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Session ordinaire de 2000-2001 - 49ème jour de séance, 115ème séance

1ère SÉANCE DU MARDI 16 JANVIER 2001

PRÉSIDENCE de Mme Nicole CATALA

vice-présidente

Sommaire

          DROIT A L'EXPÉRIMENTATION
          POUR LES COLLECTIVITÉS LOCALES 2

          ARTICLE UNIQUE 18

          EXPLICATIONS DE VOTE 20

          FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR 22

          A N N E X E ORDRE DU JOUR 22

La séance est ouverte à neuf heures.

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DROIT A L'EXPÉRIMENTATION POUR LES COLLECTIVITÉS LOCALES

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle de M. Pierre Méhaignerie et plusieurs de ses collègues tendant à introduire dans la Constitution un droit à l'expérimentation pour les collectivités locales.

M. Emile Blessig, rapporteur de la commission des lois - La présente proposition de loi constitutionnelle de M. Pierre Méhaignerie et de l'ensemble des députés UDF tend à reconnaître un droit à l'expérimentation aux collectivités locales.

L'expérimentation, c'est l'essai mené sur un échantillon et une période définis afin de choisir la solution la meilleure. Si elle est une condition absolue du progrès pour la science, il est étonnant qu'elle ne l'ait longtemps guère été en matière politique ou administrative. Notre droit en connaît toutefois différentes formes, qui relèvent principalement de l'Etat, même si elles ont pu être menées de façon plus limitée par certaines collectivités. C'est ainsi que l'Etat a expérimenté, entre 1962 et 1964, la réorganisation de ses services déconcentrés, tendant à renforcer l'autorité du préfet, dans cinq départements. Cette démarche est actuellement reconduite par la gestion globalisée des services préfectoraux. Quatre départements étaient concernés en 2000, dix le sont en 2001, année à l'issue de laquelle la généralisation du dispositif sera éventuellement décidée.

La loi du 25 juillet 1994 sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes a donné lieu à une expérimentation dans douze départements, et l'article 67 de la loi du 4 février 1995 a prévu une expérimentation de la régionalisation des transports ferroviaires.

Certaines collectivités territoriales ont par ailleurs également conduit des expérimentations. Le conseil général d'Ille-et-Vilaine a ainsi mis en place en 1986 un complément local de ressources qui a préfiguré le RMI et cette expérience a également été menée à Belfort. L'Ille-et-Vilaine a aussi créé en 1988 une dotation globale de développement intercommunal qui a inspiré les mécanismes de péréquation institués par les lois des 6 février 1992 et 31 décembre 1993.

Parallèlement à ces expérimentations, plusieurs lois récentes témoignent d'une meilleure prise en compte des particularismes locaux. La loi d'orientation pour l'outre-mer a ainsi ouvert la voie à une évolution statutaire diversifiée en instituant un congrès des élus départementaux et régionaux compétent pour formuler des propositions en la matière. De même, les lois relatives à l'aménagement du territoire de 1995 et de 1999, ont, malgré, le changement de majorité, reconnu le rôle des pays en laissant aux acteurs locaux le soin de définir les stratégies de développement et le choix des instruments juridiques, qu'il s`agisse de groupements d'intérêt public, de syndicats mixtes, ou d'établissements publics de coopération intercommunale.

La loi du 12 juillet 1999 simplifiant et renforçant la coopération intercommunale a défini un cadre juridique applicable sur l'ensemble du territoire, mais caractérisé par sa souplesse et par les prérogatives importantes consenties aux organes délibérants des EPCI.

Malgré l'absence de dispositions constitutionnelles autorisant expressément la conduite d'expérimentations à l'échelon décentralisé, certaines réformes ont donc bien été conduites dans cette logique, qui suscite indéniablement l'intérêt des pouvoirs publics. Néanmoins, pour être véritablement utile, l'expérimentation doit faire une plus grande place, parallèlement à celle de l'Etat, à l'initiative des collectivités locales. Mais en l'état actuel de notre droit, une révision constitutionnelle s'impose pour reconnaître aux collectivités territoriales un véritable droit à l'expérimentation. En effet, de telles démarches ne peuvent être conduites que dans le champ de compétence dévolu aux collectivités par la loi, et à la condition de ne pas déroger aux lois et règlements en vigueur.

Or, tandis que l'application uniforme du droit sur l'ensemble du territoire demeure la règle, la nécessité de prendre en compte les particularités locales et de mieux évaluer les politiques publiques se fait plus pressante. Le traitement uniforme des problèmes ne constitue plus, en effet, une réponse adaptée aux nouveaux défis du quotidien.

L'expérimentation au profit d'une collectivité locale se définit donc comme l'autorisation de mettre en _uvre une politique publique, sur une portion limitée du territoire et pour une période limitée. Elle doit permettre aux pouvoirs publics de mener une démarche différenciée en fonction de la complexité du terrain, l'évaluation du dispositif se soldant par son abandon, par sa modification ou par sa généralisation.

Plusieurs obstacles imposent cette révision constitutionnelle. En premier lieu, les principes d'égalité et d'indivisibilité de la République figurant dans les articles premier et 3 de la Constitution s'opposent à la mise en place d'une législation différente sur une portion du territoire. L'absence de pouvoir normatif autonome des collectivités territoriales leur interdit d'autre part de déroger aux lois et règlements en vigueur, à travers les articles 13, 21, 34 et 37 de la Constitution. Enfin, celle-ci exclut formellement toute délégation du pouvoir législatif ou réglementaire aux collectivités décentralisées.

Le Conseil constitutionnel a précisé, dans une série de décisions reprises dans le rapport écrit, la portée de ces principes. Dans sa décision du 25 juillet 1993, il a admis la possibilité d'un régime juridique dérogatoire aux fins d'expérimentation. Mais la transposition de cette jurisprudence aux collectivités territoriales sans révision constitutionnelle apparaît pour le moins hasardeuse, l'assouplissement de la jurisprudence constitutionnelle excluant toute dérogation d'ampleur aux normes législatives et réglementaires.

Le Conseil constitutionnel a par ailleurs admis des différences de traitement fondées sur des différences objectives de situation, dès lors qu'elles sont justifiées par un objectif d'intérêt général.

En fait, l'expérimentation à l'échelon décentralisé constitue indubitablement un moyen d'intégrer la diversité des situations et de mieux tenir compte de la complexité des problèmes économiques et sociaux. Rigidité et multiplication des structures, ajoutées à l'omniprésence de l'Etat, enferment peu à peu notre pays dans une certaine forme de paralysie...

M. Germain Gengenwin - Eh oui !

M. le Rapporteur - ...initiative locale freinée voire paralysée, pouvoir central témoignant d'une ignorance certaine des particularités de terrain. La réponse à ces incohérences nées d'une application aveugle du principe de l'uniformité du droit a tenu pour partie à des réformes constitutionnelles ad hoc, mises en _uvre pour la Nouvelle-Calédonie, simplement envisagées pour la Polynésie française ou la Corse. Plutôt que d'agir dans l'urgence ou sous la contrainte, il est temps de reconnaître de manière pérenne un droit à l'expérimentation à l'initiative des collectivités en modifiant l'article 72 de la Constitution. Tel est le but de la présente proposition qui tend à compléter cet article de la norme suprême relatif à la libre administration des collectivités territoriales de la République. Si le principe du droit à l'expérimentation est affirmé, certaines conditions d'exercice sont cependant précisées, afin de lever les obstacles que je viens d'évoquer En premier lieu, le champ d'expérimentation est précisé : organisation, compétences, ressources des collectivités territoriales. Ensuite, l'expérimentation est mise en _uvre dans les conditions prévues par la loi : c'est donc le Parlement qui l'autorise, en vue d'une généralisation éventuelle qui doit prendre elle-même la forme d'une loi. Enfin, le texte définit la portée de l'expérimentation, c'est-à-dire le cadre dans lequel la collectivité peut être autorisée à adapter les lois ou les règlements.

S'agissant du contrôle des décisions en cours d'expérimentation, elles sont soumises au contrôle de légalité ordinaire et à la censure éventuelle de la juridiction administrative. Il convient donc de distinguer le contrôle des décisions en cours d'expérience et l'évaluation de l'expérimentation à l'issue de la période autorisée par la loi. Cette dernière pose le problème de l'instance compétente pour la conduire et des modalités de sa mise en _uvre : la loi organique devra trancher sur ce point.

Dans un article de la Revue française de droit constitutionnel paru en 1997, le professeur Debbasch estimait que « même si la sémantique juridique n'en rend pas véritablement compte, il existe dans notre système institutionnel une dialectique permanente entre l'unité et la pluralité ; si le principe de l'unité républicaine est réaffirmé, il s'accommode de plus en plus fréquemment d'une véritable différenciation des statuts applicables aux diverses collectivités locales ».

Dans ce contexte, le droit à l'expérimentation n'est pas une fin en soi mais il doit être un instrument d'amélioration du droit et d'aide à la décision politique. Conférer un statut à l'expérimentation locale, c'est donner un nouveau souffle à la décentralisation, tout en consacrant une véritable culture de l'évaluation dans notre pays. Grâce à l'expérimentation, il sera possible de concevoir une nouvelle logique d'élaboration de la norme juridique, associant acteurs locaux et nationaux autour d'un nouvel équilibre des responsabilités respectives. L'expérimentation locale ascendante favorise l'innovation, elle conforte l'égalité dans une véritable démocratie de proximité. Elle répond aux exigences posées par le Président de la République dans son discours de Rennes du 4 décembre 1998 :

« Là où s'affermit localement une démocratie capable d'aller concrètement au devant des besoins de nos compatriotes, une démocratie qui donne envie à chacun d'assumer sa citoyenneté, la République s'enrichit de cet apprentissage et se consolide. L'Etat retrouve ainsi la juste place qui doit être la sienne, aux côtés des élus et non pas contre eux, et la Nation, libérée des contraintes d'une administration pesante et lointaine, retrouve vigueur et ambition pour construire son avenir. Ce que nous devons inventer, c'est un nouvel équilibre, fondé sur la capacité des collectivités locales à développer une véritable démocratie de proximité. »

Le droit à l'expérimentation au profit des collectivités territoriales que le groupe UDF vous propose d'instaurer en adoptant ce texte constitue à l'évidence un pas décisif dans la direction indiquée par le Président de la République. Au nom de la commission des lois qui l'a adopté dans sa séance du 10 janvier dernier, je vous propose par conséquent de l'adopter (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur - La proposition de loi aujourd'hui mise en discussion vise à modifier la Constitution, c'est-à-dire notre acte institutionnel fondateur. C'est pourquoi, en dépit de sa brièveté, il convient de procéder à son examen de façon particulièrement approfondie et c'est sans doute la raison pour laquelle votre commission des lois a largement amendé le texte déposé par M. Méhaignerie et le groupe UDF de votre Assemblée.

Déposée en mars 2000, la proposition de loi initiale visait à conférer aux collectivités territoriales « un droit à l'expérimentation ». Depuis un ou deux ans, la réflexion institutionnelle sur l'avenir des collectivités territoriales a pris un essor nouveau et je puis témoigner de la fréquence, et de la qualité des discussions parlementaires à ce sujet. La proposition de loi de M. Méhaignerie s'inscrit dans ce contexte novateur, qui tend à adapter nos institutions aux mouvements de la société.

Du reste, vous connaissez les intentions du Gouvernement à ce sujet : c'est à l'initiative du Premier ministre que la commission pluraliste présidée par Pierre Mauroy a pu aboutir à des conclusions -pour la plupart consensuelles- sur l'avenir de la décentralisation. Demain, dans cette même enceinte, le Premier ministre ouvrira un débat d'orientation sur la décentralisation.

La présente proposition de loi pose deux questions de fond : l'une a trait aux conditions d'exercice des compétences des collectivités locales et à leur liberté d'action en la matière ; l'autre, plus fondamentale encore, tient à notre capacité à adapter nos législations et nos réglementations à la diversité des situations rencontrées sur le territoire.

Ainsi que le Premier ministre l'a affirmé à plusieurs reprises, notre République ne doit pas être figée dans une rigidité craintive. Elle doit savoir transcender les diversités sans les détruire. A cet égard, la reconnaissance d'un droit à l'expérimentation est, dans son principe, de nature à permettre à nos collectivités locales de mieux répondre encore aux attentes de leurs habitants, en leur permettant d'adapter leur mode d'organisation ou les modalités d'exercice de leurs attributions.

Le droit d'expérimentation deviendra ainsi un facteur de progrès pour les collectivités locales, pour leurs habitants et, en définitive, pour notre pays tout entier. L'excès d'uniformité est en effet, dans bien des domaines, une source d'inégalité ou au moins d'inéquité. Il est donc légitime de poser la question du droit à l'expérimentation des collectivités territoriales. Les propositions de M. Méhaignerie et de votre commission sont dès lors bienvenues.

L'organisation d'un tel droit touche cependant à des questions délicates qui appellent des réponses soigneusement pesées : quelles limites faut-il mettre à l'exercice de ce droit ? Faut-il limiter l'initiative aux seules collectivités locales ? Selon quelle procédure s'organise-t-il ? Comment l'articuler avec l'exercice des attributions dévolues au Parlement dans l'exercice de son pouvoir législatif et au Gouvernement dans l'exercice de son pouvoir réglementaire autonome ? Comment s'organise la répartition des attributions entre la Constitution, la loi organique et la loi ordinaire en la matière ? Plus fondamentalement, comment faire en sorte que le droit à l'expérimentation ne remette pas en cause le principe d'égalité ou ne crée pas de nouvelles inégalités sociales ?

Donner plus de souplesse à nos institutions publiques, veiller à ce que l'unité de la République n'empêche pas la prise en compte des diversités : le Gouvernement est prêt à ouvrir ce débat, mais il doit au préalable disposer de réponses claires aux questions que je posais à l'instant car il ne peut risquer de mettre en cause les fondements de la République, et d'abord son unité.

A cet égard, l'initiative parlementaire et le texte qui nous sont aujourd'hui proposés ne sont pas dépourvus de certaines ambiguïtés.

J'observe, d'abord, que les intentions des auteurs et de votre rapporteur devraient être clarifiées au moins sur un point car elles procèdent à une vision quelque peu caricaturale à mes yeux de la décentralisation, prétendument bloquée par un Etat central qui mène notre pays à une situation de paralysie.

Vous comprendrez que je ne puisse partager cette vision qui fait peu de cas de l'action du Gouvernement depuis 1997.

Il convient par ailleurs de préciser le sens que l'on entend donner au concept d'expérimentation. Selon le dictionnaire Robert, l'expérimentation consiste à recourir de manière systématique à l'expérience scientifique. Au-delà de cette définition commune, le terme renvoie à deux notions distinctes et il faut se rappeler à cet égard que la proposition a été déposée avant les conclusions de la mission sénatoriale Delevoye-Mercier sur la décentralisation et celles de la commission Mauroy.

En premier lieu, le droit à l'expérimentation peut s'entendre comme un droit à essayer, pendant un temps donné et dans des limites prédéterminées, l'exercice d'une compétence. La commission Mauroy appelle ainsi tant le Gouvernement que le législateur à tenir compte, dans l'élaboration des textes, des nécessités propres à la mise en _uvre de cette préfiguration locale de certaines réformes nationales. L'éventuelle expérimentation doit ainsi être conçue comme « la préfiguration d'une généralisation ». Elle ne saurait se transformer en décentralisation « à la carte », susceptible de remettre en cause les principes d'égalité, de solidarité et des libertés publiques.

C'est cette interprétation du concept qui a permis l'expérimentation de la décentralisation régionale du transport ferroviaire de voyageurs, lancée en 1995 et achevée par la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains. L'engagement du Gouvernement à user de cette méthode est donc certain.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 28 juillet 1993, reconnaît la possibilité pour le législateur d'agir de la sorte en posant, certes, quelques conditions : limitation dans la durée, la nature et la portée de l'expérimentation ; définition de conditions et procédures ; évaluation.

Dans ce cadre, l'expérimentation est d'ores et déjà possible, sans qu'il y ait lieu de modifier la Constitution. Or l'intention des auteurs de la proposition de loi et de votre commission est indubitablement d'aller plus loin.

Cependant, l'exposé des motifs laisse entendre que le « droit à l'expérimentation » pourrait aboutir à conférer aux collectivités locales une véritable autonomie en leur accordant le pouvoir « d'expérimenter des formules institutionnelles nouvelles » ou des compétences de leur propre initiative. Dans cette deuxième conception, ni le Gouvernement ni le Parlement ne garderaient donc leur pouvoir d'initiative, ce qui conduirait inévitablement à un nouveau régime institutionnel, très différent non seulement de notre modèle républicain mais également du modèle fédéral pourtant pris parfois pour exemple.

Si telle est bien l'intention des auteurs de la proposition, il est clair que le texte de celle-ci est bien insuffisant et qu'en renvoyant à une loi organique, le Constituant n'épuiserait pas la compétence qui lui revient et risquerait de remettre en cause les pouvoirs tant du Parlement que du Gouvernement.

Comme votre commission, je ne crois pas que notre discussion puisse raisonnablement porter ce matin sur cette seconde conception et je ne pense pas d'ailleurs que les auteurs de ce texte aient eux-mêmes songé à un changement aussi radical, quasi révolutionnaire, qui les conduirait à nier le pouvoir propre du législateur et la valeur même de la loi.

Dès lors, la question posée au législateur est d'autoriser ou non les collectivités territoriales à essayer, pour l'exercice de leurs compétences ou l'organisation de leurs institutions ou leurs ressources, un système différent de la norme de droit commun et ce, afin de valider ou d'infirmer l'hypothèse d'une généralisation -conformément à la première phrase de l'alinéa en débat, qui précise que l'expérimentation se fait « dans des conditions définies par la loi en vue d'une généralisation ».

Cette idée de généralisation systématique peut toutefois aller à l'encontre de la notion même d'expérimentation en raison de son objet ou des collectivités concernées. Aux termes du début de l'alinéa, l'initiative appartient aux collectivités et je le comprends comme signifiant la nécessité pour celles-ci de se porter volontairement candidates à l'expérimentation ainsi définie. Le principe de la généralisation permet assurément de ne pas méconnaître le principe d'égalité devant la loi et cette disposition ne saurait bien entendu interdire que le droit à l'expérimentation puisses d'ores et déjà s'appliquer à des collectivités dont les spécificités exigent un statut particulier, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

La deuxième phrase de l'alinéa traite du champ de cette expérimentation, précisant que les collectivité territoriales « peuvent être autorisées à adapter la loi et les règlements ». Compte tenu du cadre défini dans la première phrase, il faut, semble-t-il, en conclure que cette faculté d'adaptation ne vaudrait que pour ce qui peut faire l'objet d'une expérimentation, en vue d'une généralisation. La mention « peuvent être autorisées » signifie que, là encore, c'est au législateur qu'il appartient d'accorder une telle faculté, ce qu'il pourrait faire en tout domaine de sa compétence, à l'exception des matières de l'article 34 de la Constitution que votre proposition exclut.

Cette dernière phrase, dans la rédaction issue des travaux de la commission, me paraît comprendre deux ambiguïtés. Tout d'abord, l'adaptation des lois et des règlements en vue d'une généralisation est sans doute chose difficile à pratiquer. Comment, par exemple, autoriser une multiplicité de collectivités territoriales à adapter certaines dispositions d'une loi et les contraindre ensuite à se conformer aux dispositions uniques définies par une loi générale ?

La seconde ambiguïté, plus fondamentale, tient au choix des matières exclues en référence à l'article 34 de la Constitution. Il s'agit des droits civiques et des garanties fondamentales nécessaires à l'exercice des libertés publiques, des sujétions imposées aux citoyens par la Défense nationale, de la nationalité, de l'état et de la capacité des personnes, des régimes matrimoniaux, de la détermination des crimes, délits et peines, de la procédure pénale, de l'amnistie, de la création de nouveaux ordres de juridiction et du statut des magistrats, des garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires et de l'organisation de la Défense nationale. Ne vaudrait-il pas mieux limiter cette faculté d'adaptation des lois et règlements aux questions relevant des collectivités locales, c'est-à-dire à l'exercice de leurs compétences, en disposant qu'elle ne saurait en aucun porter sur les domaines relevant des attributions régaliennes de l'Etat ? En effet, il est exclu pour le Gouvernement qu'elle puisse également concerner des domaines tels que ceux de la police ou de la gendarmerie nationales.

A cet égard, il est nécessaire de fixer la liste des domaines d'attributions qui ne peuvent relever que de l'Etat. Cette liste devrait énumérer de façon explicite les attributions régaliennes ne pouvant donner lieu à adaptation. Pour autant, cette liste ne devrait pas se référer aux matières de l'article 34 de la Constitution. Cette référence ne permet en effet pas d'épuiser tous les domaines régaliens à exclure et elle conduirait en outre à mêler deux questions bien différentes : celle du champ du pouvoir d'adaptation des collectivités et celle de tout autre nature, des champs de compétences du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire autonome.

La proposition en discussion se conclut enfin par la référence à une loi organique, devant déterminer les conditions d'application de ces dispositions. Le contenu de celle-ci sera, de ce fait, un élément clé du dispositif proposé et sans doute aurait-il été utile de disposer dès aujourd'hui d'une première rédaction de ce texte. Il me semble cependant que cette situation nous invite à approfondir la réflexion sur les perspectives susceptibles d'être ouverte par la proposition.

Vous l'aurez compris, le Gouvernement envisage donc la discussion d'aujourd'hui comme un élément du débat qu'il entend poursuivre sur la décentralisation, sans pour autant que la réflexion puisse vraiment aboutir de façon définitive, dès à présent, sur le sujet qui nous occupe d'aujourd'hui. C'est pourquoi, en remerciant les auteurs de cette proposition et le rapporteur d'avoir permis le débat sur un projet majeur pour notre pays, et en approuvant le principe de la démarche ainsi engagée, le Gouvernement s'en remettra à la sagesse de votre Assemblée. En poursuivant l'analyse, nous devrions être à même de parvenir à une rédaction qui consacrerait le droit à l'expérimentation sans pour autant interférer avec l'exercice des attributions respectives du Gouvernement et du Parlement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe UDF).

M. Pierre Méhaignerie - Nos collègues Jean-Baptiste et Préel devant aborder quelques-uns des problèmes concrets soulevés par cette proposition, je me bornerai ici à vous soumettre quelques réflexions générales et à affirmer quelques convictions. Ce propos ne contredira pas, par ailleurs, ce que vient de dire le ministre, à ceci près que l'urgence me semble commander de ne pas nous en tenir aujourd'hui à fixer un principe.

Il y a en effet urgence, comme en témoignent les propos tenus, tant à droite qu'à gauche, depuis plusieurs années : souvenez-vous du discours prononcé à Rennes par M. Chirac, le 4 décembre 1998, du discours de Lille du Premier ministre, des conclusions de la commission Mauroy, du rapport Picq, des travaux de l'Institut de la décentralisation et, en particulier, de MM. Balligand et Zeller. Tous nous convient à donner un contenu politique stable à ce droit à l'expérimentation !

L'expérimentation ne peut être entendue aujourd'hui que comme un moyen d'engager la nécessaire réforme de l'Etat, de faire mieux la loi et d'approfondir la décentralisation.

Nos lois sont de plus en plus nombreuses, de plus en plus longues et détaillées ; elles sont de moins en moins adaptées à la diversité des situations, imposant un cadre rigide et uniforme qui méconnaît les réalités du terrain. Ainsi la loi sur les exclusions a exigé 52 décrets d'application et d'innombrables circulaires, et conduit à la création d'une douzaine de commissions, de sorte qu'elle ne pourra répondre aux espoirs mis en elle. Nous ne pouvons accepter indéfiniment de tels facteurs de sclérose et de paralysie de l'action. Il s'impose par conséquent d'engager au plus vite la deuxième étape du processus : la rédaction de la loi organique et de la réforme de la Constitution.

En quoi consiste l'expérimentation ? A tester une réforme à petite échelle et pendant une durée déterminée puis à décider, au vu des résultats, soit de l'améliorer, soit de la généraliser, soit de l'abandonner. Compte tenu de l'état du débat en France et même si l'on peut envisager d'aller plus loin dans cinq ans, il apparaît plus sage de s'en tenir là.

Le cadre juridique et les modalités d'exercice de ce droit seront précisés dans une loi organique qui laissera entières les prérogatives du Parlement. Chaque demande d'une collectivité sera en effet soumise à l'autorisation donnée par celui-ci, pour un temps déterminé au terme duquel le législateur s'exprimera à nouveau. On peut estimer que, chaque année, le Parlement autorisera, en deux ou trois fois, une douzaine ou une quinzaine d'expérimentations.

Au terme de l'évaluation, on aurait des lois mieux adaptées, des lois-cadres laissant au décret et aux collectivités une marge d'initiative. Notre pratique législative se caractérise aujourd'hui par un empilement de textes régentant tout dans le détail. Le droit à l'expérimentation permettrait de mieux faire la loi et de faire moins de loi.

Deuxième avantage, il faciliterait les réformes dont notre pays a besoin. Nos concitoyens ont tendance à ne voir que la face négative des changements, même quand ils sont nécessaires. Je suis persuadé que si nous expérimentions les réformes difficiles d'abord dans un cadre territorial, au bout de quelques années on verrait aussi la face positive du changement. Pas plus tard qu'hier, le procureur général de la cour d'appel de Rennes demandait aux parlementaires présents ce qu'ils attendaient pour réformer la carte judiciaire. Or en tant qu'ancien ministre de la justice je sais qu'une telle réforme est critiquée par de nombreux collègues parlementaires, qui craignent une remise en cause de la politique d'aménagement du territoire. Je pense qu'on peut concilier les deux objectifs, mais il serait plus facile de commencer l'adaptation au niveau d'une région, d'une cour d'appel.

Tel est donc le double objectif : mieux faire la loi et tester des réformes qui suscitent des craintes au niveau national.

La rédaction proposée par le rapporteur et la commission va certes un peu moins loin que celle que nous souhaitions. Mais elle propose d'inscrire dans la Constitution un droit à l'expérimentation dans le cadre d'une loi, ceci, afin de respecter le monopole conféré par l'article 39 au Parlement et au Premier ministre tout en aménageant un pouvoir de proposition des collectivités locales. Dans ce cadre et dans un délai donné, il serait possible de déroger aux droits et décrets en vigueur. Cette rédaction permet d'éviter les dérives que certains craignent sans bouleverser le cadre institutionnel.

Dans quels domaines l'expérimentation pourrait-elle s'appliquer ? Vous avez évoqué, Monsieur le ministre, les fonctions régaliennes de l'Etat. Je comprends vos observations, mais certains collègues croient néanmoins possible d'expérimenter la délégation du pouvoir de la police de proximité à une ou deux villes et d'en évaluer les résultats. Dans de nombreux pays, cette délégation -qui se ferait sous contrôle du préfet- a permis d'améliorer la sécurité. Notre collègue Santini a fait une proposition en ce sens. De toute façon, c'est le Parlement qui décidera d'habiliter ou non.

L'expérimentation devrait soulever moins d'objections dans un domaine comme l'action sociale : depuis plusieurs années des collectivités auraient souhaité expérimenter, en matière de dépendance, la dotation globale aux établissements plutôt que la prestation individualisée car elle est plus efficace. Le logement, la formation professionnelle, l'emploi sont d'autres champs possibles.

Expérimenter, c'est un moyen de mieux faire la loi, de donner de l'oxygène à la vie démocratique, de surmonter la peur du changement et de conduire à une réforme progressive de l'Etat pour plus d'efficacité et de participation (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Jean-Pierre Dufau - Je voudrais en ce jour avoir une pensée pour M. François Mitterrand, son Premier ministre, Pierre Mauroy, et pour Gaston Defferre, qui, soutenus par leur majorité, ont donné à la décentralisation une impulsion irréversible. Je remercie ceux qui ont été les pionniers de cette démarche, j'apprécie le renfort de ceux qui ont rejoint ces objectifs, et je ne me lasserai pas de convaincre ceux qui tardent à entrer dans l'Histoire.

Cette proposition de loi s'inscrit dans l'évolution de la démocratie républicaine décentralisée.

Point de faux débat entre Montagnards et Girondins ! Le territoire français est diversifié dans sa géographie, son histoire, sa culture. L'intelligence et la capacité d'initiative de nos concitoyens participent à l'_uvre commune. Si la décentralisation est une révolution, c'est par la capacité donnée aux élus de véritablement « gouverner » le territoire dont ils ont la responsabilité.

Le groupe socialiste est donc ouvert au principe de ce droit à l'expérimentation, mais dans des conditions qu'il faut encadrer.

Oui au droit à l'expérimentation, car nous savons tous que la volonté d'uniformité affichée par les textes est désormais morte. Les ressources, et donc les capacités d'action, diffèrent fondamentalement pour un même échelon de collectivité. Les catégories héritées du droit public qui ont guidé la décentralisation sont sans doute une bonne chose, mais on ne peut pas faire entrer tout le monde dans le même moule -à prendre ce cas typiquement français que constituent les régions mono-départementales- un seul territoire, deux collectivités.

L'enchevêtrement des compétences est devenu une réalité pour tout le territoire français. Le jardin à la française désiré ressemble de plus en plus à un jardin anglais.

Il faut donc sortir progressivement des cadres figés. Cette révolution intellectuelle se déploie déjà à la base avec toutes les solutions novatrices trouvées par les collectivités pour s'affranchir d'un carcan motivé par ses origines lointaines. On ne peut penser l'avenir avec un système hérité du passé.

De multiples solutions s'offrent à nous et les exemples étrangers sont nombreux, parfois très éloignés de notre mode de fonctionnement. Les « régions » espagnoles disposent ainsi d'une capacité d'auto-organisation de leur territoire et la Constitution espagnole accorde aux institutions locales une autonomie de gestion. Même un pays hostile à la régionalisation comme le Portugal a su conférer des compétences particulières à Madère. La Constitution italienne consacre le principe d'autonomie locale.

Mais ce n'est pas vers l'autonomie des régions que nous voulons aller et je rejoins la prudence du ministre de l'intérieur sur ce point : le rôle du Parlement et du Gouvernement restent les garants du pacte républicain. Le droit à l'expérimentation s'inscrit dans un mouvement général pour permettre aux collectivités locales d'être mieux à même de gérer leur territoire. L'Etat et le législateur ont déjà montré la voie. En matière de transport ferroviaire de voyageurs d'intérêt régional, une expérimentation avait été engagée dans sept régions volontaires. La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains prévoit de la généraliser à l'ensemble des régions. L'exemple du RMI, expérimenté par certaines collectivités avant sa mise en _uvre en 1988, est un autre exemple positif. Ouvrir aujourd'hui ce droit à l'initiative des collectivités, après accord du Parlement, est donc une réelle avancée démocratique.

Encore faut-il être clair sur les conditions à respecter. La commission Mauroy a déjà eu à traiter de ce sujet. Certaines règles ont d'ailleurs été déjà définies pour répondre à la diversité de l'espace, notamment avec la loi montagne et la loi littoral.

Le premier principe est celui de la généralisation de l'expérimentation et la commission a accepté mon amendement en ce sens. En effet, il ne faut pas céder à la tentation d'une décentralisation à la carte, ni remettre en cause des principes fondamentaux de la République, comme la solidarité ou l'égalité des citoyens. Le respect de la diversité ne peut être le préalable à l'éclatement. Le droit à l'expérimentation doit, au contraire, être une pierre de plus à la construction d'un édifice territorial basé sur davantage de justice et d'égalité. Le congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe a ainsi précisé dans le point 8 du préambule du projet de charte européenne de l'autonomie régionale que la reconnaissance d'une quelconque autonomie locale implique dans tous les cas la loyauté envers l'Etat dont les collectivités relèvent, dans le respect de sa souveraineté et de son intégrité territoriale.

Le second principe consiste à respecter les missions régaliennes de l'Etat, comme la sécurité. Revenir sur ces prérogatives, par exemple par le biais de la création d'une police territoriale de proximité comme le Sénat a pu le proposer dans son rapport n° 447, remettrait en question le pacte qui nous lie tous et l'unité fondamentale née de l'appartenance à la même nation, au même Etat.

Le droit à l'expérimentation ne saurait non plus empiéter sur le domaine de la loi défini par l'article 34 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel, dans sa grande sagesse, a déjà eu l'occasion de rappeler que libre administration ne signifie pas libre gouvernement. J'ai donc déposé un amendement dans ce sens, que la commission a accepté.

On peut aussi imaginer d'encadrer le droit à l'expérimentation dès son origine. Cet encadrement pourrait être assuré par le Conseil d'Etat au moment de la création de ce droit mais il faut éviter une procédure lourde. Enfin ce droit devrait être évalué par notre office d'évaluation des politiques publiques, actuellement sous-utilisé. Ce serait d'ailleurs un moyen de restaurer son image et surtout son efficacité.

Nous marquerons aujourd'hui une première étape avec l'adoption d'une loi constitutionnelle créant le droit à l'expérimentation pour les collectivités locales. Sous réserve de l'accord de l'Assemblée sur le principe de généralisation de l'expérimentation d'une part, et le respect du pouvoir régalien de l'Etat d'autre part, le groupe socialiste votera cette proposition de loi.

Il appartiendra ensuite à la loi organique de déterminer les conditions d'application de ce droit : la discussion promet d'être intéressante. Demain, nous aurons ici, en présence du Premier ministre, un débat d'orientation sur la décentralisation. On ne pouvait mieux l'aborder (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. José Rossi - Je me réjouis au nom du groupe Démocratie libérale que nous débattions aujourd'hui de cette proposition de loi de notre collègue Pierre Méhaignerie tendant à introduire dans la Constitution un droit à l'expérimentation pour les collectivités locales. C'est un choix clairement exprimé par notre famille politique depuis de longues années, lequel figurait d'ailleurs dans le programme des Etats généraux de l'opposition en 1993 mais n'a, hélas, jamais été mis en _uvre. Le Président de la République a lui-même solennellement rappelé la nécessité de ce droit à l'expérimentation devant le Conseil régional de Bretagne où, le 4 décembre 1998, « plutôt que d'imposer d'emblée par voie d'autorité », disait-il « un cadre uniforme défini par l'Etat, la loi devra forger les instruments juridiques et financiers qui permettront aux acteurs locaux de prendre eux-mêmes l'initiative du mouvement et d'avancer à leur rythme. Il est temps, poursuivait-il, de créer un véritable droit à l'expérimentation par exemple, pour l'emploi, la création d'activités ou l'insertion des jeunes. La modernité ne consiste pas à appliquer partout autoritairement les mêmes solutions ».

Une voie est donc ouverte. Force est malheureusement de constater que la réforme de l'Etat est au point mort. De nombreux rapports sont restés sans suite et les ministres successifs chargés de la réforme de l'Etat n'ont guère fait progresser la modernisation de celui-ci.

Depuis les lois de décentralisation du début des années 80, précédées, hélas, par le projet avorté du général de Gaulle, le pouvoir central, qu'il s'agisse du Gouvernement ou du Parlement, encadre strictement la modeste autonomie octroyée aux collectivités locales. Il est donc suspecté, peut-être à tort, de vouloir insidieusement recentraliser chaque fois qu'il le peut. Le poids de la technocratie favorable à la centralisation parisienne est de plus en plus lourd auprès des décideurs politiques mais aussi dans les instances consultatives et juridictionnelles. Si la loi ne suffit pas, le droit issu des jurisprudences successives va toujours dans le sens de la préservation du pouvoir central.

Pourtant, contraint d'un côté par le poids croissant de l'Europe, d'un autre par la limitation de son pouvoir économique du fait des privatisations, l'Etat français, comme tous ses homologues européens, va devoir partager avec un véritable pouvoir local l'exercice des responsabilités, mieux assuré lorsqu'il l'est au plus près des citoyens.

Cette évolution et inéluctable. Mais la résistance au changement est grande dès qu'il s'agit de réformer l'Etat et les institutions. D'où le choix pertinent de la méthode pédagogique reposant sur l'administration de la preuve de l'utilité des réformes. Je tiens à cet égard à saluer l'excellent travail réalisé depuis des années par notre collègue Méhaignerie au sein de l'Institut de la décentralisation où s'affirme une nouvelle vision d'une République moderne, laquelle doit transcender les clivages partisans.

M. Michel Hunault - Ne lui faites pas dire ce qu'il ne dit pas.

M. José Rossi - Le droit à l'expérimentation envisagé dans cette proposition de loi consiste en ce que le législateur puisse donner aux collectivités locales le droit d'adopter une réglementation dérogeant à la législation dans un domaine précis pour une durée limitée et décide ensuite, au vu des résultats concrets qu'il aura évalués, s'il convient de maintenir, de généraliser ou d'abandonner cette réforme.

L'expérimentation se heurte à la tradition juridique française reposant sur l'égalité des citoyens devant la loi et la souveraineté du législateur. Bien que non prévue par la Constitution, elle s'appuie toutefois sur une solide tradition administrative avec la déconcentration réalisée en 1962-1964 ou bien encore la création d'une police de proximité en 2000-2002, démarche validée par le Conseil d'Etat.

Dans le domaine législatif, l'expérimentation a pris deux formes. La première est l'application d'une loi pour une durée limitée, sa confirmation étant décidée au terme d'un délai prévu, après évaluation par le législateur. Tel fut le cas pour la loi de 1975 sur l'IVG, les lois de bioéthique de 1995 ou encore la loi sur les transports collectifs d'intérêt régional de 1995. La deuxième forme est la limitation dans l'espace du champ d'application d'une loi avec l'acceptation d'un régime dérogatoire au droit commun. Les exemples en ce domaine sont peu nombreux et aucun à ce jour ne concerne les collectivités territoriales. Mais l'un d'eux a permis au juge constitutionnel de fixer, dans sa décision du 28 juillet 1993, le cadre constitutionnel de ces expérimentations. Il a posé deux conditions générales. La première est que seul le législateur peut décider de ces expérimentations. La seconde est que la loi doit concilier le respect du principe d'égalité ainsi que des autres principes constitutionnels avec la poursuite d'un intérêt général justifiant la dérogation au principe d'égalité. Le législateur doit très clairement préciser le cadre, la durée, le champ spatial et la méthode d'évaluation de l'expérimentation. Le juge constitutionnel contrôle strictement le respect de ces principes et censure la loi s'ils sont violés, ce qui fut le cas par exemple en 1993.

Un tel cadre présente indéniablement l'avantage d'ouvrir la voie à des réformes de manière pragmatique. Il les place toutefois sous une double menace, celle d'un contrôle strict par le juge constitutionnel et celle de la conjoncture politique. Le législateur peut en effet se défausser sur l'expérimentation pour remettre la réforme à plus tard.

La révision constitutionnelle qui nous est aujourd'hui proposée est la seule voie possible pour créer ce droit à l'expérimentation qui, contrairement à ce que l'on dit parfois, n'est pas davantage pratiqué à l'étranger, notamment en Suisse et en Allemagne, exemples souvent cités, où le juge constitutionnel se montre aussi pointilleux que son homologue français, veillant notamment à ce que soient clairement énoncés les motifs d'intérêt général de l'expérimentation. Nous devrons être très clairs sur ce point dans la loi organique.

Pour toutes ces raisons, cette proposition de loi utile doit recueillir un large accord. La reconnaissance d'un droit à l'expérimentation ne dispense toutefois pas la représentation nationale d'avoir le plus tôt possible la lucidité et le courage d'entreprendre une réforme plus globale de l'Etat. Ce thème sera au c_ur du débat politique en 2002. Il faudra réaffirmer le pouvoir de l'Etat, tout en le redimensionnant sur des fonctions énumérées dans la Constitution, pourquoi pas, et en garantissant que ni les niveaux supérieurs ni les niveaux inférieurs n'empiètent sur lui ; mieux répartir les compétences entre collectivités territoriales ; renforcer l'autonomie des régions et des villes ; mieux séparer les pouvoirs politique et administratif ou bien encore exécutif et délibératif ; garantir le contrôle de tous ces pouvoirs ; reconnaître un véritable pouvoir aux citoyens, aussi bien individuellement en tant que consommateurs et contribuables que collectivement par le biais de référendums d'initiative populaire.

Le groupe Démocratie libérale votera volontiers cette proposition de loi en espérant qu'elle contribuera à l'élaboration d'une véritable réforme. Je ne sais si elle passera le cap de son adoption conforme au Sénat avant d'être ratifiée par le peuple. Mais il existe peut-être d'autres moyens pour aller plus vite et tenir compte de ce que va voter aujourd'hui l'Assemblée nationale dans sa grande sagesse (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF).

M. Gérard Charasse - Personne ici n'oserait dire que l'innovation sociale n'est pas, comme l'innovation scientifique, un facteur de progrès pour nos sociétés. Mais l'innovation scientifique est généralement le fruit de nombreuses années de recherche et d'expérimentations, menées dans le respect de règles qui permettent à leurs auteurs d'en tirer des conclusions significatives ; en revanche, l'innovation sociale se heurte à l'absence de résultats fiables et exploitables. On n'imaginerait pas, par exemple mesurer les dégâts causés par les trappes à inactivité en les imposant à un échantillon de la population... Il n'y a pas de hamsters ou de drosophiles pour l'expérimentation sociale ! C'est donc un concept difficile à manier, qui demande les plus hautes garanties.

Par ailleurs, les collectivités locales peuvent d'ores et déjà conduire diverses expérimentations en matière sociale. On l'a vu pour les taxes différentielles sur les véhicules à moteur, on le voit pour les taxes locales ; de même, le temps scolaire fait l'objet de nombreuses études qui permettront bientôt à nos concitoyens de dire la solution qu'ils préfèrent. La répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités locales donne à celles-ci une marge de liberté qui leur permet de conduire de plein droit ces expérimentations.

M. Georges Sarre - Très bien !

M. Gérard Charasse - Enfin, il serait dangereux d'ouvrir aux collectivités locales la faculté de prendre, sous couvert d'expérimentation, des décisions contraires à l'intérêt général.

Pour ces trois raisons, les députés radicaux ne pourront apporteur leur soutien à ce texte. Mais celui-ci ne sort pas de l'atelier d'un parlementaire apprenti sorcier : il est la démonstration que nos institutions partagent mal les compétences de l'Etat et celles des collectivités, le domaine de la loi et celui du règlement. Merci, Monsieur le ministre, d'inscrire cet argument parmi ceux, après la Corse et la transposition des directives européennes, qui conduiront le Gouvernement à nous proposer un projet de réforme de l'article 34.

M. Michel Hunault - Je le dis d'emblée : le groupe RPR votera la proposition de loi constitutionnelle présentée par M. Pierre Méhaignerie.

Partons d'un constat : la décentralisation a fait faire de grands progrès à la démocratie locale mais aujourd'hui chacun s'accorde à dire qu'il faut aller plus loin. La France demeure trop centralisée, l'Etat exerce trop souvent un rôle de censeur au lieu de faciliter les initiatives. Il faut donc donner aux élus plus de liberté, en leur accordant un véritable droit à l'expérimentation.

Comme l'a déclaré le Président de la République devant le conseil régional de Bretagne, la modernité ne consiste pas à appliquer partout et autoritairement les mêmes solutions ; il faut adapter nos structures et nos procédures aux réalités et non l'inverse, tenir compte davantage des initiatives locales et établir un nouvel équilibre institutionnel entre l'Etat et les collectivités décentralisées.

Voter ce texte, c'est aussi réhabiliter l'Etat en lui permettant de se consacrer à l'essentiel au lieu de tout contrôler. Monsieur le ministre, vous avez vous-même délimité le champ de cette proposition en précisant que l'expérimentation ne pouvait concerner les fonctions régaliennes de l'Etat.

Certains craignent qu'un principe auquel nous sommes peut-être plus que quiconque attachés, l'indivisibilité de la République, soit menacé. Qu'ils se rassurent : ce texte ne modifie nullement le domaine de la loi, mais seulement sa procédure d'élaboration. En autorisant des expérimentations, il permettrait que les collectivités locales testent l'efficacité des mesures avant qu'elles ne soient généralisées par voie législative.

Il est regrettable qu'on multiplie actuellement les législations uniformes, très vite dépassées, dans un objectif de recentralisation rampante. L'expérimentation est nécessaire ; ainsi, le RMI avait été mis en place dans certains départements avant d'être institué par la loi. Cependant, si l'on inscrit dans la Constitution le droit à l'expérimentation pour les collectivités locales, il convient d'en préciser les modalités d'application dans la loi organique et de fixer le champ et la durée de chaque expérimentation dans la loi ordinaire.

Les sujets d'expérimentation ne manquent pas : le Gouvernement aurait été bien inspiré de se référer aux expériences locales pour la réduction du temps de travail ou la loi sur l'exclusion. Il ne s'agit pas de démunir l'Etat, mais au contraire de l'aider à mieux conduire les évolutions nécessaires. En revanche, je m'élève contre l'interprétation de notre collègue José Rossi, selon laquelle l'Etat devrait partager le pouvoir avec les collectivités.

Certaines expérimentations ont été menées par voie réglementaire ou administrative au cours de ces dernières années pour la loi relative à la fiscalité locale, le droit d'expression des salariés dans l'entreprise, la réforme hospitalière ou la loi créant le chèque emploi-service. Tout dernièrement, l'expérimentation conduite sur les transports collectifs d'intérêt régional a conduit à l'adoption de la loi Gayssot.

Le droit à l'expérimentation permettra à nos collectivités de s'engager dans des politiques ambitieuses en matière d'emploi, de logement, de famille, de sécurité, d'environnement ou de solidarité. Mais les limites en ont été parfaitement rappelées par la décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 1993.

Par ailleurs, le vote de cette proposition de loi ne vaut en aucun cas de la part du groupe RPR approbation du processus de Matignon sur la Corse.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois - C'est un autre débat.

M. Michel Hunault - Nous sommes favorables à la relance de la décentralisation, mais dans le respect des missions fondamentales de l'Etat.

Le droit à l'expérimentation permettra de tester une réforme à petite échelle pendant une durée limitée, et au vu de ses résultats, de décider sa généralisation, son amélioration ou son abandon. Mais à un moment où l'on constate un transfert de charges sur les collectivités locales en même temps qu'une recentralisation des ressources, il doit s'accompagner d'une réflexion sur les moyens donnés aux collectivités : la réforme n'aurait aucun sens si elle ne se doublait pas d'une plus grande autonomie financière des collectivités locales.

Enfin, le groupe RPR sera intransigeant sur le respect des principes d'égalité et d'indivisibilité de la République. Une évaluation des politiques expérimentées est nécessaire à condition de s'entourer des garanties indispensables (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean Vila - La proposition de loi de M. Méhaignerie et du groupe UDF-Alliance suscite bien des interrogations. Si le droit à l'expérimentation est une bonne chose, le législateur ne détient cependant pas la réponse générale à un problème aussi complexe.

Il faut, bien sûr, aller au plus près des besoins des gens et faire vivre les libertés contre les tutelles inutiles et bureaucratiques.

S'agissant des collectivités locales, la gauche l'a fait dans le passé en imposant, contre la droite, les lois de décentralisation, dont le principe fait désormais l'unanimité et appelle de nouvelles avancées. Le récent rapport Mauroy contient ainsi plus de 150 propositions relatives à l'intercommunalité, aux compétences, à la démocratie locale ou à l'action locale de l'Etat, qui pourraient, pour certaines, être expérimentées dans des villes ou des départements avant d'être adoptées dans la loi. Or, il n'est pas besoin de modifier la Constitution pour cela, puisque l'Etat peut déjà le faire. C'est ainsi que dans le domaine sensible de l'éducation nationale, des expériences sont tentées sur le contenu de l'enseignement ou l'aménagement des horaires, et dans certaines préfectures, s'agissant de la gestion du personnel.

Tel est aussi le cas des nouveaux partenariats avec les collectivités locales que Mme Tasca, ministre de la culture et de la communication, et M. Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, ont proposé d'expérimenter en 2001 dans huit sites en matière de patrimoine et d'enseignements artistiques.

Pourquoi modifier la Constitution quand l'expérimentation est possible par la loi, ou même sans elle ? Le conseil des ministres ou un texte réglementaire du Premier ministre et du ministre compétent suffisent en effet à mettre en _uvre, après accord des collectivités locales concernées, une expérience sur un sujet précis et pour une durée limitée.

Il n'y a rien là qui mette en cause l'égalité des droits des citoyens à des personnes morales de droit public.

S'il est souhaitable d'avoir davantage recours à ce type d'expérience, l'innovation n'est pas telle qu'elle exige une révision constitutionnelle. L'exposé des motifs de la proposition de loi révèle une démarche différente et la conviction que l'équilibre institutionnel et l'originalité issus de notre histoire constituent désormais un obstacle à l'exercice des libertés. On voudrait même raviver à cette occasion le débat entre jacobins et girondins, qui ne répond pourtant plus aux enjeux d'aujourd'hui.

Les auteurs de la proposition n'hésitent pas à évoquer des domaines comme la politique de l'emploi, le logement, la sécurité, où les lois ont souvent un caractère d'ordre public.

On cite la Grande Bretagne, en oubliant que l'Ecosse et le pays de Galles, sans parler de l'Irlande du Nord, ne sont pas de simples régions, mais des territoires que l'Angleterre a d'abord soumis par les armes. Les Länder allemands dont l'histoire est différente et qui ont réalisé leur unité plus récemment, ne constituent pas un meilleur exemple de décentralisation.

La proposition de loi révèle plus une volonté de détruire les obstacles au marché unique européen que l'ambition d'une véritable décentralisation.

Les communistes estiment que les décisions doivent être prises au plus près des problèmes, ce qui requiert des transferts de compétences plus étendus, notamment aux communes. Mais la proposition de loi défend une logique où c'est l'égalité qui devient un obstacle, et d'abord l'égalité des citoyens devant la loi.

Il en va de même des services publics dont la mise en cause ne pourrait qu'aggraver les inégalités entre les régions et entre les citoyens, et des droits à la santé, aux transports ou à la culture.

Certes, l'égalité n'est pas figée. Comme la démocratie, elle est une _uvre continue. Mais le droit à l'expérimentation, tel qu'il est suggéré, consacrerait la possibilité de mener des politiques économiques et sociales différentes dans chaque région. Il s'agirait moins de s'appuyer sur l'acquis pour innover que de casser ce qui entrave la recherche du profit et de mettre les capacités financières de collectivités territoriales au service des grandes sociétés mondiales.

Il est difficile de croire que les auteurs de la proposition expérimenteraient volontiers le passage aux 35 heures de travail hebdomadaire avec création d'emplois, qui peut d'ailleurs se faire sans modification constitutionnelle ou législative.

L'exposé des motifs fait allusion, sans la nommer, à la Corse. Il n'y a justement ni 95, ni 22, mais une seule Corse.

Sur ce sujet, les communistes se sont inscrits dans une démarche qui respecte l'indivisibilité de la souveraineté nationale, et qui refuse de faire de la Corse un banc d'essai pour une Europe des régions. Si la singularité corse appelle des réponses spécifiques de développement, il ne s'agit pas d'un décalque à reproduire mécaniquement.

La liberté d'expérimentation proposée, qui pourrait paraître séduisante, risque cependant de n'être qu'un leurre, un moyen de mieux refuser une démocratisation audacieuse de la vie politique, qui s'impose pourtant dans toutes les communes et les régions de France. Elle nécessite notamment un nouveau statut de l'élu, permettant à des centaines de milliers de femmes et d'hommes de participer à un renouvellement de la République, l'articulation de l'exigence d'unité avec la reconnaissance de la diversité. Nous sommes pour des consultations plus nombreuses, des référendums communaux, mais aussi départementaux et régionaux.

La décentralisation implique la dévolution de nouvelles compétences, dans le respect des communes, avec des délégations vers le haut pour le progrès social, l'Etat restant garant de l'égalité et de la solidarité à l'échelle nationale.

Cela requiert non des exclusivités ou des transferts de blocs de compétences qui ne répondent pas à la complexité des problèmes, mais des responsabilités conjointes et contractualisées, en Corse comme ailleurs.

Le processus législatif doit être démocratisé dans son ensemble, en reconnaissant le droit des régions, mais aussi des citoyens, de faire discuter des propositions de loi. Ceci ne pourrait que renforcer le respect de la souveraineté nationale qui s'exprime, en dernier ressort, par le vote du Parlement.

C'est une logique différente qui sous-tend la proposition d'une loi de logique, qui n'est pas girondine, mais risque de donner aux grandes entreprises la haute main sur les moyens financiers des collectivités locales.

Les députés communistes ne peuvent donc souscrire à cette proposition de loi, même amendée par la commission. Ils souhaitent que le débat se poursuive sans précipitation, après la discussion du projet de loi sur la Corse, pour déboucher éventuellement sur une loi dotant le droit légitime d'expérimentation d'un cadre juridique.

M. Jean-Luc Préel - L'expérimentation, comme l'ont exposé Pierre Méhaignerie et Emile Blessig, est une nécessité pour résoudre de manière pragmatique et moderne des problèmes difficiles et démontrer l'utilité et l'efficacité des propositions, en les évaluant avant toute généralisation à l'ensemble du pays.

Les exemples de la politique du logement, de l'aide à l'emploi, de la sécurité ou de la police, chers à notre collègue André Santini, ont été cités. Je traiterai pour ma part de la nécessaire expérimentation d'une régionalisation de la santé.

Notre système de soins à la française, sur la voie de l'étatisation, est confronté à de grandes difficultés. S'il est relativement performant pour le curatif, il présente de nombreuses lacunes en matière de prévention, de prise en compte des besoins, de coordination entre les soins de ville et l'hôpital, d'urgence ou de démographie médicale, avec des spécialités quasi sinistrées. Le ministère, déjà compétent pour les hôpitaux, les cliniques et le médicament, intervient en permanence pour l'ambulatoire. Il décide seul, après le vote de l'ONDAM par le Parlement et sans prendre les besoins en compte, de la répartition des enveloppes et de la répartition régionale. Cela n'empêche nullement de profondes inégalités entre régions, tant en matière de santé publique que de pathologies ou de financement. Loin de garantir l'égalité et de satisfaire les professionnels, le système d'ailleurs inefficace, est centralisé, verrouillé et déresponsabilisant. Le risque est grand de le voir devenir un « mammouth bis ». Dès lors, certains sont tentés par une privatisation, avec tous les risques de sélection qu'elle comporte. C'est pourquoi la régionalisation est à la fois une chance et une nécessité pour l'UDF. Nous avons d'ailleurs déposé une proposition de loi tendant à une régionalisation pragmatique et expérimentale.

La région, chacun en convient, est le niveau pertinent pour définir les besoins, gérer les équipements et la démographie des professionnels, mener une politique de santé de proximité en responsabilisant tous les acteurs. Mais nous voulons, au-delà de la déconcentration, une réelle décentralisation, qu'il faut expérimenter dans des régions volontaires avant de la généraliser aux autres. En effet, l'implication des régions en matière de santé est nulle, mais elle peut être renforcée à plusieurs niveaux : celui de la prévention, puis celui de la formation des professionnels, donc de la démographie médicale et paramédicale, ensuite celui de l'investissement, à l'instar de ce qui est fait pour les lycées, et donc des restructurations, et, enfin, celui de la responsabilité d'une politique de santé régionale, voie dans laquelle plusieurs pays se sont engagés avec succès.

Comment généraliser cette régionalisation ? Il faut impliquer tous les acteurs dans des conférences régionales de santé rénovées, lieux de débat réunissant tous les acteurs qui, pour être légitimes, doivent être élus par collèges. Ces conférences évalueront les besoins, veillant à y adapter l'offre, et contrôleront les agences régionales de santé, dont les directeurs devraient, à terme, être nommés par les régions. Bien entendu, l'Etat demeurera le garant de la solidarité nationale.

Chacun a conscience, et je conclurai ainsi, que notre système de santé a besoin d'une réforme, tant il éprouve de difficultés à s'adapter. La région est reconnue par tous comme le niveau pertinent. Mais la réforme que l'UDF propose doit être conduite de manière pragmatique : expérimentée dans des régions volontaires, elle doit être soumise à évaluation avant une éventuelle généralisation.

La régionalisation de la santé offre donc un excellent exemple des mesures qui pourraient découler de l'adoption de la présente proposition de loi. A ce titre, nous ne manquerons évidemment pas de la voter (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Bernard Derosier - Comment aborder ce débat sans avoir à l'esprit la décentralisation, qui constitue, depuis 1982, le principe directeur de l'évolution de nos institutions ? A Lille le 27 octobre dernier, le Premier ministre a du reste annoncé son approfondissement, qui doit intervenir dans les tout prochains mois, et il y a tout lieu de s'en féliciter. Il y a donc désormais le discours de Lille et celui de Rennes : il appartiendra à chacun d'apprécier la sincérité de leurs auteurs respectifs ! De même, Lionel Jospin introduira demain ici-même par un débat d'orientation la discussion d'un premier projet de loi tendant à approfondir la démocratie locale, à renforcer la coopération entre les collectivités et à organiser certains transferts de compétences. Il s'agit en fait de donner à la réforme de la décentralisation, en une deuxième étape que chacun attend, un nouveau souffle. Le Parlement se prononcera également prochainement sur le projet de loi relatif à la Corse et il est difficile, dans le présent débat, de ne pas y penser.

Avant ces échéances, notre Assemblée est appelée à examiner ce matin une proposition de loi constitutionnelle qui vise à permettre aux collectivités territoriales d'expérimenter sur leur territoire « des mesures intéressant leur organisation, leurs compétences ou leurs ressources ».

L'idée est séduisante et nombre d'entre nous y adhèrent : encore faudra-t-il trouver des conditions de mise en _uvre et fixer des limites qui soient susceptibles de nous rassembler et la lecture de l'exposé des motifs n'est à cet égard guère encourageante. Il y est dit en effet que « la réforme de l'Etat piétine ». Comment souscrire à un propos aussi partial, qui relève d'une vision partisane et de circonstance ? Depuis plus de trois ans, le Gouvernement de Lionel Jospin n'a de cesse de réformer l'Etat et il s'y emploie avec une efficacité peu commune ! (Exclamations sur les bancs du groupe UDF) Plusieurs mesures novatrices sont nées de ce chantier prioritaire et permanent, qu'il s'agisse de la volonté d'harmoniser la durée des mandats à cinq ans, de l'égal accès des hommes et des femmes au fonctions électives, de la réforme de la procédure budgétaire et des modalités de contrôle par le Parlement des comptes de l'Etat. Et la liste n'est pas exhaustive. Je retiens aussi la loi du 12 juillet 1999 pour le renforcement et la simplification de la coopération intercommunale, les mesures favorables à l'émergence des pays, et celles tendant à l'aménagement et au développement durables du territoire. De même, l'action ministérielle de Michel Sapin, démontre notre volonté commune d'un Etat qui soit à la fois plus proche des citoyens et plus efficace.

L'offre de services publics de proximité, l'amélioration des relations des citoyens avec les administrations, la simplification des démarches administratives, l'accès facilité des usagers à l'administration par les télécommunications et l'Internet constituent autant d'avancées qui caractérisent la modernisation de notre Etat et de son fonctionnement au quotidien.

« La réforme de l'Etat piétine », nous dit-on : mais quelle formule le rédacteur de l'exposé des motifs aurait-il retenu si toutes ces mesures n'avaient pas été prises ?

Il nous est ensuite expliqué que la situation tient aux systèmes de décision « obsolètes et tellement centralisés » et aux limites de la loi de 1982 ! Quand un enfant est beau, il ne manque pas de pères et chacun se veut aujourd'hui plus décentralisateur que son voisin ! Ceux-là mêmes qui ont voté contre les lois Defferre déplorent aujourd'hui le manque d'audace des propositions de la commission Mauroy... (Exclamations sur quelques bancs du groupe UDF) et ils ne sont pas les derniers à critiquer la loi de janvier 1988 dite « d'amélioration de la décentralisation », pourtant votée à l'initiative du gouvernement de Jacques Chirac. Il n'est jamais trop tard pour reconnaître ses erreurs mais que n'ont-ils entendus nos réserves à l'époque ?

Pour séduisante qu'elle soit, l'expérimentation n'est pas une idée neuve. Le seul fait nouveau, c'est que ceux qui la refusaient hier -je pense notamment à la départementalisation des SDIS et à la méconnaissance par le législateur de 1996 d'expériences locales qui eussent mérité plus d'attention- s'y rallient aujourd'hui. Que n'avez-vous alors, Monsieur Méhaignerie, convaincu votre collègue Jean-Louis Debré ?

M. Pierre Méhaignerie - On n'y parvient pas toujours : vous verrez !

M. Bernard Derosier - L'on nous encourage aujourd'hui à inventer un droit à l'expérimentation. La méthode ne nous est cependant pas inconnue. Ainsi, l'éducation nationale a ouvert à la voie à de nombreuses occasions et les relations que j'ai établies dans ma circonscription avec les services de protection de la jeunesse offrent un bon exemple d'expérimentation réussie. Il en va de même de la régionalisation du transport ferroviaire de voyageurs, expérimentée avec succès, notamment dans la région Nord-Pas-de-Calais, avant d'être étendue.

Il serait du reste justifié de recourir à l'expérimentation dans bien d'autres domaines tels que, dans les régions concernées telles que la mienne, la coopération transfrontalière. Par delà les traditionnels accords de jumelage, pourquoi ne pas confier aux collectivités territoriales la gestion des crédits INTERREG ? Je n'ignore pas que les réflexes jacobins prévalent encore dans les administrations centrales mais je ne désespère pas, Monsieur le ministre, de vous convaincre de l'intérêt d'expérimenter la gestion par les départements et les régions des personnels d'entretien des collèges et des lycées qui dépendent aujourd'hui de l'Education nationale.

M. le Ministre - Tout à fait !

M. Bernard Derosier - Dans bien d'autres secteurs, le bien-fondé de mesures de rationalisation pourrait être évalué en vue de leur possible généralisation.

Faut-il pour cela modifier la Constitution ? Il semble que l'ajout d'un alinéa à l'article 72 fasse plaisir à certains... Il appellerait du reste une loi organique en vue de son application et d'autres lois seraient nécessaires pour fixer le cadre de chaque expérimentation. C'est la discussion de ces textes qui sera importante car les principes fondamentaux de la forme et de l'organisation de notre Etat y seront déclinés. Le droit d'expérimenter ne doit pas être entendu comme la possibilité de renforcer l'« autonomie » des collectivités locales. L'organisation politique et administrative de la France reste celle d'un Etat unitaire : un Etat unitaire décentralisé. La France n'est pas un Etat fédéral et si la lecture de l'exposé des motifs de la proposition permet de comprendre la revendication de cette organisation particulière de l'Etat, il est patent que le débat que nécessite une telle revendication ne peut se limiter à la discussion du texte proposé aujourd'hui. Un tel choix ne pourrait intervenir qu'à l'issue d'autres débats devant les Français.

Il y a cependant un avantage à poser la question des limites aux libertés des collectivités territoriales alors que s'annonce la discussion du premier projet de loi consacrant la poursuite de la réforme de la décentralisation. L'occasion est en effet donnée de rappeler aux partisans d'un Etat centralisé -il en reste- le sens de l'histoire de l'organisation de notre République et de la distribution du pouvoir vers ses territoires.

Une fois le débat ouvert, plusieurs solutions restent possibles : la meilleure se trouvera peut-être au juste milieu, entre les visions centralisatrices parfois intransigeantes des uns et les conceptions fédérales des autres.

Je fais pour ma part le choix d'une République unitaire et d'une décentralisation confortée par de nouvelles mesures (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

Mme la Présidente - J'appelle à présent, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, de notre Règlement, l'article unique de la proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission.

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ARTICLE UNIQUE

M. Georges Sarre - L'égalité, idéal toujours à atteindre, est au c_ur de la devise de la République. C'est un principe auquel les Français, Monsieur le ministre, sont très attachés. Le Président de la République l'avait du reste si bien compris qu'il en avait fait en 1995 son principal argument électoral, au travers du slogan « la France pour tous ! ».

Je vous le dis mes chers collègues, il n'est pas très facile de se déclarer adversaire de l'égalité dans un pays comme le nôtre et il n'est pas aisé non plus d'avancer que son objectif est le démantèlement de la République une et indivisible et, par conséquent, de la nation française. Alors, on agit de biais en agitant quelques lieux communs : la complexité, la lourdeur de l'Etat, son hypercentralisation, sa puissance insupportable qui étoufferait la société et ses initiatives... En réalité, l'Etat est de plus en plus privé de tout levier de commande, au profit d'une économie mondiale libéralisée qui échappe à tout contrôle politique. Véritable Gulliver empêtré dans un maillage serré d'institutions européennes ou mondiales, déconnectées du suffrage universel mais en osmose avec les marchés financiers, l'Etat a besoin d'être en France relégitimé. Il ne doit pas voir le peu de prérogatives qui lui restent contestées par une myriade de petits féodaux locaux, départementaux et régionaux ! (Exclamations sur les bancs du groupe UDF ; « Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste)

Les Français veulent plus de service public, plus de protection sociale, plus de policiers, plus de magistrats, plus de professeurs, plus d'infirmières, plus de contrôle alimentaire... Ils veulent donc plus d'Etat et un Etat plus efficace. Ils attendent de lui qu'il joue son rôle, qui est de donner l'impulsion en matière économique et sociale, de protéger les faibles et de garantir l'égalité contre les pressions des marchés.

Deuxième lieu commun : il y aurait, entre notre organisation institutionnelle et celle de nos partenaires européens, un décalage qui constituerait une sorte d'anomalie génétique à éliminer d'urgence. Mais, en Europe, les institutions de chaque pays ne sont-elles pas le résultat de l'histoire propre à chaque nation ? Et le sommet de Nice ne nous a-t-il pas apporté la preuve que ces nations sont encore bien vivaces ? D'autre part, quelle logique y a-t-il pour les partisans de la diversité, pourfendeurs de l'uniformité, à décréter tel modèle supérieur et à vouloir l'imposer à toute l'Europe ?

La diversité, au reste toute relative, des autres nations ne saurait prévaloir contre l'égalité, principe fondateur de la République française. Ainsi le modèle allemand, si prisé de nos élites, n'a pas, que je sache, favorisé des décisions rapides lors de la crise de la vache folle -ce qui a d'ailleurs coûté leur siège à deux ministres fédéraux. Quant à l'Espagne, dont la vitalité procéderait de l'autonomie qu'elle accorde à ses régions, le terme « résurrection » employé à son endroit dans l'exposé des motifs apparaît bien malheureux quand elle est mise à feu et à sang par le terrorisme basque !

Ce discours cache en réalité la volonté de confier les grandes décisions monétaires, budgétaires et commerciales à des instances supranationales, déconnectées du suffrage universel. Monsieur Méhaignerie, vous êtes même allé jusqu'à vous en prendre aux fonctions régaliennes de l'Etat, demandant des expérimentations en matière de police de proximité ! Etes-vous encore républicain ? (Protestations sur les bancs du groupe UDF)

Vous voulez aussi transférer aux régions les compétences suffisamment vastes pour rendre obsolète l'intervention des Etats-nations... et suffisamment limitées pour ne pas remettre en cause l'ordre libéral que vous souhaitez pour l'Europe. Affaiblir au maximum les nations, cadres de l'expression démocratique, tel est en définitive l'objectif principal de ceux qui invoquent les lourdeurs de l'Etat, la nécessité de rapprocher les décisions des citoyens et autres idées à la mode sans réelle substance !

En matière de décentralisation et d'évolution des institutions, le Mouvement des citoyens n'a de leçons à recevoir de personne ! Jean-Pierre Chevènement n'est-il pas le ministre de l'éducation nationale qui a transféré aux collectivités la compétence sur les collèges et les lycées, réussite majeure des lois de 1982, et le ministre de l'intérieur qui a fait adopter la loi sur l'intercommunalité, assurée aujourd'hui, selon un journal du soir, d'un succès sans précédent ? Nous sommes également favorables à nombre des conclusions du rapport Mauroy... En revanche, nous nous opposons fermement à toutes les tentatives visant à transférer aux collectivités locales de prérogatives essentielles de l'Etat.

Mesdames et Messieurs de l'UDF, votre proposition est adroite...

Mme Bernadette Isaac-Sibille - Qu'est-ce à dire ?

M. Georges Sarre - Qu'elle vous permettra à la fois d'afficher votre adhésion au processus de Matignon, sur la Corse, et de conserver une posture d'opposants à ce Gouvernement, qui n'aurait pas étendu aux régions une procédure d'expérimentation, bien hasardeuse et dangereuse pour la France et pour la République ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV)

Mme la Présidente - A la demande du Gouvernement, je suspends la séance pour quelques instants.

La séance, suspendue à 11 heures 5, est reprise à 11 heures 15.

M. Henry Jean-Baptiste - Je voudrais, sans passion excessive et sans, non plus, les outrances de l'orateur précédent, marquer toute l'importance que revêt cette proposition pour l'outre-mer français, qui se caractérise par sa diversité géographique et culturelle. Certes l'article 73 de la Constitution prévoit la possibilité d'adaptations et d'organisation particulière. Mais généralement c'est une interprétation très stricte qui a prévalu. Aujourd'hui, heureusement, on évolue vers une organisation institutionnelle différenciée. Ce texte permettra des expérimentations limitées dans le temps et dans l'espace et contrôlées, évitant cette multiplicité de lois d'habilitation et d'ordonnances votées dans la hâte, souvent au mépris des principes fondamentaux de notre régime parlementaire.

Nous attendons de ce texte plus de souplesse, une efficacité accrue de l'administration locale et un progrès de la décentralisation, même s'il ne faut surtout pas remettre en cause les principaux fondamentaux d'égalité devant la loi et d'unité de la République.

C'est au nom de l'outre-mer qu'au sein du groupe UDF je voterai ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL).

M. Jean-Pierre Dufau - L'amendement 1 vise à préciser que les expérimentations ne peuvent être autorisées que pour une durée limitée. En effet leur objectif est une généralisation après évaluation.

M. le Rapporteur - La commission a adopté l'amendement mais à titre personnel j'y suis défavorable. La notion même d'expérimentation implique le caractère temporaire des réformes. En outre, la commission a déjà adopté l'amendement de M. Dufau précisant que l'objectif est la généralisation. Enfin une loi organique doit préciser les conditions de mise en _uvre de l'expérimentation. Il est donc préférable de ne pas alourdir le texte constitutionnel.

M. le Ministre - L'objet de l'amendement est clair, mais je ne suis pas sûr que cette précision soit nécessaire car une expérimentation est par nature de durée limitée. De manière générale, je pense que la réflexion sur toutes les questions que soulève ce texte doit être poursuivie et approfondie. Je m'en remettrais donc à la sagesse de l'Assemblée.

M. Jean-Pierre Dufau - Compte tenu des arguments du rapporteur et du ministre, confirmant le caractère temporaire de l'expérimentation, je retire l'amendement (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. le Rapporteur - Pour harmoniser le titre de la proposition de loi avec la rédaction de l'article 72 de la Constitution, je propose de remplacer « collectivités locales » par « collectivités territoriales ».

Mme la Présidente - Je vous donne acte de cette rectification. Le titre de la proposition de loi sera rédigé en conséquence.

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EXPLICATIONS DE VOTE

M. Michel Hunault - Le groupe RPR votera cette proposition de loi constitutionnelle car nous pensons que le droit à l'expérimentation permettra de mieux légiférer et de tenir compte des initiatives locales.

Cette proposition ne modifie nullement le domaine de la loi, mais seulement sa procédure d'élaboration.

Cela dit, le RPR entend rappeler son attachement aux principes d'égalité et d'indivisibilité de la République et restera très vigilant quant à leur respect (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Georges Sarre - Le Gouvernement justifiait jusqu'à présent sa décision d'octroyer une partie du pouvoir législatif à la Corse par la spécificité insulaire. Je me tourne donc vers le groupe socialiste pour lui demander s'il ne lui semble pas dangereux de voter la proposition de l'UDF à quelques semaines du débat sur la Corse, fragilisant ainsi par avance l'un des arguments du Gouvernement.

A moins que ce vote ne prélude à un nouveau changement de stratégie du Gouvernement, qui, après avoir effectué un virage à 180° sur le dossier corse, s'apprêterait à en effectuer un autre sur la décentralisation. Si j'en crois la presse, le Premier ministre aurait en effet, lors de son déplacement à Redon, dit à l'oreille de M. Méhaignerie que le groupe socialiste allait voter sa proposition de loi... J'observe aussi que le président de la commission des lois se montre enthousiaste au sujet de ce texte et tout cela est très inquiétant pour l'unité nationale. La réécriture opérée en commission permet des adaptations locales dans des domaines tels que la fiscalité, l'enseignement, le droit au travail, la sécurité sociale....

M. le Président de la commission - C'est faux !

M. Georges Sarre - ...le régime de la propriété et le régime électoral !

M. Méhaignerie a été plus loin encore puisqu'il a proposé de s'attaquer à des pouvoirs régaliens comme la sécurité intérieure... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

M. Michel Hunault - Le ministre a répondu là-dessus !

M. Georges Sarre - Cette démarche est profondément antirépublicaine (Exclamations sur les bancs du groupe UDF).

Même si une loi organique doit préciser les conditions d'application de ce droit à l'expérimentation, il s'agit d'une véritable révolution copernicienne, qui mérite mieux qu'une adoption en catimini dans le cadre de la « niche » parlementaire, avant même que le Gouvernement n'ait fait connaître ses positions, en matière de décentralisation.

Les députés du MDC voteront contre cette proposition de loi, fruit des surenchères de démagogues irréfléchis et de petits tacticiens à l'esprit fumeux (Exclamations sur les bancs du groupe UDF). Si votre projet allait jusqu'à son terme, il n'y aurait plus de loi, ce seraient les conseils municipaux qui la rédigeraient ! Bravo à ceux qui vont voter ce texte scandaleux ! (Mêmes mouvements)

M. Henry Jean-Baptiste - Monsieur Sarre, ce qui est excessif est insignifiant... (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Ce texte a été bien analysé, je serai donc bref. Il se justifie d'abord par des raisons d'efficacité et de proximité des citoyens.

Deuxième raison, la décentralisation doit se poursuivre dans ce pays où l'Etat a précédé la Nation : il faut ouvrir des possibilités d'initiatives locales qui n'ont rien à voir avec la notion ambiguë d'autonomie, ni avec un fédéralisme étranger aux traditions françaises.

Dernier point : la volonté exprimée par nos concitoyens de participer davantage à la vie publique.

L'expérimentation, qu'un savant comme Claude Bernard a portée très haut dans la conscience intellectuelle mondiale, n'est pas seulement une notion scientifique. C'est aujourd'hui une exigence sociologique et politique à condition qu'en soient très précisément fixés les domaines, la durée, le champ d'application et les modalités de contrôle. C'est à ces conditions que les leçons qui en seront tirées pourront avec prudence, intelligence et pragmatisme être étendues.

Le nombre de nos collèges UDF aujourd'hui présents témoigne de l'importance que nous attachons à ce débat mais aussi, tout simplement, que nous sommes des élus de terrain, proches des préoccupations de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Après la modification de la Constitution, une loi organique est prévue. Nous insistons, à l'UDF, sur la nécessité d'engager rapidement cette réforme. Notre groupe, qui en a pris l'initiative, votera très largement, à l'unanimité même je crois, la proposition de notre collègue Pierre Méhaignerie (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. José Rossi - Je me réjouis tout d'abord, pour une fois, de n'avoir pas été la cible des attaques de notre collège Georges Sarre, lequel les a détournées vers M. Méhaignerie.

Ce que nous proposons aujourd'hui, nous le proposons depuis longtemps. Les convictions, Monsieur Sarre, ne sont pas seulement de votre côté ! Le seul reproche que l'on pourrait d'ailleurs nous adresser est de n'avoir pas nous-mêmes mis en _uvre ce que nous souhaitions, qui figurait déjà dans le programme des Etats généraux de l'opposition en 1993.

Force est de constater qu'une chape de plomb retombe toujours sur chaque velléité de réforme de l'Etat et qu'en ce domaine, l'immobilisme a jusqu'à présent prévalu. Les ministres de la réforme de l'Etat se sont succédé mais de réforme, point, du moins de l'ampleur qui aurait été nécessaire.

Je me félicite que la proposition de loi de notre collègue Pierre Méhaignerie, lequel recueille aujourd'hui les fruits de l'expérience qu'il a acquise et du travail qu'il mène depuis longtemps au sein de l'Institut de la décentralisation, puisse recueillir ici une large majorité dépassant les clivages partisans. Nous ne savons pas quel sort lui sera réservé puisque, s'agissant d'une proposition de loi constitutionnelle, elle devra être adoptée par le Sénat dans les mêmes termes puis soumise à référendum. Mais une fois que l'Assemblée nationale l'aura adoptée, les gouvernements, quels qu'ils soient, devront en tenir compte.

On ne peut que louer cette démarche pédagogique sur un sujet qui donne trop souvent lieu à des débats passionnels comme vient encore d'en témoigner l'intervention de Georges Sarre, au détriment de la prise en compte des problèmes réels. Si nos concitoyens sont prompts à se passionner, ils en reviennent vite aux réalités au plus près du terrain et perçoivent bien où est leur véritable intérêt qui ne saurait être la prédominance des intérêts particuliers sur l'intérêt général.

Pour toutes ces raisons, le groupe Démocratie libérale votera cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF).

M. Jean-Pierre Dufau - Je tiens à rassurer notre ami Georges Sarre sur deux points. D'une part, sur ce texte, le groupe socialiste s'est déterminé librement et en conscience. Quant au Premier ministre, s'il s'est exprimé comme il l'a fait, c'est qu'il connaissait notre position dès lors que nos amendements avaient été adoptés par la commission. D'autre part, nous sommes très attachés aux missions régaliennes de l'Etat comme à l'unité de la République. Mais unité ne signifie pas unicité. Le rôle de la République que nous défendons est de garantir l'égalité et la solidarité entre les citoyens. Je suis d'accord avec Georges Sarre sur la question de la sécurité : oui, c'est l'affaire de l'Etat et du Gouvernement. Je suis sensible également aux propos tenus concernant l'outre-mer : le problème est récurrent sur ce sujet. C'est précisément parce que nous sommes attachés à l'unité de la République que nous prônons la décentralisation.

On le constate depuis longtemps, les électeurs se mobilisent davantage lors des élections locales. C'est bien la preuve qu'une véritable démocratie doit partir de la base et remonter vers le sommet de l'Etat (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). La décentralisation doit servir l'Etat et la République. En ouvrant aujourd'hui aux collectivités locales le droit à l'expérimentation, nous faisons _uvre utile. Le véritable débat de fond s'engagera lors de l'examen de la loi organique. Pour l'heure, le groupe socialiste votera cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Vila - Je l'ai dit tout à l'heure dans mon intervention, nous souhaitons que le débat se poursuive sans précipitation après l'examen du projet de loi relatif à la Corse afin de déboucher éventuellement sur un texte législatif précisant le cadre juridique du droit légitime d'expérimentation. C'est pourquoi les députés communistes ne peuvent souscrire à cette proposition de loi, même amendée par la commission, et voteront contre.

L'article unique de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté.

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FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR

Mme la Présidente - L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au jeudi 1er février 2001 inclus a été fixé ce matin en Conférence des présidents. Il sera annexé au compte rendu de la présente séance.

Par ailleurs, M. le Président prononcera mardi 23 janvier, après les questions au Gouvernement, l'éloge funèbre d'André Capet.

Prochaine séance cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 40.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

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A N N E X E
ORDRE DU JOUR

L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au jeudi 1er février 2001 inclus, a été ainsi fixé en Conférence des présidents :

CET APRÈS-MIDI, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

      _ Nouvelle lecture du projet sur l'épargne salariale, l'actionnariat salarié et l'épargne retraite.

MERCREDI 17 JANVIER à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

      _ Déclaration du Gouvernement sur la décentralisation et débat sur cette déclaration.

JEUDI 18 JANVIER, à 9 heures :

      _ Proposition, adoptée par le Sénat, relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 (Ordre du jour complémentaire) ;

à 15 heures et à 21 heures :

      _ Deuxième lecture du projet de loi organique modifiant la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel ;

      _ Projet de loi organique, adopté par le Sénat, relatif au statut des magistrats ;

      _ Projets, adoptés par le Sénat :

          · autorisant l'adhésion du Gouvernement de la République française à la convention internationale de 1989 sur l'assistance ;

          · autorisant l'adhésion au protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (protocole I) (ensemble deux annexes) ;

Chacun de ces deux derniers textes faisant l'objet d'une procédure d'examen simplifiée, en application de l'article 106 du Règlement.

      _ Projets, adoptés par le Sénat :

          · autorisant la ratification de la convention relative à l'entraide judiciaire en matière civile entre la République française et la République socialiste du Vietnam ;

          · autorisant l'adhésion de la République française à la convention internationale d'assistance mutuelle administrative en vue de prévenir, de rechercher et de réprimer les infractions douanières (ensemble 11 annexes) ;

          · autorisant l'approbation de la convention d'établissement entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République togolaise ;

          · autorisant l'approbation des amendements à la Convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution ;

          · autorisant l'approbation des amendements au Protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d'origine tellurique ;

          · autorisant l'approbation du protocole relatif aux aires spécialement protégées et à la diversité biologique en Méditerranée (ensemble trois annexes) ;

          · autorisant l'approbation des amendements au protocole relatif à la prévention de la pollution de la mer Méditerranée par les opérations d'immersion effectuées par les navires et aéronefs ;

          · autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Lituanie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscale en matière d'impôts sur le revenu et la fortune (ensemble un protocole) ;

          · autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Lettonie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et la fortune (ensemble un protocole) ;

          · autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Estonie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et la fortune (ensemble un protocole) ;

          · autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Ghana sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements ;

          · autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Arménie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et la fortune (ensemble un protocole).

Chacun de ces 12 derniers textes faisant l'objet d'une procédure d'examen simplifiée, en application de l'article 107 du Règlement.

MARDI 23 JANVIER, à 9 heures :

      _ Questions orales sans débat ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures  :

      _ Eloge funèbre d'André CAPET ;

      _ Nouvelle lecture du projet relatif aux nouvelles régulations économiques.

MERCREDI 24 JANVIER, à 15 heures, après les questions au Gouvernement et le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes, et à 21 heures :

      _ Texte de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture de la proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ;

      _ Suite de la nouvelle lecture du projet relatif aux nouvelles régulations économiques.

JEUDI 25 JANVIER, à 15 heures et à 21 heures :

      _ Suite de la nouvelle lecture du projet relatif aux nouvelles régulations économiques.

MARDI 30 JANVIER, à 9 heures :

      _ Questions orales sans débat ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

      _ Deuxième lecture de la proposition modifiant les dispositions du code de l'environnement relatives à la répression des rejets polluants des navires ;

      _ Texte de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture de la proposition relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

MERCREDI 31 JANVIER, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures, et JEUDI 1er FÉVRIER, à 15 heures et à 21 heures :

      _ Projet rénovant l'action sociale et médico-sociale.


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