Accueil > Archives de la XIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (2000-2001)

Session ordinaire de 2000-2001 - 83ème jour de séance, 191ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 31 MAI 2001

PRÉSIDENCE de M. Yves COCHET

vice-président

Sommaire

          FONDATION POUR LES ÉTUDES COMPARATIVES 2

          ARTICLE PREMIER 7

          ART. 10 8

          RÉUNION D'UNE CMP 8

          ACCÈS AUX ORIGINES PERSONNELLES 8

La séance est ouverte à neuf heures.

Top Of Page

FONDATION POUR LES ÉTUDES COMPARATIVES

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Raymond Forni et Jean-Marc Ayrault portant création d'une Fondation pour les études comparatives.

M. Jean-Jacques Denis, rapporteur de la commission des affaires culturelles - Si la comparaison est un exercice humain fort ancien, le droit comparé demeure, en dépit de la création dès 1869 de la société de législation comparée, le parent pauvre de l'enseignement du droit en France. L'enseignement supérieur et les centres de recherche ont joué un rôle essentiel pour la recherche fondamentale au XXe siècle, mais l'évolution des besoins appelle aujourd'hui de nouvelles réponses. Les deux rapports commandés respectivement à Robert Badinter par François Bayrou en 1996, puis à Antoine Lyon-Caen par Claude Allègre ont donc inspiré cette proposition de loi qui vise à pallier les insuffisances du droit comparé. Certes, nous avons déjà une expérience en la matière avec la réunion et la restructuration en 1996 des universités de Paris I et Paris II, le CNRS qui dispose de l'unité mixte de recherche n° 135 vouée au droit comparé, et l'école doctorale de Paris I et Paris II, qui s'est malheureusement soldée par un échec. Le droit comparé est cependant enseigné dans quelques universités comme Paris I, Paris II, Paris X, Lyon III, Strasbourg et Nancy II, qui ont organisé avec des universités étrangères, des filières permettant la délivrance de diplômes de droit français et étranger.

Le développement des échanges internationaux, la construction européenne -qui s'accompagne de l'élaboration d'un droit communautaire-, l'émergence de nouvelles démocraties et le bouleversement des techniques de l'information et de la communication, militent aujourd'hui pour l'approfondissement de cette démarche. La Fondation a donc pour objet de répondre à des besoins qui dépassent désormais la seule recherche théorique. Il en va de la place de la France dans le monde.

Structure originale, la fondation pour les études comparées constitue une réponse pertinente aux questions posées. Elle s'attachera à décloisonner la recherche, à redonner une place majeure à l'enseignement du droit comparé et à identifier et rassembler les sources documentaires. Des fonds existent déjà à la bibliothèque du centre français de droit comparé, à la bibliothèque Cujas, au ministère de la justice et dans les bibliothèques des assemblées parlementaires et des universités.

La Fondation constitue un dispositif novateur sur les plans institutionnel et juridique : elle doit être dotée d'un immeuble à Paris et ses fondateurs initiaux -qui seront exclusivement des personnes publiques- seront représentés au sein de son conseil. Il s'agit notamment des assemblées parlementaires, de ministères concernés, du Conseil constitutionnel, du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes. Tel est l'objet de cette proposition de loi.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche - Comme l'a rappelé le rapporteur, le texte que nous examinons est le résultat de la mission confiée par mon prédécesseur à Antoine Lyon-Caen le 15 janvier 1999 qui s'est conclue en juillet 2000 par la remise d'un rapport de grande qualité. Les propositions qu'il formulait ont été reprises dans le présent texte par MM. Raymond Forni et Jean-Marc Ayrault, dont je salue la contribution.

L'ouverture de la France sur l'extérieur, la globalisation de l'économie, la construction européenne, l'émergence de nouvelles démocraties et le développement des échanges internationaux imposent de mieux connaître les droits étrangers.

Notre pays a toujours excellé dans le droit comparé : de grands juristes comme René David en témoignent. Les études ont pris appui sur des structures spécifiques comme la Société de législation comparée, l'Institut de droit comparé, le Centre français de droit comparé, certaines universités de Paris -Paris I, Paris II, Paris X et des universités des régions.

Comme l'avait souligné Robert Badiner en 1996, les chercheurs sont cependant trop peu nombreux, et les champs de recherche inégalement explorés. En 1997, un groupement de recherche a été constitué entre le CNRS, diverses universités, le Centre français de droit comparé et la Société de législation comparée. Mais il faut maintenant passer à la vitesse supérieure et faire preuve de volontarisme. C'est l'objet de cette proposition de loi, qui traduit l'engagement du Parlement et du Gouvernement.

La Fondation s'attachera à promouvoir les échanges et à développer les connaissances en droit comparé, en poursuivant quatre objectifs : la promotion des études comparatives, la constitution et la valorisation d'un fonds documentaire, le développement de la coopération internationale et la promotion de formations de haut niveau. Personne morale de droit privé à but non lucratif, reconnue d'utilité publique, elle dérogera cependant au droit traditionnel des fondations en étant dotée non d'un conseil d'administration mais d'un directoire placé sous le contrôle d'un conseil de surveillance où siégeront des représentants de l'Etat et de l'enseignement supérieur. Une place prépondérante y sera donnée aux institutions fondatrices : les assemblées parlementaires, les ministères concernés, le Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat, la Cour des comptes et la Cour de cassation. Le directoire composé de 2 à 5 personnes l'animera et la gérera. Une autre originalité tient à sa dotation initiale, financée exclusivement par les fondateurs publics, et à ses ressources, qui resteront essentiellement publiques. L'Etat et d'autres collectivités publiques pourront également mettre des personnels à sa disposition.

Le Gouvernement soutient cette proposition de loi qui permettra de valoriser les atouts de notre pays en droit comparé et de les mettre au service des échanges internationaux.

M. Patrick Delnatte - La présente proposition de loi, qui vise à créer une Fondation pour les études comparatives, découle de deux rapports sur le droit comparé, confiés respectivement à Robert Badinter et à Antoine Lyon-Caen, qui avaient conclu à la faiblesse de cette discipline en France. Personne ne conteste ce constat d'autant que les membres des professions juridiques sont de plus en plus confrontés à des questions de droit comparé.

En vous appuyant sur l'étude du professeur Lyon-Caen, vous proposez une solution qui reconnaîtrait implicitement la défaillance du service public de l'enseignement supérieur. Ainsi, vous estimez plus facile de recourir à la création d'une institution nouvelle, appelée selon vous, Monsieur le rapporteur, « à jouer un rôle d'impulsion et de mobilisation ».

Vous semblez fonder plus d'espoir dans votre projet que dans la capacité légendaire du ministre de l'éducation nationale à apporter une réponse appropriée aux faiblesses du droit comparé en France. Pourtant, ce n'est pas parce que la tentative de rapprochement entre les universités de Paris I et de Paris II s'est soldée par un échec qu'il faut s'avouer vaincu !

Nous nous interrogeons d'ailleurs sur la compatibilité de ce projet avec le principe d'autonomie des universités auquel nous sommes particulièrement attachés. Il existe des équipes de recherche dans chaque université. La création d'une telle fondation ne risquerait-elle pas de les priver des moyens dont elles ont besoin et, par conséquent, d'assécher la recherche existante et de paralyser les initiatives ?

A cet égard, je ne peux que marquer ma perplexité sur l'article 2 du texte adopté par la commission, qui concerne l'objet de cette fondation.

Que recouvre l'expression « promouvoir le développement des études scientifiques comparatives relatives au droit, aux institutions et aux sociétés » ? Les universités ne sont-elles pas au c_ur de cet objectif ? La mise en _uvre d'une politique de formation de haut niveau est-elle bien du ressort d'une fondation ? Cela conduira-t-il à terme à la délivrance de diplômes ?

Par ailleurs, je comprends tout le prix que vous attachez à voir se créer cette fondation par la voie législative, ce qui traduirait l'engagement des pouvoirs publics dans ce projet. Mais pourquoi et comment l'Etat trouverait-il plus de moyens pour apporter son soutien financier à ce projet que pour encourager des initiatives universitaires ?

Enfin pourriez-vous nous préciser la contribution financière des assemblées parlementaires à ce projet, tant pour les investissements que pour le budget de fonctionnement ?

Compte tenu de ces remarques et interrogations, le groupe RPR souhaite que la réflexion s'approfondisse.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Cette proposition de M. Forni de créer une Fondation pour les études comparatives reprend les conclusions d'un rapport demandé par François Bayrou, alors ministre de l'éducation nationale, à Robert Badinter sur le développement du droit comparé en France. Ce dernier proposait de mettre en réseau les institutions concernées à travers la création d'une fondation.

L'importance des études comparatives, dans le domaine du droit, mais aussi dans d'autres domaines, est de plus en plus manifeste.

Nous vivons dans un monde de plus en plus ouvert et les décisions prises dans un pays ont souvent un écho immédiat dans les autres. Ainsi la décision de décembre 2000 de la Grande-Bretagne d'autoriser la création d'embryons à des fins de recherche par clonage thérapeutique a soulevé un débat important dans notre pays, notamment en raison de la forte concurrence entre équipes médicales.

La connaissance des autres systèmes institutionnels est devenue non seulement une nécessité, mais aussi une source d'innovation.

Comparer, en effet, aide à connaître l'autre et à se connaître soi-même, car le détour par l'autre permet de mieux cerner sa propre identité. Le grand comparatiste Marc Ancel définit le droit comparé comme « la constatation des points communs et des divergences entre deux ou plusieurs droits nationaux ».

Pour les spécialistes de la science politique comparée, comme Bertrand Badie et Guy Hermiet, l'approche comparative permet d'abord de mieux comprendre, de relativiser, et enfin de se libérer à la fois des pesanteurs de l'ethnocentrisme, et de celles plus insidieuses de l'universel et de l'uniforme.

Montesquieu était sceptique sur l'intérêt d'une telle comparaison, estimant que « les lois doivent être propres au peuple pour lequel elles sont faites ». Mais notre environnement a changé et il est facile aujourd'hui de saisir tout l'intérêt d'une approche comparative, par exemple en droit pénal. Ainsi, l'article du code pénal français décidant que la poursuite en France d'un crime ou d'un délit commis à l'étranger est impossible si l'intéressé justifie qu'il a déjà été jugé ou, qu'il a subi ou prescrit la peine, implique que les magistrats français connaissent le droit étranger.

La mondialisation de l'économie oblige également les entreprises françaises à avoir une connaissance sûre des droits étrangers. Le droit représente véritablement aujourd'hui un enjeu économique : il règle les contrats commerciaux et facilite les investissements. Si nous n'agissons pas, la France risque de dépendre de structures de conseils juridiques en majorité anglo-saxonnes.

Au-delà de cet aspect économique, la diffusion du droit français représente un enjeu culturel majeur pour la place de la France dans le monde.

Or force est de constater que notre pays en la matière est en retard. Trop d'analyses du système politique français sont encore marquées par une vision formaliste, institutionnelle, qui ne permet pas de relativiser l'analyse ni de l'enrichir par la confrontation avec d'autres expériences.

Cette carence n'est pas propre au monde de la recherche et de l'université. La presse française est encore très avare d'informations sur nos voisins européens.

La tendance à faire du franco-français se retrouve aussi dans notre Assemblée. Certes, depuis quelques années, des progrès ont été accomplis au niveau de l'organisation interne, avec les services des études européennes et des affaires internationales. Des intervenants étrangers sont régulièrement invités dans les délégations et les missions d'information se rendent fréquemment à l'étranger.

Pourtant l'Assemblée ne dispose pas, contrairement au Sénat, d'un véritable service de droit comparé.

Au-delà de notre Assemblée, la recherche dans notre pays a relativement dédaigné l'approche comparative, comme en témoigne le faible nombre de publications dans ce domaine, alors que dans les universités anglo-saxonnes, la réflexion comparative est une discipline à part entière. En France, le nombre de chercheurs est insuffisant, les équipes trop isolées, les diplômes de droit comparé trop peu nombreux.

Les sources d'information, elles, sont importantes mais elles sont souvent éclatées entre différents centres, rendant leur accès malaisé.

Ce qui manque, c'est bien une mise en commun de tous ces efforts d'où l'idée de créer une fondation pour les études comparatives.

Créer une institution nouvelle permettra-t-il d'améliorer notre maîtrise du droit comparé ?

Oui, à la seule condition que, comme l'affirme le rapport Badinter, elle soit destinée « non pas à se substituer à ce qui existe déjà, mais à aider les structures existantes à se développer de façon cohérente et à susciter la création de ce qui fait encore défaut ».

A cette réserve près, je souscris aux missions imparties à cette fondation : promotion des études, développement de la coopération internationale, politique de formation et mise en réseau des références.

En revanche, le champ des bénéficiaires de cette fondation me paraît trop limité : seuls les ministères, les Assemblées, les hautes juridictions et les universités pourront s'y adresser. Or, l'essor du droit comparé sera également très utile pour le secteur privé : les entreprises et les professions juridiques devraient donc avoir accès aux informations détenues par cette fondation.

Il conviendrait, par ailleurs, de profiter de cette création pour mieux exploiter les opportunités offertes par les nouvelles technologies.

Comme députée, je me méfie de la tendance de notre Assemblée à créer régulièrement de nouveaux conseils, fondations, institutions. Nous devons veiller à ne pas empiler les structures, à ne pas créer des coquilles vides dont la seule justification est de recaser quelques fonctionnaires.

Souhaitant que tel ne soit pas l'objet ni le sort de cette fondation, le groupe UDF votera cette proposition de loi.

M. Laurent Dominati - Bien sûr, j'aimerais être agréable au président de notre Assemblée, auteur de cette proposition de loi. On comprend qu'il souhaite, comme ses prédécesseurs, « marquer » sa présidence : mais il y faudra sans doute un autre projet que celui-ci.

Certes, le droit comparé est une matière passionnante et éminemment politique. Mais rassembler l'Assemblée nationale pour créer, par la loi, une fondation financée par des fonds publics et dotée d'instances composées essentiellement de fonctionnaires, oh là là, quelle novation ! Dans quel autre pays existe-t-il une fondation créée par l'Etat pour étudier le droit comparé ? Avant d'être député, j'ai eu l'occasion de rencontrer à Moscou un statisticien qui présidait une fondation de droit comparé : en fait elle servait à recaser des hauts personnages de l'Etat. Je ne l'ai pas revu car une semaine après, il y a eu un coup d'Etat et l'ex-URSS s'est effondrée. Aujourd'hui je ne sais pas s'il existe donc au monde un seul institut de droit comparé fondé par la loi et entièrement contrôlé par l'Etat...

Ce qui m'étonne, Monsieur le ministre, c'est que vous défendiez, vous, ce projet. Quel aveu d'échec ! Comment, la France n'est pas à la hauteur en matière de droit comparé ? Et nos universités ? Et l'ENA ? Et Sciences-Po ? Et l'Institut du droit comparé ?

Quoi ! A l'heure d'Internet, il nous faut, comme au XIXe siècle, créer une fondation ? Quel camouflet pour la recherche française et pour nos universités ! Oh, assurément cette fondation sera un club prestigieux où l'on pourra discuter aimablement et avec sérénité et tout le monde, y compris d'anciens députés, voudra en faire partie. Mais je ne vois pas en quoi une proposition de loi de l'Assemblée nationale était nécessaire. La matière n'est tout de même pas nouvelle. Et si vraiment les études de droit comparé ont besoin d'un essor, Monsieur le ministre, qu'attendez-vous pour le leur donner via les universités ?

Et si l'Assemblée nationale veut simplement montrer combien elle est importante, il y a d'autres fondations qu'elle pourrait utilement créer, par exemple une fondation pour la défense des droits de l'homme -dans la ligne de ce qu'avait fait le président Fabius en réunissant des députés qui parrainaient des militants des droits de l'Homme- ou une fondation pour la démocratie universelle, une fondation qui distribuerait des bourses à ceux qui combattent pour la liberté, une fondation pour l'écologie et la promotion du développement durable...N'est-ce pas, Monsieur le président ?

Je m'étonne en tout cas que l'on veuille créer cette fondation alors que l'on a supprimé, il y a quelque temps, l'office d'évaluation des politiques publiques, qui certes fonctionnait mal tant il avait été saboté mais qui était de nature à accroître les pouvoirs de l'Assemblée en matière de contrôle du Gouvernement. Car il serait bien utile de se doter des moyens de suivre l'application des lois, de voir aussi comment elles naissent. Prenons cette proposition de loi, par exemple : à son origine, il y a un premier rapport commandé par un ministre de l'éducation nationale, puis un deuxième. Il fallait sans doute bien que cela débouche sur quelque chose.

Je lis dans l'exposé des motifs que tout le monde réclame cette fondation. En réalité, personne n'est au courant et en vérité, l'Assemblée nationale s'honorerait d'en créer d'autres, plus nécessaires, et le Gouvernement de compter plutôt sur l'excellence de nos universités pour promouvoir le droit commun. C'est pourquoi le groupe DL votera contre la création de cette fondation, à laquelle l'orateur espère bien cependant accéder dans ses vieux jours.

M. le Rapporteur - Cette fondation n'est pas faite pour se substituer aux universités françaises ni pour remédier à leurs éventuelles faiblesses mais pour favoriser un certain décloisonnement et agir comme un stimulant. Elle aura un effet d'entraînement et rassemblera des recherches qui sont un peu éparpillées dans le pays.

Elle privilégiera les fonds publics dans la mesure où son action sera essentiellement publique, car c'est son objet, mais il n'est pas impossible qu'ensuite elle intervienne pour des actions privées et complète ainsi ses ressources.

Je signale que la Suisse a eu elle aussi recours à la loi -une loi fédérale de 1978- pour créer un institut de droit comparé. Et que je sache, la Suisse est un pays démocratique.

M. Laurent Dominati - Mais fédéral.

M. le Rapporteur - Par ailleurs, l'Angleterre dispose depuis 1946 d'un institut de droit comparé et l'Allemagne depuis 1948 -l'Institut Max Planck.

M. le Ministre - Il ne s'agit pas, Monsieur Delnatte, de remédier à je ne sais quelle carence de l'enseignement supérieur -il n'y a pas de carence, nos universités ont de grands spécialistes de droit comparé -mais simplement de passer à la vitesse supérieure. Et ne voyez dans la création de cette fondation nulle atteinte au principe d'autonomie des universités : la Fondation nationale des sciences politiques, autre fondation créée par la loi, n'entame aucunement l'autonomie de l'IEP ni celle des autres universités qui enseignent les sciences politiques. La future fondation ne délivrera d'ailleurs pas de diplôme.

Mme Boisseau a pris l'exemple intéressant des transferts de noyaux de cellules somatiques. Il est certain que les pouvoirs publics ont besoin, d'une manière générale, de savoir quelles solutions juridiques les autres pays ont apportées à certains problèmes scientifiques. La science politique comparée constitue également un vaste champ d'étude : j'ai moi-même créé en 1972 à l'IEP le premier cours de science politique comparée. Et puis il y a aussi ce que l'on appelait autrefois le jus commune, le droit commun. Nombre de pays ont envie, notamment en droit pénal international, d'aller vers des normes juridiques communes : l'actuel Tribunal pénal international -et demain la Cour pénale internationale- en est l'illustration.

Créer une fondation par la loi n'est pas aussi singulier que vous le dites, Monsieur Dominati. La Fondation du patrimoine l'a été ainsi et la FNSP a été quant à elle créée par une ordonnance à valeur législative. La Suisse et l'Allemagne...

M. Laurent Dominati - Non, pas l'Allemagne

M. le Ministre - ...ont eu aussi recours à la loi ou à une norme équivalente.

Ce recours à la loi permet en l'occurrence d'éviter certaines lourdeurs liées habituellement au statut des fondations. La future structure sera plus souple.

Par ce texte d'origine parlementaire, l'Assemblée témoigne de son intérêt pour le développement des études comparatives en France. Notre pays compte déjà de grands comparatistes mais la future Fondation sera à même d'assurer, Monsieur le Président, un développement durable du droit comparé.

La discussion générale est close.

M. le Président - J'appelle dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du Règlement les articles de la proposition de loi.

Top Of Page

ARTICLE PREMIER

Mme Nicole Catala - Dans son principe, je suis favorable à la création d'une telle fondation, pour la raison très simple que les universités françaises manquent des moyens nécessaires pour promouvoir les études comparatives. Elles sont dans un réel état de misère en matière de documentation et de bibliothèque ; tout ce qui peut contribuer à renforcer leurs moyens est donc bienvenu.

Néanmoins, j'émettrai deux réserves.

D'une part, il n'entre pas dans les missions d'une telle fondation de développer des formations, rôle qui revient à l'université : il ne faut pas mélanger les genres. D'autre part, je souhaiterais qu'il nous soit dit aujourd'hui par le ministre que le président sera un universitaire, afin de garantir l'indépendance, l'objectivité, la neutralité et la qualité scientifique de la fondation.

M. le Ministre - Quand cette proposition de loi parle de formation, c'est pour dire que la fondation mettra en _uvre une politique de formation en matière d'études comparatives. Elle ne délivrera pas de diplômes car telle n'est pas sa vocation.

Je comprends le souci que vous exprimez concernant la présidence. Celle-ci peut en effet être exercée par un professeur d'université, mais aussi par un haut magistrat, dont le statut garantirait à la fois l'indépendance et les connaissances juridiques.

Mme Nicole Catala - Certes, les magistrats sont indépendants, mais l'indépendance d'esprit et d'expression des universitaires est un principe de valeur constitutionnelle. Je souligne donc l'intérêt qu'il y aurait à préciser que le président sera un universitaire.

L'article premier, mis aux voix, est adopté, de même que les articles 2 à 9.

Top Of Page

ART. 10

M. le Ministre - Le Gouvernement s'engage à assurer le financement de la fondation sur les crédits ouverts en loi de finances, sans qu'il soit nécessaire de prévoir de nouvelles recettes. Il vous propose donc par son amendement 1 de supprimer l'article 10.

M. le Rapporteur - Avis évidemment favorable.

M. Laurent Dominati - C'est pour nous l'occasion de demander au Gouvernement son estimation du coût de cette nouvelle fondation. Les crédits qui lui seront alloués seront autant de moyens en moins pour d'autres, notamment pour les universités.

Je ne comprends toujours pas la raison de ce texte. Si le statut des fondations empêchait la création d'un tel organisme, mieux aurait valu, à l'évidence, légiférer pour modifier ce statut.

Enfin, que devient l'Institut de droit comparé ?

M. le Ministre - L'Institut de droit comparé participera au réseau mis en place par la Fondation pour les études comparatives.

L'évaluation des moyens nécessaires commence ; nous en reparlerons lorsque nous les inscrirons dans le budget 2002. Les besoins seront relativement modestes, s'agissant d'une institution qui stimulera d'autres institutions.

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté, et l'article 10 est ainsi supprimé.

L'ensemble de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 9 heures 55, est reprise à 10 heures.

Top Of Page

RÉUNION D'UNE CMP

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant qu'il a décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la sécurité quotidienne.

    Top Of Page

    ACCÈS AUX ORIGINES PERSONNELLES

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l'accès aux origines personnelles.

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées - Il est des circonstances où légiférer oblige à trancher dans le vif des intérêts contradictoires, où protéger les uns conduit à restreindre la liberté des autres, parce que l'intérêt général ou la simple justice sont à ce prix. Mais il arrive aussi que l'art du législateur tende à réussir une synthèse, à rendre compatible ce que le sens commun, le poids des habitudes, l'imperfection des textes semblaient opposer. Le droit tantôt sépare, distingue, tranche, tantôt joint, relie, unit.

Ce projet appartient à la catégorie des textes qui font droit aux aspirations légitimes de tous les protagonistes. Il témoigne que la loi peut donner un cadre et des références communes sans ignorer l'irréductible singularité des situations vécues.

Les travaux de votre commission ont permis de parfaire le texte. Le moment est venu de garantir les droits respectifs et en réalité solidaires des mères contraintes à l'abandon et des enfants pupilles de l'Etat ou adoptés. Il faut en finir avec la règle de l'opacité et les fictions juridiques qui amputent de manière irréversible la biographie de milliers d'enfants. Les mères peuvent, elles aussi, aspirer un jour à savoir : elles ont droit à autre chose qu'une fin de non recevoir. Je pense qu'il faut lever les obstacles au désir de vérité des familles adoptives. La confidentialité n'est pas le secret, qui n'est pas l'anonymat ; l'origine n'est pas la filiation. Il faut dépasser les antagonismes entre le droit de savoir et le droit à ce que cela ne se sache pas, les droits des femmes et la protection des enfants.

En 1978, le vote de la loi sur l'accès aux documents administratifs a encouragé les associations de pupilles de l'Etat à réclamer l'ouverture de leurs dossiers et la levée de la loi du silence dont l'Etat faisait alors sa règle. Un combat s'amorce alors, auquel je tiens à rendre hommage. La Coordination pour le droit à la connaissance des origines y prend, avec d'autres, une part de plus en plus active. Vingt ans plus tard, « les Mères de l'Ombre » y apporteront le renfort de leur témoignage et montreront à quel point, pour elles aussi, l'épreuve du secret peut être douloureuse. Quelques pères se joignent au mouvement. Les associations de familles adoptives s'impliquent dans un débat où chacun apprend à faire la part de l'autre, de nombreux parents souhaitant désormais que leurs enfants puissent renouer les fils de leur histoire.

Parallèlement, les mouvements féministes obligent une société encore fortement patriarcale à prendre davantage en compte les droits de son « continent noir ».

1978, c'est aussi l'année d'une démarche courageuse et solitaire qu'il me paraît naturel de saluer : l'un de vos collègues, aujourd'hui décédé, Hector Rolland, avait alors déposé une proposition de loi mentionnant, pour la première fois et pour les seuls pupilles de l'Etat, le droit de connaître leurs origines. Il demandait qu'on mette fin à ce qu'il appelait « une confiscation légale de renseignements ». Nul n'accepta de le suivre. Son texte ne fut jamais soumis au vote. Sans doute les esprits n'étaient-ils pas encore mûrs...

Les psychanalystes expliquent aujourd'hui qu'on fait mieux le deuil de ce qu'on connaît que de l'impossible à savoir. Des sociologues critiquent ce « mode majestueux de non réponse" dont les administrations sont trop souvent coutumières. ATD Quart-Monde a montré que les familles les plus pauvres sont les plus exposées aux situations dans lesquelles on fait bon marché de leur histoire.

Les rapports du Conseil d'Etat en 1991 et de l'IGAS en 1996, le rapport parlementaire de 1998, ceux d'Irène Théry et de Françoise Dekeuwer-Défossez sur la rénovation du droit de la famille concluent dans le même sens. Celui du Service du droit des femmes procède d'une enquête approfondie sur les situations, les contraintes, les motivations et les besoins des femmes qui accouchent sous X. Tous mettent en évidence la nécessité d'organiser une réversibilité du secret, de mieux informer les mères sur leurs droits véritables, d'harmoniser les pratiques, de mettre en place une instance de médiation.

Or la loi de 1993 en introduisant l'accouchement sous X dans le code civil, tend à verrouiller davantage le secret des origines. La loi de 1996 sur l'adoption, pour la première fois, donne à la mère la possibilité de lever le secret de son identité mais la réforme, de fait, s'arrête à mi-chemin, car elle n'autorise que le recueil de renseignements « non identifiants ». L'absence de toute instance arbitrale ou médiatrice et la non-parution des décrets d'application privent d'effets pratiques un texte certes timide, mais qui témoigne d'une prise de conscience. J'en ai d'ailleurs tiré une leçon : l'élaboration des décrets nécessaires à l'application du texte qui vous est soumis a d'ores et déjà été engagée, de sorte qu'ils puissent être publiés en temps réel et ne privent pas votre décision de sa force.

A la même époque, la France ratifie des conventions internationales -celle des droits des enfants et celle de La Haye- qui l'engagent à garantir le droit à la connaissance de son identité, donc de ses origines.

Tel est le contexte dans lequel s'engage l'examen du présent projet, qui est le fruit de nombreuses consultations. Depuis un an, j'ai tenu à rencontrer les différentes associations, les collectifs luttant pour les droits des femmes, le Conseil supérieur de l'adoption, le médiateur de la République, la Défenseure des enfants, des chercheurs de toutes disciplines et des personnalités du monde médical. J'ai beaucoup écouté et je crois avoir entendu. « Tous les chagrins sont supportables, a écrit Boris Cyrulnik, si on en fait le récit ». Je l'ai mieux compris grâce à celles et ceux que j'ai rencontrés. Leur expertise nous a été précieuse : qu'ils en soient remerciés. C'est ainsi que les choses avancent : lorsque mobilisation citoyenne et volonté politique parviennent à s'épauler.

Ce texte a pour principe l'équilibre des droits : droit fondamental de l'enfant à connaître ses origines et son histoire ; droit de la mère à la confidentialité, au respect de sa liberté et de sa vie privée ; droit des familles adoptives à la sécurité de la filiation.

Le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles doit être l'outil de cet équilibre consacré par la loi, sous la forme d'un chapitre nouveau du code de l'action sociale et des familles. Instance nationale identifiable par tous, ce conseil n'a pas de mission juridictionnelle. Il sera le garant des nouvelles conditions de recueil, de conservation et de diffusion des informations relatives à l'identité des parents de naissance, de nouvelles pratiques permettant à chacun d'exercer ses droits tout en bénéficiant d'actions d'accompagnement et de médiation individualisées. L'objectif est de concilier la protection du droit des femmes à l'accouchement dans le secret et l'organisation de sa levée volontaire. L'accueil gratuit et inconditionnel, sans obligation de produire une pièce d'identité ni enquête préalable, reste bien sûr garanti à toute femme. La décision d'accoucher dans ces conditions n'appartient, au bout du compte, qu'à elle. Jusqu'alors, la désinformation, l'isolement, la pauvreté, les pressions sociales conduisaient certaines femmes à prendre dans l'urgence des décisions procédant de l'ignorance de leurs droits.

C'est pourquoi désormais toute femme sera invitée à consigner son nom, celui du père quand c'est possible ainsi que tous les éléments historiques et médicaux de nature à renseigner l'enfant sur les circonstances de sa venue au monde et sur l'identité de ses parents. Elle sera « invitée » et non « forcée » car, dans certaines situations la contrainte peut se révéler plus dangereuse que protectrice et conduire à l'accouchement clandestin.

La mère sera systématiquement informée que le secret, dont le CNAOP est gardien, ne sera levé qu'avec son consentement. Ma conviction est que, correctement conseillées, les femmes choisiront cette forme d'aménagement du secret plutôt que l'irréversibilité de l'anonymat.

Inciter, informer, dialoguer, privilégier l'accompagnement et le consentement, tel est notre choix. Je le crois conforme à l'intérêt des femmes et à celui des enfants.

A tout moment, les parents de naissance pourront décider de lever le secret de leur identité, mais cette volonté ne sera pas communiquée à l'enfant si celui-ci n'en exprime pas la demande. Le droit de connaître ses origines ne doit pas faire obstacle au droit de n'en rien connaître, ou d'en imaginer soi-même le scénario. En Grande-Bretagne, la levée de l'interdit a fait tomber, avec l'angoisse de ne jamais savoir, bien des demandes : seuls 11 % des enfants adoptés ont choisi, comme la loi les y autorise depuis 1975, de mener leur recherche à son terme. Lorsqu'une mère demandera des nouvelles de son enfant, c'est sa volonté à lui qui sera clairement privilégiée. Le dossier de l'enfant pourra, par ailleurs, devenir l'instrument d'une communication fondée sur le consentement mutuel.

Le maître mot du projet qui vous est soumis est l'équilibre. Beaucoup n'ont jamais perdu l'espoir de combler ce manque dont l'ombre s'étend sur toute leur vie. D'autres ont simplement besoin de savoir qu'un jour, s'ils le souhaitent, leur question pourra trouver une réponse. Bien des jeunes accouchées ont hâte de tourner la page et leur souhait doit être respecté. Bien des mères qui sont passées par là savent qu'avec le temps, les questions enfouies resurgissent et taraudent.

Je voudrais, pour conclure, insister sur quatre points.

D'abord, le droit pour chacun de connaître ses origines n'est pas une dérive du « tout biologique ». Il n'est pas fondé sur les « liens du sang ». Les enfants nés sous X le disent : ce n'est pas une mère qu'ils cherchent, ils en ont une, c'est une identité adossée à leur véritable biographie. Ce projet de loi tient l'accouchement pour autre chose qu'une période biologique, que le début d'une improbable « dictature des gènes » -c'est pourquoi je préfère l'expression « parents de naissance » à celle de « parents biologiques ». L'accouchement ne concerne pas non plus que la mère : il ébauche une relation possible, si fugitive soit-elle. C'est un moment vécu à deux, et symboliquement à trois car le père, même absent, ne peut être ignoré. Eviter que la trace en soit perdue n'est pas river l'identité à la chair mais l'ancrer dans une histoire où les parents de naissance ont eu un rôle qui ne peut être gommé.

Ensuite, ce texte a l'avantage de laisser le temps au temps. Il permet aux décisions de mûrir et d'être corrigées. Au fond, il vous est demandé de donner force de loi au droit de chacun à évoluer à son propre rythme, d'inclure dans la loi la dimension forcément changeante et subjective des situations. Le désir de savoir peut hanter précocement ou advenir fort tard : à l'occasion d'un mariage, d'une naissance, d'un deuil ou tout simplement du sentiment qui vient avec l'âge que c'est maintenant ou jamais. Il peut aussi ne jamais advenir.

Autant d'histoires, autant de parcours singuliers à respecter. Le pire est comme un journal en témoignait récemment, de découvrir à 50 ans, face à un notaire qu'on consulte pour un tout autre point, qu'on a été adopté sans l'avoir jamais su et que toute trace de ce qui s'est passé avant a irrémédiablement disparu. « Tout se perdait dans le brouillard. Le passé était raturé, la rature oubliée et le mensonge devenait vérité ».

La création du CNAOP permet également d'affirmer un nouveau droit de la personnalité, respectueux des différentes dimensions de l'identité individuelle. Ce droit est, je le pense, profondément moderne. Il reconnaît à chacun le pouvoir de combiner à sa manière les différentes composantes d'une histoire toujours complexe. Ce n'est pas simplement affaire de vie privée, mais de légitimité. Là où, trop souvent, on n'aperçoit que contradictions ou déchirements, il faut apprendre à conjuguer plutôt qu'à retrancher. L'accès aux origines personnelles ne fragilise pas la filiation, et la sécurité de l'adoption est un axe essentiel de la réforme du droit de la famille à laquelle je me suis attachée. Nous devons apprendre à faire davantage de place, dans la vie d'un enfant, à d'autres adultes susceptibles de compter pour lui : parent de naissance, ou beau-parent dans les familles recomposées. Il en va du respect de son histoire. Présidente d'Enfance et Familles d'adoption, Mme Housset l'a fort bien dit : « que l'amour ne peut reposer sur le mensonge, les parents doivent pouvoir tout dire du chemin qui les a conduits à leur enfant et il leur appartient de rechercher l'histoire qui a conduit leur enfant jusqu'à eux ». Le consentement à l'adoption de la part d'une mère qui ne peut assumer la charge de son enfant est un formidable acte d'amour qui comble aussi de bonheur les parents adoptifs, et l'anonymat n'y ajoute rien.

Enfin, je ne crains pas de le dire, cette loi est aussi une loi féministe. La pratique actuelle de l'accouchement sous X n'est pas un acquis mais une défaite des femmes, conduites à prendre sur le moment des décisions qui les ligotent pour la vie, livrées aux abus de pouvoir de certains hommes ou aux arrogances administratives auxquelles les meilleures intentions peuvent donner lieu. Les institutions détenant le monopole du secret et décidées à en barrer la route pour le bien supposé d'autrui doivent disparaître. « Notre corps nous appartient ! » ont à juste titre scandé nos aînées. « Notre histoire aussi ! » ai-je envie d'ajouter, sans exclusion des plus démunis. Aider à faire face sans forcer au face à face, tel est le sens de ce projet qui soulagera, je le pense, bien des peines et éclairera des avenirs obscurcis par l'absence de passé (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe RCV, et sur plusieurs bancs du groupe UDF et du groupe du DL).

Mme Véronique Neiertz, rapporteure de la commission des lois - Je n'avais pas bien mesuré, lorsqu'on m'a confié ce rapport, à quel point il relevait d'une véritable gageure. Au lieu de cantonner comme d'habitude notre réflexion au domaine social ou juridique, il a fallu prendre des considérations éthiques ou philosophiques.

Je voudrais d'abord répondre à certaines inquiétudes que ce texte a soulevées. L'accouchement sous X en premier lieu n'est en rien remis en cause, quelle que soit la forme que prenne le secret : anonymat ou confidentialité. Le projet ne compromet en aucune façon non plus l'adoption plénière ni la sécurité de la filiation. Ce point est tellement éloigné que nous n'aurons même pas à en discuter.

L'objet du texte est de concilier ce qui paraissait inconciliable : le droit de toute femme à la protection du secret de la naissance et le droit de l'enfant à connaître son histoire. L'évolution des esprits en la matière a été considérable ces dernières années et le contexte dans lequel nous avions engagé la réflexion sur la loi Mattei, relative à l'accouchement sous X, est bien loin. Cette évolution est due en grande partie au travail des associations, qu'elles défendent les droits des enfants, des femmes accouchées sous X, des parents adoptifs ou des femmes en général -et je salue à cet égard la délégation pour les droits des femmes à l'Assemblée. De nombreux rapports ont été rédigés : les rapports Pascal, Bret, Théry, Dekeuwer-Défossez et Kachoukh ne préconisaient pas tous la même solution. Tout votre mérite, Madame la ministre, est d'avoir su trancher et compléter la loi Mattei, qui ne pouvait faire référence, en 1996, qu'aux renseignements non identifiants, et confiait d'ailleurs le soin de les énumérer à un décret qui n'a jamais été publié.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Un de plus !

Mme la Rapporteure - Vous comprendrez que la commission se soit prémunie contre ce risque en incluant quelques dispositions de caractère réglementaire dans la loi.

Nous voici donc devant un texte qui concilie heureusement le droit de la mère au secret, et le droit de l'enfant à son histoire et qui comporte plusieurs dispositions novatrices. La première réside dans la création du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles des pupilles de l'Etat et des enfants adoptés. C'est lui qui reçoit la demande d'accès à ses origines présentée par un enfant majeur -ou mineur mais accompagné par les parents adoptifs ou par son tuteur- ainsi que la déclaration de levée du secret de la mère. Il recueille alors les éléments relatifs à l'identité. Il peut solliciter, dans le strict respect de la vie privée de la mère, la levée ultérieure du secret de la naissance. C'est donc un début de réversibilité du secret qui est permis.

Nous avons déposé des amendements sur la composition du Conseil, pour éviter que ses membres soient trop nombreux et pour faire droit à la demande des associations concernées d'y siéger.

La deuxième disposition importante concerne l'information à laquelle a droit la mère et ses modalités de délivrance. La femme accouchant sous X est invitée à consigner son identité sous pli fermé « si elle l'accepte ». Cette précision, apportée par la commission, respecte scrupuleusement la volonté de la mère, qui est seulement destinataire d'informations sur l'importance que revêt pour un enfant l'histoire de ses origines et la possibilité de lever ultérieurement le secret. Les personnes qui accompagnent les femmes accouchant sous X ayant unanimement témoigné que le moment de l'accouchement n'est pas le meilleur pour obtenir de la mère les renseignements identitaires, il fallait prévoir cette possibilité ultérieure. Un correspondant départemental se chargera de la transmission et de la coordination des informations avec le Conseil.

Je vous félicite également, Madame la ministre, de supprimer la possibilité d'abandonner un enfant de moins d'un an en demandant le secret de l'identité.

Comme à propos de la bioéthique, je me suis demandé s'il convenait de légiférer dans ce champ, qui est celui de la souffrance. Nous y avons cependant été encouragés, comme dans le cas de la loi bioéthique, par les professionnels, qui savent à quel point le désir de vivre s'ancre dans le langage. Je sais que ce sont de telles considérations qui, avec la prise de conscience collective de ces dernières années, vous ont guidée, Madame la ministre.

Cette étape n'est peut-être pas la dernière, mais elle marque à coup sûr un progrès. La commission des lois a donc adopté à l'unanimité, même si elle l'a amendé, ce texte d'équilibre qui permet d'accéder à cette « parole vraie » dont parlait Françoise Dolto. Il a requis de notre part un lourd investissement, en âme et conscience, mais je me félicite qu'à son propos aient été surmontés les clivages partisans (Applaudissements sur tous les bancs).

Mme Danielle Bousquet, au nom de la Délégation aux droits des femmes - Le sujet qui nous réunit aujourd'hui relève d'un débat éthique autant que juridique.

Ce projet de loi vise à créer un Conseil national d'accès aux origines personnelles, et à préciser ses missions et son fonctionnement, afin, comme l'indique l'intitulé du texte, de faciliter l'accès aux origines personnelles.

Notre société est en effet de plus en plus à l'écoute du travail individuel mené par des enfants pour retrouver leurs origines.

C'est à leur demande que ce projet fait droit.

La délégation parlementaire aux droits des femmes a auditionné de nombreuses personnes pour préparer son rapport et ses recommandations. Elles nous ont dit toute la souffrance subie par les femmes qui se voient contraintes d'accoucher dans l'anonymat.

Ces femmes n'ont pas de profil type. Elles sont de tous âges, pour la plupart majeures, avec ou sans enfant, en couple ou non, mais généralement en situation de grande précarité, en situation de détresse.

Il est donc nécessaire d'affirmer qu'à la violence qui est faite à ces femmes, il faut éviter d'ajouter une autre violence en ne préservant pas ultérieurement leur vie privée ou leur intimité, et ce contre leur gré.

Notre délégation a adopté à l'unanimité 14 recommandations reprises pour certaines par le texte et pour d'autres par des amendements.

La première a trait à la nécessité absolue de maintenir l'accouchement sous X, mais comme une possibilité parmi d'autres d'accoucher dans le secret, ce qui nous renvoie à l'information de la femme à qui on doit proposer toutes les autres possibilités, en particulier lorsqu'elle souhaite la confidentialité vis-à-vis de son entourage, mais non de l'enfant.

Une seconde souligne l'importance de la création par le CNAO d'un document écrit, identique pour l'ensemble de la France, qui présenterait les possibilités s'offrant à la femme concernée, et leurs conséquences, et surtout l'information selon laquelle elle peut à tout moment « lever le secret » ; il importe en effet qu'elle puisse prendre une décision éclairée et savoir que son choix n'est pas définitif.

Il faut aussi sensibiliser ces femmes au fait qu'il est capital pour un enfant de connaître son histoire et, à défaut de son identité de disposer d'éléments relatifs à son histoire, tels que des photos ou des lettres... Au-delà de la nécessaire harmonisation des pratiques, nous recommandons de créer un document à l'intention des enfants qui entreprennent une démarche de recherche, afin de les informer de sa portée et de ses conséquences. Le rapprochement des consentements de la mère et de l'enfant ne peut s'organiser que si les deux volontés existent en même temps. C'est pourquoi nous souhaitons que le CNAO puisse être saisi de la demande du père ou de la mère de naissance s'enquérant d'une démarche éventuelle de l'enfant. Si l'enfant lui-même renouvelle sa demande, il pourrait ainsi être informé de tout élément nouveau dans son dossier.

Enfin, suite à l'arrêt Perruche, nous souhaitons que l'accès à la connaissance des origines ne puisse donner lieu à aucune action en justice relative à la filiation, par exemple en vue d'obtenir des subsides ou une indemnisation.

Sur ce sujet éminemment sensible, nous avons recherché le point d'équilibre, avec en toile de fond les textes existants et à venir concernant la procréation médicalement assistée et le don d'ovules et de gamètes (Applaudissements sur divers bancs).

Mme Marie-Thérèse Boisseau - « Un jour survint un incident que je pris très à c_ur... au cours d'un repas un des convives, ivre, me traita d'enfant trouvé ». C'est ainsi que Sophocle fait parler _dipe.

L'histoire des naissances clandestines est, depuis toujours, très douloureux. Dans notre pays, les premiers éléments connus remontent au XIIe siècle, on les trouve dans les archives de l'Ordre du Saint-Esprit, à Montpellier.

C'est surtout une histoire extrêmement délicate car nous nous trouvons, selon les termes du Conseil d'Etat dans son rapport de 1990 sur le statut et la protection de l'enfant, en présence de deux droits fondamentaux de l'être humain, la vérité et la liberté.

Il y a encore tous les ans, dans notre pays, quelques centaines de femmes qui accouchent secrètement. Elles peuvent le faire à l'hôpital et en sortir, tous frais payés, comme si rien ne s'était passé. Cet accouchement anonyme est un formidable déni social. Déni de l'événement lui-même puisque la femme est censée n'avoir jamais accouché. Déni de l'identité des parents et de leurs droits et devoirs. Déni, enfin, du droit des enfants et petits-enfants à construire leur identité dans la connaissance de leurs origines.

Le déni comporte des effets radicaux pour la mère, le père et l'enfant. Nul ne peut, en effet, introduire d'action en recherche de maternité contre la mère et cette dernière ne peut demander à reprendre son enfant. Le père, ne peut reconnaître l'enfant né sous X car celui-ci n'a pas d'identité. Quant à l'enfant, né sous X d'une mère sous X, il souffre non seulement du « trou » de l'origine, mais aussi des procédures abstraites, sans trace des paroles et des choix de la mère accouchante.

Doit-on pour autant supprimer l'accouchement anonyme sous X ? Non, pour au moins quatre raisons : la première est le respect du droit du parent à faire respecter ce qui constitue, selon le Conseil d'Etat, « l'un des éléments les plus fondamentaux de son intimité », la possibilité de taire sa paternité ou sa maternité.

Second argument, il ne peut y avoir de contradiction entre la recherche poussée sur la biologie et les discours sur la parentalité. Si on accepte l'anonymat des donneurs de gamètes, chose tout à fait positive, cet anonymat doit être étendu à d'autres situations exceptionnelles.

La troisième raison est le souci du pragmatisme : en Allemagne, où n'existe pas l'accouchement sous X, viennent d'être installées des « boîtes à bébés » où les mères peuvent déposer les enfants qu'elles ne veulent pas garder. Depuis, à Hambourg, on n'a plus trouvé d'enfants dans la rue, alors que l'année précédente, on en avait trouvé sept dont deux décédés. Les Pays-Bas et le Danemark s'apprêtent à faire la même chose. De plus, les Pays-Bas et la Belgique envisagent l'introduction de l'accouchement sous X, pour ne plus trouver d'enfants abandonnés dans la rue.

Enfin, l'accouchement anonyme n'est pas incompatible avec la convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par la France en 1990, qui affirme que, « dans la mesure du possible », l'enfant a le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux.

Mais il faut faire en sorte que les accouchements anonymes soient vraiment exceptionnels et favoriser les naissances confidentielles. C'est l'objet de ce projet de loi.

La femme accouche dans le secret mais laisse, confidentiellement, le maximum d'éléments non identifiants ou identifiants.

Certains sont très opposés à cette démarche, qu'ils estiment contradictoire et acrobatique. Même si le pli contenant les informations destinées au Conseil national est cacheté, la mère ne croira pas au secret. C'est l'avis de Mme Moreau, une juriste que nous avons auditionnée.

Une majorité, dont je suis, juge pourtant très important d'inviter la femme à laisser des éléments, identifiants ou non, après avoir été informée des conséquences juridiques de cette démarche et de l'importance pour toute personne de connaître ses origines. Bien sûr, tout est dans la manière ! Dans le meilleur des cas, cette invitation devrait se faire à la suite d'un échange qui permette à la confiance de s'instaurer.

Il faut que la femme sache que, si elle donne des renseignements sur son histoire sous pli scellé, elle n'est pas obligée de mettre son nom dans l'enveloppe. Et, quand un enfant cherchera à connaître l'histoire et l'identité de sa mère, il faudra insister sur le fait que cette dernière n'est pas toujours indiquée. Cet accompagnement est essentiel, comme vous l'avez souligné dans votre intervention.

De nombreux départements ont mis en place des structures d'accueil animées par des équipes pluridisciplinaires. L'accompagnement de ces femmes se poursuit aussi longtemps qu'elles le souhaitent. Mais certaines quittent la maternité quelques heures après la naissance, ce qui montre bien leur état de détresse.

L'hébergement pré et post-natal est important pour certaines de ces femmes, qui ont besoin de prendre du recul par rapport à leur milieu. Certaines jeunes filles, notamment maghrébines, trouvent des prétextes, tels les stages, pour s'éloigner de leur famille pendant deux mois. Il n'existe, en France, à ma connaissance, qu'une seule structure hébergeant, quel que soit le moment de la grossesse et jusqu'à trois semaines après l'accouchement, les femmes qui veulent préserver leur anonymat. Elle compte une équipe étoffée d'assistantes sociales, et de psychologues, qui peuvent permettre à ces femmes de ne pas dénier leur grossesse et de parler de leur choix. Cela peut être le moment privilégié pour les inviter à laisser, en toute confidentialité, le maximum de renseignements les concernant.

Il en va de l'intérêt de tous : enfant, mère, parents adoptifs.

Les enfants ne souhaitent pas forcément nouer des liens avec leur mère, mais connaître leur histoire, leur généalogie et les raisons de l'abandon. Un enfant né de rien ne peut pas faire de travail de deuil et en ressent une profonde souffrance.

La mère biologique a la possibilité d'accoucher gratuitement à l'hôpital de manière parfaitement confidentielle, mais non anonyme. Elle laisse des éléments, identifiants ou non. C'est ce qu'on appelle la filiation connue, mais non établie. Dans ce cas, la femme est mieux traitée que dans l'accouchement sous X, puisqu'on lui donne acte qu'elle a mené une grossesse à terme et accouché d'un enfant. On lui explique très clairement que l'enfant sera adopté, et qu'elle n'aura aucun droit ni devoir à son égard.

Enfin de plus en plus de parents adoptifs souhaitent, devant la détresse de leur enfant, les aider à retrouver leurs racines. Cela les aide à élever leur enfant, « dans la réalité de sa vérité propre et non pas comme un enfant dont leur couple stérile n'a pas fait le deuil », pour reprendre les termes d'un pédopsychiatre.

Nous nous accordons tous sur ce constat. La situation actuelle n'est pas très satisfaisante et elle est surtout très douloureuse... Une loi est nécessaire pour essayer de faciliter l'accès aux origines.

Trois dispositions principales vont dans ce sens.

C'est d'abord la création du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles, facilement identifiable par les enfants voulant avoir accès à leurs origines comme par les mères désirant lever le secret de leur identité. Cet organisme veillera aussi à l'harmonisation des pratiques départementales.

Deuxième point important, le secret sur l'identité des parents de naissance ne peut être levé qu'avec leur accord. Quand l'enfant a manifesté son désir de retrouver ses origines, le CNAOP est habilité à solliciter la déclaration de levée du secret de l'identité des parents de naissance, s'il ne l'a pas déjà. Il exercera une délicate mission de médiation lorsqu'il entrera en relation avec une personne pour recueillir son consentement.

Cette démarche doit se faire dans l'absolu respect de la vie privée et des choix de chacun... A ce sujet, j'aimerais des précisions sur les moyens qui seront mis à la disposition du Conseil pour entrer en contact avec les parents de naissance.

La troisième disposition, de moindre portée mais tout aussi nécessaire, est la suppression de la possibilité pour les parents de remettre aux services de l'aide sociale à l'enfance un enfant de moins d'un an en demandant le secret de ses origines. Il est en effet, tout à fait contestable comme le remarque Mme Dekeuwer-Défossez de « gommer une filiation qui a été valablement établie et de trafiquer des actes d'état civil ».

Le travail en commission a permis d'enrichir le texte. En l'état, il me paraît répondre un peu mieux aux attentes des enfants qui sont à la recherche de leurs origines, des mères anonymes qui aspirent à renouer avec leur enfant, des parents adoptifs qui ont compris combien une certaine connaissance de leur histoire était importante pour l'équilibre de leur enfant, tout en respectant et en protégeant les femmes qui ne veulent ni de leur enfant ni de leur accouchement. Cette loi qui tente de concilier l'inconciliable est une étape, un compromis modeste à équilibre très fragile mais je fais confiance aux acteurs de terrain pour l'appliquer de la façon la plus humble possible (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL).

Mme Marie-Hélène Aubert - Comme Mme Neiertz, je pensais moi aussi que les choses étaient simples. Sollicitée par nombre de personnes à la recherche de leurs origines et ayant constaté leur souffrance il me semblait évident qu'il fallait revenir sur l'accouchement sous X. Mais à y regarder de plus près, j'ai constaté que les choses n'étaient pas si simples et que le sujet ouvrait des questions immenses. Il est en tout état de cause difficile de légiférer sur des questions aussi intimes. Je me réjouis de voir que grâce au travail accompli et aux témoignages recueillis, nous arrivons tout de même aujourd'hui à un texte équilibré et consensuel.

Il s'agit pour nous de répondre à deux souffrances : celle de mères en détresse et celle d'enfants devenus grands qui voudraient savoir d'où ils viennent. Cette recherche des origines finit parfois par miner leur vie et par devenir obsessionnelle, même s'ils ont eu la chance de trouver le bonheur familial auprès de leurs parents adoptifs. Nous devons trouver une solution qui ne crée pas une autre souffrance, celle précisément des parents adoptifs. J'ai reçu hier un message d'une mère de deux enfants adoptés, dont l'un né sous X, qui me disait combien ce projet résonnait fort dans son c_ur. Au moment de l'anniversaire de mes enfants, me dit-elle, j'ai toujours une pensée pour leurs géniteurs en particulier pour la mère de naissance, qui peut-être pense avec douleur à son enfant. Il faut, conclut-elle, que ces mères anonymes laissent -pas forcément tout de suite, mais même dix ou vingt ans après- une chance à leurs enfants de connaître leurs parents, les raisons de leur choix et éventuellement leur identité.

En 1999, il y a eu 600 naissances sous X, une mère sur deux ayant moins de 23 ans. Parmi les femmes ayant recours à cette possibilité, il y a une forte minorité venue du Maghreb. Et le nombre de celles issues d'outre-mer et de l'Afrique subsaharienne augmente. Nous devons aussi avoir à l'esprit cette dimension internationale du problème et penser aux raisons -familiales, religieuses ou autres- qui contraignent ces femmes à l'anonymat. Quatre cinquièmes des mères qui ont recours à l'accouchement anonyme sont célibataires et la grande majorité d'entre elles en sont à leur première maternité. Certaines le font parce qu'elles n'ont pu avoir accès à une IVG, soit par défaut d'autorisation parentale, soit en raison de leur situation irrégulière sur le territoire, soit encore parce qu'elles ont dépassé les délais légaux d'IVG. Un certain nombre sont victimes d'incestes ou de viols.

Il est des cas terribles où l'accouchement sous X apparaît comme la seule solution, mais le moment même de l'accouchement n'est pas forcément le plus adéquat pour effectuer un choix lucide.

Nous devons faire attention de ne pas confondre responsabilité des mères -et des pères, car il faut parler d'eux aussi- et culpabilité. Dans certaines cultures ou religions et dans certains contextes sociaux, une grossesse non désirée est considérée comme une faute terrible qu'il faut ensuite expier toute sa vie.

La loi de 1993 a inscrit dans le code civil l'accouchement sous X puis la loi de 1996 a posé la réversibilité du secret, mais les décrets ne sont jamais sortis. Nous devons dans cette affaire penser aussi aux pères et faire le lien avec la manière dont nous légiférons au sujet de la procréation assistée : si l'anonymat est de droit pour les donneurs de gamètes, on ne voit pas pourquoi il ne serait pas aussi de droit pour les mères qui le veulent.

L'innovation majeure du texte d'aujourd'hui, c'est bien sûr la création du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles. Mais quels moyens financiers lui allouera-t-on ? Avec quel type de personnel fonctionnera-t-il ? Quel sera le statut des médiateurs ? Des bénévoles, des fonctionnaires territoriaux ou d'Etat ? Par qui seront-ils rémunérés ? Je souhaite qu'il y ait deux médiateurs par département et je ne voudrais pas que le fait de confier aux conseils généraux le soin de les mettre en place conduise à des disparités entre départements. Il faut que le niveau de service soit égal sur tout le territoire.

Quelle formation exigera-t-on de ces personnels ? Avec quels partenaires travailleront-ils ? Des associations, bien sûr, mais aussi des professionnels. Lesquels ?

Il faut ici être capable de gérer de fortes pressions. J'espère en tout cas que la loi mettra un terme à ces situations peu franches où l'on voit un fonctionnaire laisser le dossier sur son bureau pour que son interlocuteur le regarde en douce.

Enfin, il convient de bien distinguer ce qui relève de l'identité et les renseignements non identifiants, afin que les personnes gérant ces données ne soient pas chargées d'une responsabilité trop lourde et exposées à des pressions.

En conclusion, nous sommes favorables à ce projet, qui n'est qu'une étape, mais qui permettra de répondre à des souffrances. Il est aussi difficile que nécessaire de légiférer sur de tels sujets et nous aurons l'occasion d'y revenir, notamment, je l'espère, en révisant les lois sur la bioéthique. Les dispositions que nous avons adoptées en matière d'IVG peuvent servir à prévenir ce type de situation, même si nous savons bien qu'il y aura toujours, hélas, des femmes qui n'auront pas d'autre possibilité que d'accoucher dans l'anonymat.

Nous soutiendrons tous les amendements visant à mieux préciser le fonctionnement du conseil national pour l'accès aux origines personnelles et à mieux définir le rôle de chacun (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean-François Mattei - Cinq ans après la loi de 1996 sur l'adoption, c'est avec beaucoup d'humilité que je me suis à nouveau interrogé sur l'accouchement sous X et l'accès aux origines personnelles. J'ai rencontré les professionnels et les associations concernées et je veux rendre hommage tant aux familles adoptives qu'aux personnes en quête de leurs origines qui ont, les unes comme les autres, contribué à faire évoluer les mentalités.

Il n'y a pas de bonne solution à un problème qui repose sur un drame, l'abandon d'un enfant par sa mère. Je suis convaincu qu'on ne peut effacer de sa mémoire le fait d'avoir été abandonné, c'est-à-dire nié dans son existence. On peut comprendre que le besoin de savoir qui, pourquoi, comment conduise à une recherche douloureuse, parfois obsessionnelle, comme une âme incapable de trouver le repos.

J'avais déjà perçu cela en 1995. A l'époque, j'avais pensé à une structure de médiation, mais comme vous l'avez rappelé, Madame Neiertz, les mentalités n'étaient pas encore prêtes. Nous avions insisté sur la nécessité, au moins, d'obtenir des éléments non identifiants. Je suis choqué que certains décrets d'application de dispositions votées ici à l'unanimité il y a cinq ans ne soient toujours pas publiés. Madame la ministre, vos propos m'ont en partie rassuré mais de grâce, ne relâchez pas votre vigilance.

La pratique de l'accouchement sous X ne date pas d'hier. Souvenons-nous de Saint Vincent de Paul et des fours de couvents, des dispositions prises par les révolutionnaires après 1789 concernant l'organisation des droits de gésine. Nous pourrions remonter jusqu'à Moïse abandonné au fil de l'eau dans son berceau...

Les choses ont bien changé mais il reste le conflit entre deux droits tout aussi légitimes, celui d'une femme et celui d'un enfant.

Le droit d'une femme qui choisit la vie plutôt que l'avortement, sans pour autant vouloir reconnaître l'enfant. Faut-il mettre cette femme hors-la-loi ? Faut-il exiger son nom ? Faut-il prendre le risque de la rejeter dans la clandestinité quand elle est déjà perdue, sans repères ? Faut-il qu'elle ait pour seul choix l'infanticide ou l'abandon dans un lieu public ? Nous savons tous le mystère définitif qui entoure les enfants trouvés. Ne faut-il pas au contraire accueillir cette femme, l'écouter, lui parler et peut-être la convaincre de changer d'attitude, l'inviter à donner les prénoms de l'enfant ?

L'accouchement sous X ne peut être interdit, mais il ne doit être qu'un ultime recours. Il permet de placer la mère et l'enfant dans les meilleures conditions sanitaires, d'assurer à la mère l'accompagnement psychologique dont elle a besoin et de donner à l'enfant le plus de chances d'être adopté rapidement.

Je ne peux pas accepter certains arguments avancés en faveur de la suppression de l'accouchement sous X.

On invoque l'article 7 de la Convention des droits de l'enfant. Mais il dit bien que c'est « dans la mesure du possible » qu'un enfant a droit « à connaître son père et sa mère et à être élevé par eux ». En outre, il ne dit pas s'il s'agit du père et de la mère biologiques : les parents adoptifs peuvent bel et bien prétendre aux titres de père et de mère. Enfin, l'ONU n'a évidemment pas voté cette Convention pour répondre au problème des accouchements sous X. Si la plupart des pays en voie de développement y ont souscrit, c'est pour s'opposer aux séparations liées aux exodes, déportations et autres déplacements de population.

On accuse la France et le Luxembourg d'être les deux seuls pays à accepter les accouchements sous X. Ce n'est pas exact, et un mouvement de légalisation se dessine aujourd'hui. L'Italie l'admet depuis longtemps ; l'Allemagne vient d'organiser les « boîtes à bébés » ; la Suisse vient d'ouvrir la « fenêtre des bébés » à quarante kilomètres de Zürich, qui a un site Internet ; l'Autriche accepte les « nids de bébés » et l'on vient de s'ouvrir dans un grand hôpital de Vienne ; la Belgique s'apprête à légiférer sur le sujet, en constatant que les femmes belges viennent accoucher sous X à Lille.

L'enfant, lui, a le droit de connaître ses origines. Tout doit être fait pour mettre fin à des pratiques insupportables -actes de naissance mensongers, dossiers hermétiques, silences convenus... Il est heureux que la culture du secret diminue, et avec elle le nombre d'accouchements sous X, passé depuis 1995 de 700 à 400. Mais il faut aller plus loin et c'est pourquoi ce texte est bienvenu.

Il faut inciter les femmes, tout en respectant leur volonté, à comprendre la nécessité pour l'enfant de connaître un jour, s'il le désire, l'identité de sa mère ; organiser la médiation, aider les recherches, faciliter les rencontres, et surtout homogénéiser les pratiques d'un département à l'autre ; enfin, exclure les conséquences en termes de filiation et de responsabilité.

Il faut aussi être conscient des dangers de l'accouchement sous X. C'est un comportement facile après la naissance d'un enfant trisomique, par exemple. J'ai raconté en commission le cas d'une femme qui a accouché sous X d'un enfant qui avait un bec-de-lièvre et gardé son jumeau... Quant à l'homme qui apprend qu'il est le père d'un enfant dont la mère a accouché sous X et qui veut le prendre en charge, il se heurte à un mur juridique. Enfin, l'accouchement sous X est un moyen de détourner l'interdiction des mères porteuses.

Une question me paraît importante. Faut-il, si une femme a laissé son identité, accepter que très longtemps après, on vienne la relancer ? Je réponds oui, à deux conditions. La première est qu'elle ait été clairement informée de cette éventualité au moment de l'accouchement.

Deuxième condition, la relance doit respecter la vie privée de la mère qui, vingt ans plus tard, a peut-être une famille et n'a pas dit son secret. Ne prenons pas le risque de briser une famille pour briser un secret.

Je me suis beaucoup interrogé sur les limites que devait avoir la quête de la vérité. Quelles que soient vos convictions sur le don de gamètes, il paraît difficile de revenir sur l'anonymat des donneurs. L'exemple suédois a montré que leur démarche n'avait rien à voir avec la recherche d'une paternité.

Il faut aussi respecter la mort. L'idée qu'on puisse attendre la mort d'une personne qui a toujours gardé le silence pour lui extorquer son secret, l'idée d'une vérité en viager me paraît inacceptable.

Je suis préoccupé par cette nouvelle tyrannie du biologique, cette quête de l'identité biologique à tout prix. C'est un généticien qui vous le dit, n'oublions pas que nous sommes d'abord le fruit de notre éducation et de l'amour qu'on nous a porté.

Mme Christine Boutin - « Aussi », pas « d'abord » !

M. Jean-François Mattei - Le père et la mère sont bien ceux qui ont accueilli, entouré, aimé l'enfant, même si celui-ci a un patrimoine biologique différent du leur.

Je veux remercier Mme Neiertz pour la qualité du travail accompli en commission. Nous avons retrouvé, à front renversé, la même complicité que pour l'élaboration de la loi de 1996 sur l'adoption.

Je souhaite que l'équilibre du texte soit respecté jusqu'au bout, ce qui me permettra de voter ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR et sur quelques bancs du groupe socialiste).

Mme Nicole Feidt - Ce projet a pour but d'apporter une réponse à tous ceux qui sont en quête de leur origine.

Actuellement, les enfants naturels peuvent faire l'objet d'une déclaration de naissance sans indication des pères et mères et les nouveau-nés peuvent être abandonnés sans indication de leur origine. Dans ces deux cas, l'accouchement est anonyme et l'enfant qui recherche ses origines se trouve sans réponse.

L'anonymat, c'est la page blanche, l'absence d'information. Le secret, c'est la protection des informations, il peut être levé (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste).

Quand les pères et mères n'ont pas usé expressément de leur possibilité de demander le secret de leur identité, les recherches peuvent aboutir. Toutefois, les informations ne sont communiquées que sous certaines conditions et l'accès aux origines trouvent bien vite des limites.

On voit l'intérêt d'un conseil national aux origines personnelles, garant de la réversibilité du secret.

Par ailleurs, dans chaque département, le conseil général chargera une ou deux personnes d'organiser l'accueil des femmes et le recueil des informations, en relation avec le conseil national.

Les mères seront incitées à laisser leur identité. Tout dépendra du tact des assistantes et des médecins. Mais on sera loin de la formule : « Si vous voulez que votre enfant soit rapidement adopté, si vous voulez que ce soit gratuit, accouchez sous X » !

Le projet reconnaît aux enfants un droit d'accès à leur origine sans pour autant en faire un droit absolu. Cet accès reste soumis à la volonté des parents d'origine. Quand ceux-ci en exprimeront le souhait, le secret de leur identité ne sera pas levé. Ainsi, le dispositif préserve l'équilibre entre l'ensemble des intérêts en présence : droit de la mère de naissance à la confidentialité, droit des familles adoptives à la sûreté de la filiation. Le projet de loi doit permettre dans de nombreuses situations un accès aux origines sur la base du principe de la rencontre des volontés de celui qui cherche et de celui qui sait, sans remettre en cause les filiations établies.

Nous nous mettons en conformité avec les engagements internationaux qui veulent que nous garantissions l'égalité des chances d'accéder aux origines.

C'est un premier pas. Il y en aura peut-être d'autres. Peut-être se trouvera-t-il un jour une majorité en mesure de supprimer l'accouchement sous X. Pour le moment, nous rendons possible l'accès aux origines, à condition qu'il résulte de la rencontre de deux volontés, sans remettre en cause les filiations établies. Ce faisant, nous respectons nos engagements internationaux. Le groupe socialiste votera ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Patrick Delnatte - « Accès aux origines personnelles » : ce titre porte en lui-même toutes les difficultés du sujet abordé. Le projet ne tend pas seulement à créer un conseil national chargé d'organiser la recherche des parents biologiques, il modifie la législation qui définit le droit d'accoucher dans la confidentialité et l'anonymat.

L'accouchement sous X n'a pas bonne presse : il est perçu à tort comme un acte dépourvu d'humanité. Dans l'élaboration des lois de 1993 et de 1996, nous nous sommes déjà heurtés à des blocages psychologiques. Ils n'ont pu être surmontés, si bien que les décrets d'application de la loi de 1996 n'ont pu être pris.

Depuis, les mentalités ont évolué. Les familles adoptives font, dans l'éducation des enfants, une part plus large à la vérité. Cependant, une double exigence demeure : la protection de la femme et celle de l'enfant.

Légiférer en telle matière n'est pas facile. Nous touchons à l'essentiel : l'intimité des personnes, la transmission de la vie. En outre, ces situations sont causes de souffrance et il faut comprendre celle de la mère qui renonce à son enfant comme celle de l'enfant qui, en grandissant, ressent un vide dans son existence.

Sur 785 000 naissances annuelles, on estime à 560 le nombre des abandons. Les situations des mères sont d'une extrême diversité et nous n'en avons pas la connaissance exhaustive. Les travaux de la délégation aux droits des femmes nous ont permis d'avoir une vision objective du problème.

Elaboré en commission dans un esprit de dialogue constructif, ce projet respecte les principes fondamentaux de notre législation : maintien de l'accouchement anonyme, qui constitue une réponse dans certaines situations où la sécurité de la mère ou de l'enfant est menacée, accueil et information de la mère, qu'il faut aider à prendre sa décision tout en respectant sa liberté.

Le conseil national sera une instance de médiation. La présence de responsables associatifs en son sein facilitera la compréhension du problème.

L'accès à l'origine personnelle ne pourra résulter que d'une double volonté. Fallait-il le rendre automatique ? Nous pensons qu'il faut respecter le silence de la mère. C'est pourquoi la commission a amélioré le texte du Gouvernement en garantissant l'absolu respect de la vie privée et du choix des personnes.

Seule la pratique montrera si nous avons trouvé le bon compromis. La commission, sur de nombreux points, a enrichi le texte initial. Elle a tenu à appréhender au plus près les situations vécues, afin de rendre possible le vote unanime du projet.

Avons-nous trouvé le juste équilibre ? Les partisans de l'accès sans condition en doutent. Nous comprenons qu'ils vivent leur souffrance comme une injustice. Il est important qu'un enfant puisse trouver trace de son origine, même si ne lui sont communiqués que des éléments « non identifiants ». Mais la possibilité de l'anonymat doit être maintenue : elle peut sauver des femmes et des enfants.

Je souhaite que chacun se sente compris dans ce projet.

Ainsi, chaque responsable appelé à mettre en _uvre cette loi pourra apporter sa part de solution aux souffrances qu'il rencontre (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Jean-Paul Bret - Il y a trois ans, la commission d'enquête parlementaire sur les droits de l'enfant en France, présidée par M. Fabius et dont j'étais le rapporteur, rendait ses conclusions, votées à l'unanimité. Elle recommandait d'aménager l'accouchement sous X afin de garantir le droit pour l'enfant de connaître ses origines -droit signifié par l'article 7 de la convention internationale des droits de l'enfant. Je ne peux donc que me réjouir que ce projet donne une première suite à ces propositions. Il aménage le dispositif de l'accouchement secret sans remettre en cause la protection des femmes, il tend à éviter la destruction de l'identité de l'enfant. La création du CNAOP mettra fin aux pratiques aléatoires des administrations et des _uvres d'adoption.

Pourtant, les débats qui ont eu lieu en commission ne peuvent que susciter l'inquiétude. Ils rappelaient ceux de 1992, lorsque le Parlement, à l'occasion d'une loi relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant, destinée à ratifier la convention internationale des droits de l'enfant, a renforcé l'accouchement sous X. Le principe en a été introduit dans le code civil et une fin de non recevoir a été opposée à toute action en recherche de maternité. Il serait regrettable de poursuivre dans cette voie peu glorieuse.

Trois arguments sont couramment avancés contre la levée du secret, qui témoignent d'une triple méprise.

D'abord, la disparition de ses origines rendrait un enfant plus facile à adopter et lui permettrait de se fondre plus aisément dans sa nouvelle famille. Ceux qui soutiennent cet argument légitiment les agissements peu louables de certaines _uvres qui, sous prétexte de faciliter l'adoption, détruisent l'histoire d'un enfant. Pour eux, la loi sur l'accouchement sous X devenait une nécessité pour « faire le bien » et l'effacement des origines servait de clé au bonheur.

Aujourd'hui, de nombreuses associations de parents adoptifs s'opposent radicalement à cette vision hypocrite. Pères et mères adoptifs s'engagent très souvent à côté de leurs enfants pour qu'ils retrouvent leurs parents de naissance.

Depuis longtemps, d'autres pays ont opté pour des solutions plus généreuses, offrant à l'enfant la possibilité de consulter en toute liberté le dossier relatif à ses origines. L'exception française est peu charitable.

Ensuite, l'accouchement sous X serait un droit des femmes, un pas vers la liberté au même titre que la contraception ou l'interruption volontaire de grossesse.

Mais le droit à l'abandon, qui a sa légitimité et qui ne doit pas être remis en cause, ne doit pas conduire à l'effacement de la filiation biologique.

On ne peut pas imaginer un droit des femmes qui viendrait ôter des droits aux enfants. Je partage activement le combat des femmes pour leurs droits. Mes engagements, mes votes en témoignent. Mais je ne comprends pas que des féministes aient pu transformer une mesure sociale de 1941 en un droit de la femme en 1993.

Mme Christine Boutin - Très bien !

M. Jean-Paul Bret - Elles rejoignent ainsi ceux qui veulent préserver l'ordre familial prôné par le conservatisme.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Ce n'est pas vrai !

M. Jean-Paul Bret - Ce projet de loi n'a pas été conçu aux dépens des femmes. Au contraire, il tend à les accompagner dans l'épreuve de l'abandon. Enfin, la remise en cause de l'accouchement sous X serait une atteinte au respect de la vie privée. On imagine ces familles de la France ancienne qui, pour garantir leur honorabilité, cachaient la fautive le temps de sa grossesse, et organisaient le secret éternel...

Mais les temps ont changé. La vie privée n'est plus l'espace où se cultivent de lourds secrets de famille. Son respect ne peut ouvrir la voie à toutes les impostures.

Mme Christine Boutin - Très bien !

M. Jean-Paul Bret - Le projet de loi ne remet pas en cause la confidentialité de l'accouchement, mais il permet à la société de conserver la trace d'une relation qui a existé afin que l'histoire familiale ne puisse pas se perdre à jamais.

Depuis dix ans, de nombreux rapports nous engagent à consacrer ce droit à la connaissance des origines.

Enfants et mères racontent le parcours kafkaïen qu'ils ont suivi pour tenter de se retrouver. Aujourd'hui, ils retrouvent le droit à la parole.

Le médiateur de la République déplore lui aussi les lacunes du droit français. S'il souligne les souffrances de ces enfants qui, toute leur vie, traquent un morceau de papier, un témoignage d'une sage-femme ou d'une voisine de chambre, il se fait aussi l'écho de ces mères qui savent rien de l'enfant à qui elles ont donné la vie.

On nous dit que ce ne sont que des témoignages. Mais pour écrire le droit, faudrait-il s'interdire d'entendre ceux qui le vivent ?

Ceux qui ont pris le temps d'écouter n'ont pas manqué de faire le rapprochement avec les familles séparées malgré elles pendant les périodes de guerre. Mais la France est en paix, et c'est la paix qu'elle doit offrir à ses enfants, la paix donnée à tout être qui sait qui il est et d'où il vient (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe UDF).

Mme Christine Boutin - De plus en plus pressante, la voix des enfants nés sous X parvient aux oreilles d'un Etat français qui a organisé la loi du silence, qui a permis qu'ils soient soustraits à leur histoire et condamnés à l'errance. Je salue donc l'initiative du Gouvernement qui est une réponse, aussi modeste soit-elle, à leur appel. Nous ne pouvions ignorer plus longtemps ces milliers de personnes qui ne peuvent pas se construire un avenir faute d'avoir un passé.

Malheureusement et bien qu'elle atteste d'une prise de conscience, la création d'un conseil national pour l'accès aux origines personnelles ne sera pas la panacée. En effet, les retrouvailles entre la mère et l'enfant sont soumises à des conditions excessivement restrictives.

Tout d'abord, la mère qui a accouché sous X n'est qu'invitée à consigner les éléments de l'histoire de son enfant. Elle doit ensuite consentir à la levée du secret sur son état-civil. Son refus a toujours valeur de veto absolu. Enfin, l'enfant est tributaire de l'accord de ses parents adoptifs avant sa majorité. Les verrous restent importants et l'accès aux origines bien que facilité restera difficile.

Je ne veux prendre ici le parti ni de la mère, ni de l'enfant ; il est d'ailleurs dramatique d'observer combien leurs intérêts sont souvent opposés. Plutôt que de choisir un « camp » nous devons plaider la cause de l'humain et nous ne pouvons le faire qu'en reconsidérant la pratique même de l'accouchement sous X. Voter des lois d'adaptation ne réglera pas les problèmes inhérents à ce mode d'accouchement. Au contraire, cela contribue à entretenir le flou sur les questions psychologiques et médicales que soulève l'accouchement sous X.

Il est pourtant impératif de définir les conditions de l'accompagnement des femmes du jour où elles prennent la décision d'accoucher anonymement jusqu'au jour où elles abandonnent leur enfant. Ne pas envisager sérieusement cette question, c'est considérer implicitement les difficultés liées à la grossesse comme une défaillance de leur part et donc formaliser leur incapacité à assumer leur future maternité. On fait ainsi une erreur grave.

Combien de femmes n'eurent pas abandonné leur enfant si elles avaient bénéficié du soutien psychologique et matériel nécessaires ? Une étude réalisée en octobre 1999 par le service des droits des femmes révèle que les deux-tiers des femmes qui accouchent sous X ont moins de 25 ans, qu'un quart vivent chez leurs parents, qu'un tiers sont d'origine maghrébine, que seulement un quart ont un emploi, souvent précaire, et que les autres n'ont pas de ressources propres. Certaines sont victimes de viol ou d'inceste. Que fait-on pour les sortir de leur détresse ? Oserais-je vous rappeler que j'avais déposé, il y a déjà quelque temps, une proposition de loi dont l'objectif était d'aider ces femmes enceintes en difficulté ? Selon un sondage BVA, 80 % des Françaises estiment que la société devrait davantage les aider à éviter de telles alternatives. L'actualité législative semble démontrer une nouvelle fois l'urgence de dispositions législatives en faveur d'une telle aide psychologique et matérielle.

En maintenant l'accouchement sous X, on cautionne un système de maltraitance institutionnalisée de la mère, sans vraiment répondre à la demande des enfants. En occultant cette question de fond, on cantonne le sujet à l'accès aux origines, via la création d'un conseil. C'est un premier pas, mais je doute qu'il répondre aux attentes, car en réalité, le choix qui a été fait n'est pas celui des femmes ou des enfants nés sous X, mais un choix féministe : on proclame un droit absolu des femmes, mais on ne les accompagne pas dans leur détresse. Ne soyons pas dupes. L'accès des enfants à leurs origines ne sera guère plus facile. Il faut donc aller plus loin.

Enfin, ce texte viendra remettre en cause, lors de la révision des lois bioéthiques, le principe du don anonyme de gamètes, que j'ai dénoncé en son temps. En effet, la souffrance des enfants issus de procréations médicalement assistées est de même nature que celle des enfants nés sous X.

Sans répondre aux problèmes de fond, ce texte ouvre néanmoins une brèche dans la pratique de l'accouchement sous X. C'est pourquoi je le voterai.

M. François Colcombet - Nous voici réunis pour élaborer un texte destiné à être gravé dans le marbre du Journal officiel, froid et dépassionné. Derrière notre travail se cache pourtant beaucoup de souffrance, celle des mères d'abord, mais surtout celle, souvent plus grande, des enfants abandonnés. Si cette question ne date pas d'hier, elle a longtemps été occultée. La paix des familles, la paix des installés l'ont souvent emporté sur l'appel des plus faibles. Ceux-ci n'ont pu se faire entendre que grâce à la montée en puissance des associations ou, plus rarement, parce qu'ils ont réussi à accéder à cette tribune. Je pense à Hector Rolland, ancien député de Moulins et enfant de l'Assistance publique, qui s'essaya, en dépit du peu d'enthousiasme qu'il rencontrait, à faire évoluer le droit. N'est-il pas désolant que sa proposition de loi de 1978 n'ait jamais été débattue ? Aucun collègue ne l'avait cosignée. Elle était pourtant fort raisonnable, affirmant le droit des pupilles de l'Etat à connaître leurs origines et les autorisant, une fois majeurs, à obtenir de l'Etat les renseignements disponibles sur leurs origines familiales.

Ayant succédé à Hector Rolland, je connais bien sa circonscription, petit coin de France qui accueille depuis longtemps les enfants abandonnés de la région parisienne. J'ai moi-même été élevé avec certains d'entre eux. Nombreux sont ceux qui ont eu une vie difficile et, même pour ceux qui ont réussi, l'ignorance de leur origine reste une blessure ouverte. Récemment, dans ma commune, une vieille dame fêtait son centenaire. Cette personne bien connue dans le pays, m'a confié à la fin du repas qu'elle aurait voulu, avant de mourir, savoir pourquoi elle avait été abandonnée. Je n'ai pu que lui promettre de faire mon possible pour l'aider, à la place qui est la mienne. Notre texte trop consensuel ne lui donnera sans doute pas satisfaction, il faudra y apporter des améliorations. Veillons en tout cas à ne pas étouffer la voix de ceux qui, pour savoir qui ils sont, cherchent d'où ils viennent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Mme Nicole Catala - Nous voici en présence d'un texte ardemment attendu par tous ceux qui sont en quête de leur identité et de leur origine. Si je comprends leur attente, je pense que nous devons nous garder de légiférer sous l'empire de l'émotion et bien peser les conséquences des dispositions qui nous sont proposées.

Le sujet est grave : les femmes qui accouchent sous X sont en effet en grande détresse, privées du soutien d'un père biologique, voire victimes d'un viol ou d'un inceste. Si elles recourent à cette solution ultime, c'est parce qu'elles rejettent l'avortement, l'infanticide ou la dénonciation d'un crime.

Ouvrir à l'enfant la possibilité d'accéder à ses origines, oui, mais avec une grande prudence. J'exprimerai, après Jean-François Mattei, quelques interrogations qui seront reprises par les amendements.

La première : ce texte est-il compatible avec l'article L.341-1 du code civil, qui consacre le droit à l'accouchement sous X et qui doit impérativement être maintenu. Je souhaite que le Gouvernement m'en donne l'assurance, et donc accepte mes amendements. Ceux-ci visent notamment à abandonner la notion « d'invitée » -il est des invitations qui sont pressantes, telles celles adressées aux délinquants par les forces de police. Ecrivons plutôt : « Il est proposé » et précisons que seule la mère pourra accepter la levée du secret en ce qui la concerne. L'article premier, qui évoque un accord du père ou de la mère, n'est donc pas acceptable en l'état, et l'amendement adopté par la commission pour préciser que chaque parent consent à la levée du secret pour ce qui le concerne est indispensable. Enfin, je souhaite que vous acceptiez la rédaction du futur article L.146-4 proposée par la commission : elle répond au souci de préserver au maximum la confidentialité de la saisine de la mère par le Conseil national suite à une requête de l'enfant. Le choc causé par l'arrivée d'un courrier pourrait en effet s'avérer destructeur pour toute une famille. Restons donc très prudents.

Nous devons aussi être attentifs à ne pas décourager par ce texte des parents qui souhaitent adopter. Même si ma crainte n'est pas partagée, je ne trouve pas pertinent de consacrer une dissociation entre filiation biologique et filiation juridique ou affective. On ne découpe pas la filiation en tranches. Donc, encore une fois, je recommande la prudence (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

Mme Martine Lignières-Cassou - Rien n'est plus difficile que de légiférer sur la détresse de l'être humain. Nous légiférons aujourd'hui sur des vies qui débutent par des naissances qui ne sont pas heureuses. Ce sont des histoires de femmes qui, souvent sous la pression sociale ou en raison de leur détresse, n'ont pu endosser la responsabilité de leur maternité. Ce sont des histoires d'enfants qui cherchent à combler un vide et entreprennent une quête parfois éperdue.

L'objectif du texte est de faciliter l'accès à une connaissance qui peut apporter la paix.

Son apport essentiel est la création d'un Conseil national d'accès aux origines. Trop longtemps la suspicion a pesé, à tort ou à raison, sur les services départementaux et il était nécessaire de créer une instance impartiale. Certes les pratiques des départements évoluent : la loi de 1996 a amorcé le mouvement et les comportements des parents adoptifs bougent aussi. Mais il faut unifier les approches, comme il faut informer davantage les femmes de toutes les possibilités d'accouchement confidentiel et de leur faculté de lever le secret à tout moment de leur existence.

Il est heureux que l'accouchement sous X ne soit pas remis en cause car les pays qui n'ont pas de législation de ce type sont aujourd'hui obligés de mettre en place des « boîtes à bébés ».

Le projet donne également au CNAO le droit de solliciter la levée du secret : sur ce point j'exprime des réserves.

Cette démarche risque de provoquer un choc chez la mère de naissance, peut-être âgée. Il faut de la force pour affronter une culpabilité lancinante réveillée à nouveau, pour révéler à la famille et à ses voisins le terrible secret. Cela risque d'être un bouleversement aussi pour l'enfant car les retrouvailles ne sont pas évidentes.

Il est donc important d'accompagner le rapprochement et de faire en sorte que les désirs des uns et des autres coïncident dans le temps. Un amendement en ce sens nous est proposé, c'est une bonne chose. Sans cette libre adhésion, je doute que la paix soit au bout du chemin.

Pour ma part, j'aurais préféré que le CNAO lance des campagnes d'information pour dire aux mères qu'elles peuvent à tout moment lever le secret. Cela aurait évité une intrusion dans leur intimité et aurait souligné que l'acte d'abandon n'est pas seulement un choix individuel : il a aussi permis longtemps à la société de ne pas reconnaître le droit à l'IVG, à des hommes de se défausser de leurs responsabilités et à des familles de sauvegarder leur réputation.

Ce projet concerne la distinction entre origine et filiation et garantit la sûreté de cette dernière : car c'est bien elle qui permet à l'enfant de se construire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme la Ministre déléguée - Je voudrais d'abord souligner la qualité exceptionnelle de ce débat. Les nuances exprimées prouvent que la voie était étroite.

C'est la qualité du travail de la commission des lois, et en particulier de Véronique Neiertz, qui a permis d'aboutir à l'unanimité, après un cheminement convergent des différentes sensibilités.

Madame Bousquet, je pense que les explications données sont de nature à apaiser vos inquiétudes concernant les droits des femmes.

Madame Boisseau, vous avez insisté sur la nécessité de l'accompagnement. Certains conseils généraux y ont déjà réfléchi et je vais m'appuyer sur leur travail.

Madame Aubert, le CNAO aura pour objectif d'harmoniser par le haut les pratiques des départements. Un guide leur sera adressé. Je convie les parlementaires intéressés à participer aux travaux d'application de la loi. L'association des départements de France recense actuellement les pratiques nouvelles et elles pourront servir de base à l'élaboration de ce guide d'entretien et d'information.

Monsieur Mattei, chacun est conscient de l'étape positive qu'a constituée la loi de 1996. Si les décrets d'application ne sont pas parus, ce n'est pas simple négligence : c'est parce que d'une part il y avait une résistance administrative à la levée du secret et que d'autre part, la rédaction de ces décrets était très difficile en l'absence de précision, dans la loi, sur les éléments identifiants et non-identifiants.

C'est le mérite du texte d'aujourd'hui et des amendements adoptés en commission que d'affirmer clairement le droit de chacun à connaître ses origines et de préciser jusqu'où peut aller la quête de vérité, pour reprendre votre formule.

Dans le cas où le parent est décédé, je pense, pour ma part, que la quête d'identité d'une personne vivante devrait l'emporter sur la volonté supposée d'une personne décédée.

M. Jean-Paul Bret - Très bien !

Mme la Ministre déléguée - Il s'agit souvent d'adultes, parfois très âgés : j'ai ainsi reçu une lettre d'un monsieur de 93 ans qui aurait voulu « savoir » avant de mourir.

Madame Feidt, je vous remercie d'avoir apporté le soutien du groupe socialiste.

Monsieur Delnatte, je reprends à mon compte votre souci du respect de la vie privée et du droit de chacun par rapport à la recherche de la mère. Certaines associations d'enfants nés sous X auraient voulu aller plus loin : mais l'objectif de cette loi est bien qu'aucun dossier ne reste vide et elle sera appliquée dans cet esprit.

Monsieur Bret, vous connaissez bien le sujet pour avoir été rapporteur de la commission d'enquête sur les droits de l'enfant. Nous nous sommes d'ailleurs appuyés sur vos travaux. Je ne partage toutefois pas vos craintes de dérapages, sans nier qu'il faille être vigilant.

Madame Boutin, contrairement à vous, je pense que ce texte n'est pas modeste. Ses objectifs sont clairs. Il s'agit d'abord de donner aux personnes déjà nées accès à leur dossier. Combien se sont heurtées à des fonctionnaires qui tenaient ce dossier sur leurs genoux, mais ne pouvaient, faute de loi, leur en communiquer le contenu !

Cette arrogance administrative et ce monopole du secret n'auront plus cours après cette loi, qui concerne plusieurs dizaines de milliers de personnes. D'ailleurs les conseils généraux ont déjà commencé à changer de comportement et j'ai reçu des courriers de personnes nées sous X qui viennent enfin, au bout de quinze ans, d'obtenir communication de leur dossier. Les acteurs de terrain se sentent en effet sécurisés par l'annonce de notre débat. Le deuxième objectif du projet, c'est qu'il n'y ait plus, pour aucun enfant à naître, de dossier vide.

M. Colcombet nous a apporté un témoignage émouvant sur la quête d'identité. Il reflète la motivation qui nous unit aujourd'hui.

Il ne s'agit pas, Madame Catala, de supprimer brutalement l'accouchement sous X, mais d'organiser la réversibilité du secret pour que les enfants aient droit à leur histoire. Je vous laisse la responsabilité du parallèle entre la relation policier-délinquant et mère-enfant, et je me réjouis que les parlementaires de votre groupe aient eu une approche plus humaniste du sujet. Vos amendements seront examinés à la lumière du travail approfondi de la commission des lois.

Mme Lignières-Cassou a insisté sur le devoir d'information à l'égard des femmes. Ce devoir est bien au c_ur de notre projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 35.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale