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Session ordinaire de 2000-2001 - 43ème jour de séance, 101ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 19 DÉCEMBRE 2000

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

Sommaire

          EXPIRATION DES POUVOIRS DE L'ASSEMBLÉE
          (suite) 2

          MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE 18

          EXPIRATION DES POUVOIRS DE L'ASSEMBLÉE
          (suite) 18

          ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 20 DÉCEMBRE 2000 24

La séance est ouverte à vingt et une heures.

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EXPIRATION DES POUVOIRS DE L'ASSEMBLÉE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, des conclusions du rapport de la commission des lois sur les propositions de loi organique de MM. Georges Sarre, Bernard Charles, Raymond Barre, Hervé de Charette, Gérard Gouzes et Jean-Marc Ayrault relatives à la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.

M. le Président - Cet après-midi, nous avons commencé d'entendre les auteurs des propositions de loi. Dans la suite du débat, la parole est à M. Raymond Barre, auteur de la proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.

M. Raymond Barre - La présente proposition de loi organique est la conséquence de la tribune que Michel Rocard et moi-même avons publiée le 18 novembre 2000 dans le journal Le Monde.

Ayant pris connaissance de l'appel de trois éminents constitutionnalistes français à ne pas voter « la tête à l'envers » en élisant en 2002 les députés d'abord et le Président de la République ensuite et ayant chacun pour notre part déjà exprimé cette opinion, nous avons pensé que l'Assemblée nationale devait débattre de cette question. A notre avis, un débat rapide ne pouvait soulever l'argument selon lequel on ne change pas la règle du jeu quand une consultation électorale est proche. A un an et trois mois de l'élection législative et de l'élection présidentielle, les Français ont d'autres sujets à l'esprit, hormis les spécialistes intéressés de supputations électoralistes. Les Français commencent seulement à s'intéresser aux prochaines élections... municipales ! Voilà pourquoi je me réjouis que ma proposition -et celle présentée par plusieurs collègues- ait été inscrite par le Gouvernement à l'ordre du jour.

Pourquoi ai-je présenté cette proposition de loi organique que Michel Rocard aurait cosignée s'il était parmi nous ?

En premier lieu, l'ordre actuel des élections prévues pour 2002 n'est que le résultat du hasard. Le décès du Président Pompidou en 1974, la dissolution décidée en 1997 par le Président Chirac en sont la cause. Parce qu'il est souhaitable d'échapper au hasard, il est nécessaire de remettre le calendrier à l'endroit. Il ne s'agit nullement de changer la règle du jeu, mais de la rétablir en modifiant simplement une date.

Il ne s'agit pas non plus d'un arrangement, d'une magouille ou d'un tripatouillage comme certains le prétendent. Michel Rocard et moi-même n'avons pas l'habitude de recourir à de tels procédés. Nous ne nous sommes pas souciés de la convenance de quiconque. Nous souhaitons seulement que les Français puissent exercer un choix éclairé, quel que soit le sens dans lequel ils voudront l'exercer.

Pourquoi, du reste, attacher une si grande importance à ce calendrier ? La raison en est d'abord la logique institutionnelle de la Ve République. Le Président de la République est la clef de voûte de nos institutions. Il est élu par tous les Français. Il est normal que son élection précède les 577 élections des députés de l'Assemblée nationale, et ne puisse être influencée par elles.

De plus, le second tour de l'élection présidentielle apporte un ciment à la majorité parlementaire, qui se forme dans les élections législatives ultérieures. Ainsi, le délitement d'une majorité, née d'un accord électoral entre seuls partis politiques, peut-il être évité et la stabilité gouvernementale est assurée par la majorité présidentielle.

L'expérience de la Ve République -M. Rocard et moi pouvons en témoigner- montre que l'on gouverne moins difficilement avec une majorité relative, dont la loyauté résulte de sa solidarité avec le Président de la République élu aussitôt avant elle, qu'on ne le fait avec une majorité absolue élue avant le Président, qui se divise dans la poursuite des intérêts de ses composantes, quand une fraction de cette majorité n'en vient pas à mener une action critique de tous les instants contre le Président de la République lui-même ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Evitons donc d'inoculer à nos institutions par la conjugaison du hasard et de fragiles calculs électoraux, le poison d'une division paralysante pour l'avenir.

J'ajoute qu'à la suite d'une longue période de cohabitation, qui aura vu l'affaiblissement sensible de la fonction présidentielle, le renvoi de l'élection présidentielle après les élections législatives, ne manquerait pas de l'affaiblir encore davantage. L'élection présidentielle deviendrait un simple appendice des législatives. Certains peuvent y voir l'occasion de revenir à un régime complètement parlementaire. Nous en avons fait dans le passé une regrettable expérience. Je doute que les Français admettraient une telle évolution, à moins que l'élection du Président de la République au suffrage universel leur soit retirée... Je pense, comme le président Giscard d'Estaing, que nous devons conserver les bonnes institutions que la Ve République nous a données, même si cet ensemble peut être adapté et corrigé de certaines rigidités.

Enfin, l'ordre actuel des élections prévues pour 2002 est absurde. Qui dirigera le pays durant les deux mois séparant les élections législatives de l'élection présidentielle ? Au soir des législatives, il faudra ou bien que l'actuel Premier ministre reste en fonctions, même s'il a essuyé une défaite, ou bien que le chef de l'Etat -qui sera lui-même à la veille de la fin de son mandat- nomme pour deux mois un successeur. Si, par ailleurs, le leader du camp perdant aux législatives décide de ne pas être candidat à l'élection présidentielle, qui pourra le remplacer dans un délai si court ? Et ces quelques interrogations n'épuisent pas le lot de surprises qu'un calendrier électoral aussi saugrenu ne manquerait pas d'apporter.

Telles sont les raisons qui militent pour que le calendrier de 2002 soit remis à l'endroit. Michel Rocard et moi-même avons pensé que le retour à l'ordre normal se justifiait fondamentalement par une logique institutionnelle éprouvée, à laquelle nous sommes attachés, et qu'il était préférable au scénario actuel, qui ne peut être maintenu que par convenance.

Certes, cette proposition de loi ne résout pas le problème de manière définitive. C'est vrai qu'il eût été préférable de le faire et on aurait pu profiter à cet effet du débat sur le quinquennat. Mais il en a été décidé autrement et ce n'est pas parce qu'on ne règle pas toutes les situations qu'il faut décider de n'en régler aucune. La proposition de loi présentée apporte une solution durable, sauf accident. Nul ne peut prévoir qu'il neigera le 15 août (Sourires sur divers bancs). Ne compliquons pas une question simple. L'essentiel est aujourd'hui que les élections législatives soient postérieures à l'élection présidentielle, conformément à la logique institutionnelle de la Ve République.

Ainsi les Français pourront-ils voter la « tête à l'endroit » (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - La parole est à M. Hervé de Charette, auteur de la proposition de loi organique relative à l'organisation des élections présidentielles et législatives.

M. Hervé de Charette - La proposition de loi que j'ai déposée diffère de la plupart des autres par le mécanisme qu'elle prévoit pour changer le calendrier électoral. Je propose en effet que chaque fois qu'il est prévu que l'élection législative ait lieu dans les six mois qui précèdent une élection présidentielle, elle soit automatiquement reportée dans les quarante-cinq jours qui suivent cette élection présidentielle. J'ai la faiblesse de penser que ce mécanisme possède quelques vertus, bien qu'il soulève plusieurs interrogations sur le plan constitutionnel. Nous verrons, au cours du débat, s'il y a lieu de le retenir. Quoi qu'il en soit, je voudrais vous faire part des quelques réflexions qui me viennent à l'esprit à l'issue de douze heures de discussions et non sans avoir hésité à prendre la parole après l'intervention remarquable de M. Barre.

Le présent débat est la suite logique du référendum sur le quinquennat, sans lequel, la question du calendrier se serait sans doute posée en d'autres termes. Mais, dès lors qu'on a décidé d'aligner la durée du mandat présidentiel sur celle de la législature et qu'en raison de circonstances fortuites, les deux prochaines élections auront lieu à quelques semaines d'intervalle, il est clair que la situation qui va se produire en 2002 se reproduira quasi automatiquement tous les cinq ans. Comment ne pas réagir devant une hypothèse hautement probable à laquelle n'avaient pas songé ceux qui, comme moi, plaidaient pour le quinquennat mais qui serait obligatoirement lourde de conséquences pour les institutions ? Nous ne pouvons par conséquent éluder cette question de calendrier.

Deuxièmement, si on nous avait autorisé à discuter au moment où l'on a adopté le quinquennat, au lieu de nous couper le sifflet... (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF et plusieurs bancs du groupe socialiste)

M. Gérard Gouzes - Accusez-en Chirac !

M. Hervé de Charette - Vous non plus ne souhaitiez pas cette discussion ! Mais si on nous l'avait permise et qu'on avait autorisé des amendements, cette question est de celle que nous aurions posée et nous aurions évidemment adopté une position de bon sens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Au terme de ces douze heures de débat, je n'ai pas encore entendu un seul argument de fond justifiant le maintien du calendrier actuel : tout au plus des contorsions juridiques, habiles et parfois remarquables d'intelligence. Et si ni moi ni personne ne les avons entendus, c'est qu'ils n'existent pas (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) et que le bon sens, la logique, l'esprit de nos institutions, l'efficacité de la République, le respect de la fonction présidentielle, tout exige au contraire que l'élection du Président de la République précède celle des députés !

On accuse ceux qui défendent cette thèse d'avoir des arrière-pensées et il est vrai qu'en politique, il est fréquent que les pensées s'accompagnent d'arrière-pensées. Il arrive même qu'il y ait des arrière-pensées sans pensée du tout (Rires). En l'espèce cependant, je crains fort que ceux qui ont des arrière-pensées soient ceux qui, s'étant longtemps présentés comme les gardiens du temple et les héritiers des pères de la Constitution, nous proposent aujourd'hui de garder le calendrier « la tête à l'envers », selon l'expression très juste de M. Barre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe socialiste)

Si par malheur nous laissions ce calendrier en l'état, je redoute aussi que les Français ne nous le reprochent.

M. Gérard Gouzes - Très bien !

M. Hervé de Charette - En effet, dans peu de semaines, ils se retrouveront devant une situation incompréhensible, illogique, qui posera beaucoup de problèmes juridiques et quelques autres encore, comme l'a dit aussi M. Barre. Le débat politique aura été compliqué et obscurci par la faute des parlementaires. Je ne veux pas être de ceux qui y contribueront et je suis sûr que vous serez une majorité à le refuser de même ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Ce débat est un débat sérieux. On ne saurait donc admettre les pressions ni l'emploi de noms d'oiseaux, comme cela a été le cas ici et là. Nous assisterons à des prises de position paradoxales : nous verrons les gaullistes qui ont défendu la Constitution dès l'origine et les communistes, qui l'ont attaquée dès l'origine aussi, se liguer pour défendre ce calendrier à l'envers ! Etrange rapprochement. Puissions-nous plutôt nous montrer capables de débattre de ce sujet en le considérant non comme un terrain d'affrontement entre la gauche et la droite, mais comme une occasion de réfléchir à la meilleure façon de permettre aux Français de s'exprimer en 2002 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. le Président - La parole est à M. Gouzes, auteur de la proposition de loi organique relative à la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.

M. Gérard Gouzes - Je ne suis pas de ceux qui se déclarent héritiers du général de Gaulle mais, parce que j'ai vécu, même encore assez jeune, les dernières années de la IVe République, je sais quel degré de dysfonctionnement avait atteint le parlementarisme de cette période et je n'ai donc aucun complexe à défendre la stabilité à laquelle visent les institutions de la Ve. Je ne suis sans doute pas le seul d'ailleurs à partager l'avis de personnalités autorisées qui, dès les années cinquante, s'alarmaient d'une instabilité préjudiciable : voyez les comptes rendus des séances de l'Assemblée du 24 mai 1955 et vous constaterez qu'on y discutait déjà de propositions de résolution sur la révision de la Constitution, émanant de MM. Leroy-Ladurie, Jacques Duclos, Paul Reynaud... Vous y trouverez aussi des remarques éclairantes pour aujourd'hui qui réduisent à peu de choses le propos médiocre selon lequel nous ne chercherions que notre convenance personnelle.

Devrai-je rappeler en quels termes Léon Blum défendait les systèmes de type américain qui, selon lui, se fondaient sur la séparation et l'équilibre des pouvoirs en assurant au pouvoir exécutif, dans sa sphère propre d'action, une autorité indépendante et continue ? « Ces systèmes », disait-il, « créent des pouvoirs stables et ont, par surcroît, le grand mérite de substituer la notion réelle du contrôle, à la notion un peu illusoire de la responsabilité, qui a toujours joué un trop grand rôle dans notre pays ».

Trop de parlementarisme sous la IIIe et IVe République, trop peu sous la Ve : le débat a eu lieu ce matin et nous aurons l'occasion de le reprendre. Mais, aujourd'hui, nous avons tous compris que la véritable convenance personnelle est de ne rien faire pour changer le résultat de deux hasards malheureux : la mort du Président Pompidou le 2 avril 1974 et la date choisie par le Président de la République pour dissoudre l'Assemblée nationale en 1997. Funeste décision pour celui qui, l'ayant prise sans en mesurer l'effet pour 2002, reste en définitive le seul responsable de la situation dont nous débattons.

Donc, pour la première fois à intervalle aussi court, les élections législatives devraient avoir lieu, contre le bon sens le plus élémentaire, juste avant l'élection présidentielle. Selon l'article L.O. 121 du code électoral, les pouvoirs de l'Assemblée expirent à l'ouverture de la session ordinaire d'avril de la cinquième année qui suit son élection et, aux termes de l'article suivant, sauf cas de dissolution, les élections générales ont lieu dans les 60 jours qui précèdent cette expiration. Par conséquent, notre législature devait être renouvelée entre le 3 février et le 31 mars 2002, n'ayant duré que 4 ans et 8 mois !

L'élection du Président de la République doit, elle, avoir lieu 20 jours au moins et 35 jours au plus avant l'expiration de ses pouvoirs, c'est-à-dire au plus tôt le 14 avril et au plus tard le 28 avril 2002.

Chacun voit bien que l'organisation même de cette deuxième élection empiétera largement sur celle des législatives, qui seraient terminées quinze jours avant le premier tour de la présidentielle, c'est-à-dire après la clôture des présentations prévues par la loi du 6 novembre 1962. Autrement dit, la liste de ces parrainages pourrait être contestée, devenir incomplète du fait du résultat des élections législatives, sans aucune régulation possible ! De surcroît, la liste des candidats devrait être arrêtée avant même de connaître le résultat des élections législatives.

Tout cela, Lionel Jospin ne le dit pas pour sa convenance : d'autres avant lui ont réclamé la correction de ce calendrier « dingo », selon le mot de M. Bayrou ; et nul ne peut suspecter leur désintéressement. Le Président de la République lui-même a été obligé de le reconnaître, lors de sa dernière interview : le principe de la primauté de l'élection présidentielle s'impose, même s'il n'a pu admettre que ce principe soit appliqué dès 2002.

Sous la IIIe et la IVe République, les Français élisaient d'abord les députés ; qui élisaient à leur tour, à Versailles, le Président de la République. Aujourd'hui, celui-ci est élu au suffrage universel. Qui souhaiterait faire passer cette élection au deuxième plan ? Qui voudrait faire soumettre la volonté du peuple tout entier à la plus ou moins bonne manière d'une assemblée élue quelques jours auparavant ? Sur la base de quelle majorité et pour quels objectifs le Président sortant choisirait-il un Premier ministre que devrait supporter son successeur, élu quelques jours plus tard ? Qui empêcherait le nouveau Président de dissoudre une assemblée vieille de deux mois seulement ?

Ne voyez-vous pas que laisser les choses en l'état serait prendre la responsabilité de toutes les confusions, de tous les dangers pour la démocratie ? Ne croyez-vous pas que vous mettriez en péril l'élection même du Président au suffrage universel cependant que l'accroissement légitime des pouvoirs de contrôle et d'investigation de notre assemblée ne peut s'envisager qu'entre « un chef de l'Etat et un Parlement séparés, encadrant un gouvernement issu du premier et responsable devant le second », pour reprendre la formule employée par Michel Debré le 27 août 1958 ?

Ne voyez-vous pas -et je me tourne, en disant cela, vers certains de mes collègues- que l'idée d'introduire une dose de proportionnelle n'aurait aucune chance d'aboutir un jour si nous ne respections pas le bon sens et la logique en nous assurant, au préalable, de la réalité d'un pacte majoritaire scellé devant le peuple plutôt que dans la salle des Pas perdus du Palais-Bourbon ?

Pourquoi la Constitution évoque-t-elle le président de la République dans son titre II et le Parlement dans son titre III, sinon parce que la majorité parlementaire découle normalement de la majorité présidentielle ? Certains s'inquiètent que le rétablissement du calendrier normal ne renforce le caractère présidentialiste des institutions. Il n'en est rien : en quoi le maintien de l'actuel calendrier remettrait-il en cause la maîtrise de l'ordre du jour, l'écrasant totalitarisme de l'article 49-3, l'arsenal contraignant dont dispose le Gouvernement grâce aux articles 40 à 44 ? En quoi le Parlement aurait-il plus de pouvoirs ? Nous continuerions à garnir nos « niches », resterions en quête d'une plus grande autonomie, et ne ferions qu'ajouter la confusion à la faiblesse de notre condition.

Opposer les deux facettes, présidentielle et parlementaire, de notre République, s'opposer au rétablissement d'une logique qu'une majorité de nos concitoyens comprennent parfaitement, c'est se tromper non seulement de débat, mais encore d'époque et de République. A ceux qui s'opposeraient par calcul politicien, par manque de confiance dans leur champion, ou tout simplement par esprit de système, je rappellerai que la proposition de loi qui nous est soumise émane de tous les bancs de cette Assemblée...

M. Alain Clary - Pas des nôtres !

M. Gérard Gouzes - Comme le déclarait un ancien ministre du général de Gaulle, Raymond Triboulet, « il est surprenant de voir les partis intervenir dans ce débat en dépit du bon sens, mais l'exemple vient d'en haut... Ayant toujours combattu la gauche, je rends hommage à Lionel Jospin qui, conformément au principe de la Vème République, veut donner la priorité à la future élection présidentielle. » L'on me permettra d'ajouter que telle a été aussi l'interprétation du président François Mitterrand, qui a su, en 1981 comme en 1988, faire suivre immédiatement l'élection présidentielle d'élections législatives.

C'est pourquoi nous avons considéré comme étant de notre devoir de déposer des propositions de loi rétablissant, sans qu'il y ait man_uvre ni convenance quelconque, la logique républicaine qui annonce, chacun le pressent désormais, l'indispensable modernisation des institutions que le pays attend (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Noël Mamère - Nous avons débattu, dans une précédente séance, de l'avenir de nos institutions. Ce débat, sans vote et probablement sans lendemain, n'a pas été inscrit à notre ordre du jour parce que le gouvernement aurait été saisi d'une subite frénésie réformatrice en matière institutionnelle, mais parce qu'un groupe de l'opposition en a fait le préalable à son vote en faveur de l'inversion du calendrier. Voilà pourquoi nous sommes passés, en une journée, d'un débat aussi riche que précipité à l'examen d'une proposition de loi étriquée. Ce n'est pas ce qui s'appelle finir en beauté !

L'actuelle majorité a été élue sur un programme de changement, qui concernait, certes, la politique économique et sociale, l'environnement, l'éducation, les transports, la justice, la sécurité, les impôts, mais aussi la démocratisation de nos institutions. Or, force est de constater que 2000 aura été, en la matière, l'année des occasions manquées. Notre pays aurait pu, en effet, profiter du débat sur le quinquennat et de la présidence française de l'Union européenne pour enclencher un processus débouchant sur des réformes de grande ampleur, sanctionnées -rêvons un peu- par un référendum tel que celui par lequel le président Mitterrand fit approuver, en 1992, le traité de Maastricht.

Il faut malheureusement se rendre à l'évidence : notre République, sclérosée et à bout de souffle (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR), est bien loin d'un quelconque rêve démocratique. L'actuel président est à distance sidérale de ses prédécesseurs, qu'il s'agisse de François Mitterrand ou de Charles de Gaulle. L'héritage de ce dernier est d'ailleurs d'autant plus revendiqué qu'il a été dilapidé : depuis 1976, date de la création du RPR, Jacques Chirac s'acharne en effet à enterrer le gaullisme ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR)

De la volonté réformatrice et des grands débats soumis à l'arbitrage des Français, on est passé à l'inauguration permanente des chrysanthèmes, et c'est sans doute en matière institutionnelle que le poison de la cohabitation, synonyme de neutralisation, a été le plus vénéneux. Le droit de vote des étrangers, approuvé par notre Assemblée à l'initiative des Verts, est toujours dans les tiroirs du Gouvernement, qui répugne à présenter ce texte au Sénat. Le débat sur le quinquennat a été organisé dans des conditions scandaleuses, le Parlement étant muselé sur ordre du Président (Protestations sur les bancs du groupe du RPR). Le projet sur la transparence nucléaire n'a pas quitté le placard des promesses gouvernementales, et je ne reviens pas sur les conditions dans lesquelles fut adoptée la loi sur la chasse... Mais le comble de l'absurdité a été atteint avec la réforme de la justice, réforme voulue un temps par le président de la République, puis bloquée par son propre parti !

Pour tout ce qui touche à la Constitution, le Premier ministre a fait le choix clair de ne pas s'opposer à un président particulièrement conservateur -qui dispose, il est vrai, de quelques armes pour bloquer les initiatives réformatrices. Seul le quinquennat a pu être adopté, grâce à l'action conjuguée du Gouvernement et d'un ancien Président de la République, dont la rancune est décidément tenace... Le même schéma semble d'ailleurs se reproduire pour l'inversion du calendrier électoral de 2002.

Les Verts, pour leur part, se sont toujours situés résolument dans le camp de la réforme, et en constituent même l'avant-garde pour tout ce qui a trait aux institutions. Nous considérons en effet que la démocratie participative est une condition nécessaire du développement durable. Les institutions de la Ve République ont certes démontré, en plus de quarante ans, leur capacité à garantir la stabilité institutionnelle, et que cet objectif ait été atteint n'est guère étonnant, tant était forte l'aspiration des citoyens à la stabilité après les errements du régime précédent. Mais la cohabitation, qui semble devenue la règle, puisqu'elle aura été pratiquée pendant neuf ans -sur seize- entre 1986 et 2002, aurait été violemment rejetée par les pères fondateurs de la Constitution.

Au reste, les tares de cette dernière demeurent : faible séparation des pouvoirs, poids excessif du président de la République, prérogatives réduites du Parlement, sous-développement des contre-pouvoirs, cumul des mandats, injustice des modes de scrutin, tutelle partielle de l'exécutif sur la justice, décentralisation lacunaire. Nous autres parlementaires ne sommes d'ailleurs pas les mieux placés pour nous plaindre de cet état de fait : l'actuel Gouvernement a certes fait un effort pour réserver un certain nombre de séances à nos initiatives législatives, mais le mot même de « niches », qui désigne ces séances, montre bien dans quelle considération est tenu le Parlement !

L'essentiel du pouvoir législatif est concentré dans les mains du Gouvernement, et plus le temps de débat est long, plus notre influence sur les textes de loi est faible. La procédure budgétaire l'illustre de façon caricaturale : pour des semaines de discussion, jour et nuit, combien d'amendements parlementaires sont adoptés, et quelle proportion des crédits modifiée ? Le fameux article 40 nous interdit même de voter une dépense ou de baisser les impôts sans l'accord du Gouvernement ! Quant à nos propositions de loi, celles qui aboutissent ne portent que sur des sujets mineurs : la chasse, le label des boulangers, ou encore les grades du judo ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR) Lorsqu'il s'agit de textes plus importants, ils restent souvent bloqués aux portes du sénat, comme la très intéressante proposition d'Alain Tourret sur la détention provisoire ou celle, que nous avons fait adopter, sur le vote des étrangers.

Bref, le constat est accablant. La devise de la Ve République pourrait être formulée ainsi : « laisser le Président présider, le Gouvernement gouverner, le Parlement parler » -c'est d'ailleurs ce que nous nous sommes contentés de faire ce matin. La kyrielle des affaires politico-financières ne fait que s'ajouter à cette longue liste de graves dysfonctionnements, transformant peu à peu la crise politique en crise de régime. Cela n'est guère étonnant si l'on considère que la Ve République, depuis 1958, n'a été réformée qu'à la marge, ou bien de l'extérieur : par les lois de décentralisation d'une part, par la construction européenne de l'autre.

Aujourd'hui, l'attente de nos concitoyens est de plus en plus forte. Trop d'entre eux sont découragés, et désertent les bureaux de vote. Nous ne pouvons ni nous en satisfaire, ni répondre à cette crise de régime par une obscure réforme de calendrier, qui ne ferait que creuser un peu plus encore le fossé entre nos concitoyens et la politique. Nous combattons la Ve République en tant que telle, indépendamment du calendrier. Nous craignons même que son inversion ne renforce encore davantage la présidentialisation du régime, qui n'en a vraiment pas besoin.

Nous pensons qu'il faut refonder la République, ni plus ni moins (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). Il s'agit de construire une démocratie participative, ouverte et citoyenne, en mettant en _uvre les principes fondamentaux chers aux philosophes des Lumières : séparation et équilibre des pouvoirs, élection de tous les responsables au suffrage universel direct, représentation de toutes les sensibilités politiques dans toutes les Assemblées, respect des droits des minorités, extension des possibilités de référendum et d'intervention directe des citoyens dans les processus de décision.

M. Arthur Dehaine - Vaste programme !

M. Noël Mamère - Pour concrétiser tous ces principes, le temps est venu de construire une VIe République, et nous faisons une série de propositions simples : durée unique de cinq ans pour tous les mandats, Sénat inclus ; élection des députés pour moitié à la proportionnelle pour moitié au scrutin majoritaire ; élection des sénateurs au suffrage universel direct et à la proportionnelle intégrale dans le cadre des régions ; interdiction du cumul des mandats ; droit de vote pour les résidents étrangers, extension des possibilités de référendum, statut de l'élu.

Les effets déformants des modes de scrutin doivent être réduits autant que possible. Or, notre assemblée dite « représentation nationale », est bien éloignée de la réalité politique du pays. Et quelle peut être la légitimité du Parlement s'il est réservé aux représentants de quelques partis, qualifiés de grands, du fait du poids de l'histoire ? Plusieurs partis sont totalement exclus de l'Assemblée nationale, d'autres sensibilités sont notoirement sous-représentées. Si nous voulons réellement faire avancer la démocratie dans notre pays, nous ne pouvons pas faire l'impasse sur ce problème.

Longtemps, on a objecté à cela que le mode de scrutin proportionnel ne garantissait pas la stabilité gouvernementale. D'abord, ce n'est pas toujours vrai, et même si cela était vrai, faut-il choisir l'ordre au détriment de la justice ? Quelques exemples historiques récents. Le scrutin proportionnel n'a pas empêché qu'une majorité se dégage en 1986 et gouverne ensuite sans la moindre instabilité. Au contraire le scrutin majoritaire, rétabli en 1988, n'a pas produit de majorité stable.

Nous ne méconnaissons pas néanmoins certains inconvénients du scrutin proportionnel. C`est pourquoi nous sommes favorables à un système mixte, qui garantirait la représentation de tous les courants politiques à l'Assemblée nationale, sans tomber dans l'instabilité gouvernementale. Pour le Sénat, nous proposons qu'il devienne une véritable chambre des régions, élue au suffrage universel direct.

Par ailleurs, il est de bon ton de dire qu'on ne peut pas, pour des raisons d'éthique démocratique, modifier le mode de scrutin moins d'un an avant une élection. A cet égard, n'aurions-nous pas mieux fait de modifier le mode de scrutin régional avant les dernières élections plutôt qu'après ? Nous aurions gagné six ans ! Du reste, si nous envisageons de modifier le calendrier électoral, pourquoi refuser encore la refonte du mode de scrutin législatif ?

On dit souvent qu'il faudrait pour cela un consensus large, dépassant les frontières de la majorité. Mais cette condition-là est remplie aujourd'hui. L'UDF a rappelé le 4 décembre qu'elle souhaitait une dose de proportionnelle. Alain Madelin, président de Démocratie libérale a fait de même le 26 novembre. Le PCF y a toujours été favorable, et les radicaux avaient cosigné l'amendement des députés verts lors du débat sur le quinquennat. Même Charles Pasqua, qui avait rétabli le scrutin majoritaire en 1986, s'est déclaré partisan d'un mode de scrutin mixte. Quant au Parti socialiste, son programme a toujours été sans ambiguïté. Plus rien ne s'oppose donc à l'adoption d'un mode de scrutin mixte pour les législatives.

Au-delà de la question des modes de scrutin, la République peut être revivifiée par un accroissement de la démocratie directe. Nous souhaitons des référendums plus fréquents sur les sujets les plus variés -par exemple, sur la sortie du nucléaire. La principale vertu du référendum est d'instaurer dans le pays un vrai débat et de trancher des débats dans lesquels certains intérêts particuliers font échec à l'intérêt général -l'histoire ayant montré que les assemblées et les gouvernements sont sensibles à certains lobbies.

Seul un bon « dosage » entre démocratie directe et démocratie représentative permet l'exercice d'une démocratie équilibrée et vivante. Une démocratie directe permanente conduirait à remplacer la démocratie par la démagogie. Mais une démocratie exclusivement représentative revient à confisquer aux citoyens la plus grande part de leur pouvoir de décision.

Les modes de scrutin, la durée des mandats, leur non-cumul, la question du référendum ou du droit de vote des étrangers, sont autant de points fondamentaux pour l'avènement d'une démocratie réelle dans notre pays. Même si elles n'intéressent que les spécialistes de la politique, ces réformes sont incontournables si l'on veut rapprocher les citoyens de la politique. Elles sont autant de préalables à l'émergence de nouveaux responsables politiques et de nouvelles pratiques démocratiques.

A la lumière de ces propositions, on se rend mieux compte du caractère circonstanciel de la proposition de loi qui nous est soumise. Nos institutions méritaient plus de considération, et nous ne voulons pas cautionner cette démarche que nous jugeons politicienne. Parce que nous plaidons pour une VIe République, adossée aux pouvoirs du Parlement, nous voterons résolument contre cette proposition.

M. Dominique Bussereau - Le groupe DL votera, dans sa totalité, contre l'inversion du calendrier, parce que c'est une réforme d'arrangement personnel, détournant l'esprit de la Constitution et déséquilibrant les pouvoirs au détriment du Parlement.

Arrangement personnel, disais-je, pour le Premier ministre plutôt que pour les députés socialistes...

M. Gérard Gouzes - C'est Raymond Barre qui a fait la proposition !

M. Dominique Bussereau - Dans la chaleur du congrès de Grenoble, Lionel Jospin est revenu sur ce qu'il disait auparavant, et selon l'IFOP la grande majorité des Français ont bien compris que c'était une man_uvre politique.

M. Gérard Gouzes - Ils sont d'accord !

M. Dominique Bussereau - C'est une note interne au PS, désormais fameuse, qui a rappelé certaines réalités, les triangulaires de 1997 notamment. (M. Gérard Gouzes s'exclame) Il est vrai qu'en matière politicienne, vous avez été à l'école de M. Mitterrand.

Ces propositions détournent d'autre part l'esprit de la Constitution. Il faut à cet égard distinguer le schéma de 1958 de celui qui s'est imposé après 1962. A l'origine, le chef de l'Etat devait être au-dessus des partis, il n'avait pas les moyens de gouverner mais jouait le rôle d'un arbitre assurant la continuité de l'Etat -je pourrais vous citer des propos fort explicites à cet égard de Guy Mollet, de Pierre Pfimlin ou de René Cassin : le président ne recevait de pouvoirs plus larges qu'en période exceptionnelle. Dans la pratique, il est vrai, nous avons eu une lecture gaullienne de la Constitution, surtout après 1962. Mais depuis, l'esprit de la Ve République s'est modifié, il y a eu trois cohabitations au cours desquelles le Premier ministre gouverne, le Président de la République se bornant à assurer la continuité des institutions. Cette situation n'est pas exceptionnelle : sur les vingt dernières années, la moitié ont connu la cohabitation. C'est donc bien la Ve République qui a changé. Même hors de la cohabitation d'ailleurs, le Président peut se détacher du pouvoir. On a bien vu M. Mitterrand prendre une distance, au cours de son deuxième septennat, avec la gestion quotidienne. Les choses changent : le général de Gaulle présidait, lui, les comités interministériels où l'on décidait de la mixité dans les résidences universitaires, grand thème qui a déclenché les événements que l'on connaît, ou du prix du ticket de métro. C'était une autre époque.

Ce qui nous importe, c'est le déséquilibre que l'inversion du calendrier provoquera. Placer les élections présidentielles systématiquement avant les législatives marque un pas en avant vers le régime présidentiel. Le seul motif qui anime M. Jospin est de soumettre toute la vie politique française à l'élection d'un seul homme. C'est l'exécutif qui fabrique la majorité et non les Français.

C'est un mauvais coup porté à la démocratie, car c'est au Parlement que doivent être arbitrés les enjeux majeurs -notamment européens. M. le ministre a beaucoup parlé de l'extraordinaire sens démocratique du Gouvernement. Il a oublié de dire que les niches parlementaires de l'opposition étaient systématiquement bloquées par des votes négatifs et que ses droits n'avaient jamais été aussi peu respectés. Il est vrai que, depuis 1997, vous n'avez rien fait pour soutenir le Parlement. La semaine dernière encore, vous demandiez l'habilitation pour transposer par ordonnance une cinquantaine de directives européennes dont certaines concernaient des sujets aussi importants que la sécurité alimentaire ou Natura 2000.

M. Bernard Roman, président et rapporteur de la commission des lois - Et dont 32 dataient d'avant 1997 !

M. Dominique Bussereau - Il n'empêche que la méthode n'est pas correcte, et votre rapporteur lui-même l'a dit. Et que dire de la présentation du projet de loi sur la Corse à l'assemblée de Corse avant même que les parlementaires nationaux ne soient saisis ?

M. le Président de la commission - C'est la loi !

M. Dominique Bussereau - M. Fabius annonce un plan de baisse d'impôts placebo et le Parlement n'y est aucunement associé !

M. Daniel Marcovitch - Quelle importance s'il ne s'agit que d'un placebo ? (Sourires)

M. Dominique Bussereau - La procédure budgétaire ne nous donne pas les moyens de savoir ce que nous votons. Et dans l'affaire extraordinaire du PACS, vous vous êtes joués de l'ordre du jour en réinscrivant le texte alors qu'une exception d'irrecevabilité avait été adoptée... Il faut y ajouter la mondialisation qui permet à l'exécutif de prendre dans les négociations internationales des décisions qui s'imposent ensuite au législatif.

Le quinquennat, que nous considérons comme une modernisation indispensable, renforce les conséquences de la coïncidence entre majorité présidentielle et parlementaire. Les libéraux, dans l'opposition, et même sur vos bancs, n'ont pas envie de devenir une chambre d'enregistrement. Par ailleurs, en affaiblissant le Parlement, vous allez encore revigorer l'administration -et pour vous, cela a toujours été elle d'abord, et les Français ensuite...

M. le Président de la commission - C'est caricatural.

M. Dominique Bussereau - Réduire la vie politique à l'élection d'un seul, c'est donner un coup de canif à l'idée de démocratie représentative.

Vous affirmez que les législatives ne sont que l'addition de 577 élections d'où ne se dégage aucune majorité, que seule la bipolarisation de la présidentielle permet de faire émerger. Mais au contraire, il est indispensable, pour gagner, de faire l'union dans chacune des 577 circonscriptions alors que la présidentielle est l'occasion pour les petits partis de présenter un candidat.

Pour toutes ces raisons, nous sommes donc très opposés à l'inversion du calendrier. Chacun doit peser les conséquences de sa position. Sacrifier l'équilibre des institutions sur l'autel de l'opportunisme n'est certainement pas le meilleur moyen de réhabiliter la politique. Mais si les partisans de l'inversion sont sincères, qu'ils aillent au bout de leur raisonnement et qu'ils proposent, comme M. Mamère l'a fait courageusement, un projet alternatif à la cinquième République ! Autrement, nous sommes dans l'ordre de la convenance et de l'arrangement, non du débat démocratique (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et sur quelques bancs du groupe UDF).

M. Michel Hunault - Le fait que les législatives précèdent en 2002 la présidentielle n'a pas posé le moindre problème jusqu'au congrès du parti socialiste de Grenoble. Le revirement soudain du Premier ministre s'apparente à une man_uvre de basse politique. Les Français restent d'ailleurs sceptiques : 30 % souhaitent l'inversion et 40 % préfèrent l'ordre actuel. Le 19 octobre, le Premier ministre reconnaissait que si l'esprit des institutions voudrait que la présidentielle ait lieu d'abord, toute initiative de sa part serait interprétée comme une man_uvre politicienne. Pourquoi alors avoir attendu la clôture du congrès pour dire le contraire ? Parce que le calendrier menaçait de tourner à votre désavantage, l'éclatement du Front national entraînant la disparition des triangulaires et l'union de l'opposition étant très forte. Si l'opposition n'est pas unanime sur la question du calendrier, vous n'arriverez pas pour autant à semer la pagaille dans ses rangs. Le débat doit bien avoir lieu, mais pas à la sauvette. On a beaucoup parlé de l'esprit des institutions voulues par le général de Gaulle. Le RPR n'a aucune leçon de gaullisme à recevoir de ceux qui ont toujours combattu le général (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du RPR).

Si le Premier ministre a changé sa position, c'est un coup politique ; alors, qu'on cesse de nous parler de l'esprit des institutions !

Dans l'exposé des motifs de la proposition, on évoque le rétablissement du rythme de la cinquième République. Mais en 1958, 1968 et 1973, les élections législatives ont précédé la présidentielle, et rien ne garantit que l'inversion permettra à coup sûr la coïncidence des majorités. Votre raisonnement repose sur l'exemple de 1981, qui présentait un contexte d'alternance particulier. Mais en 1988, il s'en est fallu de rien pour que la droite ne l'emporte et il est peu probable que ne se reproduisent aujourd'hui des effets de surreprésentation majoritaire.

En réalité, M. Jospin veut affaiblir le Parlement. Un exemple récent de la pratique gouvernementale : la loi d'habilitation autorisant le Gouvernement à transposer par ordonnances une cinquantaine de directives, dont plusieurs auraient mérité un vrai débat, a été qualifiée d'infamie à l'égard du Parlement par des parlementaires de la majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR). Et l'on voit, mois après mois, le sort qui est réservé aux propositions de l'opposition, alors que le Premier ministre ironise sur son manque d'initiative...

Nous travaillons pourtant beaucoup, mais votre majorité s'oppose à toute discussion sur des thèmes comme la participation, la sécurité ou la famille.

Vous voulez faire de l'élection présidentielle l'alpha et l'oméga de la vie politique. M. Hue a parlé d'un exécutif surpuissant et d'un Parlement abaissé. Si l'on y ajoute le quinquennat, l'élection présidentielle va laminer les petits partis et mettre à mal le pluralisme. Vous affirmez que les législatives assureront une majorité conforme à celle des présidentielles. Personne ne peut le garantir. La cohabitation a été souvent critiquée dans ce débat, mais ce sont les Français qui l'ont voulue ! Elle aura au moins eu le mérite de nous faire vivre une démocratie apaisée et personne ne souhaite le retour à la présidentialisation du régime.

La cohabitation a-t-elle empêché le Gouvernement de gouverner ? Il est clair que non. Elle a rendu son sens à l'élection législative : former une majorité dont se dégage le Gouvernement.

Le débat sur le calendrier et les arrière-pensées du Gouvernement vont à l'encontre du souhait, largement majoritaire chez les Français, d'un régime équilibré, moderne, qui accroisse les droits du Parlement et ne concentre pas les pouvoirs dans les seules mains du Président de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR ; rires sur les bancs du groupe socialiste). A la limite, l'ordre des élections importe peu. Les laisser dans leur ordre actuel n'est pas une offense à l'esprit de nos institutions, qui ont montré leur solidité et leur souplesse. Elles sont le fruit d'une longue réflexion : vous n'avez pas le droit de les modifier au gré de vos intérêts électoraux. En fait, au printemps 2002, nous aurons une seule et même élection. Mais ne bouleversons pas le calendrier, car l'élection législative incite chaque camp à se rassembler autour d'un leader qui devient son candidat légitime à la présidentielle. Nous avons besoin d'un rééquilibrage en faveur du Parlement. Modifier le calendrier, c'est au contraire vouloir accroître les prérogatives du Président.

Si ce texte obtenait une majorité, et après la déclaration de M. Jospin, qui ressemblait à une déclaration de candidature, sachez que les députés gaullistes sont déjà mobilisés derrière le Président de la République. L'opposition travaille à construire une véritable politique alternative, dont les thèmes et les grands desseins sont tracés par le Président de la République lui-même. Dans son discours au Conseil régional de Bretagne, il esquissait une politique de proximité, une nouvelle étape de la décentralisation, une déconcentration de l'Etat. A La Haye il a prononcé un discours-programme, non pour la France seule mais pour toute l'humanité, en matière d'écologie et d'environnement. Dans son déplacement au Kosovo il incarnait l'exception française dans la grandeur de son rôle. Président de l'Union européenne, et le Premier ministre était à ses côtés à Nice, on lui doit des avancées considérables pour la construction d'un véritable espace européen, par l'élargissement vers des pays qui partagent nos valeurs démocratiques et éthiques. En 2002 les élections législatives et présidentielle seront chargées d'une même espérance. Il y a mieux à faire que de modifier le calendrier électoral, si l'on ne veut pas aggraver le discrédit de la classe politique aux yeux des Français. Ceux-ci préféreraient qu'on légifère sur l'essentiel : l'avenir des retraites, la modernisation de l'Etat, plus de moyens pour la justice, plus de sécurité... (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) L'impuissance du politique à résoudre les vrais problèmes des citoyens est une des causes de leur perte de confiance dans l'avenir. L'échéance de 2002, quelles que soient les dates, doit réveiller l'espoir dans l'avenir, car tel est le rôle du politique. Le Président de la République est au-dessus des partis et des clivages, tout en restant dans sa fonction lorsqu'il intervient quand l'essentiel est en jeu, comme dans le cas de la sécurité alimentaire. Nous serons derrière le Président de la République en 2002 (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et sur quelques bancs du groupe UDF).

M. Jean Vila - Pour l'opinion et le corps électoral, faire passer l'élection présidentielle avant les élections législatives apparaît inévitablement comme un jeu politicien, voire comme une man_uvre électorale lourde d'arrière-pensées. Il est vrai que les tergiversations des uns et des autres dans leurs prises de position n'ont guère contribué à la clarté du débat.

M. Yves Deniaud - C'est le cas de votre position de cet après-midi !

M. Jean Vila - A nos yeux, l'inversion du calendrier électoral est tout sauf un problème mineur et circonstanciel. Si nous souhaitons, comme le rapporteur, dédramatiser le débat, nous ne devons pas occulter le fait qu'il est de première importance, car il s'agit de l'avenir de nos institutions, ce qui implique un affrontement entre différentes conceptions de la République.

Certes, le débat entre démocratie et pouvoir personnel n'est pas nouveau. Depuis deux siècles il n'a cessé de resurgir dans notre vie publique.

La question de l'inversion du calendrier électoral, qui s'inscrit dans la continuité du quinquennat, renvoie aux origines de la Constitution de 1958, modifiée en 1962, qui instaurait un déséquilibre profond de nos institutions. L'excès des pouvoirs de la fonction présidentielle, renforcée par la légitimité populaire, et l'insuffisance des pouvoirs du Parlement ouvraient la voie à une dérive monarchique et à l'humiliation de la représentation nationale, aujourd'hui déshonorée par sa fonction subalterne.

Certains ici, souhaitent ouvertement aller plus loin et aggraver encore la présidentialisation du régime, en renforçant les pouvoirs du Président de la République. Nous aurions souhaité, pour notre part, que la gauche soit porteuse de réformes ambitieuses de nos institutions, qu'elle mette fin à ce déséquilibre entre l'exécutif et le législatif et rende sa souveraineté législative à l'Assemblée, élue sur la base d'une proportionnelle honnête, afin qu'elle puisse exercer pleinement ses missions de législation et de contrôle. Les députés communistes sont prêts à ouvrir sans tarder le chantier des réformes indispensables à la démocratie.

Hélas, on ne nous propose qu'une inversion du calendrier électoral afin que l'élection présidentielle précède les élections législatives. L'exposé des motifs de la proposition de loi socialiste, est limpide sur l'enjeu : « l'élection du Président de la République offre la possibilité de fédérer des forces autour d'un projet... qui est ensuite mis en _uvre par la nouvelle Assemblée nationale » Comment ne pas voir là une procédure qui vise à subordonner l'Assemblée nationale au pouvoir présidentiel ? Cette conception de la République est dangereuse pour la démocratie. Du reste, rien dans la Constitution ne donne la priorité à l'élection du Président sur celle des députés.

Pourquoi les législatives devraient-elles être le décalque d'une majorité présidentielle, née elle-même d'un coup de forceps imposé à la démocratie, en ce sens que deux candidats seulement peuvent être présents au second tour ? Ce rôle second que l'on veut attribuer à l'Assemblée nationale constitue un détournement des textes.

Les Français sont contre une République monochrome qui prétendrait leur tenir la main jusque dans l'isoloir. La vie est plus riche que les textes. Laissez lui le droit de s'exprimer. Le présidentialisme, ce n'est pas l'efficacité, mais l'irresponsabilité et le manque de transparence, l'impunité au service d'une bureaucratie conservatrice.

Mettre fin à la cohabitation ne saurait être un but en soi, et il n'y a pas lieu de s'enfermer dans une typologie convenue opposant régime présidentiel et régime parlementaire. Il faut au contraire chercher ce qui peut favoriser au mieux l'expression populaire. Respecter la volonté clairement exprimée du suffrage universel est un objectif majeur, qui ne doit être ni trituré, ni instrumentalisé. N'oublions jamais que le fait majoritaire procède de l'élection des députés.

L'inversion du calendrier favoriserait aussi une élection présidentielle qui se situerait au centre, et non entre la gauche et la droite. Nous voici revenus en 1988, quand le gouvernement Rocard cherchait d'abord l'accord du groupe centriste, et ensuite, faute de l'avoir obtenu, se tournait vers les communistes. Je ne crois pas qu'une majorité de troisième force, même circonstancielle, puisse conforter la démocratie.

Cette conception de la République est dangereuse pour l'exercice de la citoyenneté. En personnalisant, et en hiérarchisant les pouvoirs publics, en marginalisant le Parlement, on méconnaît le libre choix des électeurs, on perpétue la mise sous tutelle de l'Assemblée, on élargit le fossé déjà trop profond entre citoyens et politiques. Qui niera la crise politique profonde qui ronge notre pays ? Refuser l'inversion du calendrier, c'est aussi militer contre l'abstention massive, facilement critiquée en paroles, mais largement acceptée par tous ceux qui veulent personnaliser les choix, afin de perpétuer un système qui n'a rien à voir avec les aspirations profondes du pays.

Le rééquilibrage des pouvoirs publics institutionnels est une priorité démocratique absolue. Les députés communistes luttent pour une souveraineté nationale garantie par l'Assemblée ; celle-ci doit investir le Premier ministre et son gouvernement sur un programme contractuel et le Gouvernement doit être responsable devant elle, le Président de la République étant un arbitre au plein sens du terme.

L'avenir ne saurait résider dans une démocratie compliquée et incarnée. Les députés communistes voteront contre cette proposition qui relève d'un présidentialisme éclairé : on fait confiance à un peuple malvoyant, à condition de lui avoir d'abord balisé la voie à suivre...

Nous sommes convaincus que la gauche plurielle l'emportera aux législatives de mars 2002, parce que son bilan est convaincant, et pourrait l'être davantage encore si le cap du changement était maintenu et renforcé durant les dix-huit mois qui viennent. Si les partis de la majorité vont aux élections en exprimant à la fois leur originalité, mais aussi leur sens des responsabilités et de la coopération, le résultat sera plus clair quant au programme à appliquer. Ce sera un appui pour le Président de la République qui sortirait des urnes au second tour de mai 2002. Telle est la voie que la gauche doit suivre si elle veut donner un véritable élan à la démocratie (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Renaud Dutreil - D'abord une simple question : qui d'entre nous, il y a quelques mois, aurait imaginé que l'Assemblée terminerait ce siècle -moment symbolique, qui devrait nous conduire à regarder d'un _il neuf l'évolution du monde- par un débat aussi byzantin et microscopique ? C'est une manifestation supplémentaire de la distance entre une partie de la classe politique et les Français. Le fait que ceux qui parlent le plus d'écoute des citoyens, de renouveau de la démocratie, s'enferment avec empressement dans les arguties constitutionnelles, est lui-même un symptôme de cet éloignement.

Quel contraste ! D'un côté, les députés consacrent leur dernier débat du siècle à se voter un sursis de trois mois, et se déchirent sur un calendrier. De l'autre, les Français s'inquiètent de la vache folle, de l'accroissement des inégalités devant le pouvoir d'achat, la santé, l'éducation, des bouleversements climatiques... Bref, de tout sauf de ce qui nous occupe.

Je ne sais pas qui sont les scénaristes de cette fin de siècle politique mais on ne peut pas dire qu'ils aient le sens de l'histoire ! J'avais approuvé le Premier ministre lorsqu'il avait déclaré le 19 octobre dernier sur TF1 que toute initiative de sa part serait interprétée de façon trop étroitement politique voire politicienne mais je ne pouvais soupçonner alors qu'il tendait des verges pour se faire battre deux mois plus tard ! Sommes-nous en effet aujourd'hui devant autre chose qu'une initiative « étroitement politicienne » ? Nos concitoyens doivent savoir qu'il est ici des députés qui ne sont pas dupes de cette manipulation et qui ont assez d'égard envers la démocratie pour en respecter strictement les règles. Ce débat repose sur trop de malentendus pour être véritablement sincère.

Un malentendu constitutionnel : j'entends des experts ès Constitution répéter à l'envi, tel Saint-Eloi devant Dagobert, qu'il faut la remettre à l'endroit. Mais qu'est-ce que l'endroit de la Constitution ? Est-ce l'interprétation qui se plie le mieux aux intérêts personnels des uns et des autres ou le texte lui-même ? Or, le texte ne dit strictement rien sur l'ordre dans lequel doivent se présenter les élections présidentielles et législatives et c'est bien le malheur de ceux qui le tordent dans tous les sens depuis vingt-quatre heures !

La Constitution dispose en son article 20 que le Gouvernement conduit et détermine la politique de la nation et non de simples « modalités d'action politique » comme je l'ai entendu ce matin dans une bouche pourtant autorisée. La Constitution précise ensuite que le Gouvernement est responsable devant le Parlement et que les députés sont élus au suffrage universel direct. D'où une déduction simple : si les Français veulent changer de politique, ils doivent, aux termes mêmes de la Constitution, élire une nouvelle Assemblée. La Constitution a bel et bien fait du choix des députés l'acte fondamental. L'élection d'un nouveau Président de la République n'est pas une condition suffisante pour un changement de politique. Changer la politique de la nation suppose d'élire une majorité parlementaire animée par ce projet et susceptible de soutenir un gouvernement décidé à le mettre en _uvre. Telle est la seule voie constitutionnelle du changement politique, quoi qu'en pensent MM. Duhamel, Carcasonne, Vedel ou encore d'anciens hauts responsables de l'Etat qui font en ce moment beaucoup tourner les tables pour faire parler l'esprit de la Constitution, au risque de confondre le spiritisme avec le droit constitutionnel.

Plusieurs députés socialistes - Pas M. Barre ! Pas Giscard !

M. Renaud Dutreil - Un président de la République qui se heurterait à une majorité parlementaire élue quelques semaines après lui -et une telle hypothèse aurait pu se concrétiser en 1988- n'aurait en aucun cas les moyens de conduire sa politique. La Constitution est ainsi faite : elle reste largement parlementaire et le fait de le constater n'ôte rien aux pouvoirs du président de la République.

Je conçois que le calendrier actuel ne convienne pas à certains, mais cela ne le rend en rien « aberrant », comme l'a dit ce matin le Premier ministre pour dissimuler à la fois son embarras et justifier ses man_uvres.

Il y a ensuite un malentendu politique et je tiens à rappeler à ceux qui affecteraient d'en douter que l'UDF se situe résolument dans l'opposition et ne partage en rien les options du gouvernement Jospin (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Il est absurde de dire qu'il y aurait dans le vote de demain le germe d'une recomposition politique qui conduirait l'UDF à renier ses convictions. Certains à gauche rêvent sans doute de ce renfort car ils sentent bien que l'espace politique de la majorité plurielle se réduit. Mais telle n'est pas notre intention. A l'issue des prochaines élections législatives, l'UDF sera dans la majorité, aux côtés du RPR et de Démocratie libérale (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) et nos trois familles seront peut-être plus unies qu'elles ne l'ont jamais été ! Mais si la majorité des députés de l'UDF votera contre l'inversion du calendrier, c'est aussi parce que nous sommes les héritiers d'une longue tradition parlementaire qui nous conduit à nous réjouir que pour une fois, en 2002, les Français aient à exprimer leurs choix politiques, en premier lieu au travers de la désignation des députés. En vertu de l'article 3 de la Constitution, ceux-ci représentent en effet individuellement et collectivement non pas nos circonscriptions mais le peuple souverain. A ce titre, nous devons veiller à ce que cette légitimité ne soit pas battue en brèche, comme elle l'est de plus en plus du fait de la démocratie d'opinion, du règne des media, de la personnalisation excessive du pouvoir et de la tentation permanente de tout ramener au président de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

Dire « oui » à l'ordre naturel des élections de 2002, c'est réaffirmer que notre Constitution est mixte, qu'elle présente une double nature, parlementaire et présidentielle et qu'il appartient au peuple et à lui seul de choisir le tour que doit prendre l'action publique. C'est aussi réaffirmer qu'aux côtés du Président de la République -et non en-dessous de lui- le Parlement est l'institution régulatrice de la démocratie moderne. On aurait pu imaginer que le parti socialiste se montre sensible à ce nécessaire rééquilibrage. Mais il semble aujourd'hui moins tenir à ses convictions qu'à son pouvoir. Ainsi, le Gouvernement qu'il dirige ne cesse d'osciller d'une man_uvre ou d'une combinaison à l'autre. Cela a commencé avec Vilvoorde (Approbations sur les bancs du groupe du RPR) pour continuer avec les 35 heures, la convention de l'UNEDIC, la gestion de la crise des carburants ou le non-cumul du mandat de maire avec la fonction de ministre... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) On ne compte plus à Matignon les chants du coq et en voici un supplémentaire ! Il ne reste plus à ce Gouvernement que la possibilité de recourir à quelques man_uvres ! En 1997, la gauche a gagné non par la force de son projet ou de ses convictions mais grâce aux triangulaires, c'est-à-dire en utilisant le Front national à des fins électorales tout en criant au loup. Elle tente aujourd'hui une autre man_uvre de division en voulant croire que l'UDF puisse servir de coin. Qu'elle n'en croie rien : cela ne se passera pas ainsi. Le groupe UDF estime que cette péripétie calendaire ne mérite pas de devenir une pomme de discorde au sein de l'opposition. Avec nos partenaires du RPR et de DL, nous entendons proposer aux Français le projet d'alternance qu'ils attendent avec impatience et accréditer les inquiétudes du Premier ministre en gagnant les élections. Très logiquement, la plupart d'entre nous voteront contre l'inversion du calendrier (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et sur de nombreux bancs du groupe UDF).

Mme Yvette Benayoun-Nakache - Permettez-moi tout d'abord de rassurer ceux qui pouvaient en douter : les femmes s'intéressent bien au débat institutionnel même si deux d'entre elles seulement prendront la parole -sur 41 orateurs- au cours de cet important débat.

La présente proposition est présentée par certains comme le résultat d'une man_uvre de circonstance tendant à placer la majorité actuelle dans une position favorable. Ceux qui se livrent à une telle analyse anticipent cependant avec quelque légèreté le choix de nos concitoyens. Le simple fait de changer la règle est-il susceptible d'avoir un effet décisif sur le résultat du scrutin ? Je n'en crois rien et je préfère pour ma part faire confiance aux électeurs et à leur sens civique. Du reste, je me désole d'entendre certains de mes camarades de la gauche plurielle, tels M. Hue ce matin, en appeler désespérément à la nécessité de recréer le lien avec les citoyens.

En outre, qui peut se targuer de pouvoir prédire le résultat d'une élection quand les sondages eux-mêmes restent aléatoires ? Certainement pas le Président de la République, dont le pari manqué de 1997 me permet aujourd'hui de siéger dans la maison du peuple où bat le c_ur de la démocratie !

Un député RPR - Merci Le Pen ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Yvette Benayoun-Nakache - Je n'en ai pas eu besoin. Je dois mon élection à la sincérité de mon engagement et à mon travail de terrain (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Certains redoutent ensuite que le rétablissement du calendrier électoral ne vienne renforcer la dérive présidentialiste du régime. Qu'ils se rassurent ! Cette dérive ancienne ne procède pas du choix des dates d'élection mais de l'évolution du mode de fonctionnement de nos institutions. Pour y remédier, personne ne semble favorable à une remise en cause du mode de scrutin pour l'élection du Président de la République. Voilà au moins un fait acquis. Quant à ses origines profondes, je suis tentée de souscrire au point de vue de MM. Roman et Ayrault : du fait de la construction européenne, du renforcement du contrôle de constitutionnalité et du règne des media, le centre de la vie politique s'est sensiblement déplacé. L'ordre des élections de 2002 ne pèse en rien sur cette évolution de fond, qui met en cause notre manière d'exercer la démocratie et mériterait à ce titre un débat approfondi. Je souhaite vivement que nous ayons ce débat car il importe que nous comprenions l'évolution du jeu institutionnel et que nous veillions à garantir le respect des principes démocratiques qui fondent notre régime parlementaire. Or sur quoi nous demande-t-on de statuer aujourd'hui ? Sur le calendrier électoral de 2002, tel qu'il résulte de la conjonction de deux hasards : d'une part le décès prématuré de Georges Pompidou, en 1974 ; d'autre part, la décision prise par l'actuel chef de l'Etat, un beau matin de 1997 ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). On ne peut ainsi bâtir sur des hasards, ce serait comme jouer l'avenir des institutions à la roulette !

Ce qui est en cause donc, ce n'est pas une règle du jeu que personne ne connaît, ni la volonté de créer une opportunité, mais le fonctionnement des institutions de la Ve République selon leur logique propre. Nous voulons simplement rétablir la règle électorale altérée par des événements totalement indépendants. Et, puisque le mot a été lancé, cessons d'être opportunistes et montrons que nous savons réfléchir en faisant fi de considérations politiciennes. Certaines et certains, à gauche comme à droite, ont su voir l'absurdité du calendrier actuel et prendre leurs responsabilités d'élus. Je suis sûre que nous serons une large majorité à faire de même et à voter cette proposition dès demain! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Luc Warsmann - Voici donc que le Gouvernement bouleverse notre ordre du jour ! Le projet relatif aux tribunaux de commerce n'a plus aucun caractère d'urgence, ce qu'il faut sans plus attendre, ce qui a priorité absolue, c'est d'inverser l'ordre des élections !

M. le Président de la commission - Non inverser : rétablir !

M. Jean-Luc Warsmann - Nos institutions exigent-elles donc que l'élection présidentielle précède les élections législatives ? On nous a répété ici qu'il en irait de la fonction présidentielle mais d'où celle-ci tire-t-elle sa force, sinon du titre II de la Constitution ? L'article 5 pose que le Président veille au respect de celle-ci et est le garant de l'indépendance nationale ; l'article 11 lui permet de soumettre des propositions de loi au référendum pour donner la parole au peuple et l'article 10 de demander une nouvelle délibération des lois qui lui semblent contraires à l'intérêt national ; en vertu de l'article 13, il nomme aux principaux emplois civils et militaires et l'article 15 le fait chef des armées. L'article 16 lui confère des pouvoirs en cas de crise et le 17 le droit de grâce... C'est de là seulement que procède sa force, ce depuis 1958, et ces pouvoirs n'ont rien à voir avec ceux d'un Président de la IIIe ou de la IVe République !

Cette prééminence a été renforcée par le vote populaire de 1962, organisant son élection au suffrage universel direct. Et si nous aussi sommes élus de la même façon, nous le sommes dans 577 circonscriptions, alors que lui est l'élu de toute la population ! Ce débat sur l'ordre des élections n'a décidément rien à voir avec la prééminence du Président de la République ! D'ailleurs, notre Constitution comporte-t-elle quoi que ce soit sur le sujet ? Le constituant n'a pas jugé nécessaire de prévoir rien de la sorte pour protéger le Président ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

Mais l'effet de cette proposition est-il bien de garantir que l'élection présidentielle aura lieu avant les élections législatives ? Elle dispose simplement que les pouvoirs de l'Assemblée expireront le 15 juin de la cinquième année suivant son élection, mais est-on assuré que ce qui vaudra en 2002 s'imposera au-delà ? Absolument pas ! Pour que cette disposition continue de s'appliquer, il faudrait y ajouter deux autres : l'une supprimant l'article 12 de la Constitution, c'est-à-dire le droit de dissolution, et l'autre prémunissant contre un décès prématuré du Président. A défaut de le rendre immortel (« Oui » ! sur les bancs du groupe du RPR), vous devriez donc proposer l'élection d'un vice-président !

Revenez donc devant nous avec une proposition ainsi complétée, Monsieur le ministre de l'intérieur, et vous pourrez alors vous flatter d'être cohérent avec vous-même ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et sur plusieurs bancs du groupe UDF) Pour l'instant, vous ne le pouvez et tout observateur honnête reconnaîtra que la proposition ne règle pas le problème posé.

Dès lors, s'agirait-il d'une loi de circonstance ? (« Oui » ! sur les bancs du groupe du RPR) Ou bien ce texte poursuit-il un objectif d'intérêt général, comme l'exige le Conseil constitutionnel de toute loi modifiant le régime électoral d'une assemblée, parlementaire ou locale ? Rien n'indique qu'il réponde à une nécessité constitutionnelle ou qu'il vise à présenter ou à restaurer le rôle du Président de la République. Quelques orateurs ont toutefois essayé -laborieusement- de démontrer qu'il serait indispensable au fonctionnement des parrainages. Bien mauvaise plaisanterie : il existe en France des dizaines de milliers d'élus qui ont le pouvoir de parrainer les candidats à la Présidence de la République ! Si un problème se pose à cet égard en 2002, il ne concernera que nous, qui ne sommes que 577 -et encore beaucoup d'entre nous sont aussi maire ou conseiller général, et échapperont donc à cet inconvénient. Tout au plus ne serions-nous que 200 à ne disposer que d'une semaine ou de quinze jours pour nous prononcer en faveur d'un candidat : je gage que chacun a une conscience politique suffisante pour se déterminer dans ce laps de temps ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

Cet argument, le seul objectif que vous ayez avancé, ne vaudrait donc que si le Gouvernement avançait au maximum l'élection présidentielle, et reculait de même les législatives, pour nous empêcher de parrainer. En tout état de cause, déplacer les élections pour cette seule raison est une mesure disproportionnée : vous me faites penser à ce maire qui voulait retarder les élections municipales parce qu'il avait prévu de repeindre le bureau de vote ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) Je crois donc sincèrement que cette loi est une loi de circonstance. D'ailleurs, lorsque le Premier ministre s'est présenté devant l'Assemblée en juin 1997, ne savait-il pas déjà que la dissolution aurait pour effet de fixer l'élection législative suivante à 2002 ? Or, relisant son intervention, je n'y ai trouvé aucune allusion à ce fait. Et, le 15 octobre dernier, il déclarait : « Toute initiative de ma part sur le sujet serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne ». J'en resterai donc là, ajoutait-il à moins qu'un consensus ne s'esquisse. Il suffit d'écouter les orateurs communistes, Verts ou ceux de l'opposition pour constater que ce consensus n'existe pas : c'est donc bien d'une loi de convenance personnelle qu'il s'agit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et sur plusieurs bancs du groupe UDF)

Je ne dirai pas qu'elle donnera à la gauche ou à la droite plus de chances de l'emporter mais ce dont je suis sûr, c'est que si les élections législatives précèdent la présidentielle et que la gauche y échoue, la candidature de Lionel Jospin au premier tour de la présidentielle sera remise en cause, d'autres lui disputant la place ! L'inversion de l'ordre des élections est une assurance tous risques pour le Premier ministre d'être le candidat du parti socialiste !

A plusieurs reprises, ce débat m'a attristé. J'y ai en effet vu réapparaître la théorie du député-godillot : quel autre sens pourrait en effet avoir l'affirmation selon laquelle l'élection des députés serait accessoire par rapport à l'élection du Président ? Pour moi, je me fais une tout autre idée de notre mandat ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) Un député a d'autres mérites que de soutenir tel ou tel candidat. Laisser croire le contraire serait rabaisser notre travail dans notre circonscription ou ici même. Mais ce débat marque aussi un retour à la IVème République, sous laquelle on faisait voter des textes de circonstance par des majorités de circonstance. Que le Premier ministre ou, devrais-je plutôt dire, le Président du Conseil sache donc qu'en France, ceux qui ont touché par ce moyen à notre régime électoral n'en ont jamais été récompensés ! Vous trahissez la morale, vous trahissez vos engagements : soyez convaincus qu'en 2002, les Français sauront rétablir les choses ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et sur plusieurs bancs du groupe UDF)

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MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE

M. le Président - J'ai reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement une lettre m'informant que le Gouvernement a décidé d'inscrire à l'ordre du jour de demain après-midi, immédiatement après les questions au Gouvernement, la suite de la discussion des propositions de loi organique que nous examinons ce soir (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). Nous pourrons procéder à ce moment aux explications de vote et au vote sur l'ensemble.

En outre, il sera procédé demain, après la lecture définitive du projet de loi de finances pour 2001, à celle des projets de loi relatifs à l'archéologie préventive et à la société Air France.

L'ordre du jour prioritaire est ainsi modifié et précisé.

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EXPIRATION DES POUVOIRS DE L'ASSEMBLÉE (suite)

M. Maxime Gremetz - J'ai été attentif, comme chacun, à l'important débat de ce matin sur l'avenir des institutions. Si certains orateurs ont souligné la nécessité de réformes importantes, propres à enclencher une dynamique démocratique nouvelle, d'autres ont traduit, en revanche, leur volonté de renforcer la tendance au présidentialisme, qui est pourtant à l'origine de la crise actuelle. Le plus surprenant, cependant, est que rien de concret ne nous ait été proposé au terme de quelque quatre heures de débat sur une question qui touche aux fondements mêmes de la République.

Alors que l'introduction d'une dose de proportionnelle, tout comme le droit de vote des résidents étrangers aux élections municipales, s'était heurtée à l'argument selon lequel il serait « trop tard pour changer la règle du jeu », voici que l'inversion du calendrier électoral se trouve soudain à l'ordre du jour ! Pourtant, le Président de la République; déclarait en juillet dernier qu'il s'agissait d'un sujet sur lequel il convient d'être « très prudent » et de « respecter » les règles qui « existent ». Pourtant, notre collègue Bernard Roman estimait le 10 octobre que les Français auraient « un mal fou à comprendre les intérêts des uns et des autres, et surtout les sous-entendus tactiques » (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL). Pourtant, le Parti socialiste s'opposait il y a moins d'un mois, sur son site Internet, à l'inversion, au motif que « nos concitoyens pourraient y voir une modification de circonstance ou de convenance » (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL).

Aujourd'hui, alors que 42 % de nos concitoyens se disent favorables au respect du calendrier électoral et 37 % à son inversion, l'on s'apprête à faire voter cette réforme empreinte de tous les dangers. Mes amis socialistes, comme mes collègues de droite, m'accorderont qu'il s'agit d'un problème dépassant les simples considérations de confort électoral. Le changement qui nous est proposé ne fait pas confiance à l'intelligence, à l'indépendance, à la libre réflexion des électeurs. Il n'est pas possible de souscrire à une démocratie éclairée qui, telle une monarchie éclairée, dirait aux citoyens ce qu'ils doivent faire.

C'est le propre du présidentialisme que de dramatiser les échéances en demandant au peuple une majorité parlementaire, comme l'a fait François Mitterrand, triomphalement en 1981, avec un succès plus mitigé en 1988. Mais l'omnipotence d'un seul parti ne sclérose-t-elle pas la démocratie ? L'inversion du calendrier apparaît bien comme un geste dominateur, à l'égard non seulement de la majorité plurielle, mais aussi, et surtout, des Français eux-mêmes. Nous avions dénoncé en septembre, à l'occasion du référendum sur le quinquennat « sec », le risque que celui-ci ne soit qu'un premier pas vers la présidentialisation accrue du régime. Il n'aura pas fallu attendre bien longtemps pour que nos dires se vérifient !

Ce qui nous soucie plus que tout, c'est que les citoyens soient appelés à choisir entre des individus « présidentiables » plutôt qu'entre des projets politiques susceptibles de changer leur vie quotidienne. La démocratie ne peut s'accommoder d'un parcours fléché, d'une liberté au rabais : c'est une question d'éthique et de dignité. La personnalisation de la vie politique est une insulte à l'intelligence et à la liberté des Français, car elle engendre les dérives que nous avons connues et relègue au second plan la confrontation des idées, le débat démocratique et le pluralisme. Les députés communistes militent pour une société différente, où les querelles de personnes n'auraient ni le premier, ni le dernier mot.

La première étape du gouvernement de la gauche plurielle a été complexe, mais positive. Un second souffle est nécessaire. Si les amples réformes sociales et économiques esquissées par la récente déclaration commune des partis de la majorité figuraient clairement au programme de cette dernière pour les élections législatives de 2002, nul doute qu'elle les gagnerait. La France était originale il y a trois ans ; qu'elle prenne garde de ne pas oublier de le rester !

Les Français ne sont pas saturés d'informations sur les choix à venir. Bien au contraire, ces choix sont largement masqués par les médias, ainsi que les contradictions de la société française. Pourrait-il en être autrement demain, si une sorte de consensus officieux nous rabâchait que les choix de personnes priment sur les choix de société ?

Quand bien même les Français ne seraient pas convaincus que seule une politique de gauche répond à leurs besoins, il est certain qu'ils ne veulent pas d'une nouvelle dérive présidentialiste. Ils ont dit en effet, en votant à plusieurs reprises depuis quinze ans pour la cohabitation, qu'ils n'étaient pas dupes : si l'on n'a pu les persuader qu'elle était le diable, c'est parce qu'ils ont vu, après 1981, un président disposant d'une majorité à l'Assembler se révéler incapable de sortir la France de la crise. Le partage des pouvoirs que permet la cohabitation leur est donc apparu comme un moindre mal, et ils sentent bien, aujourd'hui, que l'on essaie de les tromper. Ils risquent donc d'être plus nombreux à s'abstenir demain, à la présidentielle comme aux législatives, et même de s'exprimer de façon différente de ce que certains attendent. Il pourrait bien y avoir deux perdants à ce petit jeu : le peuple français et la démocratie.

La France a besoin d'une profonde démocratisation de ses institutions, afin non seulement de rompre avec le pouvoir personnel et la subordination de la représentation nationale, mais encore de développer partout, dans la commune comme sur le lieu de travail, les formes modernes d'une démocratie participative. En s'opposant à ce projet dangereux, les députés communistes disent oui à une réforme constitutionnelle qui aurait pour maîtres-mots la démocratie, la citoyenneté et le pluralisme (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Bernard Derosier - La clarté, la cohérence, parfois la logique de nos institutions sont autant de raisons pour lesquelles une majorité de notre Assemblée va voter l'allongement de la durée de sa XIe législature, afin de permettre que l'élection présidentielle soit organisée avant les élections législatives. J'avais exprimé, à plusieurs reprises, des réserves dont je me suis expliqué ce matin. La cohabitation, si elle n'est pas, ainsi que l'a reconnu le Premier ministre, « le meilleur des systèmes », n'est en vérité que la résultante de nos dispositions constitutionnelles, et si je suis sensible à cette fameuse « logique » de nos institutions, je ne le suis pas au point de ne pas supporter que l'on veuille apporter des remèdes à ses déséquilibres.

Nous avons évoqué ce matin, trop rapidement à mon goût, les bases de la réforme qui reste à faire. Le rendez-vous de 2002, s'il n'est pas anticipé, nous donnera l'occasion d'engager le débat de fond et de nous en remettre à la décision des Français pour le trancher. La Constitution de 1958 était censée instaurer un « régime parlementaire rationalisé » ; la pratique a été tout autre, même si la cohabitation a imposé un certain retour à la lettre des textes. Peut-être est-ce d'ailleurs ce qui a rendu ceux-ci acceptables à ceux qui, comme moi, s'y étaient opposés en 1958. Reste qu'elle n'est pas une bonne réponse aux insuffisances que connaît le fonctionnement démocratique de notre pays.

Des dispositions ont été prises depuis 1997 pour y remédier, mais le quinquennat « sec » a frustré nombre de nos concitoyens, au point qu'ils ont signifié à Jacques Chirac, qui l'avait voulu tel, leur désapprobation en s'abstenant. D'autres mesures devront suivre, avant ou après 2002. Je pense, en particulier, au renforcement du contrôle parlementaire grâce à la réforme de l'ordonnance de 1959.

Nous n'attendons pas de l'actuel Président de la République qu'il soutienne nos projets de réforme constitutionnelle. L'utilisation partisane qu'il a fait de l'article 12 a bien montré son peu de considération pour la Représentation nationale -mais les élections l'ont sanctionné.

S'agissant de la justice, il est encore plus mal placé, et nous devrons attendre 2002 pour modifier les choses quant à l'irresponsabilité juridique du chef de l'Etat.

Quant à la date du 15 juin pour la fin des pouvoirs de l'Assemblée, nous aurions préféré qu'elle s'applique seulement à la présente législature, car on n'est pas à l'abri d'une nouvelle dissolution de convenance. Quoi qu'il en soit, je souhaite qu'on n'attende pas quarante ans pour arriver à une démocratie parlementaire ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

M. Didier Quentin - A quelques jours de Noël, nous voilà plongés dans un débat à la sauvette sur des questions institutionnelles bien éloignées des préoccupations quotidiennes des Français. Lequel d'entre nous peut dire qu'il a été interrogé, ces trois dernières années, sur le calendrier des élections de 2002 ? Et pourtant, depuis juin 1997, on savait bien que les élections législatives étaient programmées avant l'élection présidentielle !

Le Premier ministre n'avait pas semblé préoccupé de cette question, il l'a même écartée, refusant de prendre une « initiative politicienne ». Et puis tout d'un coup, à l'occasion d'un congrès partisan et sans le moindre débat interne, il a eu une illumination ! Lui qui déclarait naguère n'avoir pas voté la Constitution de la Ve République, devient un « docteur de la foi » gaulliste. Avec la ferveur des convertis de la dernière heure, vous parlez de « rétablissement » pourquoi pas de « restauration » ?

Pour justifier ce changement de règle du jeu à un an des prochaines échéances, le président de la commission des lois dit que l'élection des députés avant celle du Président de la République présenterait des risques contradictoires.

D'abord celui d'un affaiblissement de la fonction présidentielle, mais aussi le risque que les élections législatives soient faussées.

En fait, rien dans la Constitution ne justifie cette inversion : les pouvoirs prééminents du président ne découlent aucunement d'une antériorité de son élection. En inscrivant dans le code électoral que les pouvoirs de l'Assemblée nationale expireront le 15 juin de la cinquième année qui suit son élection, votre proposition de loi organique ne règle nullement, pour l'avenir, la cohérence du calendrier électoral : vous pouvez difficilement décréter l'immortalité d'un président de la République ou nier le droit de dissolution. De plus, le fait que l'élection présidentielle arrive avant ou après les législatives n'assure pas obligatoirement une concordance des majorités présidentielle et parlementaire.

Alors, il doit y avoir d'autres raisons, moins nobles. Le Premier ministre aurait parlé de « man_uvre », et même de « belle man_uvre » ! Ne doit-on pas plutôt comprendre « belle magouille » ? Voire de « magouille de la trouille » ? La Revue socialiste de novembre 2000 s'est livrée en effet à de savantes analyses. Plusieurs dizaines de députés de la gauche plurielle doivent en effet leurs sièges à des triangulaires avec le Front national. Et voilà comment, loin du droit d'inventaire, l'exigence éthique du Premier ministre dégénère en expédients tactiques... Adieu le parler-vrai, vive le double langage. Adieu la maison de verre de la gauche plurielle, remplacée par un château de cartes biseautées.

Vous vous mettez à trafiquer les échéances, comme d'autres trafiquaient les indulgences ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) Ce n'est pas ainsi que l'on réconciliera nos concitoyens avec la chose publique. Il n'est pas convenable de changer les règles du jeu alors que la partie est pratiquement engagée.

Il serait judicieux de décider que les règles relatives aux élections ne peuvent être modifiées que par des lois à majorité spéciale, afin de prévenir les tentatives de manipulation.

Si « Paris vaut bien une messe », selon un Béarnais illustre, l'Elysée vaut bien sans doute une promesse ! Quels engagements avez-vous pris envers vos partenaires d'un jour ? Tripatouillages et marchandages seraient-ils les deux mamelles de votre majorité finissante ? Quand on voit votre changement de cap sur le calendrier, comment pourrait-on croire vos affirmations sur le non-retour à la proportionnelle ? Ce n'est plus la Ve République, ou la VIe, c'est la IVe en pire !

Cette loi ne règle aucune question de principe. Elle tente seulement d'organiser pour 2002 les élections dans un sens qui profite à certains, et le Premier ministre a bien laissé percer le futur candidat à la présidentielle.

Cette proposition de loi organique sera peut-être votée par une majorité de circonstance, rencontre d'ambitions personnelles, de calculs des uns, de rancunes des autres. Nous ferons confiance au juge constitutionnel, qui sera forcément saisi. Et surtout nous ferons confiance aux électeurs et au peuple. Prenez garde que cette « expérimentation hasardeuse » ne se révèle un boomerang !

En tout cas, quel que soit le calendrier, nous sommes prêts à gagner les élections législatives et présidentielles pour proposer une autre politique et faire gagner la France (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et sur plusieurs bancs du groupe UDF).

M. Alain Barrau - Que cela plaise ou non, l'élection présidentielle, et singulièrement son second tour, est celle qui mobilise le plus les électeurs -il y a toujours 75 à 80 % de participation. C'est que cette élection est un élément d'organisation de la vie politique, c'est en fonction de cette élection que se définit une majorité et une opposition.

Ensuite, un point ne semble pas faire désaccord entre nous, puisque le Président de la République et le Premier ministre ont dit la même chose : on ne sait pas, à 16 mois des élections, à qui la mesure profitera. Alors, n'usons pas de cet argument polémique.

En troisième lieu, nous n'avons pas épuisé aujourd'hui le débat institutionnel, c'est vrai. Ce qui importe, c'est qu'il soit au centre de la prochaine campagne présidentielle, afin que chaque candidat expose, comme M. Mamère l'a fait tout à l'heure, ses positions à ce sujet. D'ici là, concentrons-nous sur un point, conforter les pouvoirs dans le cadre actuel, et en particulier la place du Parlement.

Ce qui est important, c'est ce que nous faisons par exemple en revoyant l'ordonnance de 1959 ou en confortant les pouvoirs des commissions permanentes. Dans le domaine du droit européen notamment, il faut étendre le contrôle du Parlement. De nombreux organismes internationaux tels que l'OMC ou le FMI doivent se soumettre à un droit de regard des parlements nationaux. Des propositions socialistes vont, dès maintenant, dans le sens du renforcement de ce système mixte qui incarne le génie institutionnel français : un régime qui ne soit pas présidentiel mais qui change du précédent régime d'assemblée. Cet équilibre doit être préservé. Il faudra un débat pour les perspectives de l'après 2002. Auparavant, la logique de la Ve république demande l'inversion du calendrier.

Voilà pourquoi je pense que cette proposition va faire avancer le Parlement et répondre aux préoccupations concernant sa place dans les institutions en attendant la réforme nécessaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Hervé Gaymard - A quoi tiennent les choses ! Il aura suffi d'une analyse des élections tenues depuis 1997 dans la Nouvelle revue socialiste pour que le Premier ministre considère comme urgente une inversion du calendrier qu'il estimait il y a encore quelques semaines comme étant de pure convenance. On aura entendu beaucoup de justifications dans ce débat qui, à défaut de passionner les Français, mobilise la société politique. Je me bornerai à trois remarques.

D'abord, que l'on nous fasse grâce du mythique esprit des institutions ! Pour un gaulliste, cette course à la pureté originelle ne peut qu'amuser.

M. le Président de la commission - Qui a parlé de cela ?

M. Hervé Gaymard - On voit réunis dans la même démarche purificatrice tel contempteur de « l'exercice solitaire du pouvoir » et l'héritier du refus du pouvoir personnel. Les cours de droit constitutionnel et les raisonnements imparables qu'on nous impose sont comme toujours réversibles. Mais il n'est que de relire les débats du comité consultatif constitutionnel en 1958, le discours de Michel Debré devant le Conseil d'Etat et les déclarations du général de Gaulle pour se rendre compte de deux évidences. La première est que nos institutions réunissent l'inspiration présidentialiste du discours de Bayeux et le parlementarisme rationalisé cher à Michel Debré. Jusqu'en 1978, c'est la première qui a prévalu, comme l'illustre avec éclat la démission du général de Gaulle en 1969. Valéry Giscard d'Estaing, par son discours de Verdun-sur-le-Doubs, en 1978, Edouard Balladur dans son article de doctrine de 1985 et François Mitterrand par sa décision de ne pas démissionner après la défaite de 1986, ont montré que l'inspiration parlementariste pouvait trouver toute sa place avec la cohabitation. Nos institutions ont duré parce qu'elles ont su, précisément, concilier les influences que notre histoire a connues depuis deux siècles. La seconde évidence est que l'ordre du calendrier électoral n'a jamais été considéré comme si important. En 1958, les élections législatives ont précédé la présidentielle sans que personne, et surtout pas le général de Gaulle, ne trouve à y redire. Rien dans la chronique de la Ve République ne justifie la « manipulation », comme l'appelle L'Humanité.

Deuxième observation : inversion ou non, l'élection présidentielle prendra le pas sur les législatives. Le calendrier fait que la campagne présidentielle aura largement commencé avant les élections législatives. Il n'est donc nul besoin de le modifier.

Troisième observation : la réforme des institutions n'est pas là où on le croit. Le débat est factice. Il n'est guère sérieux de traiter la question en trois heures de questions orales, même avec débat ! Certes, il peut être plaisant de disserter, d'ergoter sur une Constitution de la VIe République. Mais le choix est simple. Soit on veut retourner au régime d'assemblée que le président Giscard d'Estaing a bien connu, il y a un demi siècle, lorsqu'il était le collaborateur d'Edgar Faure, président du Conseil de la IVe République.

M. le Président de la commission - Ca, ce n'est pas gentil.

M. Hervé Gaymard - Je crois que personne ne le souhaite. Soit on imagine un régime parlementaire à la britannique, mais notre président, auquel l'élection confère une légitimité propre, ne peut en aucun cas être réduit au rôle des présidents de la Finlande ou de l'Autriche. Soit on veut créer un régime présidentiel qu'on appelle « à la française », mais qui butera sur le cadre unitaire de notre pays et sur sa culture propre. Non, la vraie réforme n'est pas institutionnelle, c'est une réforme de l'Etat. La formule de « désétatisation de l'Etat » retenue par M. Hue doit être creusée. Il faut ensuite relancer la décentralisation et enfin construire la démocratie de représentation et de participation telle que la voulait le général de Gaulle dès 1969 et que l'ont refusée bien des travées de cet hémicycle.

Dans ce débat donc, beaucoup de bruit pour rien. Nous, nous ne craignons aucun calendrier. Quel qu'il soit, nous serons au rendez-vous, avec un projet qui réponde aux attentes des Français. Mais nous refusons votre manipulation grossière et nous voterons massivement contre. Le Premier ministre a précipitamment tourné casaque lorsque la victoire n'a plus été garantie. Ce faisant, il aura gagné ses galons des man_uvrier et renoué, post mortem, avec son premier inspirateur. Le droit d'inventaire est jeté par-dessus les moulins. Ce n'est pas vraiment ce que les Français attendent. Le revirement de Grenoble pourrait bien être le premier acte de la comédie des erreurs (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et sur quelques bancs du groupe UDF).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu demain mercredi 20 décembre à 9 heures 30.

La séance est levée à 23 heures 45.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

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ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 20 DÉCEMBRE 2000

A NEUF HEURES TRENTE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, des propositions de loi organique :

- (n° 2602) de M. Georges SARRE et plusieurs de ses collègues relative à l'antériorité de l'élection présidentielle par rapport à l'élection législative ;

- (n° 2665) de M. Bernard CHARLES et plusieurs de ses collègues visant à modifier l'article L.O. 121 du code électoral en vue de la concomitance de l'élection présidentielle et des élections législatives ;

- (n° 2741) de M. Raymond BARRE modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ;

- (n° 2756) de M. Hervé de CHARETTE relative à l'organisation des élections présidentielles et législatives ;

- (n° 2757) de M. Gérard GOUZES relative à la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ;

- (n° 2773) de M. Jean-Marc AYRAULT et plusieurs de ses collègues modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.

M. Bernard ROMAN, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. (Rapport n° 2791).

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement sur des thèmes européens.

2. Suite de l'ordre du jour de la première séance

3. Discussion, en lecture définitive, du projet de loi de finances pour 2001.

4. Discussion, en lecture définitive, du projet de loi relatif à l'archéologie préventive.

5. Discussion, en lecture définitive, du projet de loi relatif à l'élargissement du conseil d'administration de la société Air France et aux relations de cette société avec l'Etat, et portant modification du code de l'aviation civile.

A VINGT ET UNE HEURES : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.


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