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Session ordinaire de 2000-2001 - 84ème jour de séance, 194ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 5 JUIN 2001

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

EMPLOIS-JEUNES 2

LICENCES DE TÉLÉPHONIE MOBILE
DE TROISIÈME GÉNÉRATION 3

CONTRATS EMPLOI SOLIDARITÉ 3

GARDE D'ENFANTS 4

BACCALAURÉAT À LA RÉUNION 5

PASSÉ TROTSKISTE DU PREMIER MINISTRE 6

PRIX ET PASSAGE À L'EURO 7

POLICE DE PROXIMITÉ 8

ENSEIGNEMENT PRIVÉ 8

MESURES EN FAVEUR DES ZONES RURALES 9

RESTRUCTURATION DE LA GENDARMERIE 10

DESSERTE AÉRIENNE DES DOM 10

PROJET AMÉRICAIN DE DÉFENSE ANTI-MISSILES 11

RATIFICATION DU TRAITÉ DU NICE 12

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 25

SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION 43

La séance est ouverte à quinze heures.

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      QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

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EMPLOIS-JEUNES

M. Eric Besson - Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, je souhaite vous interroger sur l'avenir des emplois-jeunes, assurément l'une des plus grandes innovations sociales de cette législature. Ces emplois ont permis à toute une génération de jeunes de moins de 25 ans largement touchée par le chômage de masse de retrouver espoir -la relance de la consommation depuis 1997 et la reprise de la croissance dont nous bénéficions depuis lors ont également contribué à restaurer la confiance. Les emplois-jeunes ont aussi confirmé tout le potentiel des emplois de service et de proximité, et au-delà, du champ de l'économie solidaire.

Si un certain nombre de titulaires d'emplois-jeunes ont d'ores et déjà rejoint le marché du travail « classique », d'autres s'inquiètent de leur avenir, leurs employeurs également, qu'il s'agisse de collectivités ou d'associations.

Vous devez, Madame la ministre, annoncer demain les mesures que compte prendre le Gouvernement afin de pérenniser ces emplois. Pouvez-vous d'ores et déjà nous en indiquer les principes directeurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Le dispositif des emplois-jeunes, qui a permis à plus de 300 000 jeunes de retrouver un emploi, est une vraie réussite. Le Gouvernement souhaite maintenant assurer à chacun de ses bénéficiaires un débouché et consolider les services qui ont fait la preuve de leur utilité sociale.

Ce n'est que demain que je dévoilerai les mesures destinées à pérenniser ces emplois. Mais je puis d'ores et déjà vous indiquer que nous entendons renforcer la formation et la professionnalisation de ces jeunes, améliorer leur préparation aux concours de la fonction publique, nationale et territoriale -dont les conditions d'accès devront d'ailleurs être adaptées pour permettre à ces jeunes d'y accéder plus facilement- permettre la validation des acquis professionnels. Enfin, les jeunes qui n'auront pas trouvé de débouché dans la fonction publique bénéficieront également d'actions de formation afin d'en trouver un dans le privé. Un suivi soigneusement personnalisé leur sera assuré.

Pour ce qui est des services que les emplois-jeunes permettent d'assurer, nous avons distingué trois catégories parmi les associations. Tout d'abord, celles qui ont d'ores et déjà elles-mêmes solvabilisé leurs emplois : reste à dresser un inventaire département par département. Ensuite, celles qui peuvent à terme les solvabiliser mais auxquelles il faut un peu plus de temps : l'Etat les aidera de manière transitoire selon un système dégressif. Enfin, celles qui n'ont aucun espoir de le faire et pour lesquelles nous proposerons la signature de conventions avec l'Etat, vraisemblablement triennales. S'agissant des collectivités, l'Etat continuera d'aider les plus défavorisées d'entre elles, aussi bien en milieu rural qu'en milieu urbanisé (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Dans l'éducation nationale et dans la police nationale, les postes seront maintenus dans leur forme actuelle et chaque jeune se verra proposer un débouché (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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LICENCES DE TÉLÉPHONIE MOBILE DE TROISIÈME GÉNÉRATION

M. François Fillon - Monsieur le Premier ministre, tout comme l'Autorité de régulation des télécommunications, nous vous avions mis en garde contre la tentation d'imiter les plus libéraux de nos voisins européens (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) qui avaient mis aux enchères les licences de téléphonie mobile de troisième génération, dites UMTS. En décidant, contre l'avis de l'ART, de fixer à 32,5 milliards le montant de chaque licence UMTS, en exigeant de chacun des opérateurs qu'il s'acquitte de la moitié de ce droit d'entrée avant les élections de 2002, alors même que la technologie UMTS est loin d'être au point, vous avez contribué à déstabiliser l'industrie de la téléphonie mobile en Europe, affaibli la concurrence dans le domaine des télécommunications et retardé dangereusement les choix nécessaires pour garantir la pérennité des retraites des Français.

L'ART formule aujourd'hui dans un nouvel avis toute une série de propositions pour sortir de l'impasse actuelle : développement d'une technologie transitoire, le GPRS, abaissement du prix des licences, allongement de la durée de leur acquittement. Allez-vous enfin suivre l'avis de ceux qui souhaitent privilégier l'avenir sur le court terme ? Allez-vous adresser un signal positif à une industrie qui s'apprête à licencier des milliers de salariés ? Allez-vous sans délai mettre un terme à un fiasco lourd de conséquences pour l'industrie française ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Le prix des licences UMTS en France se situe dans la moyenne des prix européens et est même très inférieur à celui demandé en Allemagne, en Grande-Bretagne ou en Italie (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Ce qu'a voulu le Gouvernement, c'est permettre à notre pays, en particulier aux régions, aux PME et aux ménages, de bénéficier le plus vite possible et au meilleur coût des meilleures technologies de télécommunications, dont l'UMTS fait partie. L'accès au haut débit sera dans notre pays possible fin 2002 ou début 2003, dès que les fabricants de terminaux seront prêts -il est vrai qu'ils ont pris un peu de retard. Cet accès est déterminant pour le développement économique et la croissance.

Si, comme cela est probable, le Gouvernement donne avant la fin juin son accord pour l'octroi de deux licences, notre pays sera parmi les premiers en Europe à bénéficier de la technologie UMTS. Le développement du GPRS, que vous avez évoqué, est l'affaire des opérateurs. L'important est qu'avec l'ensemble des technologies disponibles -UMTS, GPRS, câble, satellite, boucle radio locale-, nos concitoyens puissent bénéficier au meilleur coût de ce qui se fait de mieux en ce domaine. Et, ne vous en déplaise, c'est bien ce Gouvernement qui aura réussi la mutation technologique dans le domaine du téléphone mobile (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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CONTRATS EMPLOI SOLIDARITÉ

M. Gilbert Biessy - Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, selon le rapport remis par le Gouvernement dans la perspective du tout prochain débat d'orientation budgétaire, il sera nécessaire, afin de financer les priorités de l'action gouvernementale, que les dispositifs traditionnels de traitement du chômage laissent la place en 2002, dans un contexte de marche vers le plein emploi, à un effort recentré sur les publics les plus fragiles et les plus éloignés de l'emploi.

Nous sommes, pour notre part, très attachés à ce que les crédits demeurent à un niveau suffisant dans le prochain budget pour permettre au plus grand nombre possible de demandeurs d'emploi de retrouver un emploi. La recherche d'économies ne doit donc pas, selon nous, conduire à amputer les crédits des diverses formes d'emplois aidés, marchepied vers une formation qualifiante et l'emploi. Nombre d'élus locaux s'inquiètent de la nouvelle baisse prévue du nombre des contrats emploi solidarité, lesquels ont déjà diminué de 4 % entre 1997 et 2000. Dans les régions qui connaissent les plus grandes difficultés économiques et sociales, ces contrats sont un outil irremplaçable de lutte contre l'exclusion sociale. Dans le Nord, pas moins de 1 700 CES sont en cause. Quelles dispositions compte donc prendre le Gouvernement pour garantir le nombre de contrats aidés, de CES en particulier, et améliorer leur efficacité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Votre inquiétude a déjà été exprimée à maintes reprises ici et je l'entends également sur le terrain.

Il n'est pas illogique que le nombre des CES ait diminué depuis 1997 et que l'effort ait été recentré sur les publics les plus en difficulté dans la mesure où, d'une part, il existait d'autres dispositifs comme les contrats de qualification, les contrats emploi consolidé et, bien sûr, les emplois-jeunes. D'autre part, la situation du marché du travail s'était très nettement améliorée -avec, record du siècle, 600 000 emplois créés l'année dernière. Mais maintenant que nous avons recentré notre effort à plus de 85 % sur les publics les plus éloignés de l'emploi, il ne faut pas aller plus loin et diminuer encore le nombre des CES. Je puis vous assurer qu'il sera préservé dans le budget 2002. J'ai par ailleurs demandé aux directions régionales et départementales du travail et de l'emploi d'assurer la fongibilité des enveloppes des différents dispositifs, c'est-à-dire de faire preuve d'une plus grande souplesse d'utilisation des contrats d'emploi consolidé et des contrats emploi solidarité afin que, dans les territoires où les publics en grande difficulté sont nombreux, les besoins soient satisfaits. Il s'agit là, j'en suis bien d'accord avec vous, d'un instrument tout à fait nécessaire pour les personnes les plus éloignées de l'emploi. Enfin, dans le nouveau plan national de lutte contre l'exclusion, nous mettons l'accent sur l'aide personnalisée à apporter aux jeunes engagés dans le programme TRACE et aux chômeurs de longue durée bénéficiant du programme « Nouveau départ » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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GARDE D'ENFANTS

M. Pierre Méhaignerie - Les questions posées par le Parlement et la qualité du débat parlementaire méritent mieux que des réponses aussi peu argumentées que celle de M. Pierret ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

Madame la ministre déléguée à la famille, le mode de garde des enfants représente souvent une galère pour les familles. Cette difficulté se trouve aggravée par les nouveaux modes d'organisation du travail, en particulier dans les bassins industriels, où les 35 heures se combinent aux 3 x 8. Pour une personne seule qui veut travailler et qui doit débuter à 5 heures du matin ou finir à 23 heures, que l'enfant ait deux ou cinq ans, grande est l'angoisse pour trouver une personne compétente, ou simplement pour financer la garde.

Des expériences ont été lancées en Bretagne qui sont particulièrement appréciées par les familles monoparentales. Mais leur coût pèse lourdement sur les collectivités locales.

A l'occasion de la Conférence de la famille, la semaine prochaine, le Gouvernement est-il décidé à se saisir à bras-le-corps de cette question qui taraude les salariés aux horaires de travail décalés et aux revenus modestes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées - Voilà près d'un an que je prépare la prochaine Conférence sur la famille qui s'ouvrira lundi sous la présidence du Premier ministre.

La question des modes de garde, c'est-à-dire de la conciliation de la vie de famille et la vie professionnelle, sera naturellement au c_ur de cette conférence. Déjà le plan lancé il y a un an a rencontré un exceptionnel succès, puisque les 1,5 milliard du fonds exceptionnel ont été utilisés en totalité, ce qui a permis de créer 38 000 places d'accueil supplémentaires pour les enfants. Des centaines de projets demeurent en instance devant les CAF.

Ce problème de garde a trop longtemps reposé sur les seules épaules des femmes. Le Gouvernement s'en est emparé à bras-le-corps puisque en un an ont été créées autant de places que les sept années précédentes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Aujourd'hui nous organisons la montée en puissance du dispositif. Déjà, l'an dernier, j'ai publié un décret tendant à assouplir les règles de fonctionnement des gardes multi-accueil. Les structures accueillant les enfants handicapés ont reçu des financements supplémentaires : un sur trois des projets financés cette année est dans ce cas.

Les décisions qu'annoncera lundi le Premier ministre répondront, je crois, à vos préoccupations. La garde des enfants, pensons-y, relève aussi de la responsabilité de chacun des deux parents, père comme mère, et également de celle des entreprises, qui doivent s'impliquer bien davantage dans l'équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, afin que ce ne soit pas les enfants qui paient la flexibilité du travail (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

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BACCALAURÉAT À LA RÉUNION

Mme Huguette Bello - Dans quelques jours débutent les épreuves du baccalauréat et avec elle une période d'angoisse et de stress pour des centaines de milliers de lycéens et leurs familles. Pour ceux de la Réunion s'ajoutera une épreuve supplémentaire, l'adaptation rapide à un nouveau rythme.

En effet, pour la première fois, les épreuves du baccalauréat général à la Réunion seront alignées sur celles des académies métropolitaines. Pour tenir compte du décalage horaire de deux heures, certaines épreuves se dérouleront entre 10 heures et 14 heures, celles des repas, tandis que d'autres dureront jusqu'à 20 heures, bien après le coucher du soleil dans l'hémisphère sud.

Ces difficultés n'ont pas échappé au rectorat de la Réunion. Un dispositif d'urgence a été mis en place : 2 000 personnes seront mobilisées, gendarmes et policiers seront postés aux abords des établissements, des infirmières se tiendront dans chaque centre d'examen, des médecins scolaires seront sur le pied de guerre, les compagnies de transport scolaire s'entraîneront aux parcours de nuit, des repas et des boissons adaptés pareront aux problèmes digestifs des candidats (Sourires). Chacun d'eux recevra un dépliant détaillant le dispositif de la campagne...

Tout cela était-il vraiment nécessaire ? Faut-il attendre l'évaluation déjà annoncée par le rectorat pour comprendre que le respect du principe d'égalité ne passe évidemment pas par une uniformisation dont les lycées de la Réunion ne manqueront pas d'être les victimes, puisque, quelles que soient les préoccupations, ils composeront dans des conditions défavorables ? L'égalité est-elle encore l'égalité quand elle ignore à ce point les réalités géographiques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur divers bancs).

M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer - Le baccalauréat est un moment important pour les centaines de milliers de jeunes Français et leurs familles (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Nous leur souhaitons naturellement bonne chance ! (Mêmes mouvements) Les horaires des épreuves à la Réunion vous préoccupent, et les inconvénients que vous signalez sont bien réels. Cependant, les épreuves commençant le 11 juin, selon des modalités organisées de longue date, il est difficile de modifier les horaires.

Nous veillons néanmoins à ce que les mesures d'accompagnement que vous avez rappelées permettent aux candidats de composer dans les meilleures conditions possibles. Nous nous engageons, M. Lang et moi, à ce qu'un bilan de ce dispositif soit dressé dès la fin de ce mois, à l'établissement duquel toutes les parties prenantes seront associées. Pour Jack Lang et moi, l'uniformité n'est pas un dogme. L'égalité des chances est le principe qui nous guide. Si cela se révèle nécessaire, nous prendrons des décisions adaptées (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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PASSÉ TROTSKISTE DU PREMIER MINISTRE

M. François Goulard - Les questions que nous posons dans ces séances et les réponses que vous apportez ont pour objet d'éclairer la représentation nationale et, à travers elle, l'ensemble des Français.

Aujourd'hui, ici, dans la tribune de la presse, il est une question, Monsieur le Premier ministre, que chacun se pose depuis qu'un grand quotidien vient de titrer : « Le secret politique de Lionel Jospin » (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - N'interrompez pas !

M. François Goulard - Ce journal fait état de votre appartenance, jusqu'en 1971, à l'organisation communiste internationale, mouvement trotskiste révolutionnaire (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe communiste). Il fait état de relations que vous auriez entretenues avec cette OCI jusqu'en 1981, tout en étant membre du parti socialiste (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Cet engagement, s'il est réel, n'était pas un engagement de jeunesse : c'était un engagement de l'âge mûr (Mêmes mouvements). Cette appartenance, vous l'avez toujours niée.

Aujourd'hui, les circonstances me conduisent à vous demander si les faits relatés sont exacts, et si c'est le cas, pour quelles raisons les avez-vous jusqu'à présent dissimulés ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Je vais me faire un plaisir de vous répondre.

Il est vrai que dans les années 1960, j'ai marqué de l'intérêt pour les idées trotskistes et que j'ai noué des relations avec l'une des formations de ce mouvement (Interruptions sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Il s'agit là d'un itinéraire personnel, intellectuel et politique dont, si j'ose dire, je n'ai pas à rougir (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). J'ai déjà dit que j'étais un enfant de Suez et de Budapest. Dans cette époque des années 1960, très différente de celle d'aujourd'hui, deux éléments ont en effet été essentiels dans mon mûrissement politique et dans mon engagement : l'anticolonialisme et l'antistalinisme (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste).

Je me suis engagé fermement en faveur de l'évolution, notamment en Algérie, et tout le monde ne peut pas en dire autant, même aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Il y avait effectivement pour moi, dans les idées trotskistes, une amorce des thèmes antitotalitaristes qui ont fait florès plus tard.

Dans cette période très idéologique, le parti communiste n'était pas ce qu'il est et le nouveau parti socialiste n'était pas encore formé. Je n'ai donc, par rapport à cette pensée et ces engagements qui ont relevé de rencontres intellectuelles et de conversations privées, à formuler ni regrets ni excuses.

J'ai, dans ces contacts, rencontré quelques hommes remarquables et cela a contribué à ma formation.

Si je n'en ai pas parlé plus tôt, c'est parce que je pensais que cela n'intéressait personne. Et aujourd'hui encore, même si je trouve légitimes les interpellations et les enquêtes menées par certains journaux, je ne pense pas que cela passionne...

Enfin, j'ai toujours considéré que ce qui relevait des idées, des opinions, du libre débat, dès lors qu'il ne s'agissait pas d'un engagement public, relève de la liberté d'opinion. Or, que je sache, il n'existe pas en démocratie de délit d'opinion et je ne vois donc pas pourquoi j'aurais à rendre des comptes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mon engagement dans le parti socialiste date de près de trente ans et nous le fêterons bientôt. Il a été de nature différente, constamment public, s'appuyant sur des écrits, des déclarations, des interviews, des débats. Il a relevé aussi de mon engagement dans des confrontations électorales. Je l'ai toujours assumé publiquement ; j'en ai rendu compte aux militants comme à l'opinion. J'ai été successivement responsable du parti socialiste et puis premier secrétaire ; c'est en son nom que j'ai été choisi comme ministre de l'éducation nationale ; c'est à l'issue d'une victoire de la gauche pour laquelle le parti socialiste avait joué un rôle essentiel que je suis devenu premier ministre. Eh bien, je pense que ce qui est important aujourd'hui, c'est ce que j'ai fait depuis quatre ans et, peut-être, ce que nous ferons demain ensemble. J'invite chacun, sur tout sujet, à donner sa vérité (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, sur plusieurs bancs du groupe communiste et vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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PRIX ET PASSAGE À L'EURO

M. Dominique Baert - Il est impératif qu'il n'y ait lors du passage à l'euro aucune valse des étiquettes déguisée, profitant des arrondis entraînant une perte de pouvoir d'achat. Ce serait inadmissible !

Des organisations du commerce et de l'industrie ont signé le 31 mai une déclaration commune en vue de ne pas augmenter leurs prix pendant plusieurs mois. Mais les faits devront succéder aux mots, c'est cela qui intéresse les Français.

Comment le Gouvernement accueille-t-il cette annonce des professionnels ? Dispense-t-elle les pouvoirs publics de toute vigilance ? Les consommateurs sont-ils bien garantis du strict point de vue du droit de la concurrence ? Si les prix n'augmentent pas, encore faut-il qu'ils ne soient pas empêchés de baisser si c'était possible (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Patriat, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation - L'euro, voilà un sujet qui intéresse vraiment les Français...

La prise de conscience s'est faite il y a quelques semaines et nous préparons tous ce passage. Certains consommateurs redoutent une flambée des prix liée à une anticipation des commerçants qui augmenteraient leurs prix pour rechercher un arrondi supérieur. Pour autant, le blocage des prix paraît déraisonnable : il serait contraire à nos engagements européens ; il serait aisément contournable ; enfin, certains entreprises pourraient tenter de vendre des produits de nature différente.

Nous préférons donc la voie contractuelle, officialisée par l'accord dont vous avez parlé, qui vise à stabiliser les prix entre novembre 2001 et mars 2002. C'est un engagement d'entreprises qui baignent dans le domaine concurrentiel et qui croient en leurs responsabilités. Si elles ne le tenaient pas, elles seraient immédiatement sanctionnées par les consommateurs. Pour autant, il n'est pas suffisamment contraignant. C'est pourquoi le ministère des finances a demandé une grande vigilance à ses services qui procéderont par vagues successives à des contrôles. Dans un souci de transparence, chacun pourra être informé et constater que la réalité n'est pas celle que beaucoup redoutent. Dans le cas contraire, le Gouvernement pourrait prendre des mesures contraignantes, conformément au code du commerce.

Je crois donc que l'on peut envisager le passage à l'euro sans appréhension, avec confiance, détermination, sérénité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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POLICE DE PROXIMITÉ

M. Jean-Claude Mignon - Nous avons bien entendu votre réponse sur votre passé trotskiste, Monsieur le Premier ministre. Mais n'aviez-vous pas déclaré au Monde « Je n'ai jamais été trotskiste » et invoqué une confusion avec votre frère ?

N'est-il pas surprenant, Monsieur le ministre de l'intérieur, que les parlementaires soient informés par la presse des vérités que vous vous appliquez tellement à nous cacher ?

La dernière de ces vérités, divulguée par un grand quotidien national dans son édition du 1er juin dernier, concerne évidemment l'échec annoncé de votre conception de la police de proximité que vous présentiez comme le remède miracle à tous les maux dont nous sommes chaque jour victimes.

Or un rapport soi-disant confidentiel émanant de l'Inspection générale de la police nationale, de l'Inspection générale de l'administration, de la direction centrale de la sécurité publique et de l'Institut des hautes études de la sécurité intérieure vient ébranler singulièrement vos convictions et contredire vos affirmations sur la prétendue efficacité nouvelle des services de police.

Solitude, sous-encadrement, inexpérience et insécurité des personnels, lourdeur des tâches administratives, insuffisance de la formation, redéploiement des forces inadapté à la délinquance de nuit, statut peu valorisé. Tel est le constat accablant dressé par la quatrième mission d'évaluation de la police de proximité.

Ceux-là même qui sont chargés de la sécurité s'estiment « insécurisés » et de plus en plus exposés physiquement et moralement, sans pouvoir compter sur une véritable protection judiciaire dissuasive. Or, comment sécuriser les autres quand on se sent soi-même seul et vulnérable ?

Quelles suites réserverez-vous à cette mission d'évaluation qui dénonce clairement l'incohérence et l'inadaptation des réponses apportées, en particulier la mauvaise gestion des effectifs et la désorganisation du travail des policiers ? Autant d'écueils qui auraient pu être évités si votre conception de la police de proximité n'avait pas été autocratique, si vous ne l'aviez pas imposée sans concertation avec les intéressés.

La représentation nationale et l'opinion attendent des réponses concrètes (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur - La généralisation de la police de proximité intervient en trois vagues successives, de juin 2000 à juin 2002. Elle fait l'objet d'un suivi précis au fur et à mesure. Dans ce cadre, mon prédécesseur a demandé en août 2000 à l'Inspection générale de l'administration et à l'Inspection générale de la police nationale de procéder à une évaluation dans certaines circonscriptions de police concernées. Quatre missions ont ainsi été conduites. Cette démarche est indispensable pour mener à bien cette organisation nouvelle, mais il s'agit d'une simple photographie -et non d'un jugement de valeur qui validerait ou invaliderait la police de proximité-, destinée à montrer ce qui doit être amélioré ou corrigé.

Je regrette que seules certaines parties aient été rendues publiques, qui portaient sur des ajustements nécessaires pour généraliser la police de proximité, comme vous le demandez tous.

Telle est donc la démarche de transparence de ce gouvernement, que ses prédécesseurs se sont bien gardés d'adopter... (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

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ENSEIGNEMENT PRIVÉ

Mme Bernadette Isaac-Sibille - Je m'étonne que Mme Guigou juge essentiel le rôle des contrats emploi solidarité alors qu'elle en supprime plus de la moitié.

Monsieur le ministre de l'éducation nationale, puisque votre budget ne cesse d'augmenter, ne serait-il pas temps de régler la question des indemnités de départ à la retraite des maîtres de l'enseignement privé sous contrat en appliquant le jugement de la Cour de cassation, qui ajoute au contrat de droit public de ces maîtres des obligations relevant du droit du travail ? Trente mille départs à la retraite vont avoir lieu dans les cinq ans : qui va en assumer la charge ? Les familles ou l'Etat ?

Deuxième point, l'obligation de sécurité dans les établissements sous contrat est essentielle, c'est une obligation de droit public. Or les aides publiques aux investissements en ce domaine sont notoirement insuffisantes. Dans la plupart des collectivités locales, toutes tendance politiques confondues, des dossiers de financement sont votés à la quasi-unanimité, mais -hélas !- le contrôle de légalité du préfet les empêche d'aboutir. Veut-on, par des moyens insidieux et stupides, faire disparaître l'enseignement privé ? Que va faire le Gouvernement pour corriger cette ineptie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel - C'est là un sujet sur lequel chacun a appris à ne s'aventurer qu'à pied sûr, n'est-ce pas ? Mieux vaut éviter de se précipiter sur des solutions qui n'ont que l'apparence du bon sens.

En ce qui concerne tant le statut des maîtres que le niveau des investissements autorisés financés par les collectivités, rappelons-nous qu'en son temps M. Falloux voulait éviter une participation excessive de l'Etat de peur de porter atteinte à l'autonomie de l'enseignement privé...

Alors soyons pragmatiques. Les conditions de recrutement et les obligations de service des maîtres de l'enseignement privé sont les mêmes que ceux de l'enseignement public, mais les premiers relèvent du droit privé. Leur régime de retraite leur permet de prendre leur retraite au même moment et le différentiel est couvert par l'Etat.

Aller plus loin aujourd'hui serait engager une homogénéisation dont les intéressés eux-mêmes ne voulaient pas il y a seize ans.

S'agissant des investissements des collectivités locales, ne prenons pas le détour de la sécurité pour revenir sur leur plafonnement. La question a déjà été posée il y a quelques années avec le résultat que l'on sait. Je propose qu'on s'en tienne au statu quo, qui satisfait tout le monde (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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MESURES EN FAVEUR DES ZONES RURALES

M. Gilbert Maurer - Madame la ministre de l'aménagement du territoire, j'appelle votre attention sur la nécessité de mieux prendre en compte une ruralité qui a beaucoup évolué. Elle ne se résume pas au problème de la chasse et regroupe aujourd'hui, à côté des agriculteurs, une population d'employés, d'ouvriers, d'artisans, de commerçants, de cadres attachés à la qualité de la vie rurale.

Pourtant, alors que les grandes villes ne cessent d'accumuler les problèmes, on ne fait pas assez pour permettre aux gens de continuer à vivre dans nos campagnes. Dans ma circonscription, maints services publics ont été remis en cause. Il est vrai que des réformes sont nécessaires, mais, appliquées sans souplesse, certaines dispositions déstructurent.

Par ailleurs, l'intercommunalité, nécessaire, ne doit pas vider les communes de leur substance, car ce sont des lieux où existent encore une vraie qualité de vie, des liens sociaux forts et une citoyenneté de proximité exercée par les élus locaux. La France rurale constitue une originalité et une richesse et fait notre succès dans bien des domaines.

Je vous prie donc d'écouter les cris d'alarme que vous adressent les élus des circonscriptions rurales. Quelles sont les mesures envisagées pour répondre à cette situation de plus en plus préoccupante ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Vous avez raison de souligner que la ruralité ne se résume pas à l'organisation de la chasse ou aux questions agricoles.

Le monde rural a développé, à côté des activités agricoles traditionnelles, artisanat, commerce, tourisme, PME et PMI : le dernier recensement a bien montré la diversité du monde rural, où coexistent zones de grande vitalité et zones de grande détresse.

Le moment est venu de mettre en place des politiques focalisées sur ces zones. J'insisterai sur trois axes essentiels de la politique du Gouvernement.

Premier point, la révision de la politique des zonages, autrefois descriptifs de handicaps donnant lieu à des mesures d'impact finalement assez modeste. Les propositions du rapport de Philippe Duron et Geneviève Perrin-Gaillard devraient nous permettre de simplifier cette politique et de lui donner plus de cohérence.

Deuxième point, nous privilégions aujourd'hui le développement des territoires par la voie contractuelle : plus de 250 projets de pays sont en préparation, 40 à 60 donneront lieu à la signature d'un contrat d'ici la fin de l'année.

Troisième point, le maintien des services publics est une priorité et votre collègue Henri Nayrou achève un rapport sur cette question. Le décret pris en application de la loi d'aménagement du territoire renforce la concertation avant toute réorganisation des services publics et met l'accent sur les maisons de services publics : 300 fonctionnent aujourd'hui, associant l'Etat, les collectivités locales, les grands services publics, les organismes sociaux, les partenaires économiques. La DATAR présentera un bilan au prochain CIAT, ce qui débouchera sur un programme d'action en faveur des services publics en zone rurale (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

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RESTRUCTURATION DE LA GENDARMERIE

M. Jean-Pierre Dupont - Ma question est dans le droit fil de la précédente, mais sera sans doute moins édulcorée...

Il y a quelques mois nous apprenions par hasard la mise en place de binômes et de trinômes entre les gendarmeries de garde avec, pour corollaire, une perte d'efficacité des interventions des pelotons sur des territoires qu'ils ne connaissent pas.

Aujourd'hui nous apprenons, encore par hasard, la sectorisation des gendarmeries rurales en brigades-mères et brigades-filles.

Ces restructurations n'ont fait l'objet d'aucune concertation avec les élus locaux, pourtant confrontés à la montée de l'insécurité -en Corrèze, les vols avec violence ont ainsi augmenté de 32 % de 1999 à 2000.

Sur le fond, l'inégalité de traitement réservée à nos campagnes et la baisse constante des effectifs de gendarmerie ne correspondent pas à l'évolution des besoins et entraînent une démotivation des gendarmes qui ne peuvent plus assurer correctement leurs missions.

Après les menaces de fermeture des perceptions et des bureaux de poste, le déménagement du territoire se poursuit. Monsieur le Premier ministre, allez-vous revenir sur cette décision et engager la concertation avec les élus locaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

M. Alain Richard, ministre de la défense - Votre information me semble incomplète. La politique de jonction de brigades fait l'objet, dans tous les départements, d'une information approfondie de tous les élus locaux par les responsables de groupements (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR).

Cette politique vise à améliorer la rapidité des interventions nocturnes et ne s'assortit d'aucune suppression de postes, ni de réduction des responsabilités. Elle contribue à améliorer à la fois la sécurité publique et les conditions de travail des gendarmes, notamment la prise de repos. Elle est cohérente avec le maintien d'un maillage serré de l'ensemble du territoire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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DESSERTE AÉRIENNE DES DOM

M. Alfred Marie-Jeanne - La restructuration de la desserte aérienne de la Guadeloupe et de la Martinique et la réduction du nombre de sièges proposés ont entraîné une augmentation des tarifs qui pénalise à la fois l'activité touristique, la mobilité des jeunes et le transport des marchandises. Tout l'effort des hôteliers et des collectivités locales est remis en question. L'ensemble de l'économie risque d'être affecté par ces turbulences. Envisagez-vous un système de péréquations ?

M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer - La desserte aérienne des départements d'outre-mer est affectée par la restructuration du groupe AOM-Air Liberté, dans un contexte tendu et difficile. J'ai rencontré les professionnels du tourisme à ce sujet en Martinique.

Il ne serait pas acceptable que se crée une pénurie chronique. Avec Jean-Claude Gayssot et Michelle Demessine, nous avons donc envoyé il y a quelques semaines une mission d'expertise dans l'ensemble des départements d'outre-mer et à Mayotte, afin de faire un constat de la situation et d'étudier les propositions. Elle a rencontré, outre les professionnels du tourisme, l'ensemble des élus. Ses premières analyses nous permettent de commencer à travailler à des solutions à long terme.

S'agissant du court terme, après intervention du Gouvernement auprès d'Air France, des moyens supplémentaires vont être déployés pour les mois de juillet et d'août.

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PROJET AMÉRICAIN DE DÉFENSE ANTI-MISSILES

M. Paul Quilès - Depuis quarante ans, les Américains vivent dans un mythe, la sécurité absolue de leur territoire.

Le nouveau Président Bush, comme ses prédécesseurs, a annoncé son souhait de voir déployer une défense supposée protéger les Etats-Unis contre un tir de missile balistique nucléaire déclenché par les « Etats voyous ». Cela rappelle le projet de « guerre des étoiles » du Président Reagan, qui ne vit jamais le jour.

Les Etats-Unis souhaitent maintenant que les Européens s'associent à cette défense anti-missiles, mais tant la nature que prendrait cette association que le projet américain lui-même restent flous. Encore faudrait-il, de la part des Européens, la conscience d'une menace réelle contre leur territoire...

Des émissaires de M. Bush ont fait le tour des capitales européennes. Le projet a été évoqué lors de la réunion ministérielle de l'OTAN de Budapest. Le Président Bush sera lui-même en Europe pour une réunion spéciale de l'OTAN la semaine prochaine.

Notre commission de la défense s'inquiète d'un projet qui pourrait relancer la course aux armements et qui dénote une vision très sécuritaire des relations internationales.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, ne pensez-vous pas que les traités de désarmement, qui ont fait leurs preuves, sont une réponse plus appropriée au risque de prolifération des armes ? Ne serait-il pas souhaitable que l'Europe fasse preuve d'ambition en exprimant sa propre conception de la sécurité collective dans le monde ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste)

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Le Gouvernement partage très largement votre analyse. Il ne faut pas confondre les capacités et les menaces. D'ailleurs, le projet évolue, puisque les Américains ne parlent plus de protéger les Etats-Unis mais de protéger l'ensemble de leurs alliés. Cependant, ils ne sont pas sûrs de leur technologie : les tests réalisés sous la présidence Clinton n'ont pas été concluants... A Budapest, nous n'avons pas cautionné ce nouveau concept ; nous conservons notre liberté d'appréciation et de décision.

Au demeurant, il n'est pas exclu que le projet continue à évoluer aux Etats-Unis, pour des raisons technologiques, financières ou encore politiques, les nouveaux responsables des commissions clés du Sénat n'ayant pas exactement la même approche que leurs prédécesseurs. Nous nous déterminerons le moment venu (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures 5 est reprise à 16 heures 25, sous la présidence de M. Gaillard.

PRÉSIDENCE de M. Claude GAILLARD

vice-président

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    RATIFICATION DU TRAITÉ DU NICE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification du Traité de Nice modifiant le Traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Le projet que Pierre Moscovici et moi-même vous présentons aujourd'hui a pour objet d'autoriser la ratification du Traité de Nice modifiant le Traité sur l'Union européenne, les traités instituant les communautés européennes et certains actes connexes. Ce Traité trouve son origine dans le protocole sur les institutions dans la perspective de l'élargissement, annexé au Traité d'Amsterdam.

Ce protocole prévoyait qu'« à la date d'entrée en vigueur du premier élargissement de l'Union, la Commission se compose d'un représentant national de chacun des Etats membres, à condition que la pondération des voix au sein du Conseil ait été modifiée ». Il prévoyait également qu'« un an au moins avant que l'Union européenne ne compte plus de vingt Etats membres, une conférence des représentants des gouvernements des Etats membres serait convoquée pour procéder à un réexamen complet des dispositions des Traités relatives à la composition et au fonctionnement des institutions ».

A Amsterdam, face à l'impossibilité d'obtenir plus, nous n'avions été que trois Etats membres -la France, la Belgique et l'Italie- pour considérer qu'une réforme des institutions était un préalable à l'élargissement et pour faire acter cette exigence dans une déclaration annexée au Traité d'Amsterdam.

Votre Assemblée se souvient que nous avions, au moment de la ratification de ce Traité, pris l'engagement de rechercher avant l'élargissement une solution aux trois questions institutionnelles que la CIG d'Amsterdam, n'avait pu résoudre : la composition de la Commission, la pondération des voix, l'extension de la majorité qualifiée.

Nous avons réussi à rallier les Quinze à cet objectif ; c'est ainsi que le principe, le calendrier et le mandat de la nouvelle Conférence intergouvernementale ont été décidés lors du Conseil européen de Cologne en juin 1999. Nous avons ensuite accepté d'assumer la difficile responsabilité de cette négociation compliquée, sous notre présidence de l'Union en ajoutant, sous présidence portugaise, l'assouplissement du mécanisme des coopérations renforcées, qui nous paraissait être une précaution et une souplesse indispensables pour l'avenir de l'Union élargie.

Les travaux de cette CIG ont débuté le 14 février 2000 et se sont achevés, pour les chefs d'Etat et de gouvernement, le 11 décembre à l'aube. J'ai signé pour la France le 26 février 2001, à Nice, le Traité qui en est résulté.

L'accord de Nice, et parfois la présidence française ont été critiqués, injustement selon nous, par certains commentateurs en France, par la Commission européenne et surtout par le Parlement européen. En revanche, les gouvernements européens et ceux des pays candidats à l'adhésion ont, tous, marqué leur soulagement ou leur satisfaction.

C'est que le Traité ne peut être apprécié dans l'abstrait. Au total, l'accord de Nice est le meilleur possible étant donné les positions des pays européens aujourd'hui. Que l'on pense à la situation dans laquelle nous aurions été en l'absence d'accord ! Nous étions convaincus que ce résultat serait progressivement reconnu à sa juste valeur, puisqu'il permettait à l'Union de dépasser des blocages vieux de dix ans, et qu'il ouvrait la voie à un élargissement maîtrisé et réussi.

Je crois pouvoir dire que les appréciations se sont rééquilibrées et les critiques nettement atténuées. Chacun admet que l'accord de Nice permet de franchir une étape importante dans la construction européenne. L'excellent rapport de la délégation pour l'Union européenne de votre Assemblée à très clairement exposé les résultats obtenus. Celui de Michel Vauzelle dégage les éléments positifs essentiels, avec certaines réserves sur lesquelles nous pourrons revenir. A mes yeux, le Traité de Nice, sur lequel vous êtes appelés à vous prononcer, doit être apprécié pour ce qu'il est, à savoir l'accord qui a permis de répondre, enfin, aux questions laissées en suspens depuis Amsterdam. Il vaut aussi par ce qu'il permet pour l'avenir de l'Union européenne.

Le Premier ministre était venu présenter devant l'Assemblée les priorités de notre présidence de l'Union. En tenant compte des inévitables compromis, inhérents à ce type de négociations, le Gouvernement , mais aussi le Président de la République, considèrent que ces objectifs ont pour l'essentiel été atteints.

Le principe d'un plafonnement de la Commission a, pour la première fois, été introduit dans le Traité. Nous l'avons défendu avec beaucoup de détermination car ce sera l'une des clés qui permettront à la Commission de préserver son rôle original d'impulsion. Nous nous sommes heurtés à l'intransigeance de la quasi totalité des pays, qui veulent conserver « leur » commissaire. C'est un contresens, mais c'est ainsi qu'ils voyaient les choses. Nous avons dû accepter que la décision sur le niveau de ce plafond soit différée ; la discussion devra être reprise le moment venu.

Mais sans attendre, dès l'entrée en vigueur du Traité, les pouvoirs du président de la Commission sur son collège seront accrus, et sa nomination, comme celle de tous les commissaires, aura lieu à la majorité qualifiée. Ce sont des facteurs de renforcement et d'efficacité.

La pondération des voix des Etats membres au conseil sera modifiée afin de réduire le déséquilibre entre les Etats les plus peuplés et les moins peuplés. C'était indispensable pour la légitimité future des décisions dans l'Union élargie, mais ce fut particulièrement difficile à obtenir. Nous sommes parvenus à améliorer réellement cette pondération, sans perdre de vue que chaque Etat a sa place au Conseil, quelle que soit sa taille, ni abandonner la parité entre les grands Etats membres, en particulier la France et l'Allemagne, mais aussi la Grande-Bretagne et l'Italie.

La majorité qualifiée, quant à elle, a été étendue à vingt-sept nouveaux domaines, dans lesquels les décisions seront plus faciles, tout en protégeant ce qui est pour nous essentiel : la culture, la santé et l'éducation. Idéalement, nous aurions voulu aller plus loin, mais, en tant que présidence, nous ne pouvions que prendre acte du refus inflexible de certains Etats, par exemple sur certains aspects de la fiscalité, une partie des questions sociales ou la libre circulation. Le maintien de l'unanimité ne nous empêchera pas néanmoins de poursuivre le travail engagé en 1997 dans ces domaines, comme l'ont montré les nombreuses décisions importantes prises sous la présidence française.

Enfin, le mécanisme des coopérations renforcées sera assoupli : le veto d'un Etat membre n'est maintenu que pour la politique étrangère, et le nombre minimal d'Etats membres est ramené à huit.

Par ailleurs, le Traité réforme de manière significative d'autres organes de l'Union en prévision de l'élargissement, en particulier le Parlement européen et la Cour de justice.

Nous avons également profité de cette CIG pour avancer sur d'autres questions importantes. Nous avons institué un mécanisme d'alerte en cas de menace de violation des droits fondamentaux, qui complète l'article 7 du traité, et forme un tout cohérent avec la Charte des droits fondamentaux, proclamée à Nice également et que j'ai eu l'honneur de signer. Nous avons aussi inscrit dans le Traité les adaptations qui reflètent le développement de l'Europe de la défense, avec la mise en place d'un comité politique et de sécurité.

Toutes ces dispositions constituent une avancée dans la réforme des institutions qui, sans être parfaite ni définitive...

M. Alain Juppé - C'est le moins que l'on puisse dire.

M. le Ministre - ...prépare l'Union à aborder les nouvelles étapes. Les retombées politiques de ce Traité, avant même son entrée en vigueur, sont déjà sensibles.

Je pense en premier lieu à l'élargissement. Un déclic s'est produit dans les négociations d'adhésion. Grâce au travail accompli depuis le Conseil européen d'Helsinki en décembre 1999, nous sommes maintenant entrés dans le vif des négociations. Les difficultés ne sont plus masquées et l'on recherche des solutions au fur et à mesure. Tous les Etats membres et tous les pays candidats s'en réjouissent et s'attellent désormais à résoudre les problèmes les plus importants. Ils nous sont reconnaissants d'avoir dégagé la voie et contribué à fixer un cadre rigoureux aux négociations. Les reproches qui ont été adressés pendant des années à la France se sont ainsi bien révélés infondés devant la réalité de la position française, juste, cohérente et constante. Cet élargissement, à condition de le réussir, sera une chance pour l'Union et pour nous-mêmes.

Grâce à la déclaration adoptée à Nice, le débat sur l'avenir de l'Union est maintenant lancé. Pour cela, il fallait d'abord que les questions soulevées à Amsterdam soient réglées, que l'agenda soit ainsi dégagé, pour que les imaginations et les énergies puissent se projeter dans le futur. Une période exaltante s'est ouverte, où la réalité de l'Union et de ses succès spectaculaires, mais aussi l'ampleur des défis encore à relever, apparaissent plus clairement. C'est pourquoi il a semblé nécessaire de susciter le débat le plus large, d'y faire participer le plus grand nombre, et d'abord ceux qui ne s'expriment jamais, ou bien trop rarement, sur l'Europe, sujet malheureusement trop souvent confisqué par les spécialistes.

M. Jacques Myard - Au détriment du peuple !

M. le Ministre - Le Président de la République et le Premier ministre ont arrêté le dispositif qui permettra à ce débat de se développer dans notre pays et d'être le plus large possible. Nous sommes certains que l'Assemblée nationale y jouera un rôle important.

Ce débat, large et démocratique, devra se poursuivre au moins jusqu'à la fin de l'année. Au Conseil européen de Laeken, nous présidence belge en décembre prochain, nous arrêterons en principe la méthode de réflexion jusqu'à la CIG de 2004. Le Premier ministre s'est prononcé en faveur d'une convention inspirée du modèle de celle qui avait préparé la Charte des droits fondamentaux, et qui serait chargée de préparer les décisions finales des Etats, elles-mêmes soumises à ratification, naturellement.

Plusieurs contributions importantes ont déjà été versées à ce débat. Le Président de la République avait donné sa vision dans un discours devant le Bundestag en juin dernier. Le Premier ministre a présenté il y a quelques jours le projet qu'il forme pour l'Europe. Plusieurs autres responsables européens se sont déjà exprimés ; d'autres le feront.

La France continue d'être au c_ur de la construction européenne, qui est l'objet de notre travail quotidien dans les dizaines de négociations simultanées qu'elle implique, et que nous voulons également enrichir de nos propositions. Comme le Premier ministre l'a marqué avec force, nous sommes fiers d'avoir contribué aux principales évolutions de l'Union. Les mois et les années qui viennent seront déterminants pour l'avenir. Le Gouvernement s'est mobilisé pour relever les défis annoncés : réussir l'élargissement, réussir l'euro et renforcer la coordination des politiques économiques que son introduction entraînera, développer la dimension sociale que nous soutenons depuis quatre ans, instaurer l'espace de liberté, de sécurité et de justice, accélérer l'échange des idées, des cultures, des langues, des connaissances en Europe, faire aboutir notre projet d'Europe de la défense, consolider la politique étrangère européenne, qui s'affirme visiblement, renforcer l'influence de l'Europe dans la régulation mondiale. Dernier défi : mettre en place l'architecture institutionnelle et l'espace politique propres à assurer, dans l'Union élargie, la conduite efficace et démocratique de ces projets et de ces politiques. Sur ce sujet, le Premier ministre a proposé de renforcer chacune des composantes du triangle institutionnel qui a fait les succès de l'Europe -Conseil, Parlement, Commission et le Conseil européen qui en est la clef de voûte.

Chaque négociation sera importante et difficile. Il ne tient qu'à nous de les nourrir. Nous ne sommes jamais aussi écoutés que lorsque nous sommes imaginatifs et ambitieux pour l'Europe, confiants en nous-mêmes, responsables, respectueux des autres, déterminés à avancer et toujours prêts à dialoguer. La promotion de nos intérêts et de nos valeurs en dépend. C'est ainsi que nous pourrons continuer à construire cette fédération d'Etats nations que le Premier ministre a appelée de ses v_ux et à laquelle le Président de la République a souscrit...

Mme Michèle Alliot-Marie - C'est plutôt l'inverse.

M. le Ministre - ...et que Jacques Delors avait le premier imaginée.

Nous poursuivrons cette construction avec tous nos partenaires européens et d'abord, comme toujours, avec l'Allemagne.

Le Traité de Nice est une étape de cette construction. En vous soumettant le plus rapidement possible ce projet de loi de ratification, le Gouvernement tient l'engagement pris par le Conseil européen d'Helsinki de mettre l'Union « en mesure d'accueillir de nouveaux Etats membres à partir de la fin de 2002 ». La plupart des autres pays ont engagé les procédures de ratification, qui s'achèveront selon les cas, soit avant la fin de l'année, soit dans le courant de l'année prochaine. Seule l'Irlande a choisi un référendum, qui aura lieu dans deux jours.

Si le calendrier que nous envisageons est tenu et si le vote du Parlement est celui que le Gouvernement espère, notre pays sera ainsi parmi les premiers à ratifier le nouveau traité. Ce sera un signal éloquent pour l'Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - Hubert Védrine vient de retracer l'historique de la CIG qui a abouti au Traité de Nice et rappelé le contexte dans lequel ce Traité a été élaboré, avec son lot habituel d'attentes, de tensions, de frustrations, mais aussi de soulagements, voire, sur certains points, je n'hésite pas à le dire, de satisfactions.

J'apporterai, pour ma part, quelques éclairages sur les aspects les plus importants du traité.

L'Union européenne fait place aujourd'hui à une crise de ses institutions dont aucune ne fonctionne de façon vraiment satisfaisante. D'abord parce que certaines réformes, alors même qu'elles avaient été jugées indispensable dès l'élargissement à l'Autriche, à la Suède, et à la Finlande, n'ont pu être menées à bien plus tôt. Ensuite, parce que l'Union doit faire face à un nouvel élargissement, d'une ampleur sans précédent.

Pour nous, il ne saurait y avoir de « grand soir institutionnel ». Non par manque d'ambition, contrairement à ce que prétendent certains prompts à s'autoproclamer « euroenthousiastes ». L'enthousiasme ne nous fait pas défaut, mais il ne saurait remplacer la recherche de solutions réalistes, praticables dans une Europe de plus en plus large, où la synthèse entre élargissement et approfondissement ne sera réussie que si l'on préserve ce qui fait l'essence du projet européen.

Or, l'essence du projet européen, ce sont d'abord les politiques que nous menons ensemble et les moyens que nous voulons nous donner pour les développer, non des théories institutionnelles.

Nous avons donc décidé de procéder par étapes. La première a été le Traité de Nice dont l'objectif est de régler les questions restées en suspens à Amsterdam. De ce point de vue, Nice a été un succès, même si les solutions retenues ne sont pas toutes à la hauteur de nos attentes.

La deuxième étape, est le débat sur l'avenir de l'Europe dont le principe a été accepté à Nice, dans une déclaration annexée au traité et qui a d'ores et déjà donné lieu à plusieurs contributions très importantes, dont la dernière en date est celle du Premier ministre, le 28 mai.

Quelques mots de la genèse du Traité de Nice. Les questions qui figuraient à l'ordre du jour -format de la Commission, champ de la majorité qualifiée, repondération- avaient déjà été débattues à Amsterdam, mais les chefs d'Etat et de gouvernement n'avaient pu aboutir à un accord. Cela montre que non seulement ces questions étaient déjà bien identifiées, mais que chacun savait combien elles étaient difficiles. Laisser penser que Nice a péché par excès de modestie, et que ces questions auraient pu être facilement résolues ou évacuées d'un revers de main relève de l'ignorance ou de la désinformation. Pourquoi, si tel était le cas, le succès n'aurait-il pas été obtenu à Amsterdam ?

Nous avions, pour notre part bien mesuré, dès Amsterdam, le problème majeur que poseraient dans la perspective de l'élargissement, ces « reliquats ». D'où l'idée de la déclaration franco-belgo-italienne, qui a souligné solennellement dans un texte annexé au traité d'Amsterdam, la nécessité de résoudre ces trois questions avant le prochain élargissement : c'est notre devoir historique et notre priorité politique.

L'Assemblée nationale elle-même a ardemment plaidé, lors du débat de ratification du Traité d'Amsterdam, pour que cette préoccupation figure clairement dans le projet de loi de ratification. Le Gouvernement a tenu compte de cette revendication légitime et choisi, ce qui est tout à fait exceptionnel, d'ajouter un article 2 au projet de loi de ratification.

Aux Conseils européens d'Helsinki, en décembre 1999, puis de Feira, en juin 2000, nous avons donc plaidé, avec d'autres, pour que soit fixé et limité l'ordre du jour de la CIG de 2000, en concentrant les négociations sur les trois questions restées en suspens à Amsterdam. Se lancer dans une hypothétique refondation d'ensemble de l'Union eût été séduisant, mais n'aurait que retardé l'élargissement, en multipliant les raisons offertes aux uns et aux autres de refuser un accord à Nice.

Nous n'avons donc pas souhaité ajouter à l'ordre du jour de la CIG d'autres sujets lourds, hormis les coopérations renforcées, pour lesquelles nous nous sommes battus. Elles sont en effet un outil indispensable pour gérer la transition vers une Europe élargie, nécessairement plus hétérogène, au moins pendant les premières années.

Par ailleurs, nous avons eu l'intuition et la volonté de retenir une procédure spécifique, totalement nouvelle, pour élaborer la charte des droits fondamentaux, dont l'importance majeure pourrait du reste, lors d'une prochaine étape, être consacrée grâce à son intégration dans une Constitution européenne. J'y reviendrai.

Quels sont les acquis de Nice ?

Les objectifs fixés ont à peu près été atteints. Le contrat de Nice a été rempli, qu'il s'agisse de la pondération des voix ou des coopérations renforcées. Le rééquilibrage opéré permet aux grands Etats membres de retrouver une place plus conforme à leurs poids sans rompre la parité entre eux. Les coopérations renforcées, plus faciles à mettre en _uvre, permettront aux pays qui le souhaitent d'avancer à quelques-uns sur des terrains nouveaux.

Sur la Commission, nous aurions voulu et dû faire mieux. La délégation française considérait que la Commission devait être renforcée.

Malheureusement plusieurs de nos partenaires, y compris parmi les plus fervents défenseurs, habituellement, de la tradition communautaire, ne nous ont guère aidés, et la Commission ne s'est pas montrée suffisamment soucieuse de l'intérêt supérieur européen. Sur la majorité qualifiée, les résultats sont insuffisants. Nous n'avons pas avancé dans certains domaines, fiscal ou social par exemple. Nombre d'Etats membres qui avaient, comme la France, des difficultés avec l'article 133, n'ont pas fait autant d'effort que nous. Aucune de nos grands partenaires n'a particulièrement montré l'exemple.

Au total, le résultat de la négociation n'est pas mauvais, surtout en l'état du rapport de forces. Le débat qui s'ouvre devrait permettre de lever les incertitudes qui pourraient subsister, car notre intérêt est de ratifier le Traité au plus vite, comme l'ont déjà fait les Danois la semaine dernière à une assez large majorité. Lancé le 11 avril par le Président de la République et le Premier ministre, le débat sur l'avenir de l'Europe s'achèvera en 2004 par une nouvelle conférence intergouvernementale. Les parlementaires ont un rôle prépondérant à y jouer. Déjà, je salue l'intention de la Délégation pour l'Union européenne de préparer un rapport sur chacune des grandes questions identifiées par la déclaration annexée au Traité de Nice.

Cette phase nationale du débat permettra de faire parler sur l'Europe ceux qui généralement ne s'expriment guère.

Il ne s'agit pas de dessiner une nouvelle architecture institutionnelle de manière abstraite, déconnectée des réalités humaines de l'Union européenne, qui réunit des Etats aux identités fortes. Ne sacrifions pas aux délices un peu ésotériques d'un concours de beauté institutionnel. Nous ne faisons pas l'Europe pour les institutions, mais parce que nous avons pour elle un véritable projet de société et de civilisation. Reste que pour mener de bonnes politiques, des institutions fortes et démocratiques sont nécessaires. L'Europe a pour origine la volonté de bâtir pour toujours la paix sur le continent, et aussi d'_uvrer pour le bien-être de nos concitoyens au sein d'un espace prospère et respectueux des droits fondamentaux, qui figurent désormais dans la Charte et pourraient être inscrits un jour dans une Constitution.

Si les institutions communautaires sont en crise, le projet européen est lui-même en question. C'est ce projet, destiné à renforcer la solidarité européenne, que nous devons d'abord affirmer. C'est lui qui doit nourrir la réflexion institutionnelle. La déclaration de Nice sur l'avenir de l'Union énonce quatre questions : la répartition des compétences, la constitutionnalisation des Traités, le rôle des Parlements nationaux et le statut de la Charte des droits fondamentaux. Rien n'empêche d'aller plus loin. Mais il faut à l'évidence tenir compte de ce qui existe. On aurait tort, je crois, de considérer que seule la mise en place d'un schéma strictement fédéral constituerait une réforme digne de ce nom. Des Européens moins convaincus que Jacques Delors, Joschka Fischer et Romano Prodi partagent cette analyse.

Certes l'Union européenne comporte des éléments de fédéralisme : Commission, Parlement européen, Cour de justice, euro.

Mais il existe aussi d'autres réalités, celle des Etats, dont nous voulons tenir compte. Le triangle institutionnel -Commission, Conseil, Parlement européen-, est certainement le mieux à même de faire vivre ce que Lionel Jospin a appelé la « tension constitutive » de l'Union, entre ce qui relève du fédéralisme et ce qui traduit l'identité des Etats-nations.

Les trois composantes du triangle institutionnel doivent recevoir un poids politique plus fort, tout en maintenant l'équilibre entre elles.

La Commission, garante de l'intérêt général européen, doit bénéficier d'une légitimité politique renforcée. Avec le Traité de Nice, son président sera désigné à la majorité qualifiée et son autorité sera accrue. Il faut aller plus loin et qu'il soit directement issu de la formation politique victorieuse aux élections au Parlement européen. Si, en plus, nous parvenions à réformer le mode de scrutin actuel, alors l'intérêt des citoyens pour les élections européennes serait naturellement revivifié.

Cette même approche doit prévaloir pour le Parlement européen, qui a vu, à Nice, ses prérogatives étendues. Pour cela, une profonde réforme du mode de scrutin pour les élections européennes est indispensable. Mais il faut aussi rendre l'assemblée de Strasbourg plus responsable. L'introduction d'un droit de dissolution irait incontestablement dans ce sens...

M. Jacques Myard - Je suis pour une dissolution définitive !

M. le Ministre délégué - ...Loin d'affaiblir le Parlement européen, il consacrerait la démocratie parlementaire.

Quant au Conseil, on voit mal comment il pourrait ne pas conserver sa double nature exécutive et législative, dès lors que le Traité confère explicitement des pouvoirs aux Etats membres et que certaines politiques relèvent clairement de la méthode intergouvernementale. Loin d'un retour en arrière vers l'intergouvernemental, sa réforme doit donc lui permettre de mieux jouer son double rôle.

On pourrait naturellement imaginer que les Etats n'aient plus qu'un pouvoir législatif, secondaire par rapport à celui du Parlement européen. Je crois, comme l'a indiqué le Président de la République fédérale d'Allemagne, M. Rau, que nos peuples n'y sont pas prêts. Or nous faisons l'Europe pour les citoyens, non pour le plaisir intellectuel de réaliser une construction institutionnelle. Ne confondons pas notre Europe avec les cités imaginaires rêvées par Italo Calvino.

Pour améliorer les méthodes de travail du Conseil, le Premier ministre a proposé de créer un conseil permanent composé de « sortes de vice-premiers ministres », qui coordonneraient les questions européennes dans leur propre gouvernement national.

M. Jacques Myard - Encore un fromage !

M. le Ministre délégué - La généralisation du vote à la majorité qualifiée serait de son côté un puissant facteur d'intégration.

Que l'on ne s'y trompe pas ! Ce ne sont pas là des réformes a minima. Si tel était le cas, nous n'aurions pas rencontré tant de résistances, à Nice, y compris de la part de ceux qui prétendent proposer, avec le modèle fédéral, une réforme plus ambitieuse.

Ne nous payons pas de mots ! Soyons au clair sur l'objectif à atteindre, car c'est bien là que pourront se mesurer la nature et le degré de notre ambition pour l'Europe.

Notre ambition est très haute : construire une Europe forte, consciente de son identité politique et porteuse de ses valeurs de paix, de solidarité et de pluralisme.

Mais pour cela, nous devons d'abord ratifier le Traité de Nice (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Michel Vauzelle, rapporteur de la commission des affaires étrangères - L'Union européenne a aujourd'hui un devoir moral et politique essentiel : l'unification de l'Europe déchirée pendant un demi-siècle. Comme en 1989, après la chute du mur de Berlin, nous devons tout faire pour aider nos peuples frères d'Europe centrale et orientale à reprendre toute leur place dans la grande famille européenne.

Comment rester insensibles à l'attente de ces peuples qui ont besoin de notre respect et de notre solidarité pour rendre plus assuré leur cheminement vers la démocratie ? Comment nous vanter d'avoir fondé la construction européenne sur une éthique, celle de la liberté et des droits de l'homme, au lendemain de la victoire des démocraties sur le nazisme et le fascisme, si nous ne tendions pas dès aujourd'hui la main à des Européens comme nous qui se sont libérés du totalitarisme et de la dictature ?

Comment, en outre ne pas voir que notre propre sécurité, notre développement, le maintien de notre liberté face à la mondialisation rendent urgentes les décisions nécessaires à l'élargissement de l'Union ?

Dès 1989, l'Union a aidé les pays d'Europe centrale et orientale à prendre le chemin de la démocratie ainsi qu'à adapter leurs économies. En mars 1999, au Conseil de Berlin, les Quinze se sont engagés à se mettre en mesure d'admettre les premiers pays candidats à l'adhésion à partir de 2002, et donc à adapter les institutions européennes avant cette date.

Qui pouvait être insensible au désespoir et aux conséquences qu'aurait provoqué dans les pays de l'Est, le non-respect de la parole donnée par l'Europe ? L'engagement a été tenu. C'est bien là le premier mérite du Traité de Nice.

Le Conseil européen de Nice a donc approuvé une stratégie qui décrit les dernières étapes des négociations d'adhésion et qui a été acceptée par les Etats candidats. L'échéancier comporte trois phases jusqu'en juin 2002. A cette date, toutes les positions communes de l'Union européenne, sur tous les chapitres de l'acquis communautaire, devront être définies. Ainsi peut-on envisager la conclusion, fin 2002, des négociations avec les pays candidats qui seront prêts. Ce cadre indicatif est encourageant pour les candidats les mieux préparés. Il sera évidemment flexible face à de possibles blocages.

La perspective de l'élargissement devient donc de plus en plus concrète. Le Traité de Nice a délivré à l'Europe et au monde un nouveau message clair sur l'irréversibilité de l'élargissement. S'il déçoit certains des plus anciens membres de l'Union, c'est parce qu'il prévoit expressément la place qui reviendra aux nouveaux. A Nice, il fallait trouver le rythme qui convienne à tous. Chaque nouvel Etat membre sait désormais quel sera son sort au sein de la Commission, qu'il s'agisse des droits de vote au Conseil ou du nombre de sièges dans les différentes institutions.

Pour rendre possible cette cohabitation, la Conférence ne pouvait qu'être difficile, autour des thèmes du partage du pouvoir dans l'Union, du poids de chaque Etat dans le processus de prise de décision, de leur influence respective au sein des institutions. Les questions institutionnelles ne pouvaient rester sans réponse. Mais les suites d'Amsterdam comme de Nice semblent montrer que de telles négociations suscitent toujours une certaine insatisfaction. Au contraire, l'Acte unique européen, et le Traité de Maastricht, porteurs d'un projet pour l'Europe, ont été considérés comme un succès. Il est vrai que, dans ces cas, la fierté d'un renforcement significatif de la construction européenne, aide les gouvernements à mieux dépasser leurs intérêts nationaux, du reste légitimes, pour faire prévaloir l'intérêt de l'Union.

Pour autant, moralement et politiquement indispensable, le Traité de Nice ne mérite pas toutes les critiques qui lui ont été adressées.

Premier aspect positif, la nouvelle pondération des voix au Conseil répond aux préoccupations françaises. Le nouveau système de vote à la majorité ne diffère pas beaucoup de l'actuel. Les principales différences se situent dans la repondération, qui est favorable aux cinq plus grands Etats, et dans la manifestation plus explicite de la double légitimité de l'Union. Les décisions reposeront sur une majorité significative de la population et sur la majorité des Etats.

La clause facultative de vérification démographique a été critiquée par certains. L'inconnue réside en fait dans l'utilisation qu'en feront les grands États. L'Allemagne aura plus de facilité qu'un autre pays à l'invoquer. Mais cette clause ne jouera pas à son seul avantage. Dans l'hypothèse d'une Union de vingt à vingt-cinq Etats membres, la France pourra demander la vérification démographique avec deux autres grands pays, sans l'appui de l'Allemagne. Quoi qu'il en soit, c'est avec l'Allemagne et non contre elle que nous continuerons à construire l'Europe.

L'avenir montrera les éventuels inconvénients du système de vote. Dans l'immédiat, il présente l'avantage de conférer à la prise de décision communautaire une plus grande légitimité. Il prend mieux en compte la démographie de chaque Etat, tout en gardant une sur-représentation relative des moins peuplés. Il a donc suscité l'adhésion des petits Etats qui souhaitaient voir le principe de double majorité s'imposer, comme des grands Etats, satisfaits par la repondération des voix.

La future composition de la Commission a déçu en revanche la présidence française ainsi que notre Parlement. Elle satisfait évidemment les représentants des pays candidats à l'adhésion, qui pourront nommer eux aussi un commissaire dans un premier temps.

Le soulagement qui accompagne la solution de cette question longuement débattue ne doit pas faire oublier que la composition de la Commission au début sera très déséquilibrée. Que penser de l'équilibre démographique et géographique d'un collège comportant par exemple trois commissaires baltes et un seul allemand ou un seul français ? Les grands pays des arcs atlantique et méditerranéen seront marginalisés alors qu'ils représentent 40 % de la population et 52 % de la richesse de l'Union élargie.

M. Jacques Myard - Reprenons notre indépendance !

M. le Rapporteur - Certes, l'esprit communautaire doit régner à la Commission, mais il risque plutôt de pâtir de cette disposition.

Il est donc important que cet aspect des institutions soit à nouveau discuté dans les réflexions de « l'après Nice ».

En revanche, les modifications apportées par le Traité pour renforcer l'autorité du président sont très positives. Elles entreront en application sans délai. Elles sont d'autant plus nécessaires que le collège est appelé à s'élargir. Il est cependant à craindre qu'elles ne suffisent pas à empêcher une « nationalisation » de la Commission, contraire à la lettre et à l'esprit des institutions. Elle se transformerait ainsi en assemblée délibérante représentant les Etats devant laquelle le président pourrait être mis en minorité. Il faut donc aborder à nouveau ces questions sans tarder.

Certains commentateurs soulignent que les intérêts nationaux auraient été prépondérants dans la négociation sur les domaines qui seront soumis au vote à la majorité qualifiée. Il est vrai que ce sujet semble avoir exigé les plus longues négociations... Certains Etats membres ont repoussé sans concessions le passage à la majorité dans tel ou tel domaine. Cependant, vingt-neuf dispositions passent intégralement ou partiellement dans le champ de la majorité qualifiée. C'est un résultat appréciable même s'il est en-deçà des objectifs de la présidence française. Ainsi, les institutions seront plus efficaces.

De plus, l'extension de la compétence communautaire exclusive au commerce des services répond à une demande forte de notre pays. Des secteurs importants de notre économie pour lesquels la France est très présente dans le monde, en tireront bénéfice. Cette extension ne touche pas les services culturels, audiovisuels, de l'éducation, de la santé et de la formation professionnelle, qui correspond aussi à nos préoccupations.

Ces dispositions sont complexes, mais il fallait à la fois faciliter la conclusion d'accords multilatéraux dans de nouveaux domaines essentiels de l'économie mondiale et garder un contrôle sur les négociations et les accords commerciaux touchant des secteurs sensibles qui ne doivent pas être considérés comme marchands et, surtout, ceux où sont en jeu la diversité culturelle, donc une expression essentielle de la liberté.

La réforme du système juridictionnel européen apparaissait d'autant plus nécessaire que la Cour est déjà victime du trop grand nombre des recours. Par ailleurs, les dispositions relatives aux coopérations renforcées sont améliorées.

Je veux dénoncer ici la déclaration n° 22 annexée au Traité, qui fait de Bruxelles le siège de tous les Conseils européens. Il est tout à fait regrettable que les représentants des quatorze autres Etats aient concédé cet engagement pour obtenir l'accord de la Belgique sur la pondération. En effet, cette déclaration, minuscule en apparence, retire à l'Etat qui assure la présidence la possibilité d'inviter le Conseil européen à se réunir sur son propre territoire. Elle prive ainsi ses citoyens d'un moment symbolique fort et pédagogique, ce qui sera particulièrement regrettable pour les nouveaux Etats membres. Il serait donc très souhaitable que cette déclaration soit revue dès que possible, sans même attendre la Conférence intergouvernementale de 2004. La démocratie de proximité a aussi vocation à s'épanouir dans le cadre européen.

La déclaration relative à l'avenir de l'Union, annexée au Traité inaugure entre les Quinze une nouvelle période de réflexion, à laquelle seront associés les pays candidats. Dès cette année, un large débat doit s'ouvrir dans les Etats membres pour aboutir à une nouvelle Conférence intergouvernementale en 2004.

C'est à l'issue de cette nouvelle réflexion que l'Europe, si elle veut être un ensemble cohérent capable de maîtriser les effets négatifs de la mondialisation, devra répondre à différentes questions essentielles : quel est le contrat social qui lie les Etats membres ? Quelle forme à caractère constitutionnel ce contrat doit-il revêtir ?

M. Jacques Myard - Il fallait commencer par là !

M. le Rapporteur - Le premier des thèmes retenus par la déclaration me paraît particulièrement actuel. Il annonce l'élaboration d'une sorte de catalogue de compétences entre l'Union, les Etats et les régions. Cette méthode, caractéristique des systèmes fédéraux est très différente de la méthode actuelle, qui favorise les transferts et les empiétements de compétences voulus ou insidieux.

Jusqu'à présent, la méthode communautaire a conduit à retirer des compétences aux Etats par pans successifs pour les confier à la Communauté. Cela a été considéré, tout au long de la construction européenne, comme allant dans le sens du progrès et comme traduisant une vision intelligente du futur. Mais, la question du devenir de l'Etat-nation, qui trouble profondément nos concitoyens n'était jamais posée. Si l'après Nice est si difficile, c'est qu'on arrive aux limites de cette démarche : il faut maintenant « tout mettre sur la table », dire clairement à nos concitoyens ce que nous voulons faire de l'Europe, de la France et de nos régions.

La nation forme un cadre historique de défense des droits et des libertés.

M. Jacques Myard - Le seul !

M. le Rapporteur - Nos concitoyens ont besoin de s'identifier à leur culture nationale. Elle est l'expression de leur liberté au quotidien dans une période où ils redoutent la mondialisation.

Si nous le privons demain de l'Etat-nation, le citoyen risque de reporter sa recherche d'identité sur les régionalismes montant en puissance dans plusieurs Etats européens, en France en particulier. Ils sont d'autant plus dangereux qu'ils s'accompagnent parfois d'une ethnicisation des mentalités et des pratiques, qui ouvre la voie au populisme, à la xénophobie et au racisme.

Mme Christine Boutin - Régression !

M. le Rapporteur - Face à cette évolution, l'Etat-nation doit conserver des éléments de souveraineté suffisants pour rester un repère pour les citoyens et un cadre protecteur de leur droit de vivre selon leur propre culture. La France ne peut pas laisser tomber en désuétude le Préambule et le titre premier de sa Constitution. La souveraineté de la nation ne réside pas dans des compétences : elle leur est supérieure puisqu'elle peut les déléguer.

Le débat qui s'ouvre devra répondre à ces questions essentielles. Après la loi sur la Corse avec cette ratification du Traité de Nice, il faut maintenant poser la question de la place de la France entre l'Europe et ses régions.

Le Premier ministre Lionel Jospin a apporté une réponse. Il a dit son souhait d'une fédération des Etats-nations. J'adhère entièrement à ce projet, parce qu'il répond aux attentes et aux inquiétudes apparemment contradictoires des Français.

Pour le grand débat qui s'ouvre, le Parlement européen propose que la méthode de la convention adoptée pour la rédaction de la Charte des droits fondamentaux serve de modèle. Ce peut être une solution, mais sa convocation devrait être précédée d'un travail de préparation réalisé au sein d'un Comité des sages, selon une méthode éprouvée de la construction européenne. Ce comité élaborerait un cadre afin d'éviter une dilution du débat. La convention se déroulerait ensuite, puis la conférence elle-même.

Afin de disposer de propositions concrètes lors du Conseil européen qui se tiendra à la fin du deuxième semestre 2001 en Belgique, notre pays doit apporter rapidement une première contribution à la réflexion qui s'ouvre. Le Parlement français doit être une source essentielle de proposition.

Je suis très heureux de l'idée d'un congrès des Parlements proposée par le Premier ministre. Les parlementaires nationaux ont une légitimité, ils disposent d'une information concrète. Le congrès des Parlements est indispensable dans la période difficile qui s'ouvre pour la construction européenne.

Il ne faut pas demander au Traité de Nice autre chose que ce pour quoi il était fait : rendre possible l'élargissement et ouvrir les voies de l'avenir à une construction constitutionnelle originale. Aujourd'hui, nous pouvons répondre honorablement aux pays d'Europe centrale et orientale et nous engager, avec eux, sur le chemin vers la Constitution qui fondera une fédération sans dissoudre nos nations. C'est la seule réponse aux défis de la mondialisation et aux menaces du populisme.

C'est pourquoi je vous propose, au nom de la commission des affaires étrangères, d'adopter le présent projet.

M. Jacques Myard - Illogique !

M. le Rapporteur - Monsieur Myard, comme le disait le philosophe, « si l'on attend, pour agir, des causes parfaites et des moyens irréprochables, autant renoncer à agir ». Telle n'est, j'en suis sûr, ni votre volonté, ni la nôtre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Loncle, président de la commission des affaires étrangères - En liaison avec la délégation pour l'Union européenne, la commission des affaires étrangères se veut porteuse, voire actrice du débat européen dans notre pays.

Nous l'avions fait avec le président Giscard d'Estaing en élaborant l'article 2 du projet de ratification du Traité d'Amsterdam.

La commission a également étroitement suivi le processus ayant conduit au Traité de Nice, procédant à l'audition de personnalités françaises et étrangères -dont Jacques Delors, Joschka Fischer, Robin Cook- et de la plupart des commissaires européens.

Ce texte a suscité déceptions et attentes, critiques et interrogations. Mais l'heure n'est plus aux regrets. Le gouvernement français a fait tout son possible pour parvenir au moins mauvais accord. Nice constitue une étape utile, indispensable. Je n'ose imaginer les conséquences qu'auraient eues un non-accord, ou qu'aurait une non-ratification par le Parlement français. On assisterait au blocage de la construction européenne, à une crise aux effets destructeurs. Et quelle humiliation pour les douze pays candidats qui ont consenti de lourds sacrifices pour nous rejoindre ! Nous ne pouvions décevoir les pays d'Europe centrale et orientale, d'autant qu'ils éprouvent, eux aussi, le « désir d'Europe », « l'élan et le sens de l'urgence », qui animaient Robert Schuman et les autres pères fondateurs.

Comment utiliser au mieux le Traité de Nice ? Ce texte pèche, à mon sens, par deux insuffisances. D'une part, ses conclusions en matière institutionnelle ne sont pas à la hauteur des ambitions initiales. D'autre part, le principe des coopérations renforcées apparaît comme un mécanisme d'intégration trop timide.

La logique du projet européen c'est une plus grande intégration des politiques et des Etats, tout en appliquant plus strictement le principe de subsidiarité.

Mais, malgré ses faiblesses, le Traité de Nice contribue à faire émerger une Europe plus forte, et plus accessible. Il a surtout le grand mérite de régler les questions de pouvoirs et de remédier à des déséquilibres internes qui risquaient de s'aggraver avec l'arrivée de petits Etats. Nice a réussi là où Amsterdam avait échoué.

Le Traité de Nice permet d'atteindre un objectif primordial : donner un feu vert définitif à l'élargissement et mettre ainsi fin à la division artificielle de notre continent. L'histoire rejoint enfin la géographie. C'est un devoir, un défi, mais aussi une grande aventure. Sous réserve que ce processus soit mené avec rigueur, l'élargissement est dans l'intérêt de tous, pays membres et pays candidats.

Comme Joschka Fischer l'expliquait, en janvier 2001, à Fribourg, l'élargissement est à la fois une chance historique et une nécessité politique. Si l'Union refusait de s'ouvrir aux démocraties d'Europe orientale et centrale, l'idée même d'intégration risquerait de se vider de son sens et l'Europe deviendrait un continent d'insécurité.

N'attendons pas les premières adhésions pour associer les pays candidats aux projets communautaires, notamment en politique étrangère. Le dialogue entre nous tous doit commencer dès aujourd'hui. Par ailleurs, l'Union ne doit pas négliger la relation privilégiée qu'elle entretient avec le bassin méditerranéen.

Prenons conscience du changement de nature de la construction européenne. L'Europe sera un ensemble plus vaste, mais aussi plus hétérogène. N'hésitons pas à aborder ensemble les questions délicates comme les fonds structurels, la PAC ou le financement du budget européen.

Il faut aussi dénoncer une idée reçue, celle de l'opposition irréductible entre élargissement et approfondissement. Désormais, l'enjeu véritable n'est plus entre élargissement et approfondissement, mais bien entre intégration et dépendance -dépendance à l'égard des marchés, des fourriers de la mondialisation, d'une hyperpuissance aux tentations hégémoniques. On ne peut réellement défendre la spécificité française que par une intégration progressive dans l'ensemble européen.

Réussir l'élargissement, réussir l'intégration, réussir l'Europe, cela suppose des moyens financiers supplémentaires et des institutions affermies.

Puisque le préalable institutionnel posé solennellement par la France, a été levé par le Traité de Nice, réfléchissons dès maintenant à la forme d'une Union européenne de vingt-sept membres. Je suis convaincu que c'est avant tout à nous, parlementaires, d'assumer la responsabilité de rendre l'Europe à la politique.

Comme l'a souligné le Premier ministre, la semaine dernière, en exposant sa forte vision, « l'Europe est d'abord un projet politique ». Plus qu'une zone de sécurité collective, plus qu'un vaste marché, elle est une volonté, une ambition, une association d'individus libres partageant des valeurs, entité politique inédite, synthèse des cultures des pays qui la composent.

C'est la première tentative d'organisation du continent sur la base de l'égalité de chacun des partenaires.

La politique doit réinvestir pleinement le champ européen et alors les citoyens se passionneront de nouveau pour notre Union. S'ils sont lassés des discussions technocratiques, ils aiment l'Europe et comme un récent sondage l'a démontré, ils souhaitent une intégration plus poussée.

L'Union doit s'apprêter à franchir un saut qualitatif. Pour le préparer, convoquons, dans la perspective de l'échéance 2004, une nouvelle Convention réunissant des représentants des gouvernements, de la Commission et des Parlements nationaux et européens, ouverte sur la société civile et associant les pays candidats. Je me félicite que cette proposition ait reçu l'aval du Premier ministre. Cette nouvelle Convention européenne serait chargée, selon les termes de Jacques Delors, de « décider ce que nous voulons faire ensemble et selon quelles règles nous voulons vivre ensemble ». Elle préparerait une constitution, avec pour préambule la Charte des droits fondamentaux.

Cette constitution clarifierait la répartition des pouvoirs et des compétences, d'une part entre les Etats, les régions et l'Union, d'autre part entre les différentes institutions européennes, avec le souci, comme le recommande encore Jacques Delors, « d'inventer de la simplicité ». Sortons de l'ambiguïté de la formule « Fédération d'Etats-nations ».

Quels seraient les contours de cette fédération et ses frontières ultimes ?

Invitons tous les Européens à participer activement à ce grand débat démocratique. Et en premier lieu, que les Français et Allemands s'accordent, comme dans le passé, sur une nouvelle ambition commune pour l'Europe, celle d'être un acteur majeur de la scène internationale. L'Assemblée nationale et le Bundestag entendent, du reste, jouer un rôle particulier dans ce rapprochement. Que la France et l'Allemagne adressent ensemble un message d'espoir : faire de l'Europe un modèle de développement social et de diversité culturelle, un pôle de justice, de solidarité et de sécurité, cette Europe-référence qu'évoquait Laurent Fabius, alternative au libéralisme tentaculaire.

L'Union doit se donner les moyens d'exercer une influence politique conforme à son poids économique, défendre ses valeurs, contrebalancer l'hyperpuissance américaine.

C'est en relevant ces défis que l'Europe redeviendra cette aventure collective que chaque Européen fait vivre, jour après jour (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne - Le Traité de Nice a été injustement critiqué alors qu'il a pour grand mérite d'ouvrir la voie à l'élargissement de l'Union.

Pas n'importe quel élargissement : il s'agit de rassembler les peuples qui se sont battus, pendant des années, pour leur liberté et leur souveraineté. Tous ceux qui envisagent de ne pas ratifier le Traité de Nice doivent se poser cette question : pouvons-nous encore retarder l'entrée des pays qui veulent bâtir avec nous notre continent ?

Nice lave notre pays de l'accusation injuste selon laquelle nous n'insistions sur le préalable de la réforme institutionnelle que pour freiner l'élargissement. Au contraire, la difficulté de parvenir à un accord à Quinze a montré la justesse de notre approche.

L'entrée des PECO dans l'Union, loin d'affaiblir le projet politique européen, devrait donner tout son sens à l'ambition européenne : réunir le continent autour de la défense de nos valeurs et du modèle économique et social européen. Ensemble, nous serons plus forts pour préserver notre identité et coopérer avec les Etats soucieux, comme nous, de réguler le système international.

Mais Nice ne se justifie pas seulement dans la perspective historique de l'élargissement. Il permet également d'améliorer la façon dont nous devons travailler et décider à Quinze. Une meilleure prise en considération de l'élément démographique ; une extension, sans doute trop limitée, du champ de la majorité qualifiée ; une augmentation maîtrisée de la taille de la Commission ; une réforme de la juridiction communautaire, qui est une avancée concrète pour les justiciables ; la reconnaissance d'Eurojust ; enfin, un assouplissement des coopérations renforcées qui permettra plus facilement à un groupe d'Etats d'aller de l'avant : tous ces éléments vont dans le sens de ce que nous souhaitions. Contrairement à ce qui a pu être dit, le Traité de Nice représente une réelle avancée et va au-delà des seuls « reliquats du Traité d'Amsterdam ».

Certes, il ne remet pas à plat l'architecture de l'Union et n'institue pas un nouveau pacte fondateur, mais tel n'était pas son objet. Il règle des problèmes restés en suspens et dont la solution conditionnait l'entrée de nouveaux Etats. Que la présidence française soit parvenue à terminer une discussion institutionnelle qui empoisonnait la vie de l'Union depuis plus de cinq ans n'est pas le moindre de ses mérites.

Outre le Traité de Nice, notre pays peut se prévaloir d'avoir obtenu, pendant sa présidence, des résultats souvent remarquables dans des domaines essentiels pour la cohésion économique et sociale de l'Union. Je ne citerai que l'adoption de l'Agenda social européen et de la Charte des droits fondamentaux, l'accord sur le paquet fiscal et les décisions prises en matière de sécurité du transport maritime ou de la défense européenne.

L'Acte unique et le Traité de Maastricht avaient eux aussi été critiqués, alors que chacun convient désormais qu'ils ont représenté une réelle avancée. L'image du Traité de Nice a, pour sa part, pâti de l'âpreté des discussions au Conseil européen. Celle-ci n'a pourtant pas lieu d'étonner dès lors qu'était en jeu le partage du pouvoir ; point n'est besoin d'incriminer une montée des égoïsmes nationaux ou une perte d'élan européen.

Le résultat obtenu n'est certes pas parfait mais, contrairement aux Traités de Maastricht et d'Amsterdam, le Traité de Nice ne comporte aucune dérogation en faveur de certains Etats membres. En cela, il montre l'exemple d'une discipline commune librement décidée, ce qui est essentiel.

Par ailleurs, en levant l'obstacle institutionnel à l'élargissement, il permet que s'engage le débat que nous étions nombreux à souhaiter sur l'avenir de l'Union. Des réformes profondes sont en effet nécessaires pour renforcer les institutions européennes, mais encore faut-il que nous soyons d'accord sur les objectifs. Quelle Europe voulons-nous ? Quelle est la communauté de valeurs qui nous unit ? De quel message sommes-nous porteurs ? Le Premier ministre, dans son récent discours, a apporté à ces questions des réponses auxquelles je souscris entièrement : l'Europe ne doit pas être seulement un marché unique, elle doit aussi avoir une dimension sociale et culturelle.

Une Fédération d'Etats-nations garantissant la souveraineté des Etats tout en renforçant le projet politique européen ; une Constitution européenne clarifiant la répartition des compétences et dont la Charte des droits fondamentaux serait le préambule : ces deux propositions du Premier ministre tracent une perspective forte pour l'Europe.

Afin d'accroître le contrôle démocratique sur la construction européenne, Lionel Jospin suggère de réunir le Parlement européen et les Parlements nationaux en un Congrès qui débattrait chaque année de l'état de l'Union, s'assurerait du respect du principe de subsidiarité et déciderait éventuellement, selon une procédure simplifiée, des modifications à apporter aux règles des traités relatives aux politiques communes. Cette proposition me paraît équilibrée. De même, je soutiens l'idée de réunir une convention sur le modèle de celle qui a été constituée pour élaborer la charte des droits fondamentaux, afin d'assurer la participation des Parlements nationaux, du Parlement européen, de la Commission et des représentants des gouvernements, en liaison avec la société civile, à la préparation de la prochaine réforme des traités.

Ce débat sur l'avenir de l'Union ne fait que commencer : il doit être aussi ouvert que possible et impliquer les parlementaires, les groupes politiques, mais aussi les milieux économiques et sociaux et les citoyens.

La Délégation que je préside entend y prendre une part active. Un groupe de travail interne, composé de représentants de la majorité et de l'opposition, va procéder à de nombreuses auditions et remettra un rapport d'information à l'automne prochain. Par ailleurs, des auditions de hautes personnalités françaises et étrangères se feront régulièrement, sous l'égide de la Délégation, le mardi à 17 heures 30, salle Lamartine. Ces auditions, que je vous propose d'appeler les « mardis de l'Europe », seront ouvertes aux parlementaires, à la presse et au public. Le forum sur l'avenir de l'Union qui a été ouvert sur le site Internet de l'Assemblée nationale permettra aux parlementaires et aux groupes politiques de diffuser leurs contributions. Enfin, des « Assises sur l'Europe » seront organisées par l'Assemblée nationale à l'automne, avant le Conseil européen de Laeken.

J'en viens à la transposition du droit communautaire dans notre législation nationale. La nécessité de recourir l'année dernière à une loi d'habilitation pour rattraper une partie de notre retard a démontré, si besoin était, l'inefficacité du dispositif en vigueur. Le problème concerne aussi bien la majorité que l'opposition puisque les directives en attente de transposition ont été approuvées par les gouvernements successifs.

L'article 88-4 de la Constitution permet d'assurer, en amont, par le biais de la délégation pour l'Union européenne, le contrôle du Parlement sur l'élaboration des directives. Mais il est paradoxal, et même incompréhensible, que la Délégation perde toute compétence en aval, lorsque la directive a été adoptée mais n'a pas encore été transposée.

C'est pourquoi j'ai demandé, dans une proposition de loi déposée en décembre 2000 et soutenue par le Président de l'Assemblée nationale et le président du groupe socialiste, que la Délégation puisse se saisir pour avis des projets de loi de transposition, avant toute autre réforme de nature constitutionnelle comme, par exemple, la création d'une commission permanente aux affaires européennes. Cela contribuerait à résoudre les difficultés politiques et techniques de la transposition et renforcerait le contrôle du Parlement français sur la construction européenne. Je souhaite, Monsieur le ministre, que vous puissiez confirmer sur cette nouvelle procédure votre accord.

Améliorer le rôle du Parlement français dans le suivi de la construction européenne m'apparaît d'autant plus opportun que dans la déclaration annexée au Traité de Nice, les chefs d'Etat et de Gouvernement ont lancé un vaste débat sur l'avenir de l'Union, dont l'un des quatre thèmes est « le rôle des Parlements nationaux dans l'architecture européenne ». Nous aurons dès aujourd'hui la responsabilité de modifier nos procédures internes pour que l'Europe soit au c_ur de notre débat démocratique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Pierre Chevènement et de plusieurs de ses collègues une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean-Pierre Chevènement - Votre mérite, Monsieur le ministre des affaires étrangères et monsieur le ministre chargé des affaires européennes, n'est pas en cause. Vous avez pris le train en marche, après que le calamiteux Traité d'Amsterdam, incapable de remplir la tâche qui lui avait été fixée par le Traité de Maastricht, à savoir la réforme des institutions eut botté en touche en communautarisant, sans aucune réflexion préalable, la politique d'asile et d'immigration.

M. Alain Juppé - Vous étiez au Gouvernement !

M. Jean-Pierre Chevènement - Le Premier ministre a été mis devant le fait accompli !

M. Alain Juppé - Il aurait pu ne pas signer !

M. Jean-Pierre Chevènement - Vous deviez faire face à un problème inédit : comment rendre compatible le fonctionnement des institutions européennes avec la perspective d'un élargissement à vingt-sept ? Vous avez cherché à limiter les dégâts, en résistant autant que vous l'avez pu aux chimères fédéralistes et en maintenant le rôle du Conseil européen. Je ne voudrais pas vous gêner en vous adressant ces compliments ...

Mais vous comprendrez que nous ne puissions pas nous prononcer sur le Traité de Nice sans l'inscrire dans une continuité historique et dans la perspective d'un super Etat fédéral que nous proposent les dirigeants allemands. De ce point de vue, nous ne sommes guère rassurés par le peu de résistance qu'offrent le Président de la République et le Premier ministre : tous deux, en effet, ont accepté de se placer sur ce terrain et s'affirment partisans d'une Fédération d'Etats-nations et d'une Constitution européenne à l'horizon 2004.

Depuis le milieu des années soixante-dix, les dirigeants français ont conduit une politique caractérisée par deux erreurs majeures.

La première résidait dans l'illusion que pour contrebalancer la puissance croissante de l'Allemagne, il fallait pousser les feux de l'intégration européenne, en abandonnant des pans entiers de notre souveraineté, sans contrepartie ni contrôle. L'idée était de ligoter l'Allemagne quitte à ligoter la France. C'est l'esprit du Traité de Maastricht : par faiblesse, absence de réflexion historique, et surtout perte de confiance en eux-mêmes et en la France, nos dirigeants ont accepté de transférer les pouvoirs qu'ils tenaient du peuple. Tout en prétendant le contraire, ils ont défait la France sans faire l'Europe.

Car l'Europe était et reste un beau dessein, aujourd'hui malheureusement perverti. Une Europe riche de ses nations et de leurs cultures aurait dû être un grand dessein partagé de démocratie et de solidarité, non seulement pour les Européens mais pour le monde entier. Au lieu de cela, elle a d'abord été le cheval de Troie du libéralisme puis de la mondialisation libérale. Certes, l'Europe est aujourd'hui un havre relatif de prospérité. Mais qu'en sera-t-il demain ? Tout bilan objectif de la construction européenne depuis ses débuts oblige à souligner trois phénomènes essentiels : en premier lieu, l'implosion démographique, qui a pour conséquence un vieillissement accéléré et un véritable effacement du sens de l'avenir.

Ensuite, le retard pris par rapport aux Etats-Unis, depuis le milieu des années 1970, en matière de croissance, d'investissement, de recherche et de développement technologique.

Enfin, l'évanescence de toute politique extérieure témoignant d'un sens minimal de nos responsabilités propres qu'il s'agisse du Proche et du Moyen-Orient, de l'Afrique et même des Balkans.

La deuxième erreur de nos dirigeants a été le mépris du peuple : on ne l'a informé en rien des objectifs et des conséquences des décisions prises comme on le verra dans sept mois avec l'introduction de l'euro, sur laquelle nos concitoyens se sont prononcés en 1992, à vrai dire sans s'en être aperçus. Nos dirigeants ont considéré que le peuple n'était pas capable de comprendre les défis du monde actuel et de consentir les efforts nécessaires pour les relever. L'Europe a même été conçue comme le moyen subreptice de lui faire accepter des réformes d'essence libérale dont il ne voulait pas.

J'en veux pour exemple l'austérité imposée, de 1991 à 1997, au nom de l'alignement nécessaire du franc sur le mark, qui nous a coûté plus d'un million de chômeurs supplémentaires ; je pense à la renonciation à toute politique industrielle à partir d'une lecture stricte du traité de Maastricht au nom d'une « économie ouverte, où la concurrence est libre » ; je pense à l'ouverture de nos services publics à la concurrence et à la libéralisation des marchés de l'électricité, du gaz, de la poste, dont nous sommes encore loin d'avoir mesuré toutes les conséquences.

S'agissant de l'avenir, on constate que la thèse d'une Europe fédérale, celle du Chancelier Schröder, ne rencontre guère d'obstacles : le Président de la République et le Premier ministre semblent s'être mis d'accord sur la proposition, contradictoire en elle-même, d'une fédération d'Etats-nations. Tous deux ont accepté l'idée d'une Constitution européenne, comme si l'Europe était un super Etat. L'erreur de nombre d'hommes de gauche sincères est de croire que le fédéralisme européen permettrait de construire une ligne de résistance à la mondialisation libérale. Au contraire : en dissolvant la nation, inséparable de la démocratie, il lui fraye la voie. Cette double orientation, fédérale et libérale, apparaît d'ailleurs clairement dans le discours du Chancelier Schröder, qui se prononce sans ambages pour la libéralisation des services publics, pour une rigueur budgétaire accrue et pour des réformes visant à rendre nos systèmes de protection sociale « viables », c'est-à-dire moins coûteux. L'Allemagne trouve évidemment son compte à la fois dans le libéralisme, qui sert les forts, et dans le fédéralisme qui répond à son modèle historique, et qui met le Parlement européen où son influence s'exerce de manière prépondérante, au c_ur du processus de décision.

Le Premier ministre, dans son intervention du 28 mai, a prétendu remettre le projet avant le Meccano institutionnel. L'intention est louable, mais encore faut-il en prendre les moyens. Or on ne peut à la fois défendre la logique démocratique des gouvernements élus par les peuples et concéder à la logique adverse, celle du super Etat fédéral, où le pouvoir de la technocratie est légitimé par un Parlement qui ne peut exprimer une volonté générale, faute qu'il existe un peuple européen unique ou même un espace de débat structuré à l'échelle de l'Europe.

L'analyse que nous faisons de l'évolution de la construction européenne depuis les années 1970 et nos craintes légitimes pour l'avenir, c'est-à-dire pour 2004, date de la Conférence intergouvernementale prévue par le Traité de Nice, éclaireront la position des députés du Mouvement des Citoyens sur l'exception d'irrecevabilité que je défends et sur la ratification elle-même.

Le Traité de Nice nous semble poser un problème de légitimité démocratique. Que cela soit clair : nous ne sommes pas anti-européens. Nous refusons simplement la logique anti-démocratique d'un super Etat fédéral car nous sommes pour une Europe démocratique, pour une union de nations et nous avons des propositions à faire pour cette Europe-là.

L'exercice était difficile : vous avez voulu, pour ouvrir la voie à l'élargissement, nécessaire et souhaitable, faire sauter le verrou des votes à l'unanimité. Pour empêcher la paralysie du Conseil, vous avez voulu à la fois modifier les règles de vote et revoir la pondération entre les Etats pour prendre en considération, dans une certaine mesure, le facteur démographique.

Cet exercice de repondération ne pouvait être mené à bien sans grincements de dents, mais vous y êtes parvenus, au prix d'une inégalité de traitement entre les petits pays membres qui ont dû accepter, sur des bases démographiques, une révision en baisse de leur poids au sein du Conseil et entre les quatre grands pays -Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie- qui ont obtenu le même nombre de voix malgré un écart de vingt millions d'habitants entre l'Allemagne et les trois autres. Il est vrai qu'une substantielle différence démographique existait déjà au moment de la signature du Traité de Rome.

On vous fera crédit, cependant, d'avoir défendu de votre mieux l'intérêt légitime de la France qui, après avoir accepté la parité avec l'Allemagne dès le début des années 50 ne pouvait accepter sans fragiliser sa position internationale de voir remettre en cause cette parité fondatrice, qui bénéficie également d'ailleurs au Royaume-Uni et à l'Italie.

Mais cette parité entre la France et l'Allemagne est un effet d'optique, car l'Europe vers laquelle nous allons sera de plus en plus naturellement « germanocentrée ».

La parité statistique entre les quatre grands Etats européens occulte d'autres phénomènes : la montée en puissance de l'Espagne, qui acquiert un poids proche de celui des quatre grands malgré une démographie bien inférieure, et celle de la Pologne, qui bénéficiera du même poids que l'Espagne alors qu'elle ne sera jamais contributeur net à l'Union. Quant à la Roumanie, avec 14 voix, elle devancera les Pays-Bas.

Plus généralement, les très petits pays candidats, se verront accorder une pondération sans rapport avec leur population réelle. Leurs voix cumulées pèseront d'un poids non négligeable : les sept pays les moins peuplés, avec, au total, 17 millions d'habitants, auront 33 voix, soit, à eux seuls, plus qu'un seul « grand pays ».

Le poids des cinq Etats les plus peuplés -Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Espagne- qui, pour 79 % de la population est aujourd'hui de 55 % des voix au Conseil, passera à 41 % des voix dans une Union européenne de 27 membres, alors que leur population comptera encore pour 62 % de la population totale.

La question essentielle est donc celle-ci : a-t-on bien mesuré ce que signifie la prise en compte d'une logique démocratique certes approximative mais néanmoins incontestable dans le fonctionnement de l'Union européenne ?

M. Jacques Myard - Bien sûr que non !

M. Jean-Pierre Chevènement - A-t-on bien mesuré que le poids de la France qui, dans l'Union à quinze où le vote à la majorité qualifiée reste limité est de 11,5 %, passera à 8,4 % seulement dans l'Union à vingt-sept où le vote à la majorité qualifiée risque de devenir la règle ?

Accepterons-nous de compter pour aussi peu de choses dans le processus de décision d'une Union européenne que nous avons jadis portée sur les fonds baptismaux ? Pourrons-nous prétendre, comme nous le faisons, que la France est toujours au c_ur de la construction européenne ?

M. Philippe de Villiers - Tu parles !

M. Jean-Pierre Chevènement - Certes l'Allemagne, optiquement, ne pèsera pas plus lourd que nous, mais c'est sans compter sur l'appoint probable des pays d'Europe centrale et orientale qui sont ou tomberont naturellement dans son orbite pour des raisons à la fois géographiques, économiques et culturelles. Ce n'est pas insulter ce grand pays ami que de constater ce simple fait : l'élargissement vers l'Est la met géopolitiquement au centre de l'Europe tandis qu'il éloigne la France, et l'Europe avec elle, de la Méditerranée et de l'Afrique.

A dire vrai, la repondération n'est un problème que parce qu'elle va de pair avec l'extension du vote à la majorité qualifiée. A-t-on bien mesuré ce que signifie l'extension du vote à la majorité qualifiée à vingt-sept nouveaux domaines, et non des moindres ? Le fonctionnement même de l'Union en sera substantiellement modifié.

Le vote à la majorité qualifiée transpose au niveau communautaire la règle majoritaire qui s'applique au sein de chaque Etat, comme si l'acceptation du fait majoritaire par une minorité, acquise au niveau national, pouvait aller de soi au niveau de l'Union européenne. L'accélération de la communautarisation de nombreuses politiques européennes est ainsi autorisée, sans qu'on se soit interrogé sur son acceptation par les citoyens. Et cela, dans des domaines aussi sensibles que la politique commerciale, la politique industrielle, les contrôles aux frontières, la politique des visas et, sous réserve de l'adoption de quelques principes communs d'ici à 2004, l'asile et l'immigration.

Cela n'est pas sérieux. On sait déjà que les décideurs européens ne disposent presque jamais d'un socle démocratique suffisant pour engager leurs peuples. La légitimité du Conseil européen n'est pas en cause, mais force est de constater que les chefs d'Etat et de Gouvernement et les ministres sont rarement mandatés par leur opinion publique pour soutenir telle ou telle position au niveau communautaire. Quel ministre peut se vanter d'avoir vu aboutir, dans un Conseil des ministres européen, un texte qu'il aurait lui-même proposé ?

Mais le Traité de Nice introduit une novation particulièrement grave : une coalition d'Etats disposant de la majorité qualifiée pourra désormais imposer des mesures rejetées par un ou plusieurs pays et, surtout, par l'opinion publique de ces pays, et pas seulement par leurs gouvernements.

Ce conflit potentiel ne serait que superficiellement un conflit de majorités. En effet, d'un côté il y aurait une majorité qualifiée au Conseil européen, cénacle opaque et propice à tous les marchandages de la diplomatie, mais de l'autre il y aurait le fait majoritaire national.

Le système de vote à la majorité qualifiée peut ainsi provoquer des conflits majeurs, pour peu qu'il mette en cause des intérêts nationaux essentiels : ainsi dans des domaines aussi sensibles que l'immigration -qu'on ne peut traiter comme si elle n'avait pas ses tropismes selon les pays - ou bien la politique agricole commune, ou encore la politique de cohésion et les fonds structurels. Quel pays n'a pas connu sur son sol, depuis une dizaine d'années, des incidents à caractère raciste ? Lequel acceptera d'être désarmé face à la criminalité organisée ?

M. Jacques Myard - Aucun !

M. Jean-Pierre Chevènement - N'oubliez pas que ce sont les gouvernements et non le Conseil de Bruxelles ou la Commission européenne qui rendent compte devant les opinions publiques !

Qui ne voit déjà que la politique des fonds structurels va opposer les pays candidats, les pays actuellement bénéficiaires, et les pays contributeurs ?

Comment ignorer que les principes de la politique agricole commune, mise en _uvre à l'initiative de la France, font déjà l'objet d'une remise en cause par l'Allemagne ? Et comment imaginer qu'une telle question se règle à la majorité qualifiée ? Faudra-t-il alors accepter la renationalisation de la PAC, comme le suggère le Chancelier Schröder ?

Bref, comment imaginer que l'Union européenne puisse ainsi, à la majorité qualifiée, imposer son primat aux nations ? Comment accepter un tel éloignement des instances de décision par rapport aux populations qu'elles sont censées représenter ?

La majorité qualifiée n'a fonctionné jusqu'à présent que parce qu'il s'agissait de mettre en _uvre techniquement des décisions politiques prises à l'unanimité. Ainsi en allait-il pour la PAC. Mais dès lors qu'il s'agit de définir les politiques elles-mêmes, le risque de conflit est évident entre un fait majoritaire européen indirect et aléatoire, et un fait majoritaire national bien réel.

Tel est le fondement principal de l'exception d'irrecevabilité que je soutiens au nom des députés du MDC : le Traité de Nice pose un grave problème de légitimité démocratique.

M. Philippe de Villiers - Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement - Nous sommes favorables à l'élargissement de l'Union, mais nous ne voyons pas l'intérêt d'engager pour cela une dynamique fédéraliste qui, en renforçant les processus supranationaux, nous acheminera vers la création d'un super Etat européen anti-démocratique. De surcroît, il est difficile de nous demander de nous prononcer les yeux fermés sur le Traité de Nice, qui prévoit une nouvelle CIG en 2004, date décidément fatidique -chaque gouvernement aura passé le cap des élections- quand on connaît les propositions d'Europe fédérale du Chancelier Schröder et la contre-proposition, guère moins inquiétante, de fédération d'Etats-nations du Président de la République et du Premier ministre.

Le Traité de Nice par le passage à la majorité qualifiée au Conseil, fait potentiellement perdre au peuple français, comme à tous les autres peuples européens, la capacité de choisir le Président et les membres de la Commission européenne, qui pourraient ne plus être l'expression de l'ensemble des Etats mais seulement d'une partie d'entre eux. Cette réforme institutionnelle rendrait le Président de la Commission, par ailleurs détenteur du pouvoir de répartir les compétences au sein de celle-ci, encore plus incontrôlable qu'il ne l'est déjà.

Par le passage à la majorité qualifiée, le peuple français et les autres peuples européens perdraient, entre autres prérogatives, le contrôle de la politique commerciale en matière de services, sous réserve de quelques exceptions, certes non négligeables ; le contrôle des décisions en matière d'asile et de protection temporaire, domaines très sensibles pour l'opinion publique et où nos intérêts propres sont loin de correspondre à ceux de nos partenaires. Il n'est vraiment pas raisonnable de vouloir en finir au plus tôt avec l'unanimité sur ces sujets. Le peuple français perdrait également la compétence de déterminer le statut de ses députés au Parlement de Strasbourg et des partis politiques au niveau européen. On devine les possibilités de financement de la vie politique ainsi ouvertes... Les mesures nécessaires à l'introduction de l'euro, à la lutte contre les discriminations, ou à la modernisation de la sécurité sociale pourraient de même être prises sans notre aval. Dans le champ du premier pilier, un vague « droit d'évocation » se substitue au droit de veto et les décisions se prendront désormais à la majorité qualifiée. De même, certains accords internationaux de la PESC pourraient être approuvés à la majorité qualifiée, sans que le droit de veto national, qui devrait aller de soi dans un tel domaine intergouvernemental, semble rester applicable.

M. Philippe de Villiers - C'est exact.

M. Jean-Pierre Chevènement - Seul le rappel du compromis de Luxembourg, dans tous les cas de vote à la majorité qualifiée, permettrait de lever le grief d'inconstitutionnalité du Traité de Nice que vous ne pouvez pas ne pas voir, sauf à vous aveugler sur l'engrenage irréversible qui nous conduit à un super-Etat européen, foncièrement anti-démocratique.

M. François Guillaume - Tout à fait.

M. Jean-Pierre Chevènement - Alors qu'une nouvelle étape de la décentralisation semble d'actualité, non sans excès d'ailleurs puisque la possibilité d'adapter la loi votée par le Parlement est ouverte à l'Assemblée territoriale de Corse et même, par la proposition de loi Méhaignerie, à toutes les collectivités territoriales, on s'étonne du mouvement inverse de centralisation au niveau du continent tout entier...

M. Jacques Myard - A la soviétique !

M. Jean-Pierre Chevènement - ...sans qu'il soit possible d'adapter la norme européenne à la diversité des pays membres.

La légitimité des directives européennes élaborées par le Conseil et que les Parlements nationaux doivent transposer est déjà fragile. Elle serait ruinée si le Parlement européen devenait, comme le proposent les fédéralistes, le lieu principal de leur élaboration. Il n'existe pas en effet de peuple européen : il y a en Europe une trentaine de peuples. La construction européenne ne pourra progresser que dans le respect des démocraties nationales.

Faute d'avoir maintenu clairement le principe du veto, lequel donnerait aux votes à la majorité qualifiée une simple valeur indicative, le Traité de Nice, porte atteinte à la Constitution pour la bonne raison qu'il porte atteinte à la souveraineté nationale et à la démocratie, dont le général de Gaulle disait qu'elles sont les deux faces d'une même médaille.

M. Jacques Desallangre - Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement - Je le dis à regret, Monsieur le Ministre, car je connais votre lucidité et votre sens de l'intérêt national. Je crois deviner les efforts que vous avez déployés pour maintenir le principe de la légitimité démocratique au sein du Conseil, là où siègent des gouvernements élus par leurs peuples. Je sais que dans votre esprit, la règle de la majorité qualifiée et la repondération des voix au Conseil sont une ultime tentative pour maintenir ce principe et faire barrage à ceux qui veulent transférer la source de la légitimité à un Parlement européen qui peut, tout au plus, être un forum utile, en aucun cas le lieu de formation d'une volonté générale européenne.

M. Philippe de Villiers - Très bien !

Vous avez hérité, avec les institutions européennes telles qu'elles fonctionnent aujourd'hui, d'une usine à gaz. Vous l'avez rendue encore plus complexe avec des règles de vote de plus en plus opaques : majorité repondérée et requalifiée d'abord, majorité d'Etats ensuite, clause de vérification démographique enfin.

Néanmoins incertain de pouvoir ainsi forcer la volonté des peuples, le Traité de Nice entrouvre une porte de sortie : il assouplit les règles relatives au lancement des coopérations renforcées. Mais il y met encore une dizaine de conditions et prévoit que ces coopérations ne seront engagées qu'« en dernier ressort », sous le contrôle étroit de la Commission, du Conseil et du Parlement européen.

Il y a là pourtant une direction d'avenir, la moyen de construire une Europe réaliste, en réseaux, capable de relever de manière pragmatique les défis de l'avenir : lancement de grands programmes de recherche et de développement technologique, travaux d'infrastructure, harmonisation fiscale au sein de la zone euro, coopération avec la Méditerranée et l'Afrique, bref une Europe à plusieurs vitesses, avec des régimes dérogatoires partout où cela se révélera nécessaire.

Malgré cette porte de sortie, le Traité de Nice constitue une nouvelle étape dans le glissement vers un super-Etat fédéral : renforcement des pouvoirs du Président de la Commission qui décidera de son organisation interne et nommera les vice-présidents ; extension du rôle du Parlement européen et de la procédure de co-décision qui concernera désormais la politique industrielle, la coopération judiciaire civile, puis progressivement les mesures relatives à l'asile et aux réfugiés, la libre circulation des ressortissants des Etats tiers, et enfin l'immigration clandestine. Il est irresponsable pour un Etat digne de ce nom de se défaire de ses responsabilités en un domaine aussi sensible, au profit non seulement d'un Conseil statuant à la majorité qualifiée, mais aussi d'un Parlement européen, dominé par la « bien-pensance » et le « politiquement correct », hors d'état de penser un intérêt européen à long terme. Rappelez-vous ce tableau de Goya illustré par cette devise toujours vraie : « Le sommeil de la Raison produit des monstres ».

Le Traité de Nice serait-il, dans l'état actuel des choses, un moindre mal ? La fureur des partisans du super-Etat européen en témoigne. Ils considèrent que le Traité de Nice n'a pas assez avancé dans la direction du fédéralisme. Mais, hélas, nous ne perdons rien pour attendre.

L'objectif est déjà tracé par le Chancelier Schröder et la date fixée. Une nouvelle CIG sera appelée en 2004 à répartir les compétences entre le super-Etat, les nations et les régions. Les dirigeants allemands ont d'ores et déjà lancé l'offensive, puissamment relayée en France par les fédéralistes, et où elle ne rencontre guère d'opposition de la part des néo-fédéralistes, puisqu'ils se sont ralliés à la Fédération des Etats-nations.

Ce n'est pas être antieuropéen que de refuser la logique d'un super Etat fédéral. Il suffit de constater que les conditions de possibilité d'une fédération démocratique en Europe n'existent pas. Il n'y a pas en effet un peuple européen, mais trente. Il y a une civilisation européenne, qui existe aujourd'hui à l'échelle du monde. Il existe un réseau de solidarités de plus en plus dense entre les nations européennes, mais ces solidarités, que nous souhaitons encore développer, n'effacent ni la personnalité, ni la culture, souvent inscrite dans une grande langue de civilisation et la vocation de chaque nation, elle-même cadre irremplaçable de la démocratie.

M. Philippe de Villiers - Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement - Chaque nation apporte quelque chose d'unique à l'Europe, constitue une brique de la démocratie internationale à construire. Pour autant, il n'existe pas de nation européenne ni de corpus juridico-politique qu'on pourrait appeler « le peuple européen ».

Il n'y a pas non plus de références communes ni de repères partagés suffisamment puissants, pour permettre l'émergence d'un fait majoritaire qui s'imposerait à la minorité. Or la démocratie, c'est d'abord l'acceptation de la règle majoritaire par la minorité. Ce miracle ne peut s'opérer que dans des cadres historiquement constitués. En Europe, de telles communautés historiques existent, qui sont les nations. Certes, les nations n'ont pas toujours existé. Mais avant de les dissoudre, il faut être sûr de pouvoir les remplacer. Or historiquement, les formes d'organisation politique connues, hormis la nation, sont soit la tribu ou l'ethnie, soit l'Empire. Ces deux formes ne sont d'ailleurs pas incompatibles, loin de là. On a le droit de préférer la liberté nationale, garante de la démocratie et de l'égalité de tous les citoyens devant la loi, à un empire laissant certes se développer les franchises locales sur les décombres des nations mais s'arrogeant le droit de décider pour les sujets importants, conformément aux intérêts de la puissance dominante.

Bref, on peut dénier à l'Union européenne d'être un niveau de souveraineté propre sans être anti-européen pour autant. L'Europe doit rester une union de nations parce que la source du pouvoir démocratique légitime est dans les nations. La souveraineté du peuple français est inaliénable, en ce qu'elle est, comme l'écrivait Rousseau, l'exercice de sa volonté générale, à moins évidemment de dissoudre le peuple français. Tant que celui-ci existe, il peut déléguer au niveau communautaire, non sa souveraineté mais, comme l'a très bien expliqué M. Vauzelle, des compétences qui peuvent être exercées en commun, là où la dimension européenne est la plus pertinente, à condition qu'elles restent contrôlées démocratiquement. L'Union européenne doit donc, pour demeurer démocratique, rester une société de nations, délibérant et décidant dans les domaines qu'elles ont en commun. Paul Thibaud a montré la nécessité d'une Europe qu'il appelle « dialogique », où les nations s'impliqueraient au lieu de se dissoudre. De même a-t-il analysé avec beaucoup d'acuité le risque d'une Europe qui s'organise en dehors des nations. « On n'a pas créé un peuple européen nouveau. On a normalisé ceux qui existaient, instillé la passion de l'alignement mutuel, le goût fade de la similitude, l'habitude de remplacer la discussion par la conformation, un rapport de négation et d'incompréhension avec sa propre histoire, une fuite de soi, un désir de déposer le fardeau », écrit-il.

M. le Président de la commission - Fantasmes !

M. Jean-Pierre Chevènement - Non, ce sont là des vues d'une pertinente profondeur.

Paul Thibaud poursuit : « Instituer une fédération européenne sur cette base... serait ajouter à la gestion par l'extérieur, la représentation par une entité où on ne se reconnaît pas. Cela pourrait ressembler à une Autriche-Hongrie : la politique réservée à une élite transversale, et les peuples cultivant leur identité folklorique ».

L'alternative est donc la suivante : soit la souveraineté continue de résider dans les nations et l'Europe se définit comme une construction entre les nations. La décision doit donc demeurer au Conseil européen ou au Conseil des ministres. Soit on prétend construire un Etat européen effaçant les nations, en faisant comme si le Parlement européen pouvait exprimer une volonté générale européenne, bref comme si l'Europe était une nation.

Ces deux logiques sont absolument contradictoires. Si l'Europe est une union de nations, la décision reste d'essence intergouvernementale. Si l'Europe entend devenir une puissance souveraine, même contenue dans certaines limites la légitimité passe au Parlement. On ne peut pas ne pas trancher. A rien ne sert de se réfugier, Monsieur le ministre des affaires étrangères, dans les oxymores, du type « fédération d'Etats-nations » ; c'est d'avance concéder à la logique du super Etat fédéral.

M. Philippe de Villiers - Exactement.

M. Jean-Pierre Chevènement - La logique fédéraliste transparaît sans ambiguïté dans la proposition du SPD, avalisée par le Chancelier Schröder, et que nos dirigeants n'ont d'ailleurs jamais examinée dans le détail et sereinement.

Cette proposition ne vise rien moins qu'à transformer le Conseil des ministres en Chambre haute -Chambre européenne des Etats- à renforcer encore les pouvoirs du Parlement européen par l'élargissement de la co-décision et par l'octroi d'une pleine compétence budgétaire, enfin à faire de la Commission le véritable gouvernement européen.

M. le Président de la délégation pour l'Union européenne - Reconnaissez que ce n'est pas notre conception.

M. Jean-Pierre Chevènement - Alors dites-le plus nettement.

Le système Monnet-Schuman imaginé dans les années cinquante, visait à contourner les gouvernements nationaux par une Commission maîtrisant l'initiative et l'exécution. La proposition Schröder, elle, vise carrément à leur substituer un système institutionnel classique, fondé sur le bicamérisme et la responsabilité gouvernementale de la Commission devant la Chambre basse -le Parlement européen- reléguant ainsi les Etats-nations dans des tâches subsidiaires.

A cette révolution institutionnelle, le Chancelier Schröder ajoute l'intégration de la charte des droits fondamentaux aux traités, dans la perspective d'une Constitution européenne ; le droit accordé à tout citoyen de porter plainte devant la Cour de justice européenne -bonjour la démocratie contentieuse !- ; la création d'une police judiciaire, d'une police des frontières et d'un Parquet européens.

Il est remarquable, et je me tourne là vers les députés de gauche,...

M. Jacques Myard - Il n'y en a plus !

M. Jean-Pierre Chevènement - ...que ce projet fédéral s'intègre parfaitement dans un projet d'uniformisation libérale et marchande avec l'ouverture à la concurrence des services publics, la création d'un marché financier unique, la réaffirmation d'un objectif de stabilité pour l'euro... C'est une fédération libérale, au coût minimal.

Il est également remarquable que les intérêts nationaux allemands soient aussi clairement affirmés, -je n'en fais d'ailleurs pas le reproche au gouvernement allemand, je préférerais seulement qu'on défende les intérêts français. Citons le désengagement dans le financement de la PAC et des politiques structurelles, la réaffirmation du partenariat avec les Etats-Unis comme fondement de la sécurité européenne -le gouvernement français ne dit pas autre chose-, l'observation d'une période transitoire pour l'intégration des PECO dans l'Union européenne, l'extension à toute l'Europe du modèle policier allemand -qu'il se trouve que je connais bien. Il faudrait être un observateur superficiel pour se borner à constater la concordance de la proposition Schröder et des intérêts allemands, ce qui n'est pas un reproche, voire à relever certaines contradictions entre la proposition d'Europe fédérale et la renationalisation de la PAC ou à imputer au Chancelier de simples desseins de politique intérieure : satisfaire les Länder et contourner la CDU en se faisant plus « européiste » qu'elle. Il y a dans ces propositions une logique fédérale qui a sa force propre, même si l'Allemagne refuse d'en assumer les conséquences financières, ce dont s'étonnent quelques naïfs.

M. le Président de la commission - A ce degré d'obsession, c'est de la germanophobie !

M. Jean-Pierre Chevènement - Pas du tout ! On peut aimer l'Allemagne, sa culture, et comprendre que l'Europe qu'elle nous dessine ne sera plus la même. Votre procès d'intention est très déplacé !

Bien sûr, le centre de gravité de l'Union européenne se déplace de plus en plus vers l'Allemagne. C'est le fait de la géographie. C'est aussi celui de l'économie : l'industrie et la banque allemandes sont deux fois plus puissantes que les nôtres, et leur poids « dans une économie ouverte où la concurrence est libre » ne manque pas de se faire sentir. Si l'économie allemande ralentit, le capitalisme allemand est très dynamique, particulièrement en Europe centrale et orientale. Au niveau politique aussi, l'Allemagne a appris à défendre sans hypocrisie ses intérêts, et sur ce point je préfère le discours du Chancelier Schröder à celui de la CDU : ainsi pour la reconnaissance de l'allemand comme troisième langue européenne. Ainsi pour sa représentation au Parlement européen que le Traité de Nice a maintenue à 99 députés en réduisant la nôtre à 72, soit une stricte proportionnalité démographique. Nous sommes loin de la parité numérique prévue initialement par le traité de Rome. Ce renforcement de la présence allemande redouble la prépondérance qu'elle y exerce déjà dans les faits, à travers le PPE et le PSE, que dominent respectivement la CDU et le SPD, et sans l'accord desquels aucune question ne peut être inscrite à l'ordre du jour. Tout le monde le sait. Ai-je tort de le dire ? Si nous sommes élus, c'est pour dire des vérités qui ne sont pas nécessairement conformes au « politiquement correct ».

M. Philippe de Villiers - Il a raison !

M. Jean-Pierre Chevènement - Ainsi l'Europe se trouve-t-elle objectivement de plus en plus « germanocentrée » .

Ces réalités existent. Mieux vaut les reconnaître.

Mais c'est une raison supplémentaire pour ne pas admettre le glissement accéléré vers une logique fédérale contraire à la démocratie, contraire à l'intérêt national, et contraire surtout à l'intérêt européen bien compris, qui n'est pas de se fondre dans un Empire qui ferait de lui la grande banlieue des Etats-Unis.

Le modèle fédéral a toujours été historiquement celui de l'Allemagne : chaque entité vaque à ses affaires, pourvu que l'essentiel reste « en de bonnes mains ». Ce modèle qui relègue la politique au rang des choses subsidiaires, est évidemment contradictoire avec le modèle français de la nation politique, qu'on appelle la République. « L'identité de la France, selon Fernand Braudel, s'appelle diversité ». Accepter pour l'Europe un modèle fédéral reviendrait à dissoudre la France dans une « Europe des régions ».

C'est pourquoi la position française devrait être dépourvue d'ambiguïté, et d'abord à l'égard du peuple français. A celui-ci nous devons la vérité, pour qu'il puisse faire face à une situation dans laquelle ses dirigeants l'ont laissé glisser par légèreté et manque de confiance en eux, et qui pourrait n'être pas plus enviable que celle du Québec en Amérique du Nord.

La construction de l'Europe n'implique pas qu'une nation renonce à son modèle et qu'une autre impose le sien. Nous devons faire preuve d'imagination. Or la position française est floue et contradictoire.

Le Président Chirac, a été le premier à souhaiter, dans son discours de Berlin, l'élaboration d'une Constitution européenne. Cette désinvolture a surpris, car les autres autorités françaises se sont trouvées mises devant le fait accompli. Dès lors qu'il y a trente peuples en Europe, on peut concevoir entre eux des Traités mais pas une Constitution. Comment le Président de la République pourrait-il garantir la Constitution dont il a la charge, celle de la Ve République, s'il accepte d'en cautionner une autre, supérieure à l'échelle de l'Europe tout entière ?

Nul ne contestera la nécessité d'un nouveau Traité. Le champ des compétences de l'Union doit être ramené à l'essentiel, étant bien entendu qu'en aucun domaine le contrôle national ne peut disparaître, même en matière de politique extérieure.

La subsidiarité doit se définir à partir des nations qui gardent la compétence de la compétence, comme disent les juristes allemands. C'est pourquoi un Traité est suffisant. Point n'est besoin d'une Constitution, sauf si on veut instaurer une « souveraineté européenne ».

Le Président de la République a également repris à son compte le concept ambigu de Fédération d'Etats-nations, forgé par Jacques Delors. Le Premier ministre s'est rallié à cette formulation, comme à la proposition d'une Constitution européenne intégrant la Charte des droits fondamentaux.

Celle-ci fera double-emploi avec la Convention européenne des droits de l'homme et servira de substrat au développement d'une démocratie contentieuse, ennemie de la démocratie citoyenne. Le pouvoir des juges, insidieusement, remplacera celui des Parlements.

La conception d'une Fédération d'Etats-nations n'est pas une « belle idée » ce n'est pas une idée du tout. Elle signifie soit une association d'Etats souverains qui, par conséquent, présente un caractère international, soit une fédération dont les composantes peuvent bien être appelées Etats, mais ne sont pas souveraines.

La « tension » comme dit Lionel Jospin, ne peut pas être résolue, parce qu'une entité politique est souveraine ou ne l'est pas.

En réalité l'instauration d'une Fédération n'aurait pas d'effet symétrique sur l'Allemagne et sur la France. La première s'y retrouverait aisément, la seconde s'y dissoudrait conformément à l'histoire de nos deux nations.

François Hollande, croyant résoudre le problème, a déclaré que la Fédération existait déjà et Lionel Jospin croit discerner dans l'Union européenne actuelle « des éléments fédératifs très forts ». Mais ceux qu'ils mentionnent sont très différents. Il s'agit tantôt du statut des autorités, tantôt de leurs domaines d'intervention, tantôt encore de hiérarchie des normes. Les deux premiers critères ne permettent pas d'établir si l'on est en présence d'une fédération.

Seule la hiérarchie des normes est pertinente : existe-t-il une primauté du droit européen sur le droit national ? Oui, sur les lois nationales, non, sur les Constitutions nationales. On voit par là l'enjeu du débat sur la Constitution européenne.

Dans une fédération, c'est la constitution fédérale qui fonde la validité des constitutions des Etats. Dans l'Union européenne, ce sont les constitutions qui autorisent la ratification des traités. Dès lors, en aucun cas les traités ne peuvent avoir une valeur supérieure ou même égale à celle de la Constitution, mais seulement au mieux une valeur intermédiaire entre celle de la Constitution et celle des lois.

Le discours du Premier ministre du 28 mai a le mérite de poser le primat du projet politique sur le Meccano institutionnel. S'agissant de la subsidiarité le Premier ministre souhaite mieux assurer, dans certains domaines, la répartition verticale des compétences : le cadre général serait défini sur le plan européen, tandis que la mise en _uvre politique ou technique serait assurée par les Etats ou les régions.

Cette formulation est inquiétante. Elle fait penser à la décentralisation, où les collectivités ne disposent que d'une partie du pouvoir réglementaire. Et quels sont ces domaines dans lesquels s'exercerait cette « répartition verticale » ?

De même, l'idée d'une politique étrangère ou de défense commune va trop loin. L'Union européenne pourrait-elle mieux que la France définir une position équitable et acceptée dans le conflit israélo-arabe ?

Comment peut-on ne pas défaire la France, si sa représentation au FMI se fond dans une représentation de l'Union européenne ? Les positions éminentes que la France a acquises seraient ainsi abandonnées, mais pour quelles contreparties ? Comment ne pas défaire la France, si on lui enlève tous les attributs de la souveraineté jusqu'à la police judiciaire et la police des frontières pour répondre aux inquiétudes de l'Allemagne ?

Qu'est-ce qu'un Etat-nation qui ne maîtrise plus ni sa monnaie ni son commerce extérieur, ni l'essentiel de ses lois, ni même sa défense, et qui demain abandonnerait sa police et sa justice ? En quoi cette Fédération d'Etats-nations différerait-elle d'une pure et simple Fédération ?

Pour répondre à cette question, il faut examiner l'équilibre institutionnel.

Le Premier ministre propose de renforcer le triangle entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen. Ce triangle est à bout de souffle. L'idée de créer un Conseil permanent des ministres des affaires européennes est peut-être une bonne idée. Celle de renforcer l'autorité du Président de la commission, en le faisant élire en fonction du résultat des élections européennes, prête à réflexion. M. Prodi n'a jamais caché que son objectif est de mettre fin à l'intergouvernementalité qui, déclare-t-il, dans « Politique internationale », bride l'initiative, entrave la prise de décision, éparpille le pouvoir. Faut-il vraiment céder à cette boulimie technocratique du pouvoir ?

De même, l'idée d'un Congrès, conférence permanente des Parlements, ne permettra pas de résoudre le problème fondamental du contrôle démocratique des décisions. Quant à l'idée de confier à une Convention, ouverte à tous les groupes de pression, le soin de préparer une Constitution européenne, c'est franchement rédhibitoire.

« Faire l'Europe sans défaire la France » est une belle résolution qui demande un extraordinaire sursaut d'énergie morale et politique.

Il est légitime que l'Allemagne fasse des propositions conformes à ses intérêts. Il serait également légitime que la France le fasse pour elle-même, et non pas qu'elle se place à la remorque des autres, pour faire semblant de donner des gages de bonne conduite européenne.

Quel est l'intérêt de la France ? Qu'attend-on du projet européen ? A quelle solidarité entre les peuples européens veut-on atteindre ? Ensuite, on pourra proposer un modèle institutionnel.

L'Union européenne doit avoir une légitimité démocratique pour imposer ses orientations au plan interne comme à l'échelle internationale. L'Europe se construira sur la libre coopération des peuples et des Etats. L'objectif est donc de mettre la démocratie, et par conséquent le débat, au c_ur de la construction européenne.

Voici mes propositions pour y parvenir. Nous avons besoin de faire une Europe politique, et non pas technocratique...

M. le Président de la commission - Jusque là, ça va !

M. Jean-Pierre Chevènement - ...et pour cela, de ressourcer l'Europe dans les nations dédiabolisées, reconnues comme l'origine et la fin de la construction européenne. A cette condition seulement, elles s'y impliqueront. Il faut non pas que l'Europe s'impose à elles comme un carcan, mais qu'elles aillent à l'Europe, comme à un foyer d'où elles pourront rayonner davantage.

M. le Président de la délégation pour l'Union européenne- Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement - C'est pourquoi le Conseil européen doit retrouver sa fonction d'orientation stratégique, car il est le lieu de la légitimité démocratique. Les sommets ne doivent pas servir uniquement à la photo de famille. Ils ne doivent pas être distraits de leurs tâches par l'accueil d'un invité prestigieux, tels MM. Bush ou Poutine, mais préparés méthodiquement par la réunion de plusieurs Conseils de l'Union, où les ministres compétents travailleront effectivement à mettre en forme les décisions des chefs d'Etats et de gouvernements. C'est ce que l'on avait essayé de faire avec les mémorandums franco-allemand puis franco-germano-anglais, avant le sommet de Tampere. Mais une telle pratique implique une transparence des débats et des votes qui fait aujourd'hui défaut.

Le Conseil de l'Union doit devenir une véritable instance de propositions concrètes. C'est pourquoi il devrait détenir désormais, en lieu et place de la Commission, le droit d'initiative pour les trois piliers de l'activité communautaire -marché commun, PESC, Justice et affaires intérieures. Ce droit pourrait être éventuellement partagé avec la Commission. Toutefois, le Conseil resterait seul juge de la recevabilité des propositions. Les ministres tiennent leur légitimité de la représentation nationale de leurs pays respectifs. Remettre entre leurs mains le droit d'initiative, ce serait rapprocher la politique européenne de la volonté de chaque pays ; ce serait renforcer la démocratie.

M. Philippe de Villiers - Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement - Il est nécessaire également de raffermir le rôle du Conseil des affaires générales, y compris en le transformant, comme le souhaite le Premier ministre, en Conseil permanent des ministres des affaires européennes.

M. le Président de la délégation pour l'Union européenne - Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement - Pour faire mûrir la conscience des solidarités européennes, il faut surtout avancer des projets mobilisateurs, et ainsi permettre de structurer un espace commun de débat, si possible à l'échelle de l'Europe entière.

Je reprends tout à fait à mon compte cette proposition de Jürgen Habermas, à cette seule condition de ne pas mettre ainsi la charrue avant les b_ufs. L'Europe ne se fera pas par décret. Nous avons besoin de grands projets scientifiques, technologiques, culturels à l'échelle du continent. Nous avons besoin moins d'une nouvelle Charte sociale que d'un horizon social. Bien entendu, l'emploi reste un défi essentiel.

L'euro est là, avec ses avantages et ses aléas, mais, pour faire face aux risques de ralentissement économique, il faudra établir entre la Banque centrale européenne et l'autorité politique légitime un rapport de responsabilité. Parmi les conditions mises à l'euro dans la plate-forme commune MDC-PS de 1999, figurait une modification des statuts de la BCE, afin qu'elle soit rendue responsable non seulement de la lutte contre l'inflation, mais aussi du maintien de la croissance et de l'emploi. Cette condition pourrait bien redevenir d'actualité prochainement. Et je n'évoquerai pas ici la conversion forcée des pièces et des billets dont on pourrait faire l'économie pour simplifier la vie de nos concitoyens.

Il faut des projets en direction de la Russie : le Chancelier Schröder a raison de souligner la nécessité de fonder avec elle un partenariat stratégique pour assurer la stabilité et la paix sur notre continent. Il faut aussi des projets en direction du Sud, du Maghreb, du Proche et du Moyen-Orient, de l'Afrique, car là se joue l'avenir de l'humanité.

M. le Président de la commission- Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement - L'Europe ne doit pas se replier sur un égoïsme de riches. Elle a un rôle majeur à jouer dans la modernisation du monde arabo-musulman qui est à nos portes, et dans la construction de la paix sur les bords de la Méditerranée.

La région méditerranéenne ne peut pas être traitée comme une charge. Economiquement et stratégiquement, la Méditerranée du Sud sera un véritable poumon pour l'Europe de demain, ou elle sera une bombe. Nous avons intérêt à ce qu'elle se développe, que les Etats de droit y fleurissent, que les populations y accèdent à la modernité et se stabilisent. Dans les conflits au Moyen-Orient, l'Europe peut jouer un autre rôle que celui de bailleur de fonds.

La déclaration de Barcelone a montré ses limites. Elle apparaît désormais comme une trouvaille conjoncturelle pour ouvrir les marchés : le partenariat euro-méditerranéen propose essentiellement une zone de libre-échange aux pays de la rive sud dans le domaine des produits industriels et des services. Or cette zone répond essentiellement aux intérêts européens, c'est-à-dire à l'accroissement des avantages comparatifs immédiats de l'Europe. L'agriculture, seul secteur compétitif du Sud, n'est pas concerné et 15 % seulement des crédits dégagés ont été consommés. Le libre-échange ne peut qu'aboutir à supprimer toute concurrence réelle ou potentielle du Sud dans l'industrie.

Ce serait une grave erreur de croire que l'Europe pourra tirer des pays du Sud des bénéfices importants sans subir les effets sociaux d'une mise à niveau brutale de leurs économies. Dans des sociétés où la libéralisation incontrôlée et le désengagement de l'Etat entraînent aggravation des inégalités et extension de la corruption, le développement des migrations anarchiques constituerait la rançon de l'égoïsme européen. Si l'Europe veut sortir de ce piège qu'elle s'est tendu à elle-même, elle doit prendre en compte les paramètres endogènes du développement des pays du Sud.

Le développement de relations commerciales plus équilibrées, un codéveloppement privilégiant la solidarité et soulignant l'étroite interdépendance entre les deux rives, implique la réorientation du projet de zone de libre échange autour de l'idée d'un marché commun euro-méditerranéen, doté d'une véritable politique structurelle. Une coopération renforcée originale pourrait ainsi être l'instrument de cette politique et tisser progressivement l'espace méditerranéen d'interdépendances solidaires à même de préparer la rive sud à une intégration plus étroite à l'Union.

Il faut également placer les migrations au c_ur de la coopération entre les deux rives et élaborer une politique migratoire directement articulée sur les nécessités du codéveloppement. Cette politique migratoire doit reposer sur une gestion commune des flux migratoires impliquant la lutte contre l'immigration illégale, sans fermeture car des flux temporaires peuvent être organisés à des fins de formation et de codéveloppement.

L'Europe ne peut pas non plus se désintéresser du continent africain. L'Afrique noire sera une des grandes interrogations du siècle qui s'ouvre. Il faut lui offrir des issues pour sortir du sous-développement, des guerres tribales, de la décomposition des systèmes sociaux. Or, la réforme des accords de Lomé est très loin de ces exigences : l'Accord de Cotonou repose sur l'idée qu'il n'y a pas d'avenir pour l'Afrique en dehors de son intégration rapide dans la mondialisation libérale. C'est une très courte vue ! l'Union européenne doit comprendre que le développement économique, social et politique de l'Afrique conditionne sa propre stabilité et sa prospérité future. Plus elle tardera à faire front par une véritable stratégie commune de développement, plus elle subira les effets dévastateurs, surtout en termes de flux migratoires, de la paupérisation des pays africains.

Comment imaginer que l'Europe puisse se mettre aux abonnés absents de la grande histoire ? Nous devons penser le projet d'une Europe capable de se définir par elle-même, et de contribuer à l'émergence d'un monde véritablement multipolaire avec la Chine, le Japon, l'Inde, le Brésil, sans pour autant remettre en cause le fonds de valeurs que nous partageons avec l'Amérique. Pour tout cela, le rôle de la France est essentiel.

Pour structurer un espace commun de débat, il faudrait remettre dans le coup les Parlements nationaux, organiser des débats simultanés sur quelques grands sujets, créer en France, comme je le propose depuis 1991, une véritable Commission des affaires européennes, préparant des débats en amont des prises de décision au sein du Conseil européen ou des Conseils des Ministres.

Pour faire vivre la démocratie en Europe, il faudrait aussi revivifier le Parlement européen en le transformant en Assemblée des représentants des parlements nationaux, à défaut, en lui adjoignant une seconde chambre ainsi composée, comme le suggère Tony Blair.

Quant à la Commission, exécutif administratif de l'Union, il serait raisonnable de ne pas laisser son organisation à la discrétion de son seul Président et de la structurer en quelques grandes directions responsables. Cette remise en ordre contribuerait au renforcement de la démocratie, au détriment d'une technocratie aussi envahissante qu'irresponsable. Elle desserrerait aussi l'étreinte des groupes de pression en clarifiant le processus de décision au sein de l'Union.

Le troisième axe d'une refondation démocratique de l'Europe serait l'instauration d'un véritable contrôle démocratique des décisions prises au niveau européen. Outre l'implication accrue des parlements nationaux, on peut penser à instaurer un contrôle de constitutionnalité du droit européen. La jurisprudence de la CJCE s'impose de manière unitaire et centralisée et elle a abouti à une complète dépossession des Parlements. L'Allemagne et le Danemark ont déjà décidé que leurs tribunaux devraient écarter les normes européennes qui se révéleraient contraires à leurs Constitutions. Pourquoi ne ferions-nous pas de même ? D'éventuels conflits entre la CJCE et les Cours constitutionnelles devraient être tranchés politiquement, ce qui montrerait l'existence d'une dialectique européenne, et permettrait d'expliquer les principes de l'Union. Il s'agirait d'instituer juridiquement la diversité européenne que chacun reconnaît, mais dont on a peur quand elle se manifeste.

Quatrième axe de démocratisation : la reconnaissance de la diversité nationale, qui devrait être admise non seulement juridiquement mais aussi politiquement. A travers les coopérations renforcées dont le champ est actuellement trop réduit. Mais aussi grâce à une procédure de divergence positive. Une expérimentation proposée par un pays devrait pouvoir être autorisée par le Conseil à contrevenir, pendant une période donnée, aux réglementations européennes.

Il est paradoxal que l'Assemblée nationale ne revendique pas pour la France ce qu'elle est prête à accorder à la Corse (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RCV et du groupe du RPR)

M. Philippe de Villiers - Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement - Il faut rompre avec une conception unitaire et centralisée de l'Europe, accepter les cadres à géométrie variable, les statuts dérogatoires, harmoniser plutôt que communautariser, prendre en compte les réalités nationales.

La ratification du Traité de Nice est l'occasion pour notre Parlement de prendre conscience du chemin sur lequel la France a été engagée. Voulons-nous préserver la liberté nationale ou nous résigner à l'avance à la « landérisation » de la France ? L'échéance 2004 se rapproche. Il n'est pas trop tard pour dire oui à l'Europe mais dans la liberté, c'est-à-dire avec la France car elle porte le message toujours vivant de la République et elle a encore beaucoup à dire à l'Europe (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV et du groupe du RPR).

M. Philippe de Villiers - Très bien !

M. le Ministre délégué - M. Chevènement a présenté avec talent cette exception d'irrecevabilité que je vous appellerai à rejeter. Il a commencé par donner quelques satisfecit, affirmant qu'il avait fait ce qu'il avait pu pour corriger le calamiteux Traité d'Amsterdam. On ne peut dire que nous aurions voulu nous lier avec l'Allemagne dans un réseau de procédures inefficaces coupées des citoyens qui ont défait la France sans faire l'Europe. L'euro n'est pas seulement le fruit d'une procédure et je ne pense pas que les Français n'y ont pas souscrit démocratiquement. Avec le référendum sur le Traité de Maastricht, il y a bien eu une vaste consultation démocratique sur l'Europe et sur la monnaie unique. Le résultat a été serré mais il est sans ambiguïté. Les Français ont bien choisi l'euro.

M. Philippe de Villiers - L'écu, pas l'euro !

M. le Ministre délégué - Je ne crois pas que cette nuance sémantique aurait modifié leur vote...

Nous sommes en train d'appliquer cette décision. Vous avez, Monsieur Chevènement, critiqué le Traité de Nice sur la repondération des voix. Vous reconnaissez que nous nous sommes plutôt bien tirés, y compris vis-à-vis de l'Allemagne, mais relevé que les petits étaient mieux traités que les grands, d'autant que les PECO s'agripperaient fatalement autour de l'Allemagne. Personnellement, je fais plus confiance que vous à notre influence et je ne redoute guère la catastrophe annoncée -n'en prédisait-on pas déjà une lors de l'entrée de l'Espagne et du Portugal ? Nous avons, en Europe centrale et orientale, des positions politiques, affectives, économiques très fortes. La France est ainsi le premier investisseur en Pologne. Ce sont nos amis polonais qui décrivent parfois l'élargissement comme une man_uvre allemande, mais je ne souscris pas à ce jugement. Je ne parle pas de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Slovénie, pays qui font des démarches vers la francophonie, quand ils n'y appartiennent pas. On ne peut pas présenter l'élargissement comme étant de l'intérêt d'un pays : c'est aussi le nôtre et c'est une vision politique.

Vous avez aussi dénoncé le vote à la majorité qualifiée entre Etats, ajoutant que pour la PAC seules les décisions techniques relevaient de ce type de vote. Mais toutes les décisions de la PAC relèvent du vote à la majorité qualifiée selon le Traité de Rome (Protestations sur les bancs du groupe du RPR), relisez ses articles 35, 36 et 37.

Vous avez aussi expliqué qu'il n'y avait plus de droit de veto, mais pour reconnaître que l'extension du vote à la majorité qualifiée, combinée à la repondération des voix, était le moyen de consolider le rôle du Conseil dans le schéma institutionnel.

En ce qui concerne la légitimité démocratique, nous avons des conceptions différentes. Nous, nous pensons que la démocratie, c'est le vote et que cela doit prévoir sur le consensus sur tous les sujets au sein du Conseil. Si j'ai un reproche à adresser au Traité, c'est bien de ne pas aller assez loin dans l'extension du champ du vote à la majorité qualifiée.

Prenons l'exemple de l'harmonisation fiscale : qui ne la souhaite pas ?

M. François Guillaume - Moi ! Elle se ferait pas le haut ! Cela voudrait dire plus d'impôts !

M. le Ministre délégué - Cette harmonisation fiscale et sociale est aujourd'hui impossible à cause de la règle de l'unanimité.

Mais parallèlement à l'extension du vote à la majorité qualifiée, il faut, je vous rejoins là-dessus, créer les conditions pour qu'il s'exerce dans des conditions démocratiques : c'est le sens de la repondération adoptée à Nice, qui donne aux Etats un nombre de voix plus conforme à leur poids démographique et économique. Cela signifie aussi conforter le Conseil dans sa double fonction législative et exécutive.

Je ne suis pas d'accord, pas davantage que le Premier ministre, avec la proposition de Gerhard Schröder de transformer le Conseil en deuxième chambre législative : les représentants des Etats au sein du Conseil sont bien démocratiquement élus, la légitimité des nations est la première légitimité démocratique. Nous ne pouvons pas accepter, en tout cas pas dans un premier temps, une logique qui ferait de la France l'équivalent du Texas, où l'Allemagne serait la Californie et la Slovénie ou Malte l'Arkansas, avec chacun un même nombre de voix au sein d'un Sénat européen, le Parlement européen étant alors la première chambre.

Nous n'avons pas non plus la même conception du rôle du Parlement européen. J'ai beaucoup fréquenté cette institution, d'abord en tant que membre, puis en qualité de ministre puisque sous la présidence française je me suis adressé 25 fois au Parlement européen. J'ai d'ailleurs constaté dans les dernières années un changement positif, notamment dans ses méthodes de travail. Quoi qu'il en soit, je pense que son rôle doit être renforcé en étendant les domaines de codécision, en le responsabilisant par un droit de dissolution et en réformant le mode de scrutin.

Existe-t-il un peuple européen ? Pas encore. Mais si le Parlement européen est démocratiquement élu avec un mode de scrutin pertinent, nous aurions l'embryon d'une représentation de ce qui sera peut-être un jour un peuple européen.

Quant aux parlements nationaux, je pense qu'ils doivent être davantage associés aux travaux communautaires. Plusieurs propositions en ce sens ont été faites, par le Premier ministre, par M. Juppé : ce débat n'est pas tabou, il doit être mené.

Je ne crois pas, Monsieur le député, qu'on puisse dire que la majorité qualifiée n'ait eu que des inconvénients. Ayant appartenu au même Gouvernement que vous ...

M. Jacques Myard - Ça ne s'est pas vu tout à l'heure !

M. le Ministre délégué - ...et ayant vu le travail très important que vous avez fait pour préparer la présidence française, je suis un peu surpris de vos propos concernant les politiques d'immigration. Vous aviez proposé une trilogie de mesures concernant respectivement le co-développement, le contrôle des frontières et l'intégration des immigrés en situation régulière. Je crois que si le vote à la majorité qualifiée s'était appliqué à ces domaines, on aurait pu adopter plus vite vos propositions, notamment celles relatives aux sanctions contre les passeurs, alors qu'il a fallu attendre la présidence suédoise pour un premier accord politique général.

Le droit de veto disparaît-il pour autant ? Je suis opposé à ce qu'il soit la règle. Mais il continue d'exister à travers une formule particulière, qui est le compromis de Luxembourg.

M. Jacques Myard - Il aurait dû figurer dans l'exposé des motifs !

M. le Ministre délégué - Comme l'arme nucléaire, il existe pour qu'on ne s'en serve pas, il est réservé à des cas exceptionnels, où des intérêts nationaux forts sont en jeu.

M. Jacques Myard et M. François Guillaume - Il n'est pas dans le Traité !

M. le Ministre délégué - Mais le compromis de Luxembourg n'a jamais figuré dans aucun Traité ! C'est une démarche d'ordre politique.

Quelques mots sur le rapport à l'Allemagne, auquel vous avez consacré un ouvrage et de nombreuses réflexions. Vous écrivez notamment qu'il faut construire l'Europe pas à pas et en subordonnant ses progrès à un projet plus vaste. C'est bien ce que nous essayons de faire en proposant une fédération d'Etats-nations : ce n'est pas un super Etat fédéral, ce n'est pas un oxymore. D'ailleurs la plate-forme commune du PS et du MDC en 1999 évoquait ce concept. Je voudrais citer à ce sujet l'article très intéressant de Jürgen Habermas paru dans le Figaro de samedi dernier : il y souligne que les propositions du Premier ministre, loin d'être équivoques, s'émancipent de l'antagonisme entre fédéralistes et souverainistes et il explique que la fédération d'Etats-nations constituerait un triptyque équilibré, plus novateur finalement que l'avancée de Gerhard Schröder.

Vous avez parlé d'un ralliement implicite du Président de la République et du Premier ministre aux propositions de Gerhard Schröder, ou plutôt à la motion du SPD. Mais l'approche est très différente. Cette motion propose des politiques assez faiblement intégrées -la PAC serait en partie renationalisée, les fonds structurels remis en cause, le budget rééquilibré en faveur de l'Allemagne- confinées à des institutions, qui seraient, elles, fortement intégrées, puisque le Conseil des ministres serait la deuxième chambre du Parlement européen.

Ce n'est pas notre conception. Nous estimons qu'il n'y a pas à choisir entre le Conseil et le Parlement européen : la codécision entre eux exprime bien la tension constitutive de la fédération d'Etats-nations. Le triangle institutionnel actuel doit être amélioré, mais je ne crois pas qu'il soit usé.

Je ne crois pas non plus à une Europe fédérale qui ressemblerait à l'Autriche-Hongrie, où la politique serait réservée à une élite transversale et où les peuples cultiveraient leur identité folklorique. Nous avons une identité européenne à développer et à défendre.

Quant à vos propositions, un certain nombre nous conviennent. Un Conseil européen au rôle plus central, mieux préparé par les conseils des ministres : c'est aussi une proposition de Lionel Jospin ; et nous pouvons être fiers ensemble des avancées majeures sur le troisième pilier.

Retirer à la Commission son pouvoir de proposition serait une singulière rupture. Nous devons travailler ensemble sur les projets en direction de la Russie et de la Méditerranée. De même, nous devons travailler à la construction d'un monde multipolaire, mais il nous faut pour cela une Europe forte. A cet égard, le droit de veto joue contre nous car il profite surtout aux petits Etats.

La convention me paraît être une bonne formule pour élaborer la Constitution européenne ou organiser le grand débat de 2004. Le Parlement européen a d'ailleurs beaucoup insisté, en se prononçant sur le Traité de Nice, sur les modalités de discussion, qu'il souhaite pour l'avenir. La convention a prouvé son efficacité lors de la préparation de la Charte des droits fondamentaux, mais sans doute faut-il d'une part assurer la participation de la société civile et des pays candidats et d'autre part limiter le rôle de cette convention à la rédaction de grandes options, en laissant aux Etats-nations la responsabilité de décider à l'unanimité dans le cadre d'une conférence intergouvernementale : il ne peut y avoir de dessaisissement du pouvoir constitutionnel.

Parce que le Traité de Nice, malgré ses imperfections, a de grands mérites, permet l'élargissement et l'ouverture du grand débat de 2004, débat qui doit pour nous déboucher sur plus d'intégration, mais dans un équilibre entre l'Europe et les nations, j'appelle l'Assemblée nationale à rejeter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Nous en arrivons aux explications de vote.

M. Patrick Delnatte - Le groupe RPR rejettera cette exception d'irrecevabilité pour quatre raisons.

La première : le Traité de Nice maintient l'influence de la France au sein de l'Union européenne. Il renforce le poids de tous les pays les plus peuplés, et notamment du nôtre, au sein du Conseil ; en contrepartie, la France perdra un commissaire, comme l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne, mais y a-t-il tant de différence, les commissaires étant indépendants des Etats, entre avoir un commissaire sur vingt-sept dans une Europe élargie et en avoir deux sur trente-trois, comme cela aurait été le cas sans réforme ?

La deuxième : la parité avec l'Allemagne est préservée. Nos deux pays auront chacun vingt-neuf voix au Conseil, la France ayant résisté à la demande de l'Allemagne. Le « filet démographique » donne à l'Allemagne un avantage infime, en lui permettant de bloquer une décision avec l'Italie et le Royaume-Uni alors que la France aurait besoin de l'Italie, du Royaume-Uni et du Luxembourg. Dans une Europe à vingt-sept, ce filet ne jouera que dans un nombre de cas négligeable. Enfin, au Parlement européen, un parlementaire allemand et un parlementaire français représenteront chacun le même nombre de leurs concitoyens.

La troisième : le Traité de Nice fait progresser l'Europe. Il permettra à l'Europe élargie de fonctionner, ce qui était son objectif principal. La procédure de coopération renforcée est facilitée, ce qui permettra aux pays les plus ambitieux d'aller de l'avant.

La quatrième : ce traité est porteur d'une vision pragmatique et ambitieuse de l'Europe. Son objectif n'était pas de remettre à plat le système institutionnel, mais de l'ajuster. En même temps, comme le Président de la République l'avait souhaité au Bundestag, il permet d'engager un grand débat sur l'avenir de l'Europe, qui devrait déboucher en 2004.

M. Gérard Fuchs - Je présenterai cinq observations, deux historiques, deux constitutionnelles et une politique.

Première observation historique : si le premier traité européen, relatif à la CECA, avait pour finalité de ligoter l'Allemagne sur le plan de la puissance militaire, les traités suivants ont eu surtout comme but de créer un ensemble assez vaste pour équilibrer les superpuissances -autant dire aujourd'hui les Etats-Unis. Pour avoir l'euro, il est vrai que nous avons dû payer dans les années 90 un certain prix en termes de croissance et d'emploi.

M. Jacques Myard - Et ce n'est pas fini !

M. Gérard Fuchs - Aujourd'hui, nous en recueillons les fruits. En témoignent l'effet quasi nul de la crise asiatique sur l'économie européenne il y a deux ans et les effets modestes du ralentissement américain aujourd'hui.

Deuxième observation historique : je n'ai jamais compris pourquoi fédération voudrait dire absence de démocratie. Le cadre national n'est pas le cadre ultime de la démocratie... Je suis convaincu qu'il y aura un jour un gouvernement européen, probablement même un gouvernement mondial pour s'occuper de certains problèmes, et des assemblées démocratiques multinationales pour contrôler ces instances.

Ma première observation constitutionnelle concerne la légitimité démocratique. Si la France toute seule est incapable de peser sur son devenir, ne vaut-il pas mieux qu'elle pèse pour 10 % dans un ensemble capable de prendre des décisions ?

Ma deuxième observation constitutionnelle concerne l'extension du vote majoritaire. L'accepter, c'est accepter d'être parfois minoritaire. C'est donc considérer que ce qui rassemble les Européens, est plus important que ce qui peut les séparer. Nous avançons progressivement depuis une quinzaine d'années sur ce chemin. Comment peut-on être partisan d'une Europe à vingt-sept et vouloir le maintien de l'unanimité, qui garantit la paralysie et l'évolution de l'Europe vers une zone de libre-échange ?

Une observation politique, enfin, qui concerne la relation avec l'Allemagne. Si la France tient vis-à-vis d'elle un discours effarouché, que diront les petits pays de l'Union non seulement de l'Allemagne, mais aussi de la France ? Les grands pays seraient-ils inquiétants simplement parce qu'ils sont grands ?

M. Jacques Desallangre - Caricature !

M. Gérard Fuchs - Pour défendre notre capacité d'influence, nous devons accepter d'exercer en commun notre souveraineté. C'est pourquoi le groupe socialiste rejettera cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Sauvadet - M. Chevènement a largement dépassé dans son propos le cadre du Traité de Nice. Il a affiché sa vision de l'Europe, que nous ne partageons pas et qui est du passé. En effet elle fait l'impasse sur de grandes étapes qui ont été franchies et qui vont aboutir à la monnaie unique. Son ode à l'idée de nation n'est pas de nature à répondre à l'attente de nos compatriotes, qui ont compris qu'il fallait davantage d'Europe.

La pandémie d'ESB l'a montré, mais ce n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres : parce que nous opérons désormais sur un marché unique, il nous faut mettre en place les mesures propres à régler ce type de problèmes. De fait, la prise de conscience de nos concitoyens est de plus en plus forte -ils savent que la résolution des crises ne peut être qu'européenne. Cela suppose une Constitution européenne, celle-là même que vous récusez et qui clarifierait les compétences entre les Etats et l'Union.

Vous auriez eu raison il y a 15 ou 20 ans, Monsieur Chevènement, mais le schéma que vous nous proposez est à présent dépassé. Notre tâche est désormais de travailler à cette Constitution que nous appelons de nos v_ux, et qui doit nous permettre de faire fonctionner démocratiquement l'Europe à vingt-sept.

Le Traité de Nice a suscité diverses interrogations, sur lesquelles nous reviendrons au cours du débat. Pour l'heure, le groupe UDF votera contre l'exception d'irrecevabilité.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures.

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SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION

M. le Président - J'informe l'Assemblée que la commission des finances, de l'économie générale et du plan a décidé de se saisir pour avis de l'article 46 du projet de loi relatif à la démocratie de proximité.

La séance est levée à 19 heures 20.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

        www.assemblee-nationale.fr


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