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Session ordinaire de 2000-2001 - 76ème jour de séance, 175ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 15 MAI 2001

PRÉSIDENCE de M. Patrick OLLIER

vice-président

Sommaire

          CORSE (suite) 2

          QUESTION PRÉALABLE 2

          ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 16 MAI 2001 41

La séance est ouverte à vingt et une heures quinze.

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          CORSE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence du projet de loi relatif à la Corse.

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QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Pierre Chevènement et de plusieurs de ses collègues une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean-Pierre Chevènement - Lorsque j'ai pris connaissance, le 19 juillet 2000, du projet de relevé de conclusions qui allait être soumis le lendemain aux élus de l'Assemblée de Corse, j'ai indiqué à M. le Premier ministre que je ne porterais pas devant le Parlement le projet de loi qui vous est soumis.

En effet, ce qui peut apparaître comme un bricolage institutionnel, nous entraînerait en réalité dans un engrenage mortel : le projet l'indique dans son exposé des motifs : il est inséparable d'une révision constitutionnelle en 2004, explicitement prévue par les accords de Matignon, pour satisfaire aux exigences des indépendantistes et qui octroient à la Corse un pouvoir législatif propre et un statut de territoire d'outre mer après suppression des départements. Elle ne pourrait s'opérer que par voie de référendum, en l'absence d'une majorité des trois cinquièmes au Congrès. Référendum dont il n'y aurait d'autre précédent que sur l'Algérie et sur la Nouvelle-Calédonie, et qui ne manquerait pas de creuser encore plus le fossé entre une Corse apeurée et une opinion continentale lassée, qui se dirait, comme un jour l'a exprimé un Raymond Barre excédé : « S'ils veulent l'indépendance, qu'ils la prennent ! ».

Ce projet est donc le hors d'_uvre d'un menu que vous devez accepter ou refuser en bloc. En le votant vous devez savoir que vous prendrez un engagement pour le futur, dont ni Lionel Jospin ni Jacques Chirac ne pourraient facilement se délier.

Pour utiliser une comparaison qui plairait sans doute à M. Talamoni -que je n'aperçois plus dans les tribunes- c'est une bombe à retardement dont le minuteur est réglé sur 2004 (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Ce texte que le Gouvernement s'efforce de rendre anodin, en prétendant en limiter les risques d'inconstitutionnalité, est d'abord un leurre, un exercice d'illusion à l'intention de ceux qui voudront bien se laisser convaincre qu'il pourrait permettre le retour à l'ordre républicain et à la paix civile. Qui ne le souhaiterait ?

Dans l'exposé des motifs, le Gouvernement se prévalant d'une « démarche transparente » se fixe trois objectifs : d'abord « mettre un terme à la violence et assurer la paix civile » ; ensuite « enraciner durablement la Corse dans la République ; enfin « clarifier les responsabilités dans la gestion des affaires de l'île ».

Si je défends la question préalable c'est que la démarche qui a présidé à l'élaboration du texte n'est nullement transparente...

M. Pierre Lellouche - Très bien.

M. Jean-Pierre Chevènement - ...qu'il ne répond à aucun des objectifs qu'il se fixe et qu'il aurait, non seulement pour la Corse, mais pour la République tout entière, des conséquences funestes. Car ce qui est en cause ici, ce n'est pas tant le règlement du dossier corse que la crise de la France en tant que nation politique, en tant que « communauté de citoyens », vouée par les prophètes du post-national à s'effacer dans une Europe des régions.

D'abord ce texte n'est pas le fruit d'une démarche transparente mais d'un pacte implicite.

Le Gouvernement, depuis juin 1997, suivait une politique claire : il s'agissait de « faire appliquer la loi républicaine en Corse comme partout ailleurs sur le territoire de la République ». Le retournement de la politique gouvernementale le 30 novembre 1999, la levée du préalable de la renonciation à la violence, l'érection de l'Assemblée de Corse en matrice d'une volonté générale dans l'île, le choix de débattre avec ses élus y compris avec les indépendantistes de Corsica Nazione, qui n'avaient pas condamné la violence, n'ont jamais été clairs à mes yeux. Un récit publié ce matin par Libération, et dont je ne sais s'il est corroboré par les faits, ne peut que renforcer ce sentiment.

Ce retournement fut-il l'effet à retardement de la ridicule affaire des paillotes ? Je n'y ai jamais cru une seconde. Certes ce fut un mauvais coup porté à l'Etat par ceux qui étaient chargés d'en faire appliquer les lois. Mais comme l'a fort bien dit sur le moment le Premier ministre, « C'est une affaire de l'Etat. Ce n'est pas une affaire d'Etat. » L'incendie de la paillote, surmédiatisé, a surtout été le prétexte saisi par tous ceux qui ne rêvaient, à droite comme à gauche, que d'un retournement de la politique de l'Etat en Corse.

C'est l'occasion saisie en mai 1999 par M. Rossi et par une partie de l'opposition pour déposer une motion de censure. Le Président de la République à Nancy se croit obligé de flétrir des « dysfonctionnements dans l'Etat », comme si le Gouvernement portait la moindre responsabilité dans ce grotesque incident (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. José Rossi - Si le ministre n'est pas responsable, qui l'est ?

M. Jean-Pierre Chevènement - Bref, le consensus national sur une question touchant à l'intégrité territoriale de la République, dont on pouvait penser qu'il s'était cimenté après le lâche assassinat du préfet Erignac, quand Jacques Chirac et Lionel Jospin s'étaient exprimés tour à tour, à Ajaccio, pour affirmer la volonté de l'Etat de faire appliquer la loi, ce consensus, ce jour-là, a volé en éclats ! A partir de ce moment-là, la Corse pour son malheur, et pour le nôtre, est devenue un enjeu de politique intérieure, ce qu'elle a, hélas, rarement cessé d'être depuis 1981, ce qui explique d'ailleurs l'absence de continuité dans la politique de l'Etat. Elle est redevenue un enjeu dans la cohabitation. Il ne s'agissait plus dès lors que de savoir laquelle des deux têtes de l'exécutif paraîtrait porter devant l'opinion la responsabilité de la prolongation des violences. Je dois à la vérité de dire que nombreux furent les parlementaires de droite qui, au moment de cette censure politicienne, me firent savoir qu'ils ne partageaient pas la position de la majorité de leur groupe.

Pour beaucoup dans l'île, la chute du préfet Bonnet a été le signal d'une nouvelle donne politique. Je n'en veux pour preuve que la circulaire parfaitement illégale signée en septembre 1999 par le recteur Pantaloni...

M. Georges Sarre - Exactement.

M. Jean-Pierre Chevènement - ...lequel est toujours en poste. Cette circulaire, sans texte de loi ni tergiversations constitutionnelles, organise déjà l'enseignement obligatoire de la langue corse, avec convocation des parents à un entretien d'explication, en cas de refus de leur part (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe RCV et du groupe du RPR).

Quant aux indépendantistes, privés de perspective, ils se regroupent alors dans un « Front du Fiumorbu » puis dans une organisation « Unita » où les Verts corses côtoient le FLNC Canal historique et Corsica Viva et autres organisations dont vous connaissez les pratiques, tout en maintenant une organisation armée clandestine, dite « Union des combattants ».

Dans une partie de la gauche aussi, l'affaire des paillotes et ses suites constituèrent une « divine surprise » pour tous ceux qui ne rêvaient que de faire de la Corse un tremplin pour une République dite « plurielle », fédéraliste, destinée à se fondre dans une Europe des régions : de M. Rocard qui assimile la situation de la Corse à une situation coloniale, alors que 90 % des Corses veulent rester dans la République, à M. Lipietz, député européen vert qui, dans sa préface à un ouvrage de M. Talamoni, prône un « développement identitaire et écologique » reposant sur « le pari d'un développement par en bas, pour peu que la volonté enflamme les citoyens », le tout débouchant sur une « Ligue alliant la Corse, la Sardaigne et les Baléares », en passant par vous-même, Monsieur le rapporteur, qui déclariez au Parisien en janvier dernier « être nationaliste n'est pas un délit » -dès lors bien sûr que c'est du nationalisme corse qu'il s'agit, ou plutôt du prétendu tel puisque pour ma part, je considère qu'il n'y a pas de nation corse, mais seulement une nation française qui se définit par la citoyenneté et non par l'origine (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV et sur plusieurs bancs du groupe du RPR). Je vous fais grâce d'autres citations, qui seraient pourtant un régal (Rires sur les mêmes bancs).

Le Gouvernement invoque constamment la transparence, comme si le fait de discuter publiquement avec les élus valait sanctification d'une démarche politique. Alors, parlons-en ! C'est sans délibération gouvernementale préalable que le Premier ministre a, par sa déclaration du 30 novembre 1999, levé le préalable de la renonciation à la violence politique et institué l'Assemblée territoriale en « matrice » d'un statut à venir. Mais celle-ci, ainsi érigée en assemblée quasi constituante, a hésité à s'engager en dehors de ses attributions. Majoritairement, elle a refusé le 10 mars 2000 le pouvoir législatif réclamé par les indépendantistes comme substitut de la reconnaissance du peuple corse et succédané de la souveraineté. La motion Zuccarelli a obtenu 26 voix, la motion Rossi 22.

Comment se fait-il que l'expression majoritaire de l'Assemblée de Corse ait été subvertie en moins de quatre mois et que 44 conseillers sur 51 aient accepté le 28 juillet ce qu'une majorité d'entre eux refusait quatre mois plus tôt ?

M. José Rossi - Ce n'était plus la même motion.

M. Jean-Pierre Chevènement - J'observe d'abord que M. Zuccarelli a été promptement écarté du Gouvernement.

Le retournement du groupe social-démocrate de M. Renucci, ancien mandataire de M. Jospin à l'élection présidentielle de 1995, n'est pas un grand mystère.

Le ralliement du RPR est à peine plus difficile à comprendre. M. Guazelli, ancien directeur du Crédit agricole de Corse, et numéro deux du RPR insulaire derrière M. Baggioni, en donne l'explication la plus franche dans le compte rendu de la réunion des présidents de groupe de l'Assemblée territoriale du 12 juillet diffusé par M. José Rossi : « La majorité avait refusé le pouvoir législatif, mais il s'agit aujourd'hui d'obtenir un accord politique » -avec les indépendantistes s'entend.

Nicolas Alfonsi, président du groupe du parti radical de gauche à l'Assemblée territoriale, évoque dans une interview récente « de sombres affaires fiscales opportunément évoquées vis-à-vis de certains élus encore hésitants ». Aussi bien faudrait-il être un Romain -comme M. Alfonsi- pour refuser 12 milliards de subventions, des exonérations fiscales et un surcroît de pouvoir pour l'Assemblée territoriale. Ajoutons à cela la peur très répandue de paraître archaïque et le désir d'être dans le vent, c'est-à-dire du côté du manche.

Mme Christine Boutin - Ah ça ...

M. Jean-Pierre Chevènement - Les élus communistes eux-mêmes votent à deux sur trois le relevé de conclusions gouvernemental le 28 juillet ! Ange Rovere, premier adjoint communiste au maire de Bastia dénoncera le 6 septembre 2000 « un retournement de toute l'histoire des communistes corses et du mouvement social de notre île, un véritable coup de poignard à la Corse, par volonté de coller au Gouvernement ». Selon lui, « la Corse fournit un terrain d'expérience à tout ce qui, à droite comme dans une certaine gauche, veut casser le pacte républicain ». On ne saurait mieux dire.

Certes des entretiens ont réuni d'avril à juillet 2000, dans la salle de la Chapelle du 32 rue de Babylone, les élus de Corse et les collaborateurs du Premier ministre, du ministre de l'intérieur, et occasionnellement du ministre des finances et du ministre des transports. A aucun moment d'ailleurs l'examen des problèmes posés à la Corse et des compétences exercées par ses assemblées élues n'a fait ressortir le besoin d'une délégation du pouvoir législatif. Mais c'est au mépris de toute concertation avec les autres représentants du Gouvernement aux entretiens de la rue de Babylone que le cabinet du Premier ministre a, le 3 juillet, communiqué aux élus de Corse des fiches préparant le relevé de conclusions du 20 juillet et laissant entrevoir l'éventualité d'un pouvoir législatif partagé.

C'est contre l'avis de tous les ministres réunis le 6 juillet, qui se sont alors unanimement prononcés contre toute délégation du pouvoir législatif, que le Premier ministre a décidé de jouer la carte de l'expérimentation législative, ouvrant la voie à la révision constitutionnelle et à la dévolution du pouvoir législatif que les indépendantistes, secondés par M. Rossi, n'avaient cessé de réclamer. Ils l'obtiennent de la majorité des présidents de groupe de l'Assemblée territoriale le 12 juillet 2000, puis du Gouvernement le 19 juillet.

Alors oui, il y a bien eu une concertation avec les élus corses ! Jusqu'au 3 juillet 2000, elle a été relativement transparente et aurait pu conduire à faire comme je l'avais proposé au Premier ministre, « du neuf et du raisonnable » en responsabilisant les élus corses. Une assemblée unique, après fusion des deux départements, aurait été concevable dès lors que, devant tenir compte de la représentation territoriale, elle aurait été élue au moins pour moitié selon un mode de scrutin majoritaire. Dans ces conditions, les indépendantistes auraient cessé d'être la clé de la majorité dans une assemblée où ni la droite ni la gauche ne l'obtiennent pour leur seul compte. Alors, une décentralisation plus poussée et la mise en _uvre d'un plan de développement doté d'importants fonds publics eût été raisonnable.

Au lieu de cela, on a choisi de culpabiliser l'Etat, en faisant d'un accord avec des indépendantistes, qui n'ont renoncé ni à leur objectif d'indépendance, ni à l'utilisation de la violence, la clé d'une solution politique.

M. Nicolas Dupont-Aignan - Eh oui...

M. Jean-Pierre Chevènement - Cette démarche n'a pas mis et ne peut pas mettre un terme à la violence.

Le Premier ministre a transformé le préalable de la renonciation à la violence politique en simple condition suspensive d'une promesse de révision constitutionnelle. Ce message a été parfaitement compris et exploité par les mouvements clandestins, qui ont retourné la condition suspensive à leur profit.

Certains esprits pragmatiques m'objecteront peut-être que la trêve annoncée par ces mouvements en décembre 1999 et la baisse du nombre d'attentats constatés en Corse au cours de l'année 2000 -encore cent vingt- peuvent être considérées comme un premier pas vers le retour à la paix civile. Ce n'est qu'un leurre : le nombre d'attentats commis en Corse dans les premiers mois de 2001 nous ramène au niveau d'avant 1998. Le FNLC a revendiqué trois attentats le mois dernier, dans un communiqué qui précise sans rire qu'il ne s'agit pas d'une rupture de la trêve décrétée en décembre 1999 ! (Rires sur plusieurs bancs du groupe RCV et du groupe du RPR) On croit rêver ! M. Talamoni, dans son discours du 28 juillet 2000, rendait hommage à la lutte des clandestins « quelle que soit la manière » -vous saisissez le sous-entendu. Dans une interview donnée à l'Irish Times le 26 août dernier, il déclarait que la violence et le spectre de la violence ont été depuis 1975 les adjuvants indispensables de la lutte pour l'indépendance. Sans doute pensait-il en s'exprimant dans un journal irlandais échapper à l'attention du ministre de l'intérieur que j'étais encore à l'époque (Rires sur les bancs du groupe RCV, du groupe du RPR et du groupe UDF). C'est se leurrer de croire que les indépendantistes ont renoncé et renonceront à leur objectif.

A ceux qui ont des yeux pour ne pas voir et peut-être aussi hélas, des oreilles pour ne pas entendre, je veux lire la déclaration d'un des leaders du nouveau parti indépendantiste « Indipendenza » : « le cap vers l'indépendance est mis et il ne s'arrêtera pas ». La motion de synthèse adoptée par le congrès de la nouvelle formation précise : « Indipendenza ne condamne pas la lutte armée clandestine et comprend les raisons d'une telle démarche ».

La même résolution préconise le combat pour la corsisation des emplois et n'hésite pas à menacer : « La plupart des députés ne connaissent rien au dossier corse. Nous serons très attentifs au prochain débat ». Chers collègues, vous voilà avertis ! Dans le même temps, des hommes cagoulés et armés distribuent en plein jour et dans toute la Corse des exemplaires du journal U Ribellu, célébrant le vingt-cinquième anniversaire du FLNC, vingt-cinq ans de violences et de meurtres ! Ainsi va le processus. Mais nous étions déjà avertis par M. Talamoni : dans Corse-Matin, le 9 février 2001, celui-ci prévenait : « l'objectif essentiel est d'obtenir la reconnaissance juridique du peuple corse d'une part, de l'Assemblée de Corse dotée du pouvoir législatif d'autre part, des instances internationales ». Les clandestins sont passés maîtres dans l'art d'une stratégie de dissuasion du faible au fort qui consiste à faire comprendre au Gouvernement qu'il reste sous la menace d'une continuation de la violence, partout sur le territoire national, et surtout au moment où la nuisance électorale sera maximale pour le Premier ministre.

Je ne vous ferai le compte ni des assassinats ni des mitraillages de caserne, ni des plasticages de bâtiments publics ou de domiciles privés de fonctionnaires d'autorité ces dernières semaines. Je me bornerai à évoquer la montée de la violence raciste anti-maghrébine en Corse, rapportée par un journal peu suspect de complaisance à mon endroit, Le Monde, le 20 avril 2001. Sous la plume de Mme Sylvia Zappi, il dénonce le plasticage d'un foyer Sonacotra, une ratonnade à l'université de Corte, les menaces proférées à l'encontre de l'association antiraciste « Ava Basta », courageuse mais unique sur l'île. En 2000, le consulat du Maroc à Bastia a enregistré deux fois et demi plus de départs que les années précédentes. C'est aussi à cela que se juge une politique.

Non, mes chers collègues, ce débat parlementaire n'est décidément pas le fruit d'un « dialogue mené dans la clarté », mais celui, délétère, de la cohabitation et d'un marchandage obscur, lourd de calculs et d'arrière-pensées. Je suis désolé de devoir le dire car je sais que cela vous fait de la peine, mais c'est la vérité (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Ce projet de statut ne permettra en aucune manière de clarifier les responsabilités dans l'administration de la Corse.

Le projet d'expérimentation législative, objet de l'article 1er ne répond à aucun besoin objectif, à aucune demande rationnellement argumentée. C'est une concession faite aux indépendantistes, qui ne renonceront pas pour autant à la violence. C'est leur permettre de mettre le pied dans la porte, et d'eux ne viendra qu'une surenchère d'exigences. En votant ce projet, vous ne pourriez qu'abaisser l'Etat républicain, le mettre encore un peu plus à la merci de ceux qui, depuis une génération, piétinent ses lois.

Ce que l'on demande aujourd'hui à l'Assemblée d'examiner, c'est une loi « jetable ». M. Rossi, dans son enthousiasme, a proposé à la commission des lois un amendement précisant que la loi avait une valeur « transitoire » en attendant la révision de la Constitution ! (Exclamations et rires sur plusieurs bancs du groupe RCV, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. José Rossi - Il s'agit de dispositions s'inscrivant dans un processus transitoire !

M. Jean-Pierre Chevènement - Flaubert, déjà, disait que notre époque était une époque de transition ! (Rires)

Quel meilleur signal envoyer aux Corses pour leur signifier que la loi n'a qu'une valeur relative et que le respect de la loi n'est qu'une concession provisoire ? Quelle meilleure façon de dire aux Français que la Constitution n'est qu'une convention précaire, révisable au gré des opportunités politiques ?

L'ardente obligation du législateur est au contraire de consolider et de clarifier le rôle de la loi comme expression de la volonté générale, comme règle partagée de la communauté des citoyens (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Que l'application de la loi ait besoin, dans des domaines comme l'urbanisme et l'environnement, de modalités définies localement, élaborées avec la participation des citoyens, négociées pour être acceptées, c'est le sens même de la décentralisation et de la démocratie locale que j'ai voulue comme vous et que j'applique comme maire et cela peut justifier des délégations du pouvoir réglementaire correspondant à l'exercice de blocs de compétences précis. Encore faut-il que ces pouvoirs décentralisés reposent sur un socle commun, garantissant la pérennité des règles et l'égalité des citoyens.

La loi doit être la même pour tous : ce n'est pas moi qui le dit, c'est la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen !

En traitant la loi, non comme l'expression d'une règle commune et comme l'outil de la volonté collective mais comme un obstacle juridique à la flexibilité de la gestion des affaires locales, vous ruineriez le c_ur même du pacte républicain, vous abandonneriez les citoyens au maquis des règles locales, des conventions particulières et des normes internationales ou européennes, dont vous savez bien qu'elles sont établies dans la plus totale opacité (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV et du groupe du RPR).

Vous ne pouvez prétendre ancrer la Corse dans la République en affaiblissant la République elle-même, en inoculant au c_ur de la Constitution le virus de la loi incertaine et provisoire, de la loi d'intérêt local ! Que vaudra demain l'expression de la souveraineté populaire, qui seule fonde ici votre légitimité, face aux juridictions internationales, aux cours européennes et autres comités de gouvernance ? Que restera-t-il de cette Assemblée quand elle sera réduite à transposer des directives et à prendre acte des jurisprudences ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV et du groupe du RPR).

Le projet de loi gouvernemental ne met aucunement un terme à la dilution des responsabilités, propice à tous les jeux de mistigri qu'avait mis en lumière la commission d'enquête présidée par M. Glavany.

Je n'en prendrai que deux exemples. La multiplication des offices et agences d'abord. Ces établissements publics avaient été prévus par le statut de 1991 pour permettre à l'exécutif d'exercer ses nouvelles compétences. Le constat, dressé par les représentants de l'Etat qui siégeaient rue de Babylone, confirmé par M. Baggioni, président du conseil exécutif, et qui n'a été contesté par personne, c'est que, loin de jouer ce rôle technique, les offices et les agences se sont comportés comme des instances supplémentaires de délibération politique sur les décisions prises par l'exécutif, obligeant celui-ci à renégocier sans cesse chacune de ses actions avec tel ou tel groupe de pression.

La suppression des offices et des agences a cependant disparu du projet du Gouvernement, à la demande expresse de M. Rossi -celui-ci l'a confirmé lors des débats de la commission.

M. José Rossi - C'est faux ! C'est une demande figurant dans l'avis de l'Assemblée de Corse, adopté par 42 élus sur 51 !

M. Jean-Pierre Chevènement - En la relayant, vous vous êtes fait le porte-parole des intérêts particuliers en tout genre, qui ont su trouver dans ces offices des niches propices à la gestion des clientèles.

Second exemple, particulièrement significatif de la confusion entretenue par les uns et les autres : l'application de la loi littoral (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe du RPR).

Certains élus de Corse ont fait de la loi littoral l'exemple même du texte législatif qu'il convenait d'adapter aux spécificités insulaires. Le Gouvernement, informé des difficultés rencontrées par les services de l'Etat dans la mise en _uvre du droit de l'urbanisme en Corse, avait demandé aux inspections générales de l'Equipement et de l'Administration, une enquête comparative sur l'application de la loi littoral en Corse et dans cinq autres départements : les Alpes-Maritimes, le Var, les Bouches-du-Rhône, la Charente-Maritime et le Morbihan.

Il est dommage que l'esprit de transparence n'ait pas conduit le Gouvernement à communiquer ce rapport aux parlementaires, car il montre que si la loi s'applique mal, c'est faute de bons instruments d'application. Les textes réglementaires auraient dû donner aux principes généraux énoncés par la loi une traduction concrète, adaptée à la variété géographique du littoral, au lieu de quoi ils se sont employés à élargir et à durcir les principes de la loi, multipliant ainsi les motifs de contentieux, et laissant au juge administratif le soin de définir par la jurisprudence les critères d'application de la loi.

Pour sortir de cette situation malsaine, nos inspecteurs généraux suggèrent au Gouvernement de généraliser la procédure des directives territoriales d'aménagement, qui permettent d'adapter à chaque type de littoral les modalités d'application de la loi.

M. Christian Estrosi - Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement - Or, que s'est-il passé en Corse ?

L'article 59 du statut de 1991 a confié à collectivité territoriale l'élaboration d'un schéma d'aménagement, qui a la même valeur qu'une directive territoriale d'aménagement après son approbation par un décret en Conseil d'Etat. L'élaboration de ce schéma s'est trouvée bloquée lorsque, quelques semaines avant sa mort, le préfet Claude Erignac a estimé que le projet élaboré par l'Assemblée de Corse ne pouvait être transmis en l'état et devait être revu.

La conséquence qu'en tire le projet de loi qui vous est soumis, c'est qu'il faut court-circuiter le représentant de l'Etat pour simplifier la procédure ! Mais s'est-on un instant interrogé sur les motifs de la décision d'un préfet à qui chacun rend hommage ? (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe RCV, du groupe RPR et du groupe UDF)

La réalité est pourtant simple. Ce qui a conduit le représentant de l'Etat, Claude Erignac, à rejeter, en janvier 1998, le projet de schéma d'aménagement, c'est que celui-ci n'avait pas, comme il aurait dû le faire, dégagé les orientations fondamentales de la protection, de l'aménagement et de l'exploitation du littoral, c'est-à-dire arbitré entre des intérêts particuliers au nom de l'intérêt général. Les auteurs du projet s'étaient bien gardés de choisir, pour ne froisser personne, quelles étaient les zones du littoral à aménager et quelles étaient celles qu'il fallait protéger.

Au lieu d'encourager les élus de Corse à assumer les responsabilités que leur confie la loi, on bricole une expérimentation législative dont les conséquences en matière de loi littoral effrayent même ces paladins de l'autonomie que sont M. Mamère et ses amis verts (Rires sur plusieurs bancs du groupe RCV, du groupe du RPR et du groupe UDF). Quel symbole manifestera mieux l'affaiblissement de l'autorité de l'Etat que l'autorisation d'édifier des constructions légères, c'est-à-dire des paillotes, sur la bande des cent mètres, tout au long des côtes de la Corse !

M. José Rossi - Ce que vous dites est honteux ! Il est inadmissible de lier l'assassinat du préfet Erignac au schéma d'aménagement ! C'est indigne et c'est faux ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe RCV)

M. le Président - Monsieur Rossi, calmez-vous ! Vous aurez tout loisir de répondre !

M. Jean-Pierre Chevènement - Vous le savez bien, l'expérimentation législative est vouée à l'échec. En effet, le Conseil constitutionnel ne manquera pas d'observer qu'on ne peut pas considérer la Corse comme une vaste université en étendant à l'île la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1993, relative à la loi universitaire de 1984. Le Gouvernement peut bien donner par mille contorsions le sentiment qu'il veut passer par le chas de l'aiguille pour éviter la censure du Conseil constitutionnel. Mais à qui fera-t-on croire qu'il suffit de substituer, dans l'article premier, au mot « adaptation », le mot « dérogation » pour changer le fond des choses ? Vous êtes pris dans vos contradictions, car vous ne pouvez pas à la fois satisfaire les indépendantistes qui veulent l'indépendance à travers le pouvoir législatif, et le Conseil constitutionnel, garant en dernier ressort de l'intégrité territoriale de la République, dès lors que le Président de la République s'est mis aux abonnés absents, quand il pouvait intervenir efficacement le 14 juillet 2000, soit deux jours après la réunion par M. Rossi des présidents de groupe de l'Assemblée de Corse. On ne peut pas contenter tout le monde et son père. La censure du Conseil constitutionnel démontrera ainsi par l'absurde qu'on ne peut décidément rien faire sans modifier la Constitution -peut-être est-ce, d'ailleurs, le but recherché...

Et c'est ainsi que le législateur, après l'Assemblée territoriale, après le Gouvernement, après le Président de la République, est invité à se défausser de ses responsabilités ! Tel est le constat que dressera, dans dix ans, la commission d'enquête que vous ne manquerez pas d'élire pour savoir comment on a pu en arriver là ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV, du groupe du RPR et du groupe UDF)

Ce projet de loi, enfin, s'il était voté, ouvrirait la voie à des dérives funestes. Qui peut croire de bonne foi que l'inscription dans la loi de l'enseignement de la langue corse, alors que jamais la loi n'a fixé les programmes d'enseignement, soit autre chose qu'un premier pas vers la corsisation des emplois ouvertement réclamés par le nouveau parti indépendantiste ?

Qui ne craindra une dérive semi-mafieuse de l'île, formidable gisement de beauté livré aux appétits de quelques décideurs sous influence, dans un climat de chantage et de peur ? Les liens entre les clandestins et la mafia italienne n'ont pas été mis au jour avec assez de diligence, mais ils existent bel et bien et il suffit de lire l'ouvrage très documenté de François Santoni et de Jean-Michel Rossi « Pour solde de tous comptes » pour comprendre ce qu'a été la dérive mafieuse des mouvements clandestins.

Le rapport Glavany l'avait explicitement relevé, l'accaparement des fonds publics par quelques coteries se réclamant de l'indépendance est chose bien connue dans la culture, et dans l'agriculture, dans l'université et dans l'éducation nationale, où les agrégés d'origine continentale étaient plastiqués quand j'étais ministre de l'éducation, et où maintenant plus de deux cents enseignants d'origine corse refusent d'être mutés sur le continent et trouvent des affectations provisoires grâce à l'action du recteur Pantaloni.

Qui peut croire que la faiblesse de l'Etat devant le chantage d'une minorité violente ne servira pas d'exemple à toutes les féodalités qui veulent substituer le contrat à la loi ou se tailler des fiefs, qu'il s'agisse des fameux « pays » trop souvent découpés à la mesure d'un notable influent ou du territoire d'une banlieue accaparée par quelques petites bandes ?

Qui peut avoir la naïveté de penser que ce qui aura été accordé aux Corses ne sera pas revendiqué demain par les Basques et après-demain par les Bretons, les Savoisiens, les Alsaciens, -et pourquoi pas- par les Francs-Comtois ? (Murmures sur les bancs du groupe socialiste)

Ainsi s'engagera un processus de dissociation territoriale destiné à confluer avec le projet d'une Europe des régions, sorte de nouveau Saint-Empire juxtaposant les ethnies, à supposer qu'il ne les hiérarchise pas.

Ecartons de même le prétendu statut particulier des îles méditerranéennes car il ne s'agit que d'un trompe-l'_il : aux termes de l'article 117 de la Constitution italienne, la Sardaigne et la Sicile ne peuvent légiférer que dans le cadre des principes fondamentaux posés par le Parlement italien.

Au-delà de la question corse se pose ainsi la question de la France comme nation politique, communauté de citoyens capable de définir à travers le débat républicain des règles valables pour tous, bref un intérêt général et un projet.

La France s'est faite avec l'Etat et avec la citoyenneté. Elle est une construction politique et culturelle qui mêle depuis le début tous les peuples du Nord et du Sud de l'Europe, et même depuis le XXe siècle tous les peuples du monde. Un Français se définit simplement, c'est un citoyen français, rien de plus, rien de moins : il peut être noir, jaune, flamand ou franc-comtois, c'est un citoyen français. Voilà ce qui est en cause. Ce qu'on nous propose c'est de sacrifier la France républicaine sur l'autel d'une Europe des régions qui signerait tout simplement la victoire du marché sur le politique. Je rappelle que vous avez fait Monsieur Rossi de M. Talamoni le président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée de Corse et qu'il négocie à ce titre directement avec M. Barnier ou avec M. Prodi qui ne ménage pas ses encouragements. C'est à se demander si l'histoire ne bégaye pas !

On comprend que les apôtres de la mondialisation libérale, tels M. Madelin et d'autres, applaudissent à cette perspective. Je voudrais être sûr que les tenants d'une prétendue République « plurielle » qui, au nom d'un girondinisme mal compris, veulent assurer le triomphe de cette nouvelle Sainte Trinité que forment ensemble le marché, l'opinion et les juges, ont pleinement mesuré l'issue inéluctable de leur démarche : assurer sans contrepoids le règne de l'argent sur l'ensemble de la société.

Dans cette prétendue République plurielle qu'on nous vante tous les jours comme un inéluctable et plaisant destin, le citoyen n'a curieusement plus sa place, ni bien sûr la souveraineté populaire. L'idéologie molle de la République plurielle ne fait qu'accompagner la logique des marchés financiers imposant leurs exigences exorbitantes de rentabilité à tous les aspects de l'existence. Les grands Etats, ils gênent ; la France, elle gêne : la dérive libérale et la dérive post-républicaine marchent ainsi de pair.

A ce point, je veux attirer l'attention des députés de gauche sur l'inconséquence qu'il y aurait à laisser démanteler la République face au marché mondialisé. Comment peut-on prétendre équilibrer le marché par la démocratie, refuser « la société de marché » comme y invite le Premier ministre, et ne pas voir en même temps que le capital mondialisé, non seulement s'accommode de la fragmentation territoriale, mais qu'il l'encourage et la sollicite ?

Quoi de plus tentant en effet que de mettre en concurrence les territoires, à travers la recherche de subventions publiques ou au nom du « moins disant fiscal » ? Les paradis fiscaux ne tombent pas du ciel, ils sont une création du capitalisme financier lui-même. Sommes-nous si loin du dossier corse ? Je ne le crois, hélas, pas. Il y a d'autres îles dont la souveraineté n'est qu'un paravent, comme l'a fort bien montré une commission d'enquête parlementaire.

Comment ne pas voir que la victoire des ethnismes serait une terrible régression historique ? Les nouveaux conflits ne se livrent plus en Europe entre les vieilles nations mais à partir de mouvements ethnicistes comme l'ETA ou l'UCK.

On parle aujourd'hui de « glocalisation » pour décrire cet alliage curieux entre la globalisation financière du monde et l'exacerbation des particularismes locaux. On se garde bien de rappeler, comme le fait à juste titre Pierre-André Taguieff, que « le croisement de l'européisme et de l'ethnopluralisme a déjà eu un laboratoire historique : l'entreprise de création d'un ordre nouveau en Europe il y a soixante ans ». Rappelez-vous de la légion Wallonie ! Il existe à la devanture de nos librairies toute une littérature d'extrême-droite pour chanter l'Europe des régions ethno-raciales ; la saga des patries charnelles. Je renvoie non pas à Drieu, qui anticipait, mais à Saint-Loup, vendu en son temps à des milliers d'exemplaires ! Dans cette Europe des ethno-nationalismes, on comprend que les indépendantistes corses se retrouvent pleinement !

On comprend moins bien la pulsion de démocrates sincères qui, comme le directeur du Monde, M. Jean-Marie Colombani, propose de « déverrouiller l'organisation du territoire pour faire de chaque région, de chaque métropole un atome français d'Europe ». Cette vision méconnaît le sens profond de notre Histoire, et à quel point l'unité française est d'abord une unité politique. Elle déséquilibrerait l'Europe qui a besoin d'une France forte pour équilibrer la puissance recouvrée de l'Allemagne et cela, dans l'intérêt de l'Europe et de l'Allemagne elle-même.

Les valeurs de la République, laïcité, égalité, n'ont pas fait leur temps même si les libéraux ont toujours voulu confondre l'égalité avec l'uniformité ! Elles ont encore du chemin à parcourir en Europe et dans le monde. C'est pourquoi nous devons résister à tous ceux qui, pour hâter le démantèlement de la nation, la démonisent, en cherchant, jour après jour, à discréditer et à ringardiser la France.

Notre pays a encore un grand rôle à jouer, non seulement pour équilibrer l'Europe mais aussi pour l'ouvrir vers le Sud. C'est dans cette perspective que la Corse française et républicaine, celle à laquelle sont attachés 90 % des Corses, trouvera un avenir digne d'elle.

Nos compatriotes corses sont d'abord des citoyens. Ils ont besoin d'être respectés et traités en citoyens. La Corse a besoin de l'Etat républicain. Elle n'a pas seulement besoin de notre solidarité financière, elle a aussi et surtout besoin d'une France dans laquelle elle puisse se reconnaître, d'une France qui porte un projet pour elle-même, pour l'Europe et pour le monde.

Une nouvelle loi n'est pas nécessaire pour ancrer la Corse dans la République. Elle y est depuis la venue de ses représentants à la fête de la Fédération de 1790.

Certes, les malentendus et les crises se sont multipliés depuis vingt-cinq ans, accentués par les surenchères entre la droite et la gauche, les divisions dans l'appareil de l'Etat, les hésitations et les changements permanents des politiques gouvernementales, offrant un terrain propice à toutes les démagogies. Il ne s'est pas passé trois ans d'affilée depuis 1981 qu'une même politique ait été suivie, sans changement de cap. Nul ne conteste, ni ici, ni en Corse, que l'île ait besoin d'investissements publics et d'un vigoureux soutien à l'investissement privé pour rattraper son retard de développement.

Mais qui peut croire de bonne foi qu'on rapprochera les Corses de la République en vendant à crédit à quelques-uns d'entre eux la chimère d'un pouvoir législatif s'exerçant sur une île d'à peine 250 000 habitants ?

En vous invitant à ne pas débattre de ce texte, je ne plaide pas pour autant pour le statu quo en Corse. Ma position, telle que je l'ai maintes fois exposée, a toujours été en faveur de réformes audacieuses et de mesures permettant à la collectivité territoriale d'assumer pleinement sa responsabilité.

Mais la dévolution de blocs de compétences et de pouvoirs réglementaires correspondants n'a de sens que si les institutions de l'île sont gouvernables. Tel n'est pas le cas et le serait de moins en moins, si ce texte lourd de sous-entendus et d'engagements implicites, lourd de graves dérives, était voté.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à ne pas abdiquer le pouvoir de faire la loi, qui n'appartient qu'à vous. L'histoire ne retient le souvenir que des parlementaires qui savent dire non dans un vote historique. En votant la question préalable et en refusant de débattre, vous servirez la République (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV et du groupe du RPR).

M. José Rossi - Je souhaite présenter un rappel au règlement sur la base de l'article 58, alinéa 1, dans la mesure où M. Chevènement a tenu des propos qui portent directement atteinte à la dignité des élus insulaires et au crédit de l'Assemblée de Corse.

M. le Président - Je vous autoriserai à faire un rappel au règlement après le vote de la question préalable.

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur - J'ai écouté avec la plus grande attention le propos de M. Chevènement, qui ne m'a du reste guère surpris et où je n'ai trouvé aucun argument susceptible de me faire changer d'avis ! Je n'ai pas davantage l'intention, Monsieur le député, de polémiquer avec vous. Le Gouvernement -et vous en étiez- s'est saisi d'un problème auquel notre pays était confronté depuis trop longtemps et vous avez vous-même participé à la rédaction d'un certain nombre de dispositions que je défends aujourd'hui. Notre objectif essentiel est de régler les problèmes qui restent en suspens et de trouver les voies et moyens du règlement de la question corse dans la transparence et dans le respect de l'unité de la République.

La grandeur de la gauche (Murmures sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) est de faire appel à la responsabilité des élus républicains, dans le cadre d'une décentralisation à laquelle j'avais compris, Monsieur le député, que vous adhériez ! S'agissant de la Corse, l'organisation territoriale doit en outre être adaptée à la spécificité de l'île. Le processus porte ses fruits. Il devra se poursuivre, conformément aux engagements, et, évidemment, si les conditions sont réunies, parmi lesquelles figure le rétablissement de la paix civile.

Ceux qui soutiennent le texte, Monsieur le député, sont tous des républicains, et je tiens à vous le dire : vous n'avez pas le monopole de la République.

J'ai trouvé les Corses très absents de votre intervention. Pour ma part, je souhaite que ce projet, qui colle au cadre constitutionnel -dont le Gouvernement ne souhaite pas s'éloigner-, permette à la Corse, grâce à l'évolution du statut et à une politique de développement et de responsabilité des élus, de s'enraciner dans la République, dès lors qu'on aura reconnu sa spécificité et qu'elle sera apaisée.

M. Pierre Lellouche - « Apaisement » est bien le mot...

M. le Ministre - Vous avez dispensé les bons et les mauvais points, y compris à des fonctionnaires et à des élus. Ce n'est pas la vision que j'ai de la République. Etre républicain, c'est d'abord savoir rassembler plutôt que diviser (Applaudissements ironiques sur les bancs du groupe du RPR). Tracer un chemin pour la Corse dans la République, c'est pour les parlementaires une manière de ne pas renoncer à faire la loi, pour le bien du pays et l'intérêt général. Au nom du Gouvernement, j'appelle donc à repousser la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Sur la question préalable, je suis saisi par le groupe RCV d'une demande de scrutin public.

M. Pierre Albertini - Nous ne partageons pas les conclusions de M. Chevènement, même si nous partageons certaines de ses inquiétudes. La première concerne -point fondamental- le maintien de la Corse dans la République. La deuxième porte sur le nécessaire retour à l'état de droit, qu'appellent les Corses eux-mêmes. Je m'exprime en tant que citoyen français, et fier de l'être -car c'est partager une communauté de destin, d'histoire, et surtout, Monsieur Chevènement, d'avenir- mais qui est fier aussi d'assumer ses origines corses. Vous avez conclu qu'il n'y avait pas lieu de délibérer sur la Corse.

M. Jean-Pierre Chevènement - Sur ce projet !

M. Pierre Albertini - Franchement, comment peut-on soutenir, au vu des événements qui affectent l'île depuis trente ou quarante ans, qu'il n'y a pas lieu de délibérer ? On peut contester le projet ; on peut -nous y reviendrons- s'insurger contre son article premier. Mais notre rôle de législateur n'est pas de démissionner avant d'avoir débattu, amendé, voté.

J'en appelle à la conscience de chacun. Accepter la question préalable serait refuser au législateur de jouer son rôle. Nous ne sommes pas un organe de ratification : nous faisons la loi. Et parce que nous faisons la loi, nous tenons pour utile de débattre sur la Corse, non seulement sur son statut institutionnel, mais sur tous les problèmes que les Corses et les Français ressentent. Il est fondamental que ce débat ait lieu et aille à son terme. Nul ne peut soutenir sérieusement que la Corse ne mérite pas la réflexion du législateur. Nous rejetterons donc la question préalable (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UDF et du groupe du DL).

M. Michel Vaxès - Nous ne voterons pas la question préalable. L'intervention de M. Chevènement, sur le fond, relevait plutôt de la discussion générale, et je regrette qu'il n'ait pas fait ce choix. Dans quelques instants je développerai notre appréciation sur ce texte, et je ne veux pas anticiper : je m'en tiendrai dans l'immédiat à confirmer notre décision de ne pas voter la question préalable.

M. Jean-Yves Caullet - Il y a lieu, bien sûr, de débattre sur la Corse et son avenir au sein de la République. Ce serait une démission de notre part que de ne pas en discuter. La façon systématique dont M. Chevènement a développé sa thèse, la ferveur qu'il y a mise ne sauraient nous conduire à considérer qu'hors de cette thèse il n'est point de salut et de vérité. Comme si ouvrir le débat ne pouvait être que se compromettre et accepter la violence -que tous les démocrates condamnent. J'ai bien noté l'idée que la Corse ne devait pas être un enjeu de politique intérieure. Mais de même la République n'est pas un dogme, détenu par quelques-uns alors que les autres seraient aveugles, alors que nous partageons ses valeurs et la confiance dans son avenir. La République qu'on nous présente semble bien frileuse, et ses défenseurs bien craintifs sur son avenir. Je crois au contraire que la République et ses valeurs peuvent affronter l'avenir avec confiance, et le débat doit s'ouvrir devant le Parlement, qui porte les valeurs républicaines. L'histoire, dites-vous, ne retient que ceux qui savent dire non : peut-être retiendra-t-elle ceux qui auront repoussé cette question préalable... Mais surtout sachons nous souvenir qu'elle retient aussi ceux qui savent dire oui à l'avenir, oui aux valeurs de la République, oui au débat (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Nicolas Dupont-Aignan - Lamentable !

A la majorité de 140 voix contre 56, sur 198 votants et 196 suffrages exprimés, la question préalable n'est pas adoptée.

M. José Rossi - Rappel au Règlement. Je regrette profondément que M. Chevènement ait tenu des propos si fallacieux, et tout d'abord qu'il s'en soit pris nominativement aux membres de cette assemblée, ainsi qu'en interpellant et en prenant à témoin les personnes placées dans les tribunes du public, ce qui, comme vous le savez, n'est pas dans la tradition de cette assemblée. J'ai surtout été choqué et peiné des propos que vous avez tenus. Dois-je vous rappeler que les gouvernements successifs ont été incapables de garantir aux Corses cette première des libertés qu'est la sécurité ?

Quand vous étiez ministre, le préfet Erignac a été assassiné. Dois-je rappeler la façon dont vous avez exploité politiquement ce drame ? La manière dont vous vous êtes exprimé sur l'Assemblée de Corse, avec laquelle vous aviez des relations plutôt épisodiques, suggère que vous n'aviez pour elle aucune estime. Comment avez-vous pu faire semblant de dialoguer avec une assemblée que vous ne respectiez pas ? Si le préfet Bonnet a pu se laisser aller aux dérives que l'on sait, je comprends aujourd'hui, compte tenu du ministre de l'intérieur qui était son patron, comment il a pu aller jusque-là, et je le regrette profondément.

M. le Président - Nous sommes loin d'un rappel au Règlement. Il me semble donc naturel que M. Chevènement puisse répondre.

M. Jean-Pierre Chevènement - Je n'ai porté aucun jugement sur l'Assemblée de Corse. J'ai simplement dit dans quelles conditions elle avait retourné sa position entre le 10 mars et le 28 juillet 2000, et j'ai essayé de donner une explication rationnelle de ce retournement. Cela n'implique aucun jugement de valeur. Pour ma part, chaque fois que je me suis rendu sur l'île, j'ai reçu tous les élus et discuté avec eux de façon approfondie. Mon expression a toujours été modérée, et j'ai appelé à une application ferme mais sereine de la loi. Il peut y avoir dans le fonctionnement de l'Etat des choses qui échappent. L'assassinat du préfet Erignac nous a tous bouleversés, surtout ceux qui le connaissaient depuis longtemps. Cinq sur six de ceux qui l'ont assassiné étaient sous les verrous seize mois plus tard : ceux qui connaissent l'histoire des crimes de sang savent que c'est là un délai relativement court.

Il a fallu cinq ans avant d'identifier les assassins membres d'Action directe. Beaucoup de crimes sont demeurés non élucidés. Cessons donc de culpabiliser l'Etat, et rendons plutôt hommage au travail efficace de la police et de la gendarmerie, au lieu de les salir pour ouvrir la voie à un retournement de politique. Je n'oublie pas, quant à moi, ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie. Je ne vois pas ce qui légitime le rappel au Règlement de M. Rossi, qui peut s'exprimer comme il l'entend à la tribune. Je ne porte aucun jugement sur l'Assemblée de Corse, ni sur aucune autre (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV).

M. Roland Francisci - A tout seigneur tout honneur ; je commencerai donc en citant les propos tenus par le Premier ministre lors de son voyage en Corse en septembre 1999 : « Le premier problème de la Corse n'est pas celui de son statut, mais celui de la violence. Un nouveau statut ne servirait à rien, car il serait immédiatement ruiné par la violence ». « L'apprentissage obligatoire de la langue corse », ajoutait M. Jospin, « porterait atteinte aux libertés individuelles ». Le 27 octobre, il déclarait encore : « La France est un Etat unitaire. Un accroissement des pouvoirs locaux qui déboucherait sur trop de particularisme ou d'inégalité serait récusé ».

Le projet d'aujourd'hui ne s'inscrit pas dans le droit fil de ces déclarations, et ne plaide pas en faveur de la crédibilité qu'on doit accorder aux paroles du Premier ministre de la France.

Depuis deux siècles, la Corse a fait l'objet d'une trentaine de rapports, dont le fameux rapport Clemenceau de 1908, et de centaines de notes et de textes. Tous y compris le dernier rapport en date, celui de M. Glavany, soulignent la permanence des mêmes problèmes : faiblesse des infrastructures et du secteur productif, handicap insulaire, nécessité de combler les retards accumulés.

Depuis un quart de siècle sévit un phénomène nouveau, celui de la violence, porté à son paroxysme en février 1998 avec l'assassinat de M. Claude Erignac, préfet de la République, dont je salue tout particulièrement la mémoire. Cette violence décourage tous les investissements et stérilise toutes les initiatives, et donne de la Corse une image dévastatrice.

Face à cette situation qui n'a rien de mystérieux, la thérapeutique s'impose : il faut que cesse la violence, il faut prendre des mesures permettant à la Corse d'effectuer son rattrapage. Les propos publics du Premier ministre en Corse, pour ne rien dire de ses propos privés, exprimaient un accord sur ces deux points. Ils ont suscité l'adhésion de la population dans sa grande majorité, et auguraient bien de l'approbation des propositions à venir.

Hélas, trois fois hélas, le Premier ministre n'a pas tenu bien longtemps le cap. Dès novembre 1999, sans explication, il décidait de faire dériver le navire corse vers des rivages incertains et dangereux.

Renonçant au préalable de la cessation de la violence, il annonçait l'ouverture d'une concertation avec les élus, en fait avec les seuls membres de l'Assemblée de Corse, en précisant qu'aucun sujet ne serait tabou. Les nationalistes vont bientôt le prendre au mot et imposer la discussion de leurs revendications institutionnelles.

Pourquoi ce recul ? Le Premier ministre semble avoir été impressionné par deux attentats spectaculaires contre les bâtiments de l'URSSAF et de la DDE d'Ajaccio. Mais si la politique de la France peut être infléchie par deux charges de plastic, nous avons des inquiétudes à nous faire pour l'avenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et sur quelques bancs du groupe UDF) Je ne doute pas de la volonté du Premier ministre de bien faire, et nombre de mesures contenues dans le projet sont bienvenues. Certaines font d'ailleurs partie des treize propositions pour l'avenir de la Corse que je lui avais adressées en mars 2000.

Malheureusement il est impossible de faire abstraction du contexte qui est inquiétant. Le problème corse n'a jamais été d'ordre institutionnel. Ni le rapport Glavany ni le rapport Forni n'a jugé souhaitable de doter la Corse d'un nouveau statut. Malheureusement le Premier ministre n'a tenu aucun compte de leur avis. La Corse a reçu un statut spécial en 1982, puis un autre en 1991, réputés conduire à la fin de la violence. On sait ce qu'il en a été. Je crains qu'il en aille de même pour ce projet-ci. Au reste, à part les nationalistes, personne ne réclamait un nouveau statut. Le rapport Glavany, approuvé à l'unanimité des trente membres de la commission, conclut que « la relance d'un débat visant soit à modifier fortement le statut de 1991, soit à rechercher pour la Corse une appartenance à une autre catégorie de collectivité territoriale, constituerait une man_uvre ou du moins un comportement dilatoire ». Les parlementaires qui ont voté ce rapport vont-ils se déjuger ?

Cette position de bon sens aurait dû inciter le Premier ministre à consulter la population, ou à tout le moins les 476 élus de la Corse, et non pas seulement les 51 conseillers territoriaux.

Or, le Gouvernement a fait de l'Assemblée territoriale son seul interlocuteur. Il lui a conféré un véritable pouvoir constituant alors que, selon une décision du Conseil constitutionnel de 1991, elle a un caractère administratif, et alors que ses membres, à l'exception des nationalistes, n'avaient jamais fait campagne en faveur d'un nouveau statut.

Les réunions de Matignon se sont focalisées sur les revendications des nationalistes qui ne représentent pourtant que 10 % de l'électorat !

Le rapport Forni rappelle que « la qualité d'interlocuteur ne doit pas être reconnue aux personnes continuant ou refusant de condamner la violence terroriste ». Malgré cette sage recommandation, les nationalistes ont été les interlocuteurs privilégiés du Gouvernement, allant jusqu'à déclarer, non sans raison, que tout ce qu'ils avaient obtenu c'était par la violence, et que le processus de Matignon avait été exclusivement alimenté par leurs idées.

Leur chef de file ne manque jamais de dire qu'il ne s'est jamais senti Français et qu'il ne chantera jamais la Marseillaise. Voilà avec qui vous voulez décider de l'avenir de la Corse qui est une région française à part entière. Ce n'est ni juste ni acceptable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et sur quelques bancs du groupe UDF)

Tout s'est passé comme si ces 10 % renforcés par la menace du plastic pesaient plus que les 90 % de la population apeurée. Cela n'est pas tolérable en démocratie. Cette pression permanente des nationalistes vous a conduit à accepter nombre de leurs revendications tout en sachant qu'elles n'étaient guère conformes à la Constitution.

Saisi, le Conseil d'Etat, qu'on ne peut soupçonner d'esprit partisan, a appelé l'attention du Gouvernement sur le caractère inconstitutionnel de certains articles. Par entêtement, vous avez passé outre. Le Président de la République, gardien des institutions, a rappelé que le pouvoir législatif était de la compétence exclusive du Parlement, le pouvoir réglementaire de celle du Gouvernement. Les ingénieux néologismes de « pouvoir législatif encadré » ou « partagé » ne font pas partie de notre arsenal constitutionnel.

Conscient de ce dérapage, votre prédécesseur avait soumis un projet « à la limite de ce qui était acceptable du point de vue de l'Etat républicain. » Répondant au problème de la Corse, il aurait recueilli l'adhésion la plus large. Le Premier ministre l'a rejeté, M. Chevènement a démissionné, de même que M. Zuccarelli.

Pourquoi un tel entêtement ? Voulez-vous faire de la Corse un laboratoire ? La grande majorité des Corses ne veulent pas jouer le rôle de cobayes. Si le projet ne vise que la Corse, il met l'île en marge de la République, avant de la mettre en dehors, sous le souffle de quelques charges de plastic.

Si l'on pouvait faire abstraction du contexte, votre projet mériterait peut-être un regard plus bienveillant. Mais il s'inscrit dans un contexte de concessions aux nationalistes, de chantage à la violence. Puis il comporte cette bombe à retardement du changement constitutionnel de 2004 vers l'indépendance. Le chef de file des indépendantistes, principal négociateur des accords de Matignon, dit : « Le véritable enjeu, c'est 2004 ». Et pour certains, le Gouvernement prend là un engagement que lui-même ou ses successeurs seront invités à honorer.

Votre politique mettra fin à la violence, direz-vous. Comment y croire, alors que ceux qui la pratiquent, refusent de déposer les armes et ceux qui la couvrent, ne cessent de la brandir en refusant de la condamner ? Qui peut croire à la fin de la violence, alors qu'en 2000, malgré la trêve annoncée, il y a eu en Corse 196 attentats, 14 meurtres, 26 tentatives d'homicides, et que les attentats récents contre des gendarmeries ont été revendiqués par le FLNC ? Qui peut croire à la paix alors que des personnes cagoulées distribuent des tracts en plein jour dans plusieurs villes de Corse ?

En définitive, vous avez négocié avec des interlocuteurs dont vous ne connaissez pas les visages.

M. le Ministre - De grâce, pas vous !

M. Roland Francisci - Même si le Parlement corrige les dispositions peu conformes à la Constitution, vous avez enclenché bien légèrement un mécanisme centrifuge, susceptible de porter atteinte à l'unité du pays et à l'égalité des citoyens devant la loi.

Je reconnais néanmoins les points positifs du projet en matière économique et sociale. Et certes vous avez modifié l'article premier par souci de la Constitution. Les juristes diront si elle est respectée. Votre objectif n'en reste pas moins d'amorcer un transfert du pouvoir législatif et réglementaire.

Est-ce vraiment coïncidence si le 13 mai s'est constitué le parti Indipendanza, qui ne condamne pas la violence ni la clandestinité ?

Dans ces conditions, en approuvant votre projet, en cautionnant son exposé des motifs, j'aurais le sentiment de trahir et la Corse et la France.

M. Pierre Lellouche - Très bien.

M. Roland Francisci - J'aime la Corse et j'aime la France. Je suis persuadé que vous partagez ce double attachement. Aussi, faites en sorte -il en est peut-être encore temps- de ne rien accepter ou entreprendre qui puisse les éloigner l'une de l'autre, dans l'intérêt de la Corse, de la France, de l'unité de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, sur de nombreux bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe UDF).

M. Michel Vaxès - Nous avons l'intention de participer au débat de façon constructive. A l'évidence, après l'odieux assassinat du préfet Erignac et le triste épisode qui suivit, il fallait trouver pour la Corse une solution qui assure son essor en respectant sa singularité, contribuant ainsi à l'enrichissement de l'ensemble de la nation.

Mais à nos yeux cette entreprise difficile n'a jamais nécessité d'écrire, pour une seule région, un nouveau chapitre institutionnel. Selon la commission d'enquête présidée par Jean Glavany, ce n'est là ni un impératif ni un préalable, et les deux priorités sont le rétablissement de l'Etat de droit et le développement économique et culturel. Le rapport de Christian Paul, adopté à l'unanimité des groupes politiques de l'Assemblée, soulignait même les inconvénients majeurs d'une telle démarche. Enfin, c'est le Premier ministre lui-même qui déclarait le 6 septembre 1999 : « le problème n'est plus institutionnel ». Aux dernières élections régionales les forces politiques corses, sauf les nationalistes, demandaient une pause institutionnelle.

Pour autant, il devient urgent de transformer la République, mais pour laisser s'exprimer la singularité de chacune de nos régions, non de la Corse seule. La République doit pour cela s'affranchir d'un modèle étatiste, réducteur et appauvrissant et porter loin les objectifs de la démocratie citoyenne et de la décentralisation. Nous voulons ouvrir ce grand chantier, mais dans le seul cadre approprié, celui du territoire national dans son ensemble. D'ailleurs l'Assemblée territoriale de Corse allait dans le même sens le 10 mars 2000 en votant pour une décentralisation poussée dans le cadre des institutions de la République par une majorité de 26 élus, dont ceux du parti communiste, une partie du MRG et du RPR contre les nationalistes et la droite libérale.

Le relevé de conclusion du 10 juillet ne comportait ni transfert de pouvoir législatif, ni suppression des départements. C'est dans les derniers jours du mois que furent introduites ces modifications de grande ampleur. Les unes se retrouvent ici dans l'exposé des motifs et sont renvoyés à 2004 ; les autres s'appliqueraient au 1er janvier 2002.

Dès lors les priorités se sont inversées. Le débat public s'est trouvé projeté sur le terrain institutionnel, au point que les problèmes de développement économique, de réduction des inégalités sociales, de rattrapage des retards en matière d'infrastructures et de services publics n'ont quasiment plus été évoqués.

Trop de monde a trouvé intérêt à ce glissement, dans la perspective de combats bien éloignés des attentes concrètes des Corses. Certains ont saisi cette occasion pour porter plus haut encore l'étendard ultra-libéral, doublé de l'écusson d'une Europe fédéraliste. D'autres se sont trop rapidement parés des plus hautes vertus de la République pour affirmer leur attachement à un jacobinisme borné.

Aurait-on pu éviter une telle dérive du débat ? A l'évidence oui, si comme l'avaient préconisé les communistes de l'île et du continent, la population corse avait été directement associée à la préparation des mesures.

Peut-on encore sortir de l'ornière ? A l'évidence oui, si les Corses participent au processus de décision.

On nous a opposé un argument juridique à la consultation que nous réclamions ; or nous ne demandions pas l'organisation d'un référendum, mais l'ouverture d'un grand débat public. Les juridictions administratives ont toujours validé les consultations territoriales. Nous avons rédigé une proposition de loi visant à inscrire dans notre droit positif la possibilité pour toutes les collectivités territoriales d'organiser, sur les questions d'importance, de larges débats citoyens. Son adoption aurait permis de revenir sur le terrain des vraies préoccupations de la population corse.

Nous restons convaincus que ce serait une erreur, lourde de conséquences, de continuer à s'en tenir au seul dialogue avec les élus. Il faut entendre la voix du peuple.

L'apaisement de l'île et son développement durable ne peuvent résulter que d'un juste équilibre entre l'affirmation de l'Etat de droit et l'expression d'une solidarité nationale, assortie de dispositions réglementaires permettant de veiller à la bonne utilisation des moyens financiers accordés. Cet équilibre ne saurait être trouvé en dehors des Corses eux-mêmes : le Gouvernement et les élus doivent les associer à son élaboration.

L'un des sujets sensibles est l'enseignement des langues régionales. L'apprentissage d'une langue n'est pas un handicap pour la maîtrise de la langue officielle de la nation, ni une menace pour l'unité nationale : il est au contraire une source d'enrichissement et un vecteur d'intégration, comme le confirment de nombreuses études sur le bilinguisme et le multilinguisme. Cet apprentissage doit être proposé à tous les enfants dès l'école maternelle, mais il ne saurait leur être imposé. Se refuser à laisser mourir les langues de France, c'est reconnaître l'identité de la nation française, riche de la diversité de ses composantes.

Monsieur le ministre, nous abordons ce débat avec la volonté de saisir toutes les possibilités de réaliser des avancées sensibles sur la voie de l'apaisement et du développement de la Corse. Ces avancées supposent que nous ôtions à ce texte ses ambiguïtés, la plus importante concernant le pouvoir d'adaptation législative. Nous concevons sans aucune difficulté qu'un important transfert de compétences s'accompagne de possibilités d'adaptation des dispositions réglementaires. Encore convient-il de veiller à la cohérence des politiques nationales et territoriales.

Nous souhaitons que soient accordés aux collectivités territoriales ainsi qu'aux citoyens des droits d'initiative législative et de débat public, s'accompagnant naturellement d'un pouvoir de contrôle et d'évaluation de l'application des lois. Mais la cohésion de la Nation et l'unité de la République exigent que le Parlement conserve la responsabilité du vote de la loi.

Nous avons toujours considéré qu'il était indispensable de rechercher une égalité sociale réelle, laquelle suppose, lorsque les situations sont différentes, d'apporter des solutions différenciées. En revanche, nous ne voulons pas entrer dans une logique de privilège. Nous serons donc particulièrement attentifs à la définition des pouvoirs d'adaptation.

Dernier point, et l'un des plus importants, bien qu'il n'ait reçu, curieusement, aucun écho dans les médias : je veux parler du programme exceptionnel d'investissement. La Corse, comme bien d'autres régions françaises, peine à apporter sa contribution financière à la réalisation du contrat de plan ; il est bon que ce plan soit enrichi d'un programme exceptionnel, mais demander à la Corse d'y participer pour 30 % risque fort d'en compromettre la réalisation. C'est une question à laquelle il faudra répondre. Si l'on ne peut disconvenir de la nécessité de responsabiliser tous les partenaires concernés, il appartient aussi à l'Etat de rechercher tous les moyens de rattraper le retard causé au développement de l'Ile de Beauté par ses propres insuffisances, afin que la Corse fasse bénéficier longtemps encore la République de ses vertus prémonitoires -et réciproquement, ou bien alternativement, selon les siècles ou les épreuves du moment... (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. Pierre Albertini - Je veux poser, au nom de l'UDF, trois grandes questions.

Un nouveau statut institutionnel garantirait-il le retour de la paix civile en Corse, son développement économique et culturel ? A l'évidence, non, et j'espère que le Gouvernement ne se montrera pas oublieux de l'histoire récente au point d'affirmer le contraire, même si l'on peut observer que la réflexion institutionnelle a tendance, aujourd'hui comme hier, à épuiser la réflexion tout court, si ce n'est à servir d'alibi pour éviter de parler des choses sérieuses, comme la continuité territoriale, les retards d'équipement et de développement, la sécurité, ou encore l'esprit d'initiative et d'entreprise des acteurs économiques. J'insiste d'autant plus pour que l'on ne passe pas ces aspects sous silence, que l'exposé des motifs du projet envisage une révision constitutionnelle en 2004, révision qui pourrait faire disparaître les deux départements et donner un pouvoir législatif, définitif celui-là, à l'Assemblée de Corse. Voilà qui nous rend dubitatifs.

Deuxième question : les accords de Matignon sont-ils équilibrés, c'est-à-dire comportent-ils les contreparties normales que devrait comporter toute rencontre de volontés ? Nous observons au contraire que seul le Gouvernement s'est engagé, les autonomistes - ou indépendantistes - ne perdant pas une occasion, quant à eux, de rappeler qu'ils ne se sentent tenus à rien, pas même à faire revenir la paix civile. Quant au rôle du Parlement, le Gouvernement semble en avoir une conception des plus restrictives, nous demandant de ratifier le texte sans presque l'amender, « c'est à prendre ou à laisser », « circulez, il n'y a rien à voir » (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), ce qui est évidemment inacceptable, car notre rôle est bien de faire la loi de la République (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

Troisième question, et non la moindre : pouvons-nous refuser à la Corse une nouvelle chance de retrouver la paix civile et le chemin du développement ? Quelle que soit notre perplexité, nous ne le pouvons pas, car ce serait passer à la conclusion avant d'avoir tenté la démonstration, et c'est pourquoi nous avons rejeté, tout à l'heure, la question préalable. On sait pourquoi et comment la Corse a basculé, dans les années 60-70, dans le drame de l'enfermement, dans une sorte de tragédie grecque - qui se termine généralement, on le sait aussi, par la mort de tous les protagonistes... Les responsabilités sont partagées : lourdes sont celles des gouvernements successifs, qui ont fait preuve d'une cécité quasi-totale devant les aspirations des insulaires, et ont choisi de diviser pour régner, de distribuer faveurs et subventions pour maintenir la Corse sous assistance, au lieu de concevoir une vision à long terme, mais il faut reconnaître, d'un autre côté, que les Corses eux-mêmes ont trouvé assez confortable d'arguer des carences de l'Etat pour ne pas voir leurs propres turpitudes ou, plus simplement, leurs propres insuffisances - patentes, en particulier, pour ce qui est de l'esprit d'entreprise, et je ne m'exclus pas du lot...

Est-il possible, aujourd'hui, de sortir de cette situation par le haut ? Il y a au moins deux aspects positifs, reconnaissons-le, dans le projet qui nous est soumis. Le premier est l'extension des compétences de l'assemblée territoriale, car le législateur de 1991 était resté au milieu du gué. Il est essentiel que la Corse trouve elle-même les chemins de ce qu'elle souhaite en matière d'aménagement, de développement, de culture, de patrimoine, de tourisme, et il lui sera désormais difficile de s'abriter derrière les insuffisances de l'Etat. Le second point positif est la reconnaissance, dans la nouvelle version rédigée par le Rapporteur, de la faculté d'expérimentation : c'est une notion à laquelle l'UDF est très attachée, et qui a d'ailleurs fait l'objet d'une proposition de loi de Pierre Méhaignerie, que l'Assemblée a votée.

Reste qu'entre l'adaptation et la dérogation, il y a une différence de taille, que tous les juristes connaissent. Nous disons oui à des adaptations mineures, non à des dérogations qui iraient à l'encontre de la loi elle-même. Or, vous vous êtes échinés à concevoir, dans l'article 1er, un pseudo-pouvoir d'adaptation qui, malgré le rabotage auquel vous avez procédé pour éviter les foudres du Conseil constitutionnel, reste compliqué et, pour tout dire, inapplicable -ce qui est peut-être, soit dit en passant, sa plus grande vertu. Mieux aurait valu se contenter de transférer de nouvelles compétences et d'ouvrir la voie à l'expérimentation que d'engager ce chantier des plus incertains.

Prenons l'exemple de la loi littoral. Je suis de ceux qui pensent que la règle des cent mètres inconstructibles doit valoir pour toutes nos côtes, qu'elles soient bretonnes ou corses, et je suis donc extrêmement inquiet à l'idée qu'en y apportant des « adaptations » canton par canton, on puisse aboutir à défigurer des sites admirables.

S'agissant des droits de succession, il n'est que temps de faire entrer la Corse dans le droit commun car nos villages se meurent du maintien de la moitié de leurs constructions dans l'indivision (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UDF).

Enfin, il est essentiel que l'enseignement de la langue corse reste vraiment facultatif afin que les parents qui désirent y soustraire leurs enfants ne subissent pas une pression sociologique contre laquelle ils n'auraient pas la possibilité réelle de résister.

Nous sommes donc favorables à une spécificité administrative de la Corse que justifient son insularité et son histoire mais résolument hostiles à une évolution subreptice de son statut qui l'amène à se dégager de l'ensemble français auquel elle est si étroitement liée.

La fonction de la loi est d'exprimer un message clair, pas de créer des dispositifs incompréhensibles dans lesquels nul ne peut se retrouver.

Le groupe UDF aborde ce texte dans un esprit de grande ouverture et reste très partagé pour le vote qui interviendra mardi prochain. Nous considérons du reste que chaque député est libre de se déterminer en conscience à l'issue du débat parlementaire. Nous aurions cependant préféré connaître vos intentions en matière de décentralisation avant d'aborder ce projet. Vous avez déclaré, Monsieur le ministre, que vos projets en la matière n'étaient pas enterrés mais le rapport Mauroy vous a été remis en octobre 2000 et nous ne voyons rien venir. N'eût-il pas été préférable de situer la Corse dans un mouvement beaucoup plus large de décentralisation ? S'il est légitime de reconnaître la spécificité de la Corse, n'est-il pas temps de répondre aussi aux aspirations légitimes des autres régions à plus d'autonomie administrative ?

Notre groupe proposera plusieurs amendements à ce texte et se déterminera dans le vote à l'issue du débat (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe RPR).

M. Forni remplace M. Ollier au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

M. Jean Pontier - C'est un doute que je vais exprimer à cette tribune, un doute qui n'est pas encore près de se dissiper et qui m'empêche d'adhérer sans réserve à ce texte.

Je tiens cependant à dire d'emblée qu'après les errements de ces trois dernières décennies dans la gestion du dossier Corse, son traitement politique actuel par Lionel Jospin peut être considéré comme bien-fondé. Avait-il du reste d'autres choix ?

Qu'elles soient statutaires ou policières, avouables ou inavouables, toutes les solutions proposées, jusqu'à présent ont échoué à rétablir la paix civile en Corse.

C'est pour cette raison que je considère comme positives les discussions conduites par Matignon, connues sous le nom d'« accords de Matignon » alors même que l'appellation ne semblait devoir s'appliquer qu'à la Nouvelle-Calédonie. Mais il n'y a ici ni Jean-Marie Tjibaou ni Jacques Lafleur, ni le passé colonial oppressant qui prévaut en d'autres territoires. Il serait dès lors hasardeux de comparer la Corse et la Nouvelle-Calédonie.

Je ne suis, pas plus que le Premier ministre à l'origine des accords de 1989 concernant la Nouvelle-Calédonie, l'homme des excès. Or, dans une tribune parue récemment, Michel Rocard résumait d'une phrase une opinion commune : « Les Français en ont assez des problèmes corses ». Lionel Jospin a donc eu raison de choisir la méthode du dialogue, même si le texte qui nous est soumis n'aurait dû être qu'un chapitre de la politique de décentralisation, qui doit nous conduire vers cette VIe République que les radicaux appellent de leurs v_ux.

La majorité des parlementaires radicaux de gauche auraient préféré examiner le dossier de la troisième étape de la décentralisation dans sa globalité. Une telle démarche aurait permis un débat plus court et dégagé de toute pression extérieure.

Pression, disais-je, car comment faut-il sinon interpréter la création ce week-end par quatre organisations nationalistes corses d'un nouveau parti indépendantiste dont l'une des premières exigences a été de réclamer que les emplois dans l'île soient réservés aux Corses ?

Nous devons répondre à nos doutes par un surcroît de vigilance : entre la centralisation étatique et les abandons de souveraineté, il existe une voie médiane fondée sur la décentralisation. Nous devons donc poursuivre le débat dans le respect des valeurs communes à la France et à l'Europe. Il est de notre responsabilité de baliser l'avenir de la Corse dans la République en sachant éviter les écueils. Une bombe corse n'est pas, forcément, une revendication politique. Ne tombons pas dans une analyse simpliste : le langage de la violence est contre-productif et la majorité des Corses est opposée à toute forme de sécession. Les manifestations de force, la menace ou le chantage ne peuvent conduire à des solutions raisonnables.

Engagés dans un processus qui doit rester strictement encadré, nous sommes confrontés à des nationalistes qui plaident habilement leur cause en soufflant le chaud et le froid. Minoritaires mais efficaces, ils progressent dans leur entreprise de guérilla politique. Nous en arriverions presque à oublier qu'ils ne condamnent toujours pas l'assassinat du préfet Erignac, comme le fait remarquer, révolté, notre ami Roger Franzoni, député de Haute-Corse, malheureusement alité depuis quelques jours alors qu'il se faisait un devoir de participer à cette discussion.

Depuis le 28 juillet dernier, Roger Franzoni fait partie des voix qui font entendre leur désaccord sur l'avenir statutaire de l'île. Il s'insurge en effet contre la suppression de deux départements, la dévolution à l'Assemblée de Corse d'un pouvoir législatif encadré, le transfert des compétences, l'enseignement de la langue corse quasi obligatoire à l'école et l'évolution inquiétante de la loi littoral. Bref, il refuse que la Corse soit placée dans une case institutionnelle particulière.

Nous avons certes noté avec satisfaction que plusieurs évolutions positives avaient été annoncées sur des articles emblématiques du projet de loi, s'agissant notamment des compétences dévolues à l'Assemblée territoriale. Il y a lieu cependant de s'interroger sur la nouvelle rédaction de l'article L. 4424-1 du code des collectivités territoriales grâce auquel « L'Assemblée règle par ses délibérations les affaires de Corse », c'est-à-dire de toutes les communes. J'attends, Monsieur le ministre, que vous justifiiez cette rédaction audacieuse.

S'agissant de l'article 7, qui tend à proposer la langue corse dans l'offre éducative, selon une rédaction dite polynésienne, la possibilité ainsi offerte ne doit pas apparaître comme contraignante.

Enfin, nous sommes attachés à la préservation du littoral corse qui est le moins urbanisé de France. Nous vous demandons instamment de le protéger et nous militerons pour une application stricte du contrôle de légalité. Nos collègues du pourtour méditerranéen savent ce que trente ans d'urbanisation agressive ont fait de leurs côtes !

A côté de ce doute dont je vous ai fait part, il y a le pari que lance Lionel Jospin.

Il s'agit d'une première étape, que nous demandons à la population de Corse, bien trop absente du débat et peut-être trop résignée, de soutenir. Au-delà des divisions claniques et de cette pesante loi du silence qui choque beaucoup nos concitoyens, nous serons attentifs à l'accueil que les Corses entendent réserver à cette démarche car l'évolution qui s'engage aujourd'hui doit être voulue et non imposée. En ces heures qui comptent parmi les plus importantes de la Législature, je mesure le poids de nos responsabilités.

Nous ne disposons cependant que de peu de temps pour traiter un dossier dont les Corses attendent beaucoup.

Kant s'insurgeait contre la thèse du temps stationnaire : l'avenir sera autre ! Sa vision persiste dans les représentations de nos concitoyens. Ils conçoivent mal que le progrès puisse s'arrêter, que le niveau de vie cesse d'augmenter, que la paix civile ne puisse s'installer... Ce temps ascendant, la majorité des radicaux y adhèrent : pour eux, malgré ses imperfections et ses risques, le pari lancé par Lionel Jospin mérite d'être soutenu (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

Mme Nicole Ameline - Parce que nous sommes décentralisateurs, et que nous savons que la France moderne se construira sur les principes d'autonomie, de responsabilité et de diversité ; parce que nous comprenons les aspirations d'une île qui puise son âme dans son histoire, sa culture, son prestige et ses tragédies -nous souhaitons que l'avenir de la Corse s'inscrive dans un processus démocratique et décentralisé au c_ur de la République. Celle-ci, pour être indivisible, n'a jamais été monolithique : elle a su très tôt s'ouvrir à la spécificité de certains territoires. Mais ces adaptations institutionnelles ont toujours été conçues comme des exceptions, privées de toute valeur d'exemple. En 1982, puis en 1991, la Corse est entrée dans cette logique, inspirée du modèle de l'outre-mer. L'étape qu'on nous propose aujourd'hui confirme cette logique.

Nul ne saurait, naturellement, contester la nécessité de répondre aux difficultés que connaît la Corse, comme José Rossi, président de l'Assemblée de Corse, l'a soutenu avec mesure, justesse et un indéniable sens des responsabilités. Nul ne conteste la singularité de ce territoire. Mais il faut s'interroger sur la légitimité et l'opportunité, dans la France et l'Europe modernes, d'un processus d'autonomie fondée sur une logique d'exception. Tel ne fut pas toujours, d'ailleurs, le destin de la Corse : depuis sa cession à la France par la République de Gênes, et malgré quelques accidents de l'histoire, elle a été toujours plus liée au continent, juridiquement et politiquement. Cette intégration à la République s'est certes heurtée aux obstacles nés d'une histoire douloureuse, d'une certaine culture de résistance, ainsi que des pratiques et des solidarités propres à l'esprit insulaire. La Corse est restée cette société à distance, ancrée dans un modèle ancestral, éloignée du développement économique, et où les classes sociales n'ont jamais remplacé les clans familiaux.

La politique ne se réduit pas à régler les crises à court terme, mais doit construire un projet de société. Nous entendons soutenir la Corse ; mais ce dont elle a besoin est moins qu'on fasse d'elle une exception qu'un exemple réussi de décentralisation.

Modèle ou exception ? Vous avez opté, Monsieur le ministre, pour la voie particulière : celle d'une autonomie régionale, sous-tendue par un projet dont la portée est moins dans ce qu'il dit que dans ce qu'il prépare. Or on ne saurait longtemps conduire isolément des logiques de décentralisation, alors que partout monte l'exigence d'une nouvelle démocratie de proximité. Ce n'est pas en l'ignorant qu'on préservera la cohésion nationale. Comment ne pas accorder tôt ou tard aux Bretons, aux Alsaciens ou aux Normands ce que vous voulez octroyer aux Corses ? Et je le dis alors même que tous les élus locaux partagent le sentiment d'une véritable recentralisation, administrative, fiscale et financière.

De même, conforter la Corse dans une exception institutionnelle, n'est-ce pas risquer de l'isoler politiquement, alors qu'elle a plus que jamais besoin de solidarité nationale ?

C'est ce débat sur la décentralisation que nous aurions souhaité. La Corse y aurait eu toute sa place, comme toutes les régions de France, dans une vision moderne de la diversité fondée sur la dynamique des territoires. Nous aurions eu ce débat si vous n'aviez renoncé à inscrire votre politique dans l'espace et dans le temps.

Quelles sont les motivations de ce projet ? Rétablir la paix civile ; combler le retard économique ; renforcer l'identité culturelle. La question corse ne se poserait pas de la même façon sans la violence qui secoue l'île depuis un quart de siècle, et conduit à des situations aussi indignes de la République que l'assassinat impuni d'un de ses préfets. La mise en place de ce plan, fondé sur une pédagogie de la responsabilité, doit permettre -sans toutefois le garantir- de substituer à cette violence d'autres valeurs. Vous considérez que cette violence est moins une arme de rupture avec l'Etat qu'une demande de reconnaissance politique, et qu'un nouveau processus démocratique et institutionnel intégrera, en les pacifiant, les revendications les plus extrêmes. Il est vrai que l'immense majorité des Corses condamne cette violence. Mais comment l'Etat conciliera-t-il cette ouverture, certes positive, avec le retour de l'état de droit ? Le doute est permis : la violence perdra certes de sa justification prétendument politique, mais le Gouvernement doit veiller à ne pas accréditer l'idée que ces accords traduisent une reconnaissance politique de la violence plutôt qu'une volonté établie de l'Etat. La négociation, du reste assez théâtralisée et éloignée de nos pratiques républicaines, appuyée de plus sur les récentes déclarations de mouvements extrémistes, peut nourrir cette ambiguïté.

Ce projet est présenté à droit constitutionnel constant. Dans sa version initiale, certaines dispositions des plus importantes appelaient légitimement des réserves constitutionnelles. La nouvelle rédaction de l'article premier ne les lève pas totalement, s'agissant de l'unité de la République. Entre respect de la Constitution et respect des accords, la voie est donc étroite pour le Gouvernement.

L'article premier conforte le droit de proposition : il existait déjà mais les raisons de sa non mise en _uvre mériteraient un examen approfondi.

S'y ajoute un pouvoir d'adaptation réglementaire et législative. L'assemblée régionale pourra ainsi adapter les règlements dans le cadre de ses compétences dont le champ est grandement élargi. Ce sera là une des pierres angulaires de la réflexion sur la décentralisation.

Le fondement juridique en est une décision de 1993 du Conseil constitutionnel, qui cependant ne semble pas permettre une délégation aussi générale, ni lever l'ambiguïté sur la nature hybride -législative ou réglementaire- des actes pris dans ce cadre. Le droit d'adaptation législative conféré à l'assemblée régionale s'inscrit dans le cadre de l'expérimentation législative ; mais son objet est de portée assez générale, et excède la portée de la décision du Conseil constitutionnel. On peut du reste s'interroger sur la capacité à terme de notre Constitution à s'adapter à un contexte aussi évolutif. De norme fondatrice de tout l'ordre juridique, notre loi fondamentale semble de plus en plus appelée à devenir un instrument de justification a posteriori de décisions circonstancielles...

Ce texte n'échappe donc pas au risque d'inconstitutionnalité. Quelle sera la portée des décisions ainsi prises ? Quels en seront les critères d'appréciation ? La spécificité sur laquelle se fonde le dispositif renvoie-t-elle à des critères objectifs liés à la situation réelle de l'île, ou à une appréciation subjective de ce qu'elle est ? Comment s'exercera le contrôle de légalité ? Jusqu'où le pouvoir d'adaptation ? Peut-il aller jusqu'à la substitution totale de normes locales aux règles communes ? Adapter la loi, est-ce pouvoir y déroger ou s'en exclure ?

Ces transferts de compétences sont importants. Leur logique est celle des blocs de compétence, dans le but de permettre à la Corse de construire son propre modèle de développement économique. C'est un processus novateur et positif, mais les spécificités corses justifient-elles un transfert aussi large, notamment en matière de protection de l'environnement ?

La langue corse, pour sa part, est porteuse de valeurs culturelles et politiques. Il a fallu cent quatre-vingts ans pour obtenir sa reconnaissance comme langue régionale. Chaque langue représente une vision unique du monde, un héritage pour l'humanité. L'exigence de préserver ce patrimoine est légitime, et nous y sommes favorables. On peut d'ailleurs, en l'enseignant, y ajouter certaines valeurs républicaines, apprendre par exemple à chanter la Marseillaise -dont vous pourriez, Monsieur le ministre, faire communiquer le texte à M. Talamoni... Mais si les enfants corses doivent pouvoir retrouver leurs racines, il leur faut aussi construire leur avenir.

Loin d'envisager la généralisation de ce statut à l'ensemble des régions françaises, la seconde étape proposée entend, par voie constitutionnelle, en confirmer le caractère dérogatoire. L'île aura donc un statut « à part », quelque part entre les TOM et la Polynésie... La Corse serait-elle donc plus proche de la Calédonie que de l'Auvergne ou de l'Aquitaine ?

C'est l'Etat qui aujourd'hui, faute de vouloir se réformer et d'engager une loi audacieuse et ambitieuse, risque de transformer, au-delà de la Corse, la France en exception institutionnelle. Au moment où nous envisageons une fédération européenne d'Etats nations nous avons besoin d'une décentralisation organisée et ambitieuse.

Sur ce projet, la liberté de vote sera la règle au sein du groupe Démocratie libérale, car les réserves sont nombreuses et ne permettent pas une adhésion massive. A titre personnel je m'abstiendrai, avec le ferme espoir que ce débat permette de restituer le véritable enjeu de l'avenir de la Corse, au c_ur de la République, et dans un cadre européen et décentralisé (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et sur quelques bancs du groupe du RPR)

M. Jean-Yves Caullet - Les conditions dans lesquelles ce texte nous parvient sont originales et porteuses d'espoir. Les particularités de la Corse ont fait sa richesse, dans le cadre de liens très anciens avec la France. Mais, depuis vingt à vingt-cinq ans elles ont créé une sorte d'impasse, et la violence, peu à peu devenue habituelle, a enfermé une société qui ne demande qu'à se développer, à s'exprimer démocratiquement sur son avenir, à entrer, libre et responsable, dans le XXIe siècle. Voilà l'enjeu du projet, et les raisons pour lesquelles il était urgent de rétablir dans son rôle la représentation démocratique en Corse, pour choisir l'avenir de l'île.

Voilà le sens à donner à la démarche du Gouvernement qui a souhaité renouer le dialogue avec les élus de l'île et élaborer dans la transparence un projet propre à sortir de l'impasse.

La vertu de ce dialogue est d'avoir eu lieu sans compromissions, en particulier avec la violence, qu'il s'agit précisément de marginaliser puis d'éradiquer par ce dialogue même ; sans renoncements non plus, car il est légitime, en démocratie, que des points de vue différents voire opposés s'expriment. Le texte n'a donc pas pour objet d'aplanir toutes les divergences entre les élus de la Corse ni entre les parlementaires.

Son objet est bien plutôt de rendre à chacun confiance dans l'avenir de l'île. C'est cette force là qui doit prendre le dessus sur les dérives auxquelles aucune politique n'est parvenue jusqu'ici à soustraire la Corse. Il ne s'agit pas de donner ici des solutions définitives à tous les problèmes, mais de tracer la voie de la responsabilité pour les élus, qui permet seule de faire rentrer la conduite des affaires de l'île dans le cadre des valeurs de la République.

Nous mesurons bien l'enjeu, qui dépasse les clivages partisans. Je vois là un signe supplémentaire d'espoir. Il nous appartient aujourd'hui de fixer le cadre d'un débat large et ouvert sur l'avenir.

Le texte comporte des aspects à la fois institutionnels, économiques et fiscaux. L'article premier relatif aux adaptations législatives a particulièrement retenu l'attention, et l'article 7, portant sur l'enseignement de la langue corse a suscité de nombreux et riches débats sur la place des langues régionales.

A l'article premier, la voie était étroite, Mme Ameline l'a dit avec raison.

Fallait-il renoncer pour autant ? Non, il fallait oser définir une méthode qui, respectueuse de la Constitution, permette aux élus d`adapter les lois et règlements aux spécificités de l'île. Le système proposé, et amendé par la commission, répond à cet objectif. Fondé sur le principe de l'expérimentation, il est conforme à la fois au relevé de conclusions et à la Constitution.

De même il est essentiel que l'enseignement du corse ait pour cadre l'école de la République, ses programmes et ses horaires. C'est une garantie de qualité, et le moyen d'une meilleure intégration de la culture corse dans une culture française ainsi enrichie et diversifiée.

Les mesures économiques, fiscales et au service du développement durable de l'île ont suscité de nombreux débats en commission. Grâce à un travail patient dans un climat studieux, nous sommes parvenus à des solutions propres à garantir des principes aussi essentiels que la préservation du patrimoine, tout en permettant les adaptations nécessaires au développement de la Corse.

J'ai l'espoir que nous sortions ainsi la Corse de la caricature dans laquelle l'a enfermée une ignorance qui confine au mépris. C'est bien dans la confiance et le respect mutuels que se construit l'avenir.

J'espère aussi que nos concitoyens prendront conscience de la vacuité des solutions simplistes : ou l'abandon, ou le raidissement dans l'immobilisme. Nos institutions ont pour fonction de penser l'avenir, sans complexe ni tabou, en faisant confiance à la République pour faire vivre en son sein une diversité riche et porteuse de modernité.

Tels sont mes espoirs pour la Corse, la République et la France (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe RCV).

M. Patrick Ollier - Je vous remercie, Monsieur le Président, d'assurer en ce moment la présidence, permettant ainsi que je m'exprime. Vous vous faites ainsi le véritable défenseur des droits de l'opposition (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion qui s'ouvre ne doit pas s'engager dans un climat conflictuel. Je veux avoir confiance en la sincérité de ceux qui défendent des idées différentes.

Cela me donne plus de force pour vous dire que le Gouvernement met cette sincérité au service d'une méthode et d'une ambition que nous ne pouvons pas approuver !

Seuls la Corse et la République doivent nous préoccuper. Sous ce rapport votre texte est politiquement malvenu, et manque d'ambition comme de perspectives.

La lucidité nous conduit à constater les préoccupations « politiciennes » qui ont présidé aux accords dits de Matignon. Vos négociations ont été menées avec les nationalistes sans remords face aux assassinats, plus particulièrement celui du préfet Erignac. Votre recul sur votre exigence première de renonciation à la violence nous a choqués. Pour « acheter » une paix aléatoire, vous avez cédé aux exigences de ceux contre lesquels 83 % de Corses ont voté en mars 1998. Ce n'est pas conforme à la démocratie, dont vous êtes censé être le garant !

Une seconde réaction pourrait être de considérer qu'une loi de plus, c'est une chance de plus de régler l'affaire corse ; l'intérêt général serait donc de l'accepter parce que vous nous affirmez que vous avez raison ! Nous aimerions tellement que vous ayez raison ! Pour la Corse d'abord, partie indivisible de notre République, pour la France tout entière, à laquelle vous auriez pu apporter des solutions sur le vrai problème de la décentralisation ! Hélas, il y a trop de raisons de douter de vos intentions comme de vos propositions !

Changer le statut réglera-t-il le problème corse qui est avant tout un problème de respect de l'Etat de droit ? M. Glavany, votre collègue, alors président de la commission d'enquête sur la Corse, a répondu ainsi en septembre 1998 : « La Corse ne peut que sortir apaisée et grandie d'une meilleure application des lois de la République. L'esprit du statut particulier de 1991 ne doit pas être perverti. Cela n'empêche en rien d'en améliorer la pratique après 7 ans d'application. Cela conduit néanmoins à bloquer toute tentation de relance artificielle du débat statutaire ». Nous y sommes !

Ensuite, peut-on déléguer les principes généraux qui constituent le fondement de nos institutions ? Pourquoi, en cédant aux exigences des nationalistes, ouvrir une brèche dans l'unité des républicains ? Pourquoi avoir choisi la voie qui contredit la Constitution et le principe de l'égalité devant la loi ? Pourquoi prendre le risque d'une contagion au pays basque, à la Bretagne, à la Savoie ? Pourquoi avoir ouvert ce débat alors que la solution n'est pas à l'évidence dans l'évolution de la seule île corse, laquelle, selon M. Talamoni avec qui vous négociez, ne s'achèvera que lorsque « les Français seront partis de Corse » ?

Par ses amendements, le groupe RPR entend favoriser l'expérimentation et la décentralisation sans prendre de tels risques. J'espère que vous aurez à c_ur de les accepter.

Ils concernent l'unité de la République, la « corsisation » des emplois, du fait de l'obligation que vous aviez prévue de l'enseignement de la langue corse, élément inconstitutionnel de ce projet ! Nous n'accepterons pas de construire avec vous les premières marches de l'escalier qui conduit à l'indépendance.

Les socialistes allemands appellent au fédéralisme européen fondé sur les régions. Nous, gaullistes, préférions une confédération européenne d'Etats-Nations. Aussi refusons-nous de donner à une région un pouvoir qui n'a rien à voir avec la nécessaire décentralisation.

En toute modestie, ce que je sais c'est qu'il vaut mieux ne pas sortir du cadre institutionnel, garant de l'unité de notre République, sauf si on veut changer de structure nationale -peut-être est-ce votre intention ?- de régime et pourquoi pas de République...

Je ne suis fédéraliste ni pour la France, ni pour l'Europe, je respecte ceux qui veulent une Europe des régions mais j'y suis sincèrement opposé.

Quant aux mesures économiques d'accompagnement, elles sont acceptables et nous les approuvons. Mais, pourquoi ne pas saisir l'occasion pour aller plus loin en faveur de tous nos départements défavorisés ?

Le PIB de chacun des deux départements de la Corse, est proche de 14 millions. Il n'est pas plus élevé dans les Hautes Alpes, le Cantal, il n'est que de 6,5 millions en Lozère, de 11 millions dans la Creuse ou de 13 millions dans l'Ariège. Il y a donc encore à faire en matière d'aménagement du territoire ! 

Rapporteur de la loi sur l'aménagement du territoire proposée par Edouard Balladur en 1994, j'avais obtenu la mise en place d'un « schéma national d'aménagement du territoire ». Vous l'avez supprimé et vous n'avez plus aujourd'hui d'instrument national pour conduire une vraie politique d'aménagement du territoire, en Corse ou ailleurs.

A l'époque, j'avais défendu, au nom du groupe RPR, la discrimination positive, -« l'égalité des chances passe par l'inégalité des traitements »- et j'avais fait adopter la création des zones de revitalisation rurales et des zones de redynamisation urbaines. Qu'avez-vous fait depuis quatre ans pour faire vivre ces zones en Corse où elles représentent les trois-quarts du territoire? Rien !, Mme Voynet et M. Jospin ont négligé l'aménagement du territoire en Corse comme ailleurs dans les zones de montagne françaises ! Que d'occasions manquées !

J'ai également été le rapporteur de la « zone franche corse », dispositif qui comportait 600 millions par an sur 5 ans d'exonérations diverses dont notre rapporteur reconnaît, qu'il a bénéficié à une large proportion d'entreprises et a sans doute participé à la sauvegarde des sociétés existantes.

L'Etat exonère environ de 2 milliards par an l'économie corse, il paie plus de 16 000 fonctionnaires dans l'île et 8 salariés sur 10 y travaillent pour le tertiaire !

Mais le poids de la délinquance financière y est insupportable et les avantages consentis doivent être très sérieusement encadrés pour qu'ils ne soient pas détournés par les activités mafieuses. Nous en revenons donc au respect de loi et de l'Etat de droit !

La « zone franche » n'est prévue que jusqu'en 2001 et vos propositions d'allégement s'inscrivent dans la continuité de notre dispositif. Nous ne pouvons qu'y être favorables. Mais vous auriez pu être plus imaginatifs après cette expérimentation de 5 ans.

On sent bien que l'essentiel pour vous est politique alors que l'essentiel pour les Corses est probablement dans cette décentralisation ambitieuse et efficace que nous appelons de nos v_ux au sein de notre République Une et indivisible !

Ces défis, il nous faudra à notre tour les relever si l'alternance joue dans un an. Nous sommes donc modestes. Mais nous ne renonçons pas à nos valeurs ni à l'idéal de société pour lequel nous luttons.

De tels sujets mériteraient un consensus dans le pays. Je regrette pour la Corse et pour la France que vous ayez choisi d'être politicien et électoraliste comme l'a dit M. Chevènement ; je regrette que vous ayez choisi la confrontation sur ce qu'il y a de plus sacré pour un républicain : l'unité nationale forgée au prix du sacrifice de nos aînés. Votre méthode est discutable, et nous la contestons devant les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et sur quelques bancs du groupe RCV).

M. Ollier remplace M. Forni au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Patrick OLLIER

vice-président

M. Noël Mamère - Ce texte qui serait banal dans la plupart des démocraties a suscité, en France, un débat si passionné qu'un ministre a cru bon de démissionner pour le combattre, alors même qu'il résultait d'une concertation exemplaire entre les élus de la République et les représentants de l'Etat. Si nous avons mal à la Corse, c'est que nous entretenons avec la République et la nation une relation ambiguë. Pour ma part je ne confondrai jamais Nation et nationalisme et suis pleinement d'accord avec ce que déclarait Lionel Jospin dans son discours de politique générale du 19 juin 1997 : « La Nation est non seulement la réalité vivante à laquelle nous sommes tous attachés, mais surtout le lieu où bat le c_ur de la démocratie, l'ensemble où se nouent les solidarités les plus profondes. Elle reste le cadre naturel des réformes essentielles dont notre pays a besoin ». La France est ce pays singulier où l'Etat, la Nation et la République n'ont fait qu'un, recouvrant la société d'une chape de plomb. Cette période se termine. Je m'en réjouis et je voudrais plaider pour une France qui ne se recroqueville pas sur son passé.

Deux France se côtoient dans l'histoire, parfois imbriquées, parfois en guerre. L'Etat-Nation a vaincu, non sans résistance, les solidarités communautaires locales, imposé une langue unique, développé un Etat où toutes les demandes convergeaient vers Paris. Il faudra attendre les années cinquante, pour que notre pays comprenne que la pieuvre centralisatrice avait asphyxié ses provinces. Ce fut « Paris et le désert français ». Architecte du monarchisme républicain, en imposant la Constitution de la Ve République, le général de Gaulle proposa, en 1969, une première régionalisation que s'empressèrent de combattre ses « amis » politiques, Pompidou et Giscard d'Estaing. Mais Volem viure al païs, Vivre et travailler au pays, furent les grandes revendications des années soixante. Grâce aux lois Defferre, les régions se formèrent dans les vingt dernières années. Il faut aller plus loin.

La République ne peut se réduire à la seule histoire du jacobinisme triomphant. Non, la France ne se réduit pas à Hugues Capet, Louis XIV, Robespierre, Napoléon, Jules Ferry ... et l'ENA. La France, c'est aussi la résistance multiforme des sociétés locales, la rébellion face au pouvoir central. Pascal Paoli est pour nous aussi important et peut être plus que Buonaparte...

M. François Léotard - Très bien.

M. Noël Mamère - La mémoire du peuple corse est aussi celle d'un certain passé colonial où 30 000 soldats investirent l'île en 1768 pour conquérir un pays dont les institutions démocratiques faisaient l'admiration de l'Europe des Lumières. La France a un devoir de réparation envers le peuple corse. Par ce texte, elle commence à l'assumer aujourd'hui.

Il y a deux visions de la Nation, de la République. Celle dont je me sens l'héritier vise à limiter les pouvoirs par l'émergence de contre-pouvoirs, à limiter le centralisme par le pouvoir régional, à réduire l'emprise de l'appareil d'Etat ou de la Commission européenne, par le recours au principe de subsidiarité. Ma République oppose la région au département, l'Europe des régions à l'Europe des nations, l'universalité des droits de l'homme au repli nationaliste sur un territoire.

La République, pour certains, devrait garder la Corse dans le même état qu'à la veille de la Révolution. Mais si l'Etat n'anime pas les territoires, coordonnant les régions, le fossé entre les deux France ne se comblera pas.

Ces « républicains » visent ceux qui veulent étendre le champ de l'égalité, de la fraternité, de la liberté, ceux qui veulent utiliser leur langue. Ces derniers, pour leur part, apprécieraient que l'Etat républicain empêche les clans de trafiquer les listes électorales à Paris ou à Bastia, et protège bergers et paysans contre les spéculateurs. Nos modernes républicains sont des conservateurs. Au nom d'une Histoire mythique, ils refusent les évolutions du monde. Par idéologie ils refusent de voir que la vraie crise du modèle républicain vient du délitement du lien social.

Crier « République, République, République » debout sur un tabouret ne suffit pas. Il faut créer des droits, des symboles, inventer une nouvelle citoyenneté. C'est ce que nous faisons avec ce texte.

Dans la politique de l'Etat français en Corse, une parenthèse intelligente avait été ouverte lors du gouvernement Rocard, sur fond de règlement de la question néo-calédonienne, par son ministre de l'intérieur Pierre Joxe, père du statut actuel de l'Ile. Parenthèse vite refermée par le Conseil constitutionnel, censurant la notion de « peuple corse » incluse dans la loi de 1991. Pierre Joxe, à présent membre du Conseil constitutionnel, récidive, en lisant en langue corse et en pleine audience solennelle de la Chambre régionale des comptes d'Ajaccio, l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme, qui précise que la société a le droit de demander des comptes à ceux qui sont chargés de son administration... Continuer dans cette voie de la transparence, de l'examen des convergences et des divergences, c'est cela la méthode républicaine et démocratique.

Nous regrettons la frilosité de la commission des lois qui, à l'article premier, a renoncé au pouvoir d'adapter la loi pour n'accorder « le cas échéant » qu'un droit de dérogation à la loi de la République. Pourquoi l'avoir ainsi édulcoré ? Regardons du côté de la Catalogne, de l'Emilie romagne, de la Sarre, de l'Ecosse...

M. Bernard Roman, président de la commission des lois - Du côté du Conseil constitutionnel...

M. Noël Mamère - Enfin, ce projet ouvre la voie à l'émancipation des autres régions de France. Le renforcement du pouvoir régional dans le cadre d'une VIème République, voilà notre objectif. Le combat a déjà commencé ; en attestent les efforts déployés par plusieurs organisations ou députés proches de MM. Pasqua ou Chevènement pour empêcher la France de signer la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Les mêmes voudraient empêcher que l'on initie à l'histoire de la Corse les enfants d'Ajaccio, de Bastia et de Corte.

Pour retrouver les fondements d'une société démocratique, la Corse a besoin de sortir de son face-à-face stérile avec l'Etat. A cet égard, l'Europe est une chance pour la Corse, comme d'ailleurs pour les nombreuses autres nations sans Etat du continent. Nous sommes, nous les Verts, à la fois régionalistes, européens, fédéralistes et mondialistes. Nous n'avons pas les complexes des héritiers du jacobinisme. Nous faisons le pari d'une France sans départements et sans préfet Bonnet, dans une Europe des régions et des peuples solidaires. Tout autour de la France, les Etats nations évoluent dans le même sens. La France ne peut se tenir encore longtemps à l'écart de ce développement des autonomies. Vous ferez _uvre de construction républicaine en votant ce texte important pour l'avenir du peuple corse et du peuple français dans le cadre d'une Europe fédérale.

M. François Léotard - Monsieur le ministre, sans du tout mettre en cause vos qualités, je regrette que pour un tel débat, dont la gravité n'échappe à personne, le Premier ministre ne soit pas présent.

Je voudrais évoquer en commençant la mémoire du préfet Erignac, grand serviteur de l'Etat, dont la disparition a provoqué une légitime émotion dans toute notre communauté nationale. Elle a aussi conduit à réfléchir sur la violence dans cette région, qui est la seule à s'être libérée elle-même à la fin de la guerre et qui est dépositaire de valeurs précieuses.

Comme trop souvent, nous examinons aujourd'hui une réponse en négligeant la question.

La question corse traduit l'anxiété des Français concernant ce qui doit fonder notre communauté nationale. Nulle part ailleurs sur notre territoire l'ordre public n'a connu une telle dégradation, et c'est ce qui m'amènera probablement à voter ce projet. Cette dégradation s'est traduite par des assassinats politiques, par des dérives mafieuses, par l'inscription IFF -« Les Français dehors »- accueillant les gendarmes mobiles ou les CRS à leur arrivée sur l'île, par l'assassinat d'un préfet et l'embastillement de son successeur.

La question, c'est aussi l'histoire. Une seule date : 1768, un an avant la naissance du futur empereur des Français, qui a voué jusqu'à l'âge de 20 ans une haine tenace à la France. A cette date, il y a un Etat corse, une monnaie, un journal officiel, une armée, une Constitution -la première Constitution écrite de l'histoire des démocraties occidentales.

La question, c'est également l'absence en France d'une politique méditerranéenne. Le regard français sur le Sud a toujours été marqué par une condescendance faite d'arrogance et d'ignorance.

La question, c'est encore l'attitude de nos compatriotes à l'égard de la Corse, parfois méprisante et presque toujours ironique.

La réponse est le processus de Matignon. Les jugements portés sur celui-ci sont étonnants et excessivement partisans. Il s'ait d'un dialogue avec des élus : qu'y a-t-il de plus républicain ? Je voudrais dire à José Rossi qu'il n'est pas seul, que beaucoup de nos compatriotes continentaux ont approuvé la dignité de sa démarche. L'opposition républicaine en Corse, c'est-à-dire le RPR et l'UDF, a ratifié ce processus, mais le risque est réel d'un divorce entre l'opinion insulaire, favorable à une évolution du statut, et l'opinion continentale, frappée d'une grande lassitude.

La réponse est aussi marquée par des oublis. Lorsqu'on a construit l'Europe, on a oublié de donner aux régions françaises les outils d'une autonomie. Et aujourd'hui, nous entendons M. Chevènement prôner un jacobinisme hystérique, en exploitant le marché électoral de la peur.

Ce texte serait une prime à la violence ? Non, c'est une prime au désarroi et à la lassitude de l'opinion insulaire et continentale.

Il y aurait un risque de corsication des emplois publics ? Mais il n'y a pas si longtemps, les commissaires de police, les inspecteurs d'académie, le recteur, les préfets étaient corses.

On irait vers une destruction du littoral corse ? Mais le littoral de la Côte d'Azur, avec la bénédiction de l'Etat, a été profondément saccagé. Sans doute les Corses ne sont-ils pas totalement étrangers au fait que le littoral corse ait été jusqu'à présent protégé.

Certains parlent de singularité juridique ? Mais tous les pays qui nous entourent donnent à leurs régions des pouvoirs importants. Une majorité d'Européens vit sous un statut d'autonomie.

Il reste deux questions. D'abord celle de la langue. La langue corse, selon certains, serait inutile et sans intérêt. Mais elle est un moyen de retrouver ses racines et d'exprimer la diversité de la nation française.

Ensuite, celle de la protection du littoral. Je vous demande, Monsieur le ministre, de vous faire l'interprète de nombreux élus corses pour demander une augmentation des crédits du Conservatoire du littoral.

Monsieur le ministre, vous êtes hélas dans le droit fil de la déclaration de politique générale de M. Jospin. Il avait parlé de la Corse, mais n'avait pas dit un mot sur la décentralisation. Vous voulez régler la question corse sans développer la décentralisation ; or c'est de la crise profonde de l'Etat-nation qu'il faudrait aujourd'hui débattre.

L'effervescence intellectuelle qui a régné en Corse lors du processus de Matignon n'était pas éloignée de celle qui, de 1729 à 1769, a permis aux Corses d'exprimer juridiquement leur identité. Lors d'un colloque, un juriste a déclaré : l'autonomie n'est pas la mère de l'indépendance, elle est la fille de la décentralisation. Si tel était bien le cas, ce serait une bonne nouvelle pour ceux des Corses qui considèrent qu'il n'y a aucune contradiction à être à la fois Européen, Français et Corse (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe DL).

M. René Dosière - Un élu de la Nation ne saurait évoquer la Corse qu'avec une certaine humilité, tant la violence, depuis vingt-cinq ans, s'y est installée, développée, généralisée, et les gouvernements successifs ont été incapables de la réduire, quelles que soient les politiques, contradictoires, menées : recours à la force, négociations clandestines, amnisties, fanfaronnades, laxisme dans la distribution des fonds publics - chacun se reconnaîtra...

On est donc en droit d'exiger, aujourd'hui, une attitude digne et responsable, telle celle du gouvernement de Lionel Jospin, qui a su tirer les leçons du passé et modifier son attitude. Si l'action du préfet Bonnet a permis des progrès significatifs dans l'application de la loi républicaine, l'utilisation de méthodes discutables, voire condamnables, a jeté sur l'Etat un discrédit certain, qui ne facilite pas le règlement de la « question corse ». C'est pourquoi le Premier ministre a engagé une nouvelle et courageuse démarche : le dialogue avec l'ensemble des élus de l'île, dans la transparence et sans préalable. Pour certains, une telle attitude revient à cautionner les poseurs de bombes ; c'est au contraire subordonner les discussions à la fin de la violence qui eût fait de ses auteurs les maîtres du jeu et les arbitres du calendrier. « L'art de la paix », pour reprendre la formule de Michel Rocard, exige des responsables politiques qu'ils sachent surmonter les préalables : c'est ainsi que se révèlent les véritables hommes d'Etat, tel Henri IV ou Pierre Mendès France.

Pour autant, le Gouvernement n'a engagé aucune négociation clandestine avec des groupes pratiquant la violence, pas plus qu'il n'a renoncé à rétablir la légalité républicaine et l'ordre public. Cela signifie, en particulier, que le lâche assassin du préfet Erignac doit être arrêté et condamné ; c'est dire qu'il ne saurait être question d'une quelconque amnistie, dont la seule évocation ramènerait la démarche du Gouvernement à un niveau politicien.

Le projet qui nous est présenté se situe dans une vision globale, moderne et européenne de la République, à l'image de la France décrite par Braudel, c'est-à-dire diverse et non uniforme. Cette diversité, dès lors qu'elle n'est pas bridée par un centralisme bureaucratique, permet aux citoyens d'adhérer pleinement à ce que Péguy appelait « la grand patrie ». Notre républicanisme est à l'opposé d'un certain intégrisme républicain qui veut unir en excluant tout ce qui sort de la norme. Il repose sur une meilleure répartition des rôles entre l'Etat central et les pouvoirs locaux et régionaux.

S'agissant de la Corse, le relevé de conclusions de Matignon envisageait une seconde étape, après 2004, au cours de laquelle pourraient être fusionnés les départements et la collectivité régionale, au profit d'une assemblée unique disposant d'une certaine forme de pouvoir législatif. Toutefois, la révision constitutionnelle que cela supposerait est suspendue à des contraintes politiques que nul ne peut, aujourd'hui, anticiper, ainsi qu'à un préalable : le rétablissement durable et solide de la paix civile et de la légalité républicaine. Autrement dit, ce sont les Français de Corse qui, par leur comportement, décideront d'ouvrir ou non cette seconde étape.

Ce dont il s'agit aujourd'hui, c'est de donner aux élus de Corse les moyens, institutionnels et financiers, d'assurer le développement de l'île. Pour ce qui est des premiers, le texte est dans la droite ligne du statut de 1991. Notons à ce propos que l'Assemblée de Corse présente, par rapport aux conseils régionaux, cette originalité d'avoir un président distinct de l'exécutif territorial. Ce système, bien plus démocratique, gagnerait à être étendu aux autres régions françaises avant les élections régionales de 2004, car le nouveau mode de scrutin conduira à une forte personnalisation de ces élections, qui risquent de servir de « galop d'essai » à la présidentielle de 2007...

M. Bernard Roman, président de la commission des lois - Très bien !

M. René Dosière - Il est prévu de renforcer les compétences de la collectivité de Corse dans de nombreux domaines, ainsi que de lui transférer les ressources financières correspondantes. Je soulignerai, en particulier, que la collectivité aura la responsabilité de proposer un plan d'aménagement et de développement durable ; espérons que les élus seront, contrairement à ce qui s'est passé jusqu'à présent, en mesure d'élaborer un tel document... En second lieu, elle pourra déroger aux dispositions de la loi littoral, cette faculté étant toutefois encadrée de façon très stricte, afin que les côtes ne soient pas livrées aux bétonneurs.

Mais le texte s'adresse aussi, par son volet fiscal en particulier, aux entrepreneurs et à tous ceux qui contribuent au développement économique. Un PIB inférieur à la moyenne nationale, un chômage supérieur, une économie où l'emploi administratif est prépondérant, des transferts financiers massifs : autant de signes caractéristiques d'une économie sous-développée, d'où la nécessité d'un plan de rattrapage, dont l'ampleur mérite d'être soulignée - un milliard de francs par an pendant quinze ans ! Certains diront que ce n'est que normal, l'Etat ayant toujours négligé la Corse. Je leur répondrai qu'il n'en est rien : si l'on considère le dernier contrat de plan, la Corse a reçu de l'Etat deux fois plus, par habitant, que les autres régions, et si l'on considère le contrat en cours, c'est même trois fois plus. Si ma région, la Picardie, avait une dotation par tête équivalente, elle recevrait 9 milliards de plus ! Et je ne parle pas des crédits européens, qui ne sont pas négligeables...

Cette dénonciation du prétendu abandon de la Corse par l'Etat est évidemment le fait de la minorité indépendantiste, qui a besoin d'identifier la Corse à un pays colonisé qu'il conviendrait de libérer, mais je déplore que ce thème soit repris par trop d'élus, qui s'épargnent ainsi de s'interroger sur leurs difficultés à engager les crédits ou sur l'ampleur anormale de certaines dépenses. On constate, par exemple, que l'ensemble des collectivités locales de Corse emploient, à population égale, moitié plus de personnel que les collectivités du continent ; c'est autant d'argent en moins pour l'investissement, et un domaine où faire porter l'effort pour dégager l'autofinancement nécessaire à la réalisation du contrat de plan...

S'agit-il, en votant ce projet, de favoriser l'indépendance de la Corse, comme le laissent entendre certains en évoquant la Nouvelle-Calédonie ? Nullement : le statut tout à fait particulier dont bénéficie cette dernière, et que j'ai eu l'honneur de rapporter devant vous, s'explique à la fois par l'histoire - celle d'un territoire colonisé par la force - et par l'avenir : l'indépendance est une possibilité qui sera offerte, par référendum, à la population calédonienne dans une douzaine d'années. Toute différente est la situation de la Corse, devenue française sur la demande et le libre consentement de ses habitants, comme en fait foi le procès-verbal de la séance de l'Assemblée nationale du 30 novembre 1789. Cette décision suscita au reste « la joie » et « la plus vive reconnaissance » de Pascal Paoli, dont une lettre fut lue lors de la séance du 19 décembre de la même année, et qui, reçu à l'Assemblée le 22 avril 1790, déclara ce jour « le plus beau de sa vie ». l'indépendance de la Corse n'a pas plus de sens que celle de la Picardie ou de la Bourgogne, cessons d'entretenir ce fantasme !

En décidant de traiter, dans la transparence et sans compromission, de l'avenir de la Corse, ce que n'avait fait aucun de ses prédécesseurs depuis 1974, Lionel Jospin a choisi la difficulté. Parce que l'opinion publique continentale considère nos compatriotes de Corse à travers le prisme des idées reçues ; parce que la légalité républicaine a été trop souvent bafouée ; parce que trop d'élus corses ont une pratique politique clanique, appellation insulaire du clientélisme continental ; parce que l'opinion publique insulaire s'accommode trop facilement de tous ces comportements, donnant ainsi le sentiment de cautionner des pratiques illégales ; parce qu'en un mot le chemin est difficile, je soutiens, comme de nombreux socialistes, la démarche engagée, car au bout du chemin il y a la paix civile, le développement économique et culturel qu'espère la jeunesse corse, et une relation pacifiée au sein de la République française (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Paul Patriarche - Pour la troisième fois en moins de vingt ans, le Parlement est invité à délibérer sur un texte concernant l'organisation institutionnelle de la Corse. Une telle attention des pouvoirs publics mériterait d'être saluée si elle était dictée par le seul souci de répondre à la spécificité géographique, économique et culturelle de l'île et d'y adapter la réforme de la décentralisation, mais ce sont en réalité des questions d'une autre nature qui sont principalement à l'origine de ces bouleversements statutaires.

Depuis un quart de siècle, en effet, la République est confrontée, en Corse, à un problème de nature politique, sur lequel ont buté tous les gouvernements successifs, sans pouvoir le résoudre. Un mouvement revendicatif, régionaliste à l'origine, puis autonomiste, a pour objectif de faire accéder, un jour, la Corse à l'indépendance, tandis que la population, dans son immense majorité, est attachée à la France et à la République. Il n'y aurait là rien de préoccupant, dans la mesure où le peuple exprime ses choix par le suffrage universel, mais depuis 1975, l'Etat est confronté à l'usage de la violence.

Cette violence prend des formes variées dont la plus odieuse attente aux vies humaines ; elle divise la population, met à mal l'économie de l'île et donne de ses habitants une mauvaise image aux yeux du reste de la population française qui instruit contre eux de mauvais procès. Pour y remédier, les gouvernements successifs ont tout tenté : la répression et la conciliation, la fermeté et la faiblesse, la générosité et la parcimonie, la réforme ou le statu quo ; rien n'a pu enrayer le cercle infernal de la violence. Faut-il pour autant se résoudre à laisser la Corse s'éloigner du reste de la nation ?

Il est de notre responsabilité d'apporter des réponses apaisantes aux difficultés de l'île, pour que la violence cesse et que la Corse, enfin dotée des moyens nécessaires à son développement, reste arrimée à la République.

Le présent projet répond-il à ces exigences ?

Pour tenter de ramener durablement la paix civile, le Premier ministre a engagé une concertation avec l'ensemble des forces politiques insulaires. Il a obtenu d'elles un très large consensus sur un projet qui tend à renforcer les compétences de la collectivité territoriale, à améliorer le statut fiscal et à mettre en _uvre un vaste programme d'équipements.

Les mouvements nationalistes ont adhéré à cette démarche, au bénéfice de l'octroi à l'Assemblée de Corse d'un pouvoir d'adaptation de la législation et de l'enseignement obligatoire de la langue corse dans les établissements scolaires du premier degré.

C'est sur ces deux points qu'un débat national exigeant s'est engagé. Les uns dénoncent ce qu'ils considèrent comme une capitulation devant les exigences de nationalistes et considèrent que l'unité de la République est menacée. D'autres soutiennent la thèse inverse et rappelle que la réforme de la Constitution n'est envisagée que dans trois ans.

Entre ces deux positions, n'y a-t-il pas moyen de rechercher la voie de la sagesse ? Je m'y suis efforcé depuis le début du « processus de Matignon ».

Qu'il s'agisse du pouvoir d'adaptation des lois ou de l'enseignement de la langue corse, il est impératif que la loi qui sera votée soit conforme à la Constitution. Nous devons aller à la limite de ce qu'autorise la loi fondamentale, sans avoir la faiblesse de rester très en deçà de la norme car, alors, les dispositions prises seraient inutiles. Mais nous ne devons surtout pas franchir la limite car la censure du Conseil constitutionnel rendrait le « remède » plus nocif que le mal.

D'aucuns considèrent qu'il n'y a pas de raisons que les autres régions de France ne puissent bénéficier des mêmes pouvoirs. Une décentralisation aboutie devrait en effet conduire à donner aux conseils régionaux un certain pouvoir normatif dans les domaines où la loi leur a transféré des compétences. De même, je suis un partisan fervent de la généralisation de l'enseignement des langues régionales, car elles sont constitutives de notre patrimoine.

Pour autant, je ne puis comprendre que l'on s'oppose à l'application du droit commun en Corse. Si toutes les régions étaient des îles, cette position serait justifiée. Mais refuser à une île une organisation administrative particulière, un statut fiscal spécifique et des moyens de développement adaptés c'est prendre le risque de voir surgir des affrontements. L'Union européenne en a convenu puisque le traité d'Amsterdam fait obligation aux Etats de prendre en compte les handicaps permanents qui nuisent au développement des îles.

Si de telles préoccupations avaient inspiré l'action des pouvoirs publics depuis cinquante ans, la Corse ne se trouverait pas aujourd'hui dans la situation douloureuse qui est la sienne et la République n'aurait pas à régler dans les pires conditions le lancinant problème qu'elle lui pose.

Soyons audacieux et donnons à la Corse les moyens de se libérer des démons qui la rongent. Permettons lui tout à la fois de rattraper son retard de développement et de préserver son patrimoine.

Ce projet a du reste le mérite d'aborder la question de manière globale. C'est parce qu'ils ont privilégié les aspects institutionnels sur les enjeux d'ordre économique que les statuts de 1982 et 1991 n'ont rien réglé. De même, ce projet élargit sensiblement les pouvoirs de la collectivité territoriale de Corse. Il permet de mettre en _uvre un statut fiscal plus moderne et donne sa chance à la langue corse. Enfin, il apporte une réponse au déficit dont souffre la Corse en matière d'équipements collectifs.

Cependant, mon expérience à l'Assemblée de Corse et au Conseil exécutif me permet d'y déceler plusieurs lacunes. Il est notamment regrettable que les anomalies du statut de 1991 n'aient pas été corrigées, alors même qu'elles nuisent à la mise en _uvre des transferts de compétences à la collectivité territoriale de Corse.

De même, le texte n'éclaircit pas totalement l'organisation administrative et le prologue des compétences entre l'Etat et la collectivité. Les services déconcentrés de l'Etat seront maintenus en l'état dans les domaines de compétences transférés. Ainsi, on retrouvera la situation actuelle où pour un même secteur, subsistent deux politiques, deux administrations et des financements croisés. On est loin des objectifs affichés d'efficacité administrative et de simplification. Cette situation sera d'autant plus néfaste qu'aucune disposition n'est prévue pour développer la déconcentration, corollaire indispensable de la décentralisation.

Comment ne pas évoquer aussi les moyens octroyés à la collectivité territoriale dans des conditions dont l'expérience tend à prouver qu'elles ne sont gère satisfaisantes, qu'il s'agisse des ressources financières ou des personnels transférés par l'Etat ?

Il convient aussi de permettre à la collectivité territoriale de cofinancer ses opérations qui seront réalisées dans le cadre du programme exceptionnel d'investissements. A défaut, cette mesure essentielle n'aura aucune portée réelle.

S'agissant enfin de la réforme du statut fiscal, les dispositions retenues pour louables qu'elles soient, demeurent insuffisantes sur des points essentiels tels que le crédit d'impôt, la taxe professionnelle et les modalités de sortie de la zone franche. Nous souhaitons que la loi permette de faire de l'outil fiscal un moyen de développement efficace, tout en maintenant l'effort de solidarité nationale dont bénéficie une région où le tissu économique reste très dégradé.

Par delà les considérations politiques, ce projet de loi peut aller dans le sens attendu du retour à la paix civile dans une région traumatisée et malheureuse. Il tend aussi à mieux prendre en compte les contraintes de l'insularité, et à créer les conditions d'un développement durable pour une île trop longtemps abandonnée par la République.

Je souhaite que le débat parlementaire permette de l'améliorer, de manière à ce que la Corse trouve dans la nation la place qu'elle devrait occuper depuis longtemps (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF).

M. Georges Sarre - Vous nous présentez, Monsieur le ministre, un énième projet de statut particulier pour la Corse. A vous entendre, il devrait amener la paix. Il serait préférable de dire qu'il pourrait permettre un « lâche soulagement ». Il y a dix ans votre prédécesseur, accompagné du même José Rossi, nous tenait le même discours. Les violences se sont poursuivies et elles ont même augmenté depuis l'accord dit de Matignon. Aujourd'hui, les attentats sont encore plus nombreux dans l'île que l'année dernière. Enfin, Maître Talamoni et d'autres continuent à proférer des menaces en toute quiétude.

Vous ne proposez pas un statut. Vous proposez un engrenage, dont le carburant sera le chantage. Au bout, il précipitera l'île dans l'aventure de l'indépendance, alors que l'immense majorité des Corses n'en veulent pas. Vous évoquez souvent les spécificités corses. Il en est une, politique, sur laquelle nous devrions tous réfléchir.

L'extrême droite de Jean-Marie Le Pen rencontre dans l'île une faible audience. Les démocrates et les républicains devraient donc s'en réjouir mais, à y regarder de près, force est d'admettre qu'un semblable discours d'exclusion est tenu par d'autres. Ce terrain malsain est déjà occupé par ceux qui sont abusivement, qualifiés de « nationalistes », comme s'il existait une nation corse.

Ce nationalisme impossible est en réalité un ethnicisme, première étape vers un racisme dévastateur. L'obligation masquée d'apprendre le corse en est un indice sérieux. L'incroyable revendication de « corsisation » des emplois en est la preuve.

Si, depuis deux siècles, la France, la République a eu un tort vis-à-vis des Corses, c'est de ne pas avoir suffisamment veillé à étendre sans faiblesse le règne protecteur de la loi. Une seule spécificité corse mérite un traitement particulier par la loi républicaine : l'insularité. Le principe de la continuité territoriale, assumé par le service public, permet de compenser ce handicap. Encore faudrait-il que nul ne s'emploie à détruire ce dispositif.

Mais la décomposition de la France et l'Europe des régions ont pour objectif ultime de laisser les mains libres au marché mondial. Pour le reste, il est prévu d'un côté une juxtaposition de micro régions pour donner aux individus l'illusion d'une démocratie de proximité, et de l'autre, un « machin » fédéral substitut de l'Etat protecteur, limité à une vague régulation des antagonismes les plus criants. Et partout, bien sûr, un gouvernement des juges disant le droit plus qu'appliquant la loi, au nom d'une morale qui ignore le principe de laïcité.

En l'absence du règne de la loi, se sont développés en Corse le clientélisme et ses compléments naturels : la violence endémique et les activités douteuses. Les statuts successifs n'ont fait qu'encourager cette dérive. Le vôtre va dans le même sens. Il se présente de plus comme étant d'abord une prime accordée à la violence. Au lieu de poursuivre avec obstination dans une voie qui, au moins depuis vingt ans, s'avère désastreuse, il vaudrait mieux, Monsieur le ministre, instaurer en Corse la République dans sa plénitude.

M. Gérard Saumade - Très bien !

M. Nicolas Dupont-Aignan - Les historiens s'interrogent souvent sur les causes des renoncements. Ils expliquent à leurs élèves, avec la condescendance que leur permet le recul historique, pourquoi soudain l'intérêt général s'efface devant les intérêts particuliers ; comment les considérations électorales immédiates dictent leur loi aux politiciens, pour se retourner contre eux comme un boomerang. Et les élèves ne comprennent pas toujours comment des hommes intelligents, dévoués au bien public, abandonnent sans combattre les valeurs qu'ils sont censés défendre... Je crains que nous ne vivions aujourd'hui un cas d'école, un de ces tristes moments où l'histoire bascule, car derrière ce projet il y a un engrenage dangereux pour notre République, malgré les slogans creux par lesquels vous tentez de le banaliser.

Le slogan de la spécificité de l'île tout d'abord. Nous reconnaissons tous le fait de l'insularité. La Corse a évidemment besoin d'un rattrapage d'investissements, et de transferts de compétences. Fallait-il pour autant inventer cet article premier qui remet en cause la loi comme expression de la volonté générale ? Loi qui ne peut qu'être unique sur tout le territoire, d'autant que les articles 34 et 37 de la Constitution lui laissent un domaine réduit.

Quant au slogan de la transparence, il ferait rire si l'hypocrisie du Gouvernement ne recouvrait de graves décisions. Le remarquable discours de M. Chevènement s'apparente à un parfait réquisitoire contre la célèbre méthode du Premier ministre ; il nous a présenté l'envers du décor de la majorité plurielle.

Dernier slogan : la décentralisation. Les adversaires du projet seraient d'affreux jacobins. Mais votre contradiction est flagrante : pourquoi réserver à la Corse ce que vous refusez ailleurs ? Pourquoi tant de timidité dans les conclusions de la commission Mauroy ? En réalité vous considérez la Corse comme une colonie, ignorant le pacte ancien entre cette région et la nation. Mais dans ce cas pourquoi ne pas consulter les Français ? C'est que, vous le savez, la très grande majorité de nos concitoyens, y compris en Corse, refusent l'indépendance.

En réalité votre texte est plus inspiré par le cynisme que par la naïveté. Par peur de la violence en Corse, à l'approche d'une échéance capitale pour lui, le Premier ministre a démissionné devant les poseurs de bombes. La mémoire du préfet Erignac est entachée de cette lâcheté... Mais c'est la France que vous engagez dans votre aventure. Car les nationalistes ont une qualité que vous n'avez pas : la cohérence. Ils savent où ils veulent aller. L'engrenage dans lequel vous avez mis le doigt est lourd de conséquences pour la Corse et pour la France. Pour la Corse d'abord, où la population est prise en otage. Croyez-vous servir les Corses par cette politique de faiblesse ? Faudra-t-il adopter tous les dix ans un nouveau statut, sous la pression des armes ? Vous avez mis le n_ud coulant autour du cou de la République : ils n'ont plus qu'à serrer. Le bilinguisme, la corsisation de fait des emplois, le bétonnage des côtes feront le reste... Mais qui a vraiment tort : celui qui se passe la corde au cou, ou celui qui serre ?

Mais la France tout entière est aussi concernée. Ce texte amorce un processus en chaîne qui va détricoter le territoire national. Vous donnez une terrible prime à la violence. Vous ouvrez la porte à une Europe des ethnies qui est tout le contraire de l'Europe des nations libres. La France a besoin, nous en sommes tous d'accord, d'une forte décentralisation, mais celle-ci doit s'opérer dans le calme, et dans le respect de l'unité de la République.

M. Jean-Pierre Blazy - Le processus de Matignon constitue une rupture salutaire dans les relations souvent ambiguës entre l'Etat républicain et la Corse. Il est une marque de courage politique, au regard des erreurs du passé récent. Il s'inscrit dans la perspective d'une pacification pour la première fois crédible, avec la volonté de rétablir l'ordre républicain et la sécurité sur l'île, bafoués depuis les tragiques événements d'Aléria en 1975, quand Jacques Chirac était Premier ministre. Quel contraste entre les errements de cette période, lorsque des ministres de l'intérieur, négociant en secret avec les nationalistes encagoulés, achetaient une paix illusoire, et les réponses que les gouvernements de gauche ont tenté d'apporter depuis 1982 avec Gaston Defferre, puis en 1991 avec Pierre Joxe et aujourd'hui avec le projet que présente Daniel Vaillant. Par ces rappels, je n'entends pas polémiquer inutilement, mais rappeler à l'opposition que, sur un tel sujet, si des réserves peuvent être légitimement exprimées, nous devons rechercher ensemble la voie d'un avenir pacifié de la Corse dans la République.

Pourtant l'opposition ne peut oublier les dérives qui furent les siennes dans les années 1994-96, avec l'affaire du golfe de Spéronne ou le rassemblement orchestré de Tralonca, comme l'a montré la commission d'enquête parlementaire dans son rapport « La sécurité : un droit pour les Corses, un devoir pour l'Etat ».

En réaction à ces dérives, une politique plus ferme de rétablissement de l'Etat de droit en Corse a été entreprise par le gouvernement de M. Juppé à partir d'octobre 1996, à compter de l'attentat contre la mairie de Bordeaux. Maintenant ce cap, le gouvernement de Lionel Jospin a fait du rétablissement de l'Etat de droit en Corse la priorité de son action afin de résoudre enfin le problème de la violence, qui a culminé le 6 février 1998 avec l'assassinat du préfet Erignac.

Le Premier ministre a plus récemment décidé d'ouvrir dans la transparence les négociations sur l'avenir de l'île avec les élus de la Corse, seuls interlocuteurs légitimes. Ce n'est pas un « marchandage obscur », comme l'a soutenu M. Chevènement. Cependant, s'il est clair que le Gouvernement n'entend pas transiger sur la violence, le renoncement à la violence par les nationalistes n'a pas été considéré comme un préalable absolu, ce qui est symptomatique du long chemin encore à parcourir. Il ne s'agit pas d'exiger l'arrêt total de la violence, car des actes incontrôlables restent possibles, mais au moins sa condamnation claire par les élus corses nationalistes invités à la table des négociations. En dépit des déclarations de Jean-Guy Talamoni après les assassinats de l'Ile-Rousse, il apparaît que les élus nationalistes n'ont aucunement renoncé à la violence. En mai 1999, après le meurtre du préfet Erignac, M. Talamoni déclarait : « Nous condamnons l'attentat, mais non les hommes qui l'ont commis. Je ne condamne pas les clandestins, ajoutait-il, et je respecte leur position. Nous ne prônons ni l'arrêt ni la poursuite de la violence. »

C'est pourquoi notre démarche est aussi une démarche citoyenne. En effet, la grande majorité des Corses, favorable à un règlement politique, est prise en otage par une infime minorité, laquelle fait régner un climat de violence qui est le principal handicap de la Corse, loin devant l'insularité. Les Corses, comme tous les citoyens français, par delà leur attachement légitime à leur territoire se réclament de la République française et souhaitent que l'Etat assure leur sécurité. Ce processus est aussi donc celui du rétablissement de l'Etat de droit, avec l'appui des acteurs de terrain, et dans le cadre d'une volonté décentralisatrice profonde.

Le projet comporte de nombreuses avancées démocratiques, économiques, culturelles et sociales qui seront utiles aux Corses. Pour certains ce n'est qu'une première étape qui doit conduire rapidement à 2004. Mais personne ne peut garantir l'avenir. La suite du processus de Matignon et la révision constitutionnelle qui sera alors nécessaire dépendront d'une condition impérative : la fin de la violence. De ce point de vue, la création d'Indipendenza, et ses déclarations qui ne condamnent pas la lutte armée clandestine, ne peuvent que nous interpeller.

Pour l'heure, le projet a évolué dans le bon sens depuis l'été dernier et lors de son examen en commission. Ceci montre que le Parlement, qui représente la nation toute entière, peut et doit peser dans le débat. Il devra le faire plus encore après le vote de ce texte notamment concernant l'application de l'article premier.

L'Assemblée nationale elle-même s'est déjà investie à plusieurs reprises sur le problème corse, créant notamment deux commissions d'enquête parlementaire. La première, créée en mars 1998, avait pour président Jean Glavany et pour rapporteur Christian Paul, et portait sur « l'utilisation des fonds publics et la gestion des services publics en Corse ». La seconde, datant de mai 1999, présidée par Raymond Forni et rapportée par Christophe Caresche, enquêtait sur le « fonctionnement des forces de sécurité en Corse ».

Les propositions du Premier ministre du 20 juillet dernier tiennent compte de certaines conclusions des rapports d'enquête.

Ainsi la première commission prônait la suppression de la bi-départementalisation et envisageait l'absorption des compétences des conseils généraux par la collectivité territoriale. D'autres recommandations des commissions d'enquête n'ont été suivies que partiellement. Le Gouvernement a ainsi accepté certaines avancées qui ne pourront être sans contrepartie : en clair, l'instauration d'une paix durable. Reprenons quelques-unes de ces points.

La première commission d'enquête refusait d'envisager la révision du statut de 1991 pour la Corse, surtout si elle exigeait une révision constitutionnelle. Elle arguait que l'île commençait à peine à s'approprier le statut de 1991 et que la collectivité territoriale corse n'assumait qu'imparfaitement ses responsabilités : alors que le statut de 1991 lui permet déjà de proposer des mesures d'adaptation de la loi, elle ne s'y est jamais employée. La commission d'enquête rappelait par ailleurs qu'une fiscalité dérogatoire n'a jamais empêché le haut niveau des prix, et qu'elle encourage les fraudes.

De plus, si cette commission d'enquête affirmait qu'il fallait « démythifier les langues régionales », et que la République n'avait rien à craindre de la manifestation de cette identité particulière, elle précisait aussi qu'en aucun cas cet enseignement ne devait revêtir un caractère obligatoire, mais se présenter comme une opportunité offerte à tous. Je suis pleinement d'accord avec ces affirmations de Jean Glavany et Christian Paul. Je me suis longuement interrogé sur les modalités d'enseignement de la langue corse. J'ai été très favorable à la signature de la convention européenne sur les langues régionales, et je me félicitais de l'amendement de la commission des lois qui évoquait un enseignement proposé. Mais la nouvelle rédaction applique à la Corse une mesure votée pour la Polynésie, ce qui me semble inapproprié. La Corse n'est pas et ne sera pas un TOM, et l'on peut se demander quelle sera la position du Conseil constitutionnel sur une disposition qui, sortie du contexte polynésien, perd de sa pertinence. Aujourd'hui, en conscience, je reste circonspect. J'ai toutefois bien entendu M. le ministre : pour le Gouvernement, il n'est pas question d'un apprentissage obligatoire. Ce point est essentiel. Le Conseil constitutionnel en avait jugé ainsi pour les langues de Tahiti.

Le défi fondamental auquel nous sommes confrontés est l'avènement d'une France décentralisée, qui saura dépasser sa tradition centralisatrice sans tomber dans le morcellement territorial et ethnique. La République française s'est forgée sur l'étroite alliance de deux concepts : la Nation et l'Etat. Cette spécificité mérite d'être préservée, car elle a démontré sa valeur démocratique. Tout l'enjeu consiste à concilier cet Etat-nation avec les échelons émergents de citoyenneté que sont l'Europe et les régions. Contrairement à certains libéraux, nous souhaitons promouvoir les régions sans nuire à l'Etat et faire l'Europe sans défaire la nation.

Ce projet entend mettre un terme aux violences et devenir dans la paix retrouvée une perspective partagée par tous, y compris les nationalistes qui ont participé aux négociations. On ne peut qu'approuver le processus vertueux engagé par l'Etat.

Mais il faut être clair. Si la Corse est une île à qui il faut reconnaître ses spécificités, elle appartient aussi à la nation et à la République comme les autres régions françaises. Fernand Braudel a bien montré la lente marche d'une France diverse vers l'unité. Mais unité ne signifie pas uniformité.

La question corse n'appartient pas qu'aux Corses. Elle pose, comme l'a montré Marianne Levèvre dans « Géopolitique de la Corse, le modèle républicain en question », le problème d'un modèle français en crise.

La rédaction nouvelle de l'article premier semble tracer une voie pour l'avenir. Les réserves que j'ai esquissées sont en grande partie levées par le travail de la commission. Notre assemblée devra se montrer vigilante pour vérifier que cette première étape réussisse, pour la Corse et pour les Corses. Pour garantir l'avenir, commençons par réussir le présent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Antoine Leonetti - Notre débat est essentiel, en ce qu'il porte sur le c_ur même du pacte républicain.

Nous ne discutons pas seulement de la Corse, mais de l'avenir de la France.

La démarche du Gouvernement, si elle a le mérite d'être engagée avec les élus, paraît néanmoins incohérente. Il est impossible d'aborder le problème corse sans traiter de la décentralisation, et sans affirmer clairement que le processus en cours ne constitue pas une étape vers l'indépendance de l'île. En commission des lois, vous m'avez répondu que vous ne vouliez pas répondre à ma question. Dans une situation de guerre, on fait la paix, et c'est alors à la négociation, et pas au processus législatif, qu'il est fait appel. Il est alors logique de lier la paix à l'amnistie, et que les belligérants se séparent. Si nous sommes dans ce cas, dites-le nous. En revanche, s'il s'agit d'approfondir la décentralisation en faisant toute sa part aux spécificités corses, vous aurez à vos côtés la plupart des députés UDF, y compris moi-même.

Il semble que vous hésitiez entre les deux situations, et que vous éprouviez de grosses difficultés à respecter à la fois votre parole envers les élus de Corse et la Constitution. En effet, plus vous modifiez le texte initial, et plus vous vous éloignez de l'accord préalable, au risque d'une éventuelle reprise de la violence. Je crains que ce texte, s'il doit entrer dans le cadre de la Constitution, ne satisfasse plus les nationalistes et ne permette pas le retour à la paix civile.

Ne prenons pas le risque d'une nouvelle occasion manquée pour la Corse, et sachons donner à la France une chance de combler son retard européen dans la reconnaissance du fait régional. Au-delà des caricatures, et sans nier les responsabilités locales, mesurons la somme des erreurs des gouvernements successifs, y compris celui de M. Jospin, pour régler le problème corse : répression aveugle, négociation souterraine, impunité des coupables, incapacité à mettre fin à la violence, sont associées à une culpabilisation globale et injustifiée de la population insulaire. Lorsque le préfet Erignac a été lâchement assassiné, 40 000 personnes ont défilé à Ajaccio, ce qui équivaudrait à Paris à plusieurs millions. La Corse sait se lever dans la dignité quand elle estime que les bornes sont franchies.

Notre histoire récente doit beaucoup aux Corses, qui se sont mobilisés pour défendre nos valeurs. Les monuments aux morts, dans les plus petits villages de l'île, en portent douloureusement témoignage.

Pour sortir de l'impasse, il convient de consulter le peuple, non pas sur la Corse en soi, ce qui risquerait d'être mal ressenti ; n'avons-nous pas entendu un ancien Premier ministre déclarer : « Si les Corses veulent leur indépendance, qu'ils la prennent ! » ? Il s'agirait de proposer une nouvelle étape de la décentralisation, dont la Corse profiterait au premier chef. On doit en effet procéder du général au particulier, et non pas l'inverse. Chacun peut convenir que la cohésion nationale et l'unité du pays n'imposent pas l'uniformité. Entamer ainsi un nouvel âge de la décentralisation est une chance à saisir, pour la Corse et pour les autres régions françaises, sans porter atteinte à l'indivisibilité de la République, mais en répondant à l'aspiration croissante de nos concitoyens à plus de proximité dans la prise de décision et en évitant l'application uniforme des règles communes sans tenir compte de la diversité des situations.

Il s'agit aussi de clarifier la responsabilité des différentes collectivités et de l'Etat, et de mettre en _uvre la pratique de l'expérimentation dans un cadre juridique clair.

C'est là pour nous la seule voie pour la France, et pour la Corse qui pourra ultérieurement décider de son ancrage et de sa vie commune dans la République. Parions que les Corses souhaiteront continuer à vivre au sein de cette République.

« Chaque fois que la France entame une période nouvelle de sa vie et de sa grandeur », disait Charles de Gaulle, « il faut que les Corses en soient les artisans ou les témoins privilégiés ».

Je crains cependant que votre voie soit trop étroite, et ne satisfasse ni les plus jacobins, ni les partisans d'une forte décentralisation, ni les indépendantistes, qui seront à nouveau tentés par la violence. Je redoute une occasion manquée de plus pour la France et pour la Corse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL)

M. François d'Aubert - Vous annoncez un nouveau statut pour la Corse -statut transitoire qui, dans un processus ambigu et dangereux, a pour perspective l'indépendance. Il est aussi irrecevable que toute la démarche qui a présidé aux accords de Matignon.

Leur défaut originel c'est de donner une prime à la violence d'hier et d'aujourd'hui, dans l'espoir illusoire d'éviter la violence demain et avec le risque d'y inciter ailleurs pour appuyer des revendications indépendantistes.

Dans une surenchère nationaliste engagée depuis 25 ans, ce texte est donc une étape vers une possible indépendance alors que la République, si elle peut être diverse, doit rester une et indivisible. Légiférer ainsi par rendez-vous successifs, c'est dissimuler une partie de la vérité.

Pourquoi ce statut ferait-il taire la violence plus que les précédents, alors que les responsables nationalistes exercent des pressions permanentes et annoncent qu'ils vont les amplifier ? Alors que le Gouvernement s'apprête à acheter la paix civile par une nouvelle manne financière sans obtenir en contrepartie le moindre renoncement à l'intimidation et à la violence ? La surenchère se poursuit, avec la démarche inacceptable d'amnistie pour les crimes de sang, y compris l'assassinat du préfet Erignac dont l'auteur principal, bénéficiant peut-être de complicités, ou de complaisances multiples, n'a curieusement toujours pas été arrêté.

Dans votre texte on perçoit le grand écart permanent entre les engagements pris à Matignon et le souci d'inconstitutionnalité, entre la décentralisation et le transfert de souveraineté politique, entre la compétence dévolue à l'Assemblée de Corse et l'article 20 de la Constitution. De manière aussi ambiguë, vous minimisez à Paris le pouvoir normatif délégué, vous le valorisez pour calmer les indépendantistes. Vous tenez un double langage.

Ce système d'habilitation proposé par la commission des lois nourrira aussi la surenchère. Il suffira que l'Assemblée de Corse juge qu'il y a des difficultés d'application -lesquelles ?- des lois, liées aux spécificités de l'île, qu'on n'a jamais su définir ! Car l'insularité ne suffit quand même pas.

Il n'y aura pas d'injonction au Gouvernement avez-vous dit. Mais des pressions permanentes ? Elles finiront par permettre de prendre ses distances à l'égard de l'esprit et de la lettre de la loi, expression de la volonté générale. Ce n'est pas notre conception de la République.

Ne risque-t-on pas aussi d'établir une autonomie sous influence, celle d'intérêts immobiliers, politico-financiers ou mafieux ? L'article 12 conduira à des dérogations contestables à la loi littoral. On pourra construire en discontinuité avec les villages existants. Quel formidable cadeau offert aux bétonneurs.

M. René Dosière - Il y a des conditions très précises !

M. François d'Aubert - Des conditions de taille et de capacité d'accueil qui n'empêchent pas d'abîmer l'île, éventuellement par des hôtels casinos construits avec des capitaux douteux.

M. le Président de la commission - Me permettez-vous d'intervenir ?

M. François d'Aubert - Vous pourrez le faire ensuite. Vous-même justement avez déclaré que les mafias en Corse relèvent du fantasme.

M. le Président de la commission - Dans votre intervention en tout cas, tout est fantasme.

M. François d'Aubert - La mafia de Bastia ou bande de la brise de mer n'est pas précisément un petit gang local. Elle a des ramifications en France et jusqu'en Russie. Il existe aussi une mafia du sud autour du parrain condamné pour trafic de drogue. Et les mafias italiennes guettent l'occasion.

S'il y avait une volonté sans équivoque d'échapper à l'économie souterraine et de lutter contre les rackets, nous ne serions pas inquiets. Mais il y a de quoi l'être.

Enfin, on symbolise à l'excès la vie politique corse. La langue corse va devenir de facto obligatoire puisqu'on dit, -c'est un présent impératif- que son enseignement fait partie de l'horaire normal. Quelle sera la liberté de choix des parents, l'égalité des chances entre enfants, l'enseignement d'autres langues ?

M. le Président de la commission - La même chose qu'en 1996 quand vous avez voté le texte en vigueur. Quelle mauvaise foi permanente !

M. François d'Aubert - Enfin se pose le problème de la « corsification » des emplois. Avec le transfert de postes de l'Etat à la collectivité corse, on peut imaginer que les droits des titulaires seront garantis, puisque l'on pourra « corsifier » les emplois de non titulaires.

Ce n'est pas ce qu'il faut à la Corse. Ce qu'il lui faut, c'est l'Etat de droit, un bon fonctionnement de la police et de la justice, une décentralisation qui n'a pas à être fondamentalement différente de celle des autres régions. Elle a besoin de se développer en retrouvant la sérénité et la paix civile. Ce n'est pas avec ce texte qu'on y parviendra.

M. Pierre Lellouche - Depuis plus de vingt ans, les gouvernements successifs n'ont pu, malgré de multiples révisions de statut, ni mettre fin à la violence ni maîtriser les velléités séparatistes d'une minorité.

Loin de moi, donc, toute idée de donner des leçons, et encore plus de chercher à exploiter la douloureuse affaire corse dans une querelle politicienne. J'ajoute que je ne suis aucunement l'ennemi d'une décentralisation intelligente, à condition que l'unité de la Nation et de la République ne s'en trouve pas sacrifiée.

Mais votre texte, Monsieur le ministre, qui constitue la troisième révision du statut de l'île en moins de vingt ans, n'assurera ni l'ancrage de la Corse dans la République ni l'épanouissement économique et social de l'île. Tout au contraire, votre compromis de Matignon -votre compromission, devrais-je dire- ne servira qu'à affaiblir la République et à condamner la Corse à un avenir qui risque d'être plein de violence et de malheur.

Que cette funeste aventure soit le produit d'un médiocre et illusoire calcul politicien -tenter d'acheter la paix civile en Corse en profitant de la lassitude de l'opinion continentale, à l'approche des élections nationales-, ou que le Premier ministre soit sincèrement convaincu qu'il sortira de l'ornière corse en procédant à une vaste dévolution des pouvoirs républicains, le résultat est là. Votre texte est d'abord le produit d'un invraisemblable tête-à-queue politique, pour ne pas dire d'une capitulation en rase campagne en novembre 1999 : ébranlé, humilié par l'assassinat, à ce jour impuni, du préfet Erignac, puis par la lamentable affaire des paillotes, par la montée inexorable de la violence, votre Gouvernement a fini par céder sur toute la ligne. Ce même Gouvernement qui en 1997-1998 affichait sa fermeté, sa détermination à ne pas céder à la violence et son refus d'envisager comme seule solution une énième révision de statut, non seulement acceptait de s'asseoir à la table de négociations avec les indépendantistes, en levant le préalable de l'arrêt de la violence, mais acceptait tout de go l'essentiel des revendications nationalistes, à savoir le transfert de pouvoirs législatifs à l'Assemblée de Corse, l'apprentissage de la langue corse, sans oublier le transfert aux autorités locales de la quasi totalité des compétences et du patrimoine de l'Etat.

Malgré toute l'inventivité rédactionnelle de vos services, du rapporteur, du président de la commission des lois qui parle sans rire de « pouvoir législatif partagé » ou d'« offre d'enseignement de la langue corse », chacun voit bien que votre texte aboutit à une dévolution quasi totale des pouvoirs de l'Etat à une collectivité qui, de ce fait, deviendra inévitablement une autorité politique distincte de l'Etat républicain. Si votre modèle corse venait à être généralisé à d'autres régions, la France cesserait ipso facto d'être une République unitaire, au mieux pour devenir un Etat fédéral, au pire pour revenir aux clivages du Moyen-Age.

La décentralisation ou le « droit à l'expérimentation », invoqués par certains, à gauche comme à droite, ne sont en réalité que l'alibi d'une politique programmée de lâchage de la Corse en 2004, c'est-à-dire après les prochaines échéances nationales.

Les indépendantistes n'en resteront pas là. L'exemple basque est là pour le prouver : l'Espagne avait voulu jouer la carte d'une vaste dévolution des pouvoirs ; on sait où elle en est...

En Corse, la violence redoublera à mesure que se produira cette dévolution des pouvoirs, prenant en otage des élus insulaires qui ne sont que les « imbéciles utiles », comme disait Lénine, d'une entreprise séparatiste qui les dépasse.

A la loi républicaine se substitueront peu à peu les petits arrangements locaux, les prébendes, la loi de l'Omerta ; 90 % de Corses ne veulent pas de ce destin-là.

En refusant de consulter le peuple corse sur son avenir, soit directement, soit par l'élection d'une assemblée réellement représentative, vous vous engagez dans un processus fait de renoncements successifs et débouchant sur la sécession. Ce soir, je suis triste pour la Corse et j'ai mal à la France. Je souhaite que nous, députés, prenions nos responsabilités : il est encore temps d'éviter le pire.

MM. François d'Aubert et Nicolas Dupont-Aignan - Très bien.

La discussion générale est close.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, après les questions au Gouvernement. Celle-ci aura lieu aujourd'hui mercredi 16 mai, à 15 heures.

La séance est levée à 2 heures 5.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

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ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 16 MAI 2001

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 2931) relatif à la Corse.

M. Bruno LE ROUX, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. (Rapport n° 2995)

A VINGT ET UNE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

        www.assemblee-nationale.fr


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