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Session ordinaire de 2001-2002 - 7ème jour de séance, 14ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 11 OCTOBRE 2001

PRÉSIDENCE de Mme Marie-Hélène AUBERT

vice-présidente

Sommaire

      PROTECTION DES MINEURS 2

      EXPLICATIONS DE VOTE 27

La séance est ouverte à neuf heures.

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PROTECTION DES MINEURS

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Henri Cuq, Jean-Louis Debré, Philippe Douste-Blazy et Jean-François Mattei tendant à modifier l'ordonnance du 2 février 1945 ainsi qu'à renforcer la protection des mineurs.

M. Henri Cuq, rapporteur de la commission - Si la délinquance des jeunes n'est pas un phénomène nouveau, il est cependant évident qu'elle a largement changé de nature depuis un demi-siècle. Les jeunes délinquants sont de plus en plus nombreux, de plus en plus jeunes et de plus en plus violents.

Quelques chiffres en témoignent. Ainsi près de 22 % des personnes mises en cause par les services de police et de gendarmerie sont aujourd'hui des mineurs, contre seulement 10 % il y a dix ans. Ils représentent 15 % des crimes et délits contre les personnes. 242 affaires de violences sexuelles entre élèves ont été recensées au premier trimestre de 1999. Trente pour cent des auteurs avaient moins de 13 ans et près d'un cas sur cinq concernait des abus sexuels en réunion.

Le nombre de délits commis par des mineurs récidivistes augmente, lui aussi, fortement. D'après une étude de juin 2000 sur la « délinquance auto déclarée des jeunes », les 5 % de mineurs les plus actifs seraient responsables de plus de 60 % des agressions et des dégradations. On retrouve fréquemment ces multirécidivistes, qui agissent souvent en groupes dans les affrontements entre « bandes » rivales, comme en février dernier sur l'esplanade de la Défense. Le nombre d'incidents de ce type ne cesse d'augmenter. 398 en 1999 contre 204 en 1994.

Ces faits doivent nous inciter à nous interroger sur l'efficacité du dispositif institué après la guerre.

Certes, le traitement judiciaire de la délinquance n'est pas seul en cause. Il faudra aussi, pour ramener la paix dans nos banlieues, revoir le rôle de l'école et de la famille, réfléchir à l'urbanisation ou encore inventer de nouvelles structures d'accueil des mineurs délinquants. De même, il est indispensable de donner à la justice les moyens d'exercer efficacement ses missions. Mais la nécessité d'une approche globale ne nous dispense pas d'un débat sur le dispositif juridique de l'ordonnance de 1945.

En effet, l'équilibre qu'elle avait instauré entre mesures éducatives et mesures répressives a été rompu par la pratique des juges des enfants, qui ont largement privilégié les premières au détriment des secondes.

M. Jean-Louis Debré - Très bien !

M. le Rapporteur - Cette pratique a rendu l'ordonnance de 1945, déjà complexe, encore moins claire aux yeux des mineurs. Ainsi, selon l'étude de juin 2000 déjà citée, seuls 3 % des jeunes pensent qu'on peut être condamné pour des tags, 15 % pour des vols dans un magasin, 25 % pour des actes de racket et 36 % pour une agression physique. Autrement dit, une immense majorité des jeunes est persuadée soit que ces actes ne sont pas des délits, soit qu'ils échapperont certainement à la justice, soit qu'une mesure éducative ne constitue pas une condamnation. Il est donc plus que temps de donner des repères à ces jeunes et d'ouvrir le débat législatif. La proposition de loi récemment déposée par Georges Sarre sur les mineurs récidivistes va dans ce sens.

Contrairement à certaines présentations caricaturales, la présente proposition de loi ne bouleverse pas l'ordonnance de 1945. Elle conserve notamment les règles de majorité pénale ou le principe de l'excuse de minorité, mais en rétablissant l'équilibre entre mesures éducatives et mesures répressives.

Elle autorise ainsi la retenue des mineurs de 10 à 13 ans soupçonnés d'avoir commis une infraction passible d'au moins cinq ans d'emprisonnement - au lieu de sept actuellement -, et facilite la prolongation de la garde à vue des mineurs âgés de plus de 15 ans. Ces dispositions devraient rencontrer l'assentiment de Mme Lazerges, qui considère dans son rapport sur la délinquance des mineurs, que pour les très jeunes délinquants, « une audition bien menée, une période de garde à vue intelligemment organisée (...) peuvent produire immédiatement et à long terme des effets appréciables ». Elles sont assorties d'un renforcement des droits des mineurs pendant la garde à vue : information immédiate et obligatoire des parents, examen médical systématique, en plus, bien entendu de la présence de l'avocat.

Cette proposition autorise la détention provisoire des mineurs de 13 à 15 ans lorsque l'infraction en cause est punie d'au moins cinq ans d'emprisonnement et en cas de récidive ou de non-respect du contrôle judiciaire ; les mineurs de plus de 15 ans pourront, quant à eux, être placés en détention provisoire dans les conditions de droit commun.

J'avais initialement proposé de supprimer la saisine du service éducatif auprès du tribunal avant tout placement en détention provisoire. A la réflexion, cette disparition risque de priver le mineur d'une chance supplémentaire d'éviter la prison.

La proposition de loi vise également à rendre les récidivistes conscients de la gravité de leurs actes. Ainsi, certaines mesures éducatives comme l'admonestation ou la remise aux parents, ne s'appliqueront pas aux mineurs récidivistes âgés de plus de 10 ans ; les mineurs âgés de plus de 15 ans auteurs d'un crime devront obligatoirement faire l'objet d'une condamnation pénale ; enfin, le travail d'intérêt général sera possible dès l'âge de 14 ans, au lieu de 16. En revanche, afin de préserver les chances de réinsertion des mineurs, il semble préférable, contrairement à ce que nous avions initialement proposé, de ne pas prononcer à leur encontre de période de sûreté ni d'interdiction des droits civils, civiques et de famille.

S'agissant de la procédure, la proposition de loi autorise la comparution immédiate des mineurs de plus de 15 ans et permet leur renvoi, en cas de crime, devant la cour d'assises des mineurs, qui n'est actuellement compétente qu'à partir de 16 ans. Enfin, elle crée un registre national des mesures éducatives à caractère pénal prononcées à l'encontre d'un mineur, dont les données seront effacées dès que celui-ci aura atteint l'âge de 20 ans et qui permettra de tenir compte des antécédents judiciaires des jeunes majeurs délinquants.

Tout un volet de la proposition concerne les parents d'enfants délinquants et les personnes qui se servent des mineurs pour commettre des infractions. Ainsi, un délit d'atteinte de la part des parents à la liberté surveillée est créé et les prestations familiales pourront être saisies pour payer les dommages et intérêts ou les amendes auxquels le mineur aura été condamné. Les peines encourues pour avoir poussé un mineur à commettre un crime ou un délit sont aggravées, notamment en cas d'incitation à la consommation ou au trafic de stupéfiants.

Enfin, la proposition donne une base légale aux arrêtés d'interdiction de circulation nocturne des mineurs de moins de 13 ans non accompagnés, selon des modalités très strictes compatibles avec la jurisprudence du Conseil d'Etat.

Telles sont, pour l'essentiel, les dispositions proposées. J'aurais souhaité les compléter par la création de nouvelles structures de placement. En effet, si les centres de placement actuels doivent, bien sûr, continuer d'être développés, il semble nécessaire de créer des structures fermées, alternatives à l'incarcération des mineurs, ce qui permettrait de réduire le nombre de ces derniers en prison. Ces établissements, où l'action éducative serait privilégiée, seraient destinés aux mineurs les plus difficiles, astreints à y demeurer. Certains centres accueilleraient les mineurs pour lesquels la détention provisoire est requise ; les autres recevraient les mineurs faisant l'objet d'une décision de placement de plus longue durée et se substitueraient donc aux prisons. Malheureusement, les rigueurs de l'article 40 de la Constitution ne m'ont pas permis de proposer des dispositions en ce sens.

Cette proposition tente d'apporter des remèdes à la délinquance des mineurs. Elle ne prétend pas résoudre définitivement le problème mais suggère des pistes de réflexion destinées à ouvrir un débat, que j'espère constructif et exempt d'esprit polémique, sur les solutions juridiques à apporter à cette question douloureuse qui perturbe la vie de nos concitoyens et qui représente un enjeu essentiel pour l'avenir de notre jeunesse. N'oublions pas que les premières victimes de la violence des jeunes sont, le plus souvent, les jeunes eux-mêmes (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice - J'entends souvent que la gravité de la délinquance des jeunes, l'augmentation des faits constatés, la violence des actes commis par des enfants - ce qui, sans doute, nous trouble le plus -, que toutes ces questions graves trouveraient explication dans l'ordonnance de 1945 élaborée par des résistants qui avaient découvert le sort des mineurs en prison.

M. Jean-Louis Debré - Je reconnais le style de la PJJ !

Mme la Garde des Sceaux - Il n'en est rien.

M. Jean-Louis Debré - Oh si ! Je les connais ! Depuis vingt ans, ils écrivent toujours la même chose !

Mme la Garde des Sceaux - Monsieur Debré, j'assume l'entière responsabilité de ce que je vous expose. J'ai dit souvent ici que cette ordonnance n'existe plus dans sa rédaction d'après guerre et je ne veux pas croire que le martèlement de cette date serait utilisé pour faire cheminer l'idée de son archaïsme.

Ce texte a été révisé en 1986, 1992, 1993, 1996 et 1998. Si le Parlement reprenait aujourd'hui des dispositions de votre proposition, ce serait donc une sixième révision, qu'il ne faudrait donc pas présenter comme une nouveauté ou une recette miracle.

Mais il est essentiel de redire que si nul, depuis 1945, n'a voulu abroger l'ordonnance, si chaque assemblée, quelle que soit sa majorité, a voulu garder cette référence, c'est sans doute que les principes qui fondent ce texte - éducation, prévention, sanction - restent notre engagement commun. Et même si je ne partage pas les idées de M. Cuq, j'ai beaucoup apprécié le ton de son intervention.

J'ai du reste noté que Patrick Devedjian déclarait que la révision de l'ordonnance n'aurait pas d'utilité Je partage son avis. Quelle que soit notre approche de la délinquance et de la nécessaire répression, nous ne pouvons nier la nécessité de l'éducation, ni celle de la prévention, ni, bien sûr, celle de la sanction.

Le texte que vous nous proposez, outre qu'il est paradoxal, privilégie fortement la répression, même si je constate avec satisfaction le retrait d'une des propositions que vous aviez annoncées. Répression accrue contre les actes, mais aussi contre les parents, contre la presse, les radios et la télévision. Pour les médias, la sanction porte sur l'apologie des stupéfiants ; pourquoi, si l'on vous suivait, ne pas ajouter l'apologie de l'alcool et du tabac ?

J'aurais souhaité y trouver des propositions de prévention. Mais vous vous en tenez à l'exemplarité de la sanction, comme si le caïdat pouvait disparaître avec la sanction humiliation. On a beaucoup parlé, ces dernières semaines, des risques de l'humiliation, et dans toutes les familles politiques. Nous n'avons pas le droit à la schizophrénie : humilier ce n'est pas lutter contre la violence, c'est souvent faire naître la haine. Personnellement, je crois à l'utilité de la sanction, je pense même qu'elle est nécessaire à la construction de la personnalité.

Comme le dit le professeur Jamet lorsqu'un jeune n'a pas acquis le sentiment de la loi, il doit rencontrer la loi, autrement dit connaître la sanction après un acte délinquant.

Encore faut-il adapter la sanction au fait et à l'individu, et personne ne croira qu'il est sain de traiter à quasi-égalité un jeune de 15 ans et un adulte. Tous les criminologues sont d'ailleurs convaincus de la nécessité de respecter le principe de la proportionnalité des peines.

Votre texte inquiète par son contenu mais aussi parce qu'il donne l'impression d'avoir été rédigé vite, parce qu'il s'apparente davantage à un slogan qu'à un vrai travail parlementaire (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Nicole Catala - Et que dire du texte sur la Corse, entièrement réécrit en quinze jours ?

Mme la Garde des Sceaux - Vous donnez même l'impression de ne pas avoir envie de convaincre. Je ne veux pas croire que votre but serait seulement de raviver des tensions. Les jeunes, qui, dans leur très grande majorité, ne sont pas délinquants, pourraient finir par croire que nous n'avons pas confiance en leur avenir (Mêmes mouvements). Ils veulent la liberté, donc la sécurité, et ils attendent de nous que nous proposions autre chose que ce qui pousse certains d'entre eux à la délinquance et à la récidive. Ils attendent sans doute beaucoup de nous, ceux qui, entre 15 et 25 ans, battent les records de suicides et qui sont victimes les uns des autres. Je n'ai pas eu l'impression que ce texte s'adressait aussi à eux, qui ont, certes, besoin de règles, mais aussi de valeurs. Pour autant, vous ne m'avez jamais entendu dire que la délinquance des jeunes était acceptable, ni que tout a été fait et qu'il suffit d'attendre des jours meilleurs. Je pense, comme vous, que cette délinquance et les souffrances qu'elle traduit est trop importante mais je ne veux pas, en vous suivant, regretter d'avoir pris des mesures qui n'auront pas d'effets et qui, sans doute, nourriront plus de ranc_ur que d'envie de vivre et qui, pour cela susciteront davantage de récidives.

Il est d'ailleurs parlant que, dans un des projets de programmes de l'opposition, ces mesures figurent au chapitre « sécurité » et non au volet « justice », comme si la justice était par essence laxiste et indifférente à l'évolution de la société.

J'en reviens aux paradoxes : vous dites vouloir responsabiliser les parents, mais vous supprimez le caractère obligatoire de leur convocation devant le juge d'instruction...

M. Jean-Louis Debré - Eh bien, nous amenderons !

Mme la Garde des Sceaux - Vous proposez de supprimer l'un des deux assesseurs non professionnels dans les tribunaux pour enfants, alors que vos amis préconisaient l'échevinage dans les tribunaux correctionnels.

M. Jean-Louis Debré - Eh bien, nous amenderons encore !

Mme la Garde des Sceaux - Vous donnez ainsi le sentiment de croire qu'un citoyen non magistrat est plus souple qu'un magistrat ; ce ne serait donc pas les magistrats qui seraient laxistes mais les citoyens...

Mais votre texte ouvre aussi des voies pour le moins déroutantes.

Ainsi, le droit des mineurs a pour objectif incontesté de permettre le prononcé de sanctions adaptées à la personnalité de chaque enfant ou adolescent, ce qui suppose certaines investigations d'ordre social ou éducatif. Rares sont ceux qui en doutent. Pourtant, vous en proposez la suppression lorsqu'un mandat de dépôt est requis et, surtout, vous souhaitez instaurer la comparution immédiate.

M. Jean-Louis Debré - C'est caricatural !

Mme la Garde des Sceaux - Non ! C'est dans le texte !

M. Jean-Louis Debré - C'est que vous l'avez mal lu, ou qu'on l'a mal lu pour vous !

Mme la Garde des Sceaux - Or, la composition même du tribunal pour enfants rend impossible sa réunion en urgence et remplacer un des assesseurs par un magistrat professionnel n'y changerait rien.

Si vous avez seulement voulu faire des propositions « chocs », vous avez pleinement atteint votre objectif, mais je regrette que ces propositions n'aient pas été précédées d'un minimum d'expertise (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Je n'insisterai pas sur la constitutionnalité discutable de certaines mesures suggérées, sinon pour rappeler l'avis du Conseil constitutionnel du 11 août 1993 qui affirmait le caractère exceptionnel de la retenue des mineurs de moins de 13 ans.

M. Jean-Louis Debré - Mais le Parlement est souverain !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois - Pas devant le Conseil constitutionnel !

Mme la Garde des Sceaux - Je n'aurai pas non plus la cruauté d'insister sur le fichier des erreurs juvéniles, sorte de casier de jeunesse avec droit ou non à devenir adulte respectable.

Mme Nicole Bricq - Un vrai gag !

Mme la Garde des Sceaux - Je m'interroge aussi sur la conformité des incriminations aussi imprécises que la « provocation indirecte » avec le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. Voulez-vous dire qu'un père de famille qui regarde avec son fils un film de gangster à la télévision tombe sous le coup de la loi ?

Si, à titre personnel, je trouve la publicité bien souvent violente, je n'aurais pas l'idée d'ériger en délit l'achat d'un magazine ni de classer dans les incitations indirectes une télévision allumée dans la pièce principale d'une habitation. La caricature de ce que vous voulez montre bien l'imprécision du texte.

Je ne considère aucunement la sanction comme taboue, mais je ne peux accepter que l'on nie aux enfants délinquants toute possibilité d'amélioration en instaurant, comme vous le proposez, des périodes de sûreté. Comment pouviez-vous envisager la privation de droits civiques, civils et de famille ? Il est bien que vous ayez renoncé à cette disposition, qui menait insidieusement à croire qu'un mineur délinquant ne serait jamais un adulte responsable.

La délinquance et la violence des jeunes sont des sujets trop délicats et complexes pour être traités de manière manichéenne.

Il nous concerne tous : politiques mais aussi parents et adultes. « Ni jeunisme, ni angélisme », est-on tenté de vous répondre. Et pour trouver l'équilibre, rappelons donc l'essentiel.

Quels sont les principes qui fondent notre droit des mineurs et que vos propositions mettent à mal ?

D'abord le principe de responsabilité pénale atténuée pour les mineurs. Le Parlement a confirmé en 1992, lors de la réforme du code pénal, le principe de l'excuse de minorité, qui permet de réduire la peine de moitié pour les mineurs.

Un mineur peut être condamné jusqu'à vingt ans de réclusion criminelle si l'excuse atténuante de minorité est retenue, et jusqu'à la perpétuité si elle n'est pas retenue. Peu de gens le savent ! Notre système est en réalité un des plus sévères d'Europe. Est-il souhaitable alors de traiter les jeunes délinquants comme des adultes ?

Le second principe est celui de la responsabilité pénale graduée selon les âges. La proposition tend à écarter le principe d'excuse de minorité dès 15 ans, au lieu de 16 ans, et à permettre la détention provisoire dès 13 ans pour les mineurs qui ont commis des délits ! (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR)

Faut-il rappeler que la suppression de la détention provisoire en matière correctionnelle pour les moins de 16 ans a été défendue ici en 1987 par M. Chalandon, ministre de la justice sous le gouvernement de M. Jacques Chirac, et adoptée à l'unanimité ?

Mme Nicole Catala - La situation n'est plus la même !

Mme la Garde des Sceaux - L'exposé des motifs contient de nombreuses références européennes. Mais en réalité la France est le seul pays d'Europe qui n'applique pas de seuil d'âge pour les condamnations pénales : dans notre pays un enfant de moins de 13 ans peut être condamné pénalement, alors que l'Allemagne, l'Autriche, l'Espagne, l'Italie, l'Irlande ont retenu un seuil de 14 ans, le Danemark, la Suède et la Finlande un seuil de 15 ans.

En outre, en Allemagne, les dispositions relatives aux mineurs peuvent être appliquées aussi aux jeunes majeurs jusqu'à 21 ans et elles le sont dans la moitié des cas.

Votre proposition nous éloignerait encore plus des systèmes européens que vous citez.

Le troisième principe est la nécessité d'un suivi éducatif des mineurs délinquants. Aucun gouvernement responsable ne peut revenir sur ce principe, consacré par l'ordonnance de 1945 et réaffirmé dans toutes les recommandations internationales sur les droits de l'enfant. Il ne s'oppose nullement à celui de la sanction. Comment justifier alors la proposition de traiter sur un plan strictement pénal, à l'exclusion de toute action éducative, les enfants de 10 ans poursuivis pour des faits criminels ? C'est sûrement la plus forte de mes interrogations.

Le quatrième principe est le jugement par une juridiction spécialisée qui fait appel aux citoyens. Le tribunal pour enfants est composé d'un juge des enfants et de deux assesseurs, issus de la société civile et connus pour l'intérêt qu'ils portent aux questions de l'enfance. Actuellement, plus de 1 500 assesseurs, dont 55 % de femmes, participent aux tribunaux pour enfants ; les trois quarts exercent une activité professionnelle. Vous proposez de remplacer l'un des deux assesseurs par un magistrat professionnel au motif que ces citoyens seraient trop indulgents. Je ne vois pas ce qui justifie cette affirmation de principe, d'autant que les jurys d'assises sont réputés plus durs que les magistrats professionnels.

La participation de ces citoyens ne contribue-t-elle pas à l'adaptation de la peine ? Elle est l'expression d'une « responsabilité partagée » à l'égard de ces enfants et adolescents. Et je m'interroge sur la cohérence de cette proposition avec celle formulée par vos amis sur l'échevinage dans les tribunaux correctionnels !

M. Pierre Cardo - On va l'amender.

Mme la Garde des Sceaux - Contrairement à vous, je crois que la réponse à la délinquance des mineurs réside dans l'action, et non dans des discours sur une réforme prétendument nécessaire de l'ordonnance du 2 février 1945 (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du RPR).

Je n'ai jamais occulté l'augmentation de la délinquance des mineurs, liée à la violence croissante de notre société (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR). Je refuse en revanche le terme de « flambée », qu'infirment les statistiques. Il ne faut pas se laisser influencer par certaines images, relayées par des propos fortement médiatisés.

L'immense majorité des mineurs ne pose aucun problème de délinquance et il est faux de laisser penser qu'il n'y aurait aucune sanction à l'égard des mineurs délinquants (« Tout va très bien ! » sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL)

Mme la Garde des Sceaux - Non, tout ne va pas très bien. Mais, dans tous les cas, une sanction intervient sous la forme d'un rappel à la loi, d'une obligation de réparation ou d'une autre mesure (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR). Cette réponse paraît efficace puisque 70 % des mineurs poursuivis ne récidivent pas (Interruptions sur les bancs du groupe DL).

La justice n'hésite du reste pas à prendre, si nécessaire, les mesures les plus sévères puisque les incarcérations de mineurs ont presque doublé depuis 1993.

En réalité, la solution ne peut résider que dans la complémentarité des solutions retenues.

C'est dans cet esprit que le Gouvernement a travaillé, sur la base du rapport de Christine Lazerges et de Jean-Pierre Balduyck, en adoptant, au sein du Conseil de sécurité intérieure, d'importantes réformes, qui ne concernent pas seulement mon ministère.

En réponse à la demande d'une plus grande visibilité de la police, a été créée la police de proximité, qui n'est pas cette caricature du policier-copain.

On sait la responsabilité d'adultes dans l'organisation de l'économie souterraine qui soutient la délinquance. Préfets et procureurs mènent des actions ciblées pour éradiquer ces formes d'économie souterraine. C'est un axe fort de la politique de lutte contre la délinquance, plus efficace que l'incitation indirecte que vous proposez.

Le plan de lutte contre les violences scolaires et le développement du dispositif des classes-relais, à l'image de celui qui a fait la réussite de Montpellier (Protestations sur les bancs du groupe du RPR), la mise en place de réseaux de soutien aux parents, tout cela constitue une politique, encore trop récente pour être évaluée, mais qui témoigne de la volonté d'agir de façon cohérente.

Nous avons aussi noué des partenariats avec les collectivités locales, sous la forme des conseils communaux de prévention de la délinquance ou des contrats locaux de sécurité.

L'assemblée des présidents des conseils généraux s'est également engagée, suite à un important travail réalisé par l'association des départements de France et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, à travailler sur de nombreuses pistes de collaboration.

Toute notre action, depuis 1997, pour la justice des mineurs poursuit un double objectif : diversifier les sanctions et mettre en _uvre une justice réparatrice.

Les sanctions peuvent aller du rappel à la loi - le nombre de délégués du procureur spécialisés est passé de 30 en 1998 à 300 aujourd'hui - à la réparation - près de 12 000 mesures en 2000 contre 6 000 en 1997 -, au travail d'intérêt général, sans doute pas assez développé, mais aussi aux mesures de mises à l'épreuve ou d'emprisonnement ferme : chaque année, plus de 4 000 mineurs sont incarcérés. Cette incarcération doit demeurer l'ultime recours et être assortie d'une prise en charge éducative.

C'est l'esprit de la réforme entreprise depuis 1999 ; plusieurs quartiers de mineurs ont été réaménagés en petites unités ; leurs surveillants reçoivent aujourd'hui une formation particulière et une très grande attention sera apportée au régime des mineurs en détention dans la future loi pénitentiaire.

Votre proposez de créer des centres fermés, mais on ne peut enfermer de mineurs sans décision judiciaire. En revanche, on peut prévoir, dans les centres de jeunes détenus, des régimes de semi-liberté permettant l'école ou l'apprentissage : c'est ce que nous faisons aujourd'hui, grâce à la volonté d'innovation, par exemple, du parquet de Paris.

Ces centres seront créés dans toutes nos régions, pour éviter la détention sans activité appropriée, qui incite à la récidive plus violente encore.

Le Gouvernement s'emploie à offrir de nouvelles formes de prise en charge des mineurs délinquants. Et je rappelle, à ce sujet, que vos commissions d'enquête sur les prisons ont souligné que la détention était plus souvent dégradante que porteuse de réinsertion et que vous avez demandé la réduction des détentions provisoires pour les adultes. Pourquoi réclamer le contraire pour les enfants ? Mieux vaut rechercher des solutions alternatives.

En janvier 1999 la création de 100 centres éducatifs renforcés et de 50 centres de placement immédiat était annoncée au Conseil de sécurité intérieure. Actuellement, 48 centres éducatifs renforcés sont ouverts. Il y en aura 70 à la fin de l'année, 100 en 2002. 40 centres de placement immédiat ont été ouverts. Il y en aura 50 au début de l'année 2002.

La pertinence du dispositif est démontrée : le suivi éducatif renforcé s'inscrit autour d'un projet d'activité fort - chantiers, travail avec des artisans, missions humanitaires, apprentissage - avec un accompagnement quotidien pendant trois à cinq mois par les mêmes adultes.

Ces centres permettent de rompre avec l'environnement délinquant sans provoquer une exclusion, mais, au contraire, en favorisant une prise en charge soutenue et la restauration d'une relation de confiance avec l'adulte et la société.

Les centres de placement immédiat jouent un rôle essentiel dans l'accueil d'urgence et l'orientation des mineurs délinquants, considérés comme difficiles. Ce programme a exigé un recrutement massif : 1 000 postes d'éducateurs et 67 postes de juges pour enfants ont été créés en quatre ans, ce qui représente un effort sans précédent depuis quinze ans. A l'issue des entretiens de Vendôme, la justice des enfants restera au c_ur de nos débats.

Je ne nie pas les difficultés. Je suis, en particulier, préoccupée par les délais d'exécution de mesures de justice, pénales ou éducatives, concernant les mineurs. Il nous faut progresser grâce à une augmentation des moyens et à une réflexion sur les méthodes. Le retard pris est considérable : or une sanction prononcée six mois après les faits n'a plus grand sens pour le mineur.

Je sais également les difficultés rencontrées par les jeunes professionnels dans les foyers accueillant des mineurs qui ont parfois déjà « usé » plusieurs équipes éducatives.

C'est pourquoi je souhaite que leur recrutement soit plus diversifié ; la loi du 2 janvier 2001 sur la modernisation de la fonction publique nous ouvre des voies puisqu'il va être possible de reconnaître l'expérience professionnelle en équivalence de diplôme. Cette réforme, particulièrement intéressante pour le métier éducatif, pourra se réaliser en 2002.

J'ai également décidé que la gestion des ressources humaines devrait veiller au mélange des générations, afin de faire profiter les jeunes professionnels de l'expérience des plus anciens.

J'en viens à la mise en _uvre d'une justice réparatrice. Elle se définit en trois mots : répondre, responsabiliser, réparer.

Oui, il faut répondre à tout acte de délinquance. Les parquets ont développé depuis 1998 des procédures nouvelles qui vont du rappel à la loi à la médiation réparatrice. Le taux de réponse pénale aux actes commis par les mineurs atteint 80 %.

Pour être efficace, la réponse doit être adaptée. Or les jeunes n'existent trop souvent que dans le groupe ou la bande ; il faut briser ce « collectif totalitaire » et répondre individuellement par l'expression d'une autorité intelligente et accessible.

M. Jean-Antoine Leonetti - Pourquoi ne le faites-vous pas ?

Mme la Garde des Sceaux - Responsabiliser, ensuite, signifie placer l'enfant ou l'adolescent face à ses actes, lui rappeler l'existence de limites et lui faire comprendre que des choix sont possibles. Cela renvoie au volet éducatif de la sanction. La détention est complètement vaine si elle ne provoque pas chez l'adolescent une remise en cause et l'élaboration d'un projet de vie.

Réparer, enfin.

Je souhaite développer et diversifier les mesures de réparation. Mais réparer, c'est aussi renouer le dialogue avec les adultes. C'est pourquoi j'encouragerai la multiplication des lieux d'écoute parents-enfants et la mobilisation d'adultes bénévoles. Qu'il me soit permis de saluer les artisans, les artistes, les écrivains, les anonymes qui organisent activités et rencontres.

M. Pierre Cardo - On sait bien que ce n'est pas suffisant.

Mme la Garde des Sceaux - Il nous faut progresser encore, innover, multiplier les partenariats, ouvrir l'institution judiciaire sur la cité, encourager la mobilisation de tous face à la violence.

La réforme de l'ordonnance de 1945 est devenue un leitmotiv alors que le contenu même de cette ordonnance est mal connu. Les mesures qu'on nous propose n'auraient qu'une efficacité très limitée, comme l'a dit M. Devedjian, et seraient contraire à tous nos principes.

La démarche du Gouvernement est au contraire celle d'un véritable projet social. Ne cédons pas à la « dépression collective » face à la violence, mobilisons-nous ensemble pour une société respectueuse de l'autre, soucieuse de justice, capable d'éduquer sa jeunesse et de lui offrir un avenir.

Vous avez évoqué les délits sexuels des très jeunes enfants. Regardons donc comment la sexualité est présentée par la publicité, par la presse, par la radio et la télévision.

Mme Nicole Catala - Faites quelque chose !

M. Jean-Antoine Leonetti - Qui gouverne ? On croît rêver !

Mme la Garde des Sceaux - J'assume totalement mes responsabilités, Monsieur le député.

Sachons aussi restaurer l'autorité comme facteur de liberté et non pas uniquement de répression. Pour cela, il faut conforter les professionnels chargés de l'éducation des jeunes. Il est très facile de mettre en cause les enseignants, les juges, les éducateurs, les policiers, quand la société, c'est-à-dire chacun d'entre nous, se défausse sur eux des tâches de transmission.

De même, chaque élu a une responsabilité dans la conduite du débat local : il ne faut pas laisser la rumeur s'installer, ni les peurs s'exacerber, mais organiser la discussion, expliquer... Les élus locaux comme les professionnels du terrain doivent investir l'espace public. Il faut tout faire pour substituer le débat à l'affrontement. C'est le sens de la circulaire que nous avons adressée aux préfets et procureurs.

Affirmons notre volonté de permettre à chaque jeune de participer à la construction de notre société. Celle aussi de ne pas laisser se développer les comportements violents, attentatoires à la liberté de chacun. Il n'y a pas d'excuse à la violence, mais une répression accrue ne serait qu'une preuve de faiblesse. Notre force, celle de la démocratie, c'est de nous fonder sur un droit garant de la liberté, pour aider les jeunes à se construire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Claude Goasguen - On se demande qui a écrit un tel discours !

Mme la Garde des Sceaux - J'en suis l'auteur et j'en assume pleinement la responsabilité.

Mme Nicole Catala - La proposition de loi défendue par notre collègue Henri Cuq au nom de l'opposition touche à l'un des sujets qui préoccupent le plus nos concitoyens : la délinquance des mineurs.

Le nombre des mineurs mis en cause par les servies de police ou de gendarmerie a pratiquement doublé en dix ans. Il était de 175 000 l'an dernier. Ces mineurs sont de plus en plus jeunes : ainsi, en 1998, 171 mineurs condamnés pour viol avaient moins de 16 ans, 33 moins de 13 ans. Ils sont aussi de plus en plus violents et opèrent souvent en bandes. Cette situation est de plus en plus mal vécue par nos concitoyens.

Ce constat conduit à penser que le dispositif français de prévention et de traitement de la délinquance des jeunes n'est plus adapté. Plusieurs gouvernements ont du reste sollicité des études sur le sujet, dont le rapport de Mme Lazerges et M. Balduyck en 1998. En 1996, M. Toubon, alors Garde des Sceaux, a fait adopter une loi accélérant le traitement des affaires concernant les jeunes délinquants. Mais aujourd'hui d'autres réformes s'imposent. Le texte de M. Cuq, qui n'est ni liberticide ni aveuglément sécuritaire, ne prétend pas résoudre tous les problèmes mais tend à la fois à améliorer la protection des mineurs et à moderniser l'ordonnance de 1945, liant ainsi les deux aspects indissociables que sont la prévention et la sanction, laquelle a une valeur éducative.

Comment mieux protéger les mineurs ?

Tout le monde s'accorde à dire qu'il faut rendre les parents plus attentifs à leurs responsabilités d'éducateurs. Le code de la sécurité sociale permet d'ores et déjà de suspendre, voire de supprimer les allocations familiales. Quant au code pénal, il expose les parents défaillants à des peines d'emprisonnement ou d'amende. Mais ces sanctions ne sont que très rarement appliquées. Dans son rapport, Mme Lazerges proposait de vérifier systématiquement, lorsqu'un mineur commet des actes de délinquance, si les prestations familiales sont utilisées dans l'intérêt de l'enfant. Elle proposait aussi d'appliquer, chaque fois que nécessaire, les procédures de suppression, suspension ou mise sous tutelle des prestations familiales, mais ses suggestions n'ont pas été retenues.

De même, sont restées sans suite sa proposition d'inciter les parquets à requérir la fixation par les juges des enfants d'une contribution financière à la charge des parents dont un enfant a fait l'objet d'un placement, ou encore celle de créer une amende civile dont les parents civilement responsables d'un mineur seraient redevables en certains cas. Sans suite, non plus, l'idée d'inciter les parquets à ce que les faits susceptibles d'être qualifiés de recel de la part des parents fassent l'objet d'investigations systématiques et de poursuites.

Devant cette carence du Gouvernement il est naturel que nous nous préoccupions de cette responsabilisation des parents. Ce que nous propose M. Cuq est tout à fait raisonnable.

En ce qui concerne les poursuites et les sanctions ou mesures éducatives applicables aux mineurs délinquants, cette proposition de loi tire les conséquences de l'évolution dont nous faisons tous le constat, notamment le caractère précoce de cette délinquance et la fréquence des récidives.

C'est pourquoi il est envisagé d'élargir les possibilités de placement et de garde à vue des mineurs, mais en renforçant leurs droits. Nous proposons aussi d'étendre le champ des travaux d'intérêt général, qui sont dans bien des cas utiles à la réinsertion de ces mineurs désocialisés.

Encore faudrait-il que les moyens existent. Or nous savons qu'ils sont insuffisants. A Paris, la protection judiciaire de la jeunesse est presque inexistante. Qu'on ne nous raconte donc pas d'histoires.

Oui, Madame Lazerges, il faut, comme vous le demandez dans votre rapport, à tous les actes de délinquance commis par des mineurs et portés à la connaissance des parquets, « recourir davantage aux mesures de médiation », « inciter la protection judiciaire de la jeunesse et le secteur privé à proposer un plus grand nombre de mesures de réparation », « créer au plan national une vingtaine d'internats », et multiplier « les solutions d'éloignement », grâce aux unités d'encadrement renforcé créées par Jacques Toubon en 1996 et abandonnées par Mme Guigou en 1997. Elle a certes changé d'avis, sous la pression de l'opinion, mais nous avons perdu deux ans.

Le nombre de ces centres est très insuffisant. En 2000, seulement 1 700 mineurs ont été accueillis dans ces structures, sur 175 000 impliqués dans des faits délictueux.

La majorité plurielle n'ignore pas ce problème, mais, malgré les bonnes paroles que vous nous prodiguez à l'approche des élections, elle n'a pas voulu le traiter, pour des raisons idéologiques.

On ne peut remettre ces jeunes sur la bonne voie qu'en conjuguant prévention, éducation et sanction. Autrement, c'est leur propre avenir et la cohésion de notre société qui serait compromis (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Christine Lazerges - « Le problème de l'enfance coupable demeure l'un des problèmes les plus douloureux de l'heure présente. Les statistiques les plus sûres, comme les observations les plus faciles, prouvent, d'une part, que la criminalité s'accroît dans des proportions fort inquiétantes, et d'autre part, que l'âge moyen de la criminalité s'abaisse selon une courbe très rapide ».

Ce n'est pas moi qui l'affirme, ni aucun des Gardes des Sceaux de la Ve République, mais le célèbre pénaliste Emile Garçon, dans un traité publié en 1922.

Alors, sachons raison garder. Reconnaissons que le problème de la délinquance des mineurs n'est en rien nouveau, il a de tout temps inquiété, affolé même.

M. Rudy Salles - Ce n'est pas sérieux.

Mme Christine Lazerges - Ce problème nous concerne tous, nous qui vivons dans une société d'une grande violence. Cette violence n'échappe à personne et surtout pas aux jeunes, qui passent un nombre d'heures considérable devant la télévision.

Nous avons tous la volonté d'empêcher les jeunes de tomber dans la spirale de la violence, de prévenir les troubles à l'ordre public et, si on ne les a pas prévenus, de les réprimer. Nous avons tous le souci de garantir le droit à la sécurité, qui constitue pour les Français la priorité des priorités, avec l'emploi.

En mai 1998, Jean-Pierre Balduyck et moi-même remettions au Premier ministre un rapport sur les solutions à apporter à la délinquance des mineurs. La facilité aurait été de proposer de petites modifications de l'ordonnance du 2 février 1945, en laissant croire aux Français que notre mission était accomplie.

Ce piège de la facilité, de la démagogie, nous l'avons évité. Monsieur Cuq, vous êtes tombé dedans en vous faisant l'ardent défenseur d'une réforme artificielle, irréaliste, inconstitutionnelle, irresponsable et inapplicable.

M. Pierre Cardo - C'est l'ordonnance de 1945 qui est inapplicable.

Mme Christine Lazerges - Le problème de la délinquance des mineurs n'est pas un problème de textes et vous le savez très bien.

M. Pierre Cardo - C'est un problème de volonté politique.

Mme Christine Lazerges - Vous trompez les Français en laissant entendre que la modification des seuils d'âge fera reculer la délinquance des mineurs. Ne demandez pas à la loi ce qu'elle ne peut produire, mais demandez qu'elle soit appliquée.

M. André Schneider - Mais qui est au Gouvernement ?

Mme Christine Lazerges - Dans ma région, le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse a instruit dix-sept dossiers pour ouvrir autant de centres de placement. Il s'est heurté le plus souvent au refus des maires (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

L'ordonnance de 1945 est le système à la fois le plus répressif et le plus souple d'Europe. Nombre de nos partenaires de l'Union européenne nous l'envient. Avec le droit pénal belge, le nôtre alimente la réflexion de ceux qui travaillent à l'harmonisation des législations européennes. En effet, l'ordonnance offre une palette de sanctions allant de l'admonestation à la réclusion criminelle à perpétuité. Elle pose pour principe la responsabilité pénale du mineur, puisque celui-ci peut être traduit devant des juridictions pénales dès l'âge de 7 ans.

L'arsenal législatif existe. Il a été près de vingt fois précisé sur des points particuliers comme la garde à vue des mineurs, leur détention provisoire, la célérité des procédures ou encore l'activité de réparation.

Comme nous le demandions dans notre rapport, consacrons notre énergie de politiques responsables à formuler des propositions réalistes. Aucun gouvernement, depuis 1945, ne s'est autant intéressé à la délinquance des mineurs que celui de Lionel Jospin. Le bilan des quatre dernières années est considérable. On assiste du reste à un tassement réel de cette délinquance. Trois Conseils de sécurité intérieure ont été consacrés au problème. Ce Gouvernement a posé le principe d'une réponse systématique à chaque acte de délinquance. Il a multiplié les mesures de réparation, augmenté le nombre des délégués du procureur, incité les parquets à raccourcir les délais, renforcé le caractère de circonstance aggravante qu'ont les actes commis en réunion ou en bande organisée.

Deux circulaires du ministère de la justice et une circulaire interministérielle ont été prises. Nous avons multiplié les classes-relais. Il n'y en avait qu'une, à Montpellier, créée grâce à un bon partenariat de la justice, de l'éducation nationale et de la ville. On en compte aujourd'hui 300.

Quant aux centres éducatifs renforcés, dont Mme Catala nous dit qu'ils ont été abandonnés en 1997 et en 1998, leur nombre est passé de 6 à 47 auxquels s'ajoutent 35 nouveaux CPI.

Le nombre des mineurs détenus a augmenté, il y en a 700 aujourd'hui et 3 000 mineurs font chaque année l'expérience de la prison, dans des quartiers spécifiques, radicalement transformés depuis 1998.

Il reste certes beaucoup à faire, mais toutes les instances de la société sont concernées.

L'exécution des décisions de justice est trop longue. La coordination entre magistrats et éducateurs doit être améliorée. Il faut aussi renforcer le suivi du mineur condamné, ce qui signifie augmenter le nombre de juge des enfants. Depuis 1998 d'ailleurs, 67 postes budgétaires ont été créés. En outre, la délinquance organisée des mineurs ou des adultes utilisant des mineurs devrait être combattue en priorité.

Vous le voyez, ce n'est pas en modifiant l'ordonnance de 1945 qu'on atteindra ces objectifs. N'oublions jamais que la famille est le lieu d'enracinement de la socialisation.

Tout ce que nous faisons pour le soutien des familles, pour l'apprentissage de la parentalité, nous le faisons aussi pour lutter contre la délinquance des mineurs.

Il y a un lien étroit entre notre politique de la famille, notre souci d'une autorité parentale partagée, notre volonté de rendre le divorce moins conflictuel et la lutte que nous menons contre la délinquance des mineurs.

Chaque enfant ou adolescent doit apprendre et comprendre qu'il s'exclut par le refus de l'autre. Ce serait si simple s'il ne s'agissait que de modifier quelques articles de l'ordonnance ! C'est en réalité un combat tous azimuts pour la socialisation des jeunes les plus fragiles qui doit être mené avec détermination, et non pas une énième et dérisoire modification de l'ordonnance. Ce qui serait porteur d'espoir, ce serait que nous sachions donner à chaque jeune un avenir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean-Antoine Leonetti - Inutile de rappeler cette évidence : la délinquance des mineurs est aujourd'hui plus précoce, plus violente et plus récidivante que par le passé. L'ordonnance de 1945, nul ici ne le conteste, est toujours d'actualité dans ses principes, et demeure un texte de référence. Cependant elle a été réactualisée une vingtaine de fois, et je ne vois pas au nom de quel tabou nous nous interdirions d'en faire une relecture, dans une société devenue plus violente. Je me réjouis donc que l'opposition aborde ce sujet, ce que visiblement la majorité refuse de faire -sans doute parce qu'il y a sur ce point des dissensions en son sein.

Le texte présenté est équilibré et conforme à l'esprit de l'ordonnance. Il recherche à la fois à réprimer et à protéger le mineur, qu'il tient, avec raison, pour un coupable mais aussi pour une victime. Il tente surtout de mettre fin à cette impunité que nous constatons quotidiennement et par laquelle les jeunes délinquants se savent prémunis. Aujourd'hui, votre prévention est inefficace et votre répression inadaptée. L'objectif de toute démocratie doit être de faire de ses enfants des citoyens libres et responsables. Or, loin de tendre vers ce but noble et global, la prévention se disperse en petites actions disparates. Constatant leur échec, on conclut que le modèle républicain d'intégration ne fonctionne plus, sans remettre en cause l'adéquation des politiques menées à cet idéal. La prévention est trop tardive, incapable d'identifier précocement les sujets à risque. On prend des mesures sympathiques : installation d'un panier de basket, d'une salle de musique... Tout cela est intéressant, mais rarement responsabilisant. On se contente souvent d'occuper les jeunes pour qu'ils se tiennent tranquilles : cette vision minimaliste et angélique de l'insertion accrédite l'idée dévalorisante que le monde des jeunes ne peut accéder à la citoyenneté que par le jeu. Pour nous, c'est par la responsabilité, le travail, l'idéal républicain, la formation et le savoir.

Mme Nicole Bricq - Vous n'avez pas le monopole de cette manière de penser.

M. Jean-Antoine Leonetti - Mais j'ai le droit de le penser. Et vous remarquerez que je ne suis pas au pouvoir. Mais une chose me frappe dans les propos de Mme la ministre et de la majorité : c'est qu'ils se déclinent au futur - alors que vous êtes au pouvoir depuis des années - ou au conditionnel : « il faudrait »... Si, quand on a le pouvoir, on n'est capable ni d'appliquer la loi ni de la modifier, il est temps peut-être de passer à autre chose (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Selon nous, les maires et les collectivités locales peuvent jouer un rôle important. Vous vous en méfiez, et vous avez tort. Le dépistage en médecine scolaire, les travaux d'insertion font l'objet de partenariats forts. Il faut aussi savoir faire passer, et ce n'est pas le cas aujourd'hui, le message de la nation et de la République. On a beaucoup parlé d'humiliation dernièrement. Mais j'ai été profondément humilié d'entendre siffler la Marseillaise au Stade de France. C'est qu'on n'a pas expliqué à ces jeunes qu'ils avaient de la chance d'être en France, et d'être Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Dans notre code pénal, dont vous avez souligné avec raison qu'il est assez sévère, on ne recherche jamais une modification qualitative, mais toujours quantitative des sanctions : on divise par deux les sanctions encourues par les adultes. Or, la sanction du mineur doit être spécifique, adaptée, individuelle et éducative. Elle doit pouvoir être proposée par le conseil local de sécurité et soumise au juge dans un délai limité : avec l'impunité, disparaîtrait alors l'intolérable lenteur des sanctions, qui n'en seraient que mieux comprises. J'admets que, pour les primo-délinquants, la prison est inutile, néfaste, et dépourvue de valeur éducative. Quant aux CER et aux CPI, dans la ville dont je suis maire, nous sommes demandeurs. Mais j'entends dire que Montpellier, dont le maire est socialiste, n'arrive pas à placer ce genre de centre...

Le traitement de la délinquance juvénile doit se garder de l'angélisme préventif, et de la sanction brutale. Cette politique a un coût, et appelle des ajustements législatifs. Ce débat est donc intéressant. M. Cuq a bien dit que son texte ne résolvait pas tous les problèmes. Il faut surtout une volonté politique d'appliquer la loi. La France n'est pas assez riche en enfants pour négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. Notre société ne peut se résoudre, avec un cynisme qui prend parfois la forme d'un jeunisme électoral, à une délinquance continuelle, de plus en plus violente et de moins en moins réprimée (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. Georges Sarre - La délinquance des mineurs est de plus en plus inquiétante, non seulement parce qu'elle s'accroît, mais aussi parce qu'elle est le fait d'adolescents de plus en plus jeunes, parce qu'elle est le fait de bandes organisées qui profitent de leur impunité, et parce que ses victimes elles-mêmes sont fréquemment des mineurs. Il suffit de lire la presse pour le constater, Madame Lazerges : les délits commis par des jeunes de 13 ou 14 ans ne sont plus des exceptions, mais des faits courants, comportant souvent un défi caractérisé lancé à l'autorité, de plus en plus graves : rackets, coups et blessures, vols avec violence, viols ne se comptent plus.

C'est pourquoi notre débat est important. L'ordonnance du 2 février 1945, socle législatif de la lutte contre la délinquance, n'est plus adaptée.

Elle a, certes, déjà subi de nombreuses révisions, mais sa logique profonde n'a pas été modifiée.

Or, la gravité des faits actuels impose des changements, afin que la police et la justice aient les moyens d'agir. Il faut donc réformer l'ordonnance du 2 février 1945 de sorte que sa conception éducative, qui est une bonne chose, intègre davantage la sanction elle-même.

Il faut le faire en adoptant des dispositions simples, faciles à appliquer par les magistrats lorsqu'ils l'estiment opportun. Il ne servirait à rien d'alourdir encore un dispositif qui - déjà - fonctionne mal, faute de moyens ou de volonté. Ce qui importe, c'est d'ajouter les dispositions qui manquent : rien de moins, mais rien de plus, sauf à se contenter de mesures d'affichage. Il faut le dire, Madame la Garde des Sceaux, le service public de la justice est sinistré. En cinq ans, certes, le budget de la justice a été accru de 29 %, ce qui n'est pas rien. Mais à Paris, par exemple, le parquet des mineurs a le même nombre de substituts, de juges des enfants et de fonctionnaires qu'il y a cinq ans, cependant que la création d'un CPI se fait attendre. Il y a en tout trois de ces centres pour toute l'Ile-de-France, ce qui représente trente places... Je pourrais citer le cas de cette jeune fille de 14 ans, en danger dans sa famille, et qui a cherché un lieu d'accueil pendant toute une journée, sans succès - alors même qu'elle cherchait au-delà de l'Ile-de-France. Le Gouvernement et la majorité font des efforts, qui en doute ? Mais regardez où nous en sommes !

La proposition du groupe RPR est une accumulation de dispositions. Certaines sont tout à fait nécessaires, d'autres méritent débat, et d'autres encore n'ont qu'un rapport lointain avec le sujet. En outre, il me semble qu'elle tend à aggraver les dispositions applicables aux mineurs, sans hiérarchiser les priorités.

Parmi les mesures nécessaires, j'en citerai deux : l'application de la procédure de comparution immédiate aux mineurs récidivistes, et la remise en cause, en cas de réitération, du principe de responsabilité pénale atténuée. J'ai du reste, avec mes collègues du Mouvement des citoyens, déposé une proposition de loi en ce sens.

D'autres dispositions méritent débat, notamment les limites d'âge fixées pour tel ou tel élément de la procédure pénale : la réponse à cette vraie question ne s'impose pas d'emblée. Enfin d'autres dispositions se perdent dans le détail ou nous éloignent du sujet principal. Or, face à ce problème difficile, il faut aller à l'essentiel : une peine comprise parce que rapidement administrée, une peine qui mette fin au sentiment d'impunité, et une même peine pour les mineurs que pour les majeurs dès lors qu'il y a récidive.

En conclusion, sans approuver toutes les dispositions proposées, je juge opportun de débattre de cette proposition, et je voterai donc pour le passage à l'examen des articles. J'ajouterai qu'il y a deux attitudes à éviter.

La première, c'est l'angélisme, et elle se retrouve beaucoup plus dans vos propos (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR). La deuxième, c'est d'user de la démagogie de la peur. Le Mouvement des citoyens essaiera de combattre l'une et l'autre.

M. Pierre Cardo - Le consensus existe au moins dans cet hémicycle pour considérer que l'ordonnance de 1945 fut une grande avancée de l'après-guerre. La priorité qu'elle donnait à l'éducatif, après un usage exclusif et parfois violent du répressif, a mis fin à une période détestable pour notre jeunesse. Mais cette grande avancée doit, comme d'autres dans d'autres domaines, être revue à l'aune de l'évolution de la société : qui accepterait aujourd'hui de n'avoir qu'une semaine de congés payés ? Or l'ordonnance de 1945 n'a été que très peu revue. Ce ne sont pourtant ni les critiques ni les chiffres sur la délinquance qui ont manqué ! Au point qu'on peut se demander s'il s'agit d'un outil à perfectionner ou d'un mouvement historique à préserver coûte que coûte. Dès 1991, on me demandait de rédiger un rapport et je concluais à la nécessité de réformer l'ordonnance de 1945, de responsabiliser les parents, d'adapter l'école, de renforcer les moyens de la justice des mineurs, de créer de nouveaux internats et de faire évoluer le système carcéral des mineurs. Le rapport mettait en garde contre l'aggravation de la situation : il a été jugé trop alarmiste. Or aujourd'hui, la réalité a dépassé les prévisions. Massification, banalisation et rajeunissement de la délinquance vont de pair avec augmentation de la violence et de la récidive.

Face à cela, on nous propose d'abaisser la responsabilité pénale à 10 ans au lieu de 13 - cet âge ayant été fixé en 1945 -, de sanctionner plus fortement la récidive, de rendre les travaux d'intérêt général applicables à partir de 14 ans et d'autoriser les maires à réglementer la circulation des mineurs la nuit.

Mme Nicole Bricq - Ce qui est très efficace !

M. Pierre Cardo - Que de polémiques soulève ce dernier point ! S'attaque-t-on réellement à la liberté individuelle lorsqu'on interdit à des gamins de moins de 13 ans de traîner à deux heures du matin dans des quartiers où les médecins et les pompiers n'entrent pas sans se faire accompagner de la police ? Etes-vous étonnés qu'ils deviennent violents ayant pour exemple ceux qui tiennent le haut du pavé à cette heure ? Etes-vous surpris de leur échec scolaire alors qu'ils arrivent épuisés à l'école le matin ?

Par ailleurs, le texte renforce les sanctions applicables aux adultes qui incitent les mineurs à commettre des infractions, voire se servent d'eux. Quant au dernier volet, il réorganise les procédures de la garde à vue et de la détention provisoire. Il s'agit donc d'un texte équilibré, toujours négociable, qui ne veut qu'adapter aux nécessités actuelles une ordonnance vieille de 56 ans. La priorité reste à l'éducation, mais la sanction est réhabilitée. Vous admettez la nécessité de retrouver cet équilibre : Mme Lazerges a par exemple souligné en commission que le suivi des peines prononcées par les juges des enfants était insuffisant et a regretté que les peines interviennent six mois ou un an après les faits ; M. Goasguen, lui, a souligné que les juges avaient privilégié les aspects éducatifs et préventifs de l'ordonnance. Or l'ordonnance souffre de l'interprétation qu'en font certains magistrats et du manque de moyens pour assurer la mise en _uvre et le suivi des sanctions. Il faut donc que le législateur précise le texte de 1945 et que le Gouvernement lance l'équivalent d'un plan ORSEC pour la justice des mineurs.

Mais je sais, Madame la ministre, que vous démontrerez que l'ordonnance n'a qu'une faible part de responsabilité dans la situation actuelle et qu'il s'agit encore une fois de procéder à une « coproduction ». Voici un terme qui sert moins à mobiliser l'ensemble des acteurs qu'à permettre à l'Etat de se défausser en matière d'éducation, de justice et de police. Le groupe DL n'acceptera pas cet argument. Il sait que vous allez refuser le débat, comme vous l'avez fait pour une proposition semblable que j'avais déposée en 1999. Pourtant, le Premier ministre déclarait le 17 avril : « Il faut voter une loi, mais il faut pouvoir la faire voter ! », en précisant qu'il n'y avait pas de consensus, ni dans, ni hors de la majorité. Aujourd'hui, le consensus existe dans l'opposition, mais la majorité préfère éviter de montrer ses divisions plutôt que réduire la souffrance des jeunes en dérive et de leurs victimes. Le milieu politique qui a fait voter la loi sur la présomption d'innocence avant tout pour se protéger refuse de considérer la sanction comme une réhabilitation pour les jeunes. Il y a là une logique certaine que les Français apprécieront dans quelques mois (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Bernard Birsinger - La délinquance des mineurs est un sujet grave et nous ne devons pas l'accepter comme une fatalité. Nos collègues de droite veulent aujourd'hui modifier l'ordonnance du 2 février 1945 en prétendant que, son postulat éducatif ayant conduit à un échec, il faut privilégier la répression. Il s'agit de pure démagogie - quoi d'autre d'ailleurs lorsqu'on propose de discuter en quatre heures d'un texte de 53 articles !

L'ordonnance a été modifiée 21 fois, dont 11 depuis 1990. Lors des quatre révisions que vous avez opérées entre 1993 et 1997, vous vous êtes d'ailleurs bien gardés de prendre les mesures désastreuses que vous préconisez aujourd'hui ! Et c'est bien le gouvernement Chirac qui, en 1987, a supprimé la détention provisoire des mineurs de 10 ans et limité l'incarcération de ceux de 13 à 16 ans ! L'ordonnance ne confère aucune impunité aux enfants. Certains, âgés de 7 ans, ont été poursuivis pénalement, reconnus coupables et ont fait l'objet de mesures éducatives. En 2000, 3 996 mineurs sont allés en prison contre 3 274 en 1994 et ce chiffre augmente constamment, alors que la prison peut apparaître comme une école du crime... L'ordonnance affirme la primauté de l'éducatif, elle n'exclut pas la fermeté. D'ailleurs, la sanction fait partie de l'éducation. Vous prétendez défendre les enfants et favoriser la réinsertion des jeunes délinquants. Mais que proposez-vous ? Faciliter la garde à vue et la détention provisoire ? Saisir les allocations familiales et créer un nouveau délit pour les parents ? Insidieusement, vous voulez bouleverser notre système en sous-entendant qu'un enfant qui a commis une faute ne peut être récupéré. M. Estrosi n'a-t-il pas déclaré récemment : « Si l'on ne punit pas le gamin de 10 ans qui insulte la vieille dame, comment évitera-t-on qu'il lui arrache son sac à 12 ans et qu'il l'agresse physiquement à 14 ? » ?

Plusieurs députés RPR, UDF et DL - C'est vrai !

M. Bernard Birsinger - Un de ses collègues n'a-t-il pas dit qu'un juge qui donne un coup de pied aux fesses d'un enfant de 10 ans peut lui éviter ainsi la prison à 18 ? Ce genre d'idéologie est aussi dangereux qu'inefficace. Les couvre-feu décidés à grand renfort médiatique cet été ont montré leur inefficacité.

En même temps, vous affichez un profond mépris pour le travail des policiers et des magistrats, des enseignants et des éducateurs (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Pierre Cardo - C'est vous qui défendez la police aujourd'hui ?

M. Bernard Birsinger - Aujourd'hui, 80 % des mineurs présentés à la justice pénale ne récidivent pas et du travail exemplaire qui a été mené en Seine-Saint-Denis, sur la base de l'ordonnance de 1945, il résulte que 93 % des mineurs convoqués ne récidivent jamais, parce qu'on a fait appel à leur responsabilité et à leur intelligence. On pourrait évoquer la coopération entre police, justice et école, les classes relais, le traitement en temps réel, les centres de placement immédiat et les centres éducatifs renforcés... Voilà autant d'alternatives autrement efficaces !

Mme Nicole Bricq - Absolument !

M. Bernard Birsinger - C'est dans cette direction qu'il faut se diriger.

M. Pierre Cardo - Mais cela relève de l'exécutif !

M. Bernard Birsinger - Or, votre attitude est irresponsable. Alors que les éducateurs et les juges pour enfants font un travail extraordinaire, souvent sans moyens, vous les montrez du doigt (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Ce qu'il faut, c'est s'attaquer aux causes de la délinquance. On sait que, très souvent, l'acte délictueux révèle une souffrance. Nous ne pourrons faire l'économie d'une réflexion de fond sur l'adolescence, intégrant la protection de la santé mentale des jeunes gens. Comment négliger le fait que les mêmes enfants sont souvent en danger, puis délinquants ? Sait-on que, selon l'INSERM, 41 % des garçons délinquants, et 55 % des filles, ont été victimes d'une agression à 12 ou 13 ans ? Et pourquoi 58 % des jeunes pris en charge sont-ils d'origine étrangère ? Pourquoi la plupart des mineurs incarcérés sont-ils issus de milieux défavorisés ? Personne ne constate que les actes asociaux ne sont pas tolérables, mais il est dangereux de stigmatiser certaines populations ou certaines banlieues, et de criminaliser la pauvreté. C'est cette idéologie sécuritaire qui est en échec aujourd'hui, puisque la priorité à l'éducation, inscrite dans la loi, a été abandonnée pendant le quart de siècle qui a précédé cette législature.

Depuis 1997, la protection judiciaire de la jeunesse a bénéficié de 1010 recrutements. Mais en 1998 encore, le nombre de postes d'éducateurs stagnait depuis 15 ans ! Je souhaite d'ailleurs appeler l'attention du Gouvernement sur l'inquiétude des personnels de la justice. Certes, le projet de budget pour 2002 prévoit une augmentation de 4 % des effectifs, mais le temps de travail va diminuer de 10 % (Mouvements divers sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Les députés communistes souhaitent donc qu'un effort plus important encore soit fait, pour ne pas apporter l'eau au moulin des tenants du « tout répressif ».

Mais la priorité à l'éducatif et à la prévention doit largement déborder la justice des mineurs. Vous reconnaissez vous-même, Monsieur Cuq, qu'une modification du système de répression de la délinquance ne suffira pas à elle seule. Il faut aussi, dites-vous, « repenser le rôle de l'école, de la famille, réfléchir aux questions d'urbanisation ou encore s'interroger sur les modalités d'intervention de la gendarmerie... ». On ne peut qu'approuver cette remarque. Mais on peut légitimement se demander pourquoi à chaque fois que vous avez été au pouvoir, vous n'avez eu de cesse de réduire de manière drastique les moyens de l'école en enseignants et en personnel, de limiter les recrutements dans la police et la gendarmerie, de réduire le pouvoir d'achat des familles (Protestations sur les mêmes bancs).

M. le Rapporteur - Il ne faut tout de même pas dire n'importe quoi !

M. Bernard Birsinger - Parlons, alors, de la violence faite à ces salariés que l'on jette comme des mouchoirs sales ! Ceux-là aussi ont des enfants qui souffrent ! Pourtant, vous refusez d'adopter des mesures pour empêcher ces licenciements !

M. Pierre Cardo - Mais qui gouverne ?

M. Bernard Birsinger - Nous avons fait le choix d'un autre projet de société, d'une société solidaire dont l'essence est le respect de l'humain, et non d'une société où le pouvoir économique, la marchandisation de nombreux domaines de la vie et la loi du plus fort sont les modèles dominants.

Vous devriez vous interroger sur votre soutien total au libéralisme qui préfère l'argent facile à la valorisation du travail. Cette idéologie des gagneurs est étrangère aux communistes, qui en combattent quotidiennement les fondements et les effets.

C'est en respectant les droits des enfants, conformément aux termes de la convention dont la France est signataire, que notre société sera en droit d'attendre d'eux qu'ils respectent leurs devoirs. Or, respecter les droits de l'enfant à la santé, à l'éducation, au logement, à la culture et aux loisirs, ce sont autant de priorités qui restent largement à satisfaire (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Christian Estrosi - La détresse des Français face à l'insécurité se double d'une très forte incompréhension devant l'impunité dont jouissent les délinquants. Ils ne supportent plus de croiser celui qui les a agressé et qui a, pour cela, été interpellé en flagrant délit la veille... et relâché.

Les membres du Gouvernement eux-mêmes se scandalisent : vous-même, Madame la Garde des Sceaux, avez regretté que les procureurs n'engagent pas de poursuites contre les petits délinquants, et le ministre de l'intérieur, dénonçant l'inaction des juges, a estimé qu'ils devraient rendre des comptes à la population. Malgré cela, à quoi assiste-t-on aujourd'hui ?

Vous défendez l'ordonnance de 1945 en nous expliquant que c'est un texte remarquable. Pendant ce temps, les procureurs nous disent, eux, qu'ils ne pourront sanctionner les mineurs aussi longtemps que l'ordonnance n'aura pas été réformée (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

La conception purement éducative de l'ordonnance était légitime en 1945, car la délinquance juvénile était insignifiante. D'évidence, elle n'est plus pertinente quant 25 % des délits sont commis par des mineurs ! Et que l'on ne nous dise pas que ce sont les mineurs qui souffrent de la société dans laquelle ils vivent ! Non ! C'est la société qui souffre de leurs agissements !

Il est temps de trouver un équilibre entre le droit à la sécurité pour tous et les droits des mineurs, entre l'éducation et la répression, plutôt que de nous complaire dans un affrontement stérile. Il en va de la société de demain.

C'est ce que fait ce texte, qui dit que la sanction est nécessaire à la construction de l'individu. Point n'est donc besoin d'agiter le chiffon rouge de l'incarcération à outrance, puisque ce que nous cherchons à obtenir, c'est une réponse rapide, juste, utile et proportionnée à chaque acte de délinquance.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois - C'est ce que nous recherchons tous.

M. Christian Estrosi - Alors qu'aucun délit ne devrait rester impuni, 85 % le demeurent, sous votre autorité, Madame la Garde des Sceaux ! Et lorsque nous examinons un texte sur la sécurité quotidienne, vous ne retenez aucun des 100 amendements déposés par l'opposition ! Dans ces conditions, quoi de plus normal que de nous faire entendre, en usant des possibilités de notre Règlement, pour faire connaître notre vision de ce que devrait être la société ?

Nous voulons que le pays se réforme et à cette volonté de rénovation vous opposez le conservatisme qui tend à maintenir un texte dépassé. Certes, la réforme ne réglerait pas tout à elle seule, car c'est le pacte républicain tout entier qui est en train d'exploser. Il faudra donc repenser l'école, la justice, la police... A ce sujet, Monsieur Birsinger, vous avez tenté de faire croire que nous attaquions le travail des policiers et des gendarmes, alors même que nous sommes leurs plus ardents défenseurs. Mais ils sont découragés et nous appellent au secours (Mme Bricq s'esclaffe) tout comme nous appellent au secours ces lycéens qui demandent à être protégés de la poignée de provocateurs, de racketteurs, de violeurs qui leur rendent la vie impossible. Ce sont eux qui nous demandent de faire en sorte que ces perturbateurs soient isolés dans des structures particulières ! Elles sont indispensables, car la prison unique n'est certainement pas la solution adaptée à la délinquance juvénile. Mais il n'existe que 40 CER en France ! Comment les juges pourraient-ils prendre des mesures d'internement ?

M. Jean-Pierre Blazy - Ce sont les maires qui n'en veulent pas !

Mme Lazerges remplace Mme Aubert au fauteuil présidentiel

PRÉSIDENCE de Mme Christine LAZERGES

vice-présidente

Mme la Présidente - Monsieur Estrosi, votre temps de parole est largement dépassé.

M. Christian Estrosi - Je conclus, Madame la Présidente, en soulignant que les conseils généraux pourraient participer au financement de ces structures intermédiaires entre l'éducation nationale et la prison.

S'agissant enfin de la responsabilisation des parents, il ne semblerait pas anormal que la part des allocations familiales due pour l'enfant concerné soit reversée au CER qui en a la charge.

Vous l'aurez compris, nous proposons un nouveau combat social, visant à l'instauration d'une société apaisée, respectueuse des droits, des devoirs et des libertés de chacun (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Pierre Balduyck - Ce sujet exige un débat de qualité, si l'on souhaite répondre à chaque délit par une mesure adaptée, sachant que la prévention est efficace, que les mesures éducatives ont des résultats indéniables si le contrat est ferme et que la sanction s'impose parfois, en société comme en famille. Dans ce cas, elle doit être juste, intelligente, et décidée de sang-froid.

L'ordonnance de 1945 n'a pas été rédigée par des laxistes, mais par des républicains, qui avaient compris que l'enfant délinquant peut devenir un adulte citoyen. Ce n'est pas de l'angélisme que de poser ces principes : maire d'un quartier dit difficile, je suis très impopulaire chez ceux qui ne respectent pas la loi ; mais qui sont-ils ?

Les mineurs délinquants sont, tous, en échec scolaire grave ; leurs parents sont des chômeurs de longue durée ; leurs frères et s_urs aînés, diplômés, se heurtent au racisme à l'embauche ; souvent en mauvaise santé, ils n'ont ni confiance en eux, ni espérance. Pourtant, seule une petite minorité dérape. Inspirons-nous des réussites de ceux qui surmontent ces obstacles, avec l'appui des enseignants, des parents et des militants associatifs.

L'ordonnance de 1945 modifiée répond à toutes les situations : placement éducatif dès 7 ans, tutelle des allocations familiales - 25 000 cas -, responsabilisation des parents, rappel à la loi, peine de réparation, placement immédiat et incarcération pour les cas les plus graves - 700 mineurs sont en prison.

Tous les juges ne refusent pas d'utiliser ces sanctions : la semaine dernière, à Tourcoing, un mineur de 17 ans a été incarcéré pour l'incendie d'une voiture à l'issue d'un rodéo.

Il est aussi nécessaire de démanteler les réseaux d'adultes utilisant des mineurs.

A Bobigny et à Tourcoing, dans les maisons du droit et de la justice, 90 % des mineurs convoqués à la première incivilité ne récidivent pas. La préparation de la sortie de l'incarcération diminue aussi le taux de récidive de 50 %.

Aucun délit ne doit demeurer sans suite. Le sentiment d'insécurité recule depuis quelques semaines dans ma ville : la presse indique désormais, en cas de délit commis par un mineur, la date de convocation ou le contenu de la sanction, ce qui démontre aux citoyens l'efficacité du partenariat entre police et justice.

Je suis, en revanche, scandalisé d'entendre des radios conseiller de ne plus payer les contraventions puisqu'une amnistie se prépare au printemps prochain. Quel message brouillé pour les adolescents, alors que 1 600 personnes sont mortes en juillet-août sur nos routes !

L'ordonnance de 1945 ne pourra être totalement appliquée que grâce aux moyens dégagés par les récents budgets : 120 délégués du procureur supplémentaires, 400 postes d'éducateurs, 30 centres de placement immédiat pour les récidivistes.

Les Belges et les Espagnols ont récemment constaté qu'après placement en structure éducative contraignante la récidive tombe à 30 %, alors qu'elle est de 60 % après incarcération. C'est donc la preuve qu'il faut développer ces centres.

Nous devons également continuer d'agir dans le cadre des contrats locaux de sécurité. Le contexte est difficile mais là où une cellule de veille réunit chaque semaine tous les partenaires pour analyser les faits, on obtient des résultats.

L'implication des conseils généraux et des élus locaux, notamment les maires, est bien entendu essentielle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme Marie-Hélène Aubert - Ce texte ne me paraît pas vraiment approprié à la situation qu'il prétend traiter, et la question de la délinquance des mineurs ne mérite ni la stigmatisation omniprésente dans les médias et dans le discours de certains représentants politiques, ni le traitement hâtif qui lui est réservé ici.

A 13 ans, 15 ans, 18 ans, on a encore beaucoup de temps à vivre dans la société, et il ne s'agit pas de braquer des jeunes de plus en plus tôt dans la mauvaise direction, ni de rompre des liens sociaux qui seront ensuite très difficiles à reconstituer. La prison, c'est ce qu'il y a de pire pour des enfants. Avez-vous lu les rapports de la commission d'enquête sur les prisons ou les multiples ouvrages sur le sujet ? Ces témoignages terribles ainsi que la rencontre de jeunes ayant vécu cette expérience effroyable ne peuvent que vous dissuader d'inciter à la détention des mineurs, même si cette idée vous paraît en théorie séduisante.

Envisager une incarcération dès l'âge de 10 ans nous choque profondément.

Vous louez l'équilibre de l'ordonnance de 1945 entre éducation et répression, mais vous considérez que les juges privilégient le premier volet, et vous voulez empêcher les admonestations et les placements auprès d'un tuteur. Les juges pour enfants devraient se cantonner à des mesures pénales : enfermement, comparution immédiate, mesures pour les récidivistes ! Où allons-nous ? Quelle société voulez-vous bâtir pour demain ? Même les forces de l'ordre y sont hostiles !

Ce texte de 52 articles présenté dans une niche parlementaire n'est-il pas, alors, purement idéologique ?

Les juges pour enfants et les tribunaux pour enfants sont les mieux placés pour apprécier les mesures adaptées, comme laisser le jeune dans sa famille, ou, au contraire, l'éloigner de son milieu. Les centres éducatifs renforcés et les classes-relais se mettent en place, avec difficulté il est vrai, car beaucoup d'élus locaux refusent ces structures dans leur commune. Il faudra beaucoup de concertation en amont pour éviter ces attitudes de rejet.

Les juges ont, à juste titre, comme première préoccupation la protection du mineur et recourent à des mesures éducatives adaptées, tenant compte du fait que le mineur est un adulte en formation et non un être figé dans son comportement. L'enfermement est une violence qui ne contribue pas à éduquer, tous les témoignages concordent là-dessus.

Les réponses concernent des domaines multiples : l'urbanisme, le travail sur les quartiers en difficultés, la formation, l'emploi, l'intégration de toutes les familles, la mixité sociale dans les collèges, le soutien aux parents, les moyens de services sociaux et de la justice... Ce sont ces actions qu'il faut en priorité renforcer, à la ville comme en milieu rural.

Il faut aussi s'attaquer à des causes profondes de frustration dans nos sociétés, comme la glorification par la publicité de la consommation, de l'argent et de la compétition individuelle, ou les incohérences de la loi de 1970 sur les stupéfiants, ou encore l'absence de droit de vote pour les résidents étrangers - sans parler des sinistres modèles de héros véhiculés par de nombreux films et des faits divers étalés dans les journaux télévisés, donnant à leurs auteurs la consécration tant recherchée par certains jeunes.

Aujourd'hui la justice tend plutôt, pour les mineurs, vers la réparation et la médiation sous toutes ses formes, avec le souci d'apporter une réposne plus rapide, et c'est un point très important, à tout délit constaté. Des éducateurs sont mis en place, ainsi que des maisons de la justice et du droit. C'est dans ce sens qu'il faut aller, selon nous. Le Gouvernement s'y emploie et nous l'encourageons à se donner les moyens nécessaires à une véritable prévention, afin d'éviter les coûts insupportables d'une détention trop précoce.

Les députés Verts voteront contre cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Henri Plagnol - Lors de l'audience solennelle de rentrée du tribunal de Créteil, en janvier dernier, le procureur de la République du Val-de-Marne relevait la gravité croissante de la délinquance des mineurs. Beaucoup d'intervenants, disait-il, sont exaspérés ou découragés, alors que les jeunes délinquants n'ont jamais eu un tel sentiment d'impunité. Les victimes choisissent la fuite ou la résignation, d'autres s'arment... Ce phénomène inquiétant devra susciter la réflexion de l'institution judiciaire, concluait-il.

Mme Aubert remplace Mme Lazerges au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de Mme Marie-Hélène AUBERT

vice-présidente

M. Henri Plagnol - Madame la ministre, comment pouvez-vous, dans ce contexte, continuer à refuser un débat serein sur la proposition de notre collègue Henri Cuq ? Ni angélisme, ni démagogie, a dit Georges Sarre : or c'est exactement l'esprit de ce texte.

Il est temps de remettre en cause les dispositions de l'ordonnance de 1945 - non pour en modifier l'esprit, mais pour lutter contre les facteurs de blocage sur le terrain.

Je vous suggère trois pistes.

La prévention - la protection de l'enfance en danger - est la meilleure réponse, nous en sommes tous d'accord, ne serait-ce que parce que les enfants sont les premières victimes des mineurs délinquants, qui eux-mêmes ont souvent subi dans leur enfance des agressions graves. Or le repérage des enfants en difficulté, victimes de troubles graves, est encore insuffisant, souvent en raison de carences de l'organisation administrative. Pourquoi les crédits de l'aide sociale à l'enfance, ceux de la PJJ et ceux des contrats de ville sont-ils gérés par trois autorités différentes ? Je propose de conférer au département un rôle de coordination des actions en ce domaine. Le repérage doit se faire le plus tôt possible, dès l'école maternelle, au plus tard à l'école primaire. C'est ainsi qu'on peut responsabiliser les parents, en n'hésitant pas, comme le propose Henri Cuq, à suspendre les allocations familiales en cas d'absences répétées.

Plusieurs députés socialistes - C'est déjà prévu par la loi !

M. Henri Plagnol - Mais encore faut-il l'appliquer !

Deuxième thème : les primo-délinquants. Tous les orateurs ont dit que, pour éviter l'engrenage de la récidive, il fallait mettre l'enfant en face de ses responsabilités dès le premier délit. Le problème, c'est que les tribunaux pour enfants sont submergés. Pourquoi ne pas instituer, comme l'a suggéré le Président de la République le 14 juillet, un conseil des réparations, sous l'autorité des maires, qui pourrait convoquer le mineur et proposer des travaux d'intérêt général, le juge devant dans les quinze jours dire oui ou non ?

J'en viens au sujet le plus grave, les multirécidivistes. Les victimes ne supportent plus de les voir agir en toute impunité. Vous avez raison, Madame la ministre, de dire que la prison n'est pas la solution pour les enfants ; il faut donc multiplier les centres d'éducation renforcée, dont Jacques Toubon avait pris l'initiative en 1996. Nous vous donnons acte que les moyens ont augmenté, mais ils restent dramatiquement insuffisants : en Ile-de-France, à peine deux dizaines de places sont disponibles. Surtout, les mesures d'éloignement sont beaucoup trop tardives et beaucoup trop provisoires. Pourquoi ne pas confier les centres d'éducation renforcée à des personnels qualifiés dont ce serait la vocation, et pourquoi ne pas donner cette mission aux départements, comme l'a suggéré Christian Estrosi ?

En Allemagne, 600 000 personnes issues du secteur associatif contribuent à la réinsertion et au suivi des mineurs délinquants. Inspirons-nous de cet exemple car l'administration ne peut pas tout faire.

Les Français attendent des élus que nous sommes qu'ils s'attaquent sérieusement aux problèmes de leur vie quotidienne, qu'ils leur assurent enfin le droit à la sûreté. Ils ne comprendraient pas que le Gouvernement refuse le débat sur un texte aussi essentiel (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Nicole Bricq - Les groupes de l'opposition nous proposent un texte de circonstance, dont le rapporteur lui-même reconnaît les limites en écrivant qu'il s'agit simplement d'ouvrir la réflexion sur l'ordonnance de 1945.

Pour nous, celle-ci n'est ni un tabou, ni un talisman. Oui, c'est vrai, la délinquance a changé depuis 1945, mais ce constat ne se limite pas à la délinquance des mineurs ; en outre, le rapporteur souligne surtout les problèmes d'application des dispositions existantes : il regrette que celles applicables aux parents défaillants soient trop rarement mises en _uvre ; de même, il déplore que le programme de création des centres de placement immédiat et des centres éducatifs renforcés soit trop lent - malgré la volonté de rattrapage du Gouvernement.

Nous savons bien qu'il faut agir très tôt pour prévenir la délinquance. Il faudrait ouvrir des internats pédagogiques, multiplier les classes-relais, développer l'éducation à la citoyenneté et à la sexualité, créer des tutorats, multiplier les écoles des parents. Tout cela ne relève pas de la refonte de l'ordonnance de 1945, qui par ailleurs a montré sa grande plasticité.

Le rapport final, voté à l'unanimité, de la commission d'enquête sur les prisons, dont j'ai fait partie, souligne le fait que l'obstacle majeur au prononcé de peines alternatives à l'incarcération réside dans l'insuffisance des moyens qui leur sont consacrés. A aucun moment, ni au cours du travail de la commission d'enquête ni dans les explications de vote des groupes de l'opposition, la réforme de l'ordonnance de 1945 n'a été demandée.

Des progrès sont également possibles dans le cadre des contrats locaux de sécurité : sur les 550 signés, seuls 45 prévoient des groupes locaux de traitement de la délinquance, dont Mme la ministre de la justice a rappelé tout l'intérêt dans une circulaire du printemps dernier.

Bref, la lutte contre les violences est moins une affaire de texte qu'une affaire de pratique. Ne désignons pas la jeunesse comme un ennemi de l'intérieur ; aidons-la à assumer ses responsabilités, dans le respect de la règle commune, celle qui fonde le pacte républicain. Nous en avons les moyens. Inutile de polémiquer sur un sujet aussi sérieux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Jacques Masdeu-Arus - Madame la ministre, notre proposition n'est pas dirigée contre les jeunes. Ce n'est pas davantage une proposition de circonstance.

Bien au contraire, c'est un texte destiné à aider les jeunes, à les protéger, et à porter assistance aux personnes en danger, qui sont parfois elles-mêmes des jeunes. Il prend tout son sens à la lumière des statistiques, qui témoignent d'une augmentation continue de la délinquance juvénile. Celle-ci concerne désormais l'ensemble du territoire national.

L'Etat ne répond pas de manière appropriée à cette situation. La protection judiciaire de la jeunesse - j'en sais quelque chose dans mon département - persiste à préférer les réponses éducatives aux sanctions pénales. Au premier semestre 2001, alors que la gendarmerie a constaté une augmentation de 17,9 % des infractions, le nombre des gardes à vue a chuté de 10 % et celui des mises sous écrou de 12 %. La proportion très importante des plaintes classées sans suite, la diminution du nombre des mineurs mis en détention provisoire contribuent à développer un sentiment d'impunité parmi les jeunes délinquants.

Le projet relatif à la sécurité quotidienne n'est qu'un mélange de mesures disparates et inadaptées.

Si les pays anglo-saxons, en particulier les Etats-Unis, sont parvenus à réduire de manière drastique la criminalité, c'est que les solutions existent. Il suffit d'avoir la volonté de les mettre en pratique.

Dans sa proposition, mon collègue Henri Cuq prévoit de modifier en profondeur l'ordonnance de 1945, afin de doter la justice d'un arsenal législatif adapté à la situation actuelle.

Pour ma part, cela fait de nombreuses années que j'insiste sur la nécessité de rénover cette ordonnance. Dès 1995, j'ai proposé ici plusieurs dispositifs pour faire respecter la loi républicaine sur l'ensemble de notre territoire. Il me semblait nécessaire d'instituer, de manière systématique, une comparution immédiate des mineurs auteurs de faits délictuels.

Par ailleurs, j'avais déposé, il y a plusieurs années, une proposition tendant à créer des centres de rééducation pour les mineurs délinquants récidivistes et à supprimer les allocations familiales aux parents d'enfants délinquants ou ne respectant pas l'obligation d'assiduité scolaire.

Dans cette proposition, cosignée par plusieurs de mes collègues du groupe RPR, je proposais de mettre en place des centres fermés, pour éloigner les mineurs délinquants des tentations criminelles de la rue. Les jeunes récidivistes se trouveraient ainsi sous la responsabilité d'éducateurs spécialement formés et réapprendraient les bases du contrat social.

De tels centres pourraient être créés à peu de frais en utilisant les casernes libérées par la professionnalisation des armées. L'identité des mineurs délinquants est souvent connue des services de police et des élus locaux. Ces fauteurs de troubles continuent pourtant leurs agissements en toute impunité.

Minoritaires, ils n'en sont pas moins capables de dégrader considérablement les conditions de vie de tout un quartier. Cette situation provoque un malaise grandissant dans la population qui n'ignore pas que ces jeunes, à peine arrêtés, sont immédiatement relâchés.

Il est urgent de prendre les mesures coercitives qui s'imposent. C'est pourquoi je soutiens cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. François Colcombet - En tant qu'élu local, je suis comme vous confronté à la délinquances des mineurs, à ses variations, à ses brusques flambées. J'ai donc examiné ce texte en espérant y trouver des idées. Je suis déçu. J'ai même honte pour vous. Vos anciens avaient eu une attitude autrement généreuse. En 1945, la situation était difficile. Les blousons noirs faisaient régner la violence (Rires bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Plusieurs députés RPR - Dans les années 1950, pas en 1945 !

M. François Colcombet - Pourtant, les anciens résistants, qui avaient connu la prison, ont été unanimes à préférer la prévention et la réinsertion.

Plus tard, un ministre de droite comme Albin Chalandon - dont j'ai été un des directeurs - a fait ce que la gauche n'avait pas osé faire : interdire la détention des enfants les plus jeunes.

Vous proposez quant à vous de revenir sur ces acquis.

Faites-donc comme vos amis américains : proposez aussi le rétablissement de la peine de mort pour les mineurs (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Voyez d'ailleurs le résultat d'une telle mesure dans un pays où les enfants vont armés à l'école (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Yves Fromion - Il faut le faire enfermer !

Mme la Présidente - Laissez s'exprimer l'orateur.

M. François Colcombet - Vous proposez aussi des sanctions pour les adultes. Il y a certes des pistes à rechercher dans ce domaine, mais comment imaginer sérieusement de réprimer la promotion de la drogue ? Autant proscrire Baudelaire et Artaud dans les écoles et interdire la télévision !

Mieux vaudrait que les élus locaux acceptent les travaux d'intérêt général et les centres de détention sur leur territoire (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Enfin, que pense ces jeunes, à votre avis, en voyant le Président de la République lui-même impliqué dans de nombreuses affaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Rudy Salles - Jusqu'à l'intervention de M. Colcombet, nous avions un débat correct. Je lui rappelle que tout ce qui est excessif est insignifiant (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Je me félicite, d'ailleurs, qu'un tel débat ait lieu, même si la majorité refuse qu'il aille à son terme. Au lieu d'un débat idéologique, je souhaite un échange pragmatique. D'ailleurs, qui pourrait prétendre détenir la solution ? L'opposition n'a pas cette prétention, mais elle n'a pas non plus l'impudence d'empêcher le débat.

« Il faut savoir garder les yeux ouverts », nous disait hier le Premier ministre. Je tiens donc à vous faire part de quelques expériences.

Le quartier excentré de l'Ariane, à Nice, a beaucoup grandi dans les années 1960. Certains jeunes qui y vivent rejettent en bloc toutes nos règles sociales. D'autres habitent ce quartier parce qu'ils y ont des attaches ou qu'ils ne peuvent pas faire autrement. En mai dernier devait commencer la construction d'un commissariat et d'un cantonnement de CRS. Alors ceux que certains appellent des « sauvageons » ont décidé de passer à l'action pour faire plier l'Etat. Je me suis rendu sur place pour amorcer un impossible dialogue. Je me suis trouvé devant des jeunes qui ne respectaient aucune règle, qui insultaient et qui menaçaient. J'ai été frappé par la façon dont les grands poussaient les petits en avant. Puis il y a eu des scènes de violence, avec jets de pierres et de boules de pétanque.

Voici maintenant une autre expérience, plus encourageante : la préparation du Parlement des enfants, dans le même quartier. Quelle fut la proposition retenue ? Interdire aux enfants de traîner dans les rues après 21 heures en hiver, 22 heures l'été. En cas d'infraction, il fallait que les parents viennent récupérer les enfants, et s'il y avait récidive, qu'on les éloigne, qu'on les emmène à la campagne. Avec leurs mots, les enfants m'ont dit qu'ils voulaient être des enfants et qu'ils en avaient assez d'être embauchés par les plus grands. C'est une grande et belle leçon que m'ont donnée ce jour-là des élèves de CM2.

Le nombre des vols à la portière a augmenté de 325 % à Nice. Au cours d'une opération de police destinée à les réprimer, j'ai vu des jeunes menacer les forces de l'ordre pour leur signifier que notre loi n'était pas la leur. Pourtant, la loi de la République doit être celle de tous, sans exception.

A cause des effets pervers qu'a l'ordonnance de 1945, trop de faits délictueux restent impunis. La justice n'est plus la même pour tous et l'absence de sanctions libère les pulsions des plus agressifs. Il est temps d'agir.

Les socialistes sont encore bloqués par leur idéologie. Pourtant, il leur est déjà arrivé de découvrir l'intérêt de mesures qu'ils avaient combattues, comme la fouille des coffres de voiture. Libérez-vous de l'idéologie qui vous empêche d'appréhender la réalité ! Et si vous repoussez cette proposition, peut-être accepterez-vous la proposition de résolution déposée par Renaud Donnedieu de Vabres pour créer une commission d'enquête chargée de trouver des solutions (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

La discussion générale est close.

M. le Rapporteur - Je remercie les orateurs de l'opposition, qui ont souhaité que le débat ait lieu et, comme moi, ont formulé des propositions, sans outrance ni démagogie. Ce qui se passe aujourd'hui est grave. Il y a eu 175 000 mineurs mis en cause en 2000. Le débat mérite donc d'avoir lieu.

Je regrette que le vote qui va suivre doive probablement consacrer l'impossibilité de discuter les articles. Cette discussion vous aurait permis de remarquer que les dispositifs proposés n'étaient ni démagogiques, ni irréalistes. Si nous nous sommes préoccupés de la tranche d'âge des 10-13 ans et de celle des 13-15 ans, c'est que les magistrats, les éducateurs, les policiers, les gendarmes nous disent qu'ils sont désarmés devant cette nouvelle explosion de délinquance. Le fait de voir de jeunes récidivistes, voire multirécidivistes, remis en liberté aussitôt après avoir été présentés au Parquet produit les effets que vous savez, non seulement sur les victimes, mais sur les forces de l'ordre, qui doivent retourner dans les jours qui suivent quérir les mêmes délinquants...

J'ai été choqué d'entendre, ici et en commission, certains orateurs de la majorité caricaturer notre position en affirmant que nous voulions mettre les jeunes délinquants en prison. Notre propos n'est pas du tout celui-là : c'est de faire que, dès les premiers actes de délinquance, le mineur puisse faire l'objet d'un rappel à la loi. C'est de passer d'une culture de l'irresponsabilité et de l'excuse à une culture de la responsabilité. Pour cela il ne faut pas mettre les mineurs en prison. Mais vous caricaturez notre position parce que vous refusez ce débat. Lisez mon rapport, et nos interventions : nous voulons des dispositifs qui permettent, le plus souvent possible, d'éviter l'incarcération. D'où la proposition de centres fermés, sur laquelle nous nous rencontrons avec M. Sarre. J'ai peur qu'à force d'éluder la discussion, Madame la ministre, et de contourner les problèmes, vous ne favorisiez un développement accru de la violence.

Je conclurai en vous faisant une proposition. Comme le rappelait Pierre Cardo, le Premier ministre a reconnu à la radio, en avril, qu'à terme le problème d'une réforme de l'ordonnance de 1945 se poserait probablement ; mais il ajoutait qu'il n'y avait pas aujourd'hui de consensus ni dans l'opposition, ni dans la majorité, ni dans les institutions chargées de mettre en _uvre l'ordonnance. Or nous avons fait aujourd'hui la moitié de votre travail. Vous le voyez, il y a consensus entre les trois formations de l'opposition, et nous avons le renfort des députés du MDC, qui ont déposé une proposition de loi de même esprit. Reste au Premier ministre à mettre plus d'ordre dans sa majorité, en ralliant les Verts, le PC et le PS (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et nous pourrons aborder le travail de fond sur l'ordonnance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme la Garde des Sceaux - Votre propos, Monsieur Cuq, mis à part sa dernière phrase, était visiblement sincère. Mais à un problème posé avec sincérité vous apportez de mauvaises réponses. Vous dites qu'il faut éviter l'incarcération des jeunes. Mais votre texte propose surtout de permettre une incarcération plus précoce. Aujourd'hui cela relève de la responsabilité des magistrats, qui peuvent incarcérer très tôt les mineurs en cas de crime grave. Ce n'est pas en élargissant cette possibilité que vous trouverez des réponses.

Je ne suis pas contre le débat. Je souhaite même un débat permanent sur la délinquance des jeunes. Toutefois, prenons garde. J'entends une référence constante aux Etats-Unis. Mais il y a là-bas deux millions de détenus, ce qui, rapporté à la population, correspondrait à 450 000 en France : dix fois plus que nous n'en avons ! Et pourtant les commissions d'enquête de l'Assemblée et du Sénat ont unanimement estimé que nous en avions trop et qu'il fallait chercher d'autres solutions. Qui plus est, il y aux Etats-Unis 100 000 mineurs détenus, ce qui correspondrait à 20 000 en France. Et l'on y relève 3 516 infractions pour cent mille mineurs, contre 1 281 en France. La référence constante aux Etats-Unis est donc paradoxale.

Mme Catala et nombre d'autres orateurs prônent des sanctions envers les parents. Il existe déjà des mesures concernant les allocations familiales, et 21 000 familles sont ainsi sanctionnées. Je ne vois pas ce que votre texte apporte de plus. En outre, si nous pouvons montrer du doigt certains comportements familiaux, aucune famille ne se réjouit de voir un de ses enfants sombrer dans la délinquance. Il faut plutôt aider ces familles à faire face à une situation difficile. J'exclus bien sûr le cas de ces quelques familles qui appartiennent à des réseaux criminels, et dont les enfants deviennent délinquants du fait de leurs parents. Mais ne prenons pas, à cause de cette minorité, des mesures qui viseraient toutes les familles.

M. Pierre Cardo - Abandonner ses enfants, ce n'est pas les mettre dans un réseau.

Mme la Garde des Sceaux - Vous demandez, Monsieur Cardo, un plan ORSEC pour la justice des mineurs. Depuis cinq ans nous avons créé 7 300 postes, dont 67 postes de juges des enfants. C'est un effort sans précédent. Et les tribunaux pour enfants seront une priorité dans la répartition des postes ainsi créés.

Vous préconisez des centres fermés, sorte de moyen terme entre la prison, dont l'usage pour des enfants nous choque intellectuellement et affectivement, et les CER et CPI. Je crois qu'il faut travailler sur les CJD, plutôt que de créer une institution nouvelle, dont on ne sait d'ailleurs qui la gérerait, de l'administration pénitentiaire ou de la PJJ.

Nous travaillons à renforcer les moyens de ces centres, et à les séparer des centres de détention pour adultes. Il faut de tels centres sur tout le territoire, car souvent un magistrat recule devant une décision de placement parce que le centre est trop éloigné pour permettre la visite des parents. En outre, il faut éviter de créer des ghettos de détention des jeunes. J'ai visité l'un de ces centres : des centaines de jeunes y étaient regroupés. Les caïds y ayant été placés, tout leur système fonctionnait, et les surveillants ne pouvaient plus entrer... Dans une telle ambiance, aucune mesure éducative n'est possible. Travaillons donc sur ces CJD, plutôt que de créer une nouvelle structure.

Sur tous les bancs, vous avez fait attention aux mots - car les mots des adultes sont parfois violents - et vous avez veillé à encadrer votre propos. A part M. Sarre, nul n'a proposé une refonte complète de l'ordonnance, mais seulement des ajustements, comme elle en a déjà reçus une vingtaine de fois.

Quoi qu'il en soit, il ne faut pas se tromper d'interlocuteur. Vous avez évoqué le cas d'une jeune fille qui ne trouvait pas d'hébergement : la solution ne relève pas de la justice, mais du département. Attention à ne pas faire feu de tout bois pour justifier l'emprisonnement des plus jeunes, cela ne nous conduirait qu'à une société plus révoltée et plus violente (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe RCV).

Mme la Présidente - La commission n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du Règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.

Conformément aux dispositions du même article, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

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EXPLICATIONS DE VOTE

M. Pierre Cardo - Il est dommage, après avoir entrevu l'ensemble de la problématique, de ne pas pouvoir en débattre. On nous parle de nouvelles lignes budgétaires, mais combien de postes ont-ils réellement été pourvus ? Quant aux allocations familiales, selon la loi de 1954, elles sont liées à l'obligation scolaire et au devoir des parents de permettre à l'enfant de s'épanouir. Qu'en est-il de ceux qui traînent dans la rue ? Lorsque les parents se désintéressent à ce point de l'éducation de leurs enfants, ne faut-il pas donner au juge le moyen de passer un contrat éducatif avec eux, plutôt que de le laisser se débrouiller avec le seul code pénal, qui prévoit deux ans de prison ? Vous refusez le débat et les Français en jugeront. En attendant, je crains que la réaction des acteurs de terrain, des victimes mais surtout des jeunes ne soit extrêmement négative à l'égard du politique (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme Christine Lazerges - Le doyen Jean Carbonnier avait suggéré aux parlementaires un onzième commandement : « Tu ne légiféreras pas par plaisir » (Rires bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Yves Fromion - Cela vous va bien !

Mme Christine Lazerges - Or je crains que les députés de l'opposition aient cédé au plaisir - et à la démagogie ! (Protestations)

Mme la Présidente - Un peu de calme !

Mme Christine Lazerges - Pourquoi autrement vouloir modifier une ordonnance qui, nous ont-ils dit, est un bon texte ? Ne cédons pas à l'électoralisme (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Menons plutôt le bon combat : appliquons l'ordonnance actuelle.

M. Yves Fromion - Vous ne le faites pas ! Ou alors pourquoi les résultats sont-ils minables ?

Mme Christine Lazerges - Battons-nous, chacun à notre place, pour cela et nous aurons rempli notre mission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Richard Cazenave - Ce serait ainsi par plaisir que nous voudrions donner aux magistrats, qui les réclament eux-mêmes, les moyens de lutter contre un phénomène qui touche les jeunes et les plus démunis ? Si certaines de nos dispositions vous paraissent discutables, discutons-en ! Mais vous refusez, enfermés que vous êtes dans une idéologie surannée. Vous vous drapez dans une attitude moralisante, pleine de bienséance... Mais qu'est-ce qui vous en donne le droit ? Votre bilan, depuis cinq ans que vous gouvernez ? Devant de tels résultats, un peu de modestie, un peu d'humilité, un peu de dialogue ! Mais vous refusez...

Je crois que vous commettez une faute majeure. Ce n'est pas par plaisir que vos concitoyens réclament désespérément un nouveau pacte républicain et des réponses que les jeunes attendent les premiers. Vous commettez une erreur historique. Les Français en sont témoins et ils en jugeront (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme la Présidente - Sur le vote sur le passage à la discussion des articles, je suis saisie par le groupe RPR d'une demande de scrutin public.

M. Bernard Birsinger - Vous avez compris notre opposition ferme à une proposition de loi purement électoraliste, inefficace, voire dangereuse. Il n'a d'ailleurs pas fallu creuser bien profond pour voir la faiblesse de vos arguments. Le seul fait de présenter dans une niche parlementaire un texte de plus de 50 articles, mal préparé, et surtout pas avec ceux qui travaillent sur le terrain, montre que votre seul objectif était d'agiter le chiffon rouge de la sécurité (Rires sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Yves Fromion - Vous vous en êtes drapé durant combien d'années ?

M. Bernard Birsinger - Cela dit, le groupe communiste est opposé à tout ce qui peut limiter l'initiative parlementaire. Celle-ci a beaucoup progressé depuis 1997, mais elle reste encore insuffisante. Sur le passage à la discussion des articles, le groupe communiste s'abstiendra donc.

M. Jean-Antoine Leonetti - Tout le monde s'accorde au moins à dire que ce sujet est important, inquiétant et douloureux. Le groupe UDF veut en débattre, sereinement et positivement, et il regrette que la majorité n'y consente pas. Sans doute faut-il mieux appliquer l'ordonnance de 1945, mais qui peut le faire ? Quelle image donnez-vous à la jeunesse, Madame la ministre, vous qui vous dites responsable et qui n'agissez pas ? Si vous raccourcissiez le délai de la sanction et mettiez fin à l'impunité, comme vous dites pouvoir le faire, la main du législateur serait plus hésitante !

L'opinion publique demande des peines plus lourdes. J'ajoute qu'elles doivent être plus diverses, et qu'il faut frapper plus tôt pour pouvoir frapper moins fort. Si dire que la législation peut changer les choses peut être démagogique, la démagogie ne consiste-t-elle pas plutôt à dire qu'il n'y a rien à changer ?

La force sans la justice, c'est la tyrannie ; c'est le fait des caïds dans les quartiers. La justice sans la force, c'est l'impuissance ; c'est là le fait du Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

A la majorité de 114 voix contre 86, sur 202 votants et 200 suffrages exprimés, l'Assemblée décide de ne pas passer à la discussion des articles.

En conséquence, prochaine séance cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 15.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            Jacques BOUFFIER


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