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Session ordinaire de 2000-2001 - 60ème jour de séance, 140ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 27 MARS 2001

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

ATTENTE DES FRANÇAIS 2

FIÈVRE APHTEUSE 3

CES ET CEC DANS LE SECTEUR DE L'INSERTION 4

RETRAITES 4

FIÈVRE APHTEUSE 5

REVENDICATION DES SAGES-FEMMES 6

INONDATIONS 7

CUMUL DES FONCTIONS 8

MACÉDOINE 9

FIÈVRE APHTEUSE 9

PROTECTION SOCIALE DES AGRICULTEURS 10

RETRAITEMENT DES DÉCHETS 10

HEURE D'ÉTÉ 11

JUSTICE COMMERCIALE
(discussion générale commune) 12

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 21

QUESTION PRÉALABLE 24

La séance est ouverte à quinze heures.

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    QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

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ATTENTE DES FRANÇAIS

M. Alain Bocquet - Le pays vient d'adresser au Gouvernement un message fort (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Le monde du travail et les jeunes ont, à l'occasion des élections municipales et cantonales, manifesté qu'ils ne peuvent se satisfaire des statistiques qui signalent une embellie économique alors qu'ils ressentent un mal-vivre quotidien. Ils ont dit leur mécontentement et leur impatience en se réfugiant dans une abstention massive, car ils se considèrent comme les oubliés de la gauche, alors que la croissance est revenue et, avec elle, des profits insolents.

Le Gouvernement doit entendre le message des urnes, en augmentant de manière significative les salaires, le SMIC et les minima sociaux, en transformant les emplois jeunes en emplois stables, en mettant en _uvre la prestation autonomie, en garantissant la retraite à 60 ans attaquée par le MEDEF et en revalorisant les pensions. Le Gouvernement doit aussi renforcer les droits des salariés au sein de l'entreprise afin que, partout, les citoyens puissent véritablement participer aux choix du pays.

Toutes celles et tous ceux qui, en 1997, ont mis tant d'espoir dans la politique qui s'engageait attendent des mesures urgentes pour retrouver la confiance...

Un député RPR - Quel réquisitoire !

M. Alain Bocquet - ...Quelles seront-elles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Je ne suis pas certain des leçons qu'il faudrait tirer, immédiatement, de ces élections locales. De plus en plus souvent, les Français voteront en fonction de la nature des élections au cours desquelles ils sont appelés à se prononcer, et il serait imprudent de se livrer à des projections. Ainsi, lors des élections municipales qui viennent de se dérouler, les messages ont été adressés en premier lieu aux candidats en lice dans les différentes villes (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Pour autant, je n'occulterai pas la question de l'abstention, particulièrement forte chez les jeunes et dans les milieux les plus défavorisés. Je soulignerai toutefois que ce phénomène, qui dure depuis longtemps, touche tous les pays développés, et certains davantage que le nôtre. Je constate d'autre part que lorsque l'enjeu est clair et la campagne digne de ce nom -à Paris, à Lyon, à Dijon- les jeunes et les classes populaires se mobilisent, particulièrement au second tour.

Il n'empêche : le Gouvernement ne peut rester indifférent aux attentes qui s'expriment -il ne l'a d'ailleurs jamais été. En dehors de ce qui a trait à l'intérêt général de la France, son action n'a-t-elle pas été tournée vers les milieux défavorisés et les jeunes ? La création d'1,5 million d'emplois et la diminution d'un million du nombre des chômeurs n'ont-elles pas profité, pour 40 % aux jeunes et pour 40 % aux ouvriers qualifiés ? Le choix de la croissance plutôt que de la stagnation économique n'était-il pas destiné à améliorer, en premier lieu, le sort des plus démunis ? L'application des 35 heures n'a-t-elle pas amélioré les conditions de vie de ceux qui accomplissent les tâches les plus pénibles ? Et comment oublier la CMU, qui a donné à 5 millions de personnes l'accès aux soins ? Comment oublier les emplois jeunes, qui ont redonné courage à leurs titulaires ?

Le Gouvernement va poursuivre, au cours des mois qui viennent, la politique qui a toujours été la sienne de réduction de la pression fiscale. Après la baisse de la TVA et celle de la taxe d'habitation viendra la prime pour l'emploi, qui favorisera les jeunes. Les personnes âgées et la population en difficulté ne seront pas négligées pour autant, puisque la prestation solidarité et autonomie entrera en vigueur.

Quinze années de crise ont eu, aussi, pour conséquence un certain détachement à l'égard de la politique. Le Gouvernement entend poursuivre dans la voie qu'il s'est tracée. Les options seront discutées dès samedi lors du séminaire gouvernemental et, aussi, avec la majorité plurielle -que les élections n'ont pas modifiée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Je comprends que vous ayez plaisir à vous retrouver, mes chers collègues, mais une expression plus retenue ne nuirait ni à l'image du Parlement ni à celle de la démocratie.

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FIÈVRE APHTEUSE

M. François Sauvadet - Déjà éprouvée par l'ESB, notre agriculture est à présent frappée de plein fouet par le risque d'épizootie de fièvre aphteuse. Chacun a pu voir les images télévisées de ces troupeaux incinérés au nom d'un principe de précaution qui, en la matière, suscite bien des interrogations, puisque la fièvre aphteuse est une maladie connue et maîtrisable. Qui ne comprend le désarroi des éleveurs ? Au Royaume-Uni, le Premier ministre est en passe de revenir sur la décision de ne pas vacciner les troupeaux. Vous avez évoqué, Monsieur le ministre de l'agriculture, l'incidence d'une telle pratique sur les exportations. Elle existe, sans doute. Mais n'entendez-vous pas revoir votre position, au moment où d'autres pays s'engagent dans cette voie ? Je déplore d'ailleurs qu'au-delà des déclarations aucune mesure d'harmonisation n'ait été prise au sein de l'Union européenne. Je le déplore d'autant plus vivement que les dispositions préventives sont loin d'assurer la même sécurité partout.

Enfin, les éleveurs n'ont toujours pas reçu la moindre aide de l'Etat, en dépit des garanties que vous leur avez données, et ils se trouvent dans une situation catastrophique, tant sur le plan humain que financier. Le Gouvernement doit réagir sans tarder (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - A la contamination par l'ESB s'ajoute le risque d'épizootie de fièvre aphteuse, si bien que les éleveurs français sont, de fait, dans une situation catastrophique, sur les plans financier et psychologique. Les images sensationnelles auxquelles vous avez fait allusion -et dont l'on pourrait fort bien se passer- permette de comprendre aisément ce qu'ils doivent ressentir. Le Gouvernement tient à leur témoigner sa solidarité financière et, j'ajoute, affective. Vous le savez, nous avons décidé de consacrer 1,4 milliard d'aide à la filière bovine. Les fonds ont été débloqués la semaine dernière, et il appartiendra aux commissions départementales d'orientation agricole de déterminer les critères de répartition des aides. Le Gouvernement a en effet estimé nécessaire de leur laisser une marge d'appréciation. Les éleveurs sont invités à déposer leur dossier au plus vite, et en tout cas avant le 15 avril. Je m'étais engagé à ce que les aides soient distribuées fin avril ou début mai, et tout sera fait pour qu'il en soit ainsi.

Quant à la question de la vaccination, elle ne peut être traitée à l'emporte-pièce. Le Gouvernement n'en a jamais exclu l'hypothèse ; il souhaite, cependant, l'éviter aux éleveurs, car les conséquences seraient lourdes. Je rappelle qu'à ce jour deux foyers d'infection seulement ont été recensés en France ; on en comptait 633 au Royaume-Uni ce matin et, quelles que soient les déclarations de M. Blair, la vaccination n'a pas commencé dans ce pays. Je le répète donc : je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour éviter à l'élevage français une vaccination qui, d'ailleurs, ne serait que curative. Je ne peux pas être certain d'y parvenir mais j'ai bon espoir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe RCV).

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CES ET CEC DANS LE SECTEUR DE L'INSERTION

M. Jean Pontier - L'INSEE a mis en évidence que les contrats d'insertion proposés dans le cadre du RMI servaient majoritairement à accéder à un contrat emploi solidarité -CES- ou à un contrat emploi consolidé -CEC. De même, le développement des chantiers et des ateliers d'insertion, qui s'adressent aux publics les moins qualifiés et les plus éloignés de l'emploi, repose pour l'essentiel sur les CES et les CEC. Les mesures de recentrage prévues dans la loi de lutte contre les exclusions et la diminution programmée des enveloppes budgétaires afférentes posent donc problème. Ainsi certaines des 22 structures d'insertion de la Drôme voient-elles leur nombre de CEC sur les chantiers d'insertion diminuer de 35 %. Globalement, 35 % des CES et 25 % des CEC seront en diminution dans ce département en 2001. En dépit donc des directives nationales qui tendent à réserver en priorité les contrats aidés aux personnes les plus en difficulté, les structures d'insertion vont se trouver condamnées à très court terme. Quel hiatus entre la volonté affichée de sécuriser au maximum les parcours d'insertion et l'insécurité maximale qui résulte sur le terrain des mesures prises !

La grande diversité des outils d'insertion permet, nous le savons, de répondre aux besoins des personnes qui ne peuvent immédiatement bénéficier de la reprise économique et de l'embellie du marché du travail. Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, comptez-vous revoir à la hausse le nombre de contrats aidés dans le secteur non marchand de l'insertion ?

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Nous avons privilégié dans le budget 2001 les aides à l'emploi dans le secteur marchand où ont été créés 500 000 emplois, parce que c'est dans ce secteur que les demandeurs d'emploi trouvent plus facilement satisfaction. Dans le même temps, nous avons entrepris de recentrer les CES et les CEC, dont les moyens ont augmenté dans le budget 2001, en direction des personnes les plus en difficulté. Je vais vérifier si nos instructions ont bien été suivies dans la Drôme.

Par ailleurs, j'ai mis en chantier un nouveau plan de lutte contre les exclusions qui comportera des aides supplémentaires à l'intention des jeunes qui n'ont encore pu accéder à un emploi durable, malgré le programme TRACE qui a déjà profité à 30 000 d'entre eux. Ce nouveau plan s'adressera également aux moins jeunes qui peuvent avoir besoin d'un accompagnement personnalisé. Nous allons renforcer les moyens du service public de l'emploi à cet effet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

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RETRAITES

M. François Goulard - L'opposition vous a, à de très nombreuses reprises, demandé, Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, quelles mesures entendait prendre le Gouvernement afin de sauver le système de retraite par répartition. Aux réponses lénifiantes -le problème était moins grave que nous ne le disions- ont succédé, après que tous les experts vous ont contredit, des réponses polémiques -nous aurions voulu substituer les retraites par capitalisation à l'actuel système par répartition-, alors que notre premier souci est bien de le sauver. Enfin, on nous a présenté un remède miracle : le fonds de réserve des retraites... dont un récent rapport parlementaire vient pourtant d'établir que jamais il n'atteindrait les montants annoncés, faute de recettes consistantes.

M. Bernard Accoyer - Escroquerie en effet !

M. François Goulard - Madame la ministre, alors que votre collègue Jean-Claude Gayssot est sans doute porté à soutenir la revendication des conducteurs d'autobus qui revendiquent la retraite à 55 ans, ce gouvernement est-il prêt à prendre enfin les mesures courageuses qui s'imposent afin de sauver notre système de retraites, pilier fondamental de notre protection sociale ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Permettez-moi tout d'abord de me féliciter de votre conversion à la retraite par répartition (Vives exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Je ne doute donc plus que nous parviendrons, avec vous, à trouver une solution satisfaisante à un problème qu'il faut en effet résoudre et qui résulte à la fois du vieillissement de la population et du déséquilibre démographique.

J'ai déjà eu l'occasion de le souligner à plusieurs reprises, la politique économique du Gouvernement a contribué à décaler ce problème dans le temps et à le réduire. Cela ne nous dispensera pas pour autant d'une réforme à laquelle nous devons travailler en recherchant un large accord social (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). En effet, une telle réforme ne peut pas se décréter dans le secret d'un cabinet ministériel. On a vu ce qui s'est passé en 1995 ! Le conseil d'orientation des retraites (Mêmes mouvements) poursuit sa réflexion, à laquelle le MEDEF ne participe pas, ce que je regrette.

Pour ce qui est du fonds de réserve des retraites, il n'y a aucune raison de douter qu'il sera bien doté de 1 000 milliards à l'horizon 2020, comme le Gouvernement s'y est engagé. Il sera doté de 40 milliards fin 2001 et de 65 milliards fin 2002, comme prévu. Quant aux récents événements intervenus lors de l'attribution des licences UMTS, ils n'affectent en rien l'alimentation du fonds puisque le produit de la cession des licences n'avait pas été pris en compte lors de l'annonce de la création du fonds mais vient en plus (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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FIÈVRE APHTEUSE

Mme Nicole Bricq - Ma question s'adresse au ministre de l'agriculture. Un deuxième foyer de fière aphteuse a été découvert dans notre pays vendredi dernier à Mitry-Mory, en Seine-et-Marne. Des mesures de précaution ont été immédiatement prises et des troupeaux d'ovins ont été abattus dans cette commune et deux autres alentour.

Comment ne pas être inquiet alors que ce foyer se trouve dans une zone très urbanisée, à deux pas de Roissy et de la Seine-Saint-Denis ? Comment ne pas partager l'angoisse de cette exploitante d'une ferme-école voisine, que je visitais hier soir, dont le cheptel sain risque d'être abattu ?

Au-delà de l'émotion que nous partageons tous, plusieurs questions se posent. La première a trait à la traçabilité de la filière ovine. Comment, au mieux ces défaillances, au pire ces fraudes, ont-elles pu se produire ? Pourquoi ne vaccine-t-on plus à titre préventif pour des raisons commerciales, notamment d'exportation vers les Etats-Unis ? Ne conviendrait-il pas de revoir ces règles commerciales afin de protéger notre agriculture et au-delà, notre économie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - La fièvre aphteuse n'est pas un problème de santé publique. En effet, cette maladie n'est que très rarement transmissible à l'homme et n'a de toute façon que des conséquences bénignes. Il n'y a donc pas de danger pour le consommateur.

Problème de santé animale ? A peine : dans le temps, on savait le gérer -les animaux étaient affaiblis, leur production, notamment de lait, diminuait, il arrivait que les plus jeunes en meurent, mais beaucoup survivaient, se trouvant d'ailleurs dès lors immunisés.

La fièvre aphteuse est un problème économique. La laisser se répandre dans notre cheptel ou vacciner, c'est reconnaître que notre pays n'en est pas indemne...

M. Christian Cabal - C'est une évidence !

M. le Ministre - Mais il faut voir ce que cela représente. N'être plus un pays indemne, c'est ne plus pouvoir exporter ni animaux vivants ni produits transformés. Or ces trois dernières années, nos exportations de bétail vivant ont représenté chaque année 8,5 milliards, celles de viande transformée 10,5 milliards et celles de produits laitiers 25 à 26 milliards. C'est bien pourquoi nous espérons juguler l'épizootie par les abattages.

Pour ce qui est de votre seconde question, oui, j'ai parlé de « pratiques frauduleuses » et je maintiens cette affirmation devant la représentation nationale.

De quel ordre sont ces pratiques ? Je tiens avant tout à souligner -dans le prolongement de ma réponse à M. Sauvadet- que je ne vise en aucun cas les éleveurs. Je vise certaines pratiques commerciales de négociants ou de transporteurs. Je vise particulièrement les exportateurs d'autres pays notamment de l'Union européenne, qui ne respectent pas la directive sur la traçabilité de l'identification des bêtes, qui nous inondent d'ovins sans étiquetage. Je vise aussi ceux qui pratiquent la vente au noir, « au cul du camion », pour s'affranchir de la TVA, ce qui nous expose, en cas de crise, à une impossibilité totale de retrouver le bétail concerné. Je vise ceux qui négligent de désinfecter leur camion entre deux chargements. Ce sont tous ces laisser-aller, toutes ces fraudes mineures qui, en cas de crise, nous conduisent à de graves problèmes. Sans ces pratiques, le cas de la Mayenne n'aurait sans doute pas eu lieu, et celui de Seine-et-Marne encore moins. C'est pourquoi j'appelle au civisme. Si nous voulons juguler l'épizootie, il faut que chacun fasse la lumière sur tous les mouvements de bétail depuis deux mois. C'est cet appel au civisme qui me paraît essentiel ; quant aux leçons concernant la fraude, nous les tirerons ensuite (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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REVENDICATION DES SAGES-FEMMES

M. Pierre Morange - Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité -et, de façon annexe, de la santé. Depuis une semaine, les sages-femmes ont engagé un mouvement national de grève et multiplié les appels à leur ministère de tutelle et à la représentation nationale. Nous devons entendre cette profession qui subit une politique véritablement malthusienne : effectifs insuffisants, ce qui peut mettre en péril la santé des parturientes et des nouveau-nés ; rémunérations indigentes au regard de leur niveau de responsabilité ; conditions d'exercice inacceptables.

Nos quinze mille sages-femmes assurent 70 % des accouchements, alors que les effectifs des obstétriciens diminuent et que la politique hospitalière conduit à fermer les petites maternités et à réduire la durée d'hospitalisation. N'est-il pas temps de proposer aux sages-femmes des conditions d'exercice convenables ? Nous devons accepter de revaloriser la statut de leur profession, avec un recrutement commun à toutes les professions médicales, mais aussi une rémunération nettement accrue et une augmentation des effectifs. Enfin, il est urgent de sortir de l'absurde système des lettres-clés flottantes, qui entrave le nécessaire développement du secteur libéral, notamment dans cette profession. Nous apporterez-vous des réponses précises sur ces points ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé - Vous avez posé de vraies questions, il reste à donner de bonnes réponses... Comment mettre fin au conflit qui a commencé le 20 mars ? Dès ce jour, j'ai reçu la coordination des sages-femmes, je la reçois encore demain. Première revendication : l'appartenance aux professions médicales. Celle-ci est reconnue par le code de la santé publique. Mais elle ne l'a pas été, sans que quiconque proteste à l'époque -c'était en 1990 ou 1991-, dans les négociations avec la fonction publique hospitalière. D'un côté les sages-femmes font donc partie de cette fonction publique que nous venons de revaloriser massivement ; de l'autre, elles demandent, ce que je trouve légitime, que cette appartenance leur soit reconnue. Encore faut-il que les autres professions l'acceptent...

Vous évoquez les rémunérations. On peut toujours trouver que ce n'est pas assez. Mais, compte tenu de leur durée de formation, les sages-femmes sont bien rémunérées par rapport à d'autres. Ainsi les infirmières spécialisées, les infirmières de réanimation ou anesthésistes, font cinq ans d'études contre quatre pour les sages-femmes. Est-il légitime ou non de tenir compte de cette différence ? Et dans quel sens ? Car il y a quinze mille sages-femmes, leur travail est admirable, et nous ne saurions nous en passer ni les uns ni les autres. Nous allons certainement reconnaître leur statut de profession médicale. Mais cela signifie qu'elles demandent une formation médicale commune à tous, au moins pour la première année du premier cycle. C'est un bouleversement profond, mais pourquoi pas ? Des propositions ont déjà été faites pour regrouper toutes les professions médicales et paramédicales dans une même formation pour un an. J'en serais plutôt partisan, mais c'est un long travail. Enfin, oui, nous avons besoin de plus de sages-femmes, et nous allons rouvrir le quota.

Pour les sages-femmes qui travaillent dans le privé, c'est plus compliqué, puisqu'il s'agit d'enveloppes attribuées par les ARH. Mais nous n'entendons naturellement pas que cesse l'activité des sages-femmes dans les cliniques privées, qui jouent un rôle essentiel dans les naissances en France (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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INONDATIONS

M. Didier Marie - Une nouvelle série d'inondations a touché notre pays, et la situation reste préoccupante dans l'Ouest, particulièrement dans l'Eure et la Seine-Maritime. Des milliers de personnes sont privées d'eau potable, des centaines d'habitations ont dû être évacuées. La cause des inondations réside dans les précipitations exceptionnelles de ce début d'année ; mais ces causes naturelles n'engendrent des catastrophes qu'en raison de l'intervention humaine : déboisement, urbanisation qui imperméabilise les sols, constructions en zone inondable, usage abusif de l'agriculture intensive...

Ces facteurs aggravants sont dénoncés à chaque catastrophe, et pourtant ils persistent. Il faut donc au plus vite apporter des réponses adaptées à la réalité locale, tout en privilégiant une politique nationale de prévention à long terme. La future loi sur l'eau devrait y contribuer. Pour aujourd'hui, comment comptez-vous, Monsieur le ministre de l'intérieur, aider les communes à faire face, et permettre aux particuliers comme aux entreprises d'être rapidement indemnisés ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur - Depuis le début mars, des pluies exceptionnelles se sont abattues, notamment sur les deux-tiers nord de notre pays. Elles interviennent sur des sols déjà saturés en eau, l'automne et l'hiver ayant été particulièrement pluvieux (Murmures sur les bancs du groupe du RPR). Quarante-huit départements ont été frappés à divers degrés. De nombreuses communes sont directement touchées, et je salue le dévouement des maires et de tous ceux qui travaillent à leurs côtés, en liaison avec les préfectures, pour aider les populations. Le 26 mars au soir, les services de secours recensaient encore, sur tout le territoire, quelque trois mille habitations touchées par les inondations ; des centaines de personnes ont dû être mises en sécurité, notamment en Normandie et en Ile-de-France. Vingt-cinq mille personnes sont privées d'eau potable en Seine-Maritime. Les services de secours se sont mobilisés, sous l'autorité des maires et des préfets. Toutes les demandes de renforts, en personnel et en matériel, ont été satisfaites par les ministères de l'intérieur et de la défense. Un détachement de sécurité civile a été envoyé le 23 mars en Seine-Maritime.

La tendance est à la décrue, mais la plus grande vigilance demeure à l'ordre du jour notamment en Seine-Maritime et dans les Yvelines. Déjà les préfets, en liaison avec les communes, recueillent tous les éléments nécessaires à la constitution des dossiers, afin que puisse intervenir la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Les ministères concernés s'apprêtent à instruire au plus vite des centaines de dossiers.

Je veux remercier tous ceux qui se mobilisent, sous l'autorité des préfets et des maires : les agents des collectivités locales, ceux des services publics de l'Etat, les bénévoles de la protection civile et de la sécurité civile. Soyez assurés que l'Etat ne se démobilisera pas. Quant à ce qui concerne la loi sur l'eau et l'environnement, Mme Voynet ne manquera pas de vous apporter les éléments de réponse qui sont de sa responsabilité (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

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CUMUL DES FONCTIONS

M. Georges Tron - Monsieur le Premier ministre, c'est vous que je souhaite interroger, pour que vous nous aidiez à comprendre le fond de votre pensée sur le cumul des fonctions de maire et de ministre. En 1997, dans votre déclaration de politique générale, vos propos à ce sujet étaient assez clairs : aucun de mes ministres, disiez-vous, ne pourra exercer les deux fonctions à la fois. Quelques jours plus tard, il est vrai, les faits montraient que ce principe n'était pas intangible.

En mai 1998, lors de la discussion du projet relatif au cumul des mandats, le Président de la République, puis l'ensemble de l'opposition, vous ont proposé d'introduire une disposition interdisant le cumul des fonctions de maire et de ministre. On nous a répondu qu'un texte serait proposé : depuis, rien... Vers la fin 2000, sur une grande chaîne de télévision, vous avez un peu modifié le principe, indiquant que les doctrines n'étaient pas faites pour être appliquées de façon dogmatique (Rires sur les bancs du groupe du RPR). Et en effet vous n'avez pas été dogmatique, puisque quatre membres de votre Gouvernement sont maires, et qu'on vous a vu soutenir bon nombre d'entre vos ministres lors de la campagne des municipales.

Ma question est donc simple. Le nouveau principe que vous avez défini est-il intangible ? S'appliquera-t-il à tous les maires, y compris les maires d'arrondissement ? Et combien de temps l'appliquerez-vous cette fois-ci ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. le Premier ministre - Dans votre question, l'audace le dispute au paradoxe ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Il est assez singulier, en effet, de reprocher au Gouvernement qui a appliqué pour la première fois, et de façon exemplaire, le principe du non-cumul (Mêmes mouvements), de supposés manquements à une règle dont vous avez pourtant constaté l'application ! C'est de votre côté, en revanche, que l'on a vu, par deux fois, un Premier ministre exercer également la fonction de maire -de la capitale pour l'un, de la grande ville de Bordeaux pour l'autre- et diriger, par-dessus le marché, un grand parti politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) S'il est un gouvernement et une majorité qui ont fait avancer, dans les textes comme dans les faits, la cause du non cumul, c'est nous ! Et nous aurions même été plus loin si l'opposition nous avait accompagnés, notamment au Sénat... (Mêmes mouvements) C'est ce même gouvernement et c'est cette même majorité qui sont à l'origine de la révolution douce observée lors de ces élections municipales : 47 % de femmes élues sur les listes, c'est-à-dire presque la parité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Naturellement, j'ai laissé les ministres libres de se porter candidats (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Sur les dix-huit qui l'ont été, treize ont été élus, et quatre autres ont été battus dans des villes déjà dirigées par la droite, et qu'ils tentaient de conquérir. Quant au Gouvernement tel qu'il se présente devant vous, la règle du non cumul continuera de s'y appliquer comme précédemment, et peut-être même avec plus d'ampleur, et vous feriez bien de vous appliquer à vous-mêmes ce que vous exigez de nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

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MACÉDOINE

M. Philippe Duron - Indépendante depuis dix ans, la Macédoine est l'un des Etats les plus raisonnables de l'ex-Yougoslavie. Elle a normalisé ses relations avec ses voisins, surmonté la grave déstabilisation économique provoquée par l'embargo contre la Serbie, accepté l'alternance démocratique lors des dernières élections législatives et su faire une place à ses minorités, aux albanophones en particulier, qui comptent cinq ministres et vingt-cinq parlementaires sur cent vingt. Or, depuis le 14 mars, de violents combats opposent, dans la région de Tetovo, la modeste armée régulière macédonienne à des éléments de l'UCK, qui se livrent depuis le Kosovo et la région serbe de Presevo à une tentative de déstabilisation.

Il ne faut pas que la Macédoine soit le théâtre d'un nouveau conflit régional, qui compromettrait l'évolution positive observée sur le terrain, car l'idée de « grande Albanie » menace l'équilibre même de la région. Au nom du groupe d'amitié France-Macédoine et du groupe d'études sur l'Europe du sud-est, je demande au Gouvernement de nous rappeler les mesures prises par l'Union européenne et par l'OTAN et de nous donner son point de vue sur l'avenir de cette région si proche de nous et menacée par la montée des nationalismes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - Je connais l'intérêt que vous portez, à double titre, à la situation de la Macédoine, qui fait l'objet de nos plus vives préoccupations. Le message de l'Union européenne, et de la France en particulier, est celui de la fermeté la plus grande à l'égard des extrémistes albanais : la recherche d'une solution fondée sur la violence n'a et ne doit avoir aucun avenir en Europe. Les Quinze ont affirmé au président Traïkovski, qu'ils avaient invité à Stockholm, leur soutien à l'indépendance et à l'intégrité de la Macédoine ; ils encouragent les autorités locales du Kosovo comme les autorités nationales macédoniennes dans leur attitude actuelle de modération.

La France est convaincue que l'Union européenne peut jouer, à terme, un rôle prépondérant dans la recherche d'une solution à la crise, et l'accord de coopération qui sera signé le 9 avril entre la Macédoine et l'Union devrait y contribuer. Un dispositif militaire sera installé prochainement pour mieux contrôler la frontière entre le Kosovo et la Macédoine, mais c'est avant tout dans la désescalade de la violence exercée par les rebelles albanophones et dans le maintien de l'attitude de retenue jusqu'ici observée par l'armée régulière macédonienne que réside l'espoir d'une solution (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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FIÈVRE APHTEUSE

M. Yves Deniaud - Nous sommes le 27 mars, c'est-à-dire l'avant-dernier jour de la période la plus stricte de l'embargo dont souffrent les départements de l'Orne et de la Mayenne, où les dégâts économiques se chiffrent en centaines de milliers de francs, et où des milliers de personnes sont menacées dans leur emploi, ainsi qu'a pu le constater, sur place, le Président de la République. L'aspect sanitaire est certes important, mais l'aspect économique est essentiel : quand ces deux départements, qui produisent de quoi nourrir en viande et en lait plus de dix fois leur population, pourront-ils vendre leur production, ne serait-ce qu'en France ? Quelle sera, au-delà des 30 millions déjà annoncés par le Premier ministre, l'ampleur de l'aide apportée à toute une filière menacée de disparition ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - L'Orne et la Mayenne sont en effet les deux départements les plus touchés, et il semble que la Seine-et-Marne le soit désormais aussi, au moins partiellement. Je vous rappelle ce que nous avons fait depuis que je vous ai reçu avec l'ensemble des parlementaires et des professionnels des départements concernés : un chargé de mission a été nommé, qui s'est rendu sur place aussitôt et a fait un excellent travail sur le terrain, et une première enveloppe d'urgence a été dégagée. Pour le reste, nous dépendons en grande partie de décisions communautaires : le Comité vétérinaire permanent, en particulier, va traiter de la situation de la France, et il faut bien reconnaître que le nouveau foyer apparu en Seine-et-Marne nous complique la tâche. J'espère que nous obtiendrons, demain, de pouvoir assouplir les mesures nationales d'embargo que nous avons dû prendre en attendant, mais je ne puis vous en donner l'assurance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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PROTECTION SOCIALE DES AGRICULTEURS

M. Jacques Rebillard - Si le monde agricole est secoué par deux graves crises, celle de la vache folle et celle de la fièvre aphteuse, cela ne doit pas faire perdre de vue les importantes réformes qui sont en instance : celle de la retraite complémentaire des exploitants agricoles et celle de leur assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles. Qu'entend faire le Gouvernement pour faire aboutir ces projets importants pour les agriculteurs et leurs familles ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Le Gouvernement considère, comme vous, que le régime d'assurance contre les accidents du travail, qui date de 1966, constitue le maillon le plus faible de la protection sociale des agriculteurs et de leurs familles. Il souhaite donc le réformer en s'inspirant des conclusions du rapport Marre-Cahuzac, mais il s'agissait d'un dispositif trop volumineux pour être intégré au PLFSS pour 2001, compte tenu, notamment, de la vigilance du Conseil constitutionnel... Le dossier devrait cependant avancer, avec tout le soutien du Gouvernement, à la faveur de la « niche » parlementaire de votre groupe, le mois prochain (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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RETRAITEMENT DES DÉCHETS

M. Bernard Cazeneuve - L'avenir de la filière électronucléaire française dépend en grande partie du retraitement des combustibles usés, français et étrangers, par l'usine Cogema de La Hague. Il faut prendre acte de la volonté du Gouvernement d'assurer la transparence et la sûreté de cette filière, en séparant les activités d'exploitation et de contrôle et en créant des missions locales d'information : ces deux dispositions très attendues figureront en effet dans un prochain projet de loi.

Cependant, des milliers de salariés de la filière électronucléaire sont aujourd'hui inquiets pour leur avenir, du fait de polémiques incessantes et de procédures judiciaires engagées par certains lobbies qui cherchent à obtenir l'arrêt du retraitement.

S'il n'appartient pas à la représentation nationale ni au Gouvernement de s'exprimer sur une procédure judiciaire en cours, l'autorité de sûreté a insisté sur le respect des règles en vigueur par la Cogema. Le Gouvernement entend-il prendre les décrets attendus par les industriels du retraitement, afin de leur donner un cadre juridique clair ? Quelles décisions prendrez-vous pour conforter la filière française du retraitement, qui est en position de leader mondial ?

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Il y a trois ans, le 2 février 1998, le Premier ministre a pris un certain nombre de décisions qui marquaient une rupture avec le passé dans le domaine nucléaire : il s'agissait de parvenir à plus de transparence, en séparant l'expert de l'exploitant. L'Assemblée nationale a déjà voté la création d'un Institut de recherche et de sûreté nucléaire. Bientôt elle devra se prononcer sur la création d'un haut comité de la transparence et de la sûreté nucléaire et sur la refonte du régime d'autorisation datant de 1963. Le retraitement des combustibles usés représente l'un des moyens de mettre en _uvre les orientations de la loi de 1991, il permet de réduire le volume global des déchets les plus radio-actifs et relève d'une industrie de haute technologie, créatrice d'emplois, pour laquelle la France est leader mondial.

Les pouvoirs publics ont l'intention de revoir le cadre de fonctionnement de l'usine de La Hague. L'enquête publique préludant à une nouvelle autorisation -avec rejets réduits- a conclu de manière favorable, et les ministres compétents se prononceront bientôt sur des textes. Il s'agit de sujets délicats, que le Gouvernement s'attache à traiter dans la transparence, et avec le souci primordial de la sûreté (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Je prie le dernier orateur d'être bref, compte tenu de l'horaire.

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HEURE D'ÉTÉ

M. Jean Briane - Ma question mérite autant d'attention qu'une autre. Dans la nuit de samedi à dimanche, subrepticement, l'heure dite d'été a porté à deux heures le décalage entre le temps légal et le temps solaire. Je sais bien que la question des rythmes biologiques est traitée avec dérision par la technostructure.

Le fait est pourtant que des millions de personnes se sentent agressées par le changement d'heure. Allez demander aux personnes âgées ou aux enfants, allez voir dans les hôpitaux où l'on fait manger les malades à 18 heures -c'est-à-dire 16 heures au soleil- avant de les endormir à coups de somnifères lorsque le soleil est encore haut sur l'horizon. Nous marchons sur la tête ! J'invite tous ceux qui refusent ces manipulations à se joindre à la démarche que nous avons engagée auprès de la Commission européenne. Faudra-t-il descendre dans la rue pour se faire entendre ? Certes, errare humanum est, mais perseverare diabolicum ! (« Très bien ! » sur quelques bancs).

Monsieur le Premier ministre, vous êtes seul responsable de la fixation de l'heure légale en France, cessez d'invoquer les directives européennes. Quand reviendra-t-on aux fuseaux horaires coordonnés ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. le Président - J'avais bien raison de dire qu'il y avait un problème d'horaire ! (Sourires)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Le « subreptice » que vous dénoncez date de quelque 25 ans. L'heure d'été, qui remonte au premier choc pétrolier, permet d'économiser chaque année 250 000 TEP, et d'éviter aux ménages 900 millions de francs de dépenses. Il n'est pas question de contrevenir aujourd'hui aux directives européennes en revenant sur l'heure d'été, d'autant moins que celle-ci correspond à l'intérêt général de la nation, elle sert notre indépendance énergétique et contribue à lutter contre les changements climatiques. Je confirme donc le maintien de l'heure d'été dans notre pays, en conformité avec les règles européennes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La séance, suspendue à 16 heures 10 est reprise à 16 heures 30, sous la présidence de Mme Catala.

PRÉSIDENCE de Mme Nicole CATALA

vice-présidente

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JUSTICE COMMERCIALE (discussion générale commune)

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif aux tribunaux de commerce, du projet de loi organique relatif aux conseillers de cour d'appel et du projet de loi relatif aux mandataires de justice.

Mme la Présidente - La Conférence des présidents a décidé que ces trois textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice - Les trois projets qui vous sont soumis constituent une réforme de la justice commerciale d'une ampleur sans précédent. Cette réforme était devenue indispensable après les travaux menés par votre commission parlementaire et par la mission d'inspection commune de l'inspection générale des finances et des services judiciaires. Non seulement le cadre juridique de la vie économique est un des éléments clés de la compétitivité de notre pays, mais en outre un pays moderne a besoin d'une justice impartiale, rapide et soucieuse des attentes de nos concitoyens.

La réforme des tribunaux de commerce est fondamentale pour notre organisation judiciaire. Elle est attendue depuis longtemps -et nombreuses ont d'ailleurs été les tentatives. Nous devons donc mesurer la solennité de cet instant et saluer le travail déjà accompli.

L'organisation actuelle de ces juridictions remonte, pour ses principes fondamentaux, au XVIe siècle. Elle repose sur le concept d'une justice rendue par les marchands pour les marchands et n'est donc plus adaptée aux exigences de l'économie moderne. Les intérêts en jeu dépassent souvent ceux des commerçants. Les décisions rendues peuvent avoir des incidences considérables sur les tiers : salariés, consommateurs ou épargnants.

Dans ces conditions, l'organisation des tribunaux de commerce français, unique dans le paysage européen, doit être aménagée pour répondre à des exigences juridiques mais aussi de transparence et d'impartialité. Les magistrats consulaires l'ont eux-mêmes proposé dès 1997, et le Gouvernement a décidé, le 14 octobre 1998, d'entreprendre cette réforme.

Votre commission d'enquête avait déjà préconisé diverses mesures. D'abord, une refonte de la carte judiciaire : 36 juridictions ont déjà été supprimées et une quinzaine devraient encore l'être, même si élus et juges consulaires ne sont pas d'accord. Ensuite, une réforme du statut des professionnels des procédures collectives. Enfin, une révision de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises : l'avant-projet est actuellement soumis à la concertation.

Le Gouvernement a donc travaillé sur ces sujets délicats, souvent controversés. Il persévère dans son action en faveur des réformes mais aussi pour rendre hommage au travail de votre Assemblée.

Le projet qui vous est soumis tend d'abord à renforcer la qualité de la justice commerciale. C'est pourquoi la réforme a d'abord pour objectif de préserver les qualités des tribunaux de commerce. La première est l'expérience de la vie économique et du terrain qu'ont les femmes -trop peu nombreuses- et les hommes qui les composent.

Les juges consulaires participent bénévolement au service public de la justice. La grande majorité d'entre eux le fait avec compétence et loyauté.

Il s'agit maintenant de conforter l'assise juridique des tribunaux de commerce. La présence de magistrats professionnels dans ces juridictions y pourvoira . Elle ne peut qu'être favorable aux justiciables, et aux tribunaux de commerce eux-mêmes.

Le c_ur de la réforme consiste donc à introduire la mixité dans les tribunaux de commerce. L'association de magistrats professionnels et de juges élus dans une même formation de jugement permettra d'allier la connaissance des règles de fonds et de procédure, l'expérience des contentieux et la perception, pour chaque affaire, de sa dimension économique.

Le projet tend donc à permettre la constitution, dans chaque tribunal de commerce, d'une ou de plusieurs chambres mixtes. Après les avis émis par votre commission d'enquête, une commission de réflexion, présidée par un conseiller d'Etat et par un conseiller-maître à la Cour des comptes, a procédé à de nombreuses consultations sur cet aspect de la réforme.

Les travaux ont montré que l'étendue de la mixité peut être différemment entendue, tout en respectant l'exigence première : apporter aux affaires qui mettent en cause des tiers, outre les garanties de compétence, celles d'impartialité requises, devant toutes les juridictions, par le dernier état de notre droit qui s'inspire en ce domaine de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La recherche d'une solution équilibrée n'est pas aisée. C'est pourquoi notre approche doit être, non pas idéologique mais pragmatique.

Ne nous dissimulons pas les aspects psychologiques, voire les arrière-pensées qui sont liées à cette réforme. Elle implique une véritable révolution culturelle, en particulier en ce qui concerne la présidence des chambres mixtes.

D'une manière générale, je crois aux vertus de la méthode expérimentale, à la pédagogie par l'exemple. C'est pourquoi j'estime préférable de limiter la compétence des chambres mixtes aux affaires relatives aux procédures collectives. Que les magistrats professionnels et les juges consulaires réussissent ensemble à créer cette mixité dans l'esprit que j'ai défini ; qu'ils apprennent à se connaître, à travailler ensemble : faisons ce pari qui me paraît être celui de l'intelligence. Je déposerai donc un amendement en ce sens.

M. Jean-Paul Charié - C'est une partie du chemin...

Mme la Garde des Sceaux - Si l'introduction de la mixité a focalisé l'attention, la réforme ne saurait se résumer à ce seul point. De nombreuses dispositions renouvellent l'organisation même des tribunaux de commerce

J'insisterai plus particulièrement sur le statut des juges élus des tribunaux de commerce. Juges bénévoles, tirant leur compétence de leur expérience professionnelle, les juges consulaires se trouvent dans une situation particulière au sein de l'appareil judiciaire français.

Le projet de loi comporte des dispositions sur la limite d'âge des juges, sur le nombre des mandats qui peuvent être exercés, sur les incompatibilités de fonctions. Votre commission a adopté différentes propositions sur ces sujets.

Par ailleurs, la déontologie et la discipline sont modernisées et considérablement renforcées, notamment par une obligation de déclaration d'intérêt et par les pouvoirs nouveaux qui sont conférés aux premiers présidents des cours d'appel dans la procédure disciplinaire.

Enfin, le caractère strictement associatif de la représentation des juges consulaires ne répond plus à leur rôle. C'est pourquoi, conformément à la demande de la conférence générale, je vous propose d'inclure dans le projet le principe de la création d'un conseil national des tribunaux de commerce.

M. Jean-Paul Charié - Très bien !

Mme la Garde des Sceaux - Si la réforme tend à améliorer la justice commerciale, c'est aussi pour la mettre au service des entreprises.

L'autre grande innovation du projet consiste donc à élargir le corps électoral. Désormais, les artisans seront également électeurs et éligibles aux fonctions de juge. Vous permettrez à l'ancienne secrétaire d'Etat en charge de ce secteur de s'en réjouir.

Plus représentatives, les élections seront aussi plus démocratiques : le projet tend en effet à supprimer l'échelon intermédiaire que représente actuellement le collège électoral restreint qui choisit les juges consulaires. Les juges seront directement élus par ceux qu'il auront pour mission de juger.

Dans les liens qui doivent exister entre les entreprises et les tribunaux de commerce, le président du tribunal de commerce occupe une place déterminante. Lui-même chef d'entreprise, il est souvent le premier interlocuteur des responsables d'entreprises en difficulté. Son expérience professionnelle et judiciaire constitue un atout essentiel pour le service que les tribunaux de commerce doivent rendre aux entreprises.

C'est pourquoi la présidence du tribunal de commerce doit rester aux juges consulaires. Le président continuera d'exercer l'ensemble de ses attributions juridictionnelles, qu'il s'agisse des référés ou des ordonnances sur requête, y compris dans les matières relevant au fond de la compétence de la chambre mixte.

Ce choix a été guidé par le souci de maintenir l'unité de la juridiction. Il permettra également d'éviter les difficultés qui pourraient survenir en raison de l'interdiction, dans certaines hypothèses, pour le juge ayant statué en référé de connaître ensuite de l'affaire au fond.

Seuls les pouvoirs exercés en matière de procédures collectives en vertu de la loi du 25 janvier 1985 seront, par souci de cohérence, confiés au président de la chambre mixte. Le projet conserve en outre au président du tribunal les missions de prévention et de règlement amiable des difficultés des entreprises, ainsi qu'aux juges élus l'exercice des fonctions de juge commissaire dans les procédures de redressement et de liquidation judiciaires. Ce choix confirme la volonté d'une réforme équilibrée, tirant le meilleur parti des compétences de chacun.

Enfin, le principe de la formation des juges consulaires est affirmé dans la loi. Les justiciables, simples commerçants, artisans ou chefs de plus grandes entreprises, ont en effet droit à des décisions de qualité, alors que les litiges sont de plus en plus complexes. Il y va de la crédibilité de l'ensemble de l'institution.

Le projet de loi organique relatif au recrutement des conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire constitue le prolongement du projet portant réforme des tribunaux de commerce. Il décline le principe de mixité au niveau des cours d'appel.

Les objectifs d'amélioration de la justice rendue aux citoyens sont tout aussi valables pour les cours d'appel lorsqu'elles traitent des affaires relevant, en première instance, des tribunaux de commerce et des formations commerciales des tribunaux de grande instance.

Complémentarité des compétences, mélange des expériences, confrontation des points de vue, enrichissement mutuel : tels sont les qualités de la mixité dans les juridictions. Tels sont les avantages qui doivent bénéficier aux justiciables, qu'ils soient simples commerçants, artisans ou grandes entreprises.

A cette fin, le Gouvernement a décidé de permettre la nomination de magistrats qui, tout en continuant à exercer leur activité professionnelle, siégeront dans les formations de jugement des cours d'appel traitant du contentieux commercial.

Cette voie nouvelle de recrutement complète les voies d'accès à la magistrature déjà existantes, qui permettent l'intégration de personnalités issues du monde économique.

Cette ouverture représente un progrès historique dans notre organisation judiciaire, et même une petite révolution. Il est prévu que les conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire remplissent les fonctions d'assesseur pendant une durée de cinq ans non renouvelable. Peut-être, comme le suggère votre commission, conviendrait-il d'allonger cette durée afin que nos juridictions du second degré bénéficient plus longtemps de l'expérience accumulée par ces nouveaux juges.

Juges à part entière, ayant déjà exercé des fonctions judiciaires pendant plusieurs années, ils seront nommés dans les formes prévues pour les magistrats du siège, sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, sans sélection préalable par la commission d'avancement.

Il y aura donc égalité de condition entre les juges d'appel à titre temporaire et leurs collègues professionnels : siégeant ensemble dans les formations collégiales, ils décideront à égalité de droits et de devoirs.

Sous réserve des mêmes exceptions que celles retenues pour les magistrats exerçant à titre temporaire, les conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire seront soumis au statut de la magistrature. Ils percevront pendant le temps de leurs fonctions une indemnisation fixée par décret en Conseil d'Etat.

Enfin, il n'est pas de juge indépendant sans garanties d'inamovibilité suffisantes, on le sait. Il ne pourra donc pas être mis fin aux fonctions de ces juges d'appel avant le terme de la durée pour laquelle ils auront été nommés, sauf sur leur demande ou en cas de sanction disciplinaire.

Les conseillers seront recrutés parmi des candidats ayant déjà assumé des fonctions juridictionnelles dans les tribunaux de commerce pendant huit ou douze années, selon leur qualification. Ils seront astreints à des limites d'âge que nous déterminerons au cours des débats.

Préalablement à leur entrée en fonctions, les magistrats nommés suivront une formation organisée par l'Ecole nationale de la magistrature, dont les modalités d'organisation relèveront d'un décret en Conseil d'Etat.

Les règles d'incompatibilité actuellement applicables aux magistrats exerçant à titre temporaire ont été complétées pour tenir compte, d'une part, de l'exercice préalable de fonctions judiciaires dans un tribunal de commerce, d'autre part, de l'exercice concomitant d'une activité professionnelle.

Le régime des incompatibilités fixé dans le projet a suscité des interrogations au sein de votre commission. Vous vous êtes notamment demandés s'il ne risque pas de rendre trop difficile l'accès des juges consulaires aux cours d'appel. Nous examinerons ce point en détail, pour que les règles que votre assemblée retiendra soient conformes aux objectifs de la réforme.

Enfin, la poursuite d'activités professionnelles parallèlement à l'exercice de missions judiciaires de haut niveau justifie que les conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire soient soumis à l'obligation de déclaration de leurs intérêts.

Le dernier volet de la réforme globale de la justice commerciale est relatif au statut des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises.

Le traitement des difficultés des entreprises est, depuis longtemps, un domaine réservé à des spécialistes. Initialement confiée aux créanciers eux-mêmes, cette mission a, par la suite, été dévolue à des syndics professionnels dotés, en 1955, d'un statut les organisant en profession réglementée.

Fortement critiquée, cette profession a été réformée par la loi du 25 janvier 1985, mais il est apparu nécessaire de corriger les effets pervers de certaines pratiques, pour mieux atteindre l'objectif poursuivi : privilégier la sauvegarde des entreprises en difficulté et le maintien de l'activité et de l'emploi, dès lors que ces sociétés sont viables.

M. Arnaud Montebourg, rapporteur de la commission des lois pour le projet de loi modifiant la loi du 25 janvier 1985 relative aux administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises et experts en diagnostic d'entreprise - Très bien !

Mme la Garde des Sceaux - Doivent donc être pris en considération non seulement les intérêts de l'entreprise, de ses salariés et de ses sous-traitants, mais aussi ceux des épargnants, actionnaires et obligataires qui lui ont fait confiance, de ses créanciers, de ses clients, comme ceux de la collectivité toute entière.

Les professionnels des procédures collectives ont un savoir-faire. Il convient de l'adapter et de mieux l'encadrer, tout en favorisant une plus grande transparence. C'est pourquoi, s'il faut bien sûr moraliser ce secteur et y insuffler un air neuf pour mettre fin à des monopoles, il convient aussi d'y préserver, avec le maintien du mandat de justice confié à des professionnels spécialisés, un équilibre propice au traitement attentif des difficultés des entreprises, et singulièrement des plus modestes d'entre elles.

Le projet s'articule donc autour de deux axes majeurs : la rénovation profonde du statut de ces professions d'une part, le renforcement du contrôle de ces professionnels et la transparence de leur activité, d'autre part.

La rénovation du statut des mandataires de justice passe par une réelle ouverture à la concurrence, et le projet fait _uvre créatrice dans ce domaine.

M. François Colcombet, rapporteur de la commission des lois pour le projet portant réforme des tribunaux de commerce - Très bien !

Mme la Garde des Sceaux - Cependant pour préserver l'équilibre délicat déjà évoqué, la notion de mandat de justice ainsi que l'existence des deux professions d'administrateur et de mandataire judiciaire ont été maintenues.

En effet, l'existence d'un mandat confié aux membres d'une profession spécialisée et dotée d'une organisation renforcée est finalement apparue le moyen le plus efficace pour garantir la compétence, l'indépendance et la neutralité de ces intervenants, aussi bien à l'égard de l'entreprise en difficulté que de ses créanciers.

En revanche, pour réaliser la nécessaire ouverture du secteur des procédures collectives, plusieurs dispositions du projet concourent à la disparition des monopoles de fait dont bénéficiaient jusqu'à présent les mandataires de justice et qui constituaient une source incontestable d'abus et de dysfonctionnements.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois - Très bien !

Mme la Garde des Sceaux - C'est ainsi que la compétence de ces deux professions est désormais nationale -ce qui n'était pas le cas pour les mandataires judiciaires- ; que leur ouverture aux membres de l'Union européenne est consacrée ; qu'un examen d'accès au stage est créé et qu'une limite d'âge est instaurée. Surtout, la possibilité ouverte aux juridictions de désigner des personnes non inscrites sur les listes de ces professions, en contrepartie d'indispensables garanties, ouvre ce secteur à la concurrence externe...

M. Jean-Paul Charié - Avec les mêmes devoirs ?

Mme la Garde des Sceaux - Bien sûr. Cette mesure devrait favoriser une amélioration réelle des compétences dans le traitement des entreprises en difficulté. Elle devrait surtout permettre que les deux professions se renouvellent et se structurent pour gagner en qualité et en efficacité.

Cette nécessaire ouverture ne produira cependant de réels effets que si la concurrence suscitée est équilibrée entre les professionnels réglementés et les personnalités extérieures. Le projet préserve cet équilibre, en définissant des conditions de désignation et en fixant des garanties. Rien ne servirait, en effet, de mettre un terme aux abus constatés de la part de certains professionnels si l'on désigne à leur place des personnes ne pouvant justifier des garanties suffisantes de compétence ou de moralité !

M. Arnaud Montebourg, rapporteur - En effet !

Mme la Garde des Sceaux - Le deuxième objectif du projet est d'encadrer plus strictement l'exercice des professions d'administrateur et de mandataire, car le décret du 29 décembre 1998 destiné à renforcer le contrôle de l'activité de ces professions est manifestement incomplet faute d'un dispositif législatif satisfaisant. Est donc proposée la création de nouvelles incompatibilités, et interdiction est faite aux professionnels de déléguer à des tiers les missions qui leur incombent en propre.

M. François Colcombet, rapporteur - Très bien !

Mme la Garde des Sceaux - Par ailleurs, il est apparu nécessaire de renforcer le régime disciplinaire. Un nouveau dispositif permettra donc de mieux sanctionner les manquements constatés lors des inspections, comme M. Charié nous le rappelle trop souvent.

M. Jean-Paul Charié - Ce n'est jamais « trop souvent » !

M. François Colcombet, rapporteur - C'est vrai !

Mme la Garde des Sceaux - Cet ensemble, plus cohérent, permettra aussi d'assurer des prestations de qualité, dans des délais raisonnables et moyennant un coût acceptable, trois objectifs visés en 1998, tant par le rapport de votre commission d'enquête que par le rapport conjoint des inspections générales des finances et des services judiciaires.

Je ne doute pas que le débat qui s'ouvre permettra de faire aboutir cette réforme globale de la justice commerciale voulue par le Gouvernement et attendue non seulement par les entreprises et les artisans mais aussi par nos concitoyens, qui souhaitent que la justice rendue en leur nom soit de qualité, transparente et impartiale. Cette réforme sera parachevée par celle des procédures collectives.

Je ne conclurai pas sans remercier votre commission des lois et son président pour le travail déjà réalisé sur ces trois textes et, tout particulièrement, vos rapporteurs François Colcombet, Arnaud Montebourg et Jean Codognès (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Colcombet, rapporteur de la commission des lois, pour le projet portant réforme des tribunaux de commerce - Si les tribunaux de commerce ont été créés pour ne traiter que des affaires entre commerçants, leurs compétences se sont élargies au fil du temps. En corollaire, les interrogations se sont multipliées et, très vite, les critiques, notamment sur les pratiques relatives aux procédures collectives. En 1973, la droite s'était attelée au problème, et M. Taittinger avait constitué une commission, mais la réforme déjà souhaitée n'a pas abouti...

M. Jean-Paul Charié - Et pour cause !

M. François Colcombet, rapporteur - Dès 1981, M. Badinter s'est remis à l'ouvrage, et quatre projets ont été élaborés. Les trois premiers ont été adoptés, mais le quatrième s'est heurté à une très forte opposition des juges consulaires, le président du tribunal de commerce de Paris allant jusqu'à démissionner.

Pourtant, le système actuel ne peut perdurer, car l'organisation des tribunaux de commerce conduit à des dérives aujourd'hui bien connues. A cet égard, les tribunaux de commerce de Bobigny et de Nanterre se distinguent par des scandales retentissants. Ainsi, le président et un juge du tribunal de Bobigny ont été condamnés pour complicité de malversations, ce qui n'est pas bien (Sourires). Mais en l'attente d'une décision de justice définitive, l'administrateur judiciaire a continué d'exercer sa profession au sein du tribunal, qui continuait de lui confier des dossiers, alors même qu'il avait été convaincu de prise d'intérêt directe dans les affaires dont il avait eu à traiter !

A la suite de ces scandales, diverses propositions furent faites, les unes émanant du CNPF, d'autres des tribunaux de commerce eux-mêmes, d'autres enfin de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Votre prédécesseur, Madame la Garde des Sceaux, entreprit alors une longue concertation avec les tribunaux de commerce, laquelle aboutit finalement au présent projet de loi.

Celui-ci prévoit la création au sein des tribunaux de commerce d'une chambre mixte spécialisée dans les procédures dépassant les intérêts des seuls commerçants, en particulier collectives, car c'est en effet en ce domaine que les critiques avaient été les plus vives et que le CNPF comme les tribunaux eux-mêmes avaient formulé des propositions. Des magistrats professionnels siégeront donc aux côtés de magistrats élus dans cette chambre mixte.

Le droit à un juge impartial, qu'inspire une autre partie du projet de loi, semble choquer les juges consulaires. C'est pourtant le produit de l'idéologie libérale la plus pure et c'est dans la législation anglo-saxonne que ce principe s'est peu à peu affirmé. L'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme, repris par les textes européens, lui a redonné du poids dans notre propre législation. La Cour de cassation, le Conseil d'Etat et la Cour européenne de justice se prévalent désormais souvent de ce principe d'impartialité. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle rendu récemment un arrêt -qui a suscité beaucoup de remous- selon lequel le juge des référés ne pouvait plus être également le juge du fond. Toutes les conséquences doivent en être tirées pour ce qui concerne la justice commerciale : là non plus, le juge des référés ne pourra plus être le juge du fond, non plus que le magistrat qui aura éventuellement tenté de sauver l'entreprise.

Des principes déontologiques plus exigeants seront également posés afin d'éviter tout fâcheux « mélange des genres », d'autant plus fréquent que les juges des tribunaux de commerce, élus dans le milieu commercial local, connaissent ceux dont ils vont juger l'affaire. Le projet de loi instaure donc une déclaration d'intérêts pour tous les juges consulaires, dont il nous appartiendra de fixer, au cours de la discussion, le degré de précision. Celle-ci a trois mérites. Le premier est de rappeler au juge son devoir d'impartialité ; le deuxième de permettre au président du tribunal de s'y référer en cas de suspicion ; le dernier enfin de fournir un document détaillé sur lequel se fonder en cas de contentieux. La commission a proposé, afin de protéger les commerçants, que l'on ne puisse accéder à cette déclaration d'intérêts qu'au cours d'une procédure contradictoire devant le premier président de la cour d'appel. Le Gouvernement, lui, propose le système très voisin, de la récusation tel qu'il existe déjà pour les juges professionnels. Ce principe représentera un progrès considérable, qui incitera chacun à jouer franc jeu et permettra à chacun de vérifier, en toute transparence, qu'il en est bien ainsi.

Il faut également porter remède à d'autres dysfonctionnement, nés de ce que les membres de certaines professions, en particulier les banquiers et les experts-comptables, plus que d'autres peuvent être intéressés de multiples façons aux affaires qu'ils jugent. Ainsi un justiciable s'était-il plaint à moi d'avoir été assigné par une banque dont un représentant siégeait dans la formation qui le jugeait ! De même, les experts-comptables, qui ont obtenu l'autorisation d'exercer leur profession sous forme commerciale, peuvent être amenés à juger des affaires où ils ont des intérêts. Quelle peut être l'indépendance d'un président de tribunal quand celui-ci possède le cabinet d'expertise comptable qui certifie les comptes de la société dont il a à juger ? La commission a adopté un amendement tendant à exclure purement et simplement les experts-comptables des tribunaux de commerce. Estimant qu'il ne convenait pas de se priver des grandes compétences de cette profession, j'ai pris contact avec ses représentants qui ont formulé diverses recommandations, de nature à donner satisfaction à tous.

M. Jean-Paul Charié - Vous reconnaissez que les propositions de la commission étaient inacceptables !

M. François Colcombet, rapporteur - Autre mesure importante : la création d'un conseil national des juges élus des tribunaux de commerce, suite à l'adoption d'un amendement de notre collègue Jacky Darne.

M. le Président de la commission des lois - Excellent amendement !

M. François Colcombet, rapporteur - Il ne s'agira pas d'un conseil de l'ordre mais plutôt d'une sorte de conseil supérieur des juges consulaires. Nous souhaitons d'ailleurs que ceux-ci prêtent serment à l'instar des magistrats professionnels et l'on s'oriente vers une formule, sinon identique, du moins très proche. C'est affirmer que tous ont les mêmes pouvoirs et les mêmes devoirs, et que tous doivent travailler ensemble. Moi qui suis un fervent partisan de l'échevinage, je ne puis que me féliciter d'une mixité, qui profitera à tous et contribuera à changer les comportements des uns comme des autres (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Codognès, rapporteur de la commission des lois pour le projet de loi organique relatif aux conseillers de cours d'appel - Ce dimanche d'octobre 1571, 200 galères de la Sainte-Ligue affrontaient 250 galères et galiottes de la flotte ottomane au sortir du golfe de Lepante. Les historiens estiment à plus de 120 000 le nombre de marins, de rameurs et de soldats engagés dans cette formidable bataille qui s'acheva par l'écrasement des forces navales du sultan Salim II.

La vieille Méditerranée constitua donc l'un des premiers théâtres d'une guerre économique à l'échelle planétaire. Venise, Gênes, la Papauté, l'Espagne et le Grand duc de Toscane imposaient la liberté commerciale des échanges maritimes. En permettant aux marines marchandes françaises, anglaises et même scandinaves d'entrer en Méditerranée, une partie de l'Europe mettait la main sur les échanges commerciaux.

Les commerces de terre et de mer, les tribunaux consulaires et les amirautés se voyaient institutionnalisés, le commerce et l'activité économique étant devenus affaire d'Etat, depuis l'ordonnance de 1673, dans la continuité de l'édit royal fondateur de 1563.

Très vite, bénéficiant d'un véritable privilège de juridiction, l'activité économique et marchande bâtit la réglementation des litiges entre marchands. Les juridictions consulaires vont se concerter pour défendre les intérêts du commerce par des interventions auprès du pouvoir central. La période révolutionnaire n'y échappe pas ; c'est ainsi que les décrets des 16 et 24 août 1790 réorganisant la justice ont créé les tribunaux de commerce. La Révolution établit une continuité parfaite avec les juridictions consulaires de l'Ancien Régime ; sans doute la nature élective des charges consulaires les prédisposaient-elles à se maintenir.

Pourtant, en 1889, un éminent commercialiste, Thallès, prophétisait la disparition des tribunaux de commerce, qu'il jugeait condamnés par la marche des sociétés modernes. Et il demandait qu'on ne s'effrayât point de cette perspective en y voyant une manifestation dangereuse du programme radical. Il avait raison ! L'inexorable marche des sociétés modernes exige aujourd'hui qu'on appréhende la justice commerciale dans son impact réel sur la société française. Elle ne concerne plus les seuls litiges des commerçants entre eux, mais l'ensemble de l'activité de nos concitoyens. Ses décisions mettent aujourd'hui en jeu l'ordre public économique, le droit du travail, la pérennité des emplois, et ont une influence directe sur le droit de l'environnement. Il vous est proposé de moderniser cet anachronisme judiciaire.

Les trois projets de loi s'articulent autour de trois principes fondamentaux : impartialité, transparence, qualité du jugement. Les Français attendent de la justice économique, comme de la justice en général, le respect scrupuleux de ces principes. L'impartialité et l'indépendance tout d'abord. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales impose, en son article 6, le principe suivant : chacun a le droit de voir sa cause jugée par un tribunal indépendant et impartial. Ce principe a donné lieu à une jurisprudence précise et contraignante et la Cour européenne de Strasbourg comme les juridictions nationales, notamment la Cour de cassation, imposent cette norme. Or, l'indépendance d'un tribunal n'est pas seulement celle du juge à l'égard du pouvoir politique, mais aussi son indépendance à l'égard de lui-même, de ses intérêts, et, pour les juges élus, à l'égard de leur électorat et des forces économiques qu'ils représentent. La personne que la société place en position de juger ne cesse pas ipso facto d'être un individu.

Ainsi, les textes qui vous sont soumis, introduisent une éthique du juge. Cette exigence a-t-elle un sens ? Oui. Les préoccupations déontologiques et éthiques sont un signe de renouveau de notre époque. On en constate l'émergence pour le journaliste comme pour l'avocat, pour qui l'enseignement de la déontologie est un point fort de sa formation. Comme le soulignait Mme la Garde des Sceaux, l'impartialité doit être garantie pour exister réellement et ne pas demeurer formelle. Les textes introduisent donc de nouvelles règles de déontologie. Les juges consulaires seront soumis à une obligation de déclaration de leurs intérêts -même si l'on ne saurait nier que ces juges exercent leurs fonctions bénévolement et, dans leur très grande majorité, avec dévouement. La voie choisie pour assurer l'impartialité est la mixité, c'est-à-dire l'association de juges élus et professionnels dans une même formation de jugement. Ainsi, seront associées la perception de la dimension économique de l'affaire et la connaissance approfondie des règles de fond.

Pour satisfaire à l'exigence de transparence, la mesure essentielle consiste à changer le mode d'élection : tous les justiciables des juridictions commerciales, y compris les artisans, seront appelés à choisir leurs juges, ce qui mettra fin aux vieilles pratiques de cooptation. D'autre part, l'obligation de déclaration d'intérêts pesant sur les juges consulaires mettra fin aux suspicions. A cet égard, la commission d'enquête parlementaire présidée par M. Colcombet et rapportée par M. Montebourg, dressait le 3 juillet 1998,un état des lieux accablant.

M. Jean-Paul Charié - C'est faux !

M. Jean Codognès, rapporteur - La dernière préoccupation est la qualité de la justice rendue au citoyen. Elle passe, selon nous, par l'introduction de la mixité dans les juridictions consulaires et par une meilleure formation. Comme l'a précisé, à juste titre, Mme la Garde des Sceaux, devant la commission des lois, l'instauration de la mixité n'est pas inspirée par un souci de pouvoir ou de sanction, mais par la recherche d'un meilleur service rendu au justiciable, grâce à l'association de compétences diversifiées.

La justice commerciale ne pouvait échapper à la modernisation des institutions. Le jugement, acte commun aux sociétés humaines, se différencie selon les cultures et les systèmes de valeur. Il est un fait éminemment social. Il est donc le reflet de l'organisation politique et des exigences nouvelles du citoyen. Une justice impartiale et équitable, telle est notre ambition, et, comme le soulignait Aristote, « la justice est un juste milieu si du moins le juge est juste » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Arnaud Montebourg, rapporteur de la commission des lois pour le projet de loi modifiant la loi du 25 janvier 1985 relative aux administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises et experts en diagnostic d'entreprise - La réforme des tribunaux de commerce et celle du statut des mandataires de justice forment un tout : les tribunaux de commerce jugent, les mandataires exécutent les décisions. Les conclusions de la commission d'enquête parlementaire, comme celles de la mission conjointe des ministères des finances et de la justice, ont permis d'identifier des problèmes importants au sein des juridictions consulaires. Comme le déclarait devant la commission d'enquête un magistrat professionnel de haut niveau, les mandataires sont souvent devenus les mandants des tribunaux de commerce, et ont pris une place croissante dans les décisions concernant l'administration judiciaire des entreprises en redressement et les liquidations d'entreprises.

Parallèlement, le problème de la rémunération de ces auxiliaires de justice s'est posé de façon saisissante. Le rapport entre les rémunérations considérables de ces professionnels et les diligences accomplies par eux pose la question des carences de la législation en la matière, ainsi que celle de l'encadrement déontologique insuffisant de ces acteurs.

Les constatations faites dans le passé par les pouvoirs publics ont suscité une grande attente chez les commerçants, artisans, salariés, créanciers, qui pendant des années n'avaient pu se faire entendre à l'occasion des procédures dont ils étaient les objets, voire les victimes. Un sentiment d'impuissance à l'égard de ces professionnels a prévalu, à quoi s'ajoutait la nécessité de payer leurs interventions, dont les justiciables ne comprenaient pas toujours l'utilité. La présente réforme prend en considération la souffrance et le sentiment d'abandon de tous ceux qui furent un jour broyés par une institution judiciaire qui ne fut pas toujours à leur écoute. Cette réforme est née d'une nécessaire compréhension envers les justiciables : ils doivent disposer d'une juridiction qui soit à leur service, et qui ne soit pas la propriété exclusive des professions.

La représentation nationale, qui s'est saisie de ce dossier, a, pendant deux ans écouté et dialogué avec tous les organismes professionnels, avec les mandataires de justice, les juges consulaires -mais aussi avec les justiciables organisés pour soutenir notre réforme. Ces deux années ont permis de trouver un point d'équilibre sur lequel les différentes composantes politiques de notre assemblée devraient pouvoir s'entendre. Les orientations du projet, que nous avons amendé, sont simples et compréhensibles par tous. Qui peut être opposé, par exemple, à l'idée d'organiser une concurrence extérieure pour stimuler la qualité des prestations des professionnels ? Ce ne sont sûrement pas les membres les plus libéraux de cette assemblée qui défendront le maintien des monopoles et des rentes de situation... Les mandataires de justice -non pas tous, mais beaucoup- ont pu abuser de leur situation pour bâtir des fortunes sur la destruction des emplois, des actifs, du travail de nombre de nos concitoyens, parce qu'ils n'étaient pas soumis à concurrence sur les prestations qu'ils offraient, ou n'offraient pas. Il semble donc possible de demander à l'opposition parlementaire, pour qui la concurrence est un maître-mot, de rallier cet aspect de la réforme.

De même, qui peut être opposé au renforcement des règles déontologiques et disciplinaires ? Aux exigences nouvelles en matière de formation et de compétence ? A la mise en place de procédures permettant au justiciable, s'il estime avoir à se plaindre, de poser la question du respect des règles déontologiques par ces professionnels ?

Et qui peut être hostile à la réforme du tarif de ces professionnels ? On connaît les effets pervers de l'application du tarif au bénéfice des administrateurs judiciaires et des liquidateurs. Elle a permis des enrichissements choquants, d'autant plus qu'ils se sont construits sur la destruction des actifs et du travail accumulé de certains de nos concitoyens au cours des années les plus dures de la crise économique. Qui peut se plaindre que ce tarif soit réformé, sinon quelques professionnels accrochés à des intérêts corporatistes ? Certains administrateurs judiciaires et praticiens des procédures collectives ont d'ailleurs engagé un dialogue constructif avec la commission des lois. Et j'ai été heureux d'enregistrer le ralliement de professionnels qui, loin de s'arc-bouter sur des positions indéfendables, sont revenus à de plus justes positions, à même de faciliter l'indispensable modernisation de leur institution. Ni eux, ni les salariés des études, ni tous les praticiens qui, dans l'ombre, cherchent à faire au mieux leur travail, ne doivent se croire ignorés de la représentation nationale : ils doivent savoir, au contraire, que cette réforme est faite pour eux, pour leur redonner la légitimité qu'ils semblaient avoir perdue ! Qui pourrait s'opposer, en effet, à l'indemnisation d'une profession qui travaillait, jusqu'à présent, gratuitement dans nombre de procédures dites « impécunieuses » ? Qui pourrait se plaindre des amendements par lesquels la commission vous propose d'offrir aux justiciables des moyens de se défendre, des voies de recours, des droits de regard là où ces droits, ces voies, ces moyens n'existent pas actuellement ?

Oui, il est indispensable, pour l'avenir de notre beau pays, d'engager cette réforme considérable, cette juste _uvre de réconciliation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

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EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

Mme la Présidente - Sur le projet de loi relatif aux tribunaux de commerce, M. Mattei et des membres du groupe DL soulèvent, en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement, l'exception d'irrecevabilité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pascal Clément - Je m'étonne de l'étonnement de mes collègues socialistes : qu'ils soient surpris qu'une grande partie du dispositif puisse être jugée contraire à la Constitution plaide en faveur de leur bonne foi, mais aussi de leur incompétence juridique ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste)

M. Gérard Gouzes - Vous n'en croyez pas un mot vous-même !

M. Pascal Clément - La démarche suivie par la majorité est en effet l'exemple même de ce qu'il ne faut pas faire. Je me souviens d'une conversation privée que j'avais eue, en 1985, avec M. Badinter, et au cours de laquelle nous étions tombés d'accord sur la nécessité de réformer les tribunaux de commerce, et même, en gros, sur ce qu'il fallait faire.

M. François Colcombet, rapporteur - Eh bien voilà, c'est fait !

M. Pascal Clément - Eh bien non, justement, ou plutôt c'est fait de façon choquante, blessante, insultante pour les intéressés, à telle enseigne que M. Costes a dû intervenir auprès de Mme la garde des Sceaux pour que l'on revienne sur des amendements de la commission qui aggravaient encore le dispositif.

M. Jean-Pierre Michel - Vous défendez des privilèges !

M. Pascal Clément - Non : je défends une justice sereine et équilibrée. Or, elle ne peut être sereine lorsque l'on lit, dans le rapport de la commission d'enquête, des expressions aussi inacceptables, aussi honteuses que « institution pourrie », « justice de connivence » ou « plus âpre au gain que soucieuse du service public » !

M. Arnaud Montebourg, rapporteur - Et si c'était vrai ?

M. Pascal Clément - Qu'il y ait des brebis galeuses, cela arrive dans toutes les professions, y compris la nôtre (Sourires), mais il est indigne de généraliser à partir de cas qui restent marginaux : c'est indigne vis-à-vis de ces dizaines de milliers de juges consulaires qui rendent une justice rapide et bon marché - coût d'un jugement : trente francs ! - et qui peuvent le faire grâce à la compétence que leur donne l'expérience du terrain. Il est d'ailleurs très significatif que le taux d'appel, pour les procédures collectives, ne soit que de 4 % et le taux d'infirmation de 2,8 % : c'est très nettement moins que devant les juridictions civiles ! S'il fallait une seule preuve que le rapport de la commission d'enquête se livre à une généralisation aussi hâtive que choquante, la voilà !

J'en viens aux motifs d'inconstitutionnalité proprement dits. Le premier est constitué par la fixation d'une limite d'âge à 65 ans. De deux choses l'une, en effet : ou bien les juges tirent leur légitimité de leur statut, du concours de recrutement qu'ils ont passé, du serment qu'ils ont prêté, comme c'est le cas des magistrats de l'ordre judiciaire, et il est alors normal qu'ils partent à la retraite à un certain âge, ou bien ils tirent leur légitimité de l'élection - ce que le Gouvernement semble considérer dans le cas des juges consulaires, puisqu'il étend considérablement le corps électoral et rend en outre le suffrage direct -, et dans ce cas la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux conseils de prud'hommes s'applique. Saisi par la gauche, qui contestait en 1979 le vote plural accordé aux dirigeants des entreprises supérieures à une certaine taille, le Conseil avait en effet considéré que les mêmes règles devaient s'appliquer à toute élection au suffrage universel, quelle qu'elle soit, sans quoi il y aurait atteinte au principe d'égalité. Il n'y a donc pas lieu de prévoir une limite d'âge - et je n'insisterai pas sur les conséquences pratiques d'une telle mesure : combinée avec le plafonnement des mandats successifs à dix ans, elle aurait pour effet d'écarter immédiatement 40 % des juges consulaires actuels.

M. Patrice Carvalho - Ce n'est pas un problème !

M. Pascal Clément - Si, car c'est l'expérience qu'ils ont accumulée qui leur permet de rendre des jugements avec la célérité que les justiciables sont en droit d'attendre.

Deuxième motif d'inconstitutionnalité : la différence de traitement qui est faite, au sein des chambres mixtes, entre juges consulaires et juges professionnels. Je soulignerai d'abord les nombreux tâtonnements auxquels a donné lieu la délimitation de la compétence de ces chambres mixtes : on a d'abord voulu leur réserver tout ce qui « relève de l'ordre public », sans jamais définir précisément ce qu'on entendait par là, puis on a opéré une distinction entre les grands juges, capables de traiter des contentieux difficiles, et les petits juges, préposés aux petites affaires, ce qui est profondément choquant.

M. Jacques Floch - Mais non ! Vous n`avez pas lu le texte !

M. Pascal Clément - Est-ce à dire qu'un juge élu par ses pairs ne saurait être un juge impartial ? Le moins que l'on puisse dire est qu'un tel a priori ne repose sur aucune preuve.

Quant aux dispositions disciplinaires, elles appellent la même observation. Que les juges consulaires doivent, comme nous autres parlementaires, déclarer leur patrimoine avant et après leur élection, fort bien, mais pourquoi sont-ils seuls en butte à cette suspicion, qui semble épargner les magistrats professionnels ?

M. François Colcombet, rapporteur - On pourrait leur étendre cette obligation.

M. Pascal Clément - La question n'est pas là. Elle est dans le fait qu'à des fonctions identiques ne correspondent pas des dispositions identiques, qu'il s'agisse de la déclaration de patrimoine ou, vous avez été jusqu'à l'envisager, de la forme de prestation du serment ! On relève la même absence de symétrie en matière de sanctions.

Pour les juges professionnels, il faut en effet que le garde des sceaux saisisse le CSM, et c'est beaucoup plus compliqué. Vous distinguez deux catégories de magistrats, alors qu'il n'y avait pas lieu de le faire -comme si les uns, parce qu'ils sont fonctionnaires, étaient inattaquables et les autres devaient être forcément intéressés, voire malhonnêtes, puisqu'ils viennent du monde du commerce et de l'industrie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL)

Je citerai encore brièvement deux motifs supplémentaires d'inconstitutionnalité. D'abord, si le président du TGI nomme un magistrat au tribunal de commerce, c'est bien l'organisation de la justice qui est en jeu : il aurait donc fallu une loi organique sur ce point.

D'autre part, vous conservez un régime dérogatoire pour l'Alsace-Moselle. Il fallait unifier -ou justifier le maintien d'un régime dérogatoire. Sinon, vous tombez sous le coup de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

M. René Dosière - Il fallait étendre le système d'Alsace-Moselle, il fonctionne très bien.

M. Pascal Clément - Pourquoi pas ? En tout cas, il fallait unifier.

M. René Dosière - La République est diverse.

M. Pascal Clément - Certes, une réforme était nécessaire, mais pas celle qu'on nous propose. Vous avez longuement blessé, torturé des hommes qui jugent bénévolement, gratuitement, efficacement et sereinement -et qu'il faut remercier (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR). Quant à votre méthode, qui fait succéder le repli à l'attaque, elle n'est pas correcte. Vous faites un pas de clerc.

Dès lors qu'une partie non détachable d'un texte est inconstitutionnelle, le Conseil constitutionnel annule l'ensemble du texte. Je crains que cela se produise pour celui-ci (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Emile Blessig - Notre collègue Clément a bien fait ressortir les insuffisances du projet, et l'on ne peut que s'étonner que vous ayez déclaré l'urgence. La justice est un enjeu fondamental, et ce texte méritait un débat approfondi pour le rendre plus cohérent et le compléter dans la concertation. Le groupe UDF votera l'exception d'irrecevabilité.

M. Jacky Darne - M. Clément nous a renvoyés à M. Badinter et à 1985 -mais depuis, la droite a été souvent au pouvoir : quelle réforme a-t-elle faite ? Nous, nous proposons une réforme.

Vous avez parlé de juges « torturés ». Il n'y a pas eu de juges torturés. Mais des justiciables ont été les victimes de jugements discutables, des emplois ont été supprimés, qui auraient pu être sauvés, et certaines décisions n'ont pas été impartiales.

Quant au rapport d'enquête, il n'a pas dérangé des « dizaines de milliers de juges », ne serait-ce que parce qu'il n'y a en France que 3 300 juges consulaires ! Lisez les compte rendus d'audition, et vous verrez qu'il n'y a pas eu de polémique, mais une discussion sereine. Nul ne remet en cause le dévouement de nombreux juges consulaires, et réformer l'institution ne signifie pas qu'on s'en prenne aux individus.

D'autre part, vous n'avez donné du texte qu'une lecture partielle. 40 % des magistrats risquent de s'en aller, dites-vous. Mais ce n'est pas un argument juridique. Et des solutions peuvent être apportées par amendement, en retardant l'âge du départ.

Quant à l'argument sur la loi organique, il ne tient pas : nous ne touchons pas au statut des magistrats rémunérés, mais à la seule organisation judiciaire. Pour toutes ces raisons, je propose le rejet de l'exception (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Philippe Houillon - Il existe à l'évidence des motifs d'inconstitutionnalité, tels que la limite d'âge et la création de juges à deux vitesses. Mais ce n'est pas étonnant, vu la méthode que vous avez suivie, et qui proposait des solutions avant que la réflexion ait eu lieu. On aurait pu trouver un consensus, mais vous avez préféré vous montrer doctrinaires -il n'est que de se reporter aux termes utilisés par les rapporteurs de la commission d'enquête, qui sont ce soir les rapporteurs des projets. Le groupe DL votera l'exception (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Jean-Paul Charié - Je nuancerai un peu le dernier propos, vous connaissant, Madame la ministre, depuis que j'ai travaillé à vos côtés sur les PME. Mais vous êtes liée par vos responsabilités.

Nous voterons l'exception pour les raisons qu'a données Pascal Clément -la limite d'âge et le statut des magistrats- mais aussi pour deux autres raisons. Nous souhaitons réformer les tribunaux de commerce dans l'intérêt du monde de l'entreprise, et nous sommes favorables à l'entrée de juges professionnels. Mais nous sommes très critiques de la façon dont vous avez insulté les juges consulaires et la démocratie (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; protestations sur les bancs du groupe socialiste).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

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QUESTION PRÉALABLE

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Christian Martin - Le principe de la mixité, qui tend à associer pour le jugement des affaires relevant de l'ordre public économique la connaissance du droit des magistrats professionnels et celle du monde économique des juges consulaires, constitue un des axes majeurs de la réforme des tribunaux de commerce. Toutefois, sans refonte des lois de 1984 et 1985 relatives au traitement des entreprises en difficulté, celle-ci paraît bien peu cohérente.

Je voudrais ici saluer le travail des juges consulaires, qui assument bénévolement un rôle fondamental de régulation. Ils doivent avoir les moyens de l'exercer efficacement, dans la transparence et le respect de la déontologie. La majorité d'entre eux s'efforcent de travailler avec diligence, impartialité, dévouement et compétence. Leurs jugements sont d'ailleurs très rarement attaqués en appel. Il y a deux ans, ils ont été violemment attaqués pour dérapages de quelques uns d'entre eux, mais ils ne méritaient pas l'opprobre général. L'idéologie ne doit pas l'emporter sur l'amélioration de la justice commerciale. Par ailleurs, s'il y a eu dérapage, le ministère en est aussi responsable, faute d'une présence suffisante du procureur de la République et faute de contrôle -alors que celui-ci est obligatoire.

Nous ne contestons pas la nécessité de réformer la justice commerciale. L'enjeu est de mieux prendre en compte les urgences économiques et sociales et de mieux assurer la bonne administration de la justice. Il faut ainsi améliorer la prévention et le traitement des difficultés des entreprises pour préserver les emplois et sauvegarder les intérêts des créanciers. Les juges consulaires sont les mieux placés pour cela. Qui peut croire que la présence d'un magistrat professionnel redonnera vie à une entreprise moribonde ? Les chambres commerciales des tribunaux de grande instance ou les chambres échevinées d'Alsace-Moselle obtiennent-elles de meilleurs résultats ? La partialité supposée des juges consulaires dans certains domaines justifie-t-elle d'étendre la mixité à la plupart de leurs activités ? La justice consulaire avait fini par l'admettre pour les procédures collectives, seul domaine qui avait suscité des critiques et dans lequel on peut considérer que l'ordre économique est en jeu. Encore faut-il que cette mixité se fasse à égalité de droits et de devoirs entre juges professionnels et juges élus.

Dans le domaine du contentieux général, qui n'a jamais donné lieu à des critiques et encore moins à des recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, la mixité ne s'imposait nullement. Les amendements proposés par le groupe UDF ont tous été rejetés par la commission des lois. Cette dernière avait même étendu le champ d'application de la mixité. Vous avez eu, Madame le Garde des Sceaux, la sagesse d'écarter totalement ce domaine de la mixité. Je vous en donne acte. Vous avez ainsi repris à votre compte les propositions de l'UDF.

Reste que certains amendements de la commission témoignent d'une suspicion de principe à l'égard des juges consulaires qui se traduit par des mesures quasi vexatoires. Il est dommage que la procédure d'urgence, alors que vous proposez par ailleurs de remettre à plat tout le système judiciaire, ne permette pas de poursuivre un dialogue qu'avec patience, Madame le Garde des Sceaux, vous aviez renoué avec la Conférence générale en la personne de son président, M. Castellana, qu'il faut remercier pour son sens de l'écoute et de la négociation.

Par ailleurs, il eût été nécessaire de réformer la loi du 25 janvier 1985 sur les procédures collectives, pour garder un certain parallélisme entre les textes.

Il faut poursuivre le dialogue pour parvenir à mieux prévenir et traiter les difficultés des entreprises, assurer l'égalité des droits et des devoirs entre juges professionnels et juges élus, conserver l'unité du tribunal, éviter les conflits de compétences et les retards, préserver la motivation des juges consulaires et leur donner un véritable statut par la création d'un Conseil national.

Si certains amendements UDF ont été adoptés en commission, le souci de rationalisation, de cohérence et d'équité qui guidait l'ensemble de nos propositions n'a pas prévalu sur des points d'importance.

La commission n'a pas retenu l'uniformisation de la juridiction commerciale sur le territoire métropolitain, hors Alsace-Moselle. Le projet de loi justifie la mixité par la nécessité de conjuguer compétences juridiques et connaissance du milieu économique. Pourtant, il n'étend pas les bénéfices de cette alliance à l'ensemble du territoire. Le maintien des tribunaux échevinés ou mixtes d'Alsace-Moselle et d'outre-mer se justifie, dès lors qu'ils assurent cette combinaison, mais il en va autrement pour les 22 tribunaux de grande instance qui exercent ailleurs les attributions des tribunaux de commerce. Si les modalités de l'association des juges consulaires et professionnels peuvent varier, le principe constitutionnel d'égalité des justiciables devant l'application de la loi requiert que l'association elle-même soit assurée sur l'ensemble du territoire.

Le projet de loi instaure un mode de scrutin radicalement nouveau, qui remplace l'élection au second degré par les délégués consulaires par une élection au suffrage direct par toutes les personnes immatriculées au registre du commerce et des sociétés ou à celui des métiers. Il est indispensable d'aménager les modalités de scrutin, alors que le corps électoral passera de quelque 30 000 à près de 2 millions d'électeurs. La commission a pourtant refusé notre amendement qui prévoyait un scrutin de liste, avec obligation de présenter des listes complètes mais possibilité de panachage ou de vote préférentiel, et supprimait la règle du quorum pour limiter le coût de l'organisation des élections. Pour ne pas alourdir la procédure, on pourrait aussi s'en tenir à la seule obligation de présenter des listes complètes. D'autre part, si la limite d'âge a été assouplie en commission, la question de sa conformité à la Constitution reste posée, il ne faudrait pas priver la justice commerciale de ses membres les plus expérimentés et les plus disponibles. La limite pourrait être envisagée, mais seulement pour la première élection.

La création d'un statut et d'un Conseil national des juges consulaires permettra de conforter l'image d'indépendance et d'impartialité de la justice commerciale, que la présence d'un magistrat professionnel ne saurait à elle seule garantir. Les juges consulaires disposant dorénavant d'un statut, les inégalités de traitement entre eux et les magistrats de carrière ne seront plus justifiées. Quant à la nouvelle instance représentative des juges consulaires, elle constituera un point de rencontre institutionnel avec leur autorité de tutelle, le Garde des Sceaux. Mais il faut encore instituer la règle selon laquelle juges consulaires et professionnels doivent prononcer le même serment.

La commission s'est également refusée à consacrer le rôle du Centre d'études et de formation des juridictions commerciales de Tours. Le renforcement de la formation des juges consulaires va dans le sens de la qualité de la justice commerciale, il apparaît légitime de confier cette formation, financée par le budget de la justice, à la fois à l'Ecole nationale de la magistrature et au Centre de formation de Tours, qui ont d'ores et déjà institué une collaboration fructueuse.

M. Jean-Paul Charié - Très bien !

M. Christian Martin - On ne peut, par ailleurs, que s'interroger sur l'amendement de la commission qui étend la possibilité de contester un juge dans ses fonctions à toute partie mais la limite aux seuls juges consulaires. L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ne s'appliquerait ainsi pas aux magistrats professionnels, protégés sans doute par l'onction de leur nomination et de leur diplôme.

Par ailleurs, les modalités retenues par la commission des lois de désignation des magistrats siégeant dans les chambres mixtes et qui se trouveraient empêchés ne seront pas toujours compatibles avec le respect des délais impartis par la loi du 25 janvier 1985. Pour éviter tout report des affaires, il importe de conférer au président du tribunal de commerce la possibilité de faire face à un remplacement occasionnel.

La prévention des difficultés des entreprises nécessite des procédures d'alerte situées le plus en amont possible. Il y va de l'intérêt de tous : des créanciers d'abord, qui éviteront le piège si la faillite est déclarée rapidement, et du débiteur aussi, qui hésite toujours à faire part de ses difficultés. L'une des justifications essentielles de la justice consulaire réside dans la détection des difficultés des entreprises, afin de mettre rapidement les mauvais débiteurs hors circuit, et dans son action de prévention. C'est pourquoi les députés UDF présenteront également des amendements afin d'abaisser les seuils à partir desquels les organismes fiscaux et sociaux doivent déclarer au tribunal de commerce les sommes non payées, d'instituer une obligation de déclaration en cas de retards de paiement supérieurs à trois mois et de sanctionner le non-respect de ces obligations par la perte du rang de créancier privilégié.

Dans le même souci d'efficacité, nous proposons de conférer au président du tribunal de commerce un pouvoir d'injonction en cas de non dépôt des comptes, qui prive les juridictions d'une source importante d'informations.

Enfin, un amendement tend à compléter les possibilités de renvoi devant une autre juridiction, réservées aujourd'hui au président du tribunal compétent et au ministère public, qui ne permettent pas toujours de trouver l'issue la plus favorable à la procédure. En effet, lorsqu'un établissement dépourvu de la personnalité morale exerce son activité principale dans un lieu différent de celui du siège social de l'entreprise, c'est pourtant le tribunal dont dépend le siège qui est normalement compétent. Cette répartition territoriale n'est pas toujours la plus efficace pour préserver au mieux les emplois locaux.

D'autre part, le champ des incompatibilités imposées aux juges consulaires pour accéder aux chambres commerciales des cours d'appel est tellement contraignant qu'il rendrait largement théorique la mixité en appel.

Ainsi, l'interdiction faite à un juge consulaire de siéger dans une cour d'appel dans le ressort de laquelle se trouve son activité professionnelle n'est absolument pas justifiée, comme la reconnu le rapporteur lui-même. Quant à l'interdiction de siéger au sein de la cour dans le ressort de laquelle a son siège le dernier tribunal de commerce d'exercice, elle relève d'une contrainte exorbitante de droit commun qui témoigne d'une défiance inacceptable. En effet, rien n'interdit à un magistrat professionnel d'être promu en qualité de conseiller dans la cour du ressort du tribunal dans lequel il siège ! De plus, les coûts de déplacements et la perte de temps risquent de démotiver des juges de qualité.

C'est pourquoi un amendement UDF proposera un critère propre à garantir l'impartialité des juges consulaires, sans leur fermer en pratique l'accès aux cours d'appel.

Ce que défend le groupe UDF, c'est une mixité équilibrée qui assure une collaboration harmonieuse et efficace entre juristes professionnels et praticiens de l'entreprise, offrant un exemple à suivre pour d'autres types de contentieux, dans le sens du renforcement de la participation des citoyens à la fonction de juger. Cela implique une égalité de droits et de devoirs entre magistrats professionnels et juges élus, une rationalisation ambitieuse de la carte judiciaire et des mesures significatives en termes de moyens humains et de formation.

Rappelons une nouvelle fois que l'introduction de juges professionnels n'est pas, en soi, une garantie suffisante pour améliorer le fonctionnement de la justice commerciale. A cet égard, nous regrettons la démarche gouvernementale, qui conduit à revoir le fonctionnement des tribunaux de commerce et le statut de ses membres avant de procéder à la nécessaire refonte des procédures collectives. Il n'est guère cohérent de réformer l'organisation et la composition des tribunaux de commerce indépendamment de la correction des vraies insuffisances du droit commercial. Reste à savoir si le Gouvernement aura le temps et, surtout, la volonté de mener à bien cette réforme (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. François Colcombet, rapporteur - Il y a du vrai dans ce que vous avez dit !

M. Jacques Blanc - C'est un sujet difficile que celui de la justice commerciale, et il aurait dû être traité avec sérénité. Or, à quoi avons-nous assisté ? A des attaques contre ceux de nos concitoyens qui s'impliquent, volontairement, dans le fonctionnement de la justice de notre pays, et contre les mandataires de justice, injustement montrés du doigt, alors qu'ils _uvrent en faveur du maintien de l'emploi. Il était donc bon qu'un hommage leur soit rendu, ce qu'ont fait nos collègues Clément et Martin. Certes, il a pu se produire que la justice commerciale ne s'exerce pas dans les meilleures conditions, mais la justice est-elle jamais parfaite ? Comment oublier, par ailleurs, que les mandataires de justice ont su créer une solidarité de corps qui a permis de donner réparation aux victimes de quelques brebis galeuses ?

Le groupe Démocratie libérale votera la question préalable, car il ne lui apparaît pas possible de prétendre réformer les tribunaux de commerce sans avoir, préalablement, défini exactement les mesures qui s'appliqueront aux mandataires de justice. Loin de les mettre en accusation, il conviendrait plutôt de se réjouir que des hommes et des femmes se mettent, ainsi qu'ils le font, au service des autres (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Le groupe UDF votera évidemment la question préalable remarquablement défendue par notre collègue Martin. Nous sommes, tous, préoccupés du bon fonctionnement de la justice. C'est bien pourquoi nous attendons du Premier ministre qu'il accepte enfin le principe d'une loi de programmation pour la justice. Au lieu de cela, le Gouvernement accumule de nouveaux dispositifs sans s'occuper suffisamment des moyens avec lesquels ils seront supposés fonctionner. Et, aujourd'hui encore, les mesures qui nous sont proposées n'auront pas pour conséquence le meilleur fonctionnement de l'institution judiciaire, mais au contraire des charges supplémentaires pour les magistrats, charges inutiles que ne justifient en rien quelques dérives ponctuelles.

Une loi de programmation s'impose, dont le Gouvernement ne devrait pas avoir le droit de modifier l'exécution par voie réglementaire.

La première raison pour laquelle la question préalable doit être adoptée est donc que l'on veut accroître, de manière injustifiée, la charge de travail de magistrats professionnels déjà débordés. Mais, plus largement, ce projet, qui remet en cause la professionnalisation des tribunaux de commerce, n'annonce-t-il pas des mesures similaires pour les prud'hommes qui, eux aussi, font appel au volontariat ?

M. Jean-Paul Charié - Et quel sera le sort des tribunaux administratifs ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Toutes ces questions demandent un examen approfondi. C'est pourquoi le groupe UDF votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Jean-Paul Charié - Le groupe RPR votera la question préalable. Le Gouvernement reproche à certains tribunaux de commerce de n'être pas aussi compétents que nous le voudrions tous dans la gestion des dépôts de bilan. Ce faisant, il omet de préciser que le rôle des tribunaux de commerce n'est pas de déplorer les pertes d'emploi induites par les dépôts de bilan ! Lorsque les mandataires de justice et les juges consulaires ont a connaître des difficultés d'une entreprise, il est, bien souvent, déjà trop tard. Ce qui importe, c'est la prévention ! Plutôt que d'accuser les juges consulaires, il aurait donc mieux valu réformer la loi de 1985 sur les procédures collectives.

Mme la Garde des Sceaux - Je n'ai accusé de rien les juges consulaires !

M. Jean-Paul Charié - Je le sais, et je l'ai souligné. Mais j'ai noté, à ce sujet, qu'un fossé vous sépare de nos rapporteurs ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

D'autre part, vous savez parfaitement que vous n'avez ni les moyens humains, ni les moyens financiers nécessaire à l'application de la réforme hystérique que vous nous proposez (Mêmes mouvements).

A Paris seulement, elle coûtera au minimum 177 millions et 600 millions pour le reste de la France. Où trouverez-vous cet argent ? Vous nous expliquez encore qu'une fois la réforme en vigueur, chaque magistrat professionnel aura, à Paris, dix assesseurs. A raison de 400 dossiers pour chacun, c'est donc 4 000 dossiers que chacun de ces juges devra superviser, sans jamais avoir été chef d'entreprise ni directeur des ressources humaines, et sans compétence économique particulière ; comment s'en sortira-t-il ?

Pour des raisons purement idéologiques, vous allez conduire la justice commerciale à la catastrophe. Adopter la question préalable, c'est revenir à la raison (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jacques Floch - A chaque fois que nous examinons un texte dont chacun s'accorde à reconnaître la nécessité, et tel est bien le cas de ceux dont nous débattons aujourd'hui, l'opposition nous accuse d'avoir cédé à l'idéologie... tout simplement parce qu'elle n'a pas été capable, elle, lorsqu'elle était au pouvoir, de formuler des propositions concrètes et d'avancer.

Pour ce qui est des moyens de la justice, ce gouvernement les a accrus d'un milliard par an depuis 1997, le budget de la justice atteint aujourd'hui trente milliards quand il plafonnait à vingt lorsque vous étiez au pouvoir. Ne vous en déplaise, c'est bien nous qui avons consenti un effort considérable notamment en matière de recrutements.

Notre collègue Donnedieu de Vabres, pourtant fin juriste, semble avoir confondu question préalable et motion de renvoi en commission. Il a en fait défendu le renvoi en commission pour améliorer encore le texte.

Chacun s'accorde en effet sur la nécessité de réformer la justice commerciale : à preuve les nombreux rapports parlementaires sur le sujet mais aussi ceux des administrations centrales, de la justice comme des finances... et les multiples critiques émanant de vos propres bancs sur cette justice. Les juges consulaires eux-mêmes ont formulé des propositions en ce sens. Vous oubliez de dire que nous les avons largement entendus, ainsi d'ailleurs que des magistrats professionnels, et que tous, loin de là, ne partagent pas votre avis.

M. Jean-Paul Charié - Ils ne sont qu'une toute petite minorité !

M. Jacques Floch - La grande majorité d'entre eux a aujourd'hui cessé la grève et fait confiance au Gouvernement et à sa majorité pour mener à bien cette réforme indispensable de la justice commerciale (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Votre attitude me rappelle celle qui fut la vôtre lors du débat sur la présomption d'innocence, où en réalité on sentait sur vos bancs une certaine jalousie à voir la gauche conduire cette grande réforme. Vous êtes d'ailleurs tellement persuadés qu'aucune motion de procédure ne sera adoptée que vous évoquez déjà des amendements ! Pour notre part, nous sommes prêts à assumer nos responsabilités sur un texte qui, nous n'en doutons pas, fera date (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme la Garde des Sceaux - J'essaiera ici de calmer quelque peu les passions. Ayons un débat serein et sérieux sur la justice commerciale : le sujet le mérite.

Non, Monsieur Charié, les présidents de tribunaux ne feront pas tout tout seuls ! Les assesseurs aussi travaillent...

Pour ce qui est d'une loi de programme, aux effets d'annonce sans suite, je préfère, pour ma part, les faits. Et sur ce point, je pourrai vous communiquer la courbe des créations de postes de magistrats ces dernières années. Alors qu'elles ont stagné jusqu'en 1997, elles ont repris depuis lors et 729 postes ont été créés en quatre ans, soit autant qu'en 17 ans ! Un effort comparable a été fait pour les greffiers. Et nous espérons arriver à 1 200 créations nettes au 31 décembre 2004, ce qui sera historique. Nous en avons pris l'engagement. Nous souhaitons maintenant voir avec les magistrats eux-mêmes comment procéder avec méthode et efficacité.

Un travail très sérieux et approfondi a été mené avec les représentants des juges consulaires, qui a permis des progrès. Beaucoup d'entre eux, qui partagent notre souci d'améliorer le fonctionnement de la justice commerciale, ont aujourd'hui repris le travail. Efforçons-nous, durant ces trois journées de débat, d'être aussi constructifs qu'eux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Alain Tourret - Dans son Livre blanc sur la réforme des tribunaux de commerce, la conférence générale des tribunaux de commerce s'est livrée à un intéressant rappel historique. Depuis le Moyen-Age, les marchands eurent la charge des juridictions consulaires. C'est en 1715, ironie de l'histoire puisque c'est sous la Régence que le banquier Law mit la France en faillite, que la royauté conféra aux tribunaux de commerce compétence pour les procès liés aux faillites, disposition reprise par le code du commerce de 1807, édicté par Napoléon et jamais contesté depuis.

La compétence des tribunaux de commerce est aujourd'hui triple : contentieux général, procédures collectives -redressement judiciaire, liquidation...-, prévention des difficultés des entreprises.

Les juges consulaires doivent en théorie rendre des décisions rapides, assurer la survie de l'entreprise et le maintien de l'emploi. Le Parquet, là encore en théorie, doit être présent dans les affaires délicates, notamment dans les procédures collectives lorsque l'ordre public est en cause.

Les tribunaux de commerce rendent un nombre considérable de décisions : 175 000 concernant le contentieux général, 75 000 les procédures collectives, et 45 000 référés, avec un taux d'appel moyen de 13 %. Le délai moyen de traitement des affaires relevant du contentieux général s'établit à six mois.

Cette vision assez idyllique d'une justice économique, rendue par des bénévoles animés du souci louable de défendre les entreprises, n'a pas résisté à la récession et à son cortège de dépôts de bilan catastrophiques. Les dysfonctionnements se sont multipliés alors même que le corps judiciaire français est exemplaire, chacun s'accorde à le reconnaître. Plusieurs rapports, notamment celui de notre commission d'enquête en 1998, ont établi que la durée des opérations de liquidation est sans rapport avec les diligences à mener ; que le juge commissaire ne supervise que fort peu les mandataires liquidateurs ; que chaque année 60 milliards sont retenus par les mandataires de justice, et constituent des fonds disponibles pour couvrir leurs honoraires au détriment des créanciers ; que les tarifs des greffiers de commerce s'apparentent à des honoraires libres ; que les honoraires des mandataires liquidateurs excèdent de 80 % le barème fixé par le décret de 1985...

Il faudrait aussi mesurer l'efficacité des décisions dans les litiges relevant des procédures collectives : 90 % des dépôts de bilan aboutissent à des liquidations, et seulement 5 % des créances sont récupérées.

Depuis vingt ans, les gouvernements et l'Assemblée réfléchissent en vain à une réforme, toujours voulue par les justiciables, toujours rejetée par les juges consulaires. Les tentatives de réforme se heurtent systématiquement à des menaces de démission massive, parfois mises en _uvre : sept cents juges élus ont démissionné, soit près de 20 % des juges consulaires. Quand ils ne démissionnent pas, ils se mettent en grève. Je vous rappelle, Madame la Garde des Sceaux, l'article 434-7-1 du code pénal : le fait pour un magistrat de déni de rendre justice après qu'il en a été requis, et de persévérer dans ce déni est puni de 50 000 francs d'amende et de l'interdiction d'exercer toute fonction publique pour une durée de cinq à vingt ans. Avez-vous l'intention de faire application de cet article ?

Il n'est pas excessif de dire que ces actions d'entrave sont menées par quelques présidents de tribunaux de commerce de la région parisienne, alors que les responsables de la Conférence souhaitaient parvenir à une solution consensuelle.

Le motif essentiel de l'opposition de ces juges, c'est qu'ils ne veulent aucune réforme. Ils arguent du principe que le pouvoir politique n'a pas à se préoccuper des juges de l'entreprise, dans la grande tradition du libéralisme le plus extrême. Ils ont donc choisi pour angle d'attaque l'urgence déclarée, qui serait synonyme de précipitation. Je rappelle pourtant que le rapport de la commission, dans ses trois tomes, totalise 1 778 pages en petit interligne, qui n'ont pas été écrites en un jour... Faut-il rappeler aussi que la procédure d'urgence n'empêche pas d'examiner le texte à cinq reprises ? La seule raison de s'attaquer à l'urgence est donc politique : c'est la volonté de passer le cap de juin 2002, pour le cas où la majorité ne serait pas reconduite : on mise sur un retrait du texte par la droite, qui, par hypothèse, viendrait à accepter les oukases des juges consulaires...

Du reste la réforme proposée, c'est-à-dire la mixité, est très limitée. Les tribunaux de commerce auraient pu être supprimés, et leur contentieux transféré à des tribunaux de droit commun. Ce fut le cas lorsque des juges consulaires donnèrent leur démission, et les justiciables n'ont pas submergé nos permanences de plaintes pour déni de justice ! Ceci devrait peut-être inciter les juges consulaires à réfléchir à l'existence d'autres solutions. La justification des juridictions d'exception n'est pas évidente. De nombreux spécialistes préconisent l'unification de toutes les juridictions, notamment administratives, dans le cadre de tribunaux de droit commun, avec participation à tous les niveaux de professionnels et de non professionnels. C'est un premier système que, pour rester à l'écoute des tribunaux de commerce, nous n'avons pas retenu, bien qu'il ait eu l'accord d'un de nos rapporteurs.

Une deuxième solution possible était l'échevinage, comme pour les tribunaux paritaires des baux ruraux, les tribunaux des affaires de la sécurité sociale ou les tribunaux pour enfants. C'est aussi le système retenu pour un conseil de prud'hommes présidé par un juge d'instance en cas de départage. Il prévaut également en Alsace-Moselle.

Cette solution n'a pas non plus été retenue, et l'on a finalement choisi la mixité, pour tenir compte des positions des juges consulaires. La chambre mixte aura donc compétence exclusive pour les contentieux touchant à l'ordre public économique, mais entendu au sens le plus strict. La commission avait retenu une compétence plus large, incluant le droit boursier, le droit cambiaire et le droit de la concurrence. Le Gouvernement souhaite limiter la compétence de la chambre mixte aux contentieux relevant de la loi de 1985 sur les procédures collectives. Je me rallie à sa position, non pas tant pour donner satisfaction aux juges consulaires, mais par souci de simplicité -qualité essentielle d'une loi de procédure. Cette séparation des compétences évitera d'inutiles conflits de frontières entre les domaines de la chambre mixte et du tribunal traditionnellement composé.

Je soutiens donc les grandes lignes de cette loi novatrice, mais je ferai quelques observations, après avoir consulté de nombreux spécialistes, notamment Michel Duval, de Price Waterhouse Coopers. Tout d'abord, il devient difficile de trouver des hommes d'entreprise, dans la force de l'âge, qui puissent consacrer au bien de la cité deux ou trois jours par semaine. Cette difficulté est renforcée dans les petites villes, où le magistrat consulaire connaît en général les intervenants des procédures, ce qui pose des problèmes.

En second lieu, pour la chambre mixte, il serait simple et pratique de délocaliser dans un tribunal de commerce régional les procédures collectives touchant des entreprises qui font plus de cent millions de chiffre d'affaires ou emploient plus de cinquante personnes. Trente tribunaux traiteraient ainsi plus de la moitié des enjeux salariaux sauvables et des passifs à traiter. Et ces entreprises sont celles qui peuvent faire l'objet d'un plan de cession, permettant de garder les emplois. Un tel choix permettrait de réduire, de 200 ou 250 à 40 ou 50, le nombre des magistrats professionnels affectés aux chambres mixtes.

Troisième observation : le rôle du Parquet est essentiel, et il doit être présent auprès des tribunaux de commerce, notamment pour faire des observations quant aux bénéficiaires des plans de cession.

Quatrième point : il est dangereux de comparer notre droit des procédures collectives et celui des autres pays européens. Dans les pays anglo-saxons, en particulier, la force des banques et leurs droits sur les actifs permettent de résoudre hors tribunal la plupart des conflits, en nommant directement un administrateur qui a vocation à réaliser les actifs au profit des banques.

Enfin l'exécution provisoire devrait être de plein droit, sauf motivation contraire du juge, afin d'harmoniser les juridictions prud'homales et commerciales. On m'objecte que la Chancellerie souhaite une réforme globale de l'exécution provisoire, mais puisque celle-ci est déjà différente selon les matières, n'était-il pas opportun de tenter d'aller plus loin à l'occasion de cette réforme ? Je regrette le rejet de mon amendement à ce sujet.

Cette réforme sera bien acceptée car elle est nécessaire. Elle n'est pas dirigée contre les juges consulaires, qui sont dans leur immense majorité des hommes honnêtes, soucieux de la justice et de l'intérêt général. Toute institution doit un jour ou l'autre accepter les mutations. Cette réforme doit rendre confiance aux justiciables et assurer une heureuse collaboration entre magistrats professionnels et juges consulaires. Elle renforcera la justice consulaire. Nous en approuvons l'esprit et le texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Philippe Houillon - Il y a à peine deux mois, Madame la Garde des Sceaux, je vous interrogeais sur les mesures d'urgence que vous comptiez prendre pour redonner un peu de sérénité au monde judiciaire. Il ne s'écoule presque pas un jour sans que de nouveaux événements ne viennent alimenter l'inquiétude sur le fonctionnement de notre justice. Nous avons vu le front commun des avocats, des magistrats, des greffiers, dénonçant d'une même voix l'inapplicabilité de la loi sur la présomption d'innocence. Fait sans précédent, nous avons vu des magistrats déverser des codes sur la Place Vendôme comme les agriculteurs déversent des choux devant les préfectures... Bref, depuis plusieurs mois, le monde judiciaire est en ébullition. Et malheureusement les mois se suivent et se ressemblent, et la situation s'enlise. Voici que la justice consulaire à son tour donne de la voix au point qu'on a pu parler d'une situation quasi-insurrectionnelle.

Le 14 février dernier, le tribunal de commerce de Paris déclarait : « favorables à une modernisation, mais opposés à une réforme incomplète fondée sur la suspicion et l'inégalité, présentée dans l'urgence, les juges consulaires suspendent leur activité juridictionnelle ». Ce mouvement de grève s'est progressivement étendu à la quasi totalité des tribunaux de commerce, et depuis des semaines 90 % des juges consulaires ont cessé leur activité. On évalue à plusieurs milliers le nombre de décisions qui n'ont pas été rendues, dont nombre de procédures collectives concernant des cessations de paiement. Cette paralysie est particulièrement préjudiciable pour les salariés des entreprises concernées, qui ne sont pas payés.

Certes, le code de l'organisation judiciaire prévoit que les tribunaux de grande instance puissent prendre le relais des tribunaux de commerce défaillant, mais ils croulent déjà sous la surcharge de travail, en raison, entre autres, de leur manque chronique de moyens. Le Gouvernement, au lieu de prendre la mesure du mécontentement et de rechercher une solution concertée, ne fait que jeter de l'huile sur le feu en maintenant la procédure d'urgence, si bien que la grogne des juges consulaires s'est radicalisée : la coordination regroupant les tribunaux de commerce de la région parisienne, soit environ 500 juges consulaires sur 3 000, réclame désormais le retrait pur et simple du projet, et 700 juges ont même démissionné, voyant dans cette solution radicale le seul moyen de se faire entendre de la Chancellerie.

La situation est donc grave et sans précédent. Comment avons-nous pu, comment avez-vous pu en arriver là ?

Dès le départ, cette réforme s'est mal engagée, car elle repose toute entière sur la suspicion et l'amalgame, et prend le problème dans le mauvais sens. La commission d'enquête parlementaire, qui plus est, a mis le feu aux poudres. Alors qu'elle aurait du recenser et valoriser les atouts de l'institution de la justice consulaire, puis identifier les dysfonctionnements et leurs origines, pour formuler enfin des propositions d'amélioration du fonctionnement et du rayonnement des tribunaux de commerce, son rapporteur a suivi une toute autre démarche : en parlant « d'institution pourrie », de « justice de connivence, plus âpre aux gains que soucieuse du service public », il s'est fait plaisir en faisant le procès d'une institution dans son ensemble. Mais on ne légifère pas en se faisant plaisir. Comment voulez-vous, dans ces conditions que la discussion se déroule dans un climat serein, propice aux compromis et aux avancées constructives, surtout si les rapporteurs de la commission d'enquête sont aussi ceux des projets de loi ?

Les fondements de la réforme proposée procèdent d'un amalgame systématique de facteurs en fait indépendants les uns des autres ; le fonctionnement des tribunaux de commerce, le comportement des juges consulaires, celui des mandataires de justice, la tarification de leurs actes et de ceux des greffes, et enfin les conséquences du cadre normatif que les juges ont l'obligation d'appliquer. Le diagnostic étant faussé dès le départ, les textes qui en ont résulté ne peuvent qu'être inadaptés ou déséquilibrés.

Quant au Gouvernement lui-même, il a été plus qu'hésitant, comme en témoigne le fait qu'il ait fallu attendre plus de trois ans entre le rapport de la commission d'enquête et l'examen des projets de loi. Nous sommes fin mars 2001 et nous entamons à peine la première lecture ! Pour se rattraper, le Gouvernement a déclaré l'urgence, mais imaginait-il que les juges consulaires ne le prendraient pas comme une mesure vexatoire supplémentaire ? C'était d'autant moins probable qu'il n'a tenu compte d'aucune des propositions formulées par ceux-là mêmes qui exercent leurs fonctions depuis 436 ans : il n'a écouté ni les juges consulaires, ni les partenaires sociaux que sont le MEDEF, la CGPME ou les chambres de commerce.

Il nous revient d'abord de rétablir un certain nombre de vérités. Les rapporteurs ont un peu vite oublié que la justice consulaire est connue et reconnue comme une justice peu coûteuse et peu contestée. Le taux d'appel n'est que de 19,1 % en matière contentieuse et de 4,3 % pour les procédures collectives ; en outre, seuls 2,8 % des jugements sont infirmés en appel. Enfin, les dotations aux tribunaux de commerce ne dépassent pas 30 millions par an pour un million de décisions rendues, soit un coût de 30 francs par décision !

Au lieu de jeter le bébé avec l'eau du bain, alors que la commission d'enquête parlementaire ne s'est fondée que sur 7 tribunaux parmi les 227 que comptait alors notre pays, mieux aurait valu identifier les quatre enjeux de la réforme nécessaire. Quelle doit être la place de la régulation judiciaire dans la vie économique ? La justice économique doit-elle échapper au droit commun ? Comment démocratiser le fonctionnement de l'institution judiciaire et renforcer la participation des citoyens ? Quel doit être le rôle de la puissance publique, et du parquet en particulier ? Autant de questions fondamentales auxquelles il aurait fallu répondre sans a priori ni préjugés. Tel ne fut pas le cas, et nous sommes donc amenés à discuter d'une réforme dont nous savons déjà qu'elle est mal orientée.

D'abord parce que l'Etat n'a ni le budget ni les effectifs pour la mettre en _uvre : selon le Gouvernement lui-même, il y faudrait 350 juges, quand seuls 140 postes ont été créés, et déjà absorbés, au demeurant, par la loi sur la présomption d'innocence. En second lieu, parce que le problème de fond est mal posé : pourquoi ne pas écouter les juges consulaires lorsqu'ils disent qu'il faut modifier les procédures collectives elles-mêmes avant de changer les hommes ?

Par manque de méthode, par absence de concertation, par jusqu'au-boutisme, par mépris, vous mettez en péril une réforme dont chacun s'accordait pourtant à dire qu'elle était nécessaire. Votre maladresse a rejailli non seulement sur la forme, mais encore sur le fond des projets de loi. Le meilleur exemple réside dans vos reculades successives sur le champ de compétence des chambres mixtes. Je viens d'apprendre que la commission des lois vient d'adopter, à l'initiative du Gouvernement un amendement limitant en fin de compte cette compétence aux seules procédures collectives ; je ne peux que me féliciter de ce revirement tardif, mais l'enseignement que l'on doit en tirer est que, de toute évidence, le Gouvernement navigue à vue et a bien du mal à se mettre d'accord avec les rapporteurs de sa propre majorité !

S'agissant de la présidence des chambres mixtes, il est difficilement acceptable que les juges consulaires en soient systématiquement écartés. Au nom de quoi devraient-ils l'être ? Les juges consulaires sont avant tout des juges qui, tout comme les juges professionnels, disposent du pouvoir de juger et de trancher des litiges, ont pour mission de rendre la justice avec indépendance et compétence, et doivent par conséquent supporter les mêmes contraintes et encourir les mêmes responsabilités. Or, il y a dans les textes qui nous sont présentés une rupture d'égalité flagrante, que l'on retrouve également en ce qui concerne les dispositions disciplinaires et déontologiques.

C'est bien la preuve que les rapporteurs partent du principe que les juges consulaires sont, dans le meilleur des cas, moins compétents que les magistrats professionnels et, dans le pire, qu'ils sont corrompus !

De même, imposer une limite d'âge, qu'il s'agisse de 65 ans ou de 68 ans, est à la fois contestable sur le principe et sur le plan pratique puisqu'elle entraînera le départ de 1 400 juges consulaires parmi les plus disponibles et les plus expérimentés.

Je dirai un mot, pour finir, sur les mandataires de justice, qui font, plus que tout autre les frais d'une certaine hystérie. En ouvrant leur profession à la concurrence de cette manière, c'est-à-dire de manière totalement inégalitaire, ne cherche-t-on pas, en fait, à les faire disparaître ? Ainsi, au lieu de privilégier des propositions constructives, c'est une fois encore une idéologie destructrice, quasi-vengeresse, qui prévaut.

Vous l'aurez donc compris, le groupe Démocratie Libérale ne peut souscrire à l'état d'esprit qui gouverne ces textes, même si nous estimons qu'une réforme était nécessaire. Simplement, une fois de plus l'idéologie l'a emporté sur le pragmatisme, et vous avez vous-même sabordé une réforme qui aurait pu être consensuelle car réclamée de tous.

Certes, vous avez semblé revenir tout à l'heure à de meilleures dispositions, et je m'en réjouis. Mais pourquoi avoir tant attendu pour vous rallier à des points de vue plus raisonnables, cela aurait évité à la justice consulaire une paralysie dommageable (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jean-Paul Charié - Elle a peur de Montebourg !

M. Jacques Floch - Le groupe socialiste votera ces trois textes, qui répondent à une nécessité, et sont issus de longues réflexions. Dans un pays comme le nôtre, il est toujours difficile de réformer dans la sérénité. Mais peut-on dire que les nouvelles règles déontologiques portent atteinte à l'honneur des juges consulaires ? Je crois que non.

Est-il anormal d'ouvrir le corps électoral aux artisans ? Ils relèvent aussi de la justice commerciale quand ils achètent leur matière première à des fournisseurs ou revendent leur produit à des clients. Certes ils vont constituer les gros bataillons d'électeurs, et leurs organismes syndicaux préparent déjà des candidats qui seront aussi qualifiés que les autres.

Quelqu'un a dit tout à l'heure qu'on ne faisait pas assez de prévention. Mais il existe des textes, M. Charié l'a relevé lui-même, et j'ai entendu des juges consulaires regretter qu'ils ne soient pas davantage utilisés.

Enfin, M. Houillon a parlé de « défiance » à propos de la présence d'un magistrat professionnel. Mais nul ne remet en cause la présence des procureurs de la République qui sont bien des magistrats professionnels ! Tout au plus peut-on regretter qu'ils ne soient pas assez présents au jour le jour.

Mme la Garde des Sceaux - C'est vrai.

M. Jacques Floch - Il y a un effort à faire de ce côté.

Alors pourquoi s'offusquer de la participation d'un magistrat professionnel aux débats ? Il n'en serait pas le maître, puisqu'il aura deux juges consulaires à ses côtés (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). Les deux autres juges ne seront pas muets, le juge professionnel peut être mis en minorité.

M. Jean-Paul Charié - Pourquoi ne serait-il pas assesseur ? Pourquoi doit-il présider ?

M. Jacques Floch - Mener les débats ne signifie pas qu'on dise seul le droit. C'est la juridiction tout entière qui le dira.

Vos critiques mal fondées manifestent seulement votre refus de toute réforme. Nous, nous la voterons, parce qu'elle est nécessaire et attendue par les magistrats des tribunaux de commerce.

M. Jean-Paul Charié - La preuve, c'est qu'ils font grève !

M. Jacques Floch - La grève se termine, car nous avons su les écouter. Le texte est désormais excellent et vous regretterez de ne pas l'avoir voté (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce soir à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 25.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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