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Session ordinaire de 2000-2001 - 35ème jour de séance, 77ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 29 NOVEMBRE 2000

PRÉSIDENCE de M. Pierre LEQUILLER

vice-président

Sommaire

          INTERRUPTION VOLONTAIRE DE GROSSESSE
          ET CONTRACEPTION 2

          EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 10

          QUESTION PRÉALABLE 15

La séance est ouverte à dix heures.

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INTERRUPTION VOLONTAIRE DE GROSSESSE ET CONTRACEPTION

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - La pratique de la contraception et de l'avortement a d'abord été un tabou, et à ce titre sévèrement réprimée, puis elle a été tolérée et libéralisée, avant de devenir enfin un droit. Les préoccupations démographiques, particulièrement fortes dans la France de l'après-guerre, et l'idéologie conservatrice, ont longtemps dominé. On parlait alors pudiquement de régulation des naissances ou de maternité consentie. Il a fallu que les femmes revendiquent leur liberté individuelle et la liberté de disposer de leur corps pour qu'on parle enfin de contraception et d'avortement. Leur combat a été long et difficile. Le Premier ministre ne rappelait-il pas, lors de la Journée internationale des femmes, le 8 mars dernier, que le XXe siècle a été celui de la lutte des femmes contre le conservatisme ? Il aura fallu bien des débats et des engagements militants pour qu'elles conquièrent enfin l'égalité politique, avec les hommes -c'est le droit de vote, puis la parité-, la libre disposition de leur salaire et l'égalité professionnelle, la maîtrise de leur fécondité et la liberté sexuelle. Ces droits, elles les doivent à leur combat et à celui des associations féministes, mais aussi au courage d'hommes et de femmes politiques. Parmi ces droits, le droit à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse a été l'un des plus difficiles à conquérir. N'oublions pas comment se sont déchaînées à l'époque les passions, les violences et l'intolérance ! Après le slogan « notre corps nous appartient », ce furent le « manifeste des 343 salopes » de 1971, l'association « Choisir », la marche internationale des femmes du 20 novembre 1971, la création du mouvement pour la contraception et l'avortement qui fédéra les associations féministes et les partis de gauche et rallia une partie du corps médical avec le manifeste des 331 médecins !

Si tout est allé si vite, c'est parce que les femmes de toutes origines et de tous âges subissaient le même silence, la même culpabilité, le même danger. Ensemble, elles ont fait sortir l'avortement de la sphère du privé pour le revendiquer publiquement, sans craindre la loi, la prison, les menaces, ni les injures. Leurs provocations et leur union l'ont ainsi emporté sur l'intransigeance pour parvenir à cette conquête que le rapport de la Délégation aux droits des femmes qualifie d'irréversible : la loi Neuwirth sur la régulation des naissances du 28 décembre 1967 et la loi du 17 janvier 1975 que l'on doit à la ténacité et au courage de Simone Veil. Cette loi relative à l'IVG a été discutée ici-même, les 26, 27 et 28 novembre 1974, il y a exactement vingt six ans. N'oublions pas que des hommes et des femmes se sont battus pour la reconnaissance de ce droit nouveau, ni que les temps ne sont pas si loin où la contraception était assimilée à l'avortement et la propagande en sa faveur punie de prison, où les femmes n'avaient d'autre ressource que de suivre leur courbe de température pour ne pas être mère. Nous devons faire en sorte que cette conquête de nos aînées soit partout respectée aujourd'hui. Le premier droit des femmes, comme l'a rappelé le Premier ministre le 8 mars dernier, est celui de maîtriser leur corps. Le Gouvernement s'est engagé en 1997 à refuser toute régression des droits des femmes, en particulier en matière d'IVG et de contraception. Pour assurer l'exercice de ces droits, il s'attache à trois impératifs : faire progresser les droits des femmes en matière de maîtrise des naissances, améliorer la santé publique en développant l'information et l'accès à la contraception et en améliorant les conditions de recours en dernier ressort à l'IVG, enfin, garantir une égalité d'accès à la contraception et à l'IVG en luttant contre les inégalités sociales. Le projet de loi que je vous présente s'intègre dans cette politique volontariste du Gouvernement, que je voudrais évoquer.

La première de ses priorités consiste à prévenir les grossesses non désirées en assurant un meilleur accès à la contraception.

Mme Yvette Roudy - C'est fondamental !

Mme la Ministre - Si plus de deux Françaises sur trois âgées de 20 à 49 ans utilisent une méthode contraceptive, le nombre des grossesses non désirées n'a pas diminué.

Le nombre d'interruptions volontaires de grossesse reste élevé dans notre pays : plus de 200 000 par an, et 10 000 grossesses non désirées chez les adolescentes, dont 7 000 débouchent sur une interruption volontaire. Près d'une femme sur trois se trouve confrontée au cours de son existence à une telle décision.

Les échecs restent trop fréquents. Une enquête récente de l'INSERM, nous éclaire sur ces échecs. Réalisée à partir d'entretiens avec des femmes sur un échantillon socio-démographique diversifié, elle fait apparaître qu'il est inapproprié de parler de femmes à risques, mais qu'il existe des situations à risques. L'échec s'explique par des difficultés inhérentes à la pratique contraceptive et à la trajectoire de la femme.

Il y a certes les accidents de méthode, l'infertilité supposée, ou l'inadéquation de la méthode prescrite. Mais la contraception peut aussi se révéler comme un enjeu des rapports entre l'homme et la femme dans leur relation, que l'homme ne veuille pas utiliser le préservatif ou que la femme ne supporte pas la pilule. Dans le cas particulier des mineures, nous savons que plus de 10 % des adolescents ont leur premier rapport sexuel sans contraception, le plus souvent par manque d'information. C'est pourquoi nous allons lancer une grande campagne, dans la ligne de celle d'Yvette Roudy, la première du genre, menée en 1983. Cet effort n'avait guère été relayé par la suite...

Mme Yvette Roudy - Parce qu'on n'a pas voulu !

Mme la Ministre - ...mais nous avons repris ces campagnes il y a deux ans et voulons la renouveler régulièrement.

Mme Yvette Roudy - C'est bien !

Mme la Ministre - Par le thème de la dernière campagne, « La contraception, à vous de choisir la vôtre », nous avons voulu signifier que le sujet n'était pas le choix ou non de la contraception, mais le choix de la méthode. Le bilan effectué nous a convaincus de reconduire cette campagne régulièrement pour toucher toutes les nouvelles générations d'adolescentes.

Les initiatives locales sur ce thème se multiplient sur tout le territoire et font salle comble. Tous les experts s'accordent à dire que cette appropriation du sujet par les acteurs locaux est la méthode la plus fructueuse pour changer les comportements. J'en citerai pour exemple les expositions réalisées dans les bus-bibliothèques, le bus itinérant de la CPAM en Alsace, les petits déjeuners santé organisés à La Ciotat, les regroupements d'infirmières et de médecins formés à la contraception.Des dispositions ont été prises pour faciliter l'accès de toutes les femmes à tous les moyens de contraception. Le stérilet n'est utilisé que par 16 % des femmes, ce qui est peu. Son prix de vente au public s'élevait à 300 F et le remboursement à 44 F : depuis le 29 août 2000, son prix maximal a été abaissé à 142 F et il est remboursé à 65 %, ce qui ne laisse que 49 F à la charge de l'assurée. La prise en charge est même totale pour les bénéficiaires de la CMU.

Le Gouvernement s'est par ailleurs efforcé de convaincre l'industrie pharmaceutique de mettre sur le marché une pilule de 3e génération à un prix accessible. Actuellement elle coûte 160 F par trimestre, contre 90 F pour les pilules plus anciennes, et elle n'est pas remboursée. Le Comité économique du médicament a entrepris des négociations pour obtenir un prix raisonnable permettant le remboursement et ces négociations devraient aboutir au 1er semestre 2001.

Des mesures ont également été prises pour faciliter la mise sur le marché de la pilule de lendemain : après le Tetragynon en décembre 1998, le Norlévo a été mis en vente libre en 1999. Ma collègue Ségolène Royal a décidé, fin 1999, d'autoriser les infirmières scolaires à distribuer le Norlévo (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). La proposition de loi sur la contraception d'urgence actuellement en cours de discussion vise à permettre l'accès à ce contraceptif en pharmacie, sans consultation médicale préalable.

Quand il n'y a pas d'autre choix, le recours à l'IVG doit être amélioré. Quelles qu'en soient les raisons, l'IVG est reçue comme une épreuve douloureuse pour les femmes.

Mme Christine Boutin - Oui !

Mme la Ministre - Il ne faut pas la rendre encore plus difficile par des délais d'intervention trop brefs, des conditions d'accueil défectueuses ou une information lacunaire.

Les décisions prises en 1999 visaient à résoudre les difficultés soulignées par le rapport du professeur Nisand sur les inégalités d'accès à l'IVG dans le secteur public. Une enveloppe de 12 millions de francs a été dégagée pour renforcer les équipes hospitalières concernées. Pour la période d'été, une circulaire a été adressée à toutes les régions afin qu'elles mettent en place une permanence téléphonique informant les femmes des permanences des hôpitaux en matière d'IVG : 60 000 F ont été attribués à chaque région à cette fin et ces crédits seront reconduits.

Pour faciliter l'accès de toutes les femmes à toutes les techniques d'interruption volontaire, y compris médicamenteuse, quel que soit le centre sollicité, une circulaire en ce sens a été adressée le 17 novembre 1999 à tous les directeurs d'établissements ; il a par ailleurs été demandé à l'Agence française de sécurité sanitaire d'examiner les possibilités d'élargir les indications de la Mifegyne (RU 486) jusqu'au 63e jour de grossesse.

Les missions des commissions régionales de la naissance ont été élargies, de façon qu'existe un lieu d'information par région sur la contraception et l'accès à l'interruption volontaire de grossesse et que soit élaboré un rapport annuel d'activité.

L'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES a été sollicitée pour élaborer à l'attention des professionnels des recommandations de bonne pratique en matière d'interruption volontaire de grossesse et pour intégrer cet élément dans les critères d'accréditation des établissements.

L'effort du Gouvernement pour améliorer les conditions d'accès à l'IVG sera poursuivi à hauteur de 15 millions de francs en 2001. La répartition des crédits alloués se fera à partir des résultats des dernières enquêtes sur l'accessibilité à l'IVG, par département, y compris dans les départements d'outre-mer.

Ces deux volets de l'action gouvernementale sont les plus importants en termes de santé publique et l'effort sera poursuivi.

La campagne en faveur de la contraception doit devenir annuelle et les mesures prises en faveur de l'accessibilité et de l'intégration de l'activité IVG dans l'hôpital public seront poursuivies.

Le projet de loi du Gouvernement s'inscrit dans la continuité de ces efforts. Il contient trois modifications principales : l'allongement de 10 à 12 semaines de grossesse du délai légal pour l'IVG, l'aménagement de l'obligation d'autorisation parentale pour les mineures, la suppression des sanctions pénales liées à la publicité en faveur de l'IVG.

L'allongement du délai légal a pour objectif premier d'éviter que des femmes ayant pris la décision d'une IVG soient contraintes, parce qu'elles sont hors délai, de partir à l'étranger ou d'avoir recours à une interruption médicale de grossesse.

Il s'agit souvent de femmes très jeunes ou en situation de vulnérabilité, ou particulièrement désarmées face à une démarche à l'étranger. Elles ont dépassé les délais soit parce qu'elles ont nié leur grossesse -c'est plus fréquent qu'on ne le pense- soit parce qu'elles connaissaient mal leur corps -c'est aussi plus fréquent qu'on ne le croit- soit par manque d'information sur les démarches à entreprendre. Les raisons de ce dépassement sont d'ordre social, elles ne relèvent pas d'une indication d'interruption médicale de grossesse. J'insiste sur ce point : il n'est pas question de revenir sur la distinction opérée par la loi de 1975 entre l'interruption de grossesse voulue par la femme en situation de détresse et l'interruption volontaire de la grossesse pour cause médicale.

Selon nos estimations, l'allongement à 12 semaines du délai légal associé aux mesures visant à faciliter l'accès à l'IVG devrait permettre de réduire de plus de 80 % le nombre de femmes hors délai.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - C'est faux !

Mme la Ministre - Le Gouvernement s'est assuré qu'il n'existait aucune contre-indication technique à cet allongement. L'avis de l'ANAES est clair : il n'y a pas d'obstacle, ni en termes médicaux ni en termes de sécurité sanitaire, à ce que ce délai soit porté à 12 semaines, comme dans la plupart des pays européens. Je vous renvoie à cet égard au rapport publié par le Sénat, en février dernier, qui fait une comparaison très instructive des dispositifs existant en Europe.

En fait, en 1975 on n'a pas débattu du délai légal de 10 à 12 semaines. Si le délai est plus court chez nous qu'ailleurs, c'est que la France a ouvert le chemin.

Cet allongement est-il acceptable sur le plan éthique et n'y a-t-il pas risque de dérive eugénique ? Interrogé sur ce point par les présidents des assemblées, le comité consultatif national d'éthique a rendu un avis vendredi. Il souligne que l'allongement du délai d'IVG résulte d'une demande de la société plus qu'il n'est la conséquence d'un progrès médical scientifique. Cela le conduit d'ailleurs à s'interroger sur sa propre compétence en la matière.

Mme Yvette Roudy - Tout à fait.

Mme la Ministre - Sur le risque d'eugénisme, le comité estime qu'invoquer le progrès de l'échographie qui permettent de contrôler le sexe et de détecter des anomalies mineures pour refuser l'allongement du délai paraît excessif et d'une certaine façon attentatoire à la dignité des femmes et des couples (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). C'est, dit-il « leur faire injure que de penser que la grossesse est vécue de façon si opportuniste que sa poursuite ou son arrêt ne tiendrait qu'à la connaissance du sexe ou des anomalies » (Mêmes mouvements).

Selon le comité, la crainte de dérive eugénique n'est pas fondée.

Pour autant, ajoute-t-il, on ne peut se satisfaire du recours encore trop fréquent à l'IVG. Ainsi plaide-t-il pour des politiques publiques de prévention des grossesses non désirées plus efficaces. La modification que nous vous soumettons n'a donc d'autre fondement que de santé publique : il s'agit de faciliter pour des populations particulièrement démunies l'accès à un droit acquis dont elles ont du mal aujourd'hui à bénéficier.

Nous proposons que le délai légal de recours à l'IVG soit porté à 12 semaines de grossesse. Des instructions seront ensuite diffusées aux services déconcentrés pour que les femmes en situation de particulière difficulté ou vulnérabilité puissent être prises en charge par des centres spécialement équipés en moyens à la fois humains et techniques appropriés. Notre objectif est que progressivement tous les centres offrent les mêmes niveaux d'accueil, de prise en charge et d'accompagnement.

En second lieu, nous continuerons à affirmer dans la loi que l'autorisation parentale pour les mineures reste la règle.

M. Philippe de Villiers - N'importe quoi !

Mme la Ministre - En effet, à l'heure où nous souhaitons marquer l'importance que nous accordons à la responsabilité parentale, il serait paradoxal de démobiliser les parents à une période de la vie où justement la jeune fille a le plus besoin d'accompagnement.

Pour autant, nous prévoyons des dérogations. On ne peut en effet ignorer certaines situations de détresse, liées à des incompréhensions familiales. Il y a des cas particulièrement douloureux, où la mineure ne peut, sans risque grave pour elle-même, parler à sa famille d'une interruption volontaire de grossesse. Il y a aussi des cas où les parents, interrogés s'opposent à cette interruption. Il est enfin des cas où les représentants légaux ne sont pas joignables.

Avec une jeune fille qui dit ne pas pouvoir obtenir l'autorisation parentale, le médecin prendra le temps du dialogue. Il tentera de la convaincre qu'il serait mieux pour elle que ses parents puissent l'accompagner dans cette période difficile de son existence. Si la jeune fille persiste dans son souhait de garder le secret ou si, malgré son souhait, elle ne peut obtenir pour une raison quelconque le consentement de ses parents, son seul consentement, exprimé librement en tête-à-tête avec le médecin, emportera la décision.

Pour l'accompagner tout au long de cette période difficile, elle choisira, après en avoir discuté au cours de l'entretien préalable, un adulte qui pourra être l'un des professionnels du centre qu'elle a choisi pour avoir recours à l'IVG, ou un adulte de son entourage proche. La discussion sur le choix de cette personne permettra de s'assurer qu'il est pertinent.

En troisième lieu, les sanctions pénales liées à la propagande et à la publicité pour l'IVG, sont supprimées. Elles sont devenues obsolètes et surtout constituent un obstacle à la politique de prévention des grossesses non désirées. Ainsi les permanences téléphoniques régionales qui informent sur les centres d'IVG seraient susceptibles d'être sanctionnées du fait de cette disposition.

Mais les dispositions pénales qui sanctionnent les recours à l'IVG en dehors du cadre posé par la loi et qui sont protectrices pour les femmes, sont maintenues.

Dans le même esprit, nous avons décidé d'abroger les dispositions du décret-loi de 1939 relatif à la famille et à la natalité française qui prévoient une interdiction professionnelle automatique pour les médecins ayant pratiqué illégalement des IVG.

Ces dispositions sont de toute façon contraires à la convention européenne des droits de l'homme.

Outre cette révision de la loi de 1975, deux modifications concernent l'organisation des IVG dans les établissements hospitaliers.

D'abord une nouvelle rédaction de l'article L. 22-12-2 du code de la santé publique permettra de pratiquer une IVG éventuellement en ville si l'évolution des techniques et des pratiques de soins l'autorise et par des praticiens ayant passé convention avec un établissement de référence.

D'autre part, sans que soit remise en cause la clause de conscience du médecin, les responsables des services hospitaliers ne pourront plus l'utiliser comme prétexte pour refuser d'organiser des IVG dans leur service. La clause de conscience est purement personnelle et tout chef de service doit assurer les obligations de sa fonction (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Or l'organisation des IVG est bien une mission du service public hospitalier.

Enfin, nous modifions certaines dispositions de la loi de 1967 relative à la régulation des naissances afin de faciliter l'accès des mineurs à la contraception. Aujourd'hui, seuls les médecins des centres du planning familial ont droit de la leur prescrire sans autorisation parentale. Tous le pourront désormais.

D'autre part, le droit commun du médicament s'appliquant aux contraceptifs ceux-ci n'ont plus à faire l'objet de dispositions spécifiques dans le code de la santé publique. Je rassure ceux qui se sont inquiétés. Il ne s'agit nullement de donner libre accès à tous les contraceptifs sans prescription médicale. Celle-ci est définie par des dispositions s'appliquant à tous les médicaments. N'en sont exonérés que des médicaments répondant à des conditions de dosage et d'innocuité particulières. Pour les contraceptifs disponibles sur le marché, seul le Levonorgestrel répond à ces conditions.

Au terme de cette introduction, je tiens à remercier Martine Lignières-Cassou et Danielle Bousquet, qui ont fourni un travail considérable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Par leur investissement personnel, elles ont beaucoup contribué aux travaux sur ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Je tiens d'abord à exprimer ma profonde reconnaissance aux associations féministes, aux médias, aux femmes et hommes politiques qui, par leur action, ont permis aux femmes de maîtriser la fécondité et aussi leur vie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Cette conquête des femmes est un progrès pour l'humanité. Ne plus subir la vie comme une fatalité, mais la choisir : ce progrès, nous le mesurons si nous regardons l'ensemble du monde, notamment les pays en développement.

Le présent projet porte à la fois sur la contraception et sur l'IVG, et nous partageons cette volonté d'une démarche globale. Comme l'avait déclaré Martine Aubry devant la délégation aux droits des femmes, et comme vous-même, Madame la ministre, venez de le dire, la politique du Gouvernement est d'abord une politique de prévention. Elle s'appuie en premier lieu sur le développement de l'information. C'est le sens de la campagne de l'hiver dernier, dont nous souhaitons fortement qu'elle soit pérennisée, conformément aux engagements pris par le Gouvernement cet été. C'est aussi le sens de la campagne « éducation à la sexualité et à la vie » engagée par Ségolène Royal dans les établissements scolaires. Car, au-delà de l'information, ce qui est en jeu est notre capacité à reconnaître la sexualité des jeunes. Selon l'INSERM, plus les adultes la reconnaissent, moins le recours à l'IVG est fréquent ; l'exemple hollandais est éloquent sur ce point (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). En outre les campagnes d'information permettent de responsabiliser davantage les garçons.

J'exprimerai un regret : c'est que le partage des compétences entre l'Etat et les départements ait confié à ces derniers l'essentiel de la politique de prévention. Or cette action est très inégale d'un conseil général à un autre. Sans doute faudra-t-il y réfléchir quand nous aborderons les prochaines lois de décentralisation.

Les travaux de l'INSERM ont montré la nécessité de diversifier l'offre de contraception. Peu d'outils sont en effet offerts ; c'est essentiellement la pilule, et elle n'est pas parfaite. Depuis trente ans la recherche sur la contraception n'a pas apporté de progrès significatif. C'est ce qui explique qu'une IVG sur deux traduise un échec de la contraception, rupture de préservatif ou oubli de la pilule. La Délégation, puis la commission ont souligné la nécessité d'un cadre juridique conditionnant la stérilisation volontaire.

Le deuxième pilier de cette politique est l'amélioration de l'accès à l'IVG dans les établissements de santé. Nous savons quelles disparités, dans les moyens et les réponses, existent à l'hôpital public selon les régions et les périodes de l'année. C'est pourquoi Mme Aubry a rappelé aux chefs d'établissement que l'IVG était une mission de service public ; les deux tiers des IVG s'effectuent en effet à l'hôpital. Elle a également débloqué 12 millions dans le budget 2000 pour augmenter le nombre des postes de praticiens ; cet effort doit être poursuivi. La reconnaissance du travail des équipes passe par la valorisation de leur statut et par la reconnaissance d'unités fonctionnelles d'orthogénie animées par un personnel partageant un projet commun. De même, l'amélioration de l'accès à l'IVG passe par la levée du contingentement qui pèse sur les cliniques privées, dans lesquelles le nombre des IVG ne peut dépasser le quart du total des actes chirurgicaux. La complémentarité entre le secteur public et privé ne justifie plus aujourd'hui la méfiance envers ce dernier.

Le troisième pilier de cette politique est la révision des lois Veil et Neuwirth. Le présent projet vise en effet à moderniser la loi Neuwirth, ainsi que la loi Veil, confirmée par la loi Pelletier et complétée par les lois Roudy et Neiertz. Quel courage n'a-t-il pas fallu à cet homme et à ces femmes ! Quand nous relisons les débats parlementaires, quand nous discutons avec eux, nous mesurons quelle fut leur détermination, mais aussi leur habileté.

Pourquoi réviser la loi Veil ? Cinq mille Françaises partent chaque année à l'étranger parce qu'elles ne trouvent pas en France de réponse à leur détresse. Dix mille adolescentes ont chaque année des grossesses non désirées, dont les deux tiers conduisent à une IVG. Il ne s'agit aujourd'hui ni de récrire les lois existantes, ni de remettre en cause le droit à l'IVG, ni de modifier l'architecture de la loi Veil, mais simplement de répondre à ces situations et d'adapter les lois aux évolutions de notre société. L'IVG en France touche plus de deux cent mille femmes chaque année. Aucune femme n'est à l'abri de cet accident de la vie, puisque près d'une femme sur deux y est confrontée un jour. La décision d'interrompre une grossesse est un acte responsable, qui est loin d'être anodin, comme le confirme la dernière étude de l'INSERM. C'est une décision difficile pour les femmes et pour les couples.

La disposition la plus emblématique de ce projet est l'allongement des délais de dix à douze semaines. En France, les délais actuels sont courts. Chez nos voisins européens, le délai est au minimum de douze semaines, et atteint vingt-deux semaines en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. Or, il n'est pas rare qu'une grossesse soit révélée tardivement, après dix semaines, parce que la femme est mal réglée ou qu'elle pense être stérile. La femme alors bascule contre son gré dans l'illégalité. Elle a souvent du mal à accéder aux informations permettant de se rendre à l'étranger -sans compter les difficultés financières : une IVG aux Pays-Bas coûte environ 5 000 F. C'est ainsi qu'une femme peut arriver aux Pays-Bas ou ailleurs à quinze ou seize semaines de grossesse. En renforçant la politique de prévention, en améliorant l'accès à l'IVG dans les établissements de santé, et en allongeant les délais, nous répondrons à la très grande majorité des femmes qui, aujourd'hui, se retrouvent hors la loi (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

Cet allongement présente-t-il des risques pour la santé des femmes ? Non, pas de risque notable supplémentaire. L'avis de l'ANAES est clair : en termes de sécurité sanitaire, et sous réserve de certaines précautions, notamment d'une formation des professionnels et de moyens adaptés, il est possible de porter à douze semaines le délai d'accès à l'IVG.

Dès lors que cet allongement ne pose pas de problème de santé publique, le débat n'a pas à être placé sur le plan de la technique médicale, mais sur celui du droit.

Mme Yvette Roudy - Tout à fait.

Mme la Rapporteure - Cet allongement soulève-t-il des questions éthiques ? Le Président de l'Académie de médecine, le Président du Conseil de l'ordre des médecins, le Président du Comité consultatif d'éthique nous ont tous dit que non. C'est ce que confirmait lundi l'avis du CCNE. En effet, la discussion éthique sur le principe de l'IVG a été conduite il y a vingt-cinq ans et l'allongement des délais ne change pas la nature de ce débat.

Mme Christine Boutin - Absolument.

Mme la Rapporteure - Dans les pays où le délai va jusqu'à vingt-deux semaines, nous n'observons aucune dérive dite eugénique, aucune modification des raisons de demandes d'IVG ni du taux de naissance entre garçons et filles. Ce type de raisonnement repose sur une logique du soupçon selon laquelle les femmes ne seraient pas responsables de leurs actes ou utiliseraient à mauvais escient les progrès de la science (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). C'est oublier que l'IVG est une décision lourde à prendre dans un couple, surtout quand un enfant est désiré. La crainte dite de l'eugénisme porte en réalité sur la place et le sens que l'on peut donner au progrès technique médical dans nos sociétés. Quant à la question du diagnostic prénatal, elle est inscrite dans les lois bioéthiques et fait déjà l'objet des réflexions des échographistes depuis plusieurs années. Ne mélangeons pas les débats. Cette confusion n'a pas de sens, et n'en aurait que si certains cherchaient, à la faveur de la révision des lois bioéthiques, à mettre en cause les droits propres des femmes. Et si nous souhaitons réfléchir sur les pratiques sélectives qui sont développées dans le cadre de l'interruption médicale de grossesse, n'employons pas le terme d'eugénisme, car il renvoie aux pratiques du IIIe Reich, et sa seule évocation condamne toute réflexion.

J'ai été touchée, lors des auditions, par les propos des médecins qui, interrogés sur l'allongement des délais d'IVG, ont exprimé leur désarroi face à des interruptions médicales de grossesse très tardives, intervenant dans les derniers mois de la grossesse. Le législateur leur a confié, et il ne peut en être autrement, la responsabilité de telles décisions, qui englobent des considérations thérapeutiques, mais aussi des normes sociales et des valeurs. Ces décisions sont si lourdes qu'elles ne peuvent être prises que dans la collégialité, dans le partage de la responsabilité, procédure qui est reconnue face aux malformations du f_tus et qu'il serait souhaitable d'étendre quand la santé de la femme est en jeu.

Deuxième disposition majeure du projet de loi : l'aménagement de l'autorisation parentale pour les mineures. La loi reconnaît à ce jour un double consentement, celui de la mineure et celui de l'un des deux parents. Mais elle n'a pas prévu la résolution d'un conflit entre les deux consentements. Le projet y remédie. Nous connaissons tous des mineures enceintes, qui, par peur de leurs parents, cachent leur grossesse, ce qui peut les conduire jusqu'à la tentative de suicide ou à l'infanticide. Le projet ne remet pas en cause le recours à l'autorité parentale, qui continuera de demeurer la règle. Mais si la mineure ne peut obtenir le consentement parental, elle doit pouvoir être accompagnée dans ses démarches par un adulte en qui elle a confiance ; l'essentiel est qu'elle ne se retrouve pas seule.

En troisième lieu le projet supprime les sanctions pénales liées à la propagande et à la publicité pour l'IVG : priorité doit être donnée à l'information, pour que les démarches soient effectuées dans les meilleurs délais et en toute connaissance de cause.

En quatrième lieu, le texte améliore l'organisation de l'IVG. Il ouvre la possibilité de pratiquer l'IVG médicamenteuse dans les cabinets médicaux de médecins ayant passé convention, afin d'assurer à la femme le soutien permanent de son médecin.

Le projet s'attache également à encadrer la place et le rôle du médecin dans la pratique des IVG. La clause de conscience est bien entendu maintenue. Toutefois, l'IVG étant une mission de service public, les chefs de service en charge de ces interventions sont tenus de les organiser, même s'ils ne les pratiquent pas eux-mêmes.

Enfin, dernière disposition majeure, la révision de la loi Neuwirth. Les adolescentes sont trois fois plus nombreuses que les adultes à n'utiliser aucune contraception. C'est pourquoi le projet conforte les dispositions de la proposition de loi sur la contraception d'urgence, qui garantit la confidentialité aux mineures qui la souhaitent. Enfin, les contraceptifs hormonaux, qui ne sont pas susceptibles de présenter un danger pour la santé des utilisatrices devraient être exemptés de l'obligation de prescription médicale.

J'appartiens à cette génération qui, dans les années soixante-dix, s'est battue pour la reconnaissance du droit à l'IVG. A cette époque, une femme par jour mourait des suites d'un avortement clandestin, sans parler des séquelles pour les autres. Certains se souviennent de l'âpreté des débats. Cette époque et révolue, du moins en France. Ce droit est institué, même s'il faut l'adapter, ce qui est notre travail d'aujourd'hui. Que souhaitons-nous pour demain ? Une contraception plus conforme au rythme de vie des femmes, une contraception ouverte aux hommes, une vie sexuelle sans risques -je pense à l'IVG et je pense au sida. Que chacune et chacun, dûment éclairé, puisse conduire sa vie en son âme et conscience, que dans le respect de l'autre puisse pleinement s'épanouir la vie amoureuse -la vie, quoi.

C'est pourquoi, chers collègues, la commission des affaires sociales vous recommande d'adopter ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Danielle Bousquet, au nom de la délégation aux droits des femmes - Ce projet répond à une réelle attente des femmes, les textes régissant actuellement l'interruption volontaire de grossesse et la contraception -qui pour nous les femmes sont intimement liées, au point de constituer un seul et même sujet- n'étant plus adaptées à la réalité sociale.

Il faut rappeler la longue lutte des femmes pour leurs droits, et d'abord pour la maîtrise de leur fécondité. Elle a conduit aux deux textes législatifs que nous nous apprêtons à réviser, la loi Neuwirth sur la contraception et la loi Veil sur l'interruption volontaire de grossesse, qui furent de formidables avancées. N'oublions pas qu'elles furent votées essentiellement par des parlementaires de gauche.

Nous pensions alors que l'éducation sexuelle et l'information sur la contraception feraient le reste. Or force est de constater que chaque année 10 000 jeunes filles subissent une grossesse non désirée et que pour au moins sept sur dix d'entre elles, elle aboutit à une IVG. Force est de constater aussi que quelque 5 000 femmes, et sans doute davantage, sont dans l'obligation d'aller pratiquer l'IVG dans un pays voisin parce qu'en France elles sont « hors délai ».

Une première évidence s'impose : l'impérieuse nécessité d'une politique d'information sur la contraception et d'éducation à la sexualité, intégrant sa dimension affective et relationnelle, en direction des jeunes. On constate en effet que, même si la contraception est largement utilisée en France, des résistances persistent, tant psychologiques et sociales qu'institutionnelles.

Il est important de souligner que plus la sexualité est acceptée, moins les grossesses involontaires et les IVG sont nombreuses : plus le discours social est favorable à la sexualité des jeunes, plus ceux-ci accèdent volontairement à la contraception (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Les chercheurs ont également mis en évidence le fait que ni les difficultés juridiques, matérielles et financières rencontrées pour accéder à une IVG, ni les aides sociales données aux mères célibataires ne limitent le recours à l'IVG. Il est donc temps de considérer l'éducation à la sexualité comme une grande cause de santé publique, qui nécessite la définition d'objectifs, d'axes stratégiques et de moyens humains et financiers pérennes.

Deuxième constat : rien ne peut justifier cette réalité archaïque que constitue l'obligation pour 5 000 femmes chaque année de prendre le train ou le bus pour aller avorter en Espagne ou en Hollande. Au-delà de l'atteinte insupportable à leur dignité, il faut souligner l'extrême injustice de cette situation. Le plus souvent, en effet, celles qui doivent partir à l'étranger sont celles qui n'ont pas d'argent pour payer d'avance, celles qui n'ont pas eu à temps les bonnes informations et les bonnes adresses, celles qui n'ont pas su décrypter le fonctionnement de leur propre corps. C'est pourquoi ce projet de loi est aussi une mesure de justice sociale (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

Les difficultés matérielles d'un départ à l'étranger conduisent à des IVG plus tardives. Où vais-je trouver les 4 000 ou les 5 000 F nécessaires ? Qui va m'accompagner, quand j'ai 16 ou 17 ans ? Comment justifier une absence d'un ou deux jours auprès de ma famille ou dans mon travail ? Telles sont les questions que chacune de ces femmes se pose.

Notre délégation parlementaire a réalisé un grand nombre d'auditions, qui lui ont permis de formuler treize recommandations, dont la grande majorité a donné lieu à des amendements.

D'autres recommandations ne sont pas d'ordre législatif, Madame la ministre, mais devraient néanmoins être prises en compte dans l'application de la loi. Je pense en particulier à l'IVG médicamenteuse, qui peut être effectuée de manière précoce, sans anesthésie et sans danger pour les femmes : il convient de rendre plus accessible la Mifégyne, médicament actuellement classé dans la catégorie des substances vénéneuses, dont la distribution et l'administration sont soumises à de sévères restrictions. Dès lors qu'une femme en formule le souhait, cette méthode d'IVG devrait pouvoir être utilisée, y compris en pratique ambulatoire.

Il serait donc nécessaire que dès la première visite au médecin, celui-ci puisse informer la femme des différentes méthodes d'avortement qui existent, de leurs avantages et inconvénients respectifs.

Par ailleurs, la délégation parlementaire a souhaité souligner le rôle essentiel que peut jouer une conseillère conjugale lorsque la femme exprime le désir de rencontrer. La reconnaissance sociale de cette profession est nécessaire. Elle passe par un statut, un diplôme reconnu par l'Etat et une harmonisation des situations et rémunérations.

S'agissant des autres recommandations de la délégation nous nous expliquerons dans la discussion des articles.

A travers ce texte, nous menons une politique de progrès, tout en répondant à un réel problème social. Sachons donner à ce débat toute sa dignité, celui de la dignité des femmes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Philippe de Villiers une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

Mme Odette Grzegrzulka - M. Philippe de Villiers, intermittent du Parlement !

M. Philippe de Villiers - Nous abordons l'examen de ce projet allongeant le délai d'avortement à douze semaines au moment où la Cour de cassation, en estimant qu'un jeune handicapé n'aurait pas dû naître, fait sauter l'un des verrous contre l'eugénisme et provoque la juste colère des associations de handicapés et la stupeur du corps médical. Désormais en France, à la suite de cet arrêt, un médecin peut être condamné pour ne pas avoir tué.

Cette coïncidence est impressionnante. Dans les deux cas, on renverse la norme, on piétine le serment d'Hippocrate, on favorise une régression de tous les principes de notre droit. Parlement et Cour de cassation sont l'un et l'autre en train de mettre en place les conditions de ce que le professeur Mattei a appelé une sélection de l'enfant à naître.

Vingt-cinq ans après la loi de 1975, on compte 210 000 avortements annuels, pour 720 000 naissances. On pourrait s'attendre à ce que cette situation conduise le Parlement à s'interroger et à agir pour aider les femmes enceintes en difficulté et promouvoir une alternative à l'avortement, c'est-à-dire à répondre à une urgence éthique et sociale.

Au lieu de cela, le Gouvernement nous propose une fuite en avant, sur fond de terrorisme intellectuel et au mépris des mises en garde nombreuses de sommités.

Ce projet, qui menace notre édifice juridique, concerne non seulement les femmes, mais la société tout entière. L'allongement du délai légal concerne l'enfant, c'est-à-dire notre avenir. La suppression de l'autorité parentale concerne la famille et avec elle la transmission des premiers repères. La suppression de la clause de conscience concerne les médecins ; elle va rompre ce rapport de confiance en celui qui soigne et qui sauve. Enfin, l'autorisation de faire la « propagande » de l'IVG -puisque c'est ce mot qui resurgit- concerne la société entière. C'est notre philosophie de la vie qui est en cause, notre façon d'aider les plus démunis, les sans voix, ceux qui ont déjà des petites mains mais pas encore d'avocats.

Mme Danielle Bousquet - Quelle horreur !

M. Philippe de Villiers - Le premier problème est d'ordre médical. Il suffit d'écouter les gynécologues pour comprendre cette évidence qu'interrompre une grossesse à 10 ou 12 semaines, ce n'est pas le même acte.

Mme Yvette Roudy - Il y a deux semaines de plus.

Mme Odette Grzegrzulka - Docteur de Villiers, votre diplôme est périmé !

Un député socialiste - Continuez à lire...

M. Philippe de Villiers - Je continuerai, en effet. Je sais bien que ce texte va être adopté. Si je lis, c'est pour l'Histoire, qui retiendra qu'à l'imitation des nationaux socialistes, vous aurez introduit l'eugénisme d'Etat dans notre pays ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) Laissez-moi parler. J'ai laissé s'exprimer tous vos orateurs.

M. le Président - L'orateur a le droit de s'exprimer librement.

M. Philippe de Villiers - Puisque mon diplôme est périmé, je vais vous lire comment le président du Collège français d'échographie décrit la période des 10 à 12 semaines : « Il s'agit d'un stade de transition durant lequel se produit le passage de l'embryon au f_tus. De rapides et importantes mutations se produisent. Il devient possible d'individualiser de nombreux caractères. L'écran échographique peut-il être un catalogue de f_tus ? » (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Je sais que cela vous gêne. A 12 semaines, il ne s'agit plus d'aspirer un embryon, mais de fragmenter un f_tus en voie d'ossification (Mêmes mouvements).

Il s'agit donc d'un acte lourd. A trois mois, le f_tus est formé et ses premiers mouvements peuvent déjà être aperçus.

Cela nous amène au deuxième problème : quelles dérives les apprentis sorciers que vous êtes nous préparent-ils ?

Mme Nicole Bricq - Les sorcières !

M. Philippe de Villiers - Les spécialistes s'inquiètent. Je cite le professeur Nisand dans Le Nouvel Observateur : « Je peux affirmer que si on décidait d'allonger le délai, un certain nombre de femmes demanderait une IVG non parce qu'elles ne veulent pas d'une grossesse, mais parce que cette grossesse-là ne leur convient pas ». Ainsi, les technologies du diagnostic prénatal seront détournées de leur objet pour servir à la recherche de l'enfant parfait.

Mme Yvette Roudy - Caricature !

M. Philippe de Villiers - Les performances du diagnostic prénatal constituent un progrès heureux, puisqu'elles permettent, en trois dimensions bientôt, de déceler certaines anomalies qui peuvent parfaitement être guéries. Mais on sait bien que l'annonce d'une malformation incitera certaines femmes à demander l'avortement pour convenance personnelle.

Mme Yvette Roudy - C'est scandaleux ! C'est indigne ! Présentez vos excuses aux femmes !

M. le Président - Madame Roudy, laissez parler l'orateur.

M. Philippe de Villiers - Vous ne m'empêcherez pas d'aller au terme de mon propos. L'examen prénatal permet de déterminer le sexe de l'enfant. Or les médecins sont déjà confrontés à des demandes de sélection selon le sexe.

Mme Yvette Roudy - C'est faux !

Mme Odette Grzegrzulka - Vous insultez les médecins, après avoir insulté les femmes.

M. Philippe de Villiers - Ce sont des médecins qui le disent.

M. Jacques Heuclin - Des médecins du bocage !

M. Philippe de Villiers - Votre tentative d'obstruction est révélatrice. Madame Guigou, trouvez-vous normales ces interruptions, alors que toute l'opposition vous a écoutée en silence ?

M. le Président - Je vous demande de laisser parler l'orateur.

Mme Odette Grzegrzulka - Qu'il parle avec respect !

M. Philippe de Villiers - J'essaie de défendre un point de vue qui n'est pas le vôtre, à partir de déclarations faites par des médecins qui étaient, à l'époque, favorables à la loi Veil et qui ont tenté de vous mettre en garde. Souffrez que je continue.

M. Jacques Heuclin - Nous souffrons, en effet.

M. Philippe de Villiers - La ligne est franchie. Le slogan n'est plus « Un enfant si je veux », mais « un enfant tel que je le veux ». Tout bascule. Le progrès se retourne contre l'humanité.

Comme l'a souligné le professeur Frydman, « le dépistage précoce était le gage d'une plus grande chance dans la poursuite de la vie. Il sera un arrêt de mort ».

Au nom des droits des femmes faudra-t-il accepter toute demande d'avortement parce que l'enfant a un pied-bot ou un bec-de-lièvre ? Et qui définira la norme ?

Nous abordons un virage dangereux. Je m'adresse là tout particulièrement aux socialistes : nous entrons dans une société pré-totalitaire. Le rêve libertaire d'une fécondité contrôlée débouche sur des expériences d'amélioration de la race.

M. François Hollande - Je vous en prie !

M. Philippe de Villiers - Nous en arrivons donc au tri des enfants à naître. C'est un nouveau droit qui émerge : le droit à l'euthanasie prénatale.

Le troisième problème que pose ce texte est d'ordre juridique. Vous opérez en effet, un renversement complet de notre droit en faisant de l'exception une règle. Ce qui, d'après les attendus de la loi Veil, devrait être le dernier recours devient un acte de convenance acceptable en toute circonstance. Dans la pensée dominante, on est passé d'un moindre mal à un droit absolu. Pourtant, il est indiqué dans la législation actuelle que l'avortement ne constitue pas un droit des femmes. Le principe demeure le respect de la vie.

L'avortement ne devrait être qu'une exception, dans des situations de détresse particulière. Non seulement cet objectif de la loi Veil n'est pas atteint, mais votre texte va aggraver la situation.

La preuve que vous faites d'une exception la règle, je la trouve dans ces dispositions par lesquelles, avec une implacable logique, vous comptez autoriser la propagande en faveur d'actes dont notre droit interdit en principe la généralisation. C'est d'autant plus critiquable que vous prévoyez par ailleurs de condamner ceux qui prônent des solutions moins radicales que l'élimination d'un enfant.

Le renversement est donc complet.

Votre texte pose enfin un problème philosophique.

Vous voulez en effet soustraire l'adolescente au contrôle de ses parents, ce qui est irresponsable. Une mineure pourra en effet se passer de l'autorisation parentale en se faisant assister d'un adulte choisi arbitrairement. Qu'il s'agisse de l'avortement ou de la pilule du lendemain, votre intention est de couper la mineure de sa famille. C'est scandaleux.

Personne n'a le droit de se substituer à la famille dans des situations aussi graves. Vous allez à l'encontre de toute notre législation sur l'autorité familiale. Pourquoi, Madame le ministre, légaliser froidement le non-dit, le secret, voire le mensonge, entre les jeunes et leurs parents, alors que les psychologues ne cessent de dénoncer ces dangers ? Pourquoi encourager ainsi l'impuissance parentale, alors que nous la déplorons tous les jours ? L'idéologie socialiste se révèle ainsi, sous couvert de liberté, porteuse de gènes totalitaires, puisqu'elle entend substituer l'Etat aux familles et aux médecins. Cette loi est une porte ouverte à l'eugénisme, qui sévira bientôt : demain, nous aurons les plus beaux bébés du monde par décret d'Etat !

Mais votre texte porte aussi la responsabilité de ses manques. Il y a aujourd'hui en France 210 000 avortements par an. Pour revenir au début de mon propos, je dirai que le constat d'échec qu'appelle ce chiffre devrait inciter la représentation nationale à rectifier la loi. Pourquoi ne pas faire de la baisse significative du nombre d'avortements dans les prochaines années une grande cause de santé publique ?

Mme Yvette Roudy - C'est bien ce que nous allons faire !

M. Philippe de Villiers - A la souffrance et au remords, il faut préférer la vie ! L'aide aux femmes enceintes en difficulté prévue par la loi n'a jamais été appliquée, parce que vous préférez imposer l'avortement comme le recours unique à la détresse des femmes ! Il y a pourtant une aide à leur proposer : tel est l'objet de la proposition de loi que nous avons cosignée avec d'autres parlementaires, à l'initiative de Christine Boutin. Cet accompagnement peut sauver des vies. J'en veux pour preuve l'aide dispensée par une maison d'accueil de mon département, qui joue un rôle décisif dans le choix des femmes de donner ou non le jour à leur enfant.

La science moderne a montré que la personne humaine existe dès la fécondation. Notre rôle à nous, politiques, c'est-à-dire garants de l'intérêt général, est de veiller au respect de la vie et à la protection des plus faibles. Votre texte nie cette mission inhérente à votre fonction et le premier droit de l'homme, qui est celui de naître. J'invite donc la représentation nationale à le déclarer irrecevable, au nom de nos principes constitutionnels. Il est inquiétant que les plus hautes autorités de l'Etat se laissent aller à des écarts aussi graves que l'arrêt Perruche de la Cour de cassation -qui concerne un jeune handicapé-, votre projet de loi ou l'avant-projet de révision des lois bioéthiques, dont nous connaissons depuis hier la triste teneur. Notre pays en viendra bientôt à reconnaître trois types d'êtres humains : ceux qui ont le droit de vivre, ceux qui ne l'ont pas, comme les handicapés ne correspondant pas à l'image de « l'enfant parfait » véhiculée par notre société, et enfin ceux qui sont destinés à mourir au cours d'expériences scientifiques. C'est pourquoi je demande par avance au Président de la République d'exiger, le moment venu, une nouvelle délibération avant toute promulgation de cette loi dangereuse, inique, et qui blesse les principes fondamentaux de notre société (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UDF).

M. le Président - Avant de passer aux explications de vote et au vote, je vous indique que M. Jean-François Mattei m'a fait savoir qu'il entendait consacrer environ 1 heure 15 à la présentation de sa question préalable.

En conséquence, je lui donnerai la parole si nous en avons terminé avec l'exception d'irrecevabilité avant 11 heures 45, et renverrai son intervention à la séance de cet après-midi dans le cas contraire.

Mme Nicole Bricq - Je serai donc rapide. Si la parole est libre dans cette Assemblée, et la confrontation utile, nous ne pouvons accepter, que ce soit à droite ou à gauche, d'être traités de nationaux-socialistes et accusés de promouvoir un eugénisme d'Etat. Nous ne nous situons pas sur le même terrain, Monsieur de Villiers, et nous ne parlons pas des mêmes choses. Nous voulons répondre aux femmes en détresse, et vous nous opposez une conception rêvée du cocon familial. Aux droits des femmes, vous répondez par le pouvoir médical. Alors que nous faisons appel à leur responsabilité, nous entendons à nouveau, vingt-six ans après la loi Veil, les mêmes arguments éculés. La société a beau évoluer, vous vous cantonnez à une morale individuelle contestable. Le groupe socialiste, Monsieur de Villiers, ne votera pas votre exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme Muguette Jacquaint - Je serai tout aussi brève. Où étaient donc le terrorisme intellectuel et l'archaïsme moyenâgeux, Monsieur de Villiers, avant que la loi Veil, grâce à la lutte courageuse des médecins et des femmes, ne soit votée ? Le Moyen-Age, auquel vous en restez...

Mme Yvette Roudy - Bien dit !

Mme Muguette Jacquaint - ...il était bien plus dans ces jeunes filles mutilées à vie, transpercées par des aiguilles à tricoter ou mourant de septicémie. Voilà ce que nous ne voulons plus voir ! Vous dites que rien n'est fait en dehors des 200 000 IVG pratiquées chaque année : c'est faux ! Avec les campagnes -y compris en faveur de la contraception, depuis la loi Roudy-, la loi que nous discutons, la pilule du lendemain, le développement de l'éducation sexuelle, vous ne pouvez pas dire que rien n'est fait, alors que c'est vous qui voudriez que rien ne se fasse !

Mme la Rapporteure de la commission des affaires sociales - Très bien !

Mme Muguette Jacquaint - Au mépris que vous opposez aux femmes responsables, je répondrai, Monsieur de Villiers, par le mépris, en votant contre votre exception d'irrecevabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV)

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

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QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - Avant de donner la parole à M. Mattei, je vous indique, compte tenu de l'heure et de la durée de son intervention, que nous ne procéderons que cet après-midi aux explications de vote et au vote sur la question préalable. Il n'en aurait peut-être pas été ainsi s'il n'y avait pas eu autant d'interruptions.

Mme Yvette Roudy - Je vous en prie, Monsieur le Président !

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-François Mattei, une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean-François Mattei - Le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui propose de porter de dix à douze semaines le délai légal de l'IVG.

Ce sujet est de ceux dont les enjeux sont lourds pour une société, qu'il s'agisse du débat intérieur de chacun ou du débat collectif de la règle de droit destinée à s'appliquer dans notre pays.

Il s'agit de ces débats récurrents qui reposent sur des questions qui ne trouvent jamais de réponse satisfaisante, puisqu'elles touchent à l'humanité de l'être humain. Personne, quelles que soient ses convictions, ne peut éviter de s'interroger sur la finitude de l'homme. Quand ai-je commencé d'exister, quand vais-je cesser d'exister ?

Ce n'est pas un hasard si en même temps surgissent dans notre société ces interrogations fondamentales au travers des débats sur l'embryon ou sur l'euthanasie, adoptée hier en Hollande. Derrière une présentation technique apparaissent des conceptions philosophiques opposées et un regard différent sur les valeurs de la vie.

C'est pourquoi je voudrais souligner la réalité des enjeux en tentant de répondre à quatre questions qui s'imposent.

Première question, la prolongation de 15 jours de délai de l'IVG pose-t-elle des problèmes moraux supplémentaires concernant l'avortement lui-même ? Pour moi, la réponse est non. Le problème moral posé par l'avortement a été largement débattu et réglé par notre société lors du vote de la loi de 1975, puis de sa rediscussion fin 1979 (« Très bien ! » sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF).

Certains ont alors refusé toute interruption de grossesse, se fondant sur des arguments moraux profondément respectables.

D'autres, dont je suis, ont reconnu la possibilité pour des femmes confrontées à des situations de détresse, de recourir à l'IVG dans des conditions bien particulières. J'appartiens à la deuxième génération de médecins -j'étais interne de 1969 à 1974- qui a vu des femmes mourir dans des conditions inacceptables. Chacun connaît mes convictions personnelles, mais c'est une affaire entre ma conscience et moi. J'aurais voté la loi de 1975, qui s'imposait (« Très bien ! » sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Il est des cas où l'humilité ne doit pas conduire à juger les choix de l'autre.

Dès lors que la loi de 1975 a posé le principe d'une possibilité d'IVG dans certaines conditions, je ne vois pas de différence, soit sur le plan strictement moral, entre un avortement à 8, 10 ou 12 semaines. La vie est un processus continu de la conception à la mort et son interruption revêt la même signification à n'importe quel moment. La prolongation de l'IVG n'est pas un débat moral, elle ne remet pas en cause la loi de 1975 et la discussion devrait éviter les affrontements entre les tenants d'un principe moral absolu et ceux du droit à l'avortement, ce n'est pas le sujet.

Deuxième question, l'allongement du délai de 15 jours soulève-t-il des problèmes médicaux spécifiques ? Cette question est très controversée dans le milieu médical et beaucoup dépend de la façon dont elle est abordée.

En ce qui concerne les dangers encourus par la femme, la réponse est non. Dans de nombreux pays où l'IVG s'effectue bien après 10 semaines et en France même, où l'interruption pour raisons médicales peut être effectuée à tout moment, on ne peut dire que la vie des femmes est sérieusement en danger, le taux de mortalité étant de 3 pour un million.

En revanche, l'acte opératoire après la 10e semaine est différent parce que l'embryon est devenu f_tus. Je ne cherche pas à jouer sur la corde sensible, mais ce changement de nature a des conséquences. Je dirige un centre de diagnostic prénatal depuis 1984 et ces problèmes se posent plusieurs fois par semaine. Si une aspiration simple par canule fine peut être réalisée avant dix semaines parce que l'embryon a une consistance liquide ou gélatineuse, après dix semaines le f_tus s'ossifie et il faut une intervention chirurgicale avec anesthésie générale et fragmentation f_tale avant aspiration par une canule plus grosse. La compétence requise est différente car le geste peut avoir des conséquences plus graves et la femme doit en être informée.

J'aurais souhaité que les parlementaires se rendent compte par eux-mêmes de la réalité des situations : ils comprendraient mieux que certains médecins, même parmi ceux qui pratiquent les aspirations, refusent de franchir cette limite indiscutable qu'est le morcellement d'un f_tus. Je ne méconnais pas la part émotionnelle dans cette attitude, mais il faut en tenir compte. Les personnels qui ont choisi ce métier pour préserver la vie ne supportent pas longtemps de pratiquer ce type d'interventions psychologiquement très éprouvantes.

Mme Véronique Neiertz - Merci de me permettre de vous interrompre. Nous sommes tous très intéressés par votre réflexion. Mais puisque vous insistez sur le fait que jusqu'à 10 semaines l'aspiration est possible, je dois rappeler qu'en réalité, dans les hôpitaux publics qui ont accepté de pratiquer l'IVG, la plupart des chefs de service, quel que soit le nombre de semaines d'aménorrhée, imposent l'anesthésie générale, bien souvent parce que le personnel n'est pas formé pour pratiquer l'aspiration, mais aussi parce que cela garantit au service un certain taux d'activité. Je crois qu'il ne faut donc pas trop s'appesantir sur la distinction entre l'aspiration et l'anesthésie générale. Croyez bien que nous sommes conscientes des différences entre la conception -souhaitable-, l'IVG -le plus tôt possible- et la nouvelle disposition proposée par cette loi.

M. Jean-François Mattei - Merci d'avoir précisé les choses. L'anesthésie générale est de plus en plus souvent remplacée par la péridurale, surtout lorsqu'on se trouve face à une gamine de 15 ans.

Mais je ne me plaçais pas du point de vue des femmes, mais de celui des personnels de santé. Qu'il y ait anesthésie générale ou péridurale, le geste reste le même et on peut comprendre qu'il déclenche des réactions émotionnelles. Il y a encore quelques jours, dans un service proche, j'ai pu observer deux sages-femmes quittant le bloc en cours d'intervention en disant qu'elles n'avaient pas choisi ce métier pour faire cela. Cette réaction ne relevait pas d'une position morale, elle traduisait le malaise profond que toute conscience ressent devant des situations dont la répétition peut conduire à la révolte, même parmi le personnel qui a accepté d'aider les femmes en difficulté. Outre la question de la responsabilité qu'il faudra mieux définir, le respect de la clause de conscience me paraît plus que jamais s'imposer. Or le texte aborde mal cet aspect du problème en minimisant la dimension médicale. La seule solution, au cas par cas, pourrait être au contraire de médicaliser l'intervention.

Il est trop facile de se référer à chaque instant aux pays voisins. Les situations ne sont pas comparables, parce que la France est pratiquement le seul pays à faire la distinction entre l'IVG et l'IMG. C'est parce qu'il n'y a pas cette distinction en Grande-Bretagne ou en Hollande que le délai y est de 16 ou 20 semaines, car ce délai est nécessaire pour certains diagnostics génétiques. Je rappelle qu'en France il n'y a pas de délai pour l'interruption médicale de grossesse à tout moment pour motifs graves tenant à la femme ou au f_tus. C'est pourquoi je propose, comme d'autres qui n'ont pas nécessairement la même philosophie que moi, qu'après la dixième semaine le cadre de l'IVG cède le pas à celui de l'IMG. Chaque cas serait alors soigneusement examiné au cours d'une consultation pluridisciplinaire (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL).

Il est clair qu'un médecin ne peut pas méconnaître la gravité d'un viol, d'un inceste ou d'une conduite suicidaire et qu'il serait invraisemblable que de telles situations ne soient pas médicalisées. Mon sentiment profond est qu'on n'a pas besoin d'étendre le délai en France, il suffit d'aménager le cadre de l'IMG, comme certains amendements l'ont proposé.

Je ne veux pas entrer dans une polémique vaine entre le droit des femmes et le pouvoir médical. Elle est à mon avis dépassée. A trop en vouloir aujourd'hui, les femmes risquent de se priver des recours dont elles peuvent avoir besoin. Pour de multiples raisons, les vocations d'obstétriciens ne correspondent plus aux besoins et ils rechigneront de plus en plus à se retrouver dans des situations qu'ils désapprouvent en très grande majorité.

Si vous avez bien examiné les exemples étrangers, vous avez pu remarquer que les avortements, en Hollande notamment, se font presque toujours dans des structures privées à but lucratif. Je préfère me fier au service public à la française. Mais si l'on ajoute à ses difficultés le sentiment d'être prestataire de service obligé, je ne suis pas sûr que sa motivation ne sera pas affectée. Actuellement, les IVG sont déjà considérées dans les hôpitaux comme un acte dévalorisant et certains médecins sont peu enclins à les pratiquer. Imposer des contraintes supplémentaires ne fera pas évoluer les choix dans le sens que vous souhaitez.

Au moins, en prolongeant le délai allez-vous résoudre le problème que rencontrent 5 000 femmes chaque année ? A mon sens, non.

D'abord la loi de 1975 n'est pas appliquée correctement en raison d'un manque de moyens patent. Certaines femmes sont ainsi renvoyées hors délai car les équipes sont débordées, en particulier dans certaines régions et à certaines périodes. De nombreux professionnels le soulignent. Par exemple deux centres d'IVG sur trois n'ont pas d'anesthésiste disponible. Surtout, je souligne l'insuffisance criante de l'information sur la sexualité et la contraception, dès l'adolescence. Ne pouvant assurer les tâches prévues par la loi, faut-il les alourdir encore ? Le CCNE souligne d'ailleurs que le nombre d'IVG est supérieur en France à ce qu'il est ailleurs en Europe et que la question ne sera pas résolue par de barrières légales mais en facilitant la connaissance de la vie affective et sexuelle comme relation de paternité et de maternité. Pour le comité, le débat éthique se situe donc en amont. Derrière votre démarche compassionnelle, n'y a-t-il pas une réalité très terre à terre ? Faute d'avoir les moyens d'appliquer la loi, on essaye de se donner bonne conscience en assouplissant le dispositif en vigueur.

Ainsi l'entretien préalable n'est pas toujours réalisé, il est de qualité variable. On le supprime ! Le planning familial indique pourtant qu'il est très utile pour les femmes qui hésitent. Le CCNE observe d'ailleurs que, si le dialogue est bien conduit, la prolongation du délai pourrait, paradoxalement, conduire certaines femmes à garder leur enfant. Vous minimisez le rôle de l'entretien préalable. Un simple dossier-guide va-t-il renseigner des femmes qui ne sont pas toutes en état de le lire ou de le comprendre ? Rien ne remplace le contact humain chaleureux, la disponibilité, l'écoute (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Mieux vaudrait développer l'information, l'accueil, la prise en charge que de pratiquer la fuite en avant. En tant que généticien, j'ai à reconstruire l'histoire familiale de couples stériles ou ayant donné naissance à un handicapé. Que de fois resurgit dans la mémoire un avortement, apparemment assumé, mais dont le couple saisit alors toutes les implications...

Mme Marie-Thérèse Boisseau et Mme Bernadette Isaac-Sibille - Tout à fait !

M. Jean-François Mattei - ...dont il saisit toute la portée dans son histoire personnelle.

Mme Christine Boutin - Merci de le dire, Monsieur le professeur.

M. Jean-François Mattei - Parfois s'expriment alors des sentiments de regret et de culpabilité mais aussi un reproche : « On ne nous a pas avertis... Si j'avais su ! »

Mme Christine Boutin - Voilà qui relève bien de la vie des femmes.

M. Jean-François Mattei - Pour que les femmes n'aient pas à regretter leur décision, appliquons vraiment la loi de 1975 avant d'en élargir le champ (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Ensuite, ne méconnaissez-vous pas la psychologie des femmes qui se trouvent dans cette situation ? (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) Si certaines sont hors délai c'est qu'elles ont trop attendu car leur désir était ambivalent. Il en va de même pour l'accouchement anonyme. Les femmes se rétractent très vite ou juste avant l'expiration du délai. Quand celui-ci a été ramené de trois à deux mois, cela n'a rien changé. Dès lors, allonger le délai pour l'IVG, c'est repousser encore la décision. Est-ce bien approprié ?

M. Pascal Clément - Très juste.

M. Jean-François Mattei - Enfin sur 5 000 femmes hors délai chaque année, 2 000 avortent entre la dixième et la douzième semaine. Détresse, solitude, ignorance, cela ne vaut-il pas pour les 3 000 autres ? Aussi ne proposera-t-on pas dans quelque temps de passer à 14 puis à 16 semaines ou jusqu'au seuil de viabilité sans cesse repoussé en deçà des 180 jours grâce aux progrès de la médecine et de la prise en charge des prématurissimes ?

Enfin, obnubilés par la détresse des femmes ne finit-on pas par oublier l'enfant ?

M. Pascal Clément - Bonne question.

M. Jean-François Mattei - Pourtant l'échographie nous montre que sa morphologie est terminée après dix semaines, qu'il ne lui reste qu'à grandir. Les progrès stupéfiants de l'imagerie médicale permettent désormais de déceler tel ou tel défaut plus ou moins grave. Cela signifie qu'en reculant le délai pour l'avortement et en remontant de plus en plus tôt pour l'examen prénatal du f_tus, on met en place, sans l'avoir voulu, les instruments de la sélection des enfants à naître.

Disant cela je n'invoque pas le spectre de l'élimination en fonction du sexe. De telles demandes demeurent l'exception.

Mme Christine Boutin - C'est exact.

M. Jean-François Mattei - Je n'invoque pas non plus l'eugénisme. Ce serait faire injure aux femmes que de penser qu'elles décident d'avorter pour un motif secondaire (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe bancs du groupe DL et du groupe UDF).

En revanche, avec l'IVG à 12 semaines, ce n'est parfois plus la détresse de la femme qui jouera ou une malformation d'une particulière gravité, mais la conformité du f_tus.

J'ai du mal à l'admettre, car cela va à l'encontre de tout ce que nous nous efforçons de faire dans nos consultations prénatales.

Quand vous annoncez à une femme enceinte de onze semaines que la nuque de son f_tus est épaissie, que ce signe est un facteur de risque de la trisomie 21 ou mongolisme, qu'il faudra pratiquer une prise de sang à la quatorzième semaine, sans doute une amniocentèse à la seizième semaine et attendre la confirmation de l'étude chromosomique à la dix-huitième semaine pour une éventuelle interruption de grossesse dans des conditions que l'on devine à ce stade tardif, la possibilité d'avorter immédiatement pèsera lourd dans son choix. Ce sera une IVG au maléfice du doute, puisqu'en l'occurrence le doute ne profite pas au f_tus.

M. Pascal Clément - Bien.

M. Jean-François Mattei - Et comment se faire l'avocat d'un enfant pour lequel on décèle un fémur un peu court, un c_ur mal cloisonné, un ventricule cérébral un peu dilaté, une hernie abdominale volumineuse ou même l'absence d'une main sachant que l'interruption de la grossesse serait légale pour un enfant normal ?

Dans l'Antiquité, l'enfant qui ne convenait pas à son père était exposé. Aujourd'hui ce n'est plus à la naissance, mais à 11 ou 12 semaines, à l'échographie qu'on demande « Docteur, est-ce qu'il est normal ? » Interrogation bien naturelle, mais qui peut conduire à une demande d'interruption de grossesse alors que nous n'avons pas de certitude sur l'anomalie et que nous savons la soigner. Il m'a fallu demander l'aide de familles dont les efforts avaient été opérés avec succès pour éviter des avortements pour un simple bec de lièvre. Il faut désormais tout dire, et éventuellement rendre des comptes plus tard si la justice s'en mêle. Dans ce contexte, le récent arrêt de la Cour de cassation me plonge dans la plus grande inquiétude.

Pour avoir été plusieurs années Garde des Sceaux, Madame le ministre, vous mesurez l'autorité qui s'attache à un arrêt de cette Cour. Or, dans le cas en question, au-delà de l'erreur médicale, qui avait déjà été sanctionnée, voilà que la naissance d'un enfant handicapé constituerait en soi un préjudice. Voilà que désormais il faudrait se demander si la vie en gestation est d'une qualité telle qu'elle mérite d'être accueillie, ou si elle ne vaut pas la peine d'être vécue, auquel cas l'élimination est préférable. D'ailleurs, à l'instar des Etats-Unis, on voit poindre les futurs procès d'enfants se retournant contre leurs parents au motif qu'ils auraient eu tort de les laisser naître ainsi. La mort vaudrait mieux que la vie et, curieusement, le statut de cette vie en développement apparaît contradictoire. En revendiquant un droit à la mort qu'il aurait eu en qualité de f_tus, l'enfant tend à reconnaître le f_tus comme sujet de droit ; mais si les parents peuvent en disposer librement et choisir de le garder ou de l'éliminer, c'est que son statut est celui d'une chose, puisqu'on ne peut jamais disposer du sort d'une personne... Comment ne pas imaginer que, dans ce contexte juridique étonnant, le médecin en charge de surveiller la grossesse ne sera pas obnubilé par la recherche du moindre signe révélateur d'une anomalie réelle ou simplement possible ? Comment ne pas imaginer qu'il s'en ouvrira immédiatement aux parents pour les placer devant leur responsabilité, ne voulant pas être impliqué dans un futur difficilement prévisible ? Et comment ne pas imaginer la détresse des parents, même ceux qui par conviction souhaiteraient accueillir l'enfant, mais qui se trouveraient pratiquement contraints à l'interruption de grossesse pour ne pas risquer d'être poursuivis par leur enfant devenu grand ? Je sais que ces problèmes n'avaient pas été prévus lorsqu'on a envisagé la prolongation du délai, mais la réalité est là. Les plus grandes difficultés ne sont probablement pas là où on les attendait.

On objecte parfois que bientôt, grâce aux progrès techniques, les mêmes problèmes se poseront de toute façon, avant la dixième semaine. C'est vrai pour les anomalies génétiques, mais avec une différence : c'est qu'il faut les rechercher spécifiquement, en fonction d'anomalies familiales connues ou de situations à risques spécifiques. Or le problème, avec la prolongation du délai de quinze jours pour l'IVG, c'est que la morphologie est terminée, alors qu'elle ne l'est pas avant : l'échographie jouera alors un rôle d'examen systématique pour le dépistage d'anomalies morphologiques, donc pour la sélection.

Que les pays voisins n'aient pas rencontré ces problèmes n'est pas étonnant puisque ces progrès sont très récents et le recul insuffisant ! Nous n'avons pas encore d'études statistiques sur l'échographie en trois dimensions. On devrait d'ailleurs être plus prudent en invoquant l'exemple d'autres pays. Fallait-il suivre l'exemple des Etats-Unis, lorsqu'au début du siècle ils ont pratiqué « l'amélioration génétique » par stérilisation forcée ? On gagne parfois à rester soi-même, accroché à ses valeurs, en dépit des modes et convenances. Il arrive même que l'avenir nous donne raison (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

C'est là une raison de plus, mais réellement déterminante, qui me conduit à refuser votre projet. S'il était adopté, il soulèverait bien plus de problèmes qu'il en résoudrait -d'une autre nature, il est vrai. C'est aussi pourquoi je maintiens que la médicalisation de l'interruption de la grossesse après dix semaines est la seule solution. Il suffit de l'aménager, sans esprit partisan, en respectant les femmes mais aussi les enfants.

Reste à envisager maintenant l'exception à l'autorité parentale. Je partage largement la constatation que dans certains cas -ne généralisons pas, car nombreux sont encore les parents responsables et attentifs- les parents sont incapables de répondre à la détresse de leur enfant. Ils n'ont pas su éduquer, informer, préparer leur enfant à devenir adulte. Ce faisant, paradoxalement, ils les ont parfois privés de leur enfance. Que pensez-vous que j'éprouve devant une adolescente de quinze ans enceinte, sans comprendre, et déjà confrontée à des choix d'adultes ? Je pense qu'on l'a privée de son enfance, et que naturellement il faut l'aider. Dans certains cas cette incapacité des parents à protéger ou accompagner leurs enfants confine à la notion de mauvais traitements à enfants, par négligence ou irresponsabilité. Notre devoir est donc de pallier ces insuffisances et, oui, j'approuve l'adoption de décisions qui permettent de secourir l'enfant, quand tout a été tenté sans succès pour renouer les fils du dialogue. Après tout, dans l'autre sens, n'avons-nous pas déjà prévu une exception à l'autorité parentale pour permettre à une jeune fille de quinze ans de garder son enfant contre le désir de ses parents ?

Cependant vous n'avez pas été assez loin dans votre réflexion, et je regrette, Madame la rapporteure, que vous ayez refusé certains de mes amendements que j'ai présentés avec M. Perrut. Vous auriez dû d'abord rassembler dans le code civil toutes les exceptions à l'autorité parentale, afin de définir les contours actuels de ces situations exceptionnelles. Puis, devant la gravité d'une telle décision, il fallait chercher un meilleur équilibre, plus protecteur des intérêts de la mineure non émancipée. Il me semble indispensable de recourir au juge pour enfants afin d'habiliter, avec l'accord de la jeune fille, l'adulte référent. On ne peut se contenter de laisser le choix à cette enfant, dont ont devine la fragilité, le désarroi, la situation précaire. On ne peut accepter que son devoir se porte sur un jeune adulte lui-même irresponsable, peut-être même à l'origine de la situation. Il faut un adulte vraiment capable de la soutenir, de l'aider, de l'accompagner. Toujours par analogie avec la maltraitance à ses enfants, et parce que je connais ses capacités à agir, y compris en référé, je souhaite vraiment l'intervention du juge pour enfants.

Enfin, il est une question qu'à aucun moment vous n'avez évoquée, et qui se pose pourtant : celle de la responsabilité en cas d'accident. Si au cours de l'intervention survient une perforation utérine ou une hémorragie sévère, qui devra assumer la responsabilité en l'absence de faute médicale ? Pas le médecin, s'il n'est pas fautif ; pas les parents, qui n'ont pas été consultés ; pas la mineure bien sûr, et pas non plus l'adulte référent, dont ce n'est pas le rôle. En pareille circonstance, il me semble que l'Etat et les établissements de santé devraient accepter cette responsabilité. J'ai fait des propositions à ce sujet, auxquelles on a objecté l'article 40 : cela me semble dérisoire. Seul le Gouvernement peut lever cette difficulté.

Sur ce sujet de l'autorité parentale, je regrette que la commission des lois n'ait pas été saisie pour avis, car enfin il s'agit de modifier le code civil. De même j'aurais aimé qu'elle soit saisie du problème de la ligature des trompes chez la femme ou des canaux déférents chez l'homme aux fins d'une contraception définitive, en clair d'une stérilisation, car il s'agit d'une explicitation de l'article 16 du code civil déjà modifié pour le même motif dans le DMOS accroché à la loi créant la CMU. Nous en reparlerons à propos des amendements, puisque cette disposition ne figure pas dans le projet initial. Il est déplorable que la commission des lois ne soit pas saisie alors qu'on s'apprête à modifier par deux fois le code civil.

Vous le voyez, en dehors de toute discussion morale et de toute polémique partisane, sans remettre en cause la loi de 1975, j'ai dit pourquoi votre projet de prolongation de quinze jours du délai légal pour l'IVG ne me semble pas recevable. Je crois pouvoir comprendre, même si je ne suis qu'un homme, l'exaspération des femmes devant la fréquente lâcheté des hommes, étrangement absents, leur révolte devant les choix tragiques qu'elles doivent assumer, souvent dans des conditions difficiles, leur exigence de ne pas être manipulées s'agissant de leur corps. Mais je suis convaincu que les solutions proposées ne sont pas bonnes. Elles m'apparaissent même parfois dérisoires : quinze jours de plus, sans véritable logique, la suppression d'un entretien que je considère au contraire comme nécessaire, ou du moins de son caractère obligatoire...

Ces solutions m'apparaissent aussi empreintes de fatalisme, face à la solitude des femmes, à l'incapacité de notre société à respecter ses engagements en terme de moyens, à une sorte de constat d'échec partiel. Elles m'apparaissent, et c'est plus grave encore, à certains égards dépourvues d'humanité. Car, revendiquant plus de liberté, les femmes accroissent de fait leurs responsabilités. Ces responsabilités, certaines sont à même de les assumer. Mais beaucoup de celles que nous recevons seront désormais plus solitaires devant un choix plus tardif et plus difficile.

Tout au long de mon intervention, je me suis efforcé de faire la part des choses, de montrer les problèmes médicaux spécifiques, l'insuffisance des réponses aux problèmes rencontrés, la gravité des questions que soulève l'interruption volontaire possible sur des critères de morphologie f_tale. J'ai tenté de proposer des solutions alternatives de prévention, d'éducation, d'organisation médicale, d'aide à la décision et d'accompagnement des mineures. Car je suis convaincu que, sur de tels sujets, on ne peut se contenter de mesures techniques et faire l'économie du débat de sens. Or je crains que, sur ce projet, le débat de sens ne fasse cruellement défaut (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. le Président - Ainsi que je l'ai indiqué en appelant la question préalable, les explications de vote et le vote sur celle-ci interviendront cet après-midi.

A la demande de son président, je vous informe que la réunion de la commission des affaires culturelles, prévue cet après-midi à 14 heures 30, est annulée.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 30.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

        www.assemblee-nationale.fr


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