissuader ces spéculateurs indécents, qui jouent contre l'emploi et la solidarité.

Il est également indispensable de prendre, enfin, en compte la valeur ajoutée et non uniquement la masse salariale dans le calcul des cotisations employeurs.

Ces mesures, directement liées à l'entreprise, donc aux richesses créées, assureraient un financement plus important adapté à l'économie moderne, durable et plus stable. Cette réforme de l'assiette est promise depuis 3 ans. Pourquoi refusez-vous d'en débattre ? D'y travailler ?

En toute franchise, nous ne sommes pas satisfaits de la manière dont s'est préparé ce débat, d'autant que pratiquement tous nos amendements ont été repoussés par la commission.

Ainsi sont passés à la trappe l'organisation des élections des représentants des assurés sociaux, l'accès à la CMU des bénéficiaires de l'allocation adulte handicapé et du minimum vieillesse, la revalorisation des allocations familiales et leur indexation, ainsi que celle des retraites sur les salaires.

Nous voulons croire que cette semaine sera mise à profit pour changer les choses. C'est dans cet esprit que nous travaillerons (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Jean-Luc Préel - Ce débat au Parlement marque un progrès démocratique indéniable réclamé par tous, réalisé par Alain Juppé et Jacques Barrot. Ainsi, nous pouvons enfin nous prononcer sur la politique sociale dont les dépenses, supérieures au budget de l'Etat, jouent aussi un rôle économique, car elles sont productrices de biens et d'emplois, mais aussi parce qu'elles sont financées par des prélèvements fiscaux et par des cotisations.

Cette année, entre le dépôt du projet de loi et la discussion, nous avons changé de ministre : « Elisabeth a remplacé Martine », comme le dit le Premier ministre.

L'héritage est lourd... Il y a trois ans et demi, la ministre s'était assignée deux objectifs majeurs : maîtriser les dépenses de santé, nouer des relations de confiance avec les professionnels. Comment ne pas constater son double échec : les dépenses de santé ont augmenté de 10 % en deux ans, l'ONDAM passant de 629,9 milliards en 1999 à 693,3 en 2001. Quant aux professionnels, ils sont tous dans la rue en raison d'un manque de concertation et de décisions brutales qui leur imposent des sanctions collectives. Or aucune réforme ne se fera contre eux.

Pire, le système de santé à la française est en péril, menacé d'une étatisation quasi achevée.

Pourtant les Français sont très attachés à leur système de santé performant. S'il est relativement coûteux, il est quasiment le seul à permettre encore une liberté de choix de son praticien -qui garde une certaine liberté de prescription- sans ces files d'attente que l'on rencontre dans de nombreux pays.

Certes, ce système est perfectible, mais il mérite d'être conforté. Or, il repose sur le paritarisme et le contrat. Aujourd'hui, l'étatisation déresponsabilise et frustre les acteurs ; le financement repose de plus en plus sur des impôts à base large.

Le ministère, responsable des hôpitaux et des médicaments, a récupéré en 2000 les cliniques. Il a certes confié la gestion de l'ambulatoire à la CNAM, mais en mettant de nombreux garde-fous, si bien qu'en réalité, c'est lui qui négocie avec les professionnels et tranche souverainement. Il est aujourd'hui nécessaire de redéfinir les rôles respectifs de l'Etat et de l'assurance maladie et de permettre une fongibilité des enveloppes.

Votre projet ne prépare l'avenir ni pour la retraite, avec le problème majeur du « papy boom », ni pour la dépendance, ni même dans le domaine de la santé : rien n'est prévu pour remédier aux problèmes de la démographie médicale, aux inégalités régionales, à l'absence d'une politique de prévention.

Certes, il s'agit d'une loi de financement. Mais il y a un an, la ministre, à la grande satisfaction du président Le Garrec, avait promis un grand DMOS, une loi de modernisation sociale, une loi de modernisation de la santé. Nous n'avons rien vu venir !

Les recettes prévisionnelles sont en augmentation grâce à la croissance, ce qui permet de compenser l'augmentation des dépenses. Mais ce chapitre est totalement inacceptable puisqu'il prévoit de nombreux transferts du budget de l'Etat, que toutes les exonérations décidées par l'Etat ne sont pas compensées, qu'il modifie la CSG et qu'il poursuit, à travers le FOREC, le bricolage pour tenter de financer les 35 heures.

La CSG est simple, compréhensible ; elle repose sur la totalité des revenus. La modifier est regrettable.

Sous prétexte de justice, vous allez rendre cette contribution complexe tout en créant de nouvelles injustices. Vous en faites le premier étage de l'impôt sur le revenu mais sans tenir compte des charges de famille. Un couple dont les deux parents gagnent chacun 1,4 SMIC sera exonéré de CSG alors qu'un couple dont un seul parent travaille et gagne 2,8 SMIC n'aura aucune remise. L'UDF désapprouve ce « bricolage » de la CSG et préfère la baisse des cotisations salariales ou l'instauration d'un crédit d'impôt.

Quant aux 35 heures, leur financement est des plus incertain. Le FOREC, pour l'heure encore virtuel, devra trouver 85 milliards en 2001. Sans revenir sur les difficultés d'application des 35 heures dans les PME, je soulignerai seulement leur coût exponentiel et, là encore, le bricolage de leur financement. Y sont affectées la TGAP, les taxes sur les tabacs et celles sur les alcools. Il s'agit d'un véritable détournement. Les dernières devraient servir au financement de la prévention et du traitement des maladies liées au tabagisme et à l'alcoolisme, responsables chacun d'au moins 50 000 morts par an.

Quel est, aujourd'hui, le statut de l'ONDAM ? Est-ce un objectif à respecter, un chiffre virtuel ? Comment est-il fixé et que se passe-t-il en cas de dépassement ? Le Gouvernement fait tout, là encore, pour brouiller une définition déjà incertaine.

L'ONDAM est fixé à 693,3 milliards pour 2001, soit une augmentation de 3,5 % par rapport à celui de l'an passé qui aurait augmenté de 2,5 %. Pourtant, l'ONDAM 1999 était de 629,9 milliards, inférieur donc de 10 % à celui qui nous est proposé. Comment 2,5 % plus 3,5 % peuvent-ils faire 10 % ? Sans doute parce que 10 %, rapportés aux 2,7 % d'inflation, auraient laissé apparaître crûment l'absence de maîtrise ! Si l'on prend comme base les dépenses réalisées, ce qui est raisonnable, il faut pousser la logique à son terme et renoncer aux sanctions collectives. Il faudrait de même prendre en compte les dépenses réalisées pour le médicament au lieu d'instituer une clause de sauvegarde de 70 % et les dépenses nécessaires pour les hôpitaux et les cliniques au lieu de leur octroyer des dotations sans lien avec leur activité réelle.

L'ONDAM est essentiellement comptable et ne tient compte ni des besoins, ni du vieillissement de la population, ni des progrès scientifiques. L'UDF estime qu'il faudrait au contraire partir des besoins évalués par les observatoires régionaux de la santé. Seule une réelle régionalisation permettrait de résoudre les problèmes, notamment de prévention, en responsabilisant tous les acteurs.

La fixation de l'ONDAM n'a tenu aucun compte des propositions des conférences régionales de santé, de la conférence nationale ni du Haut comité de santé publique. Il est d'ailleurs symbolique que le Gouvernement demande, dans son premier amendement, de reporter la discussion du rapport en fin de débat. Il eût été préférable de fixer d'abord les priorités de santé puis de fixer l'ONDAM.

Par ailleurs, le Parlement vote l'ONDAM sans possibilité d'amendement. Le ministère décide ensuite de la répartition entre hôpitaux, cliniques, ambulatoire et établissements médico-sociaux. Ces enveloppes sont enfin réparties en sous-enveloppes entre les diverses professions, en tenant compte de plus d'une répartition régionale. Cette répartition s'effectue en dehors du contrôle parlementaire. Il nous semblerait juste que des critères objectifs soient clairement définis et que le Parlement se prononce à leur sujet.

La non-fongibilité des enveloppes pose également problème. Les ordonnances établies à l'hôpital ou à sa sortie relèvent-elles par exemple de l'enveloppe hospitalière ou de l'enveloppe ambulatoire ?

Comme l'ONDAM n'est pas défini par rapport à des besoins, il n'est pas surprenant qu'il soit dépassé. La logique voudrait que l'on propose en cours d'année une loi rectificative.

Quoi qu'il en soit, il faut supprimer les lettres-clés flottantes et les sanctions collectives, instituées l'année dernière malgré notre opposition. Il faut aussi mieux évaluer les pratiques individuelles -références médicales, formation continue. Oui à la responsabilité individuelle, non à la sanction collective.

Ce projet de loi ne prépare pas l'avenir alors même qu'il y a tant à faire. C'est le cas dans le domaine de la prévention et de l'éducation à la santé où la multiplicité des intervenants, chacun pour des sommes modestes, nuit à la coordination d'une politique pluriannuelle. Une agence nationale régionalisée qui disposerait d'une enveloppe dédiée à la prévention, parallèlement à l'ONDAM, serait nécessaire.

La démographie médicale est un autre problème majeur. De nombreux postes ouverts aux concours sont vacants. Sachant qu'il faut dix ans pour former un spécialiste, que compte faire le Gouvernement pour répondre aux besoins criants qui se feront bientôt jour. Je n'ai toujours par reçu de réponse à ma question écrite sur ce sujet. Comment seront demain appliqués les décrets relatifs à la sécurité dans les maternités et les services d'anesthésie ? On risque de devoir fermer des hôpitaux tout simplement par manque de spécialistes. La responsabilité du ministère est pourtant d'anticiper...

S'agissant des hôpitaux, allez-vous corriger les inégalités régionales et infra-régionales ? Adapterez-vous les dotations à l'activité réelle ? Où en est la tarification à la pathologie, pourtant demandée par beaucoup ? De nombreux hôpitaux, dont l'activité augmente, sont étranglés par le budget global. Beaucoup sont en quasi-cessation de paiement et contraints de reporter des dépenses d'une année sur l'autre. Comment financer certaines dépenses lourdes, notamment la chimiothérapie ? Comment enfin comptez-vous appliquer et financer les 35 heures à l'hôpital?

Les cliniques privées qui représentent pourtant 60 % de l'activité chirurgicale, 40 % des accouchements emploient 120 000 salariés et connaissent aujourd'hui une situation très difficile. Leur rentabilité économique est en baisse constante, alors qu'elles devraient s'adapter aux nouvelles normes et se restructurer. Elles manquent de personnel. Elles souhaiteraient aligner leurs rémunérations sur celles des hôpitaux, supérieures de 20 %, et bénéficier d'un fonds de modernisation à hauteur de leurs besoins de restructurations.

Le médicament n'est pas un produit industriel comme un autre. L'industrie pharmaceutique est créatrice d'emplois ; elle a besoin de dégager des profits pour ses actionnaires, certes, mais aussi pour la recherche, indispensable mais aussi de plus en plus coûteuse. Beaucoup de malades et leurs familles attendent avec impatience certaines molécules innovantes.

La politique du médicament est très encadrée en France. Mais, en dépit de cela, les dépenses, d'après les chiffres de la CNAM, auraient augmenté en août de 12 %. Vous proposez donc une sanction confiscatoire de 70 % du chiffre d'affaires, ce qui est inacceptable dans le cadre de la compétition mondiale à laquelle est soumise l'industrie pharmaceutique.

Il faut en revenir à une politique contractuelle tenant compte du service médical rendu, du respect des indications et prévoyant une réévaluation régulière.

Si nous voulons sauver notre système de santé, en élargir l'accès et améliorer la qualité des soins, il est urgent de remobiliser les professionnels en les écoutant, en prenant en compte les besoins exprimés et en supprimant les sanctions collectives. Après trois ans et demi, tout reste à faire.

Seule une réelle régionalisation permettrait une politique de santé de proximité de nature à améliorer notre système de soins. Oui donc à une véritable décentralisation.

S'agissant des retraites, les données démographiques sont connues de tous, le rapport Charpin les a confirmées.

Si le régime général, grâce aux mesures courageuses prises par Edouard Balladur et Simone Veil, est à peu près équilibré, le problème majeur lié au « papy boom » à partir de 2005 concerne les régimes spéciaux. Il manquera en 2015 près de 350 milliards par an à législation constante.

Or, vous ne décidez rien, sinon de créer un observatoire des retraites, comme si les données n'étaient pas connues !

Des réformes structurelles seraient pourtant urgentes. Nous souhaitons conforter la retraite par répartition en accroissant l'autonomie de la branche vieillesse du régime général. Nous demandons, dans un souci de transparence, la création d'une caisse de retraite des fonctionnaires de l'Etat, gérée paritairement par l'Etat et les représentants du personnel. Nous réclamons, dans un souci de justice, l'harmonisation progressive des règles en vigueur dans les divers régimes. Nous insistons pour la mise en place effective d'un troisième étage, l'épargne retraite, rôle que tient aujourd'hui l'assurance vie.

Votre immobilisme constitue une faute dramatique.

Rien n'est prévu non plus concernant les conjoints survivants dont les demandes sont pourtant bien connues et légitimes : règles de l'assurance veuvage, cumul des droits propres et d'une pension de réversion, problème des polypensionnés...

Pour la famille, vous proposez deux mesures intéressantes, mais vous n'avez pas de véritable politique familiale, ce qui serait pourtant indispensable. Certains pays, comme la Suède, vous ont pourtant donné l'exemple.

En dehors de l'allocation logement, vous ne simplifiez aucune des 23 prestations et des 15 000 références existantes, ingérables et inexplicables aux bénéficiaires.

Vous transférez à la branche famille la charge de la majoration de 10 % de la retraite pour les femmes ayant élevé trois enfants. Cette nouvelle charge, sans lien avec la politique familiale, est contraire au principe de l'indépendance des branches auquel nous sommes très attachés.

Vous l'aurez compris, ce projet n'emporte pas l'adhésion de l'UDF. Certes, les débats permettront peut-être de l'améliorer. Nous avons d'ailleurs déposé de nombreux amendements.

Mais en l'état actuel, nous pensons voter contre, suivant d'ailleurs en cela l'avis général des conseils d'administration des différentes caisses (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Bernard Charles - Le régime général de la sécurité sociale est passé à l'équilibre en 1999 et sera en excédent en 2000. Le Gouvernement a redressé les comptes tout en améliorant l'accès aux soins et en renforçant la sécurité sanitaire. Cependant, l'absence d'une réelle évaluation des besoins de santé publique se fait cruellement sentir.

Je note aussi que le processus de fiscalisation des recettes de la sécurité sociale se confirme et que beaucoup de ceux qui ont naguère combattu la CSG -pendant que, sous le gouvernement Rocard, nous la défendions- lui prêtent aujourd'hui maintes vertes. Reste qu'on aurait pu à mon sens aider les foyers aux revenus les plus bas sans pour autant écorner la CSG.

S'agissant de la branche famille, les mesures en faveur de l'accueil de la petite enfance sont positives, en particulier l'effort sur les crèches collectives, même si le montage financier n'est pas tout à fait satisfaisant.

Il faudrait aussi revoir les conditions de ressources posées pour l'assurance veuvage.

En ce qui concerne la branche vieillesse, la revalorisation de 2,7 % des pensions rompt de façon significative avec la logique des revalorisations « planchers » qui prévalait depuis le plan Juppé. Il conviendrait cependant de fixer une règle pérenne qui permette d'aligner leur évolution sur celle des salaires dans la logique naturelle d'un système par répartition.

Pour la branche maladie, l'ONDAM à 3,5 % constitue un objectif réaliste. Nous n'avions encore jamais atteint, depuis trois ans, ce niveau. Et pour la deuxième fois, il est calculé, comme nous le souhaitions depuis le début, en fonction des dépenses réalisées.

Contrairement à ce qu'affirment les tenants de la maîtrise comptable, un tel taux n'empêche pas l'optimisation des dépenses. On peut néanmoins regretter que les caisses et les professionnels de santé n'aient pas proposé en commun un taux d'évolution.

La progression de la dépense en médicaments est importante. Dans ce domaine, des politiques structurelles ont tenté d'infléchir les tendances que nous savons mais depuis vingt ans, nous n'avons jamais eu en France une véritable politique industrielle du médicament, qui s'intègre dans une politique de protection sociale...

M. Jean-Pierre Foucher - C'est vrai.

M. Bernard Charles - ...ce qui à terme risque de nous mettre sous la dépendance des multinationales.

Les mesures prises pour les médicaments dits orphelins règlent un dossier difficile. En revanche, la clause de sauvegarde avec un prélèvement à 70 % devrait être révisée.

La situation des infirmières libérales préoccupe nombre de parlementaires car le décret sur le protocole des soins infirmiers est mal ressenti. Il faut accélérer la réforme de la nomenclature. Nous comptons sur le Gouvernement pour faire avancer ce dossier ainsi que celui des kinésithérapeutes.

En dépit des soubresauts qu'il a connus au début de l'année 2000, l'hôpital public a poursuivi sa modernisation. La recomposition de l'offre, impulsée par le Gouvernement, produit des effets tangibles -coopérations, mises en réseaux voire fusions- et les suppressions de lits inutiles ou les reconversions ne constituent plus des sujets tabous.

Bien que l'activité du secteur continue de croître, l'hôpital public parvient globalement à maîtriser l'évolution de ses dépenses. Ces bons résultats sont à mettre à l'actif de son statut juridique. Il n'aurait pas le même dynamisme et la même souplesse s'il était un simple service extérieur de l'Etat. Ce statut a en outre permis l'émergence d'un corps de gestionnaires, celui des directeurs d'hôpitaux, de grande qualité.

L'utilisation d'indicateurs médico-économiques pour l'allocation des ressources aux établissements est désormais une réalité dont personne ne conteste plus la légitimité. Le PMSI est certes un outil imparfait, mais il a le grand mérite de sortir la gestion du caractère flou que lui conféraient les indicateurs anciens qu'étaient les journées, les actes et les entrées. Cette meilleure connaissance de l'activité des hôpitaux permet d'envisager une réforme du financement, sur la base des coûts à la pathologie, ou plutôt des séjours par malade. Cela demandera du temps, mais peu importe. L'essentiel, c'est que l'hôpital s'engage résolument dans la voie de la transparence de ses activités et de ses coûts.

S'agissant de la qualité des soins, un esprit non averti pourrait s'inquiéter du petit nombre d'établissements qui se sont engagés dans la procédure d'accréditation. Pour ma part, ce constat ne m'inquiète pas car il traduit le souci des dirigeants hospitaliers de se préparer à cet exercice difficile en commençant par la phase la plus silencieuse, mais sans doute la plus importante : l'auto-évaluation.

Tout cela ne doit pas masquer les difficultés que traverse un secteur en pleine mutation. Formidable amortisseur de crise sociale, l'hôpital public voit ses missions croître chaque jour un peu plus. Il ne me paraît pas inutile d'essayer d'analyser les causes de la crise qu'il a connue. Le taux de progression des budgets hospitaliers publics permettait globalement de reconduire les moyens existants, notamment au niveau des effectifs. Mais comme le Gouvernement souhaitait réduire les inégalités de dotations budgétaires entre les régions, il en est résulté pour les régions considérées comme mieux dotées un taux de progression budgétaire sensiblement inférieur au taux nécessaire pour la simple reconduction des moyens. Les directeurs d'hôpitaux ont alors ralenti le remplacement des agents, ce qui a provoqué des tensions.

Faut-il pour autant arrêter le redéploiement des moyens entre les régions ? Sûrement pas ! Mais il faut peut-être reconnaître que le rythme de cette péréquation, nécessaire je le répète, doit être un peu ralenti. Et cette péréquation ne doit pas s'effectuer au détriment des établissements dont l'offre s'inscrit pleinement dans le SROSS et dont l'efficacité médico-économique est bonne.

Qu'en sera-t-il pour 2001 ? La fédération hospitalière de France, dont nous saluons le renouveau, avait réclamé un taux de progression de 3,4 %, hors mesures nouvelles et hors politique de péréquation. Le Gouvernement l'a retenu mais on nous dit par ailleurs que le taux nécessaire pour la reconduction des moyens n'est pas de 3,4 %, mais plutôt de 3 %. Si tel est le cas, vous disposez, Madame la ministre, à la fois d'une marge de man_uvre pour des mesures nouvelles et pour financer la politique de péréquation entre les régions.

Il importe que vous nous expliquiez clairement la position du Gouvernement sur les aspects budgétaires de sa politique. Le climat social de nos hôpitaux en dépend.

Reste le dossier des 35 heures. Certains estiment qu'il s'agit là d'un pari impossible eu égard aux missions et aux contraintes organisationnelles des hôpitaux. Mais d'autres, comme les représentants de la fédération des hôpitaux publics, ont de ce chantier une vision plus positive. et encouragent leurs adhérents à y voir une chance pour le service public hospitalier. Je souhaite que le Gouvernement saisisse cette chance en veillant à ne pas se mettre à dos ses alliés sur ce dossier. Pourquoi avoir écarté des discussions sur le protocole signé au printemps dernier une fédération capable de faire valoir une approche institutionnelle à côté des approches corporatistes ? Ne décourageons pas les bonnes volontés, surtout quand leur soutien et leur contribution conditionnent pour une large part le succès.

Permettez-moi de terminer par les problèmes du secteur social et médico-social. Mon groupe se réjouit du nouvel effort budgétaire consenti en sa faveur. Cette hausse de 5,8 % permettra de renforcer les moyens humains dans le domaine de la prise en charge des personnes âgées et des handicapés.

Mais cet effort est occulté par les inquiétudes qu'inspirent les réformes en cours. La réforme de la tarification des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes est jugée trop compliquée par les fédérations représentatives du secteur et les incertitudes qui planent sur la réforme de la prestation spécifique dépendance avivent leurs inquiétudes. N'est-il pas encore temps de remettre à plat ces dossiers avec l'ensemble des partenaires concernés ?

Je conclurai en regrettant que la concertation avec notre groupe ait été sur ce projet quasi-inexistante. Les circonstances étaient certes particulières mais nous n'avons vraiment eu aucune possibilité de travailler en amont. De plus, certains articles vont vraiment à l'encontre de ce que nous prônons. L'article 39 par exemple constitue une fantastique usine à gaz qui compliquera le travail de l'agence de sécurité sanitaire des produits de santé. Plutôt que de faire appel à de nouveaux experts, susceptibles de travailler sous plusieurs casquettes, il vaudrait mieux renforcer le rôle de ceux de cette agence et faire en sorte que leurs avis autorisés soient davantage portés à la connaissance des professionnels de santé.

Cela fait des années que M. Calmat et moi demandons la création d'une banque de données unique et indépendante, référençant les produits de santé. Nous l'avions proposée quand a été créé l'agence du médicament. Notre amendement avait été repoussé, mais Mmes Aubry et Gillot avaient pris l'engagement de revoir le problème dans la loi de modernisation de la santé. Nous présenterons de nouveau, avec M. Aschieri, notre amendement, car nous avons besoin d'informations sur les produits de santé.

Madame la ministre, nous vous savons capable d'engager les concertations les plus difficiles, comme vous l'avez fait dans votre précédent ministère. La gauche plurielle souhaite des avancées, qu'il s'agisse des infirmières libérales, des masseurs kinésithérapeutes ou de l'information.

Loi sur la prestation spécifique dépendance, loi de modernisation de la santé, création d'une agence de sécurité sanitaire environnementale, loi sur la bioéthique : notre calendrier est chargé. Nous espérons pouvoir travailler avec vous, ce qui nous permettrait de voter ce projet de loi de financement (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce matin à 9 heures 15.

La séance est levée à 1 heure 5.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

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ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 25 OCTOBRE 2000

A NEUF HEURES QUINZE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 2606).

MM. Alfred Recours, Claude Evin, Denis Jacquat et Mme Marie-Françoise Clergeau rapporteurs au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
(Tomes I à V du rapport n° 2633).

M. Jérôme Cahuzac, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.(Avis n° 2631)

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Questions au Gouvernement.

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

A VINGT ET UNE HEURES : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

        www.assemblee-nationale.fr


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