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Session ordinaire de 2000-2001 - 40ème jour de séance, 91ème séance

1ère SÉANCE DU MARDI 12 DÉCEMBRE 2000

PRÉSIDENCE de M. Yves COCHET

vice-président

Sommaire

          ADOPTION D'UNE RÉSOLUTION EN APPLICATION
          DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION 2

          SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL 2

          ALLOCATION D'AUTONOMIE POUR LES JEUNES 2

La séance est ouverte à neuf heures.

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ADOPTION D'UNE RÉSOLUTION EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4
DE LA CONSTITUTION

M. le Président - En application de l'article 151-3, alinéa 2, du Règlement, la résolution sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant l'ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté, adoptée par la commission de la production, est considérée comme définitive.

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SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le Président - J'ai reçu de M. le Président du Conseil constitutionnel une lettre m'informant qu'en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, plus de soixante sénateurs ont saisi le Conseil constitutionnel d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.

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ALLOCATION D'AUTONOMIE POUR LES JEUNES

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Alain Bocquet et plusieurs de ses collègues tendant à créer une allocation d'autonomie pour les jeunes de 16 à 25 ans.

M. Patrick Malavieille, rapporteur de la commission des affaires culturelles - Nous examinons aujourd'hui une proposition présentée par le groupe communiste visant à mettre en place une allocation d'autonomie pour les jeunes de 16 à 25 ans.

L'accès des jeunes à l'indépendance est très variable selon les pays européens : rapide dans les pays nordiques et anglo-saxons, il est beaucoup plus lent dans les pays méditerranéens. Nos concitoyens, s'ils sont relativement précoces pour occuper un logement différent de leurs parents, le sont beaucoup moins pour avoir des revenus autonomes et doivent faire appel à la solidarité familiale.

Le premier rapport de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale est assez alarmant : depuis les années 1990, la pauvreté des jeunes a augmenté plus vite que la moyenne, au point qu'ils sont aujourd'hui plus pauvres que dans les années 70. C'est le maintien de la cohésion sociale qui est menacé.

Cette proposition de loi vise à y remédier, conformément à un engagement pris par le sommet de la gauche plurielle le 7 novembre dernier. La difficulté d'accès à l'autonomie étant partagée par l'ensemble des jeunes, la proposition vise tous les jeunes de 16 à 25 ans.

Les jeunes sortant du système éducatif sans diplôme ont le plus de mal à accéder à l'indépendance. Sur 146 000 jeunes dans cette situation en 1992, moins de la moitié étaient autonomes cinq ans plus tard et 21 % d'entre eux étaient sans travail. La baisse récente du chômage ne profite pas suffisamment à cette catégorie.

Quant aux jeunes qui entrent dans la vie active, ils font face à une précarité aggravée : en janvier 1999, 30 % des 15-29 ans en activité occupaient un emploi à durée limitée ou un emploi aidé ; en mars 2000 près d'un sur deux est dans ce cas. Quant au travail partiel, il concerne près de 20 % des jeunes en 1999.

Parmi les étudiants, 1,5 % sont en situation de pauvreté chronique, selon l'Observatoire de la vie étudiante : mais si les étudiants sont rarement très pauvres, c'est parce que les très pauvres deviennent rarement étudiants...

Les dispositifs existants sont nombreux mais ils ne répondent pas toujours au besoin d'autonomie. Les aides à l'emploi, la formation en alternance permettent aux entreprises d'avoir une main-d'_uvre à bas prix sans qu'elles assurent toujours une réelle formation.

En revanche le programme Trace, mis en place, en 1998, qui organise un parcours individualisé d'insertion professionnelle sur dix-huit mois pour les jeunes non qualifiés, a des résultats plutôt encourageants.

Des actions et aides ponctuelles d'urgence sont également mises en _uvre avec le concours des fonds départementaux.

Les emplois-jeunes, créés en 1997 contribuent aussi à l'emploi des moins de 26 ans. Mais il faut travailler à leur pérennisation.

Pour les étudiants, les bourses, versées sous conditions de ressources, rééquilibrent un dispositif d'aides fiscales et d'aides au logement largement antiredistributif. Le plan social étudiant décidé en 1998 doit accroître le pourcentage d'étudiants aidés.

Il n'en reste pas moins que ces dispositifs ne répondent pas de façon globale à la question de l'autonomie.

C'est pourquoi cette proposition de loi a un double objectif : créer un droit individuel et universel à la formation, qu'il s'agisse de la formation initiale ou de la formation professionnelle, par l'attribution d'une allocation autonomie ; accompagner le projet personnel du jeune.

Ainsi ce texte porte le débat relatif à l'autonomie sur la place publique et engage un grand chantier, en vue des décisions qui pourraient être annoncées lors de la prochaine conférence de la famille en juin 2001.

La commission a amendé ce texte afin de mettre en _uvre une concertation et une expérimentation préalables.

En effet, compte tenu de la grande diversité des situations des jeunes et des dispositifs d'aide existants, de la complexité des enjeux, de la multiplicité des politiques et acteurs impliqués, il est indispensable de procéder à une large réflexion, concertation et expérimentation afin de mieux définir l'équilibre et les contours de l'allocation envisagée.

C'est pourquoi il vous est proposé de mettre en place une commission nationale pour l'autonomie des jeunes. Elle devra, en s'appuyant sur les diverses études en cours, faire le bilan des dispositifs et étudier les modalités d'expérimentation et de création d'une allocation d'autonomie.

Placée auprès du Premier ministre et faisant une large part au mouvement social et associatif, elle procédera à toutes les consultations nécessaires, notamment auprès du Conseil national et des conseils départementaux de la jeunesse.

Ces conseils, mis en place en janvier 1998, constituent de réels espaces de démocratie participative. Le Conseil national de la jeunesse, présidé par Mme Buffet et composé d'une centaine de jeunes, a pour mission de formuler des avis sur toutes les questions relatives à la jeunesse, comme les conseils départementaux, placés, eux, sous l'autorité des préfets. Ces conseils seront, en particulier, consultés dans les départements dans lesquels sera expérimentée l'allocation d'autonomie avant sa généralisation. Le rapport remis par la commission nationale pour l'autonomie des jeunes éclairera le Parlement qui devra être saisi à nouveau de la création de l'allocation d'autonomie.

C'est pourquoi je vous invite, comme la commission des affaires familiales, à voter cette proposition de loi. La jeunesse est en effet le moment où l'on subit le plus les conséquences de son milieu d'origine mais aussi celui où l'on peut le plus s'en affranchir pour développer un projet de vie personnel (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance - Avec la discussion de cette proposition de loi, nous abordons la question de ceux que l'on appelait jadis les grands enfants et que l'on appelle aujourd'hui les jeunes adultes, signe d'une perception différente d'un âge aux frontières au demeurant incertaines. Dans le langage courant, on parle des jeunes, ce qui est plus simple mais laisse trompeusement croire que l'on basculerait un beau jour dans l'âge adulte. C'était le cas dans le temps où la fin des études, le premier emploi, le départ du domicile familial, le mariage bientôt suivi de la première naissance se succédaient dans cet ordre et à un rythme assez rapide, seulement interrompu par le service militaire pour les garçons. Mais l'allongement général de la scolarité, les profondes mutations de la famille contemporaine, en particulier des relations parents-enfants, et l'évolution, moins heureuse, du marché du travail ces deux dernières décennies ont bouleversé le scénario. Les étapes traditionnelles d'accès à l'âge adulte se trouvent à la fois reportées et désynchronisées, au point que l'on a parlé à la fin des années quatre-vingts « d'un allongement de la jeunesse ». Les faits semblent le confirmer puisque 91 % des jeunes sont encore scolarisés entre 15 et 19 ans et 46 % des 20-24 ans poursuivent des études. L'âge moyen de la première maternité frise désormais la trentaine. La cohabitation familiale se prolonge en moyenne jusqu'à 20 ans pour les filles et 22 ans pour les garçons -ces chiffres moyens sont d'ailleurs stabilisés depuis 1992 et non en constante augmentation, comme on l'entend dire parfois.

Au-delà de cet étirement du temps de la jeunesse, on assiste à des remaniements plus complexes. Les étapes peuvent en effet être interverties -beaucoup de jeunes habitent encore chez leurs parents à l'âge de leurs premières relations sexuelles- et la notion même de seuil, au sens d'étape franchie une bonne fois pour toutes, se trouve remise en question. Il nous faut modifier nos catégories de pensée et nos représentations de la jeunesse si nous voulons agir juste.

La famille est aujourd'hui plurielle. Moins patriarcale, moins autoritaire et moins conflictuelle qu'elle ne le fut, elle est d'ailleurs plébiscitée par les jeunes. Plus ouverte, plus tolérante, elle est aussi très largement solidaire. On estime à 100 milliards les transferts des ascendants vers les descendants ; 30 % des jeunes qui prennent un logement autonome sont aidés financièrement par leurs parents ; un jeune sur quatre continue d'être aidé par sa famille après la fin de ses études ; il ne faut pas non plus oublier l'aide apportée par les grands-parents.

Les couples parentaux sont aujourd'hui plus fragiles et c'est l'axe de la filiation qui fonde, en premier, le lien familial. Il mérite à ce titre d'être renforcé et protégé, notamment par le droit. Etre jeune, ce n'est pas seulement partager une culture où le rap tend à prendre la place qui fut celle du rock et devenir peu à peu indépendant, c'est aussi prendre sa place dans l'ordre des générations pour mieux s'émanciper.

Si les jeunes ont payé un lourd tribut au chômage qui a frappé tous les âges, ils sont aujourd'hui les premiers bénéficiaires de l'amélioration de la situation de l'emploi. Leur chômage diminue et leur emploi augmente plus vite que ceux de l'ensemble de la population, leur taux d'activité est lui aussi en hausse du fait notamment de l'allongement de la scolarité et du développement de l'apprentissage. Le programme emplois-jeunes a permis à 280 000 jeunes de bénéficier d'une première expérience professionnelle durable.

En même temps, beaucoup d'entre eux n'accèdent qu'à de premiers emplois précaires. Il ne s'agit pas d'un handicap spécifique lié à l'âge mais plus vraisemblablement de nouvelles relations de travail appelées à se généraliser, rançon de la prééminence de la logique économique de la demande et de la recherche de flexibilité par les entreprises. Derniers arrivés sur le marché du travail, ils sont les premiers à en expérimenter massivement les nouvelles règles du jeu. Ils ne font pas les frais de difficultés conjoncturelles et n'ont pas un temps de retard sur la norme mais, pour le meilleur et pour le pire, un temps d'avance. D'où la nécessité de faire davantage qu'apporter des réparations ciblées : il faut de nouvelles formes de régulation et de sécurisation des trajectoires professionnelles, valables pour tous. Ces emplois précaires expliquent pour partie ces allers et retours du domicile familial au logement autonome qui concernent aujourd'hui 23 % des garçons de moins de 30 ans et 18 % des filles du même âge.

Les frontières mêmes de la jeunesse ont perdu de leur netteté. De nouvelles sécurités sont nécessaires dans le parcours des jeunes adultes, qu'il nous appartient de penser à l'aune des problèmes d'aujourd'hui, des libertés nouvelles mais aussi des risques inédits qu'ils comportent, au premier rang desquels les inégalités au sein d'une même génération. Vous avez, Monsieur le rapporteur, excellemment évoqué ce qu'il en est pour les jeunes sans diplôme, sans soutien familial, sans emploi et sans ressources. Nous devons avoir pour eux une autre ambition que l'expérience précoce du RMI.

L'allongement de la scolarité et l'élévation du niveau général de qualification constituent un atout indéniable. Mais trop de jeunes quittent encore chaque année le système scolaire sans aucun diplôme. Ceux-ci ont les plus grandes difficultés à tirer parti de l'évolution positive du marché du travail et risquent d'être durablement exclus de la reprise, d'autant plus amers, voire désespérés, que la situation des autres s'améliore sous leurs yeux. Les résultats du programme Trace sont encourageants. Ses bénéficiaires, qui étaient 39 000 en 1999, devraient être cette année 60 000. Le Gouvernement a également renforcé les moyens des fonds d'aide aux jeunes, eux aussi mis en place dans le cadre de la loi de lutte contre les exclusions et qui ont bénéficié en 1999 à 100 000 jeunes. Les aides au logement ont aussi été augmentées et les jeunes sont directement concernés par leur réforme qui, décidée lors de la conférence de la famille de juin dernier, s'appliquera à partir du 1er janvier 2001 et représente 6,5 milliards.

En amont de bien des difficultés juvéniles, il y a d'abord des familles que la pauvreté et la précarité empêchent d'assumer comme elles le souhaiteraient leurs tâches éducatives, des familles pauvres qui ne sont pas pour autant de pauvres familles, des familles à consolider et à épauler. Le sort ultérieur de nombre de jeunes adultes dépend en effet des efforts de promotion familiale accomplis à temps et dans le respect de la dignité des personnes. En amont, il y a aussi l'école, le droit de chacun à réussir sa scolarité et à y trouver les appuis nécessaires. Les difficultés financières des parents ne doivent pas décider du destin scolaire des enfants : c'est pourquoi nous avons augmenté le nombre des bourses et amélioré leur versement, mais aussi abondé les fonds sociaux collégiens et lycéens, sans oublier le fonds social pour les cantines que j'ai créé.

Vous avez évoqué la situation des jeunes les plus marginalisés qui n'ont ni travail ni famille sur laquelle s'appuyer ni logement stable. Les dispositifs de solidarité traditionnels, malgré l'augmentation des crédits et des places d'accueil d'urgence -2,5 milliards en cinq ans- répondent mal aux besoins de ces jeunes qu'on dit en errance. La direction générale de l'action sociale a mis à la disposition des départements un outil qui a permis de mieux comprendre sur le terrain, les causes multiples de ces situations de rupture qui, mouvantes, hétérogènes, exigent des réponses quasi sur mesure. Le groupe Familles et pauvreté que j'ai mis en place réfléchit à la question ainsi qu'à celle de l'accueil des jeunes parents, parfois mineurs, ayant des enfants de moins de trois ans.

Accompagner plus efficacement les parcours de tous les jeunes, c'est aussi s'efforcer de ménager à tous l'accès au droit commun, à commencer par celui de vivre pleinement sa jeunesse, et mobiliser pour ce faire les moyens adaptés. C'est aussi tenir ferme les deux bouts de la chaîne que sont les droits individuels des jeunes adultes et ceux de leurs familles qui les épaulent car les solidarités privées sont d'autant plus vives que les solidarités publiques sont fortes, contrairement à ce qu'imaginent ou feignent de croire, les apôtres du « moins d'Etat ». C'est pourquoi le Gouvernement a porté l'âge limite de perception des allocations familiales de 18 à 20 ans et des allocations logement à 21 ans, et relevé le plafond du quotient familial, ce qui sera encore le cas l'an prochain, pour que les familles profitent de la baisse de l'impôt sur le revenu.

Beaucoup a donc été fait. Il nous faut toutefois faire plus et mieux.

Le Premier ministre a annoncé le 15 juin dernier, que la question des jeunes adultes serait à l'ordre du jour de la prochaine conférence de la famille en 2001 et que cette question serait examinée dans toutes ses dimensions : présence sous le toit familial et logement autonome, poursuite des études et insertion professionnelle. Il a également indiqué que les inégalités entre jeunes devraient y être traitées -je vois Monsieur le rapporteur, que nous partageons la même conviction-, de même que la dimension familiale.

La question des jeunes adultes n'est pas sans lien avec celle de l'autorité et de la responsabilité parentales, également à l'ordre du jour de la prochaine conférence de la famille. Il faut aussi prendre en compte les situations concrètes vécues par les jeunes, lesquelles ne sont pas les mêmes avant l'âge de la majorité légale et après vingt ans, quand la tendance à la décohabitation familiale s'affirme.

La méthode du Gouvernement est celle dont il est coutumier : diagnostic, discussion, décision. Et, pour commencer, bilan de ce qui existe. Telle est d'ailleurs la première mission de la commission dont la création vous est proposée. M. le rapporteur a relevé que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 prévoyait que le Gouvernement dépose, à l'occasion du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2001, un rapport sur les aides aux familles et aux jeunes adultes. Il a lui-même noté la grande diversité des aides.

J'ai donc voulu prendre le temps d'associer à leur recensement tous les ministères concernés. Ce rapport est maintenant prêt, il sera remis au Parlement dans les prochains jours...

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Très bien !

Mme la Ministre déléguée - ...et il éclairera les travaux de la prochaine conférence de la famille, où sont réunis tous les partenaires de la politique familiale.

Le Gouvernement est favorable à cette proposition du groupe communiste qui permettra de faire encore progresser les choses. Il a, pour les jeunes les plus en difficulté, une autre ambition que l'expérience précoce du RMI : la formation et l'emploi, tel est le cap à tenir ! Telle est aussi la démarche préconisée pour le projet personnel de formation et d'accès à l'emploi sur lequel la future commission sera amenée à se pencher.

Cette remise à plat des aides existantes, leur confrontation avec les besoins actuels des jeunes seront salutaires pour les jeunes adultes, pour les familles et pour l'efficacité de l'action publique. Je me réjouis qu'il soit prévu d'associer largement les jeunes à cette réflexion collective.

Respect de la liberté des choix individuels, accompagnement lucide et déterminé des mutations actuelles, correction volontaire des inégalités, tels sont nos principes. L'Etat n'impose pas de modèle mais il peut reprendre à son compte ces fortes paroles de Victor Hugo : « L'idée exprimée est une responsabilité acceptée. Responsabilité entraîne solidarité ».

Sécuriser, ici et maintenant, les trajets des jeunes adultes en assurant à la fois l'inscription de tous dans une chaîne générationnelle solide et l'aptitude de chacun à trouver, à son rythme, ses propres marques dans un monde qui change et dans une France qui avance, c'est l'objectif. Au-delà de l'évolution de ou tel dispositif particulier, il s'agit de s'inscrire dans un projet politique au c_ur duquel les jeunes ne sont pas un problème mais une partie active de la solution car ils nous poussent à regarder devant nous, non pas à prévoir l'avenir mais à le permettre.

Ces jeunes adultes dont nous parlons aujourd'hui méritent autre chose que la crainte que demain ne leur soit pas favorable. A nous de les aider, à nous d'assumer le choix d'investir pour l'avenir car la jeunesse est cette partie de nous-mêmes qui devra affronter demain.

L'avenir, disait Hannah Arendt, est comme une bombe, bénéfique ou maléfique, au mécanisme d'horlogerie profondément enfoui mais dont le tic-tac résonne dans le présent. Elle ajoutait : les jeunes générations sont, plus que les autres, celles qui entendent le bruit du tic-tac (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports - Je veux à mon tour souligner l'importance de cette proposition du groupe communiste.

Dès les rencontres de la jeunesse de 1997, notamment la rencontre nationale de Marly-le-Roi, en présence de Lionel Jospin et de membres inscrits, les jeunes ont fait valoir leur besoin d'une allocation pour leur autonomie et leur indépendance. Ensuite, après l'installation des conseils, plusieurs débats ont eu lieu à ce propos.

Si certains souhaitaient un RMI ouvert aux moins de 25 ans, la majorité demandaient la création d'une allocation pour l'intégration, pour aller vers l'emploi.

Cette revendication ne traduit en rien un rejet de la famille : les dernières enquêtes montrent que, pour les jeunes, la famille est le premier modèle, avant Coluche et Martin Luther King.

La période de précarité et de chômage qui s'étend souvent de la sortie des études jusqu'au premier emploi stable rend nécessaire la création d'une allocation pour que les jeunes les plus touchés par les difficultés de la vie trouvent les moyens de préparer leur avenir.

Lors de la rencontre du 12 mai dernier avec le Gouvernement, le Conseil national de la jeunesse a souhaité que cette allocation soit mise à l'ordre du jour, sans pour autant méconnaître l'importance des mesures déjà prises -emplois-jeunes, programme Trace, accès au logement, aux loisirs- ni le fait que la Conférence de la famille travaille sur ces questions. Cette allocation est aussi un moyen d'harmoniser la construction européenne par le haut, comme l'a montré la rencontre que j'ai eue avec 450 jeunes de l'Union européenne avant le Conseil formel jeunesse.

Cette proposition de loi implique les conseils départementaux et le Conseil national de la jeunesse qui, créés en 1998, ont pris depuis lors une place effective dans la préparation des textes qui les concernent.

Reste la question des délais. L'attente de cette allocation se fait de plus en plus forte.

M. Pierre Cardo - Surtout parce qu'on l'a promise...

Mme la Ministre - Le rapport de la nouvelle commission devra donc déboucher au plus vite sur des mesures concrètes aptes à répondre à cette attente (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Alain Bocquet - La fenêtre d'initiative parlementaire est une occasion trop rare pour ne pas la mettre à profit pour un texte de justice sociale, qui garantit l'avenir de notre pays, à travers celui de sa jeunesse. C'est pourquoi le groupe communiste a inscrit aujourd'hui cette proposition relative à une allocation autonomie pour les jeunes de 16 à 25 ans.

Paru le mois dernier, le premier rapport de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale montre la situation critiques des jeunes, dont 600 000 sont en grande difficulté. Le monde étudiant n'est pas non plus épargné : près de deux étudiants sur cent sont en situation de pauvreté persistante ou chronique, sans compter les inscrits qui ont rapidement abandonné leurs études en raison de difficultés matérielles insurmontables, ni les 40 % d'étudiants obligés de travailler pour poursuivre leurs études.

Nous sommes convaincus que le pari sur la jeunesse, qu'il faut gagner, passe par l'autonomie, qui sous-tend une volonté de responsabilisation. Est-il acceptable qu'en raison de l'écart entre l'âge de fin des prestations familiales et celui d'ouverture du droit au revenu minimum d'insertion, le passage à l'âge adulte devienne difficile, voire destructeur ?

En 1996, plus d'un quart des jeunes de 16 à 25 ans n'étaient pas parvenus à l'indépendance, et cette proportion augmente. Aujourd'hui, on est jeune plus longtemps avec l'allongement de la durée des études, les petits boulots, les emplois précaires, les emplois-jeunes. La recherche de l'autonomie est souvent une gageure. Les parents doivent subvenir aux besoins de leurs enfants, et c'est au moment où ils en ont le plus besoin qu'on supprime les allocations familiales. Pour leur part, les jeunes aspirent à s'émanciper et à devenir des adultes pour participer pleinement à la construction de la société.

Trois critères essentiels peuvent être combinés pour apprécier l'état adulte : l'occupation d'un emploi stable, l'autonomie financière, l'occupation d'un logement autofinancé. En fait, l'indicateur principal est l'indépendance financière, qui est généralement la conséquence d'un emploi stable et la condition pour un logement personnel.

Ces dernières années, divers dispositifs ont été créés pour venir en aide à cette classe d'âge, mais il s'agit de réponses parcellaires et cet empilement de droits manque de lisibilité. Les premiers contrats emploi-jeunes viendront à expiration en 2002, ce qui pose avec acuité la question de leur pérennisation et de leur transformation en emplois stables. Mais la critique vaut aussi pour le programme Trace et pour le fonds d'aide aux jeunes.

Si ces aides se rejoignent pour assurer à la jeunesse un accès à l'indépendance et faciliter le passage à la vie active, elles ne sont pas toujours suffisantes pour garantir l'entrée dans la vie adulte. Or ce moment de fragilité comporte déjà de gros risques pour certains jeunes. Du reste, ils ne s'y trompent pas, affirmant que l'autonomie financière n'est pas une réponse en soi, revendiquant la reconnaissance d'un droit au logement, à la santé, à la culture et la liberté de faire des choix pour leur avenir.

L'attribution d'une allocation d'autonomie faciliterait ce passage délicat. Ce serait une manière utile de leur mettre le pied à l'étrier.

Certains considèrent cette allocation comme un encouragement à l'assistanat et à l'oisiveté. Eh bien non, elle ne l'est pas ! Tous les jeunes que j'ai rencontrés refusent l'idée d'un « RMI-jeunes », symbole de précarité et telle est aussi la position du collectif jeunes qui regroupe dix-sept associations. Une telle crainte témoigne d'une méconnaissance de notre jeunesse, qui a prouvé, dans le cadre des contrats emplois-jeunes, qu'elle sait donner un sens à son activité et contribuer à la définition de nouveaux métiers. De plus, nous proposons d'attribuer l'allocation en contrepartie d'un projet de formation et d'accès à l'emploi. Tous les jeunes seront concernés par le dispositif, qui ne saurait être catégoriel. Certes, les préoccupations des 16-17 ans diffèrent sensiblement de celles des jeunes de 24 ou 25 ans, mais nous avons pris le parti de nous adresser à tous, la seule condition à l'octroi de l'allocation résidant dans l'élaboration d'un projet de formation et d'accès à l'emploi. Ceux qui ont du mal à se projeter dans l'avenir ne seront toutefois pas écartés mais, bien au contraire, accompagnés dans la construction de leur projet.

M. Pierre Cardo - C'est le RMI.

M. Alain Bocquet - Nul ne doit être exclu, encore moins les plus fragiles et les plus isolés.

Parce que nous faisons le pari de la jeunesse, nous vous invitons à aborder ce débat de façon constructive.

Notre groupe ne dispose que d'une séance d'initiative parlementaire par an, divisée en deux matinées de quatre heures chacune. Notre marge de man_uvre est donc très faible, puisqu'il nous faut proposer un texte qui puisse être examiné dans ce bref laps de temps. Un autre obstacle réside dans le fameux article 40 de la Constitution, qui nous interdit de faire des propositions ayant pour conséquence soit de diminuer des ressources publiques, soit d'aggraver ou de créer une charge publique. Vous connaissez notre opinion sur cet article.

Conscient de ces limites, nous vous proposons d'aborder ce débat dans un but constructif, en acceptant dès aujourd'hui le principe d'une allocation autonomie.

La commission des affaires sociales a adopté, sur proposition de notre rapporteur, un amendement suggérant que la mise en place définitive de cette allocation soit précédée par la création d'une commission nationale pour l'autonomie des jeunes, qui dresserait le bilan des dispositifs existants, étudierait la création d'une allocation et les critères de son attribution, et proposerait enfin la mise en place d'un dispositif expérimental en vue de sa généralisation.

La commission a en effet estimé que la mise en place de cette allocation nécessitait une phase de conciliation et d'expérimentation. Cette question importante mérite d'être étudiée avec le plus grand sérieux, avec tous les acteurs concernés.

Il faut toutefois éviter que la création de cette commission ne constitue un prétexte pour remettre aux calendes grecques la mise en place de l'allocation. Si cette proposition de loi devait être adoptée par notre Assemblée, ce dont je ne doute pas, je compte donc, Madame la ministre, sur votre pouvoir de persuasion pour la faire inscrire rapidement à l'ordre du jour du Sénat.

Ce texte doit être adopté en effet le plus rapidement possible, pour que cette commission puisse se mettre au travail dans les plus brefs délais, la mise en place d'une allocation autonomie ne pouvant se faire qu'après la remise de son rapport.

Notre souci est que les jeunes puissent profiter rapidement de cette mesure. Il y a urgence. Je sais que vous partagez cet avis, puisque le sommet de la gauche plurielle a rappelé la nécessité de « traiter l'urgence, et notamment celle exprimée par les jeunes qui aspirent à une autonomie financière ». Ce souhait ne doit pas rester lettre morte.

Les conseils nationaux et départementaux de la jeunesse seront pleinement impliqués dans cette commission. Ces conseils, à la fois institutionnels et souples, constituent le support d'une politique qui encourage la participation des jeunes à la vie publique du pays. Aussi est-il indispensable qu'ils participent à la réflexion sur l'allocation autonomie.

Le groupe communiste et apparentés vous propose donc de voter ce texte, porteur de progrès social et d'espoir pour notre jeunesse. En apportant des réponses concrètes à ses aspirations, nous préparons en effet l'avenir (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Pierre Cardo - Nous débattons aujourd'hui de la création d'une allocation d'autonomie pour les jeunes de 16 à 25 ans.

Avant d'en débattre au fond, je crois nécessaire comme l'a bien réalisé le rapporteur, de faire le point sur la situation actuelle des jeunes et l'état des dispositifs.

Aussi reprendrai-je tout simplement le plan de son rapport, que j'ai apprécié mais dont j'ai déploré qu'il ne nous soit remis qu'hier soir.

En introduction, le rapporteur note que depuis le début des années 90, la pauvreté des jeunes a augmenté plus vite que celle de la population moyenne. Il serait ici objectif de rappeler qu'entre 1975 et 1990, c'est la pauvreté des adultes qui avait augmenté le plus, car ils ont été les premiers touchés par la crise pétrolière et par la restructuration industrielle qui l'a suivie.

Les jeunes, surtout les moins qualifiés, ont été touchés à partir des années 90, et il n'est ni surprenant, ni spécifique à la France, qu'ils soient plus pauvres dans les années 90 que dans les années 70.

Vous abordez ensuite, Monsieur le rapporteur, le chapitre du difficile accès des jeunes à l'autonomie. Sur le handicap spécifique des jeunes non diplômés vous dites que « l'accès à l'indépendance des jeunes constitue en France une épreuve particulièrement difficile pour les jeunes sans diplôme ». Bravo ! Mais pourquoi serait-il plus facile ailleurs ? Vous énoncez ensuite que sur les 27 % de jeunes sortis du système éducatif sans qualification, la moitié atteignent l'autonomie 5 ans plus tard, et 21 % d'entre eux sont exclus du marché du travail. Il s'agit d'une étude menée entre 1992 et 1997, c'est-à-dire à la fin de la crise et avant la reprise. Doit-on prendre une mesure d'ordre général quand il s'agit d'une partie de la population et d'une période de crise ? Ne serait-il pas plus approprié de renforcer les moyens existants et d'éviter d'intervenir globalement quand il faut cibler une population et une situation spécifiques

Pour noircir un peu le tableau vous précisez que 11 % des 15-29 ans ayant un diplôme de l'enseignement supérieur sont au chômage en 1999, contre 35 % de jeunes sans qualification. Je m'interroge sur la volonté de ce type de comparaison : combien y a-t-il de jeunes diplômés de l'enseignement supérieur dans la tranche des 15-20 ans ?

Ensuite, je ne crois pas qu'il faille affirmer que la reprise n'a profité qu'aux diplômés. Elle leur a surtout profité, ce qui est un peu différent.

Pour terminer, je note que cette fois-ci, les entreprises ne sont pas accusées d'avoir opéré cette sélection. Vous avez eu raison d'éviter cette explication, car cette reprise de l'embauche constatée chez les plus diplômés a été renforcée par les emplois-jeunes, que vous avez ouverts, malgré mes mises en garde, à tous les jeunes, y compris les plus diplômés. Cela s'appelle de l'écrémage et je regrette que le service public y ait contribué. Regardez les statistiques, Monsieur Le Garrec, vous le savez très bien !

Vous expliquez le fait que les jeunes en rupture soient privés de tout filet social social par le cloisonnement des dispositifs, et tentez de justifier ainsi la future allocation qui favoriserait finalement le guichet unique. Mais dans quel autre but Bertrand Schwartz avait-il créé les missions locales il y a dix-huit ans ? Au lieu de renforcer ce qui existe, vous préférez créer un dispositif de plus, qui, par l'effet magique de la loi, créera le guichet unique !

M. le Président de la commission - Mais non ! Vous considérez le problème comme résolu !

M. Pierre Cardo - L'objectif des missions locales, c'est bien celui que préconise le commissariat général au Plan, à savoir créer un filet de sécurité avec un accompagnement social. Ce n'est pas une loi qui manque, mais une volonté politique et des moyens budgétaires.

Vous constatez, c'est mon troisième point, que l'entrée des jeunes dans la vie active demeure marquée par la précarité, et que celle-ci s'est aggravée. En janvier 1999, 30 % des 15-29 ans occupaient un emploi à durée déterminée, et ils sont 48,9 % en mars 2000. Loin de constituer une aggravation, ces chiffres signifient que les jeunes sont plus nombreux à travailler, et nous n'allons pas nous en plaindre ! Ensuite, englober l'apprentissage dans l'estimation de la précarité est une bien étrange façon de valoriser la formation en alternance ! Enfin, vaut-il mieux une précarité de l'emploi ou une pérennisation du chômage ?

Quant aux emplois aidés, il ne peut s'agir que des emplois-jeunes, dont vous vantez les mérites dans le rapport. Mais s'ils aggravent la précarité, pourquoi les avoir votés ? D'autre part, les périodes trop courtes de travail, qui ne permettent pas l'indemnisation par l'assurance chômage, ne sont pas du seul fait de l'employeur. Une analyse plus fine vous amènerait sans doute à réfléchir davantage à l'adaptation du comportement des jeunes face à une autorité qu'à la mise en _uvre d'une indemnisation. C'est toute la différence entre le curatif et le préventif.

Les dispositifs existants, dites-vous, ne répondent pas au besoin d'autonomie.

« De nombreux dispositifs d'aide à la qualification et au premier emploi, peut-on lire, s'adressent prioritairement ou exclusivement aux jeunes. Les emplois aidés pour les jeunes concernent près de 40 % des jeunes actifs de 16 à 25 ans fin 1998. On peut se demander si la logique des dispositifs actuels vise réellement à favoriser la construction de l'autonomie personnelle et professionnelle... »

C'est pourtant vous qui avez créé les contrats emploi solidarité et autres emplois aidés ! Vous avez voulu protéger, favoriser, et avez finalement affaibli. Là est toute la différence entre l'autonomie et l'assistance. L'autonomie exige que l'on donne à l'intéressé les moyens d'accroître sa motivation et ses compétences. Elle ne peut résulter d'un dispositif national d'aide qui change régulièrement et le maintenant dans une situation de dépendance.

Sur le programme Trace, vous écrivez que, créé en 1998 par la loi relative à la prévention et à la lutte contre les exclusions, il vise à organiser un parcours individualisé d'insertion professionnelle sur une période de 18 mois pour les jeunes sortis du système scolaire sans qualification, et qu'il s'agit d'accompagner les jeunes dans la conquête de leur autonomie. Vous dites que l'appréciation des jeunes et des divers acteurs sur ce programme est positive, et je la partage. Mais vous regrettez vous-même que la contribution de l'Etat -que vous avez votée- au programme Trace ait fait l'objet d'un redéploiement budgétaire en cours d'année. Y aurait-il donc quelque incohérence dans cette majorité ?

Traitant ensuite des emplois-jeunes, vous en dites l'utilité et la nécessité de les pérenniser, et vous avez sans doute raison. Encore aurait-il fallu les réserver aux jeunes sans qualification. Or, quels élus ont joué le jeu ? Dans la pratique, je l'ai dit, ce dispositif a eu pour effet pervers l'écrémage auquel j'ai fait allusion précédemment.

Le rapporteur décrit ensuite la pauvreté étudiante, et souligne que l'allocation d'études est sous-utilisée parce que les rectorats éprouvent des difficultés à « appréhender un critère nouveau tel que la demande d'autonomie ». Adaptez, donc, et réformez ! Mais point n'est besoin d'une nouvelle loi !

Or, vous en arrivez à la conclusion que les dispositifs existants, insuffisants et cloisonnés, doivent être remplacés par un nouveau mécanisme destiné à donner une nouvelle chance à ceux qui ont quitté précocément le système scolaire. En somme, plus tôt on abandonnerait le cursus, et plus on aurait de droits On imagine la catastrophe annoncée pour certains collèges dans lesquels, dès la sixième, les enfants se demandent ce qu'ils font là ... Quel sera leur comportement s'ils apprennent qu'ils pourront, à 16 ans, toucher une allocation cependant que d'autres travailleront à réussir leurs examens ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Etant donné les projets d'argent facile qui peuvent leur être proposés, je crains le pire. Par ailleurs, la violence déjà si difficilement contenue ne manquera pas de s'aggraver encore, et le racket de s'institutionnaliser. Je me refuse à prendre une telle responsabilité. C'est une véritable bombe à retardement que vous nous proposez car, très vite, le système ne sera plus maîtrisé.

Certains des commissaires l'ont pressenti, et c'est sans doute ce qui explique la prudence de notre rapporteur, qui parle de concertation et d'expérimentation, manière polie de trouver une parade en instituant de nouveaux comités Théodule.

Il aurait été bien préférable de réformer tous les dispositifs qui doivent l'être, pour les raisons que vous avez dites plutôt que de créer une allocation cache-misère des défaillances des institutions républicaines. Cette allocation fait par trop penser à une « allocation dépendance ». Un pays qui a cette seule ambition pour sa jeunesse est un pays sans courage, sans ambition et sans avenir, une République de vieux dépassés par leur temps (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. le Président de la commission - Si j'ai apprécié votre référence à Bertrand Schwartz, Monsieur Cardo, vous m'avez habitué à plus de mesure et, vous écoutant, je me remémorais le dit de Lao Tseu, selon lequel « le sage regarde l'avenir, le fou se couvre la tête de cendres et craint toujours le pire ». Ne voyez cependant dans « le fou », je vous prie, qu'une licence poétique...

La mise en place d'une commission nationale chargée d'étudier la création d'une allocation d'autonomie pour les jeunes âgés de 16 à 25 ans est une nécessité, l'excellent travail de notre rapporteur le montre. Il n'est pas question d'habiller de rose le passé : l'accès des jeunes à l'autonomie s'est toujours fait durement, les _uvres de Vallès et de Daudet en témoignent, comme d'autres. Cependant, les exigences sont autres aujourd'hui, et la société est soucieuse d'éviter les cassures sociales, tout particulièrement en cette période de mutation. Elle craint, en outre, cette jeunesse qui, souvent, lui échappe. Il convient donc, en effet, de poser comme premier principe celui de l'autonomie. Comment y parvenir, alors que le rapport au travail a évolué en profondeur ?

L'insertion sociale se fait par des voies très différentes, et nombreux sont les jeunes qui connaissent le chômage, les « petits boulots », la précarité. Deux décennies de chômage croissant ont eu pour conséquence des pratiques éminemment discutables. Une véritable révolution culturelle est nécessaire dans un pays qui compte un nombre record de chômeurs de moins de 25 ans, et nous devons passer d'une situation défensive à une situation offensive dans tous les domaines, qu'il s'agisse des entreprises ou de l'adaptation des systèmes de formation. A cet égard, la loi contre les exclusions et le programme Trace sont des mesures positives.

Cependant, des difficultés d'application demeurent, soulignées par le rapporteur : cloisonnement des dispositifs, rigidités administratives, multiplication des guichets et, paradoxalement, non-consommation des crédits dans certains départements.

Les inégalités entre les jeunes sont de moins en moins acceptables, et il n'est pas admissible de laisser se pérenniser l'échec social que constituent ces 60 000 jeunes gens sortis du système éducatif sans qualification. L'interrogation est légitime, et elle justifie à elle seule le bilan présenté par le rapporteur.

On sait, d'autre part, l'existence de ce qu'il faut bien qualifier de « pauvreté étudiante », phénomène décrit dans les rapport Dauriac et Grignon. Nombre d'étudiants sont contraints d'interrompre les cursus engagés pour trouver les moyens de subsister, si bien que certains jeunes âgés de plus de 25 ans en viennent à choisir le RMI pour poursuivre leurs études. Là n'était pas l'objet du RMI ! Le refus de l'assistance doit conduire à privilégier l'insertion. C'est ce à quoi tend l'allocation envisagée, qui renforcera la solidarité entre les générations. Il est donc indispensable d'engager une réflexion à ce sujet.

Mais nous savons tous que le plus difficile est le suivi.

M. Pierre Cardo - Beaucoup plus difficile que de rédiger une nouvelle loi !

M. le Président de la commission - Le mouvement des jeunes socialistes en est convaincu : il faut rendre possible l'aspiration à l'autonomie matérielle mais surtout l'autonomie de projet. Il faudra donc évaluer si le dispositif financier envisagé est le meilleur mais, surtout, s'attacher à respecter le porteur du projet, ce qui n'est pas toujours le cas ; il faut écouter, ce qui n'est pas toujours facile quand le langage, la culture et l'approche des problèmes sont différents et entraînent des incompréhensions, il faut responsabiliser, enfin il faut organiser un suivi individualisé.

En conclusion, en me félicitant de cette initiative prise par le groupe communiste et son président Alain Bocquet, je dirai ceci. Des travaux existent, auxquels, Madame la ministre, vous vous êtes référée, en annonçant l'envoi dans les jours à venir d'informations très précises au Parlement ; la gauche plurielle manifeste une volonté politique en adoptant le principe d'une allocation d'autonomie ; il faut maintenant que la commission placée auprès du Premier ministre, suffisamment large pour que chacun puisse s'exprimer, réponde aux questions dont personne ici ne détient la réponse définitive. Qui attribuera ? Qui suivra ? De quelle manière le projet sera-t-il apprécié ? Tout cela ne coule pas de source. Il faudra passer le plus vite possible à la phase d'expérimentation, dont il conviendra ensuite de tirer les conclusions. A une exigence légitime des jeunes et de notre société, nous devons répondre par la créativité, en privilégiant la souplesse et l'efficacité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. François Vannson - Aider les jeunes à s'insérer durablement dans la vie active est une tâche prioritaire pour les élus. Pour cela, il faut à la fois prendre en compte la conjoncture économique actuelle et se projeter dans l'avenir.

Les mesures de façade ne sont jamais de bonne politique. Elles échouent toujours. Les Français attendent autre chose, et ils ont raison.

C'est pourquoi on peut s'inquiéter de la création d'une commission qui va venir allonger encore la liste des organismes, groupes de réflexion ou comités d'observation existants.

M. Pierre Cardo - Et qui va à nouveau déresponsabiliser le Parlement.

M. François Vannson - Aucun budget ne lui est alloué, ce qui limitera d'entrée de jeu ses capacités à accomplir une tâche qui est pourtant, sur le papier, assez vaste.

Incontestablement les jeunes doivent être soutenus, et non pas seulement au terme de leur cursus scolaire mais tout au long de leur scolarité, si l'on veut les aider à trouver au plus tôt un emploi à durée indéterminée.

A cet égard, le développement de la formation en alternance et l'apprentissage sont indispensables. Or le Gouvernement, après avoir déjà, en 1999, recentré les aides sur les jeunes les moins qualifiés, avait proposé cette année de supprimer la prime destinée aux apprentis pour les entreprises de plus de dix salariés. Heureusement, la suppression de cette disposition a été demandée sur tous le bancs de l'hémicycle, et notamment par le groupe RPR, qui a été entendu.

Un autre moyen efficace pour favoriser l'insertion des jeunes dans le monde du travail, est de développer les liens de celui-ci avec l'école, en faisant en sorte que les enseignements scolaires soient en adéquation avec les besoins des entreprises. Cela éviterait aux jeunes le désarroi de constater que leur formation ne correspond pas aux attentes des entreprises, et cela permettrait à ceux d'entre eux qui ont déjà un projet professionnel de trouver les bons interlocuteurs pour le réaliser.

Quant aux jeunes qui ont la chance de poursuivre des études supérieures, il faut les soutenir, mais la seule multiplication des bourses ne suffit pas : il faut les augmenter, certes, mais il faut aussi inciter les jeunes à effectuer des stages en entreprise dès la première année de DEUG, susciter l'émulation entre les laboratoires de recherche, pousser les jeunes à vendre leur projet aux entreprises. Les filières scientifiques ne doivent pas être privilégiées, c'est l'ensemble de l'enseignement supérieur qui est concerné.

Les difficultés d'insertion des jeunes dans la vie active sont connues. C'est d'une volonté politique que nous avons besoin, non d'une nouvelle commission sans moyens.

Le groupe RPR s'abstiendra (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF).

M. Jean Pontier - La reprise économique est là et la plupart des experts prévoient un taux de croissance de 3 % en 2000 comme en 2001 : mais il devrait se maintenir plusieurs années pour aller au plein emploi.

Rien n'est acquis : il reste 2,2 millions de chômeurs, soit 9,4 % de la population active. Même si certains pensent qu'il subsisterait toujours un résiduel incompréhensible, que d'aucuns situent cyniquement à 10 %, le Conseil d'analyse économique fixe 5 % comme objectif d'étape et la méthode de Maastricht aboutit à 2,8 %, moyenne des trois meilleurs taux actuels en Europe.

De fait, avec la reprise, de nombreux chefs d'entreprise n'arrivent pas à recruter, soit que les candidats ne soient pas formés, soit qu'ils se découragent devant les conditions de travail offertes. C'est particulièrement vrai pour les métiers de bouche et de service, l'artisanat, le bâtiment. Ceci invite donc à mener une politique de l'offre pour compléter celle de la demande.

Pour avoir dévalorisé la formation manuelle, on en vient maintenant à envisager, notamment du côté du MEDEF, une reprise de l'immigration. Que deviendraient les exploitations agricoles du Rhône sans la main d'_uvre saisonnière marocaine ?

Les bénéfices des grandes sociétés croissent sans que diminuent le nombre des exclus et les phénomènes d'économie parallèle et de délinquance juvénile.

Pour tenter de faire pièce à ce marasme socio-économique qui affecte plus particulièrement les jeunes, nous est donc proposée la création d'une allocation d'autonomie pour les 16 à 25 ans.

C'est une idée généreuse à laquelle je souscris spontanément. Elle appelle cependant certaines réserves.

Il n'est pas douteux qu'une telle allocation serait utile, pour soulager les familles, notamment les plus nécessiteuses, pour permettre à des jeunes de financer leurs études, voire de prendre un peu de champ par rapport à leur entourage, ou de courir une seconde chance.

Toutefois la généraliser entre la fin de la scolarité obligatoire à 16 ans et l'ouverture des droits au RMI à 25 ans poserait question. Serait-ce une façon d'instituer un RMI à deux vitesses ? Ne risque-t-on pas de créer une discrimination entre les jeunes qui auraient un projet de formation ou d'insertion à mettre en _uvre et ceux, toujours les mêmes, les plus déstructurés, qui ne seraient pas en état de formuler quoi que ce soit ?

Pour avoir un temps vécu, dans l'Education surveillée, les problèmes afférents aux gratifications mensuelles versées aux stagiaires de la formation professionnelle, je sais les effets pervers des systèmes d'aide généralisée. Pour y introduire un peu d'équité, il faut beaucoup de pédagogie et un suivi individualisé, tant administratif qu'éducatif. On passe sinon très vite de la possibilité d'aide assortie de formation au droit exclusif à une rémunération. L'évolution du RMI, où a disparu le devoir d'insertion, n'incite guère à son extension aux 16-25 ans.

Aussi louable que soit l'intention, il ne faudrait pas que cette allocation soit une simple béquille, sans exigence d'intégration, d'évaluation et de contrôle.

Si la nation doit être généreuse avec sa jeunesse, comme s'y est engagée la majorité plurielle en novembre dernier, et lui garantir un véritable avenir, l'imprécision du dispositif proposé me conduit à souhaiter, pour y voir clair, la création d'une commission interministérielle chargée d'explorer la mise en place de ce dispositif et d'en affiner les effets. Je serai, en tant que de besoin, disponible pour participer à cette commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre Cardo - Et bien voilà !

M. Pierre-Christophe Baguet - L'objet initial de cette proposition de loi était la création d'une allocation d'autonomie pour les jeunes de 16 à 25 ans. Certes, il est du rôle d'une commission d'amender les projets et propositions, mais en l'occurrence, elle a tout bonnement supprimé le dispositif proposé par le groupe communiste, le remplaçant par la création d'une commission nationale. Serait-ce un enterrement de première classe ? Cela lui ressemble !

Il est vrai que cette allocation a tout de la fausse bonne idée et risque d'amplifier les phénomènes qu'elle souhaite combattre.

La sociologie de la famille d'aujourd'hui n'a plus grand chose à voir avec les schémas de mai 1968 et l'opposition parents-enfants. Aujourd'hui les jeunes restent de plus en plus longtemps chez leurs parents, en grande partie parce qu'ils y sont bien.

Cette proposition de loi est donc en décalage avec la tendance actuelle, qui est d'aider les familles, qui à leur tour, soutiennent leurs enfants. En outre, on ne peut pas d'un côté expliquer que la famille est le dernier rempart contre la délinquance et de l'autre ne pas chercher à maintenir ce lien familial. Est-ce vraiment un mal, quand on a 16 ans, d'être encore sous l'autorité de sa famille ? Je pense que non et de nombreux jeunes se trouvent bien dans leur famille.

Le récent rapport de l'Observatoire de la pauvreté montre que les jeunes cumulant échec scolaire et rupture familiale risquent de sombrer dans la marginalité et diverses déviances.

Je crains que la création d'une allocation d'autonomie pour les jeunes ne fasse éclater un peu plus les familles et ne mette en danger certains jeunes en déresponsabilisant leurs parents (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Monsieur le Président de la commission, vous ne pouvez pas nier ce risque, il est réel ! Mais reconnaissons aussi que certains jeunes sont en souffrance pour avoir été exclus du cocon familial dès leur majorité, sans aide ni revenus. Nous disposons malheureusement de peu de chiffres crédibles sur ce point.

Il faut donc établir un diagnostic et recenser les problèmes. A cet égard je partage l'objectif premier de la Commission nationale qui va être créée, dresser un état des lieux de la situation des jeunes et des aides dont ils bénéficient. Mais surtout ne créons pas une usine à gaz indépendante de plus ! La CNAF, qui réfléchit depuis longtemps à ce sujet, devrait y jouer un rôle prépondérant. Le Conseil économique et social va aussi, en mars prochain, traiter des grands jeunes sur la base d'un rapport d'Hubert Brin. Il faut appuyer notre réflexion sur ces études.

La société doit aider les jeunes à accéder à l'indépendance, mais sans les précariser. La loi famille de 1994 proposait par exemple de prolonger le versement des allocations familiales jusqu'à 22 ans. Votre gouvernement a décidé, pour de prétendues raisons financières alors même que la branche famille est excédentaire, de ne pas l'appliquer, ce qui est fort dommage. Votre gouvernement devrait s'engager davantage dans le réseau des écoles de la deuxième chance créé au printemps 1998 dans le cadre d'un programme européen, mais en réalité financées par les collectivités locales comme à Marseille.

En matière de bourses d'études, la France est malheureusement en retard. Il faut repenser entièrement notre dispositif afin de le rendre plus cohérent : le montant des aides devrait être revalorisé, le contingentement de certaines d'entre elles supprimé et l'attribution tenir compte de la situation propre de chaque jeune. Il faudrait également rendre plus accessibles les bourses à tous les jeunes qui suivent des formations nouvelles, notamment en apprentissage et en alternance. Cela participerait de la revalorisation de ces secteurs.

L'indépendance des jeunes passe d'abord par leur insertion professionnelle. Dans cette perspective, l'accompagnement personnalisé avec appui social donne des résultats qui pourraient être encore améliorés. Le programme Trace ne doit pas s'arrêter en chemin. A entendre le groupe communiste, on pourrait s'interroger sur l'efficacité du dispositif puisqu'il souhaite créer « encore autre chose » pour aider les jeunes à s'insérer dans le monde professionnel... De grâce, la course à la modernité ou la démagogie ne sont pas de mise sur un sujet aussi douloureux. Le programme Trace n'a même pas deux ans, sa mise en route a été laborieuse, laissons-lui le temps de se développer. Ni les bonnes volontés, ni la mobilisation des missions locales ne font défaut, mais bien les moyens. Car le suivi individualisé demande beaucoup de temps et de moyens humains. Le Gouvernement ne doit pas se montrer chiche en ce domaine. Développons ce qui existe, dressons-en le bilan au lieu de l'enterrer comme par avance : le succès peut être à la clé.

Par ailleurs, comment accepter un chômage aussi important parmi les jeunes alors que certains secteurs, comme l'informatique, l'aéronautique, le bâtiment, souffrent d'une pénurie de main-d'_uvre ? Notre pays a le devoir de former ces jeunes et de les orienter vers ces métiers.

Tout cela serait de loin préférable à l'institution d'un RMI jeunes, car c'est bien là ce qui commence à poindre et à quoi je suis totalement opposé. Imaginer qu'un jeune puisse commencer sa vie d'adulte en percevant une allocation de la collectivité nationale est profondément attristant. Plus grave, une telle allocation peut marquer le début d'une spirale de l'échec et conduise à l'assistanat, au désespoir.

Nous avons en revanche le devoir impérieux de ne pas abandonner les individus les plus fragiles de notre société, en particulier les jeunes qui sont l'avenir de notre pays. En tant que législateurs, nous avons une immense responsabilité. Quelle place souhaitons-nous pour les jeunes dans la société, mais aussi dans leur famille ? Je serais tenté de répondre à cette question : la meilleure, bien sûr. Nous devons en tout cas leur donner tous les moyens d'y parvenir en toute liberté, en toute conscience et en parfaite harmonie avec eux-mêmes, avec leur famille et avec leur société.

Le groupe UDF, inquiet des effets pervers de cette proposition de loi, s'abstiendra (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Mme Marie-Hélène Aubert - Je me réjouis qu'un texte dont le titre et l'exposé des motifs mentionnent la nécessité d'une contribution financière des pouvoirs publics pour assurer aux jeunes un revenu, soit enfin examiné.

Un peu de chemin a donc été parcouru depuis que mon collègue Jean-Michel Marchand vous sollicitait ici-même à l'automne 1998, lors des mobilisations de jeunes sur cette question, et que moi-même essuyais un fin de non-recevoir de Mme Aubry et me voyais accusée de vouloir faire de nos jeunes des « assistés ». C'était là méconnaître la pensée écologiste fondée au contraire sur l'autonomie et la responsabilisation de chacun !

Les Verts souhaitent la création d'un revenu d'autonomie pour tous les jeunes, qui sont contraints d'habiter de plus en plus longtemps avec leur famille, qui peinent à financer leurs études et à trouver un premier emploi, alors même qu'ils sont exclus du RMI puisque celui-ci n'est versé qu'à partir de 25 ans.

Dans notre esprit, il s'agit bien d'une allocation d'autonomie et non d'une simple extension du RMI : il s'agit non pas de réinsérer mais d'apporter un soutien aux jeunes pour qu'ils puissent démarrer convenablement leur vie d'adulte et formuler un projet. Il faudra toutefois veiller à ce que la formule ne soit pas vidée de sa substance.

C'est sans doute sur le contenu de cette autonomie que les Verts, qui soutiennent cette revendication depuis longtemps, se distinguent des autres formations politiques en affirmant qu'exiger un projet en contrepartie n'a pas grand sens quand on a 16 ans et qu'on habite chez ses parents !

La question est presque philosophique et touche à la façon dont notre société considère sa jeunesse. Le revenu pourrait éventuellement n'être versé qu'à partir de 18 ans mais il se place pour nous sur le même plan que le droit de vote. Élément de la prise d'autonomie d'un jeune, il ne doit donc pas le faire glisser dans une nouvelle dépendance vis-à-vis d'un organisme chargé de « vérifier son projet ».

La proposition qui nous était initialement soumise ne mentionnant notamment aucun montant, on nous demandait de voter un chèque en blanc, qui n'est d'ailleurs peut-être pas provisionné, étant donné que cette question n'a pas été envisagée dans la loi de finances. Faut-il dès lors se réjouir ou se plaindre de l'amendement du rapporteur qui renvoie à plus tard -espérons pas aux calendes !- la mise en place de cette allocation et tend à commencer par un périmètre-pilote ?

Cela vaut peut-être mieux afin que cet important dispositif, qui doit être étendu et global pour être significatif, bénéficie de tous les fonds nécessaires, qui devront être substantiels, dès la prochaine loi de finances, et ne s'empile pas seulement sur ceux qui existent déjà.

Nous suivrons cette question de près et nous espérons être associés sérieusement à son traitement. Elle figure d'ailleurs dans l'accord du 7 novembre entre les Verts et le PS qui s'engage à une mise en place de cette allocation dans les deux ans... C'est un point fondamental pour nous

Nous sommes donc déçus que l'on ne crée aujourd'hui qu'un groupe de travail et un comité de pilotage. Cela étant, nous voterons quand même une proposition de loi qui va dans le bon sens en regrettant de ne pas avoir eu un débat plus large sur la conception même que nous avons de notre jeunesse et des liens entre les générations (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. le Président de la commission - Permettez-moi maintenant de faire quelques remarques en tant que président de la commission après avoir parlé, dans la discussion générale, au nom du groupe socialiste.

Mme Aubert a bien souligné toute la complexité du problème, qui justifie amplement la création d'un lieu de réflexion. Aucune déception n'est donc aujourd'hui de mise car si l'on refuse l'empilement des dispositifs comme l'approche de guichet, il importe préalablement de bien cerner l'objectif et de définir la méthode. Je me réjouis que le groupe communiste ait très clairement perçu cette nécessité car nous risquions autrement de n'être pas compris -à écouter certains orateurs, j'ai pris conscience que nous ne l'étions déjà pas assez.

Les écologistes ne sont pas seuls à revendiquer les valeurs d'autonomie et de responsabilité pour tous, et donc pour les jeunes. Ils n'ont pas le monopole de cette préoccupation que nous sommes nombreux à avoir depuis longtemps...

M. Pierre Cardo - La gauche non plus !

M. le Président de la commission - Pourquoi prévoir le versement de cette allocation dès 16 ans ? C'est qu'hélas, il existe des situations de rupture dès cet âge et qu'il faut bien les prendre en compte.

Il est clair, le rapporteur y a insisté et j'y insiste à mon tour, que nous refusons toute idée d'un RMI jeunes.

M. Pierre-Christophe Baguet - Alors très bien !

M. le Président de la commission - N'ayons pas de faux débat à ce sujet. Nous souhaitons privilégier l'insertion et refusons l'assistance.

M. Pierre Cardo - On avait dit la même chose pour le RMI, on a vu ce qu'il en a été !

M. le Président de la commission - Si au fil du temps le dispositif s'est éloigné de sa philosophie d'origine -que je partageais totalement-, il n'empêche que le RMI a contribué à éviter une fracture sociale. C'est d'ailleurs cette expérience qui nous conduit aujourd'hui à souhaiter prendre le temps de la réflexion afin d'éviter, non pas de refaire les mêmes erreurs, mais d'emprunter certains cheminements qui peuvent conduire assez loin du but recherché.

Monsieur Baguet, ayez l'honnêteté de le reconnaître, le rôle déterminant de la famille n'est nullement remis en cause et l'intervention très juste, comme toujours, de la ministre déléguée aurait dû dissiper toutes vos craintes. Si j'évoquais tout à l'heure Le Bachelier et Le Révolté de Vallès, c'est que la question est bien de savoir si nous souhaitons des jeunes insérés ou révoltés ?

M. Patrick Braouezec - S'ils sont les deux, tant mieux !

M. le Président de la commission - ...la question est d'autant plus cruciale que l'on compte aujourd'hui deux millions d'étudiants.

Je sais, Monsieur Pontier, le rôle que vous jouez. Il ne s'agit pas ici de générosité mais de volonté politique : c'est un projet que nous accompagnons et c'est bien la difficulté de la démarche. Bien sûr, il faut prévoir une aide, mais on sait les ruptures qui se créent lorsqu'on mène uniquement une politique de guichet. A l'inverse, les CCAS essaient d'accompagner, telle est bien la logique que le Gouvernement et la commission souhaitent faire prévaloir.

Il faudra, enfin, que la commission soit suffisamment large et qu'y soient représentés d'abord les jeunes, mais aussi tout le mouvement familial et les élus. C'est ainsi que nous répondrons aux mieux à ces questions urgentes et complexes, sur lesquelles nous n'avons pas le droit à l'erreur (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme la Ministre déléguée - J'ai relevé dans cette discussion un consensus autour du refus de toute logique d'assistance. Telle est bien l'orientation du Gouvernement en général et de la ministre de l'emploi et de la solidarité en particulier.

La méthode proposée est également intéressante. Grâce à votre assemblée et au groupe communiste nous pourrons chercher ensemble à aller plus loin que les réponses déjà apportées qui, pour bonnes qu'elles soient, laissent de nombreux jeunes en dehors du filet de sécurité. Vous avez aussi souhaité que l'on réponde vite au besoin d'autonomie des jeunes. Dès le mois de juin 2001, la Conférence de la famille pourra apporter des réponses. En outre, le rapport dont j'annonçais tout à l'heure le dépôt prochain a en fait été publié aujourd'hui même ; j'y vois un symbole.

M. Bocquet a reconnu les efforts déjà accomplis avec les emplois-jeunes, le programme Trace, le FAJ, même si des difficultés subsistent et si les aides sont trop éclatées. Le bilan que fera la nouvelle commission nous permettra de progresser.

Il a souligné à juste titre que les jeunes ne sont pas demandeurs du RMI et que le travail de réflexion qui va s'engager permettra de voir comment répondre au mieux à leurs besoins.

Malgré quelques critiques sur les chiffres, M. Cardo a reconnu l'intérêt des programmes du Gouvernement . Mais, contrairement à la caricature qu'il a faite, nous n'avons en rien la volonté d'aller vers la dépendance ni vers le RMI pour les jeunes.

Le Président Le Garrec a fait une intervention concrète et visionnaire, insistant sur la nécessité de se montrer offensif, de pratiquer l'insertion, non l'assistance et relevant que l'inégalité des jeunes est une question politique majeure à laquelle il faut répondre autour des valeurs de respect, d'écoute et de responsabilisation. Il a souhaité que nous aboutissions rapidement à des décisions. Je sais, pour cela, pouvoir compter sur son engagement comme sur celui de la commission qu'il préside.

Je crois, Monsieur Vannson, que vos critiques auraient plus de poids si elles étaient accompagnées de quelques propositions...

M. François Vannson - Vous ne m'avez pas écouté !

Mme la Ministre déléguée - C'est parce qu'il veut aller vite que le Gouvernement ne peut retenir la proposition de M. Pontier de créer une commission en vue de créer une commission....

M. Baguet a insisté à juste titre sur le rôle des familles. La CNAF comme l'UNAF sont associées à la préparation de la conférence de la famille.

Il a évoqué la loi de 1994, oubliant de dire qu'elle n'avait pas été financée par le gouvernement qu'il soutenait. Notre gouvernement, pour sa part, a prolongé les allocations familiales jusqu'à 20 ans et l'allocation logement jusqu'à 21 ans. Mais il ne me paraissait pas souhaitable d'aller au-delà dès lors que je souhaitais ouvrir le débat sur le jeune adulte.

Nous menons une politique familiale ambitieuse à laquelle la dernière conférence de la famille a consacré 10,5 milliards.

N'ayez pas d'amertume, Madame Aubert : le débat avance, il se poursuit.

A ce propos, je remercie chaleureusement l'Assemblée pour son importante contribution. Ainsi irons-nous plus vite pour répondre à la demande d'autonomie des jeunes en évitant toute démagogie, mais aussi tout empiétement sur les droits des familles. Cette proposition, sans affaiblir les liens familiaux, remédiera aux inégalités entre les familles, les aidera à transmettre à leurs enfants les valeurs qui leur permettront de devenir des adultes autonomes. Nous devons à ces jeunes une politique de solidarité et de justice sociale. C'est ce qui nous rassemble aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. le Président - Avant de mettre aux voix l'article unique de la proposition, j'informe l'Assemblée que, conformément aux conclusions de la commission, le titre de la proposition est : « Proposition de loi relative à la mise en application d'une allocation d'autonomie pour les jeunes de seize à vingt-cinq ans. »

L'article unique de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 10.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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