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Session ordinaire de 2000-2001 - 46ème jour de séance, 109ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 9 JANVIER 2001

PRÉSIDENCE de M. Claude GAILLARD

vice-président

Sommaire

          MODERNISATION SOCIALE 2

          MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 21

          ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 10 JANVIER 2001 28

La séance est ouverte à vingt et une heures.

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      MODERNISATION SOCIALE

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi de modernisation sociale.

M. Alfred Recours - Il serait sans doute excessif de réduire à ce seul projet de loi la mise en _uvre de la modernisation sociale. Celle-ci est en effet en marche depuis 1997. Les lois relatives à l'emploi des jeunes, à l'exclusion, à la couverture maladie universelle, et les dispositions adoptées dans les lois de financement de la sécurité sociale, montrent que ce projet de loi n'est pas unique en son genre. A ceux qui lui reprochent d'être un projet fourre-tout, je rappelle que nous avons nous-mêmes réclamé, de cette tribune, une loi portant diverses mesures d'ordre social, v_u que Martine Aubry s'était engagée à satisfaire. Ce projet de loi offre l'occasion au Gouvernement de marquer des axes forts ; ils méritent donc d'être soulignés, qu'il s'agisse de la lutte contre le licenciement et la précarité, du domaine médical ou de la formation professionnelle. Ces mesures diverses s'articulent autour d'axes forts.

Nous examinons ce projet dans le contexte particulier de la censure par le Conseil constitutionnel de diverses dispositions à caractère social, pour des raisons qui ont été exposées mais qui nous semblent poser problème. Décider que l'abrogation de la loi Thomas par la loi de financement de la sécurité sociale est inconstitutionnelle au motif qu'il ne s'agit pas d'un texte financier méconnaît le fait qu'il a des conséquences en matière de dépenses ou de recettes fiscales ou sociales. Nous retrouvons le problème dans ce texte. Pour ce qui est de la censure de la suppression de la CSG sur certains salaires dans le cadre d'une baisse générale des impôts, je constate qu'il est constitutionnel de réduire l'impôt des riches -ceux de la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu- mais qu'il ne l'est pas de réduire celui des pauvres à travers la CSG.

M. Jean-Pierre Foucher - Ne mélangez pas tout !

M. Alfred Recours - Pour ce qui me concerne, et même si le ministre des finances a affirmé cet après-midi que les mesures de substitution ne devaient pas battre en brèche la position du Conseil constitutionnel, il faudra bien faire en sorte, à l'occasion des élections législatives et présidentielle, que ce type de dispositions puissent redevenir constitutionnelles (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). Il faut gagner les élections pour permettre aux Français de toucher leur dû...

M. Jean-Pierre Foucher - Démagogie !

M. Alfred Recours - Je veux gagner les élections pour changer le Conseil constitutionnel. La vacuité des propositions de l'opposition est telle que celle-ci est réduite, la nature ayant horreur du vide, à faire appel au MEDEF et au Conseil constitutionnel pour le combler ! (Rires sur le banc de la commission des affaires sociales).

Je soulignerai, parmi les sujets traités dans ce projet, la question des accueillants familiaux. Leur nombre est passé de 5 ou 6 000 à environ 15 000, en tenant compte des accueillants familiaux thérapeutiques. Ils sont aujourd'hui considérés comme des prestataires de services et, au regard de l'impôt, comme de quasi-salariés. L'article 14 devra être affiné pour que ce point soit bien clair et que le code du travail leur soit pleinement applicable.

En leur reconnaissant des droits nouveaux, tels que les congés payés ou des rémunérations au niveau du SMIC, nous accordons bien un statut de quasi-salarié à ces personnes dont le nombre ne fera que croître dans les prochaines années. Ce type d'accueil est d'ailleurs moins coûteux que l'hébergement en établissements. Il est donc normal et satisfaisant que soit reconsidéré le statut de cette catégorie, comme le fait ce projet qui peut encore être amélioré. J'insisterai aussi sur l'avancée sociale majeure en matière de relations du travail que constituent les dispositions relatives à la précarité et au licenciement, en particulier à travers la reconnaissance et l'octroi de droits aux salariés menacés de licenciement.

Au total, le texte comporte une série de dispositions qui vont dans le bon sens. Vous avez évoqué par exemple la considération rendue à la médecine générale, ou encore l'amélioration de l'accès aux soins, etc. Vous pouvez être fière de ce projet, et vous pourrez en être encore plus fière quand nous vous aurons un peu aidée à l'améliorer (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Ueberschlag - En quinze ans de mandat parlementaire, j'ai vu les gouvernements successifs proposer régulièrement de ces lois fourre-tout, sans doute indispensables, qui viennent corriger les imperfections, révélées par l'usage, des dispositions en vigueur. On les appelait, selon les cas, DMOS, DDOEF, etc. Sous le titre pompeux de « loi de modernisation sociale », vous nous proposez aujourd'hui soixante-dix articles touchant à presque tous les domaines. Mais ce n'est pas ainsi que vous moderniserez la société française... Ce texte, annoncé en mai 2000, fut ensuite retiré : il y avait d'autres urgences. Il est à nouveau proposé dans une précipitation étonnante : la commission n'a été saisie que le 13 décembre, et son président a dû prolonger jusqu'au 5 janvier le délai de dépôt des amendements... L'Assemblée est donc saisie de ce projet un peu à la hussarde, et en tout cas dans une improvisation certaine.

Certains des sujets abordés dans ce texte ne sont pas dénués d'intérêt et d'actualité.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires sociales - Ah !

M. Jean Ueberschlag - Mais comment examiner tous ses aspects en quelques minutes ? Je ne ferai qu'en effleurer quelques uns. Ainsi le texte ne dit rien des personnes âgées et des retraités. Quand accepterez-vous qu'ils soient représentés ès qualités dans les instances de gestion des régimes de retraite et de protection sociale, comme les partenaires sociaux ? Quand proposerez-vous d'accroître le taux de réversion des pensions des veuves ? Voilà qui serait de la modernisation sociale. Quant aux handicapés, à quand l'accélération des procédures, et l'humanisation de l'accueil devant les COTOREP et les tribunaux de l'incapacité ?

M. le Président de la commission - Sur ce point nous sommes d'accord.

M. Jean Ueberschlag - Pour ce qui est de l'emploi des travailleurs handicapés, faciliter leur formation professionnelle est bien. Mais quand l'Etat respectera-t-il ce qu'il impose au privé par la loi de 1987, à savoir un minimum de 6 % d'emplois pour les handicapés ? La fonction publique sera-t-elle toujours exemptée des dispositions qu'elle impose au privé ? L'Etat ne peut-il, pour une fois, montrer l'exemple ? Voilà ce qui serait de la modernisation sociale !

Un mot sur le volet formation professionnelle. La réforme de la validation des acquis professionnels est certes nécessaire, mais je doute que votre méthode soit la bonne. Votre système prévoit en effet une certification des titres reconnaissant ces acquis, et son instruction par une future commission nationale de la certification professionnelle. C'est donc un cursus que vous voulez valider, plutôt qu'une compétence réelle. L'administration instruira sur la manière de trousser l'emballage (Sourires sur les bancs du groupe socialiste), plus que sur le contenu. Une fois de plus la qualité de la formation échappera à l'évaluation. C'est une nouvelle porte ouverte aux marchands de soupe qui distribuent des certificats en tout genre, au détriment des organismes de formation sérieux. Sait-on que sur 40 000 organismes de formation recensés, 26 000 seulement exercent une activité, et que seuls 5 000 ont un chiffre d'affaires qui excède 1 million de francs, lesquels assurent 85 % de l'activité sur ce marché... La commission nationale de la certification risquera d'être approchée par toutes sortes d'organismes, dont sans doute certains seront écartés, mais sur quels critères ? Elle ne reçoit au demeurant qu'une partie des attributions actuelles de la commission technique d'homologation. J'en conclus que celle-ci n'est pas supprimée, et que les homologations antérieures seront maintenues. On complique ainsi par le haut un édifice institutionnel qui ressemble déjà à une pyramide inversée, au risque d'en opacifier encore le fonctionnement. Le répertoire national des certifications professionnelles contribuera à alourdir le système : on sait que l'AFPA, l'ANPE, d'autres instances encore, travaillent concurremment à construire de tels répertoires, qui se recoupent en partie.

Vous affirmez que cet ensemble devra être repris dans le code de l'éducation. Est-il bien utile de préparer l'introduction à terme de l'éducation nationale dans la gestion de ces domaines ? A moins qu'elle n'évolue, mais l'échec de M. Allègre laisse peu d'espoir, elle a une conception de sa mission qui ne facilite pas la transition entre les études et l'entrée dans la vie professionnelle.

Le projet prévoit un raccourcissement des parcours de formation d'adultes, il risque d'en résulter un affaiblissement de qualifications, que masqueront des titres ronflants... si l'on ne veut pas que ces validations ne conduisent qu'à des peaux d'âne, il faut s'interroger sur leur usage. Les métiers évoluent rapidement : ce dispositif ne risque-t-il pas de les scléroser ? La vérification des acquis professionnels doit se faire en situation de travail, réelle ou au moins reconstituée. Les dispositions de l'article 41 doivent donc figurer non seulement dans le code de l'éducation, mais dans le code du travail.

D'autre part, que devient dans tout cela le bilan de compétences ? Il est aujourd'hui financé par l'ANPE ou l'ASSEDIC, et par le demandeur d'emploi qui le demande. Le salarié sera-t-il appelé à contribuer aussi, et dans quelle proportion, au financement de la procédure de validation des acquis ? Nous n'avons pas la réponse. Ou bien l'employeur sera-t-il seul à supporter les frais de cette procédure, qui risque de donner lieu à des surenchères ?

Autre question : que devient le certificat de travail traditionnel ? Le besoin qu'ont les entreprises de repères stables, pour connaître le savoir-faire de chacun, nous conduit à rappeler l'existence et la vertu juridique du certificat de travail. On risque de mettre en concurrence deux documents qui font état de l'expérience professionnelle or le texte ne dit rien des moyens de recours face aux différends qui ne manqueront pas d'en résulter.

Cette perte de validité du certificat de travail doit-elle être rapprochée de celle que connaît à l'article 63 le solde de tout compte ? Il s'agit d'un document légal, dont on se demande pourquoi la loi vient rogner la portée. L'Etat ne doit-il pas établir un système efficace qui permette à une entreprise d'apprécier ce que peut lui apporter un salarié, en fonction de son expérience antérieure ? Vous enfoncez là un coin dans la liberté de contracter.

Et que signifie, quant au financement de l'apprentissage, la rationalisation des réseaux de collecte qu'apportent les articles 43 à 45 ? Ce n'est pas la collecte qui pose problème, c'est la redistribution.

M. le Président de la commission - Oui

M. Jean Ueberschlag - Confier la collecte aux seules chambres régionales de commerce et d'industrie risque de faire perdre la proximité qu'assure la collecte par les chambres locales. Celles-ci ne prélèvent pas de frais de gestion, mais les chambres régionales n'ont pas aujourd'hui les moyens de faire cette collecte. Va-t-on vers une rémunération de celle-ci ? Si oui, est-ce un progrès ?

Vous souhaitez rationaliser, nous aussi.

Mais je crains que, de mesurette en mesurette, on n'arrive à une opacification de la collecte.

La taxe d'apprentissage est un impôt, créé par une loi de finances de 1925 : son renvoi à la loi de finances est incontournable pour certaines dispositions, et il faudrait éviter un recours trop fréquent au pouvoir réglementaire.

L'un des grands chantiers de la refondation sociale est la formation professionnelle. Même si votre gouvernement a su jusqu'à présent éviter d'ouvrir le débat sur cette question urgente -pas de vagues ! -il ne pourra pas l'éluder éternellement et, comme avec ce texte hétéroclite, faire croire qu'il avance -comme ces chanteurs d'opéra qui chantent « Marchons, marchons » sans jamais bouger ! On a parlé en commission de révolution copernicienne ! Est-ce à dire que la planète formation professionnelle tourne sur elle-même, jusqu'à en attraper le tournis ? Il est grand temps que le débat sur la formation, que vous avez souvent annoncé et jamais engagé soit enfin ouvert. Ce DMOS n'est qu'un alibi pour ne rien faire, une fois de plus. C'est ce que je crains. Mais vous, que craignez-vous ? Qu'attendez-vous ?

Le sévère rapport du Service central de prévention de la corruption, qui fait état de graves dérives dans le secteur de la formation professionnelle, aura-t-il des suites, ou bien sera-t-il rangé dans un tiroir ?

Quant aux retraites, il est insupportable d'entendre le Gouvernement nous accuser d'avoir provoqué la dégradation de leur pouvoir d'achat : nous n'avons été au pouvoir que pendant six des vingt dernières années, ce qui veut dire que, si dégradation il y a, l'actuelle majorité en est responsable aux deux tiers ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL)

Enfin, pour ce qui est de l'assurance-maladie des travailleurs frontaliers, nous attendons toujours que le Gouvernement fasse ce que le bon sens exige, c'est-à-dire qu'il signe enfin l'annexe 2 de la convention entre la Suisse et l'Union européenne, comme l'ont fait tous nos partenaires. Je crois pourtant savoir que le ministre délégué aux affaires européennes y trouve quelque intérêt...

Ce projet de loi hétéroclite n'est qu'un catalogue de mesures timides ou mal préparées, qui n'apporteront pas grand-chose, je le crains, à notre société et à nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Muguette Jacquaint - Commencer cette nouvelle année en légiférant dans le domaine social revêt un caractère symbolique non négligeable, en cette période où le MEDEF et le Conseil constitutionnel font l'actualité. Le premier exerce des pressions tous azimuts afin de remettre en cause tant l'assurance-chômage que les retraites complémentaires ou les 35 heures dans les PME. Quant au second, sa décision d'annuler la baisse de la CSG sur les bas salaires déséquilibre le dispositif social et fiscal du Gouvernement, au profit des entreprises et des hauts revenus.

Sur ce dernier point, les propos tenus par Mme Fraysse lors de la discussion du PLFSS restent d'actualité : si l'on veut revaloriser les bas salaires, le plus judicieux est encore d'augmenter le SMIC, de façon à tirer les minima de branche vers le haut. Une première hausse de 3,2 % dès le mois de février permettrait d'atteindre 10 % en trois ans. On ne peut oublier non plus, malgré la baisse du chômage et le léger tassement du nombre des bénéficiaires du RMI, que trop de personnes continuent de vivre avec de très faibles ressources, et qu'en matière de juste répartition des fruits de la croissance, la gauche plurielle a une obligation de résultats, et non pas seulement de moyens.

Si le présent projet peut être l'un des outils permettant de répondre à ces aspirations, d'autres seront nécessaires. Les aléas du calendrier auxquels il a été soumis auront au moins permis qu'il s'enrichisse de nombreux amendements, dont certains ont été adoptés à l'initiative de notre groupe, notamment en ce qui concerne la lutte contre la précarité du travail et la limitation des licenciements économiques.

L'article 6, qui tend à transformer le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies en société anonyme, nous inspire toutefois, comme aux salariés de ce GIP, une certaine inquiétude, d'autant plus vive qu'un autre alinéa du même article exclut le plasma sanguin de la liste des produits à tarif encadré. Nous avons donc déposé un amendement de suppression. Le Rapporteur, de son côté, propose que le LFB devienne un EPIC ; certes, mieux vaut un établissement public qu'une société anonyme, mais le sang n'est pas un produit marchand, et ne saurait donc relever d'un établissement industriel et commercial.

La réforme des collèges électoraux de la Mutualité sociale agricole, dont la pierre angulaire est la parité entre salariés et non-salariés, traduit une réelle volonté démocratique, qui pourrait valablement s'appliquer aussi au régime général de la sécurité sociale. Les ordonnances Juppé de 1996 avaient entériné la suppression des élections aux caisses, et nous n'avons de cesse, depuis lors, de réclamer leur rétablissement, mais nous nous heurtons bien souvent à l'article 40. Nous demandons, en tout cas, que soit engagée dès cette année la concertation avec les partenaires sociaux à cette fin.

La réforme des études médicales apparaît indispensable, mais les récents mouvements survenus dans le secteur de la santé montrent le manque criant d'effectifs dans la quasi-totalité des professions concernées. Le numerus clausus, en particulier, doit être révisé. Nous avons également déposé un amendement, que la commission a adopté, et qui vise à régler la situation des dentistes à diplôme étranger, comme l'avait été, dans le cadre de la loi sur la CMU, celle, analogue, des médecins.

Nous défendrons, par ailleurs, plusieurs amendements prenant appui sur les dispositions de la Convention internationale sur les droits de l'enfant, qui ont toute leur place dans ce projet.

Le volet emploi-formation-droit du travail, dont Maxime Gremetz parlera plus longuement, améliore la législation relative à la prévention des licenciements, à la limitation de la précarité, à l'information des salariés et de leurs représentants, mais il est nécessaire de rétablir l'amendement dit Michelin, invalidé par le Conseil constitutionnel, afin d'éviter les abus en définissant mieux les motifs de licenciement.

Le dispositif gouvernemental constitue un premier pas mais il prévoit que le comité d'établissement se réunisse a posteriori : il serait préférable d'instaurer une information préalable à l'annonce.

Si, en période de croissance, la législation sur les licenciements économiques doit évoluer, il est aussi nécessaire de proposer des évolutions tendant à limiter le recours à l'emploi précaire. A ce titre, si le dispositif prévu permet de résoudre quelques abus, son efficacité n'est pas démontrée. Or, la précarité du travail est l'un des maux majeurs de notre temps, et une réglementation plus protectrice du salarié est donc indispensable. Nous proposons ainsi de limiter à 10 % de l'effectif salarié total, le nombre de travailleurs précaires. En outre, l'interdiction du cumul de CDD sur le même emploi permettrait de mettre fin aux abus que chacun connaît.

La grande diversité des articles de ce projet ne saurait masquer le caractère très positif de la validation des acquis professionnels, à laquelle le groupe communiste a beaucoup contribué. Il y a là des avancées certaines qui rencontrent notre totale approbation.

S'agissant du harcèlement moral sur le lieu du travail, M. Georges Hage, premier signataire d'une proposition de loi relative à ce grave problème, reviendra sur la nécessité de légiférer pour tendre à mettre fin à une pratique dont sont victimes de plus en plus de salariés.

Le groupe communiste a déposé plusieurs amendements tendant à améliorer le projet de loi et souhaite que leur adoption permette de renforcer la législation sociale, en vue d'améliorer la qualité de vie au travail (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Jean-Pierre Foucher - Bien que présenté sous un titre ambitieux, ce projet de loi de modernisation sociale ne constitue qu'une sorte de super-DMOS, hétéroclite et incomplet. Annoncé de longue date, ce texte a connu une longue période de gestation, qui n'a malheureusement pas été mise à profit pour élaborer un projet ambitieux et cohérent. Profondément remanié, le projet n'a pas pour autant gagné en profondeur ! En dépit d'articles mineurs ou d'amendements du rapporteur sur le travail précaire, le projet ne procède qu'à des ajustements de détail sans aborder le vaste problème des retraites ou de la réforme de la loi relative au handicap.

Pour pallier les nombreuses insuffisances du projet, le groupe UDF propose plusieurs amendements tendant à combler les lacunes du chapitre III. Il nous est ainsi apparu utile d'accorder le bénéfice de l'exonération des charges sociales aux structures territoriales assumant des missions d'action sociale, telles que les SIVOM et les SIVU. En effet, l'interprétation des textes par la Caisse nationale d'assurance vieillesse est souvent restrictive, au motif que l'article L. 241-10 du code de la sécurité sociale ne cite pas expressément ces organismes. De même, dans le secteur de l'aide à domicile, l'exonération des charges sociales est réservée aux seuls CDI. Nous proposons d'en faire bénéficier les CDD qui sont destinés à remplacer les personnels absents. Cette mesure se justifie par le fait que les vrais bénéficiaires en seront les personnes pour qui l'aide à domicile a été créée, ainsi que les structures prestataires qui connaîtront alors une meilleure stabilité financière. Enfin, il semble juste d'en faire bénéficier les personnes atteintes d'affections de longue durée qui nécessitent des aides quotidiennes. S'agissant de la récupération par l'Etat ou par le département de l'aide sociale sur le patrimoine du bénéficiaire, nous souhaitons rétablir la volonté initiale du législateur, qui avait accordé des dérogations afin que les familles puissent recevoir un héritage lors du décès du bénéficiaire. Or, il est constant qu'avant même le décès de la personne handicapée, l'administration exerce son droit de récupération lorsqu'il y a accroissement du patrimoine, par héritage par exemple. Il est indispensable de définir légalement la notion jusqu'alors jurisprudentielle de « retour à meilleure fortune », afin de préserver les biens des familles très modestes et d'harmoniser le montant des récupérations sur succession entre les différentes prestations d'aide sociale. Dans un souci de cohérence, nous demandons également que la règle de la récupération ne s'exerce pas pour les héritiers ou les donataires du bénéficiaire de l'aide aux frais d'hébergement ou du bénéficiaire de l'allocation compensatrice lorsqu'il s'agit du conjoint, des enfants ou de la personne qui a assumé la charge des soins.

Les dispositions relatives à l'accueil familial nous semblent nécessaires car les familles d'accueil doivent voir leurs interventions encadrées, même si elles assument un rôle social indispensable qui requiert un investissement personnel conséquent. Veillons cependant à ne pas décourager les bonnes volontés en rendant trop pesante une organisation dont le but est louable. Pour autant, la formation professionnelle des accueillants doit être renforcée.

Deux amendements seront également présentés au chapitre IV pour compléter l'article 16 dédié aux pratiques et études médicales.

Hélas, ce chapitre est très incomplet alors qu'il offrait la possibilité de régler plusieurs problèmes spécifiques à certaines professions de santé. Ainsi, ce projet de loi donne l'occasion de régler une fois pour toutes le problème de la gynécologie médicale. Le Gouvernement a en effet annoncé qu'il envisageait de rétablir la formation pour cette spécialité, supprimée en 1984, mais au titre d'une simple option au sein du diplôme commun de gynécologie médicale et obstétrique. Seul le rétablissement de deux diplômes distincts permettrait de garantir la pérennisation d'une spécialité dont les professionnels sont déjà en nombre insuffisant. Pour ce qui concerne les chirurgiens urologues infantiles, plasticiens et thoraciques, un problème se pose pour ceux qui ont été qualifiés compétents sous le régime des études médicales antérieur au 16 octobre 1989. Il en va de même pour les chirurgiens spécialistes en chirurgie générale, dans la mesure où leur remplacement est rendu de plus en plus difficile, les jeunes diplômés optant souvent plutôt pour la chirurgie viscérale. Nous proposons donc d'accorder l'inscription en spécialité de ces chirurgiens « ancien régime », après avis de commissions particulières de qualification sous le contrôle du conseil national de l'ordre des médecins. Par ailleurs, de nombreuses professions paramédicales attendent que soit reconnu leur statut et que des élections aient lieu, lorsque les conseils de l'ordre ont été créés. Il en va ainsi notamment des masseurs kinésithérapeutes.

Je souhaite enfin aborder le problème des enfants qui connaissent des troubles du langage oral ou écrit, qui sont à l'origine de retards considérables s'ils ne sont dépistés à temps. Il est urgent d'organiser le dépistage précoce de ces troubles, dès l'école maternelle.

En ce qui concerne le titre consacré à la législation du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, la position du Gouvernement semble bien incertaine. Si les contrats à durée déterminée sont parfois utilisés de manière abusive, ils permettent aussi à de nombreuses personnes d'accéder à un premier emploi. Or, le Gouvernement a souhaité retenir des mesures coercitives à l'encontre des entreprises qui offrent un travail dit précaire dont il est difficile de fixer les contours. En effet, le travail à temps partiel n'est pas forcément précaire, dans la mesure où il peut être saisonnier ou correspondre à des tâches qui ne nécessitent pas une présence à temps complet. Si les intérêts des entreprises ne correspondent pas toujours à ceux des salariés, il reste que CDD et CDI sont deux formes contractuelles complémentaires, qui permettent aux employeurs d'ajuster leur volume d'emploi. La question est de savoir comment taxer les entreprises qui abusent du travail à temps partiel sans pénaliser celles qui en ont absolument besoin. Eu égard à l'arsenal juridique existant, deux orientations devraient à présent être poursuivies : développer les groupements d'employeurs qui peuvent offrir un cadre permanent à l'emploi des personnels d'appoint et favoriser la formation, qui constitue la meilleure prévention contre la précarité.

Les dispositions concernant le licenciement économique sont également « bancales », car sous prétexte de défendre les salariés, elles risquent de porter préjudice aux entreprises. Ainsi, l'article 31 -dont nous proposons la suppression- oblige toute entreprise de plus de cinquante salariés qui veut en licencier au moins dix, à inclure la négociation sur les 35 heures en préalable de son plan social. Alors que les dispositions de l'article L. 321-4-1 du code du travail sont déjà très strictes, vous proposez d'allonger la procédure de licenciement économique. Cela va à contre courant et il n'est pas admissible d'obliger les entreprises à négocier par deux fois la réduction du temps de travail. Par ailleurs, le droit à l'information pour les représentants du personnel est une bonne mesure qui existe déjà dans les attributions générales du comité d'entreprise. Dès lors, pourquoi alourdir des procédures que la Cour de cassation contrôle déjà strictement ? Si rien n'est prévu pour empêcher les abus, tout est fait pour désorganiser la gestion en créant deux régimes distincts de réunions d'information.

L'accès à l'emploi des travailleurs handicapés est un autre point de désaccord. Les handicapés attendent toujours la réforme globale de la loi de 1975, et le seul article qui leur est consacré n'est pas suffisant. Nous proposons plusieurs amendements pour créer dans chaque département un conseil départemental consultatif des handicapés ; clarifier la garantie de ressource de la personne handicapée exerçant une activité professionnelle, en donnant la qualité de salaire au complément de rémunération versé par l'Etat.

Pour l'apprentissage, l'interprétation restrictive de la loi actuelle ne permet pas aux organismes de formation professionnelle d'affecter des ressources aux actions de recherche et de développement. Il faut remédier à cela.

M. Germain Gengenwin - Très juste !

M. Jean-Pierre Foucher - Enfin, l'aide à domicile devrait être exonérée de l'obligation d'annualisation prévue par la loi du 19 janvier 2000, l'accord signé en octobre 1997 répondant déjà au souci de souplesse.

Copieux, ce projet de loi ne fait guère qu'enfiler une suite d'intentions diverses. Une fois de plus, on ne dépasse pas l'effet d'affichage, tandis que les grandes réformes restent en attente -formation professionnelle, la législation sur le handicap, retraites. Sur ces thèmes les Français attendent toujours une véritable modernisation (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Mme Chantal Robin-Rodrigo - Ce projet de loi s'inscrit dans le cadre des réformes sociales annoncées par le Gouvernement, et précède l'examen par notre Assemblée des réformes tant attendues liées à la prestation spécifique dépendance, à la loi bioéthique et au droit des malades. Les contraintes du calendrier parlementaire ont reporté son examen, et il est désormais amputé de 23 articles, déjà adoptés dans d'autres textes.

Ce texte amorce des réformes importantes concernant la santé, les études médicales, la protection sociale, la formation professionnelle, la validation des acquis, l'emploi et la protection des salariés.

Sur ce dernier point, il sera peut-être jugé timide, mais les amendements de la commission amélioreront les mesures concernant la prévention des licenciements, la lutte contre la précarité des emplois ou la protection des salariés handicapés.

Certains de ces amendements tiennent particulièrement à c_ur aux députés radicaux de gauche. S'agissant du volet santé, j'espère que le Gouvernement acceptera l'amendement visant à reconnaître comme spécialistes les chirurgiens ayant obtenu leur diplôme d'Etat antérieurement à la loi du 23 décembre 1982, et qui relèvent de l'ancien régime (MM. Bernard Accoyer et François Goulard approuvent). Il y a urgence, car de nombreux chirurgiens rencontrent des difficultés pour faire reconnaître leur diplôme au niveau européen.

L'article 16 reprend un amendement qui n'avait pu être inséré dans la loi de financement de la sécurité sociale. Cela va dans le sens d'une meilleure sécurité sanitaire, en encadrant mieux certaines pratiques médicales à risque.

Quant à l'article additionnel après l'article 17, accepté à l'unanimité en commission, il concerne l'intégration de la pharmacie au CHU. Venant après l'intégration de la médecine en 1958 et celle de l'odontologie en 1978, celle de la pharmacie est une nécessité pour professionnaliser les études, stabiliser le corps des enseignants et assurer la reconnaissance de la pharmacie au sein de l'hôpital.

Je regrette toutefois que le projet ne comporte pas les mesures qui auraient permis d'encadrer plus efficacement la profession de psychothérapeute (MM. Bernard Accoyer et François Goulard approuvent) et faute de lui donner un véritable statut d'encadrement, on laisse la porte ouverte à des charlatans, voire à des sectes.

M. Bernard Accoyer - Il faut voter notre amendement.

Mme Chantal Robin-Rodrigo - Par ailleurs, je regrette que la commission n'ait pas cru bon d'accepter l'exonération des charges patronales pour les services d'aide à domicile gérés par des structures intercommunales.

S'agissant du volet emploi et formation professionnelle, on ne peut qu'approuver les propositions concernant la validation des acquis professionnels et la prise en compte de l'expérience hors du cadre du travail. Ces dispositions concernent les femmes plus encore que les hommes, car elles ont deux fois moins de chances d'accéder à la formation. Ce projet de loi, enrichi des recommandations formulées par la délégation aux droits des femmes, leur offrira de nouvelles possibilités.

Par ailleurs, je me félicite du travail effectué en commission au sujet de l'accès à l'emploi des personnes handicapées, et nomment de leur niveau de rémunération. J'aurais souhaité cependant que soit créé un conseil départemental consultatif des personnes handicapées.

Evidemment, les députés radicaux de gauche voteront ce projet de loi, qui comporte nombre d'avancées significatives (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. François Goulard - Il est difficile de se prononcer, dans une discussion générale, sur un texte aussi hétéroclite, traitant de questions aussi diverses, qu'on ne peut guère que survoler. L'article premier n'est que l'ombre portée de l'accord conclu il y a un an, dans la précipitation, entre Mme Aubry et les organisations syndicales. Nous sommes un peu inquiets cependant de voir intégrer le service de santé des armées dans les schémas d'organisation sanitaire et sociale : il ne faudrait pas qu'ils perdent par là leur spécificité, quant aux missions de défense, ni que leurs moyens budgétaires soient remis en cause.

Sur plusieurs points, notre accord est complet : sur l'accueil familial, la validation des acquis professionnels -même si souplesse et pragmatisme doivent être ménagés- ainsi que sur les dispositions relatives aux handicapés en formation qu'il est juste en effet de prendre en compte pour le calcul du nombre d'handicapés employés dans une entreprise.

Cela dit, d'autres points appellent nos plus vives réserves. Et d'abord, nous ne pensons pas que le fonds de réserve puisse constituer une réponse sérieuse au problème des retraites, tant qu'il sera alimenté par des ressources aléatoires. Les déficits à venir sont, eux, certains. Or, à ce jour, on n'a mis en réserve qu'une année de déficit prévisionnel. En outre, la gestion collective et administrative que vous avez prévue empêchera toute dynamique des placements.

M. Bernard Accoyer - Très bien.

M. François Goulard - Pour ces raisons, nous critiquons l'abrogation de la loi Thomas.

En ce qui concerne les licenciements, M. Le Garrec nous a fait un numéro dont nous avons l'habitude. Il caricature, et sa fausse naïveté ne trompe personne : nous ne plaidons pas pour l'abrogation du code du travail. En revanche, de nombreux syndicalistes et experts -y compris M. Lavenir, dont le rapport a été publié par M. Fabius-, observent que notre droit du travail est plus pesant que celui d'autres pays, sans être plus efficace.

Contrairement à la caricature qu'en a fait M. Le Garrec, ce débat ne date pas de deux siècles ; nous sommes nombreux à penser que la place faite à la convention collective et au contrat est au coeur de l'avenir des entreprises car ce sont les seuls moyens de s'adapter rapidement à l'évolution des situations. C'est aussi par cette voie que l'on renforcera les syndicats que les salariés ne suivront que s'ils sont convaincus de leur utilité (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Si, en France, le taux de syndicalisation est ridiculement bas, c'est aussi à l'excès de réglementation qu'on le doit !

M. Recours nous a dit que les patrons de PME -qui sont aussi des électeurs- sont sympathiques, que c'est à contrec_ur qu'ils licencient alors que les grands capitalistes sont épouvantables et qu'ils licencient à seule fin d'augmenter la valeur de leurs actions (Protestations sur les bancs du groupe communiste). Ce discours est charmant mais bien simpliste... Il y a de mauvais patrons de PME. Il y a aussi des grandes entreprises bien dirigées où l'on connaît la valeur des salariés, où l'on sait que les licenciements cassent le moral du personnel et vont à l'encontre des objectifs économiques.

Cette loi vous apporte sans doute des satisfactions politiques, notamment celle de calmer, temporairement, l'extrême-gauche de cet hémicycle (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), mais elle demeure incantatoire, bien éloignée de la réalité car vous ne pourrez contraindre les entreprises à appliquer ce que vous prévoyez en cas de plan social.

La précarité que vous évoquiez tout à l'heure, Madame la ministre, les textes actuels l'encadrent déjà, par exemple en interdisant de renouveler un CDD. Pour autant, il y a un nombre considérable de ces contrats : il ne suffit pas d'écrire dans la loi que quelque chose est mal pour que l'on n'y ait pas recours...

Vos lois ont de nombreux effets pervers, que nous dénonçons sans relâche : elles provoquent des réticences à l'embauche qui joueront à plein, et au détriment des personnes les moins qualifiées, dès que la conjoncture sera moins porteuse. Ce texte se retournera donc contre ceux que vous vouliez protéger.

Par ailleurs, en cas de plan social, comment un juge pourra-t-il apprécier si l'entreprise à réellement cherché à proposer des activités nouvelles en vue du reclassement ?

Quant à l'appréciation de la validité du plan social au regard des moyens de l'entreprise, avez-vous mesuré jusqu'où cette disposition peut aller ? L'entreprise devra-t-elle consacrer l'intégralité de ses résultats positifs à éviter les licenciements ? Selon quels critères sera-t-elle jugée, Dans les faits, toutes ces dispositions n'empêcheront nullement les licenciements. Elles auront au contraire des effets pervers et entraîneront une immixtion excessive des juges dans l'entreprise, néfaste aux uns comme à l'autre.

Né de la phrase malheureuse de Lionel Jospin à propos de Michelin et des surenchères qu'elle a provoquées, ce texte en porte hélas les traces. Nous y sommes résolument hostiles en raison des risques qu'il comporte pour notre droit comme pour notre économie (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Gérard Lindeperg - Voilà de longs mois que nous attendions ce débat car notre Assemblée a eu bien peu de grain à moudre en matière de formation professionnelle depuis juin 1997. Il y a pourtant urgence à légiférer en la matière car les lois fondatrices de 1971 ne sont plus en mesure de répondre à un contexte économique et social et à des besoins profondément différents.

La complexité de notre système de formation continue, son caractère inégalitaire, son inadaptation à une économie de plus en plus fondée sur la connaissance... ne sont plus à souligner. La réponse, nous la connaissons : il faut un nouveau système de formation tout au long de la vie. Si ce texte n'apporte pas cette réponse globale, il pose néanmoins un jalon essentiel pour atteindre cet objectif.

La validation des acquis de l'expérience va ouvrir de nouvelles perspectives aux salariés, notamment à ceux qui n'ont pu bénéficier d'un bon niveau de formation initiale et qui pourront désormais faire reconnaître leurs acquis professionnels et élaborer un projet professionnel plus ambitieux.

Les articles 40 à 42 ouvrent un nouveau droit individuel à la reconnaissance de l'expérience pour l'acquisition d'un diplôme ou d'un titre. Le fait qu'ils placent l'obtention d'un diplôme par validation d'acquis à égalité de dignité et d'effet avec les autres modes d'obtention marque une petite révolution culturelle.

M. Jean Ueberschlag - Une révolution copernicienne...

M. Gérard Lindeperg - Notre système de formation est fondé sur une sur-valorisation de l'intelligence abstraite au détriment de l'expérience concrète, des démarches théoriques au détriment de l'expérience pratique. Et malheur à celui qui échoue en formation initiale car, hors le diplôme obtenu par la voie traditionnelle, il y a peu de salut pour une deuxième chance à l'âge adulte. En outre, ces survalorisations conduisent inévitablement à une sous-estimation de la valeur formatrice des travaux manuels et du bénévolat.

Il ne s'agit nullement d'affaiblir ou de concurrencer les cursus traditionnels de formation initiale mais de rééquilibrer les voies et les moyens de la qualification, en prenant en compte le fait que l'exercice d'une activité professionnelle ou bénévole pendant un certain nombre d'années est porteur de savoir, de savoir-faire, de savoir-être et que ces savoirs acquis par l'expérience appellent reconnaissance et validation. Il n'est donc pas excessif, Monsieur Ueberschlag, de parler comme je l'ai fait en commission de révolution copernicienne : au lieu d'aller du savoir au diplôme puis du diplôme au métier, nous proposons de reconnaître que la pratique d'un métier est source de savoirs qui sont reconnus par un diplôme.

M. Jean Ueberschlag - C'est quoi un métier sans savoir ?

M. Gérard Lindeperg - Ce texte n'est pas la grande loi qui crée un nouveau droit individuel, mutualisé, transférable, permettant une véritable formation tout au long de la vie. Mais il crée les conditions pour une grande loi à venir, dont je souhaite que les partenaires sociaux se saisissent avant que nous en délibérions.

Il s'agit aussi d'un texte de clarification dans le maquis de 1 700 diplômes et titres d'Etat, des 377 certifications de branche et des 1000 titres homologués, au moyen du répertoire national et de la commission nationale des certifications.

Parmi toutes les injustices que nous avons à combattre, l'inégalité des chances devant la formation est l'une des plus lourdes de conséquences. Comment tolérer que des destins professionnels soient scellés dès le plus jeune âge selon que l'on a eu la possibilité ou non de poursuivre des études en formation initiale ? Cette loi ne suffira pas à réduire ces inégalités et à donner des chances égales à tous, mais elle marque une rupture et je souhaite vivement que nous allions plus loin dans cette brèche ouverte.

J'ai cru comprendre que d'aucuns s'inquiétaient de savoir si l'année 2001 serait une année utile. Qu'ils se rassurent : elle commence bien avec cette loi, j'espère que ce début d'année ouvre le cycle des grandes réformes de la formation professionnelle que nous attendons tous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Germain Gengenwin - Utile, cette année le sera si elle apporte à chacun la santé, ce que je vous souhaite à tous. Ce projet est en fait un véritable DMOS qui traite d'un grand nombre de sujets forts divers.

Loin de se réduire à un slogan, la formation professionnelle tout au long de la vie doit guider le comportement de tout salarié.

Elle requiert un climat social qui accorde de la considération à la personne, afin que celle-ci soit à l'aise et reconnue à sa juste valeur au sein d'une communauté de travail. C'est aussi la condition de l'auto-formation, qui doit être stimulée.

Le projet prévoit la reconnaissance des compétences acquises par chacun sur son poste de travail, mais qu'en est-il pour les emplois précaires de la fonction publique, et notamment les emplois-jeunes ?

Pour la première fois, et c'est là une grande évolution, un diplôme peut être acquis en dehors du circuit académique de l'école, de l'université ou de l'apprentissage.

Dans un contexte de changement d'entreprise ou d'activité, le salarié doit ainsi pouvoir certifier ses capacités et faire reconnaître par tout employeur ses expériences précédentes.

La loi du 20 juillet 1992 le permettait déjà après 5 ans d'expérience ; le projet de loi retient 3 ans, durée sur laquelle je m'interroge.

Les articles 44 et 45 du projet de loi visent à rationaliser les réseaux et le financement de l'apprentissage et des CFA. Cela représente un enjeu financier de 7 milliards par an.

Les entreprises versent 0,5 % de leur masse salariale au titre de la taxe d'apprentissage, sauf en Alsace.

La taxe d'apprentissage est un dispositif de financement de l'enseignement technologique et professionnel et de l'apprentissage par les entreprises. Son fonctionnement reste régi par des modalités datant de 1971, qui mériteraient une modernisation permettant aux entreprises d'être davantage acteurs de l'enseignement professionnel, qu'il soit privé ou public.

Elle se décompose en 0,2 % au titre du seul apprentissage, notamment par le biais du fonds national de péréquation institué en 1996, et en 0,3 % dévolus à l'enseignement professionnel initial, c'est-à-dire les lycées, les écoles privées, les universités et tout le système éducatif du monde consulaire.

Il me semble primordial de préserver la cohérence de cette contribution des entreprises, tout en rationalisant le dispositif des organismes collecteurs répartiteurs.

Le projet de loi prévoit une refonte du système de collecte, mais j'en espère un plus ambitieux, donnant à ces structures de véritables missions de développement de la relation école-entreprise ou d'orientation.

Les masses en jeu créent aussi des convoitises et beaucoup d'organisations souhaitent avoir leur CFA, ce qui n'est pas toujours bénéfique pour l'apprentissage.

L'apprentissage est un contrat particulier conclu entre un apprenti et un maître d'apprentissage. Le CFA est le lieu où le jeune est formé.

Les lois de décentralisation de 1983 ont transféré cette compétence aux conseils régionaux, ce qui a été confirmé par la loi de 1986 qui a étendu l'apprentissage aux niveaux IV et III, voire universitaire.

Le transfert aux régions a été confirmé par la loi quinquennale de 1993, tout en leur laissant la responsabilité des schémas de formation et d'équipement des CFA.

Ces principes ne doivent souffrir aucune entorse.

Mais ce projet de loi révèle une tendance à limiter les libertés des régions et à leur imposer des règles souvent archaïques et contradictoires.

On ne peut en effet énoncer dans l'exposé des motifs que la région est le niveau pertinent pour la concertation entre les acteurs de la formation professionnelle et imposer en même temps un barème national déterminant le financement des CFA, alors que leurs situations sont très contrastées en fonction de leurs structures de rattachement et de la diversité des formations qu'ils dispensent.

Cela est particulièrement vrai pour les CFA rattachés à l'Education nationale, dont les charges sont supportées en grande partie par le budget des lycées ou par les régions propriétaires.

Le souci de transparence financière et d'affichage de prix par section est louable. Cependant, le texte comparable adopté en 1984 pour les organismes dispensateurs de formations continue ne fut jamais appliqué, tant sa complexité le rendait inopérant.

Je regrette donc que nous renouvelions les mêmes erreurs avec ce projet.

L'appréciation des coûts par section incluant l'amortissement est en effet une notion difficile à faire passer dans les actes, tant les CFA sont encore éloignés d'une culture d'analyse des coûts. Il en est ainsi des CFA de l'Education nationale où la notion d'amortissement n'existe pas dans la réglementation comptable.

Je proposerai donc des amendements visant à permettre aux régions d'engager la négociation avec chaque CFA en tenant compte de la situation particulière de chacun.

D'autre part, le projet permet aux syndicats et aux associations à compétence nationale de devenir collecteurs de la taxe d'apprentissage. Or, les termes sont vagues, alors que toute imprécision sur la nature du collecteur risque d'aller à l'encontre de l'objectif de transparence.

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Germain Gengenwin - On retrouve là le problème du financement des syndicats, et je ne voudrais pas que l'on fasse ici la même erreur. Je vous interrogerai d'ailleurs, à l'instar de mon collègue Jean Ueberschlag, sur le bilan des OPCA. Combien atteignent les 100 millions de francs ?

Je souhaite que la discussion se poursuive dans la sérénité et de façon constructive, avec le seul objectif de la formation des jeunes, et ne se réduise pas à un débat sur la répartition de masses financières (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Maxime Gremetz - Bien que tardif, ce projet de loi est important. En effet, dans le contexte actuel et vu les prétentions arrogantes de régression sociale du MEDEF, nous ne pouvons que nous saisir de l'occasion qui nous est donnée de réaffirmer notre volonté face à ceux qui souhaitent un recul des droits des salariés, à travers le projet inacceptable d'aide au retour à l'emploi ou l'affaiblissement des dispositifs actuels de retour à l'emploi.

Les députés communistes et apparentés seront donc très attentifs au contenu de ce texte qui se doit d'aller jusqu'au bout de sa logique, en intégrant notamment les avancées de la jurisprudence en matière d'obligation des employeurs. Je commencerai par quelques mots sur la situation actuelle : l'INSEE dénombrait en mars 2000 un million d'intérimaires et de CDD. Par ailleurs, selon la DARES, la part du temps partiel subi est passée de 7,3 à 13,8 %, celle des CDD de 4,6 à 17,1 % et celle des emplois à bas salaires -soit jusqu'à 1,3 SMIC, c'est-à-dire moins de 7 200 F net- de 65 à 78 %. Ce sont donc plus de 15 millions de salariés qui gagnent moins de 7 200 F net ! C'est dire tout l'enjeu de cette modernisation sociale, qui nous a conduits à déposer des amendements visant à renforcer les obligations de l'employeur en matière de formation et de reclassement notamment à travers une définition plus précise du licenciement pour motif économique, dont l'appréciation doit se faire en considérant le donneur d'ordres et le sous-traitant comme une seule et même unité. Martine Aubry avait pris des engagements en matière de législation sur les licenciements économiques abusifs. Mettons donc dans la loi cette définition précise du motif économique du licenciement, compte tenu de l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui fait peser une appréciation trop fluctuante sur la réalité et le sérieux de la cause invoquée par l'employeur. Il est important de voir si le licenciement est économique ou pas. Nous nous réjouissons de voir ici reprises les dispositions permettant d'imposer avant tout plan social l'obligation d'avoir engagé des négociations tendant à la conclusion d'un accord de réduction du temps de travail. L'un de nos amendements propose également de généraliser une disposition adoptée dans la loi d'orientation sur l'outre-mer, supprimant toutes ristournes et exonérations de cotisations patronales en cas de condamnation de l'employeur pour les faits de « fraude sociale ».

Pour être pleinement efficace, tout cela doit s'accompagner d'un renforcement des droits de saisine de la juridiction prud'homale par les salariés.

La législation relative aux prérogatives des représentants du personnel n'a pas connu de progrès significatif depuis les lois de 1982 ; cela se traduit concrètement par la mise devant le fait accompli ou l'effet d'annonce, contraires à l'ensemble du dispositif d'information et de consultation préalables des comités d'entreprises.

Nous voulons donc inclure dans les statuts des entreprises l'engagement de respecter la législation relative aux institutions représentatives du personnel, sous peine de nullité des décisions et délibérations correspondantes. De même, nous proposons d'introduire dans le code du travail une disposition visant à considérer que l'employeur ne peut se prévaloir de l'absence d'institution représentative du personnel pour échapper à ses obligations en matière de procédure de licenciement. La procédure serait dès lors considérée comme irrégulière.

C'est pourquoi nous proposerons que les salariés sous contrat à durée déterminée soient pris intégralement en compte dans l'effectif de l'entreprise : ainsi la précarité ne servira plus de prétexte aux employeurs pour restreindre l'exercice des droits à la représentation syndicale. Car, outre les travailleurs intérimaires, la précarité touche l'ensemble des salariés sous contrats à durée déterminée, qui servent à pourvoir durablement des emplois permanents, contrairement à ce qu'exige la loi ! J'en ai donné de multiples exemples, dont Magnetti-Marelli, Valéo, Dunlop et bien d'autres.

C'est pourquoi l'un de nos amendements tend à compléter sur ce point l'article L. 122-1 du code du travail.

Par ailleurs, lorsque j'évoquais le respect des engagements pris par notre majorité plurielle, je pensais tout particulièrement à celui pris le 7 novembre dernier, lors du sommet de la gauche, de pénaliser financièrement le recours abusif au travail précaire. Nous proposons de définir ce recours abusif par le dépassement d'une proportion de 10 % de salariés intérimaires ou en CDD dans une entreprise de plus de 100 salariés. Nous ne confondons donc pas en effet le cas de ces grandes entreprises et celui des PME, sur lesquelles pleure M. Goulard... Le constat d'un tel dépassement par l'inspection du travail devra donner lieu au paiement d'une amende dissuasive de 12 000 francs par salarié au-delà de 10 %. Il faut dissuader !

Tout cela pose bien sûr la question des moyens dévolus à l'inspection du travail, mais aussi à la médecine du travail, car certaines formes de précarité affectent la santé des salariés. A ce sujet, l'article 64 du projet ne peut que trouver un écho favorable auprès des députés communistes, qui n'ont cessé de dénoncer les méfaits pour la santé de certaines substances chimiques, tels les éthers de glycol. Ne recommençons pas le drame de l'amiante ! Mais j'ajouterai que, si l'on veut traiter complètement la question des effets sur la santé des salariés de la précarisation et de la dégradation des conditions de travail, il faudra envisager des mesures inspirées de la proposition de loi de mon ami Georges Hage sur le harcèlement moral. Je remercie Mme la ministre d'avoir dit que nos amendements en ce sens seraient examinés avec attention.

De même nous sommes très attachés à l'amendement que nous avons déposé avec Pascal Terrasse sur la présence des salariés actionnaires dans les conseils d'administration et les directoires des fonds d'épargne salariale des entreprises. Comme l'a décidé ce matin le groupe communiste, notre vote dépendra du sort de cet amendement, comme de la suite donnée à l'engagement pris par le Gouvernement de demander un co-rapport sur les droits nouveaux des salariés dans les entreprises (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Jean-Luc Préel - Ce texte est-il le grand DMOS que le président Le Garrec appelait de ses v_ux en 1999 ? A l'époque il était certain de l'obtenir, compte tenu des nombreuses attentes dans ce domaine et de la nécessité de toiletter de nombreuses dispositions législatives. Si ce n'est pas le DMOS, quand viendra-t-il ?

Ma deuxième remarque concerne notre démocratie et le fonctionnement de notre assemblée. Si le Président Chirac demande à juste titre que l'année 2001 soit une année utile, il n'est pas sain que la politique se réduise souvent à des effets d'annonce et d'affichage. Vous nous avez annoncé de nombreux textes : loi de modernisation sociale, loi de modernisation de la santé, loi sur les handicapés, loi autonomie, loi bioéthique, qui aurait d'ailleurs dû être votée en 1999... Pour combien de ces textes les navettes seront-elles achevées dans un an ? Sauf erreur, vous n'avez pas demandé l'urgence sur celui-ci. Combien seront applicables à la fin de la législature ? Car cela exige la parution des décrets : on a vu avec la loi Thomas ce qui arrive lorsqu'ils font défaut. Il ne suffit pas d'annoncer des textes, puis de les présenter au conseil des ministres -même si dès cet instant les Français, aidés en cela par les journalistes, ont l'impression qu'ils sont applicables ...

Il ne suffit pas de les déposer sur le bureau de l'Assemblée. Il faut achever les navettes et publier les décrets. Il serait plus sage, plus sain pour la démocratie de ne pas entretenir de faux espoirs.

Sur le fond, je poserai trois questions. La première concerne la réforme de l'internat. Cette réforme attendue a deux intérêts : revaloriser la médecine générale et conférer à chaque étudiant de réelles responsabilités. L'internat sera remplacé par un examen national classant et l'étudiant choisira selon son rang la spécialité, la région et l'hôpital. L'hôpital : est-ce à dire que toute mobilité sera impossible ? Cette réforme doit en principe revaloriser la médecine générale ; elle est nécessaire pour que le choix ne se fasse pas par défaut. Mais les meilleurs seront-ils incités pour autant à choisir la médecine générale ? Aujourd'hui des généralistes qui se sont formés, se dévouent et enseignent à l'Université, quasi bénévolement, la pratique quotidienne du généraliste. Certains sont devenus enseignants associés. Que deviendront-ils ? Leur rôle sera-t-il conforté, ou la formation sera-t-elle réservée demain aux universitaires ?

Mais surtout cette réforme ne règle pas le problème essentiel de la démographie médicale et des spécialités sinistrées. Avez-vous pris la mesure du problème ? Verrons-nous demain des hôpitaux fermés par manque de certains spécialistes, notamment dans les maternités et en réanimation ? Il faut dix ans pour former un spécialiste : que faites-vous aujourd'hui pour assurer un nombre suffisant de gynécologues, de pédiatres, d'anesthésistes ? Ne rien faire aujourd'hui constitue une faute grave.

Ma deuxième question concerne les diététiciens. Ils jouent un rôle majeur dans les établissements de soins, mais aussi en ville, dans les collectivités. Ils attendent avec impatience la sortie d'un décret définissant leurs compétences. Ce point n'étant pas traité dans le projet, j'ai donc déposé deux amendements pour régler ce problème. M. Nauche, le rapporteur, est d'accord sur le fond, mais juge souhaitable de reporter cette solution à une date ultérieure. Pourtant le projet traite des médecins, des masseurs-kinésithérapeutes, notamment, et de bien d'autres domaines sanitaires. Pourquoi ne pas régler simplement ce problème aujourd'hui ? Est-ce parce que vous ne le souhaitez pas ?

Ma dernière question concerne les familles d'accueil, régies par la loi de 1989. Elles constituent une excellente solution intermédiaire entre le maintien à domicile et l'hébergement en établissement. Leurs problèmes majeurs concernent les congés payés et leur remplacement, ainsi que la possibilité de percevoir des indemnités-chômage. Vous modifiez la loi, en renvoyant beaucoup aux futurs décrets. En outre il est regrettable que leur formation, prévue dans la loi de 1989, ne figure plus dans ce projet. Les aides-ménagères bénéficient le plus souvent d'une formation. Les familles d'accueil hébergent des personnes dépendantes : elles ont besoin de formation. Il ne s'agit pas d'en faire des infirmières ni même des aides-soignantes, mais de leur donner une formation sur la manutention, la diététique, la psychologie. Les départements sérieux ont institué cette formation initiale et continue. Il faut la prévoir, et permettre aux départements qui l'ont instituée de la poursuivre.

Nous aurons l'occasion, au cours des débats, d'aborder les autres articles. Je vous remercie, Madame la ministre, de me répondre si vous le voulez bien (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Jacques Desallangre - Ce projet ne peut être un simple DMOS, pompeusement appelé loi de modernisation sociale. Il doit donc encore gagner en volontarisme politique.

Nos amendements devraient permettre de donner plus de souffle à certains articles. Ainsi, contrairement à ce qu'affirmait la précédente ministre des affaires sociales, l'employeur ne doit pas être le seul juge de l'opportunité des licenciements. Ce pouvoir parfois exorbitant doit être encadré et contrôlé, comme toute activité en société. L'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen nous impose de fixer le cadre dans lequel la liberté peut s'exprimer, cadre qui doit permettre à tous les membres de la société de jouir des mêmes droits. Nos concitoyens peuvent exercer leur liberté dans la mesure où cela « ne nuit pas à autrui », et le code civil leur fait obligation de réparer les préjudices dont ils sont les auteurs. Il est grand temps d'appliquer ces préceptes aux entreprises. Sinon, nous accepterions qu'elles soient les seules personnes juridiques dont la liberté n'est pas encadrée, ni soumise au principe de responsabilité. Elles pourraient alors tout faire pour augmenter leurs bénéfices, au profit de leurs actionnaires, sans se soucier des préjudices et des restrictions de liberté qu'elles infligent aux citoyens en les privant du droit au travail, pourtant reconnu par le préambule de la Constitution. Les entreprises seraient-elle plus libres et moins responsables que nos concitoyens ? Pour ceux-ci, aux droits qu'ils ont acquis répondent en effet des devoirs. Dans cet esprit, je propose qu'aux droits des actionnaires répondent des devoirs, et plus précisément l'obligation d'assurer financièrement tous les coûts qu'ils font peser sur la société.

Les amendements que je défendrai l'ont déjà été lors de précédents débats. Chaque fois, la ministre ou le rapporteur m'ont répondu que ces amendements -dont ceux dits « Wolber »- trouveraient pleinement leur place dans le projet de modernisation sociale. Vous comprendrez donc que je défende à nouveau ces améliorations législatives visant à protéger les salariés touchés de plein fouet par des licenciements économiques, légitimement ou abusivement.

Aujourd'hui encore le droit du travail ne permet pas de contester le bien-fondé des causes de licenciement tant que la rupture des contrats de travail n'est pas intervenue. Nous devons permettre aux salariés de contester le caractère réel et sérieux des causes de licenciement dès le début de la procédure, avant que la situation ne soit, en fait, quasi irréversible. Ainsi, l'injustice qu'ont subie les 451 salariés de Wolber-Michelin ne sera pas restée vaine.

Les travailleurs de Wolber et d'ailleurs attendent que nous fassions ce premier pas pour rétablir l'équilibre rompu.

Il serait judicieux, par ailleurs, d'imposer, en cas de licenciement abusif, la réintégration du salarié sur sa demande ou, s'il ne souhaite pas être réintégré, l'indemnisation intégrale par l'employeur du préjudice qu'il lui a fait subir. Cela dissuaderait les entreprises de considérer les effectifs salariés comme une simple variable d'ajustement dans leurs décisions stratégiques.

Du sort qui sera réservé à ces propositions dépendra le vote des députés du Mouvement des citoyens sur l'ensemble du projet (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe communiste).

Mme Odile Saugues - Faut-il rappeler ici qu'un plan social ne saurait être un acte banal de gestion, ni les salariés de simples variables d'ajustement ? Hélas, l'évolution des m_urs économiques dont nous sommes tous témoins dans nos circonscriptions nous conduit à ce triste constat : de la PME jusqu'au grand groupe industriel, les stratégies conduites font souvent bien peu de cas de la dignité des hommes. En septembre 1999, une grande entreprise française, fleuron de notre industrie, annonçait simultanément des résultats financiers sans précédent et des suppressions massives d'emploi, joignant même le cynisme à la brutalité, puisque ses dirigeants refusaient d'explorer toutes les pistes qui auraient permis de sauver des emplois, à commencer par la réduction du temps de travail.

Le présent projet de loi ne pouvait ignorer une telle situation. Modernisation sociale : cela signifie que les premiers informés de tout projet de suppression d'emplois doivent être les salariés et leurs représentants, et non les actionnaires, auxquels il s'agit bien souvent de regonfler le moral - et le portefeuille... Modernisation sociale : cela signifie qu'une entreprise ne peut se tourner vers l'Etat pour lui présenter un plan social sans avoir exploré auparavant toutes les solutions légales à sa disposition.

J'avais proposé, dans le débat sur la réduction négociée du temps de travail, un dispositif concret que le juge constitutionnel, sans le rejeter sur le fond, nous a invités à préciser quant à ses conséquences juridiques. C'est ce que nous faisons aujourd'hui, et le groupe socialiste a fait preuve, en cette affaire, d'une détermination exemplaire : jusqu'à l'achèvement de la procédure de licenciement économique, le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel pourront demander au juge sa suspension, voire son annulation, si l'employeur n'a pas engagé de négociations sérieuses et loyales ; en outre, si l'amendement de notre rapporteur est adopté, la mise en _uvre d'un plan social sera impossible dans les entreprises ayant recours de façon structurelle aux heures supplémentaires.

En montrant ainsi notre volonté de mettre fin à des pratiques qui bouleversent la vie des salariés, choquent nos concitoyens et entravent le développement de nos communes, nous traduisons l'engagement pris par Lionel Jospin dans sa déclaration de politique générale : « le plan social ne doit être qu'une solution de dernier recours, envisagée au terme d'une véritable négociation » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Michel Marchand - Ce projet répond à une attente de nos concitoyens, et les députés Verts approuvent la grande majorité de ses dispositions. Il renforce notamment la législation relative aux licenciements économiques, à l'intérim et aux contrats à durée déterminée. La commission a cependant choisi d'aller plus loin dans le contrôle des plans sociaux, qui devront tenir compte des handicaps sociaux, des charges de famille, de l'ancienneté, et non pas seulement des compétences professionnelles. Il faudrait même, selon nous, permettre aux tribunaux de juger du bien-fondé des licenciements économiques au vu de la situation économique de l'entreprise.

Nous appelons, par ailleurs, l'attention du Gouvernement sur les conditions légales d'application de la procédure spéciale de licenciement des représentants du personnel, car elles offrent à certains employeurs peu scrupuleux les moyens d'annuler ou de contester certaines désignations ou candidatures. Le faible taux de syndicalisation que connaît notre pays montre bien les difficultés que rencontrent les salariés qui prennent le risque de s'engager. Qui plus est, notre droit positif aggrave ces difficultés, en ne protégeant les candidats aux élections professionnelles qu'à compter de la signature d'un protocole préélectoral, et non à partir de la notification des candidatures à l'employeur. Nous demandons que cette disposition soit modifiée.

La validation des acquis professionnels est une avancée précieuse, quand on sait que près d'un actif sur deux occupe un emploi sans lien avec sa formation initiale. Il ne s'agit pas d'opposer éducation nationale et formation professionnelle, mais de valoriser l'expérience de terrain et de favoriser la mobilité professionnelle. Je m'arrêterai toutefois sur deux cas particuliers : celui des ostéopathes et celui des psychothérapeutes. Si les premiers ne sont plus condamnés, lorsqu'ils ne sont pas médecins, c'est-à-dire dans un cas sur deux, pour exercice illégal de la médecine, il conviendrait d'aller plus loin et de valider leur compétence par un titre officiel, quelle que soit leur formation initiale. Quant aux seconds, la mise sur pied d'un système de certification nationale offrirait une garantie contre les pratiques sectaires dont la MILT a dénoncé le danger.

Enfin, les Verts se félicitent du renforcement de la protection des travailleurs exposés aux risques cliniques. Ils voteront l'ensemble du projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Michel Charzat - Ce projet vise à répondre à divers problèmes sociaux que connaît notre pays, dans les domaines de l'emploi, de la santé, de la solidarité, de la protection sociale, de la qualité de vie de nos concitoyens. Il est particulièrement heureux que son article 14 clarifie le régime de l'accueil familial à titre onéreux de personnes âgées ou handicapées, notamment en supprimant la distinction entre les premières et les secondes et en précisant le contenu du contrat passé entre la personne accueillie et la personne accueillante. La rémunération journalière des services rendus, l'indemnité pour frais d'entretien courant et l'indemnité représentative de mise à disposition de pièces réservées rendent justice à la mission confiée aux accueillants et aux sujétions qui leur sont imposées, renforçant ainsi leur professionnalisation.

La nouvelle rédaction de la loi du 10 juillet 1989 pose toutefois un problème de principe. Elle ouvre en effet aux accueillants le droit aux congés payés prévus par le code du travail, alors même qu'est maintenue la mention selon laquelle le contrat passé avec la personne accueillie « ne relève pas des dispositions » dudit code. La commission a donc adopté un amendement tendant à sa suppression ; en l'acceptant, le Gouvernement consoliderait le nouveau statut juridique des hébergeants familiaux.

Les projections démographiques de l'INSEE donnent la mesure de l'importance de cette question : d'ici 2040, en effet, le nombre des personnes de plus de 60 ans va augmenter de près de dix millions, tandis que celui de actifs baissera d'un million. Pour la première fois, quatre générations coexistent au sein d'une même famille, et il y aura bientôt plus de grands-parents que de petits-enfants, et la dépendance des personnes âgées n'est plus une affaire privée, mais une cause nationale !

En 1995, 500 familles accueillaient des personnes âgées ou handicapées : aujourd'hui, ce nombre a été multiplié par quatre et à l'avenir, des dizaines de milliers de personnes seront concernées par ce que Mme la ministre a qualifié tout à l'heure « d'alternative précieuse au maintien à domicile ». Il est heureux que l'on vive de plus en plus longtemps mais cela ne va pas sans poser quelques difficultés : jamais la solidarité des 40-50 ans n'a été autant sollicitée et plus d'un Français sur cinq a dans son entourage proche un parent qui ne peut vivre seul.

Face à ce véritable défi de société, ce projet constitue une nouvelle étape dans la prise en compte de la dépendance. A cet égard, je me félicite, Madame la ministre, que vous ayez récemment confirmé que le projet de loi sur la prestation autonomie serait présenté en conseil des ministres au plus tard le mois prochain. Il a en effet vocation à substituer à la prestation spécifique dépendance une aide personnalisée à l'autonomie.

Comment bâtir un nouveau pacte intergénérationnel et transformer les conflits de génération en échanges constructifs ? C'est à ces questions essentielles que répond pour partie ce projet de loi dont nous accueillons avec confiance les avancées (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle - Je ne puis laisser sans réponse la charge à laquelle s'est livré M. Ueberschlag contre ce projet de loi. Vous avez estimé, Monsieur le député, que ce texte constituait une interférence dans le champ des compétences du chef d'entreprise. Je conteste cette vision des choses et j'ai eu l'occasion d'en débattre à plusieurs reprises avec les organisations professionnelles. Il n'y a en effet rien d'illégitime à ce qu'un jury d'enseignants et de professionnels valide les acquis professionnels d'un salarié. Je reconnais qu'il s'agit là d'une petite révolution puisque pour la première fois, il est admis qu'un titre puisse être acquis en reconnaissance d'un parcours professionnel et non pour valider un cursus de formation. Du reste, il est prévu que le jury extérieur à l'entreprise puisse confronter le candidat à une situation professionnelle afin d'évaluer ses aptitudes en situation de travail.

S'agissant du contrôle de la qualité de l'offre de formation, les lois de 1993 et de 1996 ont déjà prévu des procédures que je m'efforce depuis un an, en étroite concertation avec l'ensemble des organismes de formation, d'améliorer. Je considère d'ailleurs que l'offre de formation disponible dans notre pays est globalement bonne et que l'image négative qui s'y attache souvent est largement injustifiée.

Le Gouvernement avancera du reste des propositions tendant à l'améliorer encore et je présenterai à cet égard plusieurs amendements au cours de la discussion du présent projet. Ainsi, il est indispensable de constituer sans plus attendre un répertoire national de l'ensemble des quelques trois mille titres, certifications et diplômes afin que le droit de chacun à voir valider sa compétence professionnelle puisse connaître une traduction concrète sur des bases clairement établies.

S'agissant de l'apprentissage, M. Gengenwin a eu raison de rappeler que des sommes considérables étaient en jeu et qu'il y avait lieu de renforcer la transparence des circuits financiers afférents. La rigueur financière est une condition de l'efficacité de l'apprentissage, que je souhaite voir progresser sur l'ensemble du territoire. Je souhaite à cet égard que la collecte des fonds soit organisée à l'échelle de la région, qui constitue à mes yeux le territoire pertinent. Je suis déterminée à soutenir l'apprentissage et à porter remède aux difficultés que connaissent trop de CFA (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Plusieurs points intéressants ont été abordés au cours de la discussion générale et je souhaite vous livrer mes réactions sur certains d'entre eux.

S'agissant de l'accueil familial à titre onéreux, sur lequel ont insisté notamment MM. Recours et Charzat, le Gouvernement entend, dans l'intérêt de tous, professionnaliser ce mode alternatif à la prise en charge de la dépendance des personnes âgées ou handicapées. En effet, l'accueil familial se développe et il y a tout lieu de s'en féliciter car cette forme de prise en charge resserre les liens entre les générations et entre les différentes composantes de la population de notre pays. Pour autant, l'inscription de ce mode d'intervention dans le droit du travail ne va pas de soi car il est difficile de considérer que la relation accueillant-accueillis obéisse à un quelconque schéma de subordination hiérarchique. Il y a donc lieu de faire évoluer vers le salariat le statut des quelque 9 000 accueillants familiaux recensés dans notre pays pour s'occuper de plus de 20 000 personnes dont la moitié sont handicapées.

La politique en faveur des personnes handicapées, telle que l'a présentée Lionel Jospin le 25 janvier 2000 devant le comité national consultatif des personnes handicapées, constitue une priorité de ce gouvernement. Un plan de 2,5 milliards pour la période 1999-2003 a ainsi été élaboré pour permettre aux personnes handicapées de choisir entre le maintien en milieu de vie ordinaire et l'accueil en établissement spécialisé.

S'agissant du maintien en milieu de vie ordinaire, 300 millions sont prévus pour le soutien à domicile et l'intégration scolaire des enfants handicapés. Des sites pour la vie autonome ont également été aménagés et 32 000 postes d'auxiliaires de vie seront financés à hauteur de 200 millions. Les procédures d'acquisition des aides matérielles et techniques ont enfin été simplifiées.

Pour ce qui concerne l'accueil collectif, 5 500 places en maison d'accueil spécialisée seront créées en cinq ans, 8 500 en centres d'aide par le travail et 2 500 en ateliers protégés. Plusieurs centaines de millions ont également été dégagés au bénéfice des enfants handicapés, des personnes handicapées vieillissantes et des victimes de traumatismes crâniens.

La modernisation des COTOREP est évidemment une priorité, Monsieur Ueberschlag. Nous voulons simplifier leur gestion avec un pilotage unique pour l'emploi et la solidarité, et une autonomie de gestion grâce à un budget propre. Nous augmentons aussi leurs moyens, tant en personnel -20 postes de médecins coordonnateurs créés en deux ans, ainsi que dix postes de secrétaires administratifs-, qu'en crédits de fonctionnement -30 millions supplémentaires.

Le pouvoir d'achat des retraités. Il fallait d'abord réaffirmer la pérennité du régime par répartition, et je me réjouis que l'opposition ait évolué à ce sujet. Nous avons la volonté d'associer les retraités à la reprise de la croissance : d'où les mesures prises en faveur du minimum vieillesse et l'augmentation, depuis 1997, du pouvoir d'achat des retraités -qui s'accroîtra encore en 2001, puisque la hausse est fixée à 2,2 %, un point de plus que l'inflation. Le gouvernement précédent avait, lui, rogné ce pouvoir d'achat.

Mme Jacquaint m'a interrogée sur le laboratoire français de fractionnement. Je soutiendrai l'amendement dotant ce laboratoire du statut d'établissement public de l'Etat. L'éthique veut en effet une égalité de traitement pour les produits tirés du corps humain, et nous n'avons pas intérêt à privatiser ces activités. Quant aux élections à la sécurité sociale, dont je sais combien elles vous tiennent à c_ur, je m'engage à susciter à ce sujet une concertation approfondie, car on ne peut improviser là-dessus...

M. Germain Gengenwin - Depuis 1982...

Mme la Ministre - Je partage aussi votre souci de voir appliquer pleinement la convention internationale des droits de l'enfant. Mais le droit est formel : cette convention ne peut être invoquée devant les tribunaux par des particuliers. En revanche, nous devons faire entrer dans notre droit et nos pratiques sociales toutes ses dispositions. Avec Ségolène Royal, nous avons pris en septembre une vingtaine de mesures contre la maltraitance des enfants -notamment celle qui se produit au sein d'institutions-, et le 20 novembre développé plusieurs volets, dans une perspective européenne. J'insiste aussi sur la protection accordée aux salariés qui alerteraient sur des maltraitances : ils seront à l'abri de toute rétorsion.

Les parlementaires RCV ont fait part de leurs craintes à propos de certaines pratiques de psychothérapeutes. Des travaux sont en cours à ce sujet, et une solution adéquate devrait être trouvée d'ici l'été, pour figurer dans la loi de modernisation du système de santé.

M. Préel a posé quelques questions intéressantes, sur la démographie médicale d'abord. Je lui rappellerai que, dès 1998, le Gouvernement a desserré le numerus clausus, en le portant de 3 400 à 4 100 places -alors que la majorité précédente n'avait rien fait.

Vous avez demandé ensuite si la réforme des études médicales n'allait pas remettre en cause la place des généralistes dans l'enseignement. Non, le nombre des enceignants généralistes a augmenté de 26 en 2000, et il augmente encore autant en 2001. Par ailleurs, les décrets réformant le 2e cycle renforcent leur rôle -ils seront notamment représentés dans la commission pédagogique nationale.

Je regrette que ces questions intéressantes se soient accompagnées de propos répétitifs et convenus, quelque peu lassants -et aussi d'une goujaterie et d'une vulgarité que je n'attendais pas de votre part, et que je préfère imputer à la lassitude qu'à je ne sais quel machisme.

A propos du second volet du projet, qui concerne le travail, la précarité, le licenciement, je veux saluer le propos de Mme Odile Saugues, qui a rappelé sobrement les objectifs du projet. Il ne s'agit pas d'interdire le travail précaire, mais d'en pénaliser les abus, de faire en sorte que soient explorées toutes les ressources de la concertation, du reclassement, avant qu'on en arrive au licenciement économique, parfois inévitable, hélas. J'ai relevé d'ailleurs des points d'accord chez M. Foucher ou M. Goulard, en dépit des critiques obligées.

J'ai écouté avec attention les remarques de M. Gremetz, que je sais attaché à éviter les détournements de la loi. Mais il ne faut pas systématiquement en appeler à l'arbitrage du juge. Faisons appliquer la loi, mais essayons d'y arriver par le dialogue.

Nous aurons l'occasion de revenir sur tout cela à l'occasion des articles. Pour l'heure, je remercie tous les participants de leurs contributions, qui ont bien montré que ce texte « hétéroclite » pouvait susciter un débat approfondi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du Règlement, par le groupe UDF.

M. Yves Bur - Nous commençons ce siècle législatif avec un texte bien pauvre, qui illustre la « Nouvelle France » que veulent nous imposer Lionel Jospin et son gouvernement et où l'effet d'annonce est destiné à camoufler l'absence de contenu concret et le caractère archaïque des choix opérés.

Où est la modernisation sociale annoncée dans les mesures relatives à l'indemnisation de certains administrateurs des organismes de sécurité sociale, à la validation d'un concours de masseurs-kinésithérapeutes, à la régularisation de la situation de certains agents contractuels de la Bibliothèque nationale de France ? Certes ces mesures sont utiles pour ceux qu'elles concernent, mais le pays peut être inquiet si, dans votre esprit, la modernité se résume à cela. En fait, ce projet n'est qu'un DMOS maquillé.

Est-il moderne de faire croire que proposer une fois de plus, la suppression de la loi Thomas marque un progrès social déterminant ? L'attentisme du Gouvernement réglera-t-il par enchantement l'énorme problème du financement des retraites ?

Tous les gouvernements européens ont fait preuve de courage dans ce domaine. Seul le vôtre mise sur les retombées de la croissance pour financer les retraites. Or, les experts sont unanimes, cela ne suffira pas ; la France ne pourra faire l'économie d'une véritable réforme qui tienne compte de l'allongement de durée de la vie.

Une modernisation authentique suppose un champ d'action délimité, un diagnostic objectif, un débat approfondi, une volonté et une vision d'avenir. Comment prétendre que ces éléments sont réunis dans ce texte ?

Ce projet de loi est sur le bureau de l'Assemblée depuis le 24 mai 2000. Depuis lors, nous en cherchons en vain l'architecture générale, la cohérence. En outre, ce projet a été amputé de 29 articles par le Gouvernement qui a jugé plus utile de les faire discuter morceau par morceau, au gré de l'actualité et des enjeux de pouvoir au sein de sa majorité. Pour sa part, la commission n'a pas ajouté moins de 23 articles.

S'il s'agit véritablement d'une modernisation sociale, nous devons nous réunir de nouveau pour enrichir ce texte et lui donner une telle dimension. Et s'il ne s'agit que d'un texte destiné à faire patienter, à répondre à des problèmes ponctuels et sectoriels, nous aimerions aussi pouvoir étudier un certain nombre d'autres dispositions en faveur de la modernisation que vous affichez. Nous ne trouvons ainsi aucune trace dans ce projet de la validation législative de l'accord sur l'UNEDIC, qui prévoit la mise en _uvre du PARE. Ce nouveau contrat, que le Premier ministre a mis du temps à accepter, doit entrer en vigueur le 1er juillet ; de même que la baisse des cotisations salariales et patronales pour le chômage. En ne prévoyant pas cette validation, le Gouvernement entend-il retarder l'application de ce nouveau dispositif de lutte contre le chômage à seule fin de ne pas heurter les partenaires réticents de la majorité plurielle ?

Ce projet était l'occasion d'aborder cette question au même titre que les dispositions relatives à l'emploi précaire et aux licenciements, qui ont vocation, comme le PARE, à être des outils efficaces de lutte contre le chômage.

Votre texte s'inscrit aussi dans la longue série des « à peu près » que vous affectionnez. Insensibles à nos avertissements, vous pensez aller de l'avant, alors que vous ne faites que du sur-place. L'annulation, par le Conseil constitutionnel, de l'article 26 du projet de loi de finances rectificative sur l'écotaxe et l'invalidation de l'article 3 du projet de loi de financement de la sécurité sociale sur le dispositif d'exonération et de ristourne dégressive de la CSG et de la CRDS, sont pourtant les marques du manque de préparation de ce que vous appelez des réformes. Vous préférez toujours l'effet d'annonce au travail législatif sérieux. Après plusieurs revers, vous devez pourtant reconnaître que vos critiques systématiques de toutes les propositions alternatives n'étaient pas fondées, que ces propositions viennent des partenaires sociaux, moteurs de la refondation sociale comme la CFDT et le MEDEF, ou qu'elles viennent des députés de l'opposition ou de la majorité sénatoriale, qui ont plaidé pour une baisse des charges sociales ou pour un crédit d'impôt.

Le titre de ce texte devrait être « patience sociale », d'autant que vous annoncez l'arrivée prochaine de grands textes sur la modernisation du système de santé sur l'aide personnalisée à l'autonomie, sur la bioéthique, sur la rénovation de l'action sociale et médico-sociale. Seule manque à l'appel la formation professionnelle...Ces textes au nom gonflé d'importance, auront-ils un contenu similaire pareillement aussi creux que celui-ci ? Si tel n'est pas le cas, pourquoi en retarder la discussion avec ce texte de moindre importance ?

Illustration des faiblesses de ce texte, l'article 39, qui institue de nouvelles modalités devant permettre l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés. La rédaction initiale permettait d'intégrer les personnes handicapées accueillies dans une entreprise en stage, en formation ou dans le cadre de contrats en alternance dans le quota obligatoire de 6 % des effectifs salariés. Or, la discussion en commission a abouti à supprimer cette possibilité qui avait pourtant reçu l'accord de la plupart des associations, notamment de l'Association des paralysés de France.

L'intégration par un stage permet souvent d'accéder pour la première fois au marché de l'emploi. Elle favorise l'accueil de plus d'handicapés dans un cadre ordinaire de travail et leur garantit ainsi un niveau de ressources adapté et un accès à l'expérience et à la formation professionnelle.

La commission des affaires sociales a supprimé le paragraphe IV au motif qu'il réduisait, pour les travailleurs handicapés employés dans les ateliers protégés, le montant des accessoires s'ajoutant à la rémunération de base.

Les associations gérant ces ateliers nous ont signalé début janvier que cette suppression compromettrait la survie de ces institutions. Nous nous apprêtons donc à voter un texte destiné à améliorer la rémunération de personnes handicapées et qui, pour ce faire, risque de les maintenir au chômage en compromettant l'équilibre financier des ateliers protégés et des entreprises de travail adapté. Est-ce l'effet recherché ?

Cela montre qu'il n'est pas judicieux d'aborder des sujets d'une telle importance de manière morcelée. Ainsi certaines dispositions sur les études médicales et sur l'hôpital auraient été mieux à leur place dans le texte sur la modernisation du système de santé. De même, pour la formation professionnelle nous savons bien, Madame la ministre que vous auriez aimé nous présenter une version globale.

Où est par ailleurs la modernisation dans ce texte qui ne vise qu'à renforcer et à rigidifier une législation déjà fort complexe ? Vous restez figés dans une approche jacobine et étatique des relations sociales. C'est une loi de méfiance vis-à-vis des partenaires sociaux.

Or, la vraie modernité, c'est de responsabiliser l'ensemble des acteurs de notre société, dans le système de santé, dans le système éducatif, dans le système économique et social. Sur la lancée des 35 heures, vous continuez à légiférer en lieu et place d'un tissu d'entreprises très diversifiées, confrontées aux exigences d'un marché fortement concurrentiel, et des organisations représentatives des salariés. La situation des salariés s'améliore-t-elle pour autant ? La réduction du temps de travail n'a-t-elle pas conduit à davantage de flexibilité, pour des raisons évidentes d'organisation des entreprises, au détriment de la qualité de vie de bien des salariés ?

On connaît l'importance du cadre juridique qui régit les relations employeurs-employés. Est-il vraiment moderne d'épaissir encore le millefeuille réglementaire ?

Où est l'urgence des dispositions relatives à l'emploi quand, bien que le chômage diminue, les personnes les plus en difficulté ou les moins formées continuent de subir les conséquences d'un chômage de longue durée ? Etes-vous certains qu'en renforçant les dispositions législatives et réglementaires vous allez favoriser réellement leur retour à l'emploi ? Où est l'urgence quand on parle de chômage structurel mais aussi d'entreprises qui ont du mal à trouver de nouveaux collaborateurs pour répondre à la demande des clients ?

Selon la dernière enquête conjoncturelle de l'Insee, dans l'industrie, plus d'un établissement sur trois éprouve des difficultés de recrutement. Ils sont même 47 % dans l'automobile et 50 % dans le bâtiment. Dans le bâtiment, 67 % des chefs d'entreprise déclaraient rencontrer de telles difficultés à la fin de 1999 contre 50 % fin 1998.

Dans les métiers de bouche et d'hôtellerie-restauration, le ratio offres sur demandes d'emploi s'est accru en un an d'environ 30 %. L'informatique est le secteur où le rapport offres-demandes est le plus favorable.

La modernisation ne consisterait-elle pas, face à la délicate adéquation entre les besoins des entreprises et les possibilités d'un public en difficulté, à assouplir la mise en _uvre des 35 heures que vous avez imposées à toutes les entreprises françaises, et à renforcer les efforts de formation pour l'emploi des personnes les moins formées, qui sont aussi souvent les plus éloignées de l'emploi ?

Je ne suis pas certain, Madame la ministre, que la seule mise à disposition de conseillers pour la mise en _uvre des 35 heures, que vous avez annoncée dans les media, répondra à leurs inquiétudes et apportera comme par miracle une solution à leurs problèmes. Or, de ces assouplissements souhaités par certains de vos collègues, nous ne trouvons nulle trace dans ce projet. C'était pourtant l'occasion de donner un signal fort aux entreprises, plus particulièrement aux petites entreprises, qui s'inquiètent de la mise en _uvre des 35 heures dans un tel contexte.

La moitié des articles de ce projet de loi concerne l'emploi. Au moment où le chômage diminue, nous pouvions espérer que les propositions conforteraient cette tendance, que, pour répondre à la pénurie de main d'_uvre dans certains secteurs, l'accent serait mis sur la formation et que des assouplissements à la rigidité des 35 heures seraient consentis. Il n'en est rien. On voudrait décourager les entreprises que l'on ne s'y prendrait pas autrement, à un moment où elles doivent s'adapter à une demande variable, diversifiée et évolutive.

Ainsi, s'agissant du travail précaire, certains amendements adoptés, renforcent l'encadrement du recours aux contrats de travail de type CDD ou intérim, de manière considérable. Si les institutions représentatives du personnel constatent que leur entreprise utilise de façon excessive de la main d'_uvre précaire sur des postes pérennes, elles pourront ainsi saisir le juge, qui pourra interdire à l'établissement, si l'abus est constaté, de recourir à l'intérim et aux CDD pour une période pouvant aller jusqu'à trois ans.

A ce rythme de resserrement des contraintes, nous pourrons bientôt intégrer les juges aux directions des relations humaines des entreprises.

Cette entrave au fonctionnement des entreprises, compréhensible dans certaines situations extrêmes aura des conséquences graves dans la majorité des entreprises, notamment pour le remplacement des salariés absents ou en congé.

Dans les entreprises comportant des emplois saisonniers, les activités considérées devraient ainsi être supprimées. Les contrats de qualification ne pourraient plus être conclus. Quant aux commandes exceptionnelles, elles seraient abandonnées à la concurrence... au mépris de l'emploi.

Ces amendements vont bien au-delà de ce qui avait été proposé au départ par le Gouvernement, qui n'a pas, semble-t-il, satisfait certaines composantes de la majorité plurielle. Dans un souci de rassemblement lié à la proximité d'échéances électorales, le Gouvernement a décidé de faire un geste dans leur direction, même si tous ne partagent pas cette approche.

En effet, si nous sommes évidemment opposés aux abus de ces formes de travail par des entreprises peu scrupuleuses, nous estimons qu'une nouvelle complication des démarches administratives et un renchérissement du coût de ces contrats risquent d'avoir des effets contre-productifs, et de nuire à la fois aux intérêts des salariés et à ceux des entreprises.

Les amendements adoptés en commission témoignent pour la plupart d'une vision grossière de ces formes d'emploi, qui ont pourtant joué un rôle majeur dans la reprise de l'emploi.

Porter l'indemnité de fin de CDD de 6 à 10 %comme pour les missions d'intérim, va rendre ces contrats plus attractifs pour les salariés en mission par rapport aux CDI, ce qui nuira à la stabilité de l'emploi et creusera l'écart salarial entre des salariés exécutant un travail comparable.

On peut douter qu'un simple renforcement de la législation permette de lutter contre le développement de la précarité associé à ce type de contrats. La simple observation du recours aux CDD qui, au cours des vingt dernières années, ont particulièrement augmenté, le permet. C'est précisément durant cette période que sont intervenus la première loi sur les CDD et quatre autres dispositifs de régulation. Ainsi, l'arsenal juridique s'est développé avec la loi du 12 juillet 1990, destinée à favoriser la stabilité de l'emploi par l'adaptation du régime des contrats précaires.

La jurisprudence a pourtant joué son rôle en sanctionnant les manquements constatés, comme le montre le volume des contentieux depuis dix ans... Vous semblez fatigué, Monsieur Le Garrec ?

M. le Président de la commission des affaires sociales - Oui !

M. Yves Bur - Je peux le comprendre. Il importe surtout d'appliquer les lois existantes, qui comportent déjà des moyens importants de lutte contre les abus. En appliquant mieux les textes qui régissent les CDD, l'intérim et leurs sanctions, on pourrait rectifier la véritable anomalie que constitue la substitution de contrats précaires à des emplois permanents.

Au lieu de mettre en place une politique contraignante pour l'ensemble des entreprises et finalement nuisible à l'emploi, il faut adopter une approche pragmatique mettant l'accent sur la protection sociale et la formation.

Afin de limiter le handicap lié à ces formes d'emploi, deux orientations pourraient être poursuivies : le développement de groupements d'employeurs, qui peuvent offrir un cadre permanent à l'emploi des personnels d'appoint, et l'amélioration de l'accès des salariés en contrats atypiques à la formation qui constitue la meilleure prévention de la déqualification et de la précarité.

Il faut adopter, à partir des besoins constatés des entreprises, une démarche visant à offrir un cadre juridique clair et stable à ces nouvelles formes d'emploi, d'une part, afin de les intégrer dans le droit du travail et de les faire bénéficier d'une protection sociale et, d'autre part, afin d'éviter d'éventuels abus.

Cela implique de valoriser ces formes de travail sur le plan social et économique, mais aussi sur celui de l'image.

Les failles de la protection sociale des salariés embauchés à temps partiel sont réelles et contribuent à assimiler le temps partiel au travail précaire. Pour améliorer cette situation, on pourrait appliquer la règle de la proportionnalité en deçà des seuils d'exclusion pour l'ouverture du droit aux prestations en espèces de l'assurance maladie et le calcul des droits à pension de vieillesse.

Il faut revaloriser l'image de ces contrats à durée limitée, qui ont leur utilité dans la société. Outre leur contribution au bon fonctionnement de l'entreprise qui peut ainsi faire face à la demande, il convient de rappeler que l'intérim est un vecteur important de retour à l'emploi et d'intégration dans l'entreprise : en 1996, 72 % des intérimaires étaient issus du chômage avant d'effectuer leur mission. Un an après ils n'étaient plus que 22 % dans cette situation.

Surtout, il faut favoriser l'accès à la formation, qui permet aux salariés en contrats atypiques de développer un projet professionnel.

Dans le cas des salariés à temps partiel, on pourrait par exemple demander à leurs employeurs de présenter au comité d'entreprise ou au délégué du personnel un bilan quantitatif et qualitatif des formations mises en _uvre et du déroulement de carrière de ces salariés. Il serait intéressant de favoriser des expérimentations en vue du développement de postes d'encadrement à temps partiel. On pourrait également examiner pour les entreprises qui atteignent un certain taux de salariés à temps partiel, l'opportunité d'instaurer, à coût global inchangé, une obligation minimum de formation et de promotion de ces salariés.

Dans le cas des intérimaires, il serait judicieux de relancer les contrats de mission formation jeunes intérimaires. Lancés en 1995, destinés aux moins de 26 ans, ces contrats permettent aux intérimaires d'acquérir une qualification et d'accéder à des missions plus qualifiées, et, à terme, à des emplois permanents. En septembre 1999, ils étaient 2000 jeunes, peut-être plus, à en bénéficier.

Le licenciement économique, que je souhaite prendre comme deuxième exemple a été complètement revu.

Ainsi, en matière d'obligation de reclassement, le projet de loi précisait que le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque le reclassement de l'intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie ou, à défaut, de catégorie inférieure, ne peut avoir lieu dans le cadre de l'entreprise ou des entreprises du groupe. Cet article reprenait assez fidèlement la jurisprudence de la Cour de cassation.

Or, l'amendement du rapporteur Gérard Terrier qui a été adopté vise à limiter les possibilités de reclassement aux seuls emplois de même catégorie que celui que le salarié occupe.

En éliminant la possibilité de proposer aux salariés dont l'emploi a été supprimé un reclassement sur un poste de catégorie inférieure, cette disposition réduit les solutions permettant aux salariés de demeurer dans l'entreprise en difficulté, sans aucune justification puisque leur accord est toujours nécessaire pour pratiquer un déclassement qui est souvent accompagné de garanties financières de l'entreprise. De plus, cette proposition est contraire à la jurisprudence, qui précise que l'employeur doit proposer aux salariés licenciés les emplois disponibles correspondant à leur catégorie professionnelle ou à une catégorie inférieure ou tout autre poste compatible avec leur capacité.

Le résultat risque donc d'être inverse de celui recherché, la protection de l'emploi. Comme l'a souligné à juste titre Gaétan Gorce, il convient de privilégier le maintien de l'emploi en renforçant les mesures de reclassement et d'accompagnement du plan social. En limitant les possibilités de reclassement, l'amendement ne va pas dans ce sens.

De même, la suppression de la possibilité de retenir le critère de qualités professionnelles pour fixer l'ordre des licenciements est totalement démagogique et, en fin de compte, contre-productive. En effet, ce critère est retenu par l'ensemble des accords collectifs ou à défaut après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel. Combiné à d'autres comme les charges de famille, les handicaps sociaux, l'âge, l'ancienneté... il assure la possibilité aux entreprises en difficulté de se redresser, en évitant de se séparer de leurs meilleurs salariés.

De plus, si le code du travail fixe le cadre de l'obligation, il appartient aux conventions collectives de hiérarchiser les critères. Par conséquent, il est essentiel de ne pas supprimer ce critère professionnel, afin de ne pas pénaliser davantage l'entreprise qui rencontre des difficultés. La jurisprudence a d'ailleurs confirmé que l'aptitude professionnelle peut être privilégiée.

D'autre part, un amendement du rapporteur visant à interdire la mise en _uvre d'un plan social par des entreprises ayant manifestement recours de façon structurelle aux heures supplémentaires entraînera de graves conséquences pour les entreprises, déjà entravées par l'application de la réduction du temps de travail. Tout d'abord, cette mesure méconnaît l'existence d'importantes pénuries de main d'_uvre dans certains secteurs. Elle méconnaît aussi la réalité du fonctionnement des entreprises : celles-ci sont parfois obligées de recourir aux heures supplémentaires dans un secteur ou sur un site, et simultanément de réduire les effectifs dans un autre. Enfin le recours aux heures supplémentaires n'est pas toujours un signe d'embellie économique : il traduit parfois la nécessité de remédier à des difficultés temporaires, ou de s'adapter à l'évolution des marchés. Les heures supplémentaires ne sauraient donc, à elles seules, interdire une procédure de licenciement économique.

M. le président de la commission a affirmé que l'intervention de l'Etat dans l'organisation des relations sociales était justifiée par les grandes difficultés que rencontraient les partenaires sociaux pour assumer cette responsabilité. A nos yeux, ce n'est pas ainsi qu'on fera évoluer les relations entre partenaires sociaux dans le sens de la modernité. Il est paradoxal et regrettable que la majorité, tout en déplorant cet état de fait, en tire argument pour renforcer l'arsenal juridique du code du travail, alors qu'elle s'oppose à toutes les avancées, pourtant bien timides, que le dialogue social doit permettre. Certes la négociation sur l'UNEDIC et la mise en _uvre du PARE (M. Gremetz s'exclame) ont été sauvées in extremis, Monsieur Gremetz, par le Premier ministre lui-même, qui ne voulait pas passer pour le fossoyeur du dialogue social. Mais nous ne pouvons être qu'inquiets de l'évolution des autres chantiers, car la consigne est manifestement de ne rien faire qui puisse troubler les relations entre les partenaires de la majorité plurielle. En fait, le Gouvernement sacrifie la vraie modernité dans le débat social, et la chance que représente la refondation sociale, sur l'autel des ambitions présidentielles du Premier ministre.

Force est de le constater : ce projet de loi portant diverses mesures d'ordre social ne mérite pas son titre, car il est bien éloigné d'une authentique modernisation sociale qui préparerait l'avenir. Nous n'entendons nullement donner carte blanche à un libéralisme débridé, que nous rejetons. Mais il ne s'agit pas davantage de cultiver l'immobilisme, toujours contraire aux intérêts du pays, et dont les salariés sont souvent les premières victimes.

Nicole Notat (Exclamations sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste) disait que le vrai risque pour la France était de ne pas surmonter ses archaïsmes. Ce n'est pas cette loi, fidèle aux vieilles lunes socialistes, qui engagera la France sur la voie de la modernité sociale et préparera notre avenir commun. C'est pourquoi, je vous propose de voter cette motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Muguette Jacquaint - Les explications de M. Bur ne nous ont pas du tout convaincus, et m'ont paru comporter certaines contradictions. Il regrette que les choses n'aillent pas assez vite, qu'on ne prenne pas assez de mesures par exemple sur la formation professionnelle. Mais il déplore en même temps que nous débattions de la réduction du temps de travail, de la possibilité de limiter la précarité et d'encadrer -ce n'est pas nous qui l'inventons, je cite M. Accoyer- la perversité de certains groupes et employeurs. Toute une série d'amendements a été discutée en commission. Que vous ne les approuviez pas, cela ne nous étonne pas ; mais ne venez pas dire qu'en commission nous n'avons pas eu le souci de rechercher des avancées sur les questions sociales. Je comprends bien que vous ne soyez pas d'accord, qu'il s'agisse des 35 heures ou de la précarité ; mais pour nous ces dispositions vont dans le sens de la modernisation sociale. Personne ici n'a d'ailleurs prétendu que ce texte allait tout régler : nous appelons de nos v_ux d'autres textes, en particulier sur la santé -après le « Grenelle » de la santé qui va avoir lieu, nous aurons assurément des propositions à faire- et sur la formation professionnelle. Mais que diable, quand des avancées sont proposées, et même si elles ne nous donnent pas toute satisfaction, par exemple sur les licenciements économiques, ne les boudons pas, dès lors qu'elles vont dans le bon sens. Et qu'on ne nous propose pas le renvoi en commission dans l'espoir, peut-être, de revenir sur les 35 heures ou sur les mesures de limitation de la précarité... Pour toutes ces raisons nous voterons contre la motion (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Foucher - Mme Jacquaint ne me semble pas avoir parfaitement entendu le propos de M. Bur. Ce dernier propose le renvoi en commission pour améliorer le texte (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), lui donner plus d'ampleur, approfondir certaines mesures. Il s'agit d'en faire effectivement ce grand texte de modernisation sociale qu'on annonce depuis longtemps. Or, M. Bur l'a montré, il est fait de mesures qui s'additionnent, sans cohérence, et ne font que compliquer le millefeuille réglementaire. Il a également posé des questions qui méritent d'être débattues : pourquoi, par exemple, le PARE, qui a bien un objectif de modernisation sociale, ne figure-t-il pas dans le projet ?

M. Maxime Gremetz - Heureusement !

M. Jean-Pierre Foucher - L'important est de faire un travail législatif sérieux, et la commission est l'endroit le plus approprié pour cela. M. Bur a également montré que le texte comportait des dispositions dont la mise en _uvre sera lourde, et trop de mesures coercitives, là où il faudrait des actions incitatives. Pour toutes ces raisons, le groupe UDF votera le renvoi (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Jean-Paul Durieux - J'ai apprécié la modération du propos de M. Bur, qui ne contenait pas d'injures ou de mises en cause personnelles (Rires sur divers bancs). Mais cela ne suffit pas à lui donner de la force. La critique systématique, sans nuances, fait perdre beaucoup de sa force à un propos, et donne le sentiment que les idées qui le sous-tendent sont courtes ; ce qui m'étonne de la part de M. Bur, toujours très actif en commission. Nous l'avons dit, ce texte ne prétend pas résoudre tous les problèmes, mais il pose des jalons. C'est un texte d'équilibre, qui prend en compte la nécessité de la liberté, pour assurer une respiration de la vie économique et sociale, mais aussi l'impératif d'en maîtriser les excès éventuels. L'important pour nous est, notamment dans le titre II, de réfléchir à une autre organisation du travail, et de créer de nouvelles relations dans l'entreprise.

M. Bur propose le renvoi en commission. Celle-ci a déjà consacré neuf heures à ce projet, et se réunit encore demain à 10 heures. A quoi viennent de s'ajouter six heures en séance publique. Il est temps d'aborder l'examen des articles, et le groupe socialiste votera contre la motion (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Ueberschlag - Je m'étonne d'entendre M. Durieux s'étonner de n'avoir pas trouvé d'injures dans le propos de M. Bur, comme si ce dernier était coutumier du fait... Je n'ai d'ailleurs pas entendu d'injures ce soir dans l'hémicycle ; tout au plus quelques propos désagréables, et ils étaient adressés de vos bancs vers les nôtres... (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) Comment voulez-vous qu'il ne vous en revienne pas parfois un écho ? En définitive ceux qui se sont sentis injuriés l'ont peut-être un peu cherché...

D'abord présenté au printemps, puis retiré, ce texte a été examiné par la commission dans des conditions peu satisfaisantes, et nous avons l'impression désagréable que l'on veut nous faire adopter certaines dispositions à la hussarde, sans qu'aient été examinées leurs conséquences ni consultés les principaux intéressés. C'est ainsi, par exemple, que la disposition validant les diplômes des dentistes étrangers a surpris toutes les organisations professionnelles, qui n'en avaient même pas eu connaissance ; plus encore que de concertation, c'est un manque de considération ! Quant à la validation des acquis professionnels, on peut se demander si elle n'est pas un moyen détourné d'imposer, à terme, l'intégration des emplois-jeunes dans la fonction publique...

Parce que ce texte pêche surtout par son non-dit et parce que le Parlement est malmené, le groupe RPR votera le renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, mercredi 10 janvier, à 15 heures.

La séance est levée à 0 heure 35.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

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ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 10 JANVIER 2001

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 2415 rectifié) de modernisation sociale.

      MM. Philippe NAUCHE et Gérard TERRIER, rapporteurs au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

      (Titres I et II du rapport n° 2809)

      Mme Hélène MIGNON, rapporteure pour avis au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

      (Rapport d'information n° 2798)

A VINGT ET UNE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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