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Session ordinaire de 2000-2001 - 84ème jour de séance, 195ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 5 JUIN 2001

PRÉSIDENCE de M. Pierre LEQUILLER

vice-président

Sommaire

          DÉSIGNATION D'UN CANDIDAT
          À UN ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE 2

          RATIFICATION DU TRAITÉ DE NICE (suite) 2

          QUESTION PRÉALABLE 2

          MOTION D'AJOURNEMENT 41

          ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 6 JUIN 2001 51

La séance est ouverte à vingt et une heures.

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DÉSIGNATION D'UN CANDIDAT À UN ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une demande de remplacement d'un membre de l'Assemblée nationale au sein du comité des finances locales.

Conformément aux précédentes décisions, le soin de présenter un candidat a été confié à la commission des finances.

La candidature devra être remise à la présidence avant le mardi 19 juin 2001, à 18 heures.

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RATIFICATION DU TRAITÉ DE NICE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi autorisant la ratification du Traité de Nice modifiant le Traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes.

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QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jacques Myard une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jacques Myard - Le 26 février dernier, à Nice, le Ministre des affaires étrangères signait au nom de la France, avec nos quatorze partenaires, un traité en forme solennelle modifiant le traité sur l'Union européenne, la Communauté européenne de l'énergie atomique et la Communauté européenne du charbon et de l'acier -CECA-, le protocole sur les statuts du système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne, le protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, ainsi que toute une série de protocoles relatifs, notamment, au statut de la Cour de justice et à l'élargissement. Cette simple énumération suffit à démontrer l'importance du Traité, qui comporte en outre vingt-quatre déclarations adoptées par la conférence diplomatique.

Il nous est demandé d'autoriser la ratification du Traité et de ses protocoles. Je note que le projet de loi vise l'article 39 -et non l'article 55, voire les articles 88-1 à 88-4 de la Constitution, ce qui me paraît incorrect et n'est peut-être pas fortuit. Je souhaite que le Gouvernement s'en explique.

La question fondamentale demeure cependant celle de savoir si ce Traité et ces protocoles sont conformes aux intérêts respectifs de la France et de la construction européenne. Je ne le pense pas. Ils sont même directement contraires à nos intérêts nationaux, tout en conduisant l'Europe à l'échec.

C'est pourquoi j'estime, en application de l'article 91-4 du Règlement, qu'il n'y a pas lieu que notre Assemblée délibère. Et je vais expliquer pourquoi la construction européenne court aujourd'hui à l'échec en raison même de la méthode qui a été retenue.

Le Traité de Nice scelle l'échec de l'Europe. Il incarne l'épuisement du processus de la construction européenne et de votre idée de l'Europe, que les folles nuits de Nice ont déjà révélé. Pour le comprendre, un historique s'impose.

Lorsque le 9 mai 1950, Robert Schuman lut à quelques pas d'ici, au ministère des affaires étrangères, sa déclaration, Georges Bidault la salua d'un laconique : « Salut aux chercheurs d'aventures ».

La construction européenne a précisément été une aventure exaltante que j'ai partagée -comme vous- en parcourant l'Europe à la rencontre des jeunes Anglaises, Allemandes ou autres (Sourires).

La signature du Traité de Rome a sans nul doute constitué l'un des événements majeurs de la deuxième moitié du vingtième siècle. Elle doit être regardée comme aussi importante que la chute du mur de Berlin. Ce premier traité reposait sur le concept d'une union des peuples -je vous renvoie à son article137- c'est-à-dire des nations et sur le principe fondamental de la préférence communautaire. Son objectif essentiel était de faire tomber les obstacles aux échanges. Il a été atteint. Le Traité de Rome a été un facteur de progrès en faisant disparaître le chauvinisme économique des Etats, né des économies de guerre et des deux conflits mondiaux. Il fallait en effet renouer avec le libre échange qui avait été si bénéfique aux nations européennes à la fin du dix-neuvième siècle.

A la fin des années 70, c'était chose faite : dans les années 80, l'Europe des échanges était revenue à son niveau relatif de 1914.

C'était là un progrès indéniable. Rome fondait une union des peuples, les Etats conservant la compétence de la compétence. Une première inflexion se fait jour avec l'Acte unique et ses 300 règlements et directives destinés à achever le marché intérieur. C'est alors qu'apparut le concept de majorité qualifiée. L'Acte unique a été signé le 16 février 1986 à Luxembourg et est entré en vigueur le 1er juillet 1987.

Tout change de nature avec le Traité de Maastricht, signé le 7 février 1992 et entré en vigueur le 1er novembre 1993, dont le but aux termes du préambule du Traité, est de franchir « une nouvelle étape dans le processus d'intégration » -l'intégration, voilà le maître-mot ! Il s'agit de passer la liberté des peuples à la moulinette du processus communautaire dont la Commission est le chef cuisinier.

A l'époque, le Président de la République nia de manière fallacieuse le caractère fédéral du Traité de Maastricht.

Maastricht a donc été adopté d'une courte tête sur un mensonge d'Etat. Et il a fait entrer de plain pied la construction européenne dans un processus fédéral dont l'Union économique et monétaire est le symbole.

Le Traité d'Amsterdam signé le 2 octobre 1997, entré en vigueur le 1er mai 1999, accroît les domaines de compétence communautaire, empiétant sur les pouvoirs régaliens des Etats avec la communautarisation des accords de Schengen.

La subsidiarité devient ainsi un principe en trompe-l'_il, c'est une subsidiarité à la Staline : tout ce qui est à moi est à moi dit la Commission et tout ce qui est à toi, Etat, est négociable, avec un résultat acquis d'avance.

Avec Amsterdam, Bruxelles obtient ainsi la compétence de la compétence, la subsidiarité marche sur la tête. Le Conseil ne gouverne plus ; c'est désormais une citadelle assiégée par un Parlement européen qui multiplie les surenchères, encouragé par la Commission, ce qu'il vous arrive, Monsieur le ministre, de regretter. Les résultats se lisent dans les chiffres de la délégation pour l'Union européenne : depuis le 1er août 1992, plus de 1 800 textes de nature législative ont été examinés par la délégation et mis en _uvre. Pour la seule année 2000 il y en a eu 209, et 124 depuis janvier 2001 ! Nous sommes en présence d'une nomorrhée, d'une réglementation boulimique, débridée et tatillonne. Dès lors la démocratie n'existe plus vraiment : elle est captée par une technocratie que rien n'arrête.

Cette Europe qui mouline des textes à l'envi -le fameux « acquis communautaire » a plus de soixante mille pages, et augmente chaque jour- et se mêle de tout est devenue, au sens étymologique, « totalitaire » : c'est un système en elle-même. Elle se veut la nouvelle religion révélée. On peut citer sur ce point l'ancien Président de la République : « notre patrie c'est la France, notre avenir c'est l'Europe ». Inutile de penser : Bruxelles pense pour vous. L'esprit de système, dont le XXe siècle fut si friand, est à l'_uvre. Et toute idée qui n'entre pas dans ce cadre est disqualifiée d'avance, car elle ne va pas dans le sens de l'histoire -comme si l'histoire avait un sens, voyez Shakespeare...

A coup de directives et de règlements, il faut harmoniser, appliquer les mêmes règles d'Helsinki à Salonique et de Dublin à Lisbonne. Cette harmonisation à outrance est une faute. Au nom de quel principe peut-on imposer aux peuples une vision unique de leur avenir, surtout dans le détail ? Au nom de quel principe imposer aux nations les mêmes règles en matière de chasse, de fabrication du chocolat, de taille des cages à poules, de travail de nuit des femmes, ou leur interdire -mais ils n'y ont pas réussi- la fabrication du fromage au lait cru ? Cette Europe des clones est vouée à l'échec. Il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel que n'en rêve la pensée unique de la Commission !

La quintessence de cette pensée unique eurocratique, c'est l'euro. Il arrive -mais dans quel état ! Il arrive, dit-on, pour faire avancer l'Europe : il risque de la tirer vers le bas. Car, loin de converger, les économies européennes divergent de plus belle. L'Allemagne et l'Italie sont en quasi-récession. La France a une croissance médiocre, qui pourrait être facilement corrigée si nous avions la liberté de notre politique monétaire, car les taux réels représentent trois à quatre fois le taux d'inflation. L'Espagne, l'Irlande sont en plein boom.

Bref, la zone euro ressemble à un attelage hétéroclite avec quelques pur-sang, des chevaux de trait, des ânes et des mulets... Toute politique monétaire cohérente est ainsi rendue impossible, en raison de l'unicité de l'instrument monétaire. Cet attelage, j'en suis convaincu, se disloquera au premier choc. Celui-ci pourrait bien avoir lieu lors du passage aux signes monétaires de l'euro, qui surviendra à un moment où la croissance mondiale décélère rapidement, cependant que l'abandon des monnaies nationales provoquera une déconsommation prévisible. Il serait plus sage de reporter ce passage : la situation actuelle peut parfaitement perdurer, et le mieux est l'ennemi du bien. L'euro est une monnaie théoriquement parfaite... pour un monde parfait, qui n'existe pas.

Dans le meilleur des cas, en l'absence d'une zone économique optimale dans la zone euro, le système exigera, pour survivre, la mise en place de flux financiers importants des Etats riches vers ceux qui rencontrent des difficultés. La zone euro deviendra rapidement une union de transferts pour éviter la dislocation. Le fameux destin commun des nations européennes rencontrera alors rapidement ses limites, quand il s'agira de payer... Vous méditerez alors l'exemple de la Tchécoslovaquie, morte d'un semblable problème : la Tchéquie devait payer à la Slovaquie jusqu'à 35 % de son PIB pour la maintenir dans l'union monétaire ! Il y a quelques jours, j'étais à Berlin avec le président de la commission des affaires étrangères, et je me suis entretenu avec quelques députés allemands : ils sont très inquiets. Ils estiment que certains pays, en situation de faiblesse, n'auraient jamais dû entrer dans la zone euro, et risquent de la faire capoter.

Mais l'harmonisation à outrance ne se borne pas à instaurer un ordre interne uniforme et réducteur : elle emporte des conséquences implacables dans l'ordre international. Chaque fois qu'un chef de compétence est communautarisé, il l'est aussi dans l'ordre international. La France ne peut plus alors conclure d'accords internationaux avec des Etats tiers. Elle devient peu à peu, elle est déjà, pour des pans entiers de notre action extérieure, un non-Etat : elle n'est plus sujet de droit international, mais une simple zone géographique soumise au Gouvernement de Bruxelles. Il paraît que nous y gagnons en contrepartie une « souveraineté partagée », théorie qui m'a toujours fait sourire : on pense à ces hommes trompés qui se réjouissent que leur femme partage la couche d'autres hommes... La souveraineté partagée, c'est l'alibi des cocus ! (Murmures sur divers bancs)

Cette Europe monolithique constitue désormais un carcan pour les peuples, un obstacle à toute liberté d'agir et de s'exprimer. Pour beaucoup de nos concitoyens, elle apparaît comme un adversaire ; elle n'est plus dans leur esprit un facteur de progrès, mais une source de tensions et de querelles. Pierre Pflimlin, un Européen insoupçonnable, disait déjà, il y a plus de dix ans, que le droit communautaire était un droit d'occupation. Rien que cela !

En outre, cette Europe ressemble au Titanic : il n'y a plus de sas, plus de compartiments, plus d'écluse. Les crises de l'ESB et de la fièvre aphteuse l'illustrent tragiquement : au moindre choc, c'est tout l'édifice qui est mis en danger. Il en est de même quant au contrôle des flux migratoires, aspect que M. Chevènement a souligné à juste titre. La suppression, pour des motifs purement idéologiques, des contrôles aux frontières intérieures a créé un formidable appel d'air pour l'immigration clandestine. Après quoi on s'est évertué à reconstituer, au lieu des postes de contrôle nationaux, des commissariats communs, en violation d'ailleurs des accords de Schengen : on est en pleine schizophrénie... Il faudrait parfois prendre le temps de réfléchir au-delà des slogans.

En quelque dix ans, la dérive a été totale : on est passé de l'Europe des peuples, que consacrait le Traité de Rome, à un fédéralisme dénié et honteux avec Maastricht, puis au fédéralisme technocratique et arrogant du Traité d'Amsterdam.

Cette Europe conçue comme un phalanstère ou un Kibboutz, puisqu'on doit tout y trouver, n'a pas d'avenir.

Le Traité de Nice apporte-t-il les remèdes qu'appelle cette construction européenne boulimique et en voie d'épuisement ? Hélas non ! Il n'apporte aucune réforme propre à faire réussir la construction européenne et l'élargissement. Pis, il constitue une fuite en avant, puisqu'il s'inscrit dans la logique précédente sans en corriger aucun des excès, aucune des faiblesses.

Examinons ses principales clauses.

Le nombre des commissaires sera plafonné à 27 ; les cinq grands -France, Allemagne, Italie, Espagne et Royaume-Uni- perdront alors leur second commissaire. Le président de la Commission sera désigné à la majorité qualifiée, après approbation par le Parlement ; ses pouvoirs seront renforcés.

La réforme est substantielle. La perte de notre second commissaire créera une distance accrue avec cet organisme, où notre influence est en chute libre. La désignation du président par une majorité qualifiée annonce déjà la mise en place d'une commission gouvernementale. Elle ne sera plus l'organe sui generis qu'elle était, exprimant le point de vue de la communauté comme telle, et quelque part celui de tous les Etats : elle exprimera l'opinion d'une majorité d'Etats contre une minorité. C'est dans la logique de cette désignation. Cela multipliera les occasions que la Commission aura de faire preuve de sa finesse, -elle, qui sait se jouer des coalitions au sein du Conseil. Je pense au mot de Foch : « Depuis que j'ai commandé une coalition, j'admire beaucoup moins Bonaparte ! » Cette réforme est une avancée sans précédent dans le sens du fédéralisme triomphant : la Commission fera désormais avancer ses thèses avec le soutien actif de la Cour de Justice, dont on connaît les _illères téléologiques dans la lecture des Traités.

En second lieu, une trentaine de nouvelles matières seront arrêtées à la majorité qualifiée. Cela concerne notamment : la conclusion d'accords internationaux dans les deuxième et troisième piliers ; les droits des citoyens de l'Union de circuler et de séjourner sur le territoire des Etats ; la coopération judiciaire, notamment pour ce qui est du droit d'asile et des réfugiés ; la libre circulation des ressortissants des Etats tiers, et cela à la demande de la France, y compris immigrés clandestins - nul doute que la majorité qualifiée prévaudra ensuite aussi pour les visas ; les négociations commerciales, notamment celles concernant les services ou certains aspects de la propriété intellectuelle : finie donc l'exception française ! Sic transit gloria Galliae ; la lutte contre l'exclusion sociale et la modernisation des systèmes de protection sociale- au mépris du principe de subsidiarité, voilà un nouveau champ d'action communautaire ; la coopération économique et financière avec les Etats tiers ; le statut des députés européens, lequel échappera ainsi totalement à la loi nationale ; la définition du statut des partis politiques au niveau européen -après la Commission supra-nationale, voilà les partis de l'étranger supra-nationaux ; la nomination du secrétaire général de la PESC - comment a-t-on pu en arriver à cette extrémité ?- et du Président de la Commission ; l'adoption de la liste des membres du comité des régions- M. Talamoni a toutes ses chances d'y être nommé !

On le voit, on veut forcer l'Europe à coups de majorité qualifiée. Il ne s'agit plus d'un glissement fédéral mais d'une lame de fond. Loin de représenter un progrès, le recours systématique à la majorité qualifiée va susciter des man_uvres, inspirer des défiances et aviver les tensions. La Commission pourra peut-être une fois mettre l'Allemagne en minorité mais le pourra-t-elle une deuxième fois ? Par ailleurs, même unies, la France et l'Allemagne peuvent être mises en minorité. Dois-je d'ailleurs rappeler que récemment dans le domaine des transports, la France n'a été sauvée in extremis que grâce au Luxembourg : on allait lui imposer la circulation des poids lourds le dimanche, interdite dans notre pays depuis le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas. Un gouvernement qui aura accepté le principe du vote à la majorité qualifiée aura, quand une telle décision nous sera imposée par l'Europe, bien du mal à se justifier devant l'opinion française !

Que va devenir le compromis de Luxembourg, voulu par le Général de Gaulle lui-même. Vous avez répondu à M. Chevènement, et c'est là la seule bonne note de votre réponse, qu'il serait maintenu : c'est essentiel car c'est l'un des moyens de préserver nos intérêts fondamentaux.

La repondération des voix au Conseil était nécessaire. Malheureusement, en prenant en compte pleinement le facteur démographique et en scellant la rupture entre les grands Etats au Parlement, notamment entre la France et l'Allemagne, on enterre définitivement la conception originelle du Traité de Rome. Son article 137, lequel consacre la représentation des peuples et non des populations, est maintenu mais vidé de sa substance. De plus, le nouveau mode de calcul des voix tenant compte de la démographie atteint une rare complexité. Nouvelle usine à gaz !

La suspension des droits d'un Etat membre, prévu par l'article 7 du Traité de Nice, pose également un grave problème. Nous sommes profondément attachés au respect des droits de l'homme et des principes démocratiques, mais de là à exercer une tutelle sur le choix des peuples ! Les peuples ont le droit d'élire des députés qui n'auraient pas l'heur de vous plaire, car telle est la loi de la démocratie. Cet article 7, même s'il est inspiré par un bon sentiment, rappelle singulièrement la théorie de « la souveraineté limitée » de M. Brejnev (Murmures sur les bancs du groupe du RPR).

M. Pierre Lellouche - Audacieux !

M. Jacques Myard - Jamais je ne pourrai défendre un ordre moral conçu à Bruxelles.

Les coopérations renforcées, pourtant instituées par le Traité d'Amsterdam, sont restées lettre morte. Bien que le Traité de Nice les réforme, rien ne changera vraiment car leur mise en _uvre relève de la course d'obstacles. Elles ne peuvent être engagées « qu'en dernier ressort » et s'il est établi par le Conseil, c'est-à-dire à 15 ou à 27, que les objectifs qui leur sont assignés ne peuvent être atteints, dans un délai raisonnable, en appliquant les dispositions pertinentes des traités. Autant dire que la réforme sera d'avance avortée. Il fallait certes s'engouffrer dans la brèche mais pas de cette façon car nous en serons en 2004 au même point qu'aujourd'hui.

Le Traité de Nice renforce tous les aspects fédéraux de l'Union européenne, vous ne pourrez pas démontrer le contraire. La course aux compétences et la boulimie qu'elle suscite continuent ; le principe de subsidiarité est foulé aux pieds ; l'Europe, centralisée à outrance, nie les nations et ce faisant, va à l'échec. Le Traité de Nice ne relève en rien le défi de l'élargissement qui n'est d'ailleurs abordé que dans une déclaration annexée. Nul doute que l'usine à gaz explosera !

Cet échec programmé a bien sûr pour origine la frénésie des « euro-béats » qui se sont lancés dans une fuite en avant pathétique et ne manquent jamais d'en rajouter à chaque occasion.

Pour mieux comprendre, il faut se remémorer l'évolution des relations internationales ces cinquante dernières années. Cela permet de mieux mesurer combien la construction européenne que l'on nous propose est décalée par rapport au monde actuel.

En 1956, lors de la conférence de Messine, ...

M. Pierre Lellouche - En 1955 !

M. Jacques Myard - ...les nations européennes sortaient de la guerre, l'Europe était scindée en deux par le « rideau de fer » qui séparait de façon étanche le monde de la liberté, auquel nous avions la chance d'appartenir, et celui du scientisme qui voulait créer un homme nouveau par le biais de la dictature du prolétariat ; les économies européennes étaient totalement sclérosées et encore administrées de façon archaïque ; la liberté des échanges apparaissait comme d'un autre âge.

Tout le mérite du Traité de Rome est d'avoir mis à bas les chauvinismes économiques, réinventé le progrès économique au travers de la concurrence, restauré la liberté des échanges. La construction européenne était alors fondée sur une idée simple : créer entre six nations européennes un marché commun, défini par une préférence communautaire, assis sur des valeurs démocratiques que niait l'autre moitié de l'Europe. La géographie, comme elle l'avait toujours fait, nous commandait de trouver une entente avec nos voisins. C'est que l'Europe à six était alors un espace de libertés, assiégé.

Quel est le monde aujourd'hui ? Le marché commun a réussi, il n'existe plus de droits de douane entre les Six, et même aujourd'hui les Quinze, et les autres d'ailleurs ! Mais entre-temps, le marché est devenu mondial : la globalisation, financière et commerciale, est une réalité. Le tarif extérieur commun, fondement du Zollverein de Rome, est mort et enterré. L'Europe n'a plus d'identité commerciale, elle n'est plus qu'une zone géographique du marché mondial, totalement ouverte sur ce marché. La globalisation transcende le marché unique.

Quant aux valeurs démocratiques et aux droits de l'homme, que nous partagions jadis à six, avec la Grande-Bretagne et quelques pays d'Amérique, ils sont en passe de structurer la communauté internationale, cette grande invention de la fin du XXe siècle. Le monde soviétique, qui justifiait par opposition une certaine conception de l'Europe, s'est écroulé. Les « euro-béats » ont été trahis par l'ennemi.

Quel sens dès lors donner à une citoyenneté européenne quand, Français, on défend l'universalité des droits de l'homme et que l'on est devenu citoyen du monde ? L'Europe des droits de l'homme n'est plus qu'un élément de l'humanisme universel que le discours civilisateur de la France incarne depuis toujours. Par son succès, l'Europe a épuisé ses effets. Tout comme jadis Rome n'était plus dans Rome, l'Europe n'est plus circonscrite à l'isthme étroit qu'elle constitue sur le plan géographique.

La géographie elle-même a changé de nature même si la France et l'Allemagne sont toujours à la même place et si l'Angleterre reste une île entourée d'eau de toutes parts.

M. Alain Néri - Vous connaissez une île qui n'est pas entourée d'eau ?

M. Jacques Myard - Je n'ai fait que citer André Maurois !

C'est la notion de proximité qui a changé. Nous sommes aujourd'hui aussi proches de Pékin et de Tokyo que nous l'étions hier de Berlin et de Bruxelles. C'est une révolution !

Jadis les stratégies des entreprises étaient d'abord nationales. Avec le Traité de Rome, on a vanté les mariages européens. Tout cela est dépassé avant d'avoir existé. Renault a-t-il choisi d'épouser une Allemande ? Non, il s'allie à une Japonaise, comme Vivendi ou Daimler-Benz avec des Nord-américaines. L'Europe fait ainsi largement figure de « Recherche du temps perdu », de ligne Maginot contournée dans un monde en mouvement perpétuel.

Resterait alors le concept d'Europe-puissance, pour peser sur la marche du monde, s'opposer aux vilains yankees et faire le poids face au milliard de Chinois. Excusez m'en, mais cette notion d'Europe-puissance est vide de sens. Pour qu'elle existe, il faut avoir le sentiment de vivre une communauté de destin.

M. Alain Juppé - Certains ont ce sentiment !

M. Jacques Myard - Je crois tout le contraire ! Le sentiment européen recule, affadi dans une démarche technocratique et transcendé par une véritable Weltanschauung.

Surtout, cette notion d'Europe-puissance est viciée par une confusion entre la taille, la grosseur et la puissance. Et c'est un petit qui vous parle ! (Sourires) Il n'y a pas de corrélation entre la taille et la puissance (Rires sur les bancs du groupe socialiste), lorsque la cohérence interne fait défaut. L'histoire appartient à ceux qui savent prendre des initiatives et les conduire à terme, pas à des empires hétéroclites !

L'Europe restera hétérogène car il n'existe pas de peuple européen, pas de nation européenne. L'Europe ne sera pas un super-Etat, car en dépit des palabres bruxelloises et au-delà des règles juridiques, elle n'en a pas l'essence. Monsieur le ministre, vous poursuivez une manière de rêve !

Pour éviter l'échec, il faut refonder l'Europe en tenant compte des réalités du monde. Rien, d'abord, ne peut se faire contre les nations. J'ai vu avec tristesse M. Von Thadden déclarer dans un journal qu'il fallait accepter de défaire la France pour faire l'Europe. Il a perdu une belle occasion de se taire. Soyons clairs : l'Europe de papa est morte et le super-Etat est voué à l'échec.

Reste que l'Europe représente toujours, mais de façon non exclusive, un échelon de notre action, à condition d'être réformée quantitativement et qualitativement.

Quantitativement, faut-il insister sur l'acquis communautaire qui, avec ses 60 000 pages, est devenu un fardeau. Comme Jacques Delors l'a admis lui-même, il faut réduire de moitié cette hyper réglementation et appliquer méthodiquement le principe de subsidiarité.

A l'Europe de traiter de l'essentiel, c'est-à-dire de la libre circulation des biens et des services, qu'un usage abusif de l'article 235 ne doit pas conduire à étendre à l'infini ; la coordination macro-économique, même si, à mon avis, le gouvernement politique de l'euro ne marchera jamais, quelques politiques communes, si elles résistent à l'épreuve des faits, et l'on voit bien comment la PAC est menacée par les coups de boutoir des Anglais et des Allemands ; des règles pour l'environnement pertinentes à l'échelle du continent, et non pas pour imposer à Paris ou à Londres la façon de traiter les eaux usées, en application d'une directive de 1992 qui s'est révélée aussi inefficace que coûteuse.

L'Europe a surtout besoin d'une réforme qualitative. La construction communautaire a en effet dérivé vers un centralisme technocratique contraire à la démocratie la plus élémentaire. Bruxelles a réinventé le Gosplan des Moscovites ! Pour sortir de cette ornière il faut distinguer les questions qui relèvent du domaine régalien des Etats, par exemple la sécurité collective, de celles qui relèvent de l'action des citoyens et des acteurs économiques, et se situent de ce fait au niveau infra-étatique. Ce domaine infra-étatique doit faire l'objet de décisions venant à la fois des Etats, pour définir collectivement les règles, et d'une autorité indépendante qui veille à leur respect, à savoir la Commission, dont l'action est légitime dans les questions de libre concurrence et de libre circulation.

L'Europe ainsi recentrée et allégée, pourra alors s'élargir sans difficulté. Devenue un véritable pacte entre les nations, elle n'a nul besoin d'autre Traité.

Pour autant, l'Europe même refondée n'est plus la réponse à la diversité du XXe siècle, ni à notre avenir. Elle ne répond même pas à tous les défis européens puisque, lorsqu'elle compterait 27 membres, resteraient à l'extérieur des nations qui appartiennent indubitablement au système européen. Je pense à la Russie, à la Turquie et à l'Ukraine. Nous devrons donc créer un conseil de sécurité européen où la Russie aura toute sa place.

M. Jean-Claude Lefort - Il y a l'OSCE !

M. Jacques Myard - En outre, cette construction européenne ne saurait se substituer à l'action extérieure de la France. Il est pathétique de voir certains présenter l'Europe comme le deus ex machina propre à se charger de tout. Notre avenir ne se joue plus en Europe. La paix est acquise avec l'Allemagne, non par des règles et des directives, mais parce que l'Allemagne, devenue démocratique, a décidé de vivre en paix avec ses voisins, c'est la prise de conscience d'un peuple, encouragée par le général de Gaulle, qui seule a permis ce progrès.

Le monde ne se réduit pas à notre isthme euro-asiatique. Alors que de nouvelles fractures apparaissent à l'horizon, nous nous épuisons à élaborer des règlements plus inutiles les uns que les autres. Nos politiques, nos diplomates, n'ont d'yeux que pour le multilatéral communautaire, là où on fait carrière, et négligent les continents à notre porte : l'Afrique, le monde méditerranéen, dont nos partenaires européens ne se soucient guère !

Le nouvel équilibre institutionnel ne fera qu'accroître l'intérêt pour les marchés de l'Est au détriment de la Méditerranée, où se joue pourtant notre avenir.

Seule une France indépendante, maîtresse de son destin et non inféodée à Bruxelles sera capable de relever ces défis, d'ouvrir les yeux de ses partenaires, de les entraîner. Son destin ne passe pas par l'Europe carcan que vous imposez aux Français et qui n'est en rien la clé miraculeuse de leur avenir.

Le Traité de Nice s'inscrit dans la fuite en avant de cette construction européenne qui n'aide nullement la France à vivre en paix, à porter loin son message, à maîtriser son destin.

Seule une architecture réaliste aurait permis de réussir l'élargissement et de sceller un véritable pacte entre les nations. On en est bien loin, c'est pourquoi je vous demande de déclarer qu'il n'y a pas lieu à délibérer (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du RPR et sur divers bancs du groupe RCV).

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - L'éloquence de M. Myard cache mal quelques approximations juridiques. Seul l'article 39 de la Constitution est ici visé parce qu'il a trait à la procédure normale d'adoption d'une loi. L'article 55 ne joue lui qu'après la ratification et l'article 88-1 traite non du fond mais de la procédure, que le Traité de Nice respecte, le Conseil d'Etat l'a dit.

Sur le fond, vous avez reconnu vous-même les succès du Traité de Rome et les échanges qu'il a permis, y compris de jeunes citoyennes... Je me suis même demandé si vous ne faisiez pas référence au mythe de l'enlèvement de la princesse Europe, mais je vous rappelle que c'est elle qui finalement l'emporte sur le taureau... A moins que vous n'ayez voulu jouer le cocu magnifique... (Sourires)

Vous dites que les dérives ont commencé avec l'Acte unique et se sont poursuivies avec Maastricht, mais vous oubliez que l'objectif a toujours été de parvenir à l'intégration, à une union plus étroite. Il est vrai que Maastricht marque un vrai saut fédérateur, mais le traité a été ratifié par les Français, non par un tour de passe-passe mais à l'issue d'un vrai débat démocratique.

Je ne crois pas que l'Europe soit totalitaire, qu'elle se mêle de tout. Mais parce qu'elle se mêlait de beaucoup sans que les choses aient été assez précisées, il était bon que la déclaration annexée le fasse et il faut donc ratifier le Traité de Nice.

Certes, les économies diffèrent, mais elles ne divergent pas. Si nous n'avions pas l'euro, nous connaîtrions sans doute aujourd'hui une grave crise de changes. L'euro apporte une stabilité et une politique des taux d'intérêt plus équitable. En ce qui concerne les compétences internes et externes, il s'agit d'une vieille jurisprudence de la Cour de justice. Il n'y a là aucun dessaisissement mais une mise en commun de la souveraineté.

Je ne vois pas en quoi la Commission, désormais restreinte même si nous aurions souhaité qu'elle le soit davantage, deviendrait plus intégrationniste que par le passé. Certains pourraient même craindre le contraire avec l'arrivée des commissaires des PECO.

Votre description du vote à la majorité qualifiée a manqué de rigueur, qu'il s'agisse de la coopération judiciaire civile, de la nomination du président et du secrétaire général du Conseil. Je le répète, même s'il n'avait pas à être inscrit dans le Traité, nous considérons que le compromis de Luxembourg continue à exister.

Sur la repondération, vous avez en fait reconnu le succès de notre approche.

Vous dites, à propos de l'article 7, qu'il appartient aux peuples de choisir leur gouvernement. C'est vrai, mais les autres Etats membres ont le droit de refuser de coopérer avec un gouvernement qui se placerait hors des règles de l'Union. Tel est l'esprit de la Charte des droits fondamentaux dont j'ai dit que je souhaitais qu'elle figure en préambule de la future Constitution.

En fait, nos conceptions de l'Europe diffèrent profondément, sur les transferts de compétences, sur la vision de l'Europe économique, sur la vision de l'Europe fédérale, mais aussi sur l'analyse de la mondialisation. Il ne sert à rien de dénoncer un état de fait, il faut le maîtriser et seule l'Europe est à même de le faire.

Si vous attendez l'explosion de ce que vous avez qualifié d'usine à gaz, vous risquez d'être amèrement déçu... L'Europe a besoin de réformes mais elle avance. Le protocole d'élargissement règle par anticipation les aspects institutionnels de l'adhésion ; le débat sur l'avenir est ouvert.

Sur la défense, vous avez tort de nier que plus de progrès ont été accomplis ces trois dernières années qu'au cours des cinquante précédentes, d'autant que cela a été largement le fait d'une coopération intergouvernementale.

Le monde que vous décrivez n'est plus celui dans lequel nous vivons. Il exige une Europe plus intégrée, porteuse d'un projet fort, qui développe des aspects fédérateurs tout en reconnaissant les identités nationales. C'est pourquoi j'invite l'Assemblée à rejeter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Didier Boulaud - Cette question préalable a permis à M. Myard de s'exprimer longuement. Sans doute se réjouit-il de pouvoir, à chaque ratification de Traité, disposer d'un temps de parole qu'à défaut son groupe ne lui aurait peut-être pas consenti ... (Sourires)

Pour autant, la plupart de ses critiques furent infondées et elles eurent peu à voir avec une telle motion.

Il a affirmé que le Traité de Nice rendrait le système institutionnel plus complexe, le qualifiant même « d'usine à gaz ». Outre que la simplicité n'est pas gage de démocratie, le nouveau système de vote du Conseil ne m'apparaît guère plus compliqué que le précédent : la première clé respecte la parité des grands Etats, la deuxième, censée pousser les petits pays à s'allier à un grand, n'a jamais joué jusqu'ici, la troisième ne servira qu'exceptionnellement. Quant au renoncement des grands Etats à un deuxième commissaire, il avait pratiquement été décidé à Amsterdam. Le poids de plusieurs Etats membres sera réduit, mais la prise de décision sera facilitée. En outre, le maintien de la parité entre les quatre grands Etats a été obtenu.

Je ne puis laisser dire que la France serait isolée sur les questions de défense européenne. Pour ma part, je juge importants l'accord de Saint-Malo, la constitution de l'OCCAR, les récentes alliances industrielles. Les Etats-Unis ne s'y trompent d'ailleurs pas, qui cherchent à convaincre les Européens de voler au secours du projet de bouclier antimissiles de Georges Bush.

Le groupe socialiste ne votera pas cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Claude Lefort - J'ai le regret de devoir dire à M. Myard que nous ne pouvons le suivre, (Murmures sur les bancs du groupe du RPR) et que le groupe communiste votera contre la question préalable qu'il a présentée. Ce n'est pas que ses propos aient manqué de logique, de cohérence ni même de pertinence : c'est que deux raisons essentielles nous interdisent d'aller dans son sens.

En premier lieu, et bien qu'il se pose en défenseur de l'Europe, il l'effeuille si bien qu'il n'en reste rien. Nul n'ignore nos critiques sur le type d'Europe en construction actuellement ; il n'empêche que nous travaillons à la réorienter, car nous estimons nécessaire de bâtir une Europe conforme à nos valeurs, modèle pour le monde.

Et puis, Monsieur Myard, vous contribuez à démontrer que l'on peut être furieusement fédéraliste ou frileusement souverainiste sans jamais remettre en cause le libéralisme. Quelle part avez-vous fait, dans votre discours, à l'emploi, aux salaires, aux droits, à l'écologie ? Aucune.

Pour ces raisons, et bien que la grandeur de vos propos soit inversement proportionnelle à votre taille, (Mouvements divers) nous ne voterons pas la question préalable.

M. Germain Gengenwin - Mon propos sera bref : il me suffira de dire que le groupe UDF ne partage en rien la vision de l'Europe qui est celle de M. Myard, lequel s'est même cru autorisé à se moquer de Robert Schuman, (M. Myard fait un signe de dénégation) l'un des promoteurs, avec d'autres hommes d'égale stature, de cette communauté européenne voulue quelques années à peine après qu'Allemands et Français se furent affrontés pour la troisième fois, chacune de ces guerres portant en germe la suivante. Et c'est grâce à la communauté européenne que le continent est en paix depuis 50 ans. C'est cette Europe que nous voulons promouvoir, et c'est pourquoi nous ne voterons pas la question préalable.

M. Jean-Louis Debré - Que M. Myard a défendue à titre personnel.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Alain Madelin - Le groupe Démocratie libérale dira « oui » à la ratification du Traité de Nice. C'est un « oui » à la réunification de l'Europe dont ce Traité ouvre la voie, et c'est un « oui » de responsabilité. Mais c'est aussi un « oui » sans enthousiasme car Nice a constitué, après Amsterdam, une nouvelle source de déception, sous présidence française hélas.

Quel était l'enjeu du Sommet de Nice ? Il y a un peu plus d'un an, à cette même tribune, je disais que ce rendez-vous devait être le coup d'envoi de la nouvelle Europe, celle de tous les Européens, l'Europe réunifiée, exaltante perspective que nous offre l'histoire depuis la chute du Mur de Berlin.

Exaltante, car avec la grande Europe, l'Europe change de nature.

Bien sûr, il ne s'agit pas de la réinventer. La construction européenne est un parcours historique unique, inédit, un acquis fabuleux. Les Six puis les Douze ont réussi à créer une zone de paix et de liberté inédite, la plus belle réponse aux horreurs des guerres mondiales évoquées à l'instant.

La grande Europe, ce n'est pas seulement la perspective d'une addition d'Etats ou d'une addition de consommateurs, c'est avant tout la perspective d'être, nous les Européens, porteurs d'un point de vue sur le monde, d'une certaine façon de vivre, de cette conception de l'homme que nous avons forgée au cours des siècles dans le creuset européen et que nous avons donnée au monde (M. Myard s'esclaffe).

C'est pourquoi, avant d'être pensé en termes économiques, l'élargissement de l'Europe doit être mené en termes historiques, politiques et culturels. La priorité doit être donnée à l'élargissement de l'Union européenne à l'Est. Nous n'avons déjà que trop perdu de temps à l'égard des peuples que nous avions abandonnés à la soviétisation et qui, après des années de souffrance, se sont libérés seuls du système totalitaire qui les oppressait. En se libérant, ils nous ont libéré de la terrible menace que les forces militaires et nucléaires de l'Union soviétique et du Pacte de Varsovie faisaient planer sur nos démocraties. Nous devons reconnaître notre dette et les remercier.

Or au lieu d'ouvrir grand les portes de l'Europe nous n'avons fait que les entrebâiller, multiplier les obstacles, exiger de ces pays une transformation radicale de leur système politique, économique et fiscal, quitte à reprocher aux nouveaux dirigeants de faire preuve d'une trop grande audace dans les changements !

Ils attendaient notre solidarité, ils se sont heurtés à notre égoïsme.

Certes, nous savons bien que nous ne ferons pas entrer la grande Europe dans les institutions de la petite Europe. Nous savons que les institutions prévues pour un petit nombre de pays et qui ont déjà tant de mal à fonctionner à 15 ne pourront, sans changement profond, fonctionner, demain, à 27 ou 30, et que nous devons définir un nouveau cadre constitutionnel et institutionnel pour la grande Europe. Mais il n'y a là rien de nouveau, et les nouvelles démocraties de l'Est n'ont pas à faire les frais de notre impuissance et de nos tergiversations.

La question institutionnelle était déjà la grande question posée à Amsterdam, et elle est restée sans réponse. Elle reste posée après le sommet de Nice, lequel au terme d'un petit compromis, nous apporta une petite réponse avec quelques modifications institutionnelles minimum qui nous permettront d'accueillir une première vague de pays candidats et de tenir, cahin-caha, jusqu'à l'achèvement d'une réforme plus ambitieuse.

Je pense que le Gouvernement a mal mesuré et mal préparé le sommet de Nice, faute d'en avoir fixé l'enjeu, à la différence de l'Allemagne. Le Chancelier Schroeder n'avait-il pas défini clairement qu'il s'agissait « avant tout d'éliminer les derniers obstacles à l'élargissement ? »

Cet objectif nettement défini lui a permis de revenir devant le Bundestag en disant : « A Nice, nous avons atteint notre objectif stratégique primordial : l'Union européenne a manifesté sa volonté et sa capacité à accueillir de nouveaux membres ».

Cette perspective de la grande Europe, le Premier ministre, dans sa déclaration à l'Assemblée préalable au sommet de Nice, ne l'a mentionnée que pour mémoire, sans imagination, sans souffle, dans un discours laborieux où il énumérait une quinzaine de priorités. Manifestement la grande Europe, n'était pas l'objectif de ce Gouvernement.

Il est vrai que cette grande Europe, vous ne l'aimez guère. Vous ne l'aviez pas imaginée et vous ne l'avez pas voulue, pas davantage, bien entendu, que les amis communistes de votre majorité plurielle.

Faut-il rappeler que Jacques Delors, au lendemain de la chute du Mur de Berlin lançait un mémorable « je dis non à la réunification », ou François Mitterrand qui affirmait, à Prague, que les nouvelles démocraties d'Europe de l'Est devraient attendre « des décennies et des décennies pour rejoindre l'Union européenne ? »

Comment peut-on se tromper à ce point ?

Mme Yvette Roudy - Qui ne se trompe jamais ?

M. Alain Madelin - Et comment ne pas voir que la tâche primordiale, celle de toute une nouvelle génération, c'est de construire la grande Europe ?

Quel décalage, pourtant, entre tous ces beaux discours, plus européens les uns que les autres, et la réalité, où l'on passe à côté de ce rendez-vous que nous donne l'Histoire !

On parle beaucoup de la solidarité européenne, mais la réalité c'est l'égoïsme. En somme, « oui », à une nouvelle Europe, « oui » à l'Europe élargie, mais surtout que rien ne change ! « Touche pas à ma politique agricole commune, à mes services publics », dit la France. « Touche pas à mon chèque », dit la Grande Bretagne. « Touche pas à mes fonds structurels », disent l'Espagne et l'Italie. « La Grande Europe, oui, mais pas la libre circulation », dit l'Allemagne, ou en tout cas plus tard, bien plus tard...

On tire les plans d'un futur fédéralisme européen, mais la réalité, c'est le nationalisme le plus têtu.

Je suis d'ailleurs surpris d'entendre les voix de ceux qui se veulent plus européens que les autres dresser ce qui constitue selon eux le « bilan accablant » du Traité de Nice au motif, d'apparence très souverainiste, que ce Traité réduit l'influence de la France. Comprenne qui pourra !

Ce n'est bien entendu qu'en dépassant le nationalisme étroit et l'égoïsme que l'on trouvera le chemin de l'Europe de demain. Je voudrais donc fixer quelques jalons, et dire quelles valeurs nous avons à défendre.

Construire l'Europe de tous les Européens suppose que l'on définisse préalablement les frontières de l'Europe. A cet égard, pour des politiques prompts à dénoncer le « déficit démocratique » de l'Europe, le Gouvernement a été un peu rapide quand, à Helsinki, il a dit « oui à l'entrée de la Turquie dans l'Europe », sans débat préalable, sans consultation des Français.

Dois-je rappeler que, forte de ce « oui », au demeurant assez timide, la Turquie a aussitôt déclaré que ce « oui » témoignait de la vocation de l'Europe à s'étendre vers le Caucase, l'Asie centrale, puis le reste de l'Asie ? Convenez qu'une clarification est nécessaire qui, si elle conduit à dire « non » à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, comme je le propose, doit nous amener, dans le même temps, à formuler des propositions d'organisation des espaces euro-méditerranéens et pan-européens.

Construire l'Europe de tous les Européens, c'est aussi définir sa future architecture institutionnelle. Le Premier ministre en a appelé à une « fédération d'Etats-nations », formule aujourd'hui prisée de tous, de Jacques Delors à Jacques Chirac. Pourquoi pas ? Elle est assez ambiguë pour que chacun s'y reconnaisse. Mais on ne saurait s'en tenir là. L'idée générale, que je défends depuis toujours, se prête à toutes les ambiguïtés et c'est de celles-ci que se nourrissait tout-à-l'heure la philippique de Jacques Myard.

Les libéraux, qui sont sincèrement attachés à une conception authentiquement fédérale de l'Europe, rejettent toute perspective de super Etat fédéral centralisé. Comme l'avaient déclaré Jacques Chirac et Helmut Khol « l'objectif de la politique européenne n'a jamais été et ne peut être d'édifier un Etat central européen ».

Nous pensons malheureusement trop souvent l'Europe au travers de schémas traditionnels, que nous l'imaginions comme une France agrandie, dotée d'un « super gouvernement », d'un « super » président, d'un « super » parlement, de « super » lois et de « super » impôts, selon le modèle fédéral allemand -ce qui revient à transformer nos Etats-nations en Länder ou enfin comme une reproduction du modèle américain sur notre continent.

Ni Etat-nation agrandi, ni modèle américain, ni modèle allemand : telle est l'Europe que nous voulons.

Le Premier ministre a eu raison de rejeter le plan Schroeder, projet d'une Europe à l'allemande, imaginé par les socialistes allemands.

La construction européenne, « objet politique non identifié », est d'une autre nature.

Si la construction de la grande Europe s'avérait être une construction fédérale, ce serait au sens donné par ses pères fondateurs à l'idée fédérale au siècle dernier : des institutions garantes de la liberté des personnes, des entreprises et de la société, contre tout empiétement excessif de la puissance publique, qui visent non à effacer les diversités ou à fondre toutes les nations en une même entité, mais à sauvegarder leur qualité propre, et qui entendent, comme le disait Denis de Rougemont, « jalousement défendre et maintenir les diversités qui font le génie de l'Europe ».

Le fédéralisme authentique, c'est précisément le contraire de l'Etat fédéral unitaire. Au lieu de fabriquer l'unité, il organise la diversité. Au lieu d'uniformiser, il cherche à harmoniser.

Si les Etats et les peuples européens ont, à l'évidence, des objectifs et des politiques communes, notre Europe reste en effet un ensemble riche de ses diversités, qu'on ne saurait assimiler aux Etats-Unis ou à l'Allemagne.

Il n'existe pas de peuple européen semblable aux peuples américain ou allemand. Etre français ou italien, ce n'est pas la même chose qu'être californien ou texan. Faire le choix de la grande Europe, c'est donc opter pour un fédéralisme largement décentralisateur.

Comme l'a bien vu le président Valéry Giscard d'Estaing, « le projet intégrationniste de la petite Europe d'hier ne peut être celui de la grande Europe d'aujourd'hui ». Ce point est essentiel à mes yeux.

C'est pourquoi je pense qu'on ne saurait courir deux Europe à la fois. Imposer aujourd'hui à la grande Europe un modèle intégrationniste ne peut conduire qu'à l'échec. Je me demande d'ailleurs parfois si certaines surenchères européennes n'ont pas pour but l'échec de la grande Europe.

A l'inverse, la construction immédiate de la grande Europe freine la dynamique d'intégration d'un certain nombre de pays, pour l'essentiel engagés dans la zone euro.

Je crois donc nécessaire de distinguer, d'une part, les modalités institutionnelles de la coopération renforcée d'un groupe de pays, -« noyau dur » ou « centre de gravité »- dans lequel la France a un rôle moteur à jouer, et, d'autre part, la tâche historique de la construction de l'Europe de tous les Européens, dont les modalités doivent être discutées avec tous ceux ayant vocation à l'habiter. Il y aurait quelque prétention à vouloir construire à quinze cette maison commune pour l'imposer demain aux nouveaux co-propriétaires de l'Est de l'Europe.

C'est pourquoi j'ai accueilli avec satisfaction les déclarations du Premier ministre en faveur d'une association des pays candidats au débat sur l'avenir de l'Union européenne.

Il faut cependant aller plus loin et organiser -comme je le propose- une grande convention réunissant les institutions européennes, les Etats membres et candidats ainsi que des délégations de leurs Parlements.

Quels que soient les ambitions et les desseins des uns et des autres, l'après-Nice passe par une délimitation précise des pouvoirs confiés à l'Europe, par une redéfinition fonctionnelle et de la Commission et du Conseil européen et par l'inscription de ces modifications essentielles dans un pacte constitutionnel fondateur.

Il nous faut d'abord délimiter précisément les pouvoirs de l'Union européenne.

Avant de déterminer par qui et comment les décisions seront prises, il convient de définir quelles décisions doivent être prises au niveau européen, et de se prémunir contre tout débordement.

Il est donc grand temps de clarifier le principe de subsidiarité inscrit dans le Traité de Maastricht et d'assurer son contrôle, notamment par la Cour européenne de justice, à l'initiative des Etats, des instances européennes et, selon certaines modalités, par les Parlements et les régions dotées de compétences législatives.

S'agissant de la Commission européenne, la réforme opérée par le Traité de Nice n'est qu'une solution transitoire. Nous devrons la réformer pour assurer la fonctionnalité et la défense de l'intérêt général européen par la Commission, et donc l'organiser à partir d'un certain nombre de fonctions au-delà de la représentation des Etats que consacre le Traité de Nice, qui peut légitimement être considérée comme une régression.

Je ne suivrai pas sur ce point le Premier ministre, qui vient de proposer que le Président de la Commission soit issu de la formation politique victorieuse aux élections européennes. Jacques Delors avait déjà proposé que les partis politiques fassent campagne non seulement pour leur programme mais aussi pour un candidat à la présidence de la Commission : « On se trouverait alors, disait-il, dans une situation proche des Etats-Unis ou les citoyens désignent de grands électeurs qui élisent ensuite le Président ».

J'avoue ne pas comprendre le Premier ministre qui, tout en refusant -à juste titre- le modèle américain, qui reviendrait à donner à la France le statut d'un Etat fédéré, propose un système électoral qui aboutirait à ce résultat.

Au surplus, aucune formation politique ne dispose à elle seule d'une majorité au Parlement européen, et c'est heureux. Il me paraît dangereux que le président de la Commission européenne ait la confiance d'un parti avant d'avoir celle des pays membres de l'Union.

A la réforme de la Commission doit s'ajouter celle du Conseil européen.

Le Premier ministre a repris la proposition de mise en place d'un Conseil permanent des ministres dont les membres, sortes de vice-premiers ministres, coordonneraient les questions européennes dans leur propre gouvernement. Fort bien.

Reste cependant posé le problème que l'on a esquivé à Nice : il faut d'urgence stabiliser la présidence du Conseil européen pour que l'Europe, notamment l'Europe politique, celle de la politique étrangère et de la sécurité commune, puisse mieux faire entendre sa voix dans le concert des nations. On voit bien l'absurdité à laquelle conduirait le maintien d'une présidence tournante de 6 mois qui, dans une Europe à 25 ou à 30, conduirait la France à n'exercer cette présidence que tous les 3 quinquennats !

Je connais la tentation de certains de mettre le Conseil européen et le Conseil des ministres à l'écart, d'en faire une sorte de deuxième chambre législative. C'est là une chimère, qui ne peut que faire capoter la grande Europe qui en devenant une construction plus politique, avec des responsabilités nouvelles sur la scène internationale, ne saurait se fonder sur un tel schéma.

Définir la future architecture institutionnelle de la nouvelle Europe avec tous les Européens, délimiter strictement ses pouvoirs, réformer la Commission et le Conseil, voilà les bases du nouveau pacte constitutionnel qu'il nous faut établir.

Si nous disons aujourd'hui « oui » au Traité de Nice, vous aurez compris que ce oui ne traduit aucun enthousiasme pour ce qui demeure un mauvais traité, mais qu'il est un « oui » responsable, un « oui » porteur d'une grande ambition pour la grande Europe, celle qu'il va nous falloir construire maintenant, dans l'après-Nice (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Gérard Fuchs - Je parlerai essentiellement des institutions. D'aucuns estiment que cette question ne présente pas d'intérêt, que seul compte le projet. Cette position ne me semble pas fondée. S'il est vrai que les institutions ne présentent pas d'intérêt en dehors d'un projet, un projet sans institutions est voué à demeurer un rêve sans grandes chances de se réaliser un jour.

Les décisions prises à Nice apportent-elles un plus, une nouvelle réponse aux défis qu'affrontent aujourd'hui le continent et la planète ? Pour y répondre, examinons cinq problèmes. L'extension du vote à la majorité qualifiée à 26 domaines, si elle est limitée au regard des 60 domaines qui avaient été envisagés, est suffisante pour permettre l'élargissement tout en conjurant le risque de la paralysie. Nous savons -et je m'adresse à la majorité- que l'absence d'incarnation de la volonté publique conduit au triomphe du marché et des inégalités.

Prenons l'exemple de l'article 100. Il permet à l'Union, en matière de politique économique, d'apporter une aide exceptionnelle à un Etat en difficulté exceptionnelle -qu'il s'agisse d'une crise énergétique, sociale, ou de tout ce que le jargon économique appelle un « choc asymétrique ». On a souvent reproché à l'Union de ne pas, à ce jour, s'être donné les moyens de réagir à de telles situations : le fait de faire passer à la majorité, certes super-qualifiée, mais tout de même à la majorité la décision d'apporter une aide exceptionnelle à un pays en situation exceptionnelle est un plus dans le sens de la cohérence et de la solidarité. Il y a là un élément de réponse face aux situations imprévues que pourra provoquer l'élargissement.

Mon deuxième critère d'appréciation est le renforcement de la Commission. Certains ont estimé peu important le fait que son président soit nommé à la majorité, d'autres l'ont jugé dangereux. Pour ma part, j'y vois un progrès. Je fais appel à votre mémoire collective : naguère, lorsqu'il fallut choisir un président de la Commission, un homme fut envisagé, qui n'était pas de mon bord politique, mais de fortes convictions européennes. Il fut écarté parce qu'un des Etats-membres le jugeait trop européen, et un autre président fut choisi. Je ne veux pas porter de jugements sur les personnes. Mais je suis convaincu que le choix du président à la majorité accroît nos chances de voir désigner un responsable de plus grande envergure, et ce sera bon pour l'Europe que nous souhaitons.

Quant à la décision de donner à ce président plus de pouvoirs sur l'organisation du collège, le choix des vice-présidents, l'attribution des compétences, elle permettra d'avoir plus tard une Commission plus restreinte, car cela exigera une hiérarchisation des commissaires. On a évoqué l'existence de gouvernements à 35 ou 40 ministres, mais on y trouve des ministres et des secrétaires d'Etat : il faudra bien aller vers une semblable hiérarchisation.

Mon troisième élément d'appréciation, et le plus important, concerne les coopérations renforcées, et je remercie les négociateurs et le Gouvernement français d'avoir ajouté ce chapitre à ce qu'on appelle les « reliquats » d'Amsterdam ». Rendre plus accessibles les coopérations renforcées était une nécessité, notamment dans la perspective de l'élargissement. N'étant pas ministre, je ne suis pas tenu aux mêmes pudeurs que M. Védrine et M. Moscovici. J'exprimerai donc ma conviction : il faudra, à l'Europe à vingt-cinq ou vingt-sept, un noyau dur, ou, comme on voudra l'appeler, une avant-garde, un premier cercle. Le mécanisme de coopération renforcée permettra aux Etats qui le veulent d'aller plus vite de l'avant sans être freinés par les réticences de leurs partenaires. Ces derniers seront peut-être même convaincus d'avancer par la seule existence de cette arme de dissuasion. Cette facilitation des coopérations renforcées est donc un effort positif du traité, qui à lui seul en justifierait la ratification.

Mon quatrième élément d'appréciation est l'article 7. Il établit un mécanisme d'alarme pour le cas, non pas, Monsieur Myard, où adviendrait dans un Etat un Gouvernement dont la couleur politique ne nous est pas sympathique mais où participerait à une coalition gouvernementale un parti dont l'idéologie est contraire à nos idées démocratiques. Ce n'est pas un hasard si, face au cas autrichien, le Premier ministre et le Président de la République ont réagi de concert. Je crois vraiment que le club Europe ne peut pas tolérer qu'en son sein accède au Gouvernement un parti non seulement xénophobe, mais raciste, voire justifiant le nazisme, comme il ressort de certaines déclarations de Haider. Je crois qu'il y avait là un enjeu et je suis heureux de l'existence de cet article 7.

En conclusion, le Traité de Nice permettra-t-il d'aller plus loin, vers une nécessaire évolution des traités européens ? Je le crois. Déjà on évoque l'introduction dans un futur traité de la charte des droits sociaux : déjà on envisage la création d'une Constitution européenne, que je crois souhaitable. Cela permettra aussi peut-être de répondre à une suggestion du Premier ministre, disant qu'il serait bon que le futur président de la Commission soit choisi dans la coalition majoritaire au Parlement européen. Voilà qui ouvrirait la voie d'une politisation des institutions européennes. Or ce qui éloigne nos concitoyens de la construction européenne, c'est le sentiment que leur vote ne sert à rien. Il faudra introduire la notion d'alternance dans les institutions européennes : c'est la condition de la démocratie, et d'un rôle réel des citoyens. Il doit y avoir un choix entre conservateurs et progressistes. Cette proposition du Premier ministre, si, comme je l'espère, elle est reprise par tous, permettra cette politisation au sens noble : offre d'un choix politique aux citoyens. Cette proposition, ajoutée au renforcement des pouvoirs du président de la Commission, permettra plus de démocratie, donc plus d'adhésion des citoyens à l'idée européenne.

Nice n'est qu'un pas, mais un pas dans la bonne direction. L'évolution institutionnelle doit nous donner plus de facilités pour construire une Europe qui soit davantage un acteur sur la scène internationale ; qui soit plus soucieux de justice fiscale, non par une harmonisation, mais par la fixation d'une fiscalité minimale, évitant la compétition à la baisse de la paupérisation de l'Etat. Cela nous permettra d'aller vers un traité social, que souhaite la majorité actuelle de la France, et une plus grande représentation des salariés dans les institutions représentatives des entreprises. Ce n'est qu'un pas, mais dans la bonne direction, et le groupe socialiste le ratifiera (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Alain Juppé - Le groupe du Rassemblement pour la République approuvera dans sa très grande majorité le projet de loi autorisant la ratification du Traité de Nice, pour plusieurs raisons.

Nous estimons, en premier lieu, que Nice est le point d'orgue d'une présidence française particulièrement féconde. Sans faire un bilan exhaustif, j'évoquerai quelques réussites de cette présidence. C'est l'adoption d'un agenda social qui donne à l'Union un programme de travail pour cinq ans, dans des domaines aussi importants que l'emploi ou la protection sociale. C'est l'accord sur le paquet fiscal qui était en discussion depuis trois ans, et qui permet des progrès notables vers l'harmonisation de nos systèmes d'imposition. C'est la confirmation de la mise en _uvre d'une force déployable de soixante mille hommes, dotée d'un accompagnement aérien et maritime, ce qui constitue un pas décisif pour la défense européenne, chère depuis tant d'années, au Président de la République. Je rappellerai aussi le renforcement de la sécurité maritime, l'achèvement de trente ans de tractations sur le statut de la société européenne, et bien sûr la proclamation de la Charte des droits fondamentaux, élaborée dans des conditions novatrices et exemplaires. Oui, la présidence française aura été féconde.

La seconde raison pour laquelle nous nous réjouissons de la signature du Traité de Nice, c'est que l'absence d'accord au terme de la conférence intergouvernementale aurait provoqué une crise grave en Europe. Il est des crises salutaires, qui réveillent, voire ressuscitent.

Mais il en est qui affaiblissent et peuvent être fatales. Compte tenu du contexte européen, un échec à Nice aurait pu avoir des conséquences redoutables. Le choc, dans les pays candidats à l'adhésion, aurait été terrible, comme le montrent a contrario les réactions enthousiastes qui sont venues de tous ces pays à l'annonce du compromis de Nice. Ne sous-estimons pas, en particulier, les dommages qu'aurait causés à l'idée européenne et à l'image de la France le blocage de fait du processus d'élargissement. Nous avons trop promis, trop souvent et trop solennellement depuis dix ans, pour refuser maintenant de tenir. C'est d'ailleurs notre intérêt. Prenons garde, à force de différer leur entrée dans l'Union, de repousser les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale dans d'autres bras qui sont, eux, largement ouverts.

Enfin, un échec sous présidence française aurait accru la suspicion qui pèse, injustement mais tenacement, à l'encontre de la France, réputée hostile ou du moins réticente à l'élargissement. Cet échec aurait aigri, à un moment crucial, la relation franco-allemande : on sait, en effet, la véritable obsession qu'éprouve Berlin pour l'entrée rapide de ses proches voisins dans l'Union. Pour cette raison aussi, le Traité de Nice était nécessaire.

Nécessaire et utile, le Traité l'est en troisième lieu par son contenu même. Les plus impatients sont certes déçus, pourtant ce Traité apporte de réelles avancées. J'évoquerai rapidement les quatre grands thèmes de la conférence inter-gouvernementale.

Concernant la pondération des voix pour les votes à la majorité qualifiée, il est facile de se gausser de la complexité du nouveau dispositif, encore qu'il ne s'agisse que d'arithmétique assez simple. Mais quelle était la préoccupation des négociateurs ? Ils voulaient assurer, pour aujourd'hui et pour demain, un meilleur équilibre entre Etats-membres, et notamment éviter que les pays les plus peuplés ne soient mis en minorité par l'addition de nombreux « petits Etats ». Cet objectif, parfaitement démocratique, a été atteint. Certains s'indignent de l'atteinte au principe de parité entre les grands pays fondateurs, et notamment la France et l'Allemagne. Mais n'avait-il pas déjà été écorné lorsque fut révisée la répartition des sièges au Parlement européen, après la réunification de l'Allemagne ? Et peut-on sans cesse réclamer plus de démocratie en Europe et tenir pour nulles et non avenues les évolutions démographiques des peuples constitutifs de l'Union ? Il y a quelque paradoxe chez certains, qui proposent d'un côté l'élection d'un Président de l'Europe au suffrage universel direct -idée à laquelle nous ne souscrivons pas- qui de l'autre s'inquiètent que 80 millions d'Allemands pèsent un peu plus que 60 millions de Français...

Deuxième thème de la conférence intergouvernementale : l'extension du vote à la majorité qualifiée. Ici encore il y a progrès, même s'ils sont insuffisants aux yeux de certains. Au total, une trentaine de dispositions des traités passera dans le champ de la majorité qualifiée ; dans le premier pilier, 80 à 90 % des décisions relèveront de cette dernière. La prise de décision devrait donc s'en trouver facilitée avant et après l'élargissement ; et cela -je le dis à la lumière de ma petite expérience- ne se fera pas au détriment de la France. Certes plusieurs Etats membres ont souhaité que la règle de l'unanimité soit maintenue, totalement ou partiellement, dans les domaines pour eux sensibles, tels la fiscalité, la sécurité sociale, la politique régionale ou les fonds de cohésion. Des dispositifs complexes ont été imaginés en matière d'asile et d'immigration, ainsi que pour la politique commerciale. Mais il est légitime qu'au stade actuel, faute d'une définition claire des compétences respectives de l'Union et des Etats membres, chaque pays conserve les moyens de sauvegarder ce qu'il estime être ses intérêts vitaux.

Troisième sujet : le format de la Commission. C'est sur ce point que les critiques sont les plus vives. Le Traité de Nice, selon ses détracteurs, ne permettrait pas de maîtriser l'inflation du nombre de commissaires. Les « grands pays » auraient eu tort, en outre, d'abandonner l'un de leurs deux sièges à la Commission. Ces deux reproches ne sont pas cohérents. Par ailleurs, le principe du plafonnement du nombre de commissaires a été posé pour aujourd'hui et pour demain, ce qui dénote une incontestable évolution des esprits sur la question -c'est votre propre formule, Monsieur le ministre.

Et puis, c'est une interrogation personnelle, je me demande si, à terme, le vrai débat est là. Faut-il se laisser obnubiler par le problème des effectifs de la Commission, et négliger celui de la nature même de cette institution ? Formation collégiale sui generis, à faible légitimité démocratique, la Commission a certes joué un rôle déterminant d'initiative et d'impulsion dans la construction européenne. Mais ne doit-elle pas aujourd'hui évoluer vers un statut plus « gouvernemental » -je m'expliquerai sur ce terme-, ce qui déplacerait la réflexion du nombre de commissaires vers l'organisation de la Commission, et notamment le rôle de son président ? De ce point de vue, le renforcement des pouvoirs du président, prévu dans le traité de Nice, va dans la bonne direction.

Quatrième sujet traité à Nice : l'assouplissement du mécanisme des coopérations renforcées.

Les conditions dans lesquelles ce mécanisme avait été mis en place à Amsterdam, même si Amsterdam n'a pas été aussi calamiteux que vous le prétendez, Monsieur le ministre, le rendaient quasiment inutilisable. Le voici désormais facilité et surtout étendu à la politique extérieure et de sécurité commune, ce qui constitue sans doute l'ouverture la plus prometteuse.

Certains esprits sceptiques s'interrogent sur l'avenir des coopérations renforcées et leur mise en _uvre effective. Les verrous mis à Amsterdam étaient tels qu'il n'est pas étonnant qu'aucune initiative nouvelle n'ait été prise dans ce cadre. Il faut, maintenant que l'instrument est devenu opérationnel, faire confiance à la dynamique européenne.

Nice, en toute hypothèse, permet d'aller de l'avant. Le Traité assure également au Parlement européen une meilleure représentativité et un pouvoir de co-décision étendu. Il apporte également d'importantes modifications au fonctionnement de la Cour de justice et du tribunal de première instance.

A ces trois raisons de ratifier le Traité de Nice, j'en ajouterai une quatrième qui, à mes yeux, est peut-être la plus importante : c'est que Nice a lancé l'après-Nice.

Même s'il ne mérite pas l'opprobre qui devait, au départ, conduire ses principaux détracteurs, au Parlement européen ou ici même, à voter contre sa ratification, le Traité conclu en décembre dernier n'apporte que des réponses imparfaites aux graves questions que son élargissement et son approfondissement posent à l'Union.

Une nouvelle conférence intergouvernementale se tiendra donc en 2004, et l'affichage solennel de cette intention est, en soi, un acquis capital. Il n'est que temps de se mettre au travail pour la préparer, et cette fois-ci, la réussir pleinement. La méthode comptera pour beaucoup. L'idée de commencer par un large débat associant les parlements nationaux, les opinions publiques et, comme l'a proposé Alain Madelin, les Etats candidats est bonne. Peut-être ce débat devrait-il déboucher sur une convention du type de celle qui a élaboré la charte des droits fondamentaux, avant que la CIG proprement dite ne se mette à l'_uvre.

Il faudra aussi que tout au long de ce processus -et j'espère ne pas sacrifier à la langue de bois en disant cela- la France et l'Allemagne retrouvent une vraie complicité ; le dialogue de sourds auquel se livrent, hélas, le gouvernement français et le gouvernement allemand depuis des mois n'est guère de bon augure.

Mais tout autant qu'à la méthode, il faut nous attacher au fond. La France sera d'autant mieux entendue qu'elle aura, sur le fond, un langage clair et ambitieux.

La « déclaration sur l'avenir de l'Union », adoptée à Nice, retient « entre autres » les questions suivantes : une délimitation plus précise des compétences entre l'Union européenne et les Etats membres, conforme au principe de subsidiarité ; le statut de la charte des droits fondamentaux ; la simplification des traités ; le rôle des parlements nationaux dans l'architecture européenne.

« Entre autres », dit la déclaration et je souligne à dessein cette formule, car elle me rassure. Il serait en effet dangereux selon moi, de limiter le débat à des discussions juridiques, techniques ou ponctuelles. Il faut, cette fois, aller au fond des choses, et élargir la réflexion à ce que j'appellerai les questions « existentielles », celles qui touchent au sens même de l'Union, à son existence sur la scène mondiale, à sa « constitution » en tant que personne internationale.

Je poserai ici quatre questions.

D'abord, concernant la finalité de l'Union : que voulons-nous faire ensemble ?

Pourquoi des nations souveraines ont-elles décidé, par étapes successives, de lier leurs destins, de mettre en commun leurs intérêts et leurs politiques, pour finalement créer entre elles une Union -le mot est fort ?

Cette question n'a jamais été vraiment abordée de front. Les pères fondateurs ont préféré l'éluder -même s'ils avaient leur idée en tête- pour s'intéresser à des solidarités concrètes, comme la production de charbon et d'acier, puis la création d'un marché unique, en espérant que s'amorcerait ainsi un engrenage vertueux conduisant à des choix politiques plus fondamentaux.

Nous y sommes. Quelle ambition nous assignons-nous maintenant, au seuil du XXIe siècle ? Allons-nous nous satisfaire de ce qu'on appelle parfois une « Europe-espace », zone de libre échange des biens, des services, des capitaux, des personnes, des idées ... qui aurait à terme vocation à s'intégrer dans un espace plus vaste encore, transatlantique, de « Vancouver à Vladivostok », comme le rêvait au début des années 1990 un secrétaire d'Etat américain et comme semble le penser M. Myard ? Depuis des décennies, nous sommes nombreux à répéter que cette conception-là de l'Europe ne nous convient pas. Avons-nous dès lors, la volonté de construire une « Europe-puissance », -la formule peut faire tiquer- une Europe européenne et non pas une Europe sous protectorat, qui soit un acteur à part entière sur la scène internationale et contribue, par sa présence, à l'émergence d'un monde réellement multipolaire et équilibré ? C'est à proprement parler un choix d'existence. Je sais que le mot de « puissance » peut effaroucher. Précisons les choses. Pour nous, l'Europe-puissance n'a de raison d'être que si elle est à la fois artisan de paix et porteur d'un projet politique généreux.

Est-il besoin de développer l'argument de la paix ? Sinon pour rappeler inlassablement, notamment aux jeunes générations, que la réconciliation franco-allemande et le succès des communautés européennes nous ont déjà donné ce bien inestimable -et inconnu dans l'histoire de notre continent- de cinquante ans de paix.

Quant au projet politique, nous en voyons bien les contours : un libéralisme économique à visage humain, un modèle social original, une mondialisation régulée, et, peut-être par-dessus tout, le respect de notre diversité culturelle. Ce n'est ni le lieu ni le moment d'entrer dans le détail de ces propositions mais là est le vrai débat.

Deuxième question, celle des frontières : avec qui voulons-nous faire l'Union ?

Si l'Europe a vocation à exister comme une entité politique dotée notamment de sa monnaie, de sa politique commerciale, de sa politique extérieure et de sécurité commune, elle doit avoir des frontières. D'élargissement en élargissement, on ne peut accepter de la dissoudre dans un ensemble sans limites et donc sans personnalité.

C'est ici que le bât blesse. Comment définir les frontières de l'Union ? Le critère idéologique est précieux : ne peuvent être considérés comme membres de l'Union que les Etats démocratiques qui partagent notre vision des droits de l'homme et du citoyen et souscrivent donc à la Charte des droits fondamentaux. S'il est nécessaire, ce critère n'est pas suffisant : il existe des démocraties respectueuses des droits fondamentaux de la personne humaine ailleurs que dans l'espace européen.

Le critère géographique ne doit pas être perdu de vue ; mais quel géographe peut tracer avec exactitude les frontières du continent européen ? L'Oural ? L'Anatolie ? Mais alors, quid du Maghreb ?

D'où la nécessité d'un critère politique. Je propose de dire que, pour avoir vocation à adhérer à l'Union, il faut être une démocratie respectueuse des droits fondamentaux de la personne, située en Europe, et adhérant au projet politique de l'Union tel que je viens de l'esquisser. Toutes les démocraties, actuelles ou futures, proches du champ européen, ne partagent pas cette volonté d'entrer dans une construction politique clairement identifiée. Il faudra donc approfondir l'idée d'un partenariat renforcé, intermédiaire entre l'association et l'adhésion, qui offre une structure de dialogue et de coopération à cette catégorie de candidats -je pense notamment aux pays de la rive sud de la Méditerranée.

Troisième question, celle des compétences : qui fait quoi dans l'Union ?

C'est l'une des préoccupations exprimées dans la déclaration de Nice. Chacun reconnaît la nécessité de définir le plus simplement et le plus clairement possible quelles sont les compétences d'attribution de l'Union, les compétences de droit commun des Etats-membres et les compétences partagées.

On soutient parfois que l'exercice est difficile, voire impossible, et qu'on ne trouve aucune référence probante dans le droit positif des Etats fédéraux. Voire. Mais pour en finir avec le discours confus sur la subsidiarité et donner corps à ce principe essentiel, il faut tenter l'expérience. Des travaux préparatoires ont déjà été réalisés, notamment par l'Institut de Florence. Il faut les approfondir et accompagner la liste des compétences, d'une nouvelle définition de la hiérarchie des normes et surtout d'un mécanisme effectif du contrôle de la subsidiarité qui ne doit pas revenir exclusivement à la Cour de justice, dont on connaît les dérives depuis des années.

Quatrième question enfin, celle de la démocratie : comment rendre les institutions européennes plus démocratiques ? Chacun s'accorde à reconnaître que l'Union souffre d'un déficit démocratique. Pour y remédier, je propose de respecter le principe fondamental qu'est, en démocratie, la séparation des pouvoirs pourtant inconnue dans l'Union et de rechercher une plus grande proximité entre l'Union et ses concitoyens.

Traité après traité, nous avons bâti une sorte de monstre institutionnel où le Conseil des ministres est à la fois gouvernement et Parlement ; le Conseil européen n'a pas de statut « constitutionnel » ; la Commission est un organisme sui generis ; le Parlement européen a mis du temps à conquérir un pouvoir de co-décision, qui reste en lui-même une singularité juridique.

Le moment est venu de remettre à plat le système. Pour m'en tenir au niveau exécutif et au niveau législatif, j'esquisserai ici quelques propositions qui n'engagent que moi.

Du côté du législatif, on pourrait envisager deux chambres : le Parlement européen actuel, et une chambre des Etats constituée de membres des parlements nationaux...

M. Jean-Claude Lefort - Il existe déjà la COSAC.

M. Alain Juppé - Ce n'est pas du tout son rôle.

Ces deux chambres présenteraient le grand avantage de rétablir un lien entre les parlements nationaux, à forte légitimité démocratique, et les organes de l'Union. La chambre des Etats jouerait un rôle majeur dans le contrôle du respect de la subsidiarité ; elle rassurerait les « petits pays » sur leur avenir puisque chaque Etat-membre pourrait y être représenté sur une base de stricte égalité, comme c'est le cas au Sénat des Etats-Unis d'Amérique.

Du côté de l'exécutif, deux organes pourraient être institutionnalisés. D'une part, le Conseil européen, dont la présidence devrait être plus pérenne -je partage l'avis de M. Madelin sur ce point-, et qui serait chargé de fixer, de par sa légitimité intergouvernementale, les orientations de politique générale de l'Union et qui devrait pouvoir se réunir dans chacun des Etats membres, et non pas seulement à Bruxelles, je suis d'accord avec M. Vauzelle sur ce point. D'autre part, le Gouvernement, doté d'un chef nommé par le Conseil européen, constitué de ministres collectivement responsables devant le Parlement européen qui pourrait le renverser au risque d'être lui-même dissous par le Conseil européen ; le Gouvernement serait chargé de mettre en _uvre les politiques de l'Union dans ses domaines de compétences.

Cette nouvelle architecture, qui pourrait être inscrite dans une « Constitution », concrétiserait l'idée paradoxale mais stimulante de la « fédération d'Etats-nations » évoquée par plusieurs personnalités, dont le Président de la République. Les Etats nations se retrouveraient, si je puis dire, au Conseil européen et à la chambre des Etats, la fédération au Gouvernement et au Parlement européen.

Un mot, pour terminer, de la participation des citoyens à la vie de l'Union qui, au bout du compte, constitue le véritable enjeu de la démocratisation que nous souhaitons tous. On peut imaginer un nouveau mode d'élection rapprochant les députés européens de leurs mandants, par exemple dans le cadre de nouvelles circonscriptions ou bien des formules de référendum d'initiative populaire ou de droit de pétition. Mais l'essentiel, c'est que l'Europe parle plus directement au c_ur de ses citoyens. On m'objectera que c'est mal parti : la prochaine grande étape européenne, ce sera le passage à l'euro que certains présentent comme la réforme technocratique par excellence...

M. Jacques Myard - En effet !

M. Alain Juppé - ...Je n'en suis pas si sûr. D'abord parce qu'il n'y a rien de plus concret et de plus quotidien que l'usage des billets et des pièces. Ensuite ne sous-estimons pas la part d'affectivité qu'on peut mettre dans la monnaie, symbole d'appartenance à une communauté, lien d'histoire et de mémoire.

C'est pourquoi le début de l'an prochain doit être le moment de parler de l'Europe aux Européens donc aux Français non comme en parlent les rapports de la banque centrale européenne ou les communiqués de l'euro groupe, mais tout simplement avec le c_ur.

Parce que l'Europe, c'est la paix. Aujourd'hui à 15. Mais demain aussi, si nous le voulons vraiment, dans les Balkans et sur l'ensemble de notre continent.

Parce que l'Europe, dans un monde concurrentiel, c'est le moyen de mieux défendre nos valeurs et nos intérêts.

Parce que l'Europe, c'est la chance de trouver une nouvelle harmonie entre l'appartenance à une Union puissante, et le respect de la diversité des Etats-nations. Parmi les milles aspects de cette diversité, celui de la langue qui est d'une grande actualité.

Je comprends l'attachement de beaucoup de nos concitoyens à leur langue régionale et je me réjouis qu'on en facilite la pratique. Qu'on me permette de dire mon attachement à la langue française où je trouve mes racines.

J'ai relu ce que le Président de la République déclarait dans le beau discours prononcé le 5 février 1999 à Porto : « La langue, c'est l'incarnation même de nos identités. C'est autour d'elles que se sont si souvent constituées nos nations. La langue, c'est le ciment de nos peuples. Elle a porté dans l'Histoire les revendications d'indépendance et de liberté. Elle exprime les valeurs humanistes dans lesquelles nous nous reconnaissons. Nous devons l'affirmer, et d'abord chez nous, au sein de l'Europe et de ses institutions. Nous voulons une Europe qui parle d'une seule et même voix mais dans toutes ses langues, de toutes ses âmes ».

C'est aussi pour marquer son adhésion à cette vision généreuse de la construction européenne, si ardemment défendue par le Président de la République, que le groupe RPR répondra oui à la question posée aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne - Très bien !

M. Robert Hue - Depuis un an qu'est relancé le débat sur l'avenir de la construction européenne, une question revient en permanence : quelle finalité pour l'Europe ? A cette question, les projets développés depuis lors apportent des réponses uniquement institutionnelles. Si stimulantes soient-elles pour la réflexion, aucune ne peut en elle-même tenir lieu de finalité à l'Europe. Faut-il aller vers une fédération ? Une Constitution ? Une double chambre voire un président européen ? Commençons donc par clarifier ce que nous voulons construire ensemble plutôt que de nous diviser à coups de meccanos sur la façon d'y parvenir.

Le débat sur le sens à donner à l'Europe reste pour l'essentiel à mener. Nous en ressentons l'impérieux besoin. Dans un monde en plein bouleversement, la définition claire de l'ambition européenne représente l'une des principales priorités politiques. Cette définition devra émerger d'une discussion très ouverte impliquant largement les citoyens européens.

C'est dans cet esprit que j'ai pris connaissance du discours du Premier ministre sur l'avenir de l'Europe. Je reprends volontiers à mon compte la démarche qu'il a retenue. L'Europe doit affirmer un projet de société : elle doit peser sur le cours du monde. Aussi l'Europe politique a-t-elle besoin de réformes profondes. Si je partage nombre des principes ainsi affichés, je dois constater que la politique actuelle de l'Union européenne ne s'en inspire pas vraiment. La France tente d'en infléchir certains aspects, mais l'action de notre pays pour « réorienter la construction européenne », comme l'ont déclaré en commun le Parti socialiste et le Parti communiste le 29 avril 1997, gagnerait à être beaucoup plus offensive, en prenant appui sur l'exigence de changements qui monte de notre société.

Ainsi le Premier ministre préconise un gouvernement économique. Mais quels moyens comptez-vous utiliser pour donner corps à cette idée intéressante ? Envisagez-vous une révision des missions et des pouvoirs de la Banque centrale européenne, dont les statuts actuels en font dans le monde la banque centrale la plus libérale et la plus affranchie de tout contrôle public et parlementaire réel ? Envisagez-vous la limitation des pouvoirs discrétionnaires de la Commission en matière de politique de la concurrence ? Envisagez-vous la remise en cause, au moins partielle, des contraintes du « pacte de stabilité budgétaire », instrument de rationnement des dépenses publiques et sociales, au nom duquel le budget de la France a valu en janvier à notre pays des remontrances des autorités bruxelloises, notamment en raison d'une augmentation des dépenses de santé ? Envisagez-vous l'attribution de réels pouvoirs d'intervention aux acteurs sociaux, aux citoyens ?

A défaut d'une mobilisation de tous les partisans de telles réformes, comment conquérir un véritable espace politique pour « l'euro-groupe » qui ne se réduise pas à l'accompagnement des injonctions de M. Duisemberg ou aux « recommandations » de M. Prodi ? A quelques mois du choc de l'euro, chacun mesure la portée politique de cet enjeu !

La même remarque vaut pour la « solidarité sociale » souhaitée par le Premier ministre. Quelle lecture fait-il de deux Conseils européens consacrés aux questions sociales, celui de Lisbonne, en mars 2000 et celui de Stockholm, voilà deux mois ? Le premier avait affiché des objectifs disparus depuis longtemps comme le plein-emploi. Mais, dans le même temps, à l'opposé de l'exigence de « services publics forts et efficaces » formulée par Lionel Jospin, les conclusions du sommet de Lisbonne invitaient la Commission à « accélérer la libéralisation des services publics ».

Le sommet de Stockholm a non seulement accentué la pression dans le sens de la libéralisation mais entrepris le « détricotage » des ambitions sociales affichées un an auparavant. Quelle action est envisagée au nom de la France pour rendre crédible la perspective d'une Europe sociale, quelle action visible, publique, dans le prolongement des mouvements sociaux ? Ma question n'a rien d'abstrait : en ce moment, M. Bolkestein, le très libéral commissaire européen, s'appuie sur cette « feuille de route » pour justifier une nouvelle attaque en règle contre les services postaux, la SNCF, EDF et Gaz de France.

Les dispositions adoptées à Nice, si elles laissent aux Etats la liberté de « définir des services d'intérêt économique général », confient à la seule Commission la responsabilité de veiller à ce que ces missions ne violent pas les sacro-saintes « règles de la concurrence ». Je plaide en faveur d'un gel du processus de libéralisation, afin d'évaluer les conséquences économiques et sociales des mesures déjà engagées, et d'ouvrir ainsi la porte à des réorientations de la politique européenne.

Ma remarque vaudrait aussi pour l'exigence de nouveaux droits des salariés dans les entreprises face à la vague de restructurations. Plusieurs directives sont en préparation, dont l'une, portant sur « l'information et la consultation des travailleurs » était bloquée au Conseil des ministres par plusieurs pays. Il semble qu'elle puisse être adoptée le 11 juin prochain et qu'elle comporte des sanctions à l'encontre des entreprises qui refuseraient de l'appliquer. Mais au-delà se posent au niveau européen les mêmes exigences que celles dont notre Assemblée est saisie pour la France. Quelle attitude pensez-vous adopter à cet égard ?

Enfin, dans quel domaine la France compte-t-elle agir pour modifier la politique extérieure de l'Union, en particulier les relations de l'Europe avec le Sud ? « Il faut, affirmez-vous, que l'Europe accentue son effort de solidarité vers les pays en développement ». Que pensez-vous alors, du projet de l'Union européenne d'aller vers l'instauration de zones de libre-échange entre nos pays hautement développés et les économies si fragiles des pays africains, contraints de consacrer quatre fois plus de ressources au service de la dette qu'aux dépenses d'éducation ?

M. Jean-Claude Lefort - C'est vrai !

M. Robert Hue - Si cette nouvelle orientation permet de mettre l'Union européenne en conformité avec les règles intransigeantes de l'OMC, je doute qu'elle renforce l'effort de solidarité de l'Europe envers ces pays ! En outre, toute ambition européenne en matière de développement passe par un renversement complet de la tendance à la baisse de l'aide publique au développement qui caractérise 11 pays de l'Union sur 15, parmi lesquels la France, même si le volume de son aide est supérieur à celui d'une majorité de ses partenaires. Pourquoi ne pas songer à une taxation du type Tobin des mouvements de capitaux spéculatifs ?

Mme Yvette Roudy - Pourquoi pas ?

M. Robert Hue - Comme le Premier ministre, je pense que l'Europe, bien plus qu'un marché, doit être un modèle de société et une vision du monde.

C'est ce qu'était venue dire l'impressionnante marée humaine qui, de toute l'Europe, avait convergé vers Nice à la veille du Sommet. Loin de répondre à cette attente, l'image hyper médiatisée de ce Conseil européen aura été celle d'une déplorable bataille au sommet pour le partage du pouvoir entre les Etats.

Certes, la négociation d'un traité exclusivement axé sur les institutions est une tâche ingrate. Mais jamais l'absence de projet solidaire n'avait été aussi visible ; le jeu des rapports de force aussi crûment exposé.

Les quinze Etats portent leur part de responsabilité dans ce mauvais service rendu à l'idée européenne. D'abord, ils s'étaient mis d'accord sur un ordre du jour particulièrement restreint en matière de réformes institutionnelles, portant pour l'essentiel sur les questions qui n'avaient pu trouver de solution lors de la négociation d'Amsterdam. En revanche, aucune réforme structurelle susceptible de remettre en cause l'orientation libérale consacrée par les traités antérieurs, depuis l'Acte unique européen, n'a donné lieu au moindre échange. Même la très timide charte des droits fondamentaux a suscité de nombreuses controverses interétatiques avant d'être expédiée au Conseil européen.

Dans ces interminables tractations, rares furent les confrontations portant clairement non sur des enjeux de pouvoirs mais sur le sens même de la construction européenne, sur des enjeux politiques susceptibles d'intéresser directement les citoyens.

Tel fut pourtant le cas, et je m'en réjouis, de l'article 133 du Traité, c'est-à-dire de la politique commerciale commune. On se souvient de la vigueur des pressions en faveur de la suppression du droit de veto sur les accords commerciaux touchant des secteurs sensibles, comme l'éducation, la santé, la culture, pour qu'ils soient traités comme de simples biens marchands. Le choix politique était clair et la mobilisation citoyenne a porté ses fruits.

En revanche, faute d'une présentation claire d'un autre grand enjeu, le maintien de l'unanimité sur tous les aspects de la fiscalité, à commencer par la taxation du capital, la Grande-Bretagne a conservé sans coup férir le droit de bloquer toute avancée réelle dans ce domaine.

On le voit, il peut être trompeur de juger en soi l'opportunité d'une réforme institutionnelle, en l'occurrence le passage de l'unanimité à la majorité qualifiée. Si l'on souhaite une Europe libérale, cette réforme est positive pour le commerce des services, négative pour la taxation du capital. Si l'on veut construire une Europe sociale, c'est l'inverse. Malheureusement les choses n'ont pas été présentées ainsi à nos concitoyens, qui y ont -si je puis dire-perdu leur latin...

Mais le plus navrant est sans doute l'accentuation de la hiérarchisation des nations, notamment par l'introduction explicite du facteur démographique, tant dans le système des votes au Conseil des ministres que dans la répartition des sièges au Parlement européen. Nombre d'observateurs y voient le signe préoccupant d'une nouvelle prééminence allemande dans le processus de décision.

Si la parité des voix a pu être maintenue entre l'Allemagne, la France, la Grande Bretagne et l'Italie, en revanche, le fameux « filet démographique » favorise l'Allemagne, désormais forte de ses 80 millions d'habitants. Puisqu'une décision du Conseil, pour être incontestable, doit représenter au moins 62 % de la population totale, le pays le plus peuplé est le plus à même d'en favoriser l'adoption ou le blocage.

On oublie de dire que ce système favorise également les quatre pays les plus peuplés par rapport aux autres pays membres. Et cette dérive est encore plus nette dans la future attribution des sièges au Parlement européen, au point que deux futurs membres, la Hongrie et la République tchèque, se voient allouer moins de sièges que la Belgique et le Portugal, dont la population est comparable. Cette hiérarchisation est malsaine. Nous la contestons, comme l'idée de « noyau dur », sorte de directoire européen auquel le recours aux coopérations renforcées ouvrirait la voie.

Les raisons ne manqueraient donc pas pour justifier notre vote négatif. Mais nous sommes conscients que sa non-ratification offrirait aux adversaires honteux de l'élargissement le prétexte souhaité pour obtenir le report sine die de ce grand projet. Une telle décision susciterait en Europe centrale et orientale une vague de frustrations, de légitime colère, sinon de dangereux nationalismes. Elle ouvrirait la voie à des man_uvres américaines. Ce serait une crise redoutable aux conséquences imprévisibles.

A l'inverse, la réussite de ce processus historique créerait les conditions d'une paix et d'un développement durables dans tout le continent. Elle donnerait à ce grand ensemble européen un poids et une influence sans précédent, en faveur d'une organisation du monde plus équitable et plus équilibrée, émancipée de la tutelle de l'hyper puissance américaine.

Certes, la ratification du Traité de Nice ne garantit en rien la réussite de l'élargissement, les obstacles sont sérieux et les risques réels, en particulier d'une mise en concurrence des peuples. Au moins, si la porte reste ouverte, y aura-t-il place pour des actions fortes, tant au sein des institutions européennes qu'au côté des forces de progrès des pays candidats, en faveur de la réduction des inégalités, du respect de la souveraineté et de la dignité de chaque peuple, de la résorption des tensions. Rien ne doit mettre en péril cette grande ambition. C'est la voie responsable que nous choisissons, en nous abstenant.

Ironie de l'histoire : c'est parmi les plus fervents fédéralistes qu'on compte désormais les partisans les plus passionnés du non. Sans doute faut-il y voir l'ambivalence d'un texte à la fois prolongement des précédents traités et en retrait par rapport à la dynamique fédéraliste.

En outre, si les forces de progrès s'en saisissent et si des pays comme la France ont la volonté politique de s'engager dans un processus de réorientation de la politique européenne, la procédure des coopérations renforcées, adoptée à Nice peut permettre à quelques pays de se libérer du carcan du consensus pour ouvrir ensemble la voie à des projets communs, dans une optique plus sociale, plus démocratique, plus solidaire. Tout dépendra des rapports de force.

Un tel dessein pose avec force la question de l'Europe politique. Un certain type de construction institutionnelle a montré ses limites à Nice. Il ne s'agit ni de nier le rôle éminent des Etats dans l'Union, ni de céder à l'appétit boulimique de pouvoir de la Commission Prodi. Pour notre part, nous sommes attachés à l'idée de souveraineté, conçue comme la liberté de choix et le refus des dominations. Nous sommes résolument solidaires, internationalistes et ouverts aux aspirations, au rapprochement des peuples et à l'abolition des barrières et nous partageons ces idées avec nombre de progressistes sensibles à l'idéal fédéraliste.

Il faut savoir offrir des projets communs et faire émerger des valeurs communes. C'est cet investissement citoyen, et non la fuite en avant vers un pouvoir européen toujours plus centralisé, qui permettra de sortir de l'impasse de la construction européenne actuelle et d'aller vers une véritable Europe politique.

C'est dans cet esprit que nous nous efforcerons d'apporter notre contribution au grand débat engagé sur l'avenir de l'Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. François Sauvadet - Le Traité de Nice n'a pas suscité beaucoup d'enthousiasme car on attendait bien plus de ce rendez-vous européen qui se tenait dix ans après Maastricht, à l'heure de la naissance de l'euro et avec l'élargissement en point de mire.

Notre famille politique, dont l'histoire est intimement liée à la construction européenne, a toujours eu la conviction qu'il ne peut y avoir durablement de monnaie unique et de marché unique sans un vrai gouvernement européen, sans un projet politique. Nous sommes de ceux qui souhaitons ouvrir un débat institutionnel pour parvenir à une Europe politiquement efficace, démocratique, pour parvenir à de nouvelles institutions lisibles pour le citoyen, à une Constitution marquant les responsabilités nationales et européennes.

Mais à Nice, ce sont des tractations entre des intérêts nationaux que nous avons vu triompher, sans qu'avance l'idée européenne. C'est bien pourquoi certains parlent aujourd'hui de pause, voire d'échec dans la construction européenne.

Un tel sentiment était déjà ressenti lors du traité d'Amsterdam, qui avait laissé en suspens la délicate question de la réforme de nos institutions européennes à l'heure de l'élargissement.

L'ordre du jour de la conférence intergouvernementale montrait les limites de la discussion : pondération des voix au sein du conseil, nombre de commissaire par pays, taille de la Commission.

Quel contraste, mes chers collègues, entre le climat qui régnait à Maastricht et celui de Nice, avec un risque de renationalisation de certaines politiques communes !

Quel contraste entre les très fortes attentes de l'opinion, et la réponse apportée !

Quel contraste avec l'esprit qui animait l'Europe à ses débuts, lorsque, dans les années 1950, il fallut tendre la main à nos voisins ! Que soient salués, une nouvelle fois, le courage le Robert Schuman et l'_uvre des pères de l'Europe.

Quel contraste, enfin, entre ces discussions et les heures bouleversantes que nous avons connues avec la chute du mur de Berlin, l'effondrement de l'empire soviétique et la libération des peuples d'Europe centrale et orientale !

Nos peuples sont « en attente d'Europe » : la crise des transporteurs routiers, la nécessité de garantir la sécurité maritime et de prévenir les pollutions marines en Europe, la crise de l'ESB l'ont montré.

Ces sujets ont été l'occasion d'une prise de conscience européenne avec l'idée que, dans chaque pays de l'Union, les préoccupations des peuples se rapprochent. L'euro marquera une étape nouvelle et, bientôt, l'opinion publique demandera des comptes non plus seulement aux pouvoirs nationaux mais aussi aux pouvoirs européens.

Sur toutes ces questions, que retenir du Sommet de Nice ? Que les gouvernements ont tenté de sauver des accords qui ne portent pas sur l'essentiel : l'avènement d'une véritable démocratie politique européenne. A Nice, on a davantage cherché à savoir comment faire que ce que l'on voulait faire. Mais à force d'empilements et de dérives technocratiques, nous en sommes arrivés à une opacité record, et surtout à une dilution des responsabilités qui ne peut satisfaire personne.

Certes, une crise a été évitée et la France n'a pas ménagé ses efforts pour qu'il en soit ainsi. Cependant, le sommet de Nice avait deux enjeux historiques : bâtir une union politique, et donner à ceux qui dirigent cette puissance une légitimité démocratique.

La question qui doit être posée aujourd'hui est celle du périmètre de l'Europe. J'en ajouterai une seconde : l'Europe veut-elle agir sur la scène mondiale, ce qui suppose un nouvel élan ? Nous n'avons pas soutenu la construction européenne pour qu'elle se réduise à un marché unique ; nous avons souhaité une Europe qui sache dire et agir en se distinguant du reste des puissances.

Avons-nous saisi la chance historique qui s'offrait à nous depuis 1989 ? Je ne le crois pas, si bien que, dans sept mois, tous les prix, les salaires, les impôts seront libellés en euro, mais que l'avenir de l'Europe restera nimbé de mystère. Aurons-nous donc l'euro sans l'Europe ?

Nous sommes confrontés au retour de l'esprit national, partout en Europe. Personne n'est hostile aux nations, et surtout pas les pro-européens que nous sommes, mais ce dont je parle va beaucoup plus loin que le constat qu'il existe des peuples différents sur le continent européen. L'esprit national, c'est ce qui nie l'existence d'un intérêt européen commun et qui conçoit l'édification européenne comme un marchandage entre les intérêts nationaux.

Le Traité de Nice pouvait-il se dégager de cet esprit ? Je ne le crois pas tant l'ordre du jour de la conférence intergouvernementale limitait la marge de man_uvre.

Nous engageons aujourd'hui le grand débat sur « l'après-Nice ». Des propositions ont été faites, en Allemagne par le ministre des affaires étrangères et par le Chancelier Schroeder, puis par M. Jospin. Et qu'entendons-nous ? L'expression « fédération d'Etats-nations ». Mais que voulait dire Jacques Delors lorsqu'il inventa ce terme ? Il voulait décrire la réalité. Cette expression ne peut donc définir l'avenir, et les pro-européens ne peuvent s'en satisfaire.

L'Europe doit relever trois défis : la construction d'un espace démocratique ; la gestion politique de l'euro ; l'élargissement aux pays d'Europe centrale. Ce sont des objectifs clairs, et connus depuis longtemps. Rien n'a été dit, pourtant, sur les moyens de les atteindre.

Le Premier ministre n'a présenté aucune vraie perspective dans son discours, et je crains qu'il n'ait commis une erreur en utilisant l'Europe à des fins électoralistes.

Espérons que le débat sur l'après-Nice prendra un autre chemin et que l'on dira clairement ce qui doit l'être, à savoir que l'élargissement demandera un effort budgétaire de même ampleur que lorsque l'Espagne et le Portugal ont intégré la CEE ; qu'aucun partenaire de l'Union ne doit se désolidariser en réclamant la renationalisation de la PAC ou des fonds structurels ; que l'Europe doit préciser le statut juridique de son armée et faire un effort budgétaire pour ses programmes d'armement ; que l'Europe, enfin, si elle veut être cohérente et s'appuyer sur une unité de civilisation doit définir son espace.

En fait, le Traité de Nice clôt une période mais ce qu'il permet n'est pas à la hauteur des défis à venir.

Faut-il le rappeler ? Il y eut une méthode pour construire l'Europe économique et monétaire ; c'est avec cette méthode qu'il faut renouer, c'est-à-dire avec l'audace, le concret et l'aspiration à un idéal. Un tel projet ne peut être porté que par la voix commune de la France et de l'Allemagne. Or, la proposition du chancelier Schroeder et la réaction du Gouvernement français à cette proposition sont apparues contradictoires et discordantes. Cela laisse à penser que l'après-Nice sera un parcours semé d'embûches.

Comme le président Giscard d'Estaing l'a souligné en commission, la question du rôle futur de la Commission et celle de sa nouvelle composition sont de la plus haute importance. Pensez au fonctionnement d'une commission où la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni disposeront de trois commissaires, alors que les nouveaux Etats membres, avec 1,8 % de la population, disposeront, eux, de six commissaires !

J'ajoute que sur les 27 commissaires prévus, quatre seulement seront originaires des grands pays fondateurs historiques de l'Union. Pourrons-nous faire évoluer cela ? J'en doute.

Et les interrogations sont aussi fortes si on se situe sur la ligne de M. Schroeder qui pose la question du poids de la France et des Etats fondateurs.

Et qu'en est-il, encore, des coopérations renforcées ? Permettraient-elles de constituer un noyau fédéral

On nous demande, aujourd'hui, de ratifier un traité incompatible avec les propositions du chancelier Schroeder, propositions qui sont elles-mêmes très éloignées des positions du Premier ministre français ce qui, vous en conviendrez, laisse une large place à l'incertitude et ne clarifie pas la situation.

M. Germain Gengenwin - C'est exact.

M. François Sauvadet - Nous avons, pour ce qui nous concerne, insisté sur deux éléments essentiels : garantir la capacité de fonctionnement de l'Union après son élargissement et renforcer son caractère démocratique. L'extension du système de la majorité qualifiée est un progrès, mais c'est un progrès bien trop timide puisque la fiscalité, à l'heure de l'euro, est exclue de ce nouveau champ.

Il est vrai que les choix du Gouvernement ne peuvent conduire, sur ce chapitre, qu'à l'isolement de la France.

S'agissant de la transparence démocratique, il conviendrait de préciser plus clairement le principe de codécision entre le Parlement européen et le Conseil dans les nouveaux volets ouverts au vote à la majorité qualifiée.

Enfin, en matière de sécurité commune, le Traité de Nice ouvre certes les coopérations renforcées mais il en exclut le domaine militaire.

La question est donc bien : que voulons-nous faire ensemble ? Le groupe UDF a la certitude qu'il n'y aura pas d'Europe sans fondations solides c'est-à-dire sans une véritable Constitution européenne.

On ne peut ni s'accommoder du statu quo institutionnel ni cautionner le retour des intérêts nationaux. Mais parce que nous ne voulons pas mêler nos voix à celles des anti-européens et surtout parce que nous voulons marquer notre volonté d'une Europe plus proche des citoyens, et plus efficace, notre groupe s'abstiendra de voter la ratification de ce Traité. Ce sera la première fois et ce sera un signal fort pour rappeler la nécessité de relancer la construction politique de l'Union (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL).

M. Gérard Charasse - Dans Irma La Douce, il y a une chanson intitulée Avec les anges. Elle se termine par les mots : « parce qu'au fond, les phrases, ça fait tort à l'extase » (Sourires)

Cet alexandrin à dû inspirer les signataires du traité de la cité des anges, traité qui n'a finalement pas su traduire en phrases l'envie d'Europe, de « plus d'Europe », de « mieux d'Europe » exprimée par nos concitoyens.

Après la signature du Traité de Nice vient le temps de sa ratification. Je le dis d'emblée, les radicaux de gauche voteront la ratification de ce traité, parce que, depuis toujours, nous avons soutenu chacune des étapes qui peut faire avancer l'idée européenne, nous avons saisi toutes les occasions pour faire progresser la grande idée de Monnet : l'Europe fédérale.

Toutes les occasions certes, et celle de Nice, peut apparaître comme une occasion manquée. Le compromis obtenu mi-décembre, après un travail acharné du Gouvernement et du Premier ministre, qu'il convient de saluer, s'est, en quelque sorte, révélé être l'ombre des aspirations affichées tant par les membres de l'Union que par la France. Ombre de nos aspirations quant aux moyens institutionnels qui, dans une Europe à 27, seront insuffisants pour dominer les lourdeurs bureaucratiques et politiques de l'Union ; ombre de nos aspirations sur la vision politique de l'Union. Sera-t-elle, oui ou non, plus fédéraliste demain qu'aujourd'hui ? Le Traité de Nice n'a pas permis au débat de progresser réellement ; ombre de nos aspirations sur la majorité qualifiée qui, certes, a été étendue mais si peu -et en tous cas pas aux domaines social et fiscal, instruments politiques s'il en est ; ombre de nos aspirations enfin sur la simplification des procédures, rendues au contraire plus complexes encore.

Mais le mérite du Traité est d'exister. Qu'aurions-nous entendu si la conférence intergouvernementale s'était achevée sans aucun texte ? Surtout, quel signal cet échec aurait-il adressé aux futurs membres de l'Union ?

Le Traité de Nice n'est pas une occasion manquée pour ceux des pays d'Europe qui veulent rejoindre l'Union. Pour cela seulement, il mérite déjà d'être ratifié.

Vous aurez compris que ce Traité restera, pour nous, une étape. Nous le ratifions parce qu'il y aura un après-Nice, avec la conférence inter-gouvernementale de 2004 dans la perspective de laquelle ont été clairement posées la question des compétences et celle des responsabilités de l'Union, de pays et des régions.

Nous devons aujourd'hui, devant ce traité, à moitié « vide » et à moitié « plein », nous demander si nous avons désormais atteint un étiage dans cette forme de négociation et si nous avons, à ce niveau d'intégration, encore la possibilité d'agir sur l'Europe d'une telle manière.

A la première question, je réponds sans hésitation oui : nous avons atteint un seuil dans la négociation et, si nous continuons dans cette voie les conférences qui suivront celle de Nice, resteront des verres à moitié vides, des compromis, des exercices de préservation des intérêts propres de chaque pays au détriment de l'esprit européen.

A la deuxième question, je réponds non : on ne peut plus se contenter de communautariser ou d'harmoniser des politiques. Là aussi, le seuil est atteint, et le Premier ministre ne dit pas autre chose lorsqu'il lie les politiques communes à la communauté de destin. L'histoire ne nous montre d'ailleurs pas d'autre chemin.

A la paix que l'union a fait gagner au vieux continent, ajoutons la paix sociale. Il me semble qu'une fiscalité européenne des entreprises- et non une harmonisation des politiques fiscales- et une charte des droits seraient de bons outils.

Depuis 1997, nous avons fait progresser l'Europe. Nous atteignons aujourd'hui un seuil délicat à franchir, qui requiert la participation des citoyens et un vrai effort pédagogique.

Dans cette tâche, nous avons une chance : la ferveur européenne est toujours vivante. Les Français ne se sentent pas Européens, ils sont désormais Européens.

Cette réalité doit nourrir nos textes institutionnels et, dans ce domaine, les phrases n'ont jamais fait de tort à l'extase (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Blanc - Nice méritait mieux, et le Traité de Nice méritait plus que ce débat escamoté, nullement représentatif de l'importance d'un sujet qui conditionne notre avenir. Dans ce débat, les arguments pour ou contre ne manquent pas : mais on peut se réjouir qu'après Maastricht et Amsterdam, l'obstacle soit enfin franchi, comme on peut déplorer qu'une occasion de faire avancer l'Europe ait été manquée. Mais Robert Schuman ne nous a-t-il pas appris que l'Europe avance à petits pas ?

Je voudrais ici faire entendre une voix qui ne s'est guère manifestée, celle des régions. Pourtant, l'Europe des régions existe, sans qu'on puisse l'opposer à l'Europe des Etats et c'est elle qui pourrait créer une dynamique nouvelle, à même de répondre aux aspirations des Européens. Cessons de craindre une remise en cause des prérogatives de l'Etat : c'est d'un autre siècle. Les régions existent bien dans l'Europe d'aujourd'hui, avec des statuts divers, selon les pays, et c'est un des mérites du Traité de Maastricht, si décrié, d'avoir créé un comité des régions d'Europe, dont on peut regretter qu'il ne soit pas devenu à Nice une institution à part entière. La subsidiarité ne joue pas seulement ente l'Europe et l'Etat, mais aussi à l'intérieur de l'Etat. Les Européens devraient s'élever contre la renationalisation de politiques telles que la politique agricole commune...

M. François Sauvadet - Très bien !

M. Jacques Blanc - ...qui a permis à nos agriculteurs d'aller de l'avant. C'est son insuffisance qui va nous amener à accroître notre dépendance vis-à-vis des Etats-Unis et de l'Amérique du Sud en matière de protéines végétales. Les deux millions d'hectares supplémentaires qu'il nous faudrait cultiver, les régions peuvent les fournir de même qu'elles peuvent s'affirmer comme des partenaires pour les fonds structurels européens, que l'on préfère renationaliser, eux aussi, dans le cadre des plans de développement rural. Les régions ont joué un rôle au moment de l'élargissement de l'Union à l'Espagne, au Portugal, à la Grèce et avec les programmes intégrés méditeranéens. Elles peuvent, sans prétention excessive, contribuer à faire du siècle qui commence, celui de la réussite de l'Europe.

S ans verser dans un enthousiasme débordant, nous voterons pour la ratification du Traité de Nice. Ne pas avoir conclu à Nice eût été grave pour les pays candidats comme pour la jeunesse européenne, qui fonde son espoir dans une vision politique différente. L'Europe aujourd'hui porte un message de culture, de civilisation, d'ouverture sur la Méditerranée. Si elle n'existait pas, de vieux démons ne manqueraient pas de resurgir mais seule une Europe respectueuse de l'identité de ses régions pourra surmonter les défis.

M. François Sauvadet - Remarquable plaidoyer régional !

Mme Yvette Roudy - En dépit de son caractère imparfait, complexe et parfois attrayant, ce traité a d'autres mérites que celui d'exister : il opère les ajustements indispensables à l'élargissement de l'Union, ouvrant ainsi des horizons nouveaux. Le Premier ministre y a apporté une utile contribution, qui me convient.

Nous abordons une ère nouvelle et importante. La chute du mur de Berlin, voici plus de dix ans, a libéré les aspirations à une redistribution des cartes. L'Allemagne l'a vite compris, et le Traité de Nice prend donc acte de l'existence d'une grande Allemagne. L'accueil par étapes des nouveaux Etats est non seulement un défi ; mais aussi un devoir politique et moral pour les Quinze, en même temps -pourquoi ne pas le dire- qu'il préserve leurs intérêts économiques, grâce à l'ouverture des marchés de l'Est.

Nous restons fidèles à l'esprit des pères fondateurs -Jean Monnet, Robert Schuman-, au désir de créer un espace de démocratie et de sécurité. La paix et la démocratie doivent donc habiter nos esprits dans les discussions avec les pays candidats. Or leur expérience démocratique est encore jeune et fragile, même si la plupart d'entre eux peut déjà se familiariser avec nos principes et nos méthodes démocratiques lors des sessions du Conseil de l'Europe. Mais il est capital que nos principes et nos valeurs soient clairement expliqués à ces pays et respectés par eux. Ils doivent faire la preuve de leur capacité à s'ouvrir à nos modes de travail et de dialogue. Je souhaite pour ma part que l'abolition de la peine de mort et une totale liberté d'expression figurent parmi les conditions d'adhésion.

L'Union européenne, parce qu'elle représente un certain modèle social et culturel, constitue un pôle d'équilibre auquel les pays candidats pourront se rattacher. Le Traité de Nice permettra de poursuivre l'élargissement dans une plus grande confiance respective entre les pays candidats et les Etats membres. Ces derniers ont montré en effet qu'ils avaient à c_ur de tenir leurs engagements et de réaliser l'élargissement. Le Traité rend les institutions plus fonctionnelles dans une Union élargie. L'assouplissement des mécanismes de coopération renforcée permettra d'accélérer les négociations avec les pays les plus avancés. Le Traité confirme d'autre part le calendrier de négociations proposé par la Commission. Désormais les pays candidats pourront participer aux discussions sur l'avenir de l'Union. Toutefois les modalités de cette participation ne sont pas établies avec précision : il est primordial qu'elles le soient. Faut-il réellement s'en tenir à la seule lecture intergouvernementale de la construction européenne ? Il semble que tous les européens souhaitent une construction plus transparente, plus lisible, plus ouverte à la société civile.

Les pays candidats savent qu'ils devront reprendre l'acquis communautaire ; c'est une exigence sur laquelle les Etats-membres ne sauraient transiger. L'Union européenne, en s'imposant certaines conditions, mais en instituant une certaine flexibilité grâce à des mesures transitoires, a trouvé un équilibre entre l'élargissement et la nécessité de ne pas s'affaiblir. Mais il importe de circonscrire les domaines dans lesquels peuvent intervenir ces mesures dérogatoires au droit européen. Après d'autres, je regrette que le Traité de Nice n'ait pas prévu l'inscription dans ces textes de la Charte des droits fondamentaux. On peut ainsi s'interroger sur la reprise de l'acquis communautaire dans le domaine social. A l'inverse l'Allemagne et l'Autriche ont demandé à bénéficier de ces mesures transitoires, pour une période de sept ans, en matière de libre circulation des personnes, afin de tenir compte des inquiétudes de leurs populations qui craignent un afflux de travailleurs venant de l'Est. L'Espagne semble avoir levé le veto qu'elle opposait à cette demande. Ces mesures frileuses posent la question d'une Europe à deux vitesses, et je souhaiterais connaître sur ce point la position du Gouvernement. Il me semble que, pas plus que d'une Europe à la carte, il ne saurait être question d'une Europe de première classe et d'une Europe de deuxième classe. L'Europe n'a pas vocation à devenir une technocratie supranationale.

L'élargissement vers les pays qui ont été prisonniers du rideau de fer pendant cinquante ans, ces pays dont les cultures, les histoires, le poids démographique sont différents, et qui trop souvent ont entretenu entre eux des relations de violence -cet élargissement montre que les Quinze ont confiance dans leur capacité d'intégration et d'apaisement. Certes bien des pays candidats espèrent de l'adhésion une réponse à leurs problèmes économiques. Il est important de comprendre cette exigence, sans nous y enfermer. Au-delà de l'économie, le dialogue politique, la formation politique sont une urgente nécessité. C'est avant tout une vision commune de l'Europe qui doit primer : une Europe des peuples, où chacun accepte les différences. Serons-nous capables de dessiner une telle Europe ? Et saurons-nous intervenir, face à la perspective d'un conflit comme ceux des Balkans ? Cela doit faire partie de nos ambitions, et pour cela il faut consolider notre embryon de défense. Mais il s'agit avant tout de réaliser la cohérence du projet européen, en réaffirmant le cadre et la stratégie de la négociation. C'est aujourd'hui une nouvelle étape qui s'ouvre : que la diversité de l'Europe soit sa force et non sa faiblesse ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

Mme Nicole Catala - Comme toujours quand on parle de l'Europe, il faut s'interroger non seulement sur le présent -la ratification du Traité de Nice- mais sur l'avenir : comment voulons-nous façonner l'Europe de demain ?

Quant au présent, je reconnais très volontiers que le Traité de Nice a le mérite de permettre l'élargissement, dont il était un préalable. Mais, au-delà de ce constat, je ne parviens pas à lui donner une pleine adhésion. Si en apparence le Traité ne bouleverse pas la configuration institutionnelle de l'Union, en réalité il modifie au détriment des Etats la répartition des compétences entre ceux-ci et l'Union, au point que je me suis interrogée sur la constitutionnalité de certaines de ses dispositions ; il modifie également l'équilibre entre les Etats, et entre les institutions. Il a donc une portée non négligeable, et suscite chez moi certaines réticences.

Tout d'abord, les Etats voient leurs prérogatives réduites par la substitution, dans vingt-sept domaines, de la majorité qualifiée à l'unanimité. Ces domaines sont certes d'importance inégale, mais certains ont des enjeux économiques ou politiques réels. Je me demande si nous ne portons pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de notre souveraineté en acceptant par exemple que soient tranchées à la majorité qualifiée certaines questions concernant la justice et les affaires intérieures, ou certaines décisions touchant aux problèmes de propriété intellectuelle dans les négociations internationales. Qu'en sera-t-il par exemple de la brevetabilité du vivant ? Sera-t-elle dans le futur soumise à la règle de la majorité qualifiée ? J'aurais souhaité que, comme sur les autres traités, le Conseil constitutionnel fût consulté sur ce texte.

Je regrette par ailleurs la rupture de certains équilibres, et tout d'abord entre les Etats, au profit de l'Allemagne. Celle-ci voit sa prépondérance assurée au Parlement européen, puisqu'elle conserve le même nombre de députés alors que France, Grande-Bretagne et Italie ont accepté d'en perdre quinze chacune. L'Allemagne voit également sa prééminence consacrée au Conseil grâce au filet démographique, qui dans un certain nombre de cas lui donnera la clé de la décision. Derrière l'apparence d'un maintien de l'équilibre, le Traité de Nice opère donc une double reconnaissance de la prépondérance allemande.

Mais il modifie aussi l'équilibre des institutions. Il renforce le Parlement, par l'extension de son pouvoir de co-décision. Il ne rendra pas la Commission plus efficace, puisqu'il l'alourdit. Mais elle n'en continue pas moins d'aspirer à devenir un gouvernement européen, perspective qui selon moi doit être exclue : la Commission doit rester un organe technique, et n'a pas vocation à devenir un rouage politique de l'Europe. Le pouvoir politique doit rester aux mains du Conseil, car c'est là que s'exprime le point de vue des Etats, qui est celui qui compte. Mais le fondement du Conseil, malheureusement, deviendra beaucoup plus compliqué, en raison du système décisionnel à trois composantes. Je regrette qu'on n'ait pas retenu simplement la double majorité.

On dira que Nice n'est qu'une étape. Mais la construction européenne est jalonnée d'étapes décisives ; et chaque fois, par la méthode du grignotage, on s'engage un peu plus dans une direction que je ne crois pas bonne. L'Europe ne doit pas être conçue selon un schéma pyramidal, où les décisions tomberaient du sommet vers les niveaux inférieurs.

Elle est déjà autre chose qu'une fédération. Elle doit être pensée sous forme de cercles concentriques, avec des structures différenciées. Il faut concevoir des institutions différentes selon les questions traitées.

L'attachement des Allemands notamment à l'unicité des institutions est une fausse bonne idée. Il faut des institutions flexibles, différenciées. C'est ainsi que nous conserverons aux Etats-nations la souplesse dont ils ont besoin pour préserver leur identité.

Je pense qu'il faudra récrire entièrement les traités européens, en les simplifiant et en les rendant compréhensibles, ce qu'ils ne sont plus. Il faudra répartir clairement les compétences entre les Etats et l'Union, sans craindre de remettre en cause le passé : il ne servirait à rien de faire ce travail gigantesque si l'on présupposait que l'acquis est intangible. Il faut un pacte fondateur, que je crois erroné d'appeler Constitution. On peut imaginer de l'appeler pacte institutionnel, ou charge institutionnelle -voire, du terme qu'emploie abusivement la Cour de justice, charte constitutionnelle, mais je n'y suis pas favorable. Il y a en effet un lien étroit et nécessaire entre le concept de Constitution et celui d'Etat. La Constitution est le socle d'un Etat, le texte par lequel un peuple décide de sa propre organisation politique sur son propre sol. Il n'existe pas de peuple européen et il n'en existera pas de si tôt. C'est pourquoi l'Europe n'est pas près d'avoir « la compétence de sa compétence ». Elle n'a pas vocation à devenir un Etat. C'est pourquoi il nous faut la penser différemment que nous l'avons fait jusqu'à présent et la doter des structures souples qui seules peuvent lui garantir la durée (Applaudissements sur divers bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

Mme Marie-Hélène Aubert - Fallait-il à tout prix conclure la conférence intergouvernementale sous présidence française, en décembre dernier, à Nice ? On peut en douter au vu des résultats plus que décevants de cette négociation à l'arraché, où faute de vision européenne, se sont affrontés au grand jour tous les égoïsmes nationaux. On peut se demander si la France a bien fait de jouer à cette occasion la carte de la médiation, cachant sous une modestie inhabituelle un manque de projet européen clairement défini, au lieu de se faire force dynamique de proposition, quitte à repousser à plus tard les conclusions du débat indispensable sur les finalités de l'Union européenne et son approfondissement à la veille de son élargissement. En fait, ce débat n'a pas encore eu lieu.

Le Traité de Nice est un mauvais traité, voire un danger pour l'Europe que nous voulons bâtir pour nos enfants, démocratique, fédérale, plaçant au c_ur de son projet le bien-être des citoyens avec le renforcement des libertés fondamentales, un certain modèle social, et un développement soutenable sur le plan écologique. En effet, la dissolution de la responsabilité politique, la complexification de la prise de décision, la renationalisation latente des politiques de l'Union sont autant de menaces qui pèsent sur la construction européenne.

Le triangle institutionnel Conseil-Commission-Parlement est gravement déséquilibré au profit du premier. La Commission européenne devient un simple secrétariat du Conseil, alors que les compétences du Parlement, pourtant voix des citoyens, ne sont pas élargies et ce pour la première fois dans un traité européen. Le Conseil, institution hybride mi-législative, mi-exécutive, renforce son hégémonie tout en rendant encore plus complexe la prise de décision en son sein, avec l'institution d'une triple majorité qui rajoute quelques tuyauteries à une usine à gaz, au fonctionnement déjà incompréhensible.

Tout aussi grave, l'unanimité reste la règle pour des sujets aussi fondamentaux que le développement régional, la politique agricole commune, l'harmonisation fiscale, la fiscalité de l'environnement, la politique sociale, la culture, le droit d'asile et l'immigration... Unanimité signifie là immobilisme. Nos concitoyens attendent pourtant des réformes et des progrès majeurs dans tous ces domaines.

Même la Charte des droits fondamentaux de l'Union, qui avait suscité tant d'espoir, reste aujourd'hui incomplète et juridiquement sans valeur.

La question de l'élargissement, si souvent invoquée pour justifier ce traité médiocre, ne peut servir d'alibi : encore moins que les traités précédents, Nice n'a dessiné de cadre institutionnel satisfaisant pour les pays candidats. Si l'élargissement à l'Est et au Sud est l'horizon naturel de l'Europe à court terme, nous nous devons offrir aux futurs membres de l'Union un cadre institutionnel rénové, démocratisé, allant au-delà d'une simple libéralisation des marchés dont ces pays seraient d'ailleurs les premières victimes en l'état actuel des choses.

Vous l'aurez compris, les députés Verts voteront contre la ratification du Traité de Nice, sans état d'âme ni dramatisation excessive. L'urgence est pour nous de dépasser ce traité en se fondant sur l'un de ses rares points positifs, à savoir l'annexe 4, devenue déclaration 23, laquelle permet d'ouvrir un large débat sur le devenir de l'Union. La Constitution européenne que nous appelons de nos v_ux ne naîtra pas spontanément d'une démarche des Etats, trop arc-boutés sur la préservation de leurs intérêts nationaux à court terme. Seule une pression extérieure organisée par les parlementaires pro-européens et la société civile permettra de faire avancer ce projet. D'ici le sommet européen de Laeken en décembre prochain, qui sera consacré aux finalités de l'Union, un large débat public doit s'ouvrir, associant tous les acteurs de la société civile, les élus et les citoyens dans tous les Etats membres. D'heureuses initiatives ont déjà été prises, notamment par notre Assemblée et les institutions de l'Union par le biais d'Internet. En revanche, confier ce débat aux préfets de région pour atteindre les échelons locaux ne nous paraît pas une excellente idée, on risque d'assister à quelques « grand-messes », dont les services de l'Etat ont trop souvent le secret...

La deuxième étape, comme le demande le Parlement européen qui a adopté une résolution à cet effet jeudi dernier, devrait être la mise en place d'une convention à l'image de celle qui a élaboré la Charte des droits fondamentaux, formule également proposée par Lionel Jospin, et la convocation par le Conseil, dès janvier 2002, d'une Conférence institutionnelle regroupant des parlementaires européens, nationaux et régionaux. Cette assemblée serait chargée de rédiger un projet de Constitution pour la fin 2003, que les Etats membres examineraient en 2004, lors de la CIG prévue par le Traité de Nice. Enfin, cette constitution européenne serait soumise au référendum dans les quinze pays de l'Union ainsi que dans les pays candidats à l'adhésion.

La gageure sera double : rationaliser l'acquis communautaire aujourd'hui dispersé en de multiples traités abscons, et jeter les bases d'une véritable démocratie européenne. L'architecture institutionnelle de l'Union devrait reposer sur deux assemblées distinctes. L'une, le Parlement européen, représenterait l'union des peuples d'Europe. Il serait élu sur des listes transnationales, par circonscription unique, et permettrait ainsi l'émergence de partis politiques et d'une société civile européens. Une seconde chambre, sorte de sénat européen, représenterait la diversité des territoires de l'Union. Le Conseil européen, le comité des régions et la COSAC se fondraient dans cette nouvelle assemblée qui serait élue sur la base de grandes circonscriptions régionales, six ou sept pour la France. Le pouvoir exécutif serait entièrement exercé par un Gouvernement de l'Union issu de la majorité du Parlement européen. La Cour de justice verrait ses pouvoirs considérablement renforcés, notamment par l'élargissement de la saisine aux citoyens et au Parlement européen.

Une Cour constitutionnelle veillerait au respect de l'équilibre de l'ensemble.

M. François Loncle, président de la commission des affaires étrangères - Ce serait du joli !

Mme Marie-Hélène Aubert - Ce ne serait pas pire qu'aujourd'hui !

M. Pierre Lellouche - L'imagination des Verts est infinie.

Mme Marie-Hélène Aubert - Si plusieurs partis politiques peuvent partager l'objectif d'engager un processus constitutionnel, il est certain que les clivages renaîtront quand il s'agira de lui donner un contenu. Du projet de constitution de Spinelli en 1984 aux contours de l'Europe que souhaitent les écologistes, en passant par les velléités constitutionnelles strictement néo-libérales d'une partie de la droite, il y a en effet matière à discuter !

Par ailleurs, la volonté de parvenir à une Europe politique forte, dotée d'une Constitution, est indissociable de celle de réorienter la mondialisation libérale, qui aggrave les inégalités sociales et dilapide les ressources ainsi que le patrimoine naturels. Non, le commerce et l'argent ne résument pas l'activité humaine, pas plus que la production et la consommation de biens matériels, et l'insatiable désir qu'ils entretiennent ne suffisent pas à remplir une vie et à lui donner un sens. Le fameux modèle européen n'apparaît guère différent du modèle américain (Protestations sur les bancs de la commission) qu'il cherche à concurrencer sur son propre terrain, au lieu de chercher des voies nouvelles pour concilier économie et écologie, liberté individuelle et intérêt général, pour promouvoir autrement la démocratie et la solidarité.

Ce sont les mobilisations de la société civile, des associations, des syndicats, de certains médias, qui ont permis par exemple de mettre un frein au développement incontrôlé des biotechnologies, à la commercialisation du vivant ou à la mise à mal de la protection sociale et du droit du travail. Et non des ministres ou des technocrates, souvent plus soucieux d'assurer la sacro-sainte compétitivité de leur pays à n'importe quel prix que d'améliorer le bien-être de leurs concitoyens. Ainsi les atermoiements de nos représentants pour réformer la politique agricole commune dont les effets pervers et les dangers sont maintenant reconnus de tous, sont censés préserver les intérêts de la France mais font peu de cas des intérêts des Français, producteurs ou consommateurs.

Quelle Europe voulons-nous au XXIe siècle ? Une zone de libre-échange mâtinée de quelques coopérations sectorielles ou une véritable construction politique mettant au c_ur de son projet le progrès humain autour des valeurs de démocratie, de solidarité, d'écologie, bref du développement durable ? En 2002, coïncideront le dixième anniversaire de la Conférence de Rio, qui posait les fondements d'un nouveau mode de développement, et l'introduction de l'euro dans notre vie quotidienne. Puisse cette convergence permettre à la construction européenne de faire le saut qualitatif dont elle a impérativement besoin, pour ne pas anéantir l'espoir des citoyens européens, qui reste fort, et ne pas s'épuiser dans des querelles byzantines !

Parce qu'ils ont toujours été ambitieux pour l'Union européenne, seule à même de résoudre à l'échelon pertinent les problèmes qu'ils ont soulevés, les Verts refusent de la voir s'enliser dans de médiocres et illisibles traités.

Après nos hésitations sur Maastricht, que nous avions voté, soucieux d'encourager la construction européenne comme de condamner son orientation néo-libérale, et nos moues dépitées sur Amsterdam, nous disons cette fois « ça suffit ».

La spéculation boursière, le manque d'emplois décents et son cortège de licenciements, l'aggravation des inégalités sociales, l'effet de serre, les pollutions, la montée de la criminalité organisée, le maintien de la paix aux franges de l'Europe dans les Balkans mais aussi en Russie, l'espoir et l'impatience des pays candidats, appellent des réponses politiques fortes et urgentes de la part de l'Union européenne. Les Verts sont prêts à relever ces défis, avec tous ceux qui dans cet hémicycle sont résolument européens, en espérant que les ratures ou les ratages de Nice seront vite effacés et dépassés.

M. Pierre Lellouche - Entre les cris d'orfraie des derniers Mohicans du souverainisme -de droite ou de gauche puisque pour la circonstance le même rejet de l'Europe les réunit- et le ch_ur des vierges effarouchées, orphelines du fédéralisme, lequel est pourtant tombé en désuétude, et depuis cinquante ans, le Traité de Nice est, comme il était prévisible, critiqué aux deux extrémités de l'échiquier politique.

Le Gouvernement lui-même cache mal sa morosité, lui qui pourtant l'a négocié aux côtés du Président de la République. Monsieur Moscovici, vous-même vous êtes défendu hier matin à la radio d'être un « eurolâtre », ce que d'ailleurs personne ne vous demande. Quant aux propositions du Premier ministre, annoncées en grande fanfare ces derniers jours, elles sont tombées à plat en France et dans l'Europe entière.

M. Michel Vauzelle, rapporteur de la commission des affaires étrangères - Pas du tout !

M. Pierre Lellouche - Voilà le contexte politique, peu enthousiaste, de cette ratification.

L'intérêt national nous commande pourtant de ratifier le Traité de Nice, et ce pour trois raisons essentielles.

La première est que, quoi qu'en disent ses détracteurs, il marque une étape supplémentaire dans le long chemin de la construction européenne. Ce traité, négocié à quinze, destiné à être ratifié par quinze pays, ne pouvait résulter que d'un compromis, lequel par définition ne peut nous donner entière satisfaction. Mais telle est la règle du jeu : l'Europe se construit à quinze et pas sur les rives de la Seine. Imagine-t-on ce qu'auraient été les conséquences d'un échec à Nice pour la crédibilité même de l'Union, alors même que des tâches urgentes l'attendent en matière de défense et de monnaie communes et qu'une douzaine de nations se pressent à ses portes ?

En second lieu, Nice est la condition de l'élargissement, et l'élargissement est la condition de la stabilité et de la paix sur notre continent. Douze ans nous séparent de la chute du mur de Berlin. Nos voisins européens de l'Est attendent depuis lors de nous rejoindre. Allons-nous décevoir ces espoirs, parce que de CIG en CIG les membres du club se montreraient incapables de réviser leur règlement intérieur ?

Enfin, Nice marque un tournant capital dans la construction d'une politique étrangère et de sécurité commune. Après dix ans de guerre dans les Balkans et 250 000 morts, alors que nos soldats sont toujours engagés en Bosnie et au Kosovo, que se poursuit le conflit tchétchène, qu'une terrible guerre israélo-palestinienne s'installe, que s'affirme la menace de la prolifération d'armes de destruction massive autour de l'Europe, que face à tout cela n'existe que l'imperium des Etats-Unis, il était grand temps que l'Europe se dote des premiers instruments de sa sécurité. Le Traité de Nice en donne à l'Europe les moyens institutionnels : poste de représentant pour la PESC, Conseil de défense et de sécurité, état-major militaire. Ne serait-ce que pour cette seule avancée, le Traité doit être ratifié. Beaucoup, ensuite, dépend de son application.

Trois grands défis se profilent devant nous. Le premier est l'élargissement, qui commencera effectivement en 2003-2004. Or rien de vraiment sérieux ne semble envisagé dans les domaines de l'agriculture, des fonds structurels ou de la stabilité politique de certaines régions concernées. Dans une Europe à 27, les écarts de richesses se creuseront. 100 millions de nouveaux citoyens européens auront un niveau de vie situé entre 40 % et 80 % de la moyenne des 27. Comment combler ce fossé quand l'effort financier est prévu pour demeurer à 0, 45 % du PIB communautaire ? A cette Europe la Pologne ajoutera 8 millions d'agriculteurs, c'est-à-dire davantage que le nombre total actuel de l'Union européenne. Comment gérer cette immense transition post-rurale alors que la PAC semble menacée ?

Le second défi porte sur la défense commune. Nice a créé les institutions nécessaires. Mais les guerres ne se gagnent pas en alignant les comités ou les Etats-majors, mais des divisions, des systèmes d'armes interchangeables en nombre et en qualité suffisants. Nous en sommes loin. Alors que les Etats-Unis consacrent chaque année plus de 300 milliards de dollars pour leur défense, l'Europe des 15 n'y consacre que 40 % de ce total, et ne peut engager que 10 % des forces déployables par les Etats-Unis. Ainsi on apprenait ce week-end, en marge du salon du Bourget, que le constructeur EADS est conduit à réunir un consortium de banques privées pour financer l'achat à crédit par l'Allemagne de sa quote-part de 75 avions logistiques Airbus A300M, le budget allemand de la défense ne pouvant financer l'achat de ces appareils. L'argent est vraiment le nerf de la guerre et de la crédibilité de l'entreprise européenne. Ne nous étonnons pas si les Américains ont tendance à ricaner face à cet embryon laborieux de défense commune. J'attends du Gouvernement, à l'occasion de la prochaine loi de programmation militaire, qu'il engage des crédits importants pour notre défense, dont il serait regrettable qu'elle soit à nouveau sacrifiée à d'autres priorités.

Le troisième défi, dont personne, comme l'a souligné Alain Juppé, ne paraît vouloir sérieusement se soucier, est celui des finalités de l'Union. Le cardinal de Retz disait « qu'il est des matières sur lesquelles il est constant que le monde veut être trompé ». Mais combien de temps encore pourrons-nous tromper notre monde, c'est-à-dire les peuples européens, en faisant l'impasse sur la définition même de ce que nous essayons de construire, et avec qui. Le silence français est d'autant plus grave que d'autres, comme les Allemands ont leur idée sur la question, prônant en l'occurrence un système fédéraliste et qu'ils se donnent les moyens de le réaliser en obtenant à Nice la maîtrise totale du Parlement européen.

Si M. Jospin a fait sien un slogan du RPR qui remonte à 22 ans, « faire l'Europe sans défaire la France », et s'il se rallie aussi à l'idée d'un Président de la République d'une fédération d'Etats-nations, encore faut-il que cette notion soit précisée concrètement. Plus que jamais l'idée d'un groupe des sages chargé d'avancer sur une nécessaire constitution européenne, ou plutôt une Charte, pour ne pas contrarier Mme Catala, paraît s'imposer. Qu'attendons-nous pour la mettre en _uvre ?

Voilà qui compléterait utilement l'étape importante du Traité de Nice, dont nous voterons la ratification.

M. Didier Boulaud - Au sein des vraies fausses avancées du Conseil européen de Nice en matière de service public, soulignons trois éléments importants obtenus par la présidence française, à commencer par la déclaration sur les services d'intérêt économique général, dont on connaît le rôle majeur dans la cohésion sociale et territoriale de l'Union européenne. Je salue particulièrement votre force de conviction, Monsieur le ministre.

Cette déclaration constitue un corps de doctrine sur les services publics qui doit préciser le contenu de l'article 16 du Traité. Elle consacre le principe de liberté, pour chaque Etat membre, de définir les missions d'intérêt général confiées à des services publics, le principe de neutralité de l'opérateur et le principe de proportionnalité qui doit assurer un équilibre entre les services publics et le marché intérieur.

Cette déclaration fera l'objet d'un bilan au cours du dernier Conseil européen de la future présidence belge.

Je salue également l'article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui consacre le principe de l'accès aux services d'intérêt économique général. Rappelons enfin le maintien, dans le Traité de Nice, du vote à l'unanimité en matière de politique commerciale commune pour les accords concernant l'éducation, la culture, l'audiovisuel, les services sociaux et la santé.

Je sais que le Gouvernement a dû faire face à une énorme pression de la part de ses partenaires pour qu'il accepte le vote à la majorité qualifiée sur ces questions, et je salue votre ténacité.

Nous aurions donc pu croire que les services publics en Europe se trouvaient à l'abri de toute tentative subreptice pour les faire disparaître peu à peu au profit de la seule logique libérale. Et pourtant, tel fut récemment le cas avec une proposition du Parlement européen et du Conseil, relatif à l'attribution de contrats de service public dans le domaine des transports de voyageurs. Ce texte, contre lequel s'est vivement élevée la Délégation pour l'Union européenne, bafoue le principe de subsidiarité et porte gravement atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, garantie par l'article 72 de notre Constitution.

L'Union européenne est traversée par des logiques contradictoires. Les tenants d'un libéralisme effréné sont pléthore dans les services de la Commission et dans de nombreux Etats membres. Nous ne sommes pas contre la concurrence. Mais tous les secteurs ne sont pas égaux devant la libéralisation et ses conséquences économiques et sociales. Il en est ainsi des télécommunications, de l'énergie, de la poste...

Le Premier ministre a bien compris ce danger. Dans son discours sur l'avenir de l'Union européenne, il a appelé de ses v_ux la création d'une directive européenne permettant de consolider, sous la responsabilité des Etats, le rôle des services publics en Europe, afin de garantir l'égalité des citoyens, la solidarité et l'intérêt général. Nous défendons en effet des services publics dynamiques, performants, qui s'adaptent aux évolutions du marché et à la demande des consommateurs.

Sur la base de la déclaration adoptée à Nice et de l'engagement politique fort de notre Premier ministre, comment le Gouvernement compte-t-il donner l'impulsion nécessaire pour que ces déclarations s'inscrivent dans les faits ?

Cette impulsion, à déclencher rapidement, doit s'inscrire dans le débat sur l'avenir de l'Union, car le thème des services publics cristallise beaucoup d'éléments qui constituent pour nous, socialistes, notre vision de la société française et son prolongement au niveau européen (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste).

M. Pierre Brana - Le Traité de Nice est là. Notre pays, qui a assuré alors la délicate présidence de l'Union européenne, a ouvert la voie à une autre Europe qui aura encore bien des obstacles à franchir. Mais si l'histoire de la construction européenne n'a jamais été aisée, cette union attire de plus en plus de candidats, et c'est bien ce qui justifie ce traité, préalable à l'élargissement. De décennie en décennie, les partenaires européens ont fait avancer la démocratie et la prospérité. Depuis son origine, l'intégration européenne s'est ancrée dans un attachement commun à la liberté reposant sur les droits de l'homme et l'Etat de droit. Notre pays a toujours été attaché à cette démarche. Sous son impulsion, priorité a été donnée à l'instauration d'un espace qui réponde aux aspirations quotidiennes des citoyens européens. En 1999, le Gouvernement a présenté une importante contribution dans ce sens au Conseil de Tampere.

Tous les Chefs d'Etats et de Gouvernement ont voulu confirmer la création de cet espace de liberté, de sécurité et de justice qui sonne comme la devise de l'Union.

Nos principales priorités en matière d'immigration et de droit d'asile, de lutte contre la criminalité organisée et en faveur d'un espace judiciaire européen se sont traduites concrètement dans les conclusions de ce Conseil. Les jalons posés à Tampere demeureront dans l'histoire. C'est également lors de ce Conseil que s'est imposée l'élaboration d'un projet de Charte des droits fondamentaux, que l'accord de Nice a traité séparément. Pour ma part, je m'attacherai à mesurer une autre partie de l'impact de « Tampere ».

Le Traité de Nice ne traduit pas une vive impulsion, mais je me réjouis que l'esprit de Tempere y ait fait son chemin, j'en veux pour preuve les dernières conclusions des ministres de la justice et de l'intérieur réunis à Bruxelles les 28 et 29 mai.

Que contient donc ce Traité en relation avec la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice ? Dans le cadre de l'extension du champ de la majorité qualifiée au sein du Conseil, il retient la coopération judiciaire civile ayant une incidence transfrontalière, à l'exception du droit de la famille, et les mesures intéressant l'asile et la protection temporaire, sous réserve de l'adoption à l'unanimité de ses règles et principes. S'agissant des conditions de libre circulation des ressortissants des pays tiers et de l'immigration clandestine, à la demande de la France, le vote à l'unanimité ne sera plus requis en mai 2004.

Ces avancées appréciables s'ajoutent aux modifications apportées dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale : procédure plus aisée, suppression du droit de veto, implication plus légère des institutions.

Autre consolidation du Traité : la référence à Eurojust, avec la décision de créer une unité provisoire de coopération judiciaire destinée à améliorer la coopération entre les autorités nationales en matière d'investigations et de poursuites, en particulier dans les affaires de criminalité organisée avec ramifications internationales. Ce prélude à Eurojust jouera un rôle actif dans les enquêtes. Chaque Etat membre y affectera un procureur, un juge ou un officier de police ayant des prérogatives équivalentes.

Ces acquis, qui peuvent paraître modestes, s'inspirent des conclusions de Tempere. La présidence française a donné une impulsion décisive à la construction de l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice en traduisant concrètement certaines recommandations en propositions d'actes communautaires.

Les derniers accords de Bruxelles traduisent un travail de longue haleine en matière de justice et d'affaires intérieures, en particulier en ce qui concerne l'action contre les filières d'immigration clandestine.

Après les drames de Douvres et le naufrage de l'East Sea, il était urgent d'agir. Bien que ces faits soient très graves, les accords sont rendus difficiles par l'hétérogénéité des législations et des pratiques. Les ministres européens de la justice et de l'intérieur ont néanmoins réussi à définir un cadre pénal contre les passeurs d'immigrés clandestins qui risqueront jusqu'à 8 ans d'emprisonnement. Les ministres ont également approuvé un projet de directive relatif aux sanctions contre les transporteurs acheminant des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière.

Un autre projet de directive doit répondre aux problèmes posés par des afflux massifs de réfugiés dans l'Union européenne, comme lors du conflit du Kosovo.

Nous fabriquons ainsi d'innovants instruments juridiques européens. Je regrette toutefois que le Traité de Nice ne soutienne pas suffisamment ces démarches et je note un certain retard dans la mise à jour du tableau qui mesure la mise en place de l'espace judiciaire et de sécurité. J'appelle de mes v_ux un développement plus rapide d'Europol et surtout une coopération plus poussée en matière de justice.

Combattre la criminalité, la fraude transnationales, garantir les droits des victimes, reconnaître mutuellement des décisions judiciaires, harmoniser les droits, autant de défis à relever si nous voulons créer un véritable espace où chacun pourra s'adresser aux tribunaux et aux autorités de tous les Etats membres, comme il le ferait dans son propre pays.

Les délinquants et les criminels ont déjà aboli les frontières, rester à la traîne nous affaiblirait mutuellement. C'est pourquoi j'insiste sur la création d'un parquet européen indépendant. le débat entre coopération avec renforcement du système Europol-Eurojust et intégration avec création de ce parquet n'a pas beaucoup avancé. Ce chantier doit être relancé en tenant compte des progrès réalisés. Cela viendra peut-être de l'intervention de Lionel Jospin sur l'avenir de l'Europe élargie. En effet, le Premier ministre s'est prononcé, non seulement pour la création d'une police criminelle opérationnelle dont Europol serait le noyau mais aussi pour une coopération renforcée entre magistrats avec, à terme, un parquet européen. Je ne pouvais souhaiter meilleur avocat pour l'institution d'un ministère public européen (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Christine Boutin - Le Premier ministre nous a récemment fait part de sa conception de l'Europe et donc de la position de son Gouvernement en ce domaine. Il l'a malheureusement fait de façon peu convaincue et peu convaincante, par un discours d'apparence consensuel qui a laissé tout le monde insatisfait.

Les observateurs auront néanmoins retenu les divergences de vues entre le Chancelier Schroeder et M. Jospin. Fédération ou union d'Etats-nations, telle est la question. La coopération franco-allemande, moteur et fondement de l'Europe est incapable aujourd'hui de s'accorder sur la réponse. Et la cacophonie européenne bat son plein quand des Etats tels que l'Italie entendent rester maîtres de leur destin sur un certain nombre de sujets, sans parler du Royaume-Uni dont l'enthousiasme européen est mesuré, ni des autres pays que l'on n'entend jamais... C'est dans cette ambiance que l'on nous demande aujourd'hui de ratifier le Traité de Nice.

Mais le plus grave est l'absence de toute contrainte de résultat en matière d'agenda social. Les divergences entre pays sont telles que les acteurs réunis à Nice se sont satisfaits d'un article 137 qui précise seulement les « compléments » que la Communauté peut apporter à l'action sociale des Etats membres. Et, bien qu'ait été ajoutée la lutte contre l'exclusion sociale, aucun outil concret, aucun critère de convergence ni aucune sanction ne sont prévus pour arriver à cette fin.

Or, soit l'Europe que nous voulons n'est pas seulement vouée à être un vaste marché économique et elle doit se doter de vrais moyens pour mener une politique sociale commune digne de ce nom, soit chaque Etat membre est libre de régler la question sociale comme bon lui semble et l'on ne comprend plus alors la vocation d'une union qui renonce à l'humain.

Je ne voterai donc pas la ratification du traité de Nice pas plus que je n'ai voté celle des traités de Maastricht, Schengen ou Amsterdam.

J'aurais toutefois pu le faire si, comme je l'avais demandé, un cinquième critère de convergence relatif à la lutte contre la pauvreté et les exclusions avait été intégré à ce traité, comme aux autres accords internationaux européens. Depuis le traité de Maastricht, aucun Etat membre ne peut plus impunément accroître son déficit budgétaire, prendre des mesures qui développeraient l'inflation ou augmenter les taux d'intérêt. En revanche, les gouvernements ne sont en rien contraints de juguler la pauvreté qui frappe pourtant six millions de personnes en France et près de quarante millions en Europe.

Les gouvernements sont tout au plus encouragés à le faire comme l'affirme M. Jospin, en réponse à une lettre que je lui ai adressée. Selon lui, la politique de lutte contre l'exclusion sociale reposera désormais sur une « méthode ouverte de coordination combinant des initiatives nationales et sur une incitation communautaire pour encourager la coopération en ce domaine ». Le flou est total, l'imbroglio institutionnel à son comble !

Ainsi, les gouvernements européens ne décideront pas d'harmoniser leurs politiques et je ne puis donc soutenir leurs initiatives. Je suis favorable à la construction d'une Europe humaine, d'une Europe au service des plus faibles, d'une Europe dont la volonté clairement affichée est de tout faire pour qu'augmente l'espérance de vie, pour que régressent la pauvreté, l'illétrisme, le chômage de longue durée, d'une Europe qui donnerait la primauté non aux marchés financiers et aux contraintes budgétaires mais aux hommes et aux femmes qui la composent.

Décidément, cette Europe est, hélas, bien éloignée de celle que nous proposent les traités de Maastricht, d'Amsterdam et de Nice.

M. Philippe de Villiers - Très bien !

M. le Ministre délégué - Nous voici au terme d'une discussion intéressante, marquée par des interventions de grande qualité, à défaut d'une présence massive...

Je remercie votre rapporteur, le président de votre commission et le président de la délégation pour l'Union européenne, dont je partage nombre des idées. Comme eux, je pense que le Traité de Nice découle de l'ardente obligation de réussir l'élargissement, que la clause démographique ne jouera pas qu'en faveur de l'Allemagne, que la Commission sera trop nombreuse, au moins dans un premier temps, et qu'il ne faut donc pas abandonner l'idée de son plafonnement. Comme eux, encore, je pense qu'une nouvelle répartition des compétences est nécessaire, et donc une nouvelle convention chargée de préparer les discussions de la prochaine CIG.

Je rappelle, une fois encore, que même si, c'est vrai, le Traité a quelques faiblesses en matière institutionnelle, nous n'en avons pas moins réussi là où Amsterdam avait échoué. Il est vrai, aussi, que ce qui touche aux coopérations renforcées n'est pas entièrement satisfaisant, et qu'il faut réfléchir encore à l'articulation des dispositifs proposés. Pour autant, j'aurais tendance à penser, comme le Premier ministre, que décréter une « avant-garde » centrée sur l'euro n'épuiserait pas la question.

A très juste titre, M. Barrau a souligné que c'est parce que nous voulions l'élargissement que nous devions réussir la réforme institutionnelle -c'est bien pourquoi le Traité de Nice vaut beaucoup mieux que ce qui a pu en être dit. L'enjeu était évidemment la répartition des pouvoirs, et il nous faut continuer d'aller de l'avant. A cet égard, je salue les initiatives prises par votre Assemblée et son Président pour engager le débat sur l'avenir.

Vous avez insisté sur l'amélioration, que vous estimez indispensable, du mécanisme de transposition des directives. A cette demande légitime, ma réponse sera positive. Le recours, récent, aux ordonnances, a laissé un goût amer, mais il était exceptionnel, et impératif, vous le savez, puisque la France devait résorber dans les délais très brefs, le retard qu'elle avait pris, sous peine de très lourdes astreintes. Le Gouvernement avait alors pris l'engagement que la procédure de transposition serait perfectionnée, et elle le sera. Un groupe de travail informel va être créé à cette fin, chargé de formuler des propositions permettant au Parlement de mieux suivre les étapes de la transposition, assez loin en amont. Cela suppose que tous les documents lui soient transmis en temps utile, et qu'il propose des délais nécessaires pour transmettre au Gouvernement ses observations éventuelles.

Sur les bancs de l'opposition, M. Madelin a fait, sur le Traité lui-même, des commentaires globalement positifs. Notre conception de l'Europe, en revanche, n'est pas la même, et je maintiens qu'il faut consolider les acquis avant que d'élargir. Du reste, je ne comprends pas comment il entend articuler un « noyau » fortement fédéral avec le reste des pays de l'Union. Il y a là une contradiction que je ne m'explique pas, et je ne comprends pas davantage sa réticence à l'élection du Président de la Commission ; quel paradoxe pour un fédéraliste ! Le Traité de Nice, dont je ne mésestime pas les difficultés d'application, est présenté à la ratification de votre Assemblée avec le souci de renforcer la légitimité démocratique du modèle européen : tel est son objet.

Je suis, bien sûr, d'accord avec MM. Fuchs, Boulaud, Brana, et avec Mme Roudy, et je me félicite de leurs appréciations raisonnables. Comme M. Fuchs, je me réjouis particulièrement de la rédaction de l'article 7 du Traité, qui donne les bases juridiques aux sanctions éventuelles contre un Etat-membre -bases qui ont manqué lorsque l'Union décidé de sanctions à l'encontre de l'Autriche. Désormais, une procédure d'alerte est instituée.

Que M. Boulaud veuille bien s'en convaincre : de réels progrès ont été accomplis dans les domaines qui lui tiennent à c_ur. C'est ainsi que, pour la première fois, une déclaration politique a été faite sur les services d'intérêt général ; d'autre part, je tiens à réaffirmer la détermination du Premier ministre d'avancer dans la voie de la codification des services publics en Europe. Quant à M. Brana, il ne peut que se satisfaire de constater que sa proposition, ancienne, de constituer une espace de justice et de sécurité commun, a trouvé un écho, avec la création d'un parquet européen.

Je me suis senti en phase avec M. Juppé qui, s'exprimant au nom du groupe RPR, a bien voulu convenir que le Traité de Nice concluait une année de grand labeur de la présidence française de l'Union. J'ai noté, comme lui, que les réactions à ce texte étaient beaucoup plus favorables de la part des pays candidats, qui nous auraient, avec raison, reproché un échec dû aux dissonances entre la France et l'Allemagne. Aussi bien ne pouvons-nous pas laisser, en quelque sorte, « le monopole du c_ur » aux Allemands : nous devons témoigner de notre présence aux pays d'Europe centrale et orientale.

Au demeurant, si faillite il y a, elle est largement partagée... mais je veux croire que les mots de l'orateur ont dépassé sa pensée... (Sourires) et qu'il admettra que le travail sérieux de la présidence française de l'Union a porté ses fruits. Pour conclure à ce sujet, je ne pense pas que l'idée de créer une seconde chambre soit judicieuse, non plus que de fondre le Conseil des ministres et la Commission. Mieux vaut, à mon avis, enrichir le triangle : là est la solution. Pour autant, l'intervention de M. Juppé était une intéressante contribution au débat.

M. Hue a, pour sa part, insisté sur la nécessité de réorienter la construction européenne. J'ai noté, à cet égard, bien des positions semblables à celles du Premier ministre, qu'il s'agisse des convergences économiques, de la solidarité sociale -notion qui a nettement progressé à Nice, et qu'il conviendra de renforcer encore, l'idée d'un traité « social » faisant son chemin -ou de l'aide aux pays du sud -aide que l'Union prodigue déjà abondamment.

Certaines critiques adressées au Traité ne sont pas dénuées de fondement. L'opportunité du vote à la majorité qualifiée peut, comme l'a souligné Robert Hue, varier selon les sujets. Il convient cependant de prendre garde, dans l'exemple de l'article 133 -donc des politiques commerciales et de la fiscalité- à la critique de la hiérarchisation des nations. Il était en effet clair à Nice qu'il fallait élargir, et non resserrer, la fourchette du nombre de voix au Conseil. La pondération est admise depuis l'origine et tout à fait démocratique. Elle reflète une réalité que l'on ne peut ignorer, celle de la démographie. Par ailleurs, la coopération renforcée n'ouvre pas vraiment la voie au noyau dur ; elle constitue une manière plus subtile d'y parvenir.

Robert Hue et le groupe communiste proposent, pour encourager une réorientation de la construction européenne, de s'abstenir. Je salue cette attitude responsable.

François Sauvadet a considéré, au nom de l'UDF, que le Traité représentait une nouvelle déception après Maastricht. Si je suis conscient des limites du texte, je ne partage pas son sentiment. Prétendre que les questions réglées à Nice ne sont pas fondamentales est un peu démagogique : pour prendre de bonnes décisions, il faut déjà de bonnes institutions. Vous le savez, ces questions sont délicates, et nombreuses sont les attentes des citoyens. La présidence française s'est donc voulue ambitieuses, et le Premier ministre a lui-même insisté sur la nécessité de parler d'abord du contenu. Vous évoquez un retour au sentiment national, dont il faut bien sûr tenir compte. Le concept de fédération d'Etats-nation prend ici toute sa pertinence, car il est encore trop tôt pour envisager une fédération. Une intégration renforcée ne peut d'ailleurs se concevoir qu'avec davantage de moyens, ce qui passe par une expansion du budget communautaire à laquelle l'Allemagne elle-même n'est pas prête. Ne brûlons pas les étapes ; le Traité de Nice a déjà le mérite de forger de nouveaux instruments.

L'UDF s'abstiendra. Je le regrette, car je pense qu'il faut donner toute sa portée à cette étape. Elle votera comme mes amis communistes, dont je préfère cependant l'attitude.

S'agissant du vote des Radicaux, je dirais à Gérard Charasse que si le Traité ne peut susciter d'extase, il est néanmoins important de le ratifier.

Seuls les Verts s'apprêtent d'ailleurs à voter contre. Je le regrette et en suis un peu surpris : au Parlement européen, les Verts se sont abstenus. Daniel Cohn-Bendit est favorable au Traité et a réagi de manière plutôt positive comme Joschka Fischer, à l'intervention du Premier ministre. Enfin, dire non à Nice, n'est-ce pas d'abord refuser l'élargissement ?

A en croire Marie-Hélène Aubert, il semblerait que les Verts soient les seuls Européens authentiques de cet hémicycle. Je veux bien reconnaître que les forces politiques traditionnelles sont usées, mais je pense qu'avoir raison contre tous les autres est un peu inquiétant et je regrette ce vote si peu conforme à l'enthousiasme européen des Verts.

Au total, le Traité marque bien un progrès : il accroît l'efficacité des décisions, autorise l'élargissement -c'est là son principal mérite- et relance le débat sur les institutions.

Je me réjouis donc que l'Assemblée nationale semble ainsi s'apprêter à autoriser sa ratification (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La séance, suspendue le mercredi 6 juin à 1 heure 35, est reprise à 1 heure 45.

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MOTION D'AJOURNEMENT

M. le Président - J'ai reçu de M. Philippe de Villiers une motion d'ajournement déposée en application de l'article 128, alinéa 2, du Règlement.

M. Philippe de Villiers - J'ai l'honneur de défendre cette motion d'ajournement du débat sur le Traité de Nice, car ce texte affecte les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. Sous couvert de préparer l'élargissement, il donne à l'Union européenne une nouvelle impulsion supranationale, et réoriente la pratique supranationale au point que l'on peut y voir l'amorce d'un nouveau type de fédéralisme.

Or, ce traité important n'a pas encore été suffisamment analysé. En particulier, le Conseil constitutionnel n'a pas été amené à se prononcer sur sa compatibilité avec la Constitution française. Il est essentiel que cette saisine du Conseil ait lieu préalablement à notre débat, faute de quoi nous discuterions dans l'incertitude sur certains points fondamentaux. Je demande donc à l'Assemblée nationale d'envoyer un signal au Président de la République et au Premier ministre, en ajournant ce débat, afin qu'ils saisissent le Conseil constitutionnel, séparément, ou conjointement comme ils l'avaient fait pour le traité d'Amsterdam.

Le Traité de Nice n'a pas encore été sérieusement discuté à ce jour. Il a été arrêté au Conseil de Nice le 11 décembre 2000, dans un certain désordre et une certaine improvisation sur des dispositions essentielles. Ensuite, nous avons connu cinq versions différentes, depuis celle du Conseil jusqu'à celle que nous avons reçue quelques jours avant la signature définitive, le 26 février. Les commentaires publiés au lendemain du Conseil de Nice apparaissent, avec le recul, trop superficiels, et souvent complètement dépassés par les modifications du texte ou l'évolution des relations entre les pays membres. Il apparaît que le traité pose des problèmes considérables pour l'avenir de notre pays, à tel point que même certains fédéraliste remettent en cause, avec force, certaines de ses dispositions, notamment la rupture de la parité traditionnelle entre la France et l'Allemagne. Je ne vois donc pas pourquoi nous devrions aujourd'hui ratifier ce traité dans la précipitation, et pourquoi il ne serait pas possible de faire ce que le bon sens commande, et qui fut fait pour le Traité d'Amsterdam : la saisine préalable du Conseil constitutionnel pour clarifier la discussion. Si nous ne procédions pas ainsi, on pourrait à bon droit nous accuser demain d'avoir escamoté les vrais problèmes, et d'avoir une fois de plus occulté des choix fondamentaux pour l'avenir de la France.

La situation est en effet paradoxale, et illustre les méthodes habituellement suivies pour fausser la discussion dans les affaires européennes. Chaque jour on parle de l'Europe, des propositions allemandes, des contre-propositions françaises, dans la perspective d'une réforme qui aurait lieu en 2004, mais pas un mot n'est dit du problème immédiat : la ratification du Traité de Nice. Les pouvoirs publics lancent actuellement au niveau national -par le relais des préfets- un grand débat sur l'avenir de l'Europe destiné à déboucher en 2004, et où tout le monde parlera de tout dans la confusion, mais on évacue le seul débat concret et urgent : l'hypothèque que le Traité de Nice fera peser sur l'avenir de l'Europe. Ainsi, la discussion sur la réforme de 2004 sert à occulter la réforme d'aujourd'hui. Et en 2004, on dira sans doute aux Français qu'il n'y a plus rien à décider, puisque tout était prédéterminé par Nice. Dans les affaires européennes, c'est toujours trop tôt ou trop tard, mais ce n'est jamais le bon moment pour le débat... Eh bien, je vous dis aujourd'hui : c'est le bon moment pour le débat, afin que nos concitoyens soient au fait des évolutions qu'apporte le Traité.

Nous n'avons pas le droit de considérer ce traité comme un acquis, sous prétexte qu'il a été signé par le Président de la République et le Gouvernement. C'est maintenant au Parlement français d'accorder ou non, en toute liberté, son approbation finale. Nous devons donc en discuter franchement, sans pressions extérieures, et accomplir honnêtement la fonction de critique constructive qu'attendent de nous nos concitoyens. Abordons ce traité de manière libre et responsable, et demandons d'abord un ajournement du débat pour avoir une vue plus claire du dossier : c'est ainsi que nous montrerons que nous sommes une assemblée souveraine, qui mérite la confiance des citoyens, et qui ne se démet pas de ses missions éminentes.

Le texte qui nous est soumis est, même, contraire à la souveraineté nationale, et donc à l'intérêt de la France comme de l'Europe. On l'a présenté comme le traité de l'élargissement, celui qui va ouvrir les portes de l'Union aux douze pays candidats aujourd'hui en négociation. En réalité, le Traité de Nice n'est qu'un projet fédéraliste de plus. La plupart de ses dispositions sont inspirées, certes, par la perspective de l'élargissement, mais avec un objectif bien précis : renforcer les processus supranationaux afin d'accueillir demain les nouveaux membres dans un train roulant, sans bifurcation possible, vers le super-Etat. C'est là le n_ud du problème : les fédéralistes sont convaincus que face à la perspective d'une Union à vingt-sept membres ou plus, face à l'hétérogénéité croissante de l'espace communautaire, la seule réponse possible se trouve dans un verrouillage plus serré, grâce au renforcement des institutions et des procédures supranationales. A une hétérogénéité accrue, ils veulent répondre par une centralisation renforcée ce qui conduit nécessairement à la subordination des souverainetés nationales, celles des membres actuels comme celles des membres futurs : voilà tout l'esprit du Traité de Nice.

Mais c'est là une erreur, et même un contresens historique : à la diversité, il ne faut pas répondre par une centralisation accrue, mais par la flexibilité que rend indispensable le nécessaire respect des démocraties nationales. Pour gérer l'élargissement, il ne faut pas la rigidité du super-Etat mais la souplesse d'une Europe en réseaux, fondée sur la libre coopération de démocraties nationales.

A cette idée de souplesse, le Traité de Nice semble faire droit sur un point, lorsqu'il perfectionne le système dit des « coopérations renforcées ». Mais c'est un trompe-l'_il. Les coopérations renforcées sont des intégrations renforcées : elles n'admettent la différenciation que pour mieux préparer le super-Etat. Elles ne sont pas une faveur de liberté, mais un mécanisme sournois pour ligoter davantage les Etats. Les coopérations renforcées, telles que conçues par Nice, n'offrent guère de solution à la question de l'élargissement. Elles pourront engendrer seulement des Europe à différents niveaux d'intégration, évoluant toutes à vitesses différentes vers l'objectif du super-Etat.

Quant aux mesures destinées à préparer stricto sensu l'élargissement, du point de vue technique, elles ne se trouvent même pas dans le traité lui-même, mais dans deux documents annexes : un protocole qui apporte certaines repondérations, d'ailleurs discutables, au sein des institutions actuelles, et une déclaration sur l'élargissement, seul texte qui évoque vraiment la place future des pays candidats, mais n'a aucune valeur juridique. Ce protocole et cette déclaration sont complexes, souvent sans grande pertinence, parfois incohérents. C'est sans doute là qu'on voit le mieux que les participants à la Conférence n'avaient guère de vision commune de l'avenir. L'Europe de Nice est une Europe sans repères.

La déclaration sur l'élargissement définit la place future des pays aujourd'hui candidats dans les institutions de l'Union. Bien que sans valeur juridique propre, elle possède une valeur de référence politique pour la rédaction des traités d'adhésion. Sa portée psychologique est donc capitale : elle montre aux pays candidats que leur siège dans l'Union est déjà réservé. Notons toutefois ce paradoxe : alors qu'elle constitue le c_ur politique du traité de Nice, son sort en est parfaitement dissociable, puisqu'une déclaration solennelle de n'importe quel Conseil européen ferait aussi bien l'affaire...

Quant au protocole sur l'élargissement, il a l'ambition de « mettre en situation » les trois principales institutions de l'Union à quinze, dès avant l'élargissement. Mais il n'y réussit pas. Il est toujours guidé, en effet, par l'objectif du super-Etat, et de plus, les marchandages de Nice ont produit des compromis incompréhensibles, voire inutiles pour l'élargissement.

D'une part, le nombre total de députés européens doit passer sous le plafond de 732 membres après l'élargissement ; d'autre part, les sièges doivent être redistribués entre les délégations nationales, essentiellement au profit de l'Allemagne.

Pour le Conseil, vont entrer en vigueur à la fois une nouvelle pondération des voix, destinée à profiter aux grands Etats, ce qui finalement ne sera guère le cas, et une nouvelle procédure de décision, assez complexe, combinant majorité qualifiée des voix, majorité des Etats et « filet démographique ». Selon cette dernière règle, pour qu'une décision soit prise au Conseil, des Etats représentant au moins 62 % de la population totale de l'Union doivent la soutenir.

Enfin, le nombre des membres de la Commission plafonnera à moins de 27, sans que l'on connaisse encore le chiffre définitif. Ce résultat imprécis a été obtenu au terme de discussions homériques, et au prix de modalités transitoires tellement complexes que nul ne peut être sûr qu'elles seront vraiment mises en _uvre.

De cet enchevêtrement ne ressort guère qu'une poussée de la logique des populations, conduisant au renforcement de la présence institutionnelle des Etats les plus peuplés.

Le résultat immédiat le plus spectaculaire est la propulsion de l'Allemagne encore plus avant sur la scène européenne. La règle du « filet démographique » donne en effet la minorité de blocage aux Etats réunissant au moins 38 % des populations. Elle va donc mécaniquement avantager l'Allemagne, qui atteindra ce pourcentage plus facilement que les autres en s'adjoignant quelques pays de sa zone d'influence, et qui, par conséquent, sera en mesure d'écarter presque à coup sûr les décisions ne lui convenant pas.

Dans le même temps, au Parlement, l'écart entre le nombre des députés allemands -99- et celui des autres grands pays, dont la France -72- se creuse davantage, alors même que l'assemblée élargit ses pouvoirs.

Nous devons réfléchir sereinement à cette double évolution contenue dans le traité de Nice : d'une part le renforcement de la supranationalité, d'autre part le renforcement des positions allemandes.

Les gains obtenus par l'Allemagne dans ce traité sont proportionnés à sa population ; d'une certaine manière, ils ne sont donc pas exagérés. Ils sont pourtant inadéquats d'un autre point de vue, car ils ne correspondent pas à la bonne conception de l'Europe. Avec le Traité de Nice apparaît une nouvelle conception de l'Europe, dont personne n'a discuté clairement, dans laquelle les institutions supranationales seraient fondées non plus sur les Etats, mais sur des rapports de populations et où les populations les plus nombreuses domineront par l'intermédiaire des institutions communes. Voilà qui est bien éloigné de la pensée des pères fondateurs.

Ce nouveau fédéralisme pervertit l'ancien et en même temps en est la conséquence logique, inéluctable. Voilà pourquoi il faut plus que jamais refuser le fédéralisme au niveau européen, le nouveau parce qu'il conduit au non-respect des peuples, et l'ancien, parce qu'en plus de tous ses défauts, il conduit sottement au nouveau. Voilà pourquoi nous devons en rester à la conception d'une Europe des nations dans laquelle les peuples se respectent mutuellement, c'est-à-dire, concrètement se reconnaissent mutuellement le droit de dire « non ».

Le Traité de Nice, dans son intention même, est contraire à la souveraineté nationale que nous avons pour mission de défendre. Au fondement même de notre Constitution, nous ne pouvons l'abolir dans son esprit sans en référer au peuple français.

Au-delà de cette nécessaire cohérence juridique, songez aux conséquences incalculables de votre geste dans les décennies à venir. Si la France tombe à 72 députés à côté de l'Allemagne qui en aura 99, si en même temps un groupe de pays détient une minorité de blocage au Conseil, toutes les décisions concrètes à prendre dans de nombreux domaines, seront systématiquement infléchies dans un sens qui risque de ne pas être celui des intérêts de la France. Vous ne pouvez pas, nous ne pouvons pas l'accepter.

Or, nous avons une porte de sortie : de nombreuses dispositions du Traité de Nice sont contraires à la Constitution. Je m'étonne que dans son propos si juste et si brillant Jean-Pierre Chevènement n'ait pas développé tout à l'heure ce point. Je me propose de le faire maintenant dans le droit fil de son intervention.

Les articles du Traité contraires à notre Constitution sont, selon des analyses sérieuses, que le ministre connaît bien même s'il a choisi de les taire, au nombre de quinze.

La désignation de la Commission à la majorité qualifiée du Conseil est sans doute la réforme qui, sous des dehors techniques, a la plus vaste portée. Elle institue en effet le vote à la majorité qualifiée au Conseil pour la désignation du Président de la Commission ainsi que des autres membres de la Commission, et la nomination finale de l'ensemble du collège, après approbation du Parlement européen. Cette « communautarisation » d'une décision cruciale modifierait profondément la physionomie des institutions européennes.

Jusqu'ici en effet, le Président et les membres de la Commission devaient bénéficier de la confiance de l'ensemble des Etats membres, afin de travailler en toute impartialité à une tâche qui ne devait être rattachable ni à un pays, ni à un autre en particulier. Si le Traité de Nice est ratifié, ils pourront être nommés par une partie des Etats contre une autre. Les pays minoritaires qui auront voté sans succès contre le nouveau président se trouveront dans une position peu confortable pour la suite du mandat ...

Mais ce n'est pas tout. Il faut aussi rapprocher trois catégories de dispositions. Premièrement, selon le projet de Nice, le Président et la Commission tout entière renforcent leur organisation pour exercer de manière plus volontariste les pouvoirs autonomes dont ils disposent déjà dans le traité. Deuxièmement, ils sont désignés à la majorité qualifiée du Conseil de sorte qu'ils peuvent être l'instrument d'une simple majorité. Troisièmement, cette majorité, en application des nouvelles règles, peut se nouer sans la France mais peut beaucoup plus difficilement se nouer contre l'Allemagne.

Ainsi, replacé dans son contexte, le passage de l'unanimité à la majorité dans ce cas précis, révèle une perte de souveraineté qui pose évidemment un problème constitutionnel.

Les conséquences de la désignation de la Commission à la majorité n'ont pourtant pas été analysées. Ses effets diffus seront immenses et durables. S'il était admis que la Commission puisse n'incarner qu'une partie de ses membres seulement, les conditions seraient réunies pour qu'existe un jeu de bascule entre majorité et opposition, et que la Commission acquière le statut d'un Gouvernement de l'Europe, ce que certains souhaitent d'ailleurs.

Dans un premier temps, le Conseil et le Parlement se feraient sans doute concurrence de légitimité pour désigner le collège. Mais, dans un second temps, le Parlement l'emporterait sans doute. Nous nous trouverions alors exactement dans le cas de figure d'une Commission gouvernementale dotée d'une assise parlementaire classique, tel que vient de la souhaiter le Président de la République d'Allemagne, M. Johannes Rau, dans son discours solennel au Parlement européen, le 4 avril dernier. Ce discours qui dessine les contours d'un Etat fédéral pour l'Europe de demain, est passé totalement inaperçu dans la presse et très largement en France. Nous devrions au contraire y prêter la plus grande attention.

Dans ces conditions, je comprends mal les précautions de langage du Premier ministre français, dans l'exposé de ses conceptions européennes le 28 mai dernier. Il ne sert à rien de chercher à limiter le rôle de la Commission si parallèlement le Traité de Nice, que ce même Premier ministre soumet à votre ratification, permet l'éclosion et l'expansion d'une Commission gouvernementale. Décalage habituel dans les affaires européennes, entre le verbe et le fait !

La désignation de la Commission à la majorité bouleverserait totalement la philosophie des institutions européennes. Or, notre Constitution prévoit un gouvernement de la République française, mais non un gouvernement de l'Europe. Je ne vois donc pas comment nous pourrions faire l'économie d'un débat constitutionnel.

Tel que réformé à Nice, l'article 123 demande également aux Français d'approuver les yeux fermés de nouveaux passages à la majorité qualifiée, donc de nouvelles délégations de compétences, pour que soient prises au niveau européen des mesures liées à « l'introduction rapide » de l'euro. Lesquelles ? Dans la mesure où, selon notre Constitution, nous déléguons à Bruxelles des compétences d'attribution, il faut évidemment définir leur contenu. Ce n'est pas fait.

De toute façon, ces propositions sont contraires à la lettre de la Constitution, puisqu'elles dépassent les termes très précis de son article 88-2. En effet, la révision constitutionnelle du 25 juin 1992, qui a permis la ratification du Traité de Maastricht, ne laisse place à aucune ambiguïté.

Selon le nouvel article 88-2, notre pays peut consentir « aux transferts de compétences nécessaires à l'établissement de l'Union économique et monétaire européenne » mais seulement « selon les modalités prévues par le traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992 », le fameux Traité de Maastricht.

Or, ici, précisément on modifie les termes de ce traité. Qui plus est, pour approuver à la majorité des décisions dont on ne connaît pas exactement la portée !

Ce que propose ici le Traité de Nice est donc contraire à notre Constitution, tout comme l'article 111 qui introduit la majorité qualifiée pour définir la position internationale de la Communauté dans le domaine monétaire.

Comment le Gouvernement ne l'a-t-il pas vu ?

Il en va de même pour le statut des députés européens. Actuellement le Parlement européen ne peut fixer le statut de ses membres qu'avec « l'approbation du Conseil statuant à l'unanimité ».

Cette procédure signifie que chaque pays membre détient le droit souverain de fixer le statut des députés qui le représentent au sein des institutions européennes. Aussi bien devrait-on parler non pas de députés européens, mais de députés français, au Parlement européen.

Or le Conseil de Nice a institué la majorité qualifiée pour l'approbation du statut des députés européens, y compris leur rémunération.

Cette innovation reviendrait à dessaisir le peuple français du pouvoir de déterminer seul le statut de ses représentants. C'est à mon avis contraire à nos principes constitutionnels. De plus, les réformes que le Parlement européen en tirerait auraient une portée incalculable.

Les règlements d'application sont déjà prêts : les représentants nationaux au Parlement européen seraient soumis à des règles unifiées au niveau européen, et seraient rémunérés par le budget communautaire.

Dans ces conditions, en application du principe « qui paye commande », nos représentants risqueraient de devenir avant tout des créatures communautaires détachées de leurs peuples respectifs.

M. le Président de la délégation pour l'Union européenne - « Créatures communautaires », la formule est originale !

M. Philippe de Villiers - Encore s'agit-il à d'une extrapolation bienveillante. Certains feront observer qu'un député français rémunéré à 100 % par le budget communautaire serait en réalité payé à 17 % par la France et à 26 % par l'Allemagne. Est-ce conforme à l'esprit de souveraineté nationale qui anime notre Constitution ?

Sont également passées inaperçues les nouvelles dispositions relatives aux partis politiques.

Les partis politiques nationaux ont des bases réelles, et le financement public vient sanctionner cette situation. Au contraire, les partis politiques européens n'ont guère de consistance propre, et le nouveau financement public communautaire aurait pour but de favoriser leur émergence. Dans le cas national on reconnaît des partis existants.

Dans le cas européen, on se sert du financement public pour les créer de toutes pièces, ce qui permettrait de soutenir qu'il existe une « démocratie européenne », par nature supérieure aux démocraties nationales et de lui transférer de nouveaux pouvoirs.

Les associations inter-partis au niveau européen doivent être financées par les partis nationaux qui en sont membres, et non en prélevant de nouveaux impôts sur les contribuables.

A ces raisons de principe conduisant à refuser la réforme de l'article 191, s'ajoutent des raisons techniques, au moment où chacun reconnaît en France la dégradation de l'esprit mais où des dispositions ont été prise pour améliorer la transparence de la vie politique. Rien ne dit de quelle manière ce nouveau régime européen peut s'articuler avec les régimes nationaux en vigueur. Si un financement public communautaire est créé pour les partis politiques au niveau européen, va-t-on réduire les aides nationales, afin de laisser le total inchangé ? Va-t-on autoriser les partis européens financés par Bruxelles à intervenir dans les campagnes électorales françaises, et d'abord pour les élections européennes ? Les partis politiques européens ainsi créés artificiellement pourront-ils recevoir des dons de personnes morales, qui sont interdits en France ? Cela pourrait permettre le blanchiment d'argent.

Toutes ces questions restent sans réponse. De toute façon, il existe une contradiction flagrante entre la liberté des partis politiques, telle qu'elle est garantie à l'article 4 de la Constitution française, et l'idée d'un statut de ces mêmes partis au niveau européen, tel que le prévoit l'article 190-5 du projet de Nice. Si nous acceptions de ratifier ce texte en l'état, nous donnerions des arguments à ceux qui voient dans les dérives de l'Union européenne actuelle les germes d'un totalitarisme mou.

En matière de politique étrangère et de sécurité commune, le Traité de Nice introduit la majorité qualifiée pour l'approbation de certains accords internationaux, sans qu'il soit clairement dit que le droit de veto national leur reste applicable. Le principe absolu, dans la partie intergouvernementale du traité étant le respect de la souveraineté nationale, l'introduction de décisions à la majorité qualifiée doit donc être particulièrement surveillée. Or l'article 24 déduit de l'existence de décisions internes prises à la majorité qualifiée la conséquence que les accords internationaux portant sur les mêmes domaines peuvent également être conclus à la majorité, sans rappeler l'existence du droit de veto national. Bien plus, il envisage que des accords puissent être applicables à tous les membres, au moins provisoirement, même si certains d'entre eux élèvent des objections de nature constitutionnelle. Ces dispositions nouvelles ne me paraissent pas admissibles. En effet, quoi qu'en dise la Cour de justice, il est parfaitement logique d'admettre les décisions à la majorité pour les relations entre pays membres et de la refuser dans les mêmes domaines pour les relations avec les pays tiers.

De plus, on ne peut accepter qu'un accord international qui serait contraire à la Constitution française soit applicable à la France, même à titre provisoire, sur décision d'une majorité qualifiée d'autres Etats. Quel est l'impact de ces innovations sur la personnalité juridique de l'Union, que celle-ci, en principe, ne possède pas ? Personne au Gouvernement ne s'est posé cette question.

Bientôt, la Cour de justice saisie d'un litige risque de dire qu'il existe un faisceau de présomptions en faveur de cette personnalité juridique. Et personne ne pourra protester, puisqu'il n'existe aucun droit d'appel des décisions de la Cour.

Je pourrais prendre aussi l'exemple de la défense, mais, l'heure avançant, je passe à celui des coopérations renforcées, qui font l'objet de dispositions elles aussi contraires à l'esprit de notre Constitution.

C'est le cas, à l'article 43, de la nouvelle condition selon laquelle les coopérations renforcées doivent « renforcer le processus d'intégration ». Or cet objectif qui va très loin -puisqu'il signifie « fusion des nations »- n'existe pas aujourd'hui dans les traités, qui évoquent seulement une « union sans cesse plus étroite entre les peuples d'Europe » ce qui est bien différent.

De plus, l'article 43 n'est pas un simple article déclaratoire comme on en trouve tant dans les traités européens, mais constitue une base juridique servant à prendre des décisions opérationnelles ; en outre, l'objectif d'intégration s'applique à la Communauté, mais aussi à l'Union, en dépit de la nature intergouvernementale de cette dernière. C'est indéfendable.

Ainsi, la volonté de verrouiller les coopérations renforcées dans le sens du super-Etat oblige les fédéralistes à dévoiler un objectif d'intégration qu'ils n'avaient pas encore osé afficher et qui apparaît en contradiction absolue avec la Constitution française qui repose sur la reconnaissance de la souveraineté nationale.

Le Traité de Nice opère également un grignotage progressif de notre souveraineté nationale en matière de circulation des citoyens européens. Le nouvel article 18 prévoyant la codécision avec vote à la majorité qualifiée au Conseil pour les mesures facilitant cette circulation. Ainsi nous donnerions à nos voisins le droit de prendre des mesures pour faciliter la libre circulation en France, pour les ressortissants communautaires, et même, pourquoi pas, pour les Français...

Le nouvel article 18 ne rappelle même pas le droit de chaque Etat membre de limiter cette circulation pour préserver son ordre public intérieur. On voit où cela pourrait nous entraîner, par exemple lorsque des manifestations entravent la circulation des automobiles. Charbonnier doit rester maître chez soi : au peuple français et à lui seul de résoudre ces problèmes.

Cette réforme porte clairement atteinte à la souveraineté nationale et le Conseil constitutionnel devrait normalement la censurer.

Notre souveraineté serait aussi affectée par la « communautarisation » des négociations commerciales internationales relatives aux services et à la propriété intellectuelle opérée par le nouvel article 133 qui soustrait à la ratification des Parlements nationaux et soumet à des décisions du Conseil à la majorité qualifiée, des négociations commerciales capitales pour la vie de nos sociétés.

Les services et la propriété intellectuelle seraient désormais traités comme les marchandises. Or nous avons vu lors de l'Uruguay Round que cette communautarisation affaiblit l'emprise des Etats sur la Commission qui devient un véritable « Cheval de Troie » des intérêts extérieurs au sein de l'Union. Elle remplace en outre un contrôle fort et légitime, celui des Parlements nationaux, par un contrôle moins légitime et plus complaisant, celui du Parlement européen. Elle oublie enfin que, dans la plupart des négociations qui visent à abaisser nos protections, l'unanimité est une force qui oblige nos vis-à-vis à tenir compte des intérêts de l'ensemble des pays d'Europe.

Compte tenu de l'importance des services et de la propriété intellectuelle, cette évolution contredirait notre Constitution. De plus, le Parlement français n'aurait plus du tout à connaître des futures négociations de l'OMC. Ce serait paradoxal à l'heure où le Gouvernement prétend vouloir revaloriser les Parlements nationaux dans l'Union européenne.

L'européanisation de la lutte contre les discriminations introduite à l'article 13-2 pose aussi un problème de constitutionnalité. Le Traité d'Amsterdam contenait déjà un article stipulant que la lutte contre les discriminations multiformes devait être menée à l'unanimité du Conseil. Ni l'Union européenne ni la Communauté ne possèdent aujourd'hui de compétences supranationales pour définir les droits de leurs citoyens. Cette compétence appartient aux nations, et particulièrement à leurs Parlements. L'unanimité au Conseil apparaît donc justifiée.

Or le Traité de Nice prévoit que « les mesures d'encouragement communautaire » dans la lutte contre les discriminations seront décidées au moyen de la majorité qualifiée au Conseil et de la codécision avec le Parlement européen. En allant vers une définition à la majorité des droits des citoyens, on prive d'une compétence essentielle les souverainetés nationales. Cela pose un problème constitutionnel : une compétence nationale aussi fondamentale ne peut être amputée sans un débat sérieux.

Le Traité de Nice ouvre aussi la voie à une harmonisation à peine déguisée de la sécurité sociale.

L'article 137 fait l'objet d'une révision extrêmement complexe, d'où il ressort une situation volontairement bâtarde, par juxtaposition de dispositions contradictoires. Ainsi les questions relatives à la sécurité sociale et à la protection sociale des travailleurs peuvent faire l'objet de décisions communautaires de soutien et de complément, décidées à l'unanimité des Etats membres, du moins en ce qui concerne les principes fondamentaux et l'équilibre financier général des régimes sociaux. Néanmoins, la modernisation des systèmes de protection sociale peut faire l'objet de mesures européennes « d'encouragement à la coopération » décidées à la majorité qualifiée du Conseil.

Ces dispositions confuses seront interprétées par une Cour de justice que nous ne maîtrisons évidemment pas, et l'on peut s'attendre à des résultats surprenants. Ce n'est pas admissible !

En effet, le titre XV de la Constitution française, relatif aux Communautés européennes et à l'Union européenne, repose sur l'idée fondamentale que, la souveraineté nationale étant la règle, les compétences européennes sont l'exception : ce sont des compétences d'attribution qui, comme telles, doivent être précisément définies.

Tel n'est pas le cas ici et l'on voit mal ce que seraient des mesures de modernisation sociale qui compléteraient l'action des Etats membres, encourageraient la coopération sans harmonisation, ne contiendraient aucune prescription minimale, ne toucheraient à aucun principe fondamental de la sécurité sociale... Soit tout cela ne veut rien dire, soit ces dispositions cachent quelque chose, que les eurocrates nous révéleront plus tard. Quoi qu'il en soit, les conditions d'une délégation transparente, par le peuple français, de compétences d'attribution dans un domaine fondamental ne sont à l'évidence pas réunies. Et qui jugera en cas de litige ? La Cour de justice, dans les conditions que l'on sait. Ce n'est pas acceptable !

Voilà pourquoi, aussi longtemps qu'il n'existera pas de contrôle national exclusif de la conformité à notre Constitution des actes de droit communautaire dérivé, il convient de refuser tout transfert imprécis de nos compétences vers Bruxelles.

Ces brefs rappels vous ont sans doute édifiés. Je ne doute pas que le Ministre, que je remercie pour son attention, me répondra point par point sur ces problèmes de constitutionnalité.

Le Traité de Nice ouvre la voie à une nouvelle dérive supranationale, dans la ligne de Maastricht et d'Amsterdam, qui contredit notre constitution, dans son esprit, dans ses principes, comme dans nombre de dispositions plus particulières, mais fondamentales. Ce serait une incohérence juridique, pire, un véritable détournement des procédures démocratiques, que de ne pas déférer ce texte au Conseil constitutionnel.

Au sein des procédures supranationales ainsi renforcées par le Traité de Nice, se glisse un élément nouveau fondamental, une réorientation du fédéralisme qui serait davantage assis, désormais, sur les rapports de nombre de populations. Cette réorientation est si nette qu'elle suscite la réprobation de nombreux fédéralistes y compris sur les bancs de cette assemblée. En effet, elle aboutirait à terme à placer les institutions communautaires à la disposition des pays qui auront su réunir dans leur zone d'influence les populations les plus nombreuses et cela, aussi, porterait gravement atteinte aux principes de notre Constitution.

Les institutions européennes ont toujours besoin de reposer sur un certain équilibre entre les grands Etats, qui manifeste la volonté d'un respect mutuel que l'on ne saurait pondérer en fonction de quelques millions d'habitants de plus ou de moins car c'est un tout qui ne se partage pas.

Il faut donc rejeter, l'occasion nous en est offerte, les deux fédéralismes et en rester à la conception la plus sage, selon laquelle l'Europe repose sur le respect de ses communautés nationales. L'élargissement n'en souffrira pas, bien au contraire. Les pays aujourd'hui candidats seraient sans doute très satisfaits d'être accueillis dans une Union où la souveraineté nationale serait mieux respectée, où on leur demanderait leur avis pour les réformes à venir.

Pour toutes ces raisons, je vous demande de bien vouloir adopter cette motion d'ajournement.

M. le Ministre délégué - Je vous ai en effet écouté avec attention. Vous vous êtes emparé de cette motion pour parler de souveraineté, avec ce talent particulier que nous connaissons. Vous avez exprimé vos convictions, que nous connaissons et développé vos conceptions, que nous ne partageons en rien. Vous ne m'en voudrez pas, à cette heure, de reprendre rapidement des arguments déjà souvent échangés ici.

Nous sommes allés vite, et nous avons eu raison, parce que ce traité a été adopté sous présidence française, parce que nous avons voulu tirer bénéfice de son exemplarité, parce que nous avons souhaité adresser un signal positif et fort aux pays candidats, mais aussi parce que, conscients de ses limites, nous avons voulu engager rapidement le débat sur l'avenir de l'Europe dans lequel, je l'espère, votre sensibilité politique prendra toute sa place.

Vous avez par ailleurs parlé de « super Etat ». Il m'avait pourtant semblé que les critiques avaient porté jusqu'ici plus sur la modestie de ce traité que sur son ambition excessive...

Le Traité de Nice n'institue en rien un « super Etat » : il répond aux besoins de l'élargissement, mais ne modifie pas l'équilibre des pouvoirs. Cette critique relève donc d'une vision de la réalité qui n'est pas la mienne.

Vous avez, d'autre part, insisté sur le rôle de l'Allemagne, et sur sa démographie. La réunification est un bienfait historique, et c'est un fait. Oui, l'Allemagne réunifiée est le pays le plus peuplé d'Europe et, oui, la réunification a déplacé le centre de gravité de ce pays, le transfert de la capitale de Bonn vers Berlin en est un exemple parmi d'autres. De tout cela, nous devons tenir compte ; pour autant, il n'est pas juste de réduire la construction européenne à un rapport de forces entre deux blocs, toute notre histoire des cinquante dernières années l'a démontré.

Je ne reprendrai pas, à cette heure matinale, votre analyse juridique point par point, ne serait-ce que parce que je n'ai pas toute votre inventivité... Je vous rappellerai seulement que le Conseil d'Etat n'a trouvé dans le Traité aucun motif d'inconstitutionnalité. Et si, par hasard, vous doutiez de la rigueur de cette institution, sachez que le Folketing n'a pas jugé utile de soumettre le traité à référendum. C'est la première fois ; pourtant, à côté de certains parlementaires danois, vous passeriez, Monsieur de Villiers, pour un dangereux laxiste... C'est donc une sorte de garantie supplémentaire que l'aval du Folketing...

Je m'en tiendrai à cela, et soulignerai seulement qu'au terme de dix heures de débat, il ne me paraîtrait pas raisonnable de prétendre ajourner la ratification du Traité. Ce serait faire bien peu de cas de tout ce qui a été exposé, avec pertinence, dans cette enceinte.

Je propose donc à l'Assemblée de rejeter cette motion d'ajournement. Il importe en effet que le Parlement vote, vous l'avez dit -et je ne doute pas que, mardi, son vote sera positif.

La motion d'ajournement, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Président - L'article 95, alinéa 9, du Règlement prévoit que le vote sur l'article unique d'un texte équivaut, en l'absence d'article additionnel, à un vote sur l'ensemble.

La Conférence des présidents ayant décidé de fixer au mardi 12 juin, après les questions au Gouvernement, le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet, les explications de vote et le vote sur l'article unique sont reportés à cette date.

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 6 juin 2001, à 15 heures.

La séance est levée à 2 heures 50.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

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ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 6 JUIN 2001

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Déclaration du Gouvernement et débat d'orientation budgétaire pour 2002.

M. Didier MIGAUD, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.(Rapport d'information no 3099).

3. Discussion :

- en nouvelle lecture, du projet de loi (n° 2926) portant règlement définitif du budget de 1998 ;

- en deuxième lecture, du projet de loi (n° 3039) portant règlement définitif du budget de 1999.

M. Didier MIGAUD, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan. (Rapports nos 3097 et 3098).

(Discussion générale commune)

(Procédure d'examen simplifiée, art. 106 du Règlement)

A VINGT ET UNE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

        www.assemblee-nationale.fr


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