Session ordinaire de 2001-2002 - 9ème jour de séance, 20ème séance 2ème SÉANCE DU MERCREDI 17 OCTOBRE 2001 PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI Sommaire QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2 TRANSPORT AÉRIEN 2 INTERVENTION MILITAIRE FRANÇAISE DIFFICULTÉS DE LA FILIÈRE BOVINE 3 SOUHAITS DE BIENVENUE QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite) 4 PASSAGE AUX 35 HEURES ACCÈS AUX TRANSPORTS DES USAGERS ÉLECTION DES REPRÉSENTANTS FISCALITÉ ET BÉNÉVOLAT 6 RÉSEAUX INTERNATIONAUX DE PROXÉNÉTISME 7 ÉVÉNEMENTS DU 17 OCTOBRE 1961 8 AMÉRIQUE CENTRALE 9 POISSONNIERS-DOCKERS 9 TROISIÈME PLATE-FORME AÉROPORTUAIRE LOI DE FINANCES POUR 2002 (suite) 10 MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 30 La séance est ouverte à quinze heures. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. Mme Marie-Hélène Aubert - Le 27 octobre 2000, le Gouvernement a conclu hâtivement à la nécessité de construire un troisième aéroport dans le bassin parisien. Un an plus tard, où en sommes-nous ? Le transport aérien connaît une crise grave, pour des raisons conjoncturelles - l'impact des attentats du 11 septembre - mais aussi structurelles, qui ont nom dérégulation et fuite en avant. La politique ainsi menée a fragilisé les compagnies aériennes et mis leur personnel à l'épreuve et, avant même le 11 septembre, la croissance du transport aérien n'atteignait pas le niveau annoncé. Conduit dans la précipitation, le débat public a suscité, partout, des questions de fond sur la pertinence de la décision prise et le tollé des populations concernées. Pourquoi, en effet, sacrifier des territoires de manière injustifiée ? Nul n'ignore les conséquences de l'implantation d'un aéroport ! De nombreux élus ont accompli, à ce sujet, un travail considérable, dont la valeur attend d'être reconnue. Ainsi, les perspectives de croissance du transport aérien sont contestées au moment même où l'on prend - enfin ! - conscience de l'impact de l'effet de serre, où l'Union européenne s'essaye à remettre de l'ordre dans la politique communautaire de transport et où nous souhaitons tous établir de grands pôles de transport en France, le bassin parisien étant saturé. Dans un tel contexte, n'est-il pas temps, Monsieur le ministre des transports, de renoncer à cette troisième plate-forme aéroportuaire, celle-là même que M. Jospin, qui n'était pas Premier ministre à l'époque, c'est vrai, qualifiait de « non-sens » en 1997 ? (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF) Ne serait-il pas préférable d'affecter les quelque 50 milliards que coûterait la nouvelle infrastructure à la réduction des nuisances dont souffrent les riverains de l'aéroport de Roissy et au développement du rail et, notamment, du ferroutage, qui fait l'unanimité sur nos bancs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV) M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Autant il est vrai que le transport aérien connaît, en France comme ailleurs, une crise conjoncturelle, autant il est injustifié de parler d'une crise structurelle qui devrait conduire à envisager une croissance zéro. Personne de sérieux n'avance pareille hypothèse, et la société choisie par les associations, et non par le ministère, pour étudier cette question en toute indépendance, a conclu que l'offre ne répond pas aux besoins, lesquels augmenteront à terme. La décision de principe a été prise lors du CIADT d'octobre 2000, le débat public s'est engagé et la réponse sera donnée cette semaine. A cette occasion, le Gouvernement confirmera sa volonté de tout faire pour développer le transport ferroviaire, et notamment le ferroutage, ainsi que les aéroports de province. Quant à la construction d'un troisième aéroport du bassin parisien, elle aura des conséquences favorables pour l'environnement, car elle évitera l'hypertrophie des aéroports d'Orly et de Roissy, que les riverains ne supporteraient pas. Dans tous ces domaines, le Gouvernement respectera ses engagements (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur de nombreux bancs du groupe socialiste). INTERVENTION MILITAIRE FRANÇAISE EN AFGHANISTAN M. Antoine Carré - Depuis le début des opérations militaires en Afghanistan, la France donne l'impression de s'en tenir au service minimum. Jusqu'à présent, Monsieur le Premier ministre, vous avez annoncé l'envoi de deux bateaux et de quelques agents secrets, qui n'ont d'ailleurs plus de secret que le nom, grâce à la publicité que leur a assurée le ministre de la défense (Applaudissements sur les bancs du groupe DL). Ces engagements correspondent-ils aux attentes de nos partenaires ? De combien d'hommes disposerions-nous s'il devenait nécessaire que notre participation s'accroisse ? Et quelle mission serait confiée à nos réservistes, dont le rôle reste à définir dans la nouvelle architecture française de la défense ? Comptez-vous augmenter le budget militaire, comme l'ont fait, dans des proportions considérables, les Etats-Unis et l'Allemagne ? Comment, enfin, entendez-vous réorienter la stratégie militaire de la France ? Toutes ces questions doivent être débattues par la représentation nationale. Aussi, Monsieur le Premier ministre, avez-vous l'intention de recueillir le vote du Parlement sur la participation des forces françaises, aux côtés de celles de ses partenaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) M. Alain Richard, ministre de la défense - Le Premier ministre a clairement indiqué que le Parlement serait associé à l'ensemble des décisions qui peuvent être prises pendant cette crise. S'agissant des moyens engagés, je vous rappelle que l'action militaire, dont on connaît les difficultés et les limites - qui sont débattues entre les Etats-Unis et la France -, est menée sous la direction des Etats-Unis. La puissance attaquée a tous les moyens de la riposte mais, pour des considérations d'ordre politique, elle a sollicité l'appui de ses alliés et la France ne le lui a pas mesuré. Toute éventuelle contribution nouvelle de la France sera déterminée dans le cadre d'accords bilatéraux. Quant à nos moyens militaires, ils sont équivalents à ceux du Royaume-Uni et de loin supérieurs à ceux de tous les autres pays européens. Mais vous aurez l'occasion, lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2002, de proposer les inflexions qui vous semblent nécessaires (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). DIFFICULTÉS DE LA FILIÈRE BOVINE M. François Dosé - Qu'ils manifestent leur colère ou qu'ils ne la manifestent pas, les agriculteurs connaissent une crise sans précédent, en dépit des interventions répétées et pertinentes du Gouvernement (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). La consommation de viande bovine a chuté dans d'importantes proportions en France mais aussi en Europe, si bien que les exportations se sont effondrées, notamment vers l'Italie. De plus, notre marché est encombré par des importations allemandes à prix bradés, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles sont peu conformes à l'idée que l'on devrait se faire de la solidarité communautaire. Pour toutes ces raisons, la survie de la filière est en péril, les établissements bancaires en témoignent quotidiennement. M. Bernard Accoyer - Que n'avez-vous écouté les éleveurs ! M. François Dosé - Quelles initiatives le Gouvernement compte-t-il prendre pour relancer la consommation de viande bovine, pour mettre un terme aux abus de certains intermédiaires et, de manière urgente, pour soulager les éleveurs en détresse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Je vous ai fait part hier du programme de travail du Gouvernement et j'ai rencontré longuement ce matin les professionnels de la filière pour leur présenter un plan en vingt-trois mesures (Exclamations sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR), lesquelles correspondent à vingt-trois demandes pressantes des éleveurs (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). Parmi ces mesures, un nouveau volet du plan de soutien aux éleveurs les plus touchés sera développé en liaison avec les directions départementales de l'agriculture. La situation des éleveurs est hautement diversifiée et il faut s'assurer que les aides profiteront en priorité à ceux qui en ont le plus besoin. S'agissant des problèmes de dégagement de marché du petit veau, un plan de valorisation de la filière « jeunes veaux » sera élaboré en étroite concertation avec les professionnels concernés. Enfin, j'ai demandé à un haut fonctionnaire, M. Mordant, de rédiger un rapport (Exclamations sur les bancs du groupe DL) sur les difficultés du bassin allaitant. Je suis en effet convaincu de la nécessité de conserver des filières de commercialisation des viandes différenciées, en sorte que le bassin allaitant ne soit pas noyé dans les autres formes de production (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste). Par petites touches, le Gouvernement s'efforce de prendre en compte toutes les demandes de la filière. Le plan d'ensemble qui va être appliqué témoigne, une fois encore, d'un effort de solidarité nationale tout à fait remarquable (« Inadmissible ! » sur les bancs du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION ÉTRANGÈRE M. le Président - Je suis heureux de souhaiter, en votre nom, la bienvenue à une délégation parlementaire, conduite par M. Leonid Culiuc, président du groupe d'amitié Moldavie-France du Parlement de la République de Moldavie (Mmes et MM. les députés et Mmes et MM. les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent). PASSAGE AUX 35 HEURES DANS LES COMMERCES DE DÉTAIL Mme Françoise de Panafieu - Monsieur le ministre de l'économie et des finances, les commerçants de proximité jouent un rôle social essentiel dans la vie de nos quartiers. Or, alors même qu'ils vont rendre à nos concitoyens un service éminent en les formant au maniement de l'euro, le Gouvernement continue de ne leur manifester que peu de considération (« C'est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe du RPR). M. Bernard Accoyer - Le Gouvernement est indifférent ! M. le Président - Monsieur Accoyer, croyez-vous vraiment que Mme de Panafieu ait besoin de votre concours ? Mme Françoise de Panafieu - Croyez bien, Monsieur le Président, que dès lors qu'il s'agit de briser l'indifférence du Gouvernement, tout concours est bienvenu ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du RPR) Monsieur le ministre, vous avez semblé reconnaître que le passage brutal aux 35 heures serait difficilement supportable pour les plus petites entreprises et notamment pour les commerçants qui vont de ce fait être confrontés à des situations réellement inextricables. Pour eux, en effet, qui dans leur immense majorité n'ont pas les moyens d'embaucher, les possibilités de repos compensateur ou de relèvement du plafond des heures supplémentaires resteront sans effet. Il est encore temps d'adapter la règle et il faut le faire si votre but n'est pas de les contraindre à mettre la clé sous la porte. Allez-vous enfin accepter de différer l'application des 35 heures pour les entreprises de moins de onze salariés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF) M. François Patriat, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation - Le Gouvernement est conscient depuis le début des difficultés particulières qui s'attachent au passage aux 35 heures dans les petites entreprises (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL). Mais il ne suffit pas d'alimenter les peurs ou de faire de la surenchère pour régler le problème ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) S'agissant de l'introduction de l'euro, le Gouvernement accompagne d'ores et déjà les commerçants (Protestations sur les bancs du groupe du RPR) et j'ai notamment rencontré à plusieurs reprises les groupes pilotes qui ont été constitués. Le passage à l'euro est une chance historique : nous ferons tout pour qu'il soit réussi. Pour ce qui concerne l'application des 35 heures dans les entreprises de moins de onze salariés, il existe plusieurs possibilités d'assouplir la règle. Ainsi le chef d'entreprise peut conclure avec son personnel un accord direct de RTT ou bénéficier d'une période de transition jusqu'en 2004 (Protestations sur les bancs du groupe du RPR). De même, après avoir consulté l'UPA et la CGAA (« Des vendus ! sur quelques bancs du groupe du RPR), le Gouvernement a décidé de moduler sur trois ans la réduction du plafond des heures supplémentaires ramené de 180 à 160 heures en 2003 et à 130 heures seulement en 2004. J'observe enfin que, contrairement à ce que vous prétendez, les entreprises qui ont des difficultés à recruter sont justement celles qui ne sont pas passées aux 35 heures ! (Vives protestations sur les bancs du groupe du RPR ; applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste) Les 35 heures doivent donner lieu à des accords « gagnant-gagnant » qui redonnent tout son poids au dialogue social au sein des entreprises (Huées sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe RCV). ACCÈS AUX TRANSPORTS DES USAGERS LES PLUS DÉMUNIS Mme Janine Jambu - Ma question s'adresse à M. le ministre des transports mais je tiens d'abord à dire combien le groupe communiste se sent proche des associations et des bénévoles qui organisent aujourd'hui la journée mondiale du refus de la misère. Les députés communistes seront toujours aux côtés de ceux qui luttent contre ce fléau (Rires sur les bancs du groupe du RPR ; applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV). Monsieur le ministre, chaque jour, pour se rendre à leur travail ou pour en chercher, pour se former ou pour se divertir, des millions de Franciliens de toute condition empruntent les transports en commun (« Quand ils ne sont pas en grève ! » sur plusieurs bancs du groupe du RPR). Le service public des transports est la pierre angulaire de la solidarité et du renouvellement urbains. Or, vous le savez bien, les attentes des usagers sont considérables en matière de qualité du service, de sécurité, de fréquence et de tarifs. Chacun a droit à des transports sûrs et abordables. Le Gouvernement a certes mis en place plusieurs formules novatrices - telles que les cartes « Imagine' R », « Intégrale » ou « Améthyste ». Cependant, si elles s'adressent à un large public, force est de constater que les plus modestes sont laissés de côté. Monsieur le ministre, quelles mesures entendez-vous prendre (« La grève ! » sur plusieurs bancs du groupe du RPR) pour répondre aux attentes de l'ensemble des usagers et en particulier des plus démunis ? (« Allô ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur de nombreux bancs du groupe socialiste) M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Vous avez raison de souligner combien une politique des transports en commun adaptée concourt à la solidarité en milieu urbain. De même, je partage avec vous l'idée que le droit au transport est, dans nos sociétés, fondamental. Du reste, le Gouvernement a mis en place en Ile-de-France une politique tarifaire novatrice (Murmures sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF). Cela vous semble aujourd'hui évident, Messieurs de l'opposition, mais que ne l'avez fait vous-mêmes ! S'agissant des usagers les plus fragiles et au premier chef des chômeurs érémistes, la carte mobilité, qui ouvre droit à l'équivalent de 1 400 F par an de transports gratuits en Ile-de-France, bénéficie aujourd'hui à près de 270 000 personnes. De même, la carte « Imagine'R » a considérablement facilité la vie de plus de 500 000 jeunes (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste). Le billet unique pour les usagers du réseau de banlieue procède du même esprit de simplification. Au-delà, la majorité a décidé que les bénéficiaires de la CMU bénéficieraient, comme les familles nombreuses, du demi-tarif dans les transports. Et je puis d'ores et déjà vous annoncer qu'en Ile-de-France, région dans laquelle nous avons compétence pour ce faire, la carte Solidarité transports sera en place dès le 1er janvier 2002 (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV). ÉLECTION DES REPRÉSENTANTS DES PARENTS D'ÉLÈVES DANS LES ÉCOLES PRIMAIRES M. Pierre-Christophe Baguet - Ce samedi auront lieu dans tous les établissements scolaires les élections des représentants des parents d'élèves. La loi dispose que celles-ci sont organisées, sous l'autorité du ministre de l'éducation, par les directeurs d'école et les chefs d'établissement eux-mêmes. S'il ne devrait pas y avoir de problème dans le secondaire, tel ne sera pas le cas dans le primaire. En effet, une grande partie des directeurs d'école, lassés de n'être pas écoutés, sont en grève administrative depuis bientôt dix-huit mois, et menacent de ne pas organiser ces élections ou de les différer. Monsieur le ministre de l'éducation nationale, vous n'avez en dépit des alertes répétées des fédérations, donné aucune consigne aux inspecteurs. Quelles dispositions comptez-vous prendre, à trois jours seulement du scrutin, pour garantir le bon déroulement de toutes ces élections ? Par ailleurs, quand reconnaîtrez-vous concrètement la responsabilité et la charge de travail croissantes des directeurs d'école ? Les propositions que vous avez formulées fin septembre à cet égard ont été jugées très insuffisantes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR) M. Jack Lang, ministre de l'éducation nationale - Nous nous préoccupons depuis déjà longtemps de la situation des directeurs d'école... (Interruptions sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR) comme cela n'avait jamais été le cas, en particulier sous les gouvernements que vous souteniez (Mêmes mouvements). Si vous étiez aussi bien informé que vous faites semblant de l'être... (Vives protestations sur les mêmes bancs) Les vociférations de ceux qui n'acceptent pas que l'Education nationale avance ne m'empêcheront pas de dire que les organisations syndicales ont, depuis maintenant deux semaines, des propositions sérieuses entre les mains. Nous attendons maintenant leur réponse. Pour ce qui est des élections des représentants des parents d'élèves, sachez que les droits des parents seront pleinement respectés. Dans la quasi-totalité des écoles, les élections se dérouleront normalement et là où subsisteraient des difficultés, des consignes ont été données afin qu'en tous les cas, le vote puisse avoir lieu, y compris par correspondance. Je signale incidemment qu'une vaste campagne nationale d'information a été lancée à l'intention des parents d'élèves et j'espère que la participation à ces élections sera élevée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Henri Nayrou - La loi Buffet de juillet 2000 prévoit des déductions fiscales au bénéfice des bénévoles engageant des frais pour leur association, égales à celles consenties aux personnes effectuant des dons. C'était bien la moindre des choses en cette année de commémoration du centenaire de la loi de 1901 que d'aider ceux qui _uvrent au bénéfice de la société, parfois à la place de la société ! Une instruction fiscale de février 2001 a malheureusement fixé à un montant dérisoire l'indemnité kilométrique. Nous avons été nombreux à le dénoncer. En effet, la reconnaissance du travail des bénévoles ne saurait se limiter au discours ou à la remise de médailles. Aussi, Monsieur le ministre de l'économie et des finances, quelles mesures comptez-vous prendre pour que l'on traite d'égale façon sur le plan fiscal les frais des bénévoles et les dons des mécènes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Nous avons consenti un effort important en faveur de la vie associative et du bénévolat. Le bilan très positif de l'action du Gouvernement en ce domaine vous doit beaucoup, Monsieur le député. C'est vous-même qui avez proposé une disposition tout à fait novatrice de la loi Buffet : grâce à vous, les bénévoles peuvent désormais bénéficier de réduction d'impôts au titre des frais engagés dans le cadre de leur travail associatif s'ils n'en sollicitent pas le remboursement auprès de leur association et à condition que ceux-ci soient dûment justifiés. Une circulaire de février 2000, rappelant cette obligation, a également prévu une évaluation forfaitaire des frais de carburant sur la base de 0,35 F/km (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Peut-être que cela ne vous intéresse pas, mais cela intéresse un million et demi de bénévoles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) En concertation avec la ministre de la jeunesse et des sports, nous avons recherché une solution, à la fois plus simple et plus juste, afin de mieux prendre en compte ces frais. Et nous proposons aujourd'hui de retenir un tarif unique de 1,71 F/km applicable dans tous les cas, quels que soient le type de carburant et la puissance du véhicule (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Sachez encore que le projet de budget pour 2002 contient, à l'initiative du Premier ministre, des dispositions fiscales visant à assurer encore une meilleure mise en compte du travail de centaines de milliers de bénévoles. Car, en effet, si les médailles, Monsieur le député, ne sont pas à négliger, elles ne suffisant pas pour témoigner de notre reconnaissance à ce travail extraordinaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). RÉSEAUX INTERNATIONAUX DE PROXÉNÉTISME Mme Nicole Catala - Ma question s'adressait au ministre de l'intérieur, dont je constate l'absence avec regret. Plusieurs filières de proxénétisme, remontant pour la plupart aux pays de l'Est, ont été récemment démantelées. Le phénomène n'en continue pas moins de se développer, notamment à Paris où je suis par exemple dans le XIVe arrondissement régulièrement saisie de plaintes à ce sujet. La prostitution heurte la sensibilité de nos enfants. Ses victimes, la plupart du temps des immigrées en situation irrégulière, sont réduites à des conditions de vie dégradantes. La police et la justice font ce qu'elles peuvent, mais leurs moyens sont insuffisants et notre législation n'est plus adaptée. Ainsi une récente enquête menée à Strasbourg, Orléans et Blois a révélé qu'un réseau, identifié, n'a pu être démantelé car les proxénètes, à sa tête, résidant en Bulgarie, n'ont pu être interpellés. Il ne suffit plus de donner des instructions à la brigade de répression du proxénétisme. Il faut se donner les moyens concrets de faire cesser ce trafic d'êtres humains (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice - M. Vaillant défend actuellement au Sénat le projet de loi relatif à la sécurité quotidienne. Je vous répondrai donc à sa place mais soyez assurée que nous partageons la même position sur ce sujet très grave. Comme vous le savez, le principe d'un mandat d'arrêt européen a été adopté ; cela devrait faciliter la coopération policière et judiciaire au sein de l'Union, dans le cadre d'Europol et d'Eurojust. Par ailleurs, nous avons décidé de signer des conventions avec les pays candidats à l'adhésion et des contacts bilatéraux ont été pris à cet effet. Ces pays pourront ainsi mettre à notre disposition en France des fonctionnaires de police et de justice dont le concours est indispensable pour démanteler les réseaux dans les pays d'origine. En tout cas, Madame la députée, soyez assurée que le Gouvernement fait tout pour mettre un terme à cet esclavage moderne particulièrement indigne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe RCV et sur divers bancs). M. Jean-Pierre Brard - Monsieur le Premier ministre, il y a aujourd'hui quarante ans, un horrible massacre était organisé simultanément dans plusieurs quartiers de Paris. Alors qu'en octobre 1961, la guerre d'Algérie s'acheminait vers sa fin (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), le 17, à l'appel du FLN, plusieurs milliers d'Algériens, citoyens français, descendaient pacifiquement dans la rue manifester en faveur de la paix et de l'indépendance de l'Algérie. La répression fut horrible : trois morts officiellement, 200 selon l'historien Einaudi. On aimerait savoir ce qu'il en est vraiment. Qui a organisé ce massacre ? M. Papon préfet de police (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR), le même qui avait organisé la déportation des juifs de Bordeaux vers Auschwitz (Mêmes mouvements). M. le Président - Je vous en prie ! Les vociférations ne remplacent pas le débat démocratique ! M. Jean-Pierre Brard - Certains de nos collègues se rappellent qu'ils furent les amis de Maurice Papon (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur de nombreux bancs du groupe socialiste). C'est encore le même Papon qui organisa, le 8 février 1962, la répression de la manifestation de Charonne. Bilan, neuf morts, dont le jeune Daniel Ferry, 16 ans, étranglé par les forces de répression ! Oui, nous avons un devoir de vérité, pour établir le nombre des victimes, mais aussi pour préciser qui a donné le feu vert à Maurice Papon pour organiser le massacre. Nous avons un devoir de mémoire, et les livres d'histoire doivent restituer cet événement. Nous avons enfin un devoir de justice envers les victimes et leurs familles (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR). Décidément, quand on veut faire la clarté, ce n'est pas facile ! Que fera le Gouvernement pour que la vérité éclate, pour que la mémoire du crime soit transmise, pour que la justice soit enfin rendue ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste) M. Thierry Mariani - Cette question est déplacée aujourd'hui. M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants - Vous avez eu raison de rappeler ce moment d'horreur du 17 octobre 1961 ... M. Thierry Mariani et M. Bernard Accoyer - Et les policiers assassinés ? M. le Président - Je vous invite au calme. Pensez au spectacle que vous donnez en ce moment ! M. le Secrétaire d'Etat- Ce jour là, des Algériens étaient descendus dans la rue malgré le couvre-feu, qui était appliqué sur la base du faciès (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF ; de nombreux députés RPR, DL, UDF quittent l'hémicycle). Aujourd'hui il est temps de dire la vérité et de faire l'histoire de cette période. Le 25 septembre, le Président de la République et le Premier ministre ont reconnu l'abandon par la France des Harkis et leur massacre par les Algériens. Le guerre d'Algérie fut une guerre affreuse, cruelle, porteuse de crimes, même si des officiers, des sous-officiers, des soldats ont su dire non à la torture et aux massacres. Ce fut leur honneur. Aujourd'hui, il est temps de rechercher la vérité, sans oublier le contexte de l'époque. Il faut ouvrir les archives et écouter les acteurs, il y en a parmi nous... M. Jacques Baumel - Vous n'êtes pas le seul ! M. le Secrétaire d'Etat- Le 17 octobre, il y eut des assassinats, et l'incertitude sur le nombre des victimes ajoute encore à l'horreur. N'oublions pas non plus que cette année-là, 22 policiers parisiens furent assassinés (« Quand même ! » sur les bancs du groupe UDF). Notre histoire comporte des pages de gloire, elle a aussi des pages noires, et le 17 octobre 1961 en est une. Aujourd'hui, il faut mettre fin à la guerre d'Algérie, comme on a su mettre fin à la guerre avec le peuple allemand. Je voudrais imaginer qu'un jour un Président français puisse tenir la main d'un Président algérien, devant un monument à toutes les victimes et qu'ils parlent de paix et de réconciliation (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe RCV). M. le Président - Je regrette qu'on ne puisse écouter dans la sérénité la relation de certaines pages de notre Histoire (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). M. Jean-Jacques Filleul - Les événements actuels ne doivent pas nous faire oublier que certains peuples d'Amérique centrale sont aujourd'hui confrontés à de très dures épreuves. En quelques années, ils ont subi un violent cyclone, un tremblement de terre au Salvador et à présent une terrible sécheresse, ainsi que la chute brutale des cours du café. Des milliers d'ouvriers agricoles sont licenciés, un million et demi de petits producteurs sont gravement touchés, 700 000 personnes ont besoin d'une aide urgente. Comment appréciez-vous cette situation ? Quelle réponse la France et l'Europe peuvent-elles y apporter ? M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Vous avez raison, le peuple afghan n'a pas, hélas, le monopole de la souffrance et ce que vous avez dit des épreuves de l'Amérique centrale est parfaitement exact. La production de maïs et de haricots rouges a baissé de 50 % et l'ONU estime à 800 000 le nombre des personnes menacées de famine. Dès le 8 septembre, la France a fourni 5 000 tonnes d'aide alimentaire, destinée en particulier au Honduras, au Salvador et au Nicaragua. Certaines améliorations sont heureusement survenues récemment, les paysans commencent à revenir vers les campagnes. Nos postes diplomatiques dans la région sont en tout cas mobilisés et, si cela se révèle nécessaire, la France manifestera de nouveau sa solidarité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Mme Jacqueline Lazard - Les ouvriers poissonniers-dockers des ports de pêche connaissent la précarité de l'emploi et de leur statut juridico-social. Cela tient à la grande diversité des situations des ports et des pêches elles-mêmes. Vous avez chargé M. Fischer, vice-président du conseil général des Ponts et Chaussées, de dresser un état des lieux. Il faut sortir de l'archaïsme et parvenir à élaborer une convention collective. Pourriez-vous nous préciser à quelles conclusions est arrivée la mission d'études ? Quelles orientations envisagez-vous, et selon quel calendrier ? M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Cette précarité ne peut plus durer, en effet. Je ne reviens pas sur des particularismes qui se traduisent par des situations différentes d'un port à l'autre. Mais enfin une convention collective nationale est donc nécessaire. C'est pourquoi nous avons, Jean Glavany et moi-même, lancé une mission du conseil général des Ponts et Chaussées, confiée à M. Fischer, qui doit nous faire des propositions en ce sens dans les jours prochains. La signature de la convention collective devrait, selon nous, intervenir dans le courant du premier semestre 2002, au terme d'une concertation permettant d'aboutir à l'accord social le plus large possible. Nous nous engageons, Jean Glavany et moi-même, à vous tenir informés des conclusions de ce rapport ainsi que des mesures et du calendrier mis en _uvre. Je veillerai également à ce qu'un autre problème qui me tient à c_ur, celui de la manutention portuaire, soit réglé dans le cadre législatif. Je pense à l'application du dispositif amiante aux grutiers des ports, qui doit trouver rapidement une solution (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV). TROISIÈME PLATE-FORME AÉROPORTUAIRE EN ILE-DE-FRANCE M. le Président - M. Tron souhaite reprendre la question de M. Deniaud. M. Georges Tron - Je vous remercie de me donner la parole, M. Deniaud étant absent de l'hémicycle pour des raisons qui sont connues. Je voudrais, après Mme Aubert, interroger M. Gayssot sur la troisième plate-forme aéroportuaire en Ile-de-France. En effet, nous avons appris avec inquiétude que serait envisagée la construction d'un troisième aérogare à Orly, avant même que la direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction - DGUHC - ait rendu son rapport et alors que les commissions de l'environnement discutent encore de la localisation du troisième aéroport. Vous connaissez les chiffres comme nous : 27 millions de passagers à Orly, avec un plafond de 255 000 mouvements, 55 millions à Roissy. Mais il s'agirait désormais de calculer en termes de mouvements et non plus de passagers. On pourrait donc, sans avoir plus de mouvements, avoir plus de passagers. Monsieur le ministre, pouvez-vous apaiser une inquiétude qui gagne en Ile-de-France ? M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Je vous confirme que les limites fixées par le Gouvernement pour tenir compte des problèmes de nuisance et éviter toute hypertrophie des transports aériens sont maintenues, tant à Roissy qu'à Orly. Nous tiendrons nos engagements. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui motive, dans la perspective du doublement d'ici vingt ans du trafic aérien, la recherche d'une troisième plate-forme. Mais celle-ci ne suffira pas à couvrir tous les besoins. Nous voulons donc développer le trafic ferroviaire à grande vitesse et les aéroports de province. J'ai déjà cité Saint-Exupéry et Notre-Dame-des-Landes, mais nous faisons actuellement mener une étude sur les dix plus grands aéroports de province. Vos craintes peuvent donc être levées. Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas étudier une liaison entre Roissy, Orly et le troisième aéroport, afin de limiter les délais de route de l'un à l'autre, dans l'intérêt aussi bien des activités aéroportuaires que des riverains. M. le Président - Nous avons terminé les questions au Gouvernement. La séance, suspendue à 16 heures 5, est reprise à 16 heures 20, sous la présidence de Mme Aubert. PRÉSIDENCE de Mme Marie-Hélène AUBERT vice-présidente L'ordre du jour appelle la suite de la discussion générale du projet de loi de finances pour 2002. M. Jean-Pierre Brard - Nous commençons l'examen du dernier budget de cette législature. Celui-ci est-il adapté à la situation politique et économique ? Répond-il aux besoins de nos concitoyens, de nos entreprises et de nos services publics ? Le contexte international a en effet brusquement changé, même si la conjoncture économique avait montré des signes de faiblesse dès avant le 11 septembre. Les indicateurs économiques font état d'une dégradation sensible, même si la consommation des ménages est encore forte. Ainsi, l'investissement des entreprises stagne, le chômage augmente et la banque centrale européenne compromet la croissance en rechignant à baisser ses taux. La banque fédérale américaine ayant, elle, diminué les siens à plusieurs reprises, rendant le coût réel de l'argent négatif, le différentiel de taux est à nouveau significatif. Par ailleurs, la doctrine de la maîtrise des déficits publics ne saurait contraindre le Gouvernement ni la majorité, ainsi que vous l'avez, Monsieur le ministre, heureusement montré hier. Il est nécessaire de savoir s'écarter de ce dogme pour éviter une récession et donc de soutenir la croissance ainsi que l'a fait le Gouvernement en 1997 et 1998 sans creuser les déficits, contrairement à ce que disaient certaines Cassandre de la droite. La France a besoin d'un signe fort, d'un Gouvernement attentif à soutenir l'emploi. Depuis plusieurs semaines, nous réclamons des mesures aptes à pallier une éventuelle baisse de la consommation. C'est pourquoi nous vous demandons instamment de doubler la prime pour l'emploi pour 2001, et non de verser par anticipation la prime 2002 ainsi que cela a été évoqué. Allez résolument dans ce sens, Monsieur le ministre. Nous ne pourrions nous satisfaire de demi-mesures. Un geste en faveur des oubliés de la croissance nous paraît indispensable. Je pense aux retraités modestes, chômeurs, bénéficiaires des minima sociaux, tous non imposables et qui n'ont pas profité de la prime pour l'emploi ni des baisses d'impôts. La commission des finances a accepté d'exonérer de la redevance audiovisuelle les personnes non imposables âgées de plus de 65 ans. Nous souhaitons aller plus loin, malgré un contexte difficile. De même, les bénéficiaires du RMI qui sont propriétaires de leur logement devraient se voir appliquer l'abattement de taxe foncière accordé en 2001 aux personnes de plus de 70 ans ayant des ressources très faibles. Là encore, nous voudrions aller plus loin que la commission, qui n'a étendu cette mesure qu'aux personnes modestes âgées de plus de 65 ans. Il est également nécessaire de stimuler l'investissement des entreprises. L'amortissement exceptionnel des investissements pour les biens acquis dans les mois qui viennent ne sera pas un cadeau sans contrepartie comme le fut la suppression de la taxe Juppé. Nous approuvons aussi le soutien particulier que vous apportez au secteur des biotechnologies. Parallèlement, il est possible de trouver de nouvelles recettes fiscales. La remise en question de certaines baisses d'impôts ou leur mise sous condition est envisageable. Thomas Piketty, membre du conseil d'analyse économique, a par exemple critiqué la baisse de l'impôt sur le revenu, qui ne peut qu'augmenter l'épargne des plus aisés et réduire encore le caractère redistributif de cet impôt. Quant à la baisse de l'impôt sur les sociétés, il aurait fallu la réserver aux entreprises qui investissent massivement. On peut ainsi envisager d'appliquer deux taux d'impôt sur les sociétés, selon que les bénéfices sont distribués ou réinvestis. L'avoir fiscal attaché aux dividendes de sociétés françaises coûtera en 2002 2,7 milliards d'euros. Sans le supprimer, le diminuer assurerait un gain de recettes important. Il faut également reconsidérer l'avoir fiscal de nos ressortissants qui résident dans les Etats avec lesquels nous n'avons pas de conventions fiscales. En ce qui concerne l'ISF, la commission des finances demande que le barème ne soit pas revalorisé - ce qui représente tout de même 200 millions de francs. Voyez, Monsieur Méhaignerie, que nous nous préoccupons de l'équilibre des finances publiques. Elle propose également d'intégrer les _uvres d'art dans son assiette. Cela fait d'ailleurs des années que la commission puis l'Assemblée adoptent de tels amendements et que le Gouvernement utilise pour s'y soustraire la deuxième délibération avec vote bloqué, alors qu'il nous a habitués depuis 1997 à ne pas recourir à ces prérogatives exorbitantes. Nous espérons que cette fois la décision du Parlement, s'il la confirme, sera enfin respectée. En tout état de cause, il faudra engager la réforme de cet impôt si les Français nous renouvellent leur confiance. En revanche, il faut utiliser avec le plus grand discernement les recettes non fiscales. Les fonds du 1 % logement et du livret A sont souvent sous-consommés. Pour le 1 %, une commission d'enquête serait même la bienvenue pour savoir exactement ce que les collecteurs en font. Peut-être ont-ils cessé de construire des parkings sous les Champs-Elysées mais, dans tous les cas, il serait intéressant de savoir ce qu'ils font avec l'argent des salariés. M. Jean-Jacques Jégou - Pour l'instant, cet argent sert au budget de l'Etat ! M. Jean-Pierre Brard - Vous n'avez guère contribué à améliorer la transparence de ces circuits ! Autre sujet de préoccupation : la situation de l'hôpital public, dégradée au point que l'excellence des soins qui y sont dispensés pourrait être remise en cause. Les hôpitaux doivent pouvoir bénéficier de l'exonération, entière ou au moins partielle, de la taxe sur les salaires pour faire face dans de meilleures conditions aux charges de la RTT ou bénéficier du remboursement de la TVA sur les investissements, sur le modèle du dispositif existant pour les collectivités locales. Les montants en jeu sont très importants, je ne l'ignore pas, mais l'on ne peut différer plus longtemps l'application de telles mesures. Depuis le plan Juppé, les dépenses ont été très strictement réduites dans les hôpitaux, et de tels ballons d'oxygène sont à présent indispensables. En outre, le Gouvernement doit s'engager à ce que les personnes qui ont travaillé 40 ans puissent bénéficier d'une pension de retraite à taux plein sans attendre l'âge de 60 ans. Cette mesure constituerait un réel progrès social et permettrait de libérer de très nombreux emplois, le plus souvent non qualifiés. Une autre préoccupation majeure des Français est la protection de l'environnement ; le budget du ministère reflète pour une part l'importance que le Gouvernement y attache et, depuis 1997, on constate une forte croissance des crédits. Mais les progrès sont nettement moins visibles, s'agissant de la fiscalité écologique. M. Jean-Jacques Jégou - Que recouvre cette notion ? M. Jean-Pierre Brard - Je vous donnerai des cours particuliers... Cette année encore, le projet n'innove que très modestement et le recul sur les écotaxes est fort regrettable. La France semble choisir la voie exclusive des permis négociés ; c'est une piste, certes, mais les changements de comportement nécessaires ne pourront être induits que par des incitations ou des sanctions, qu'il s'agisse des citoyens ou des entreprises. Nous proposerons donc plusieurs crédits d'impôt, dont je sais qu'ils ne sont guère en vogue auprès de vos services, mais qui présentent l'avantage de bénéficier également aux personnes non imposables et de ne pas recourir à la baisse de la TVA que l'Union refuse de consentir. Ils sont en outre immédiatement compréhensibles et donc réellement incitateurs, même si, parfois, leur mise en _uvre révèle des difficultés inattendues. Ainsi notre assemblée a adopté, en 2000, un mécanisme de crédit d'impôt de 10 000 F pour les véhicules neufs équipés de GPL, dispositif pour l'application duquel il a fallu ensuite se battre, ce qui est profondément choquant pour la représentation nationale. Un autre de nos soucis est celui de la fiscalité locale, sous divers aspects : la perte d'autonomie fiscale des collectivités, qui ne cesse de s'aggraver, ce qui nous conduit à proposer d'introduire les actifs financiers des entreprises dans l'assiette de la taxe professionnelle ; la compensation incomplète des pertes de la taxe professionnelle, sujet qui vous occupe beaucoup, je le sais ; d'une manière générale, il semble impossible de faire plus longtemps l'économie d'une refonte complète de la fiscalité locale. Un autre sujet essentiel est celui de la fraude fiscale. Depuis des années, nous demandons le renforcement de la législation française et une meilleure coopération internationale. L'actualité internationale justifie davantage encore une lutte renforcée et coordonnée contre les pratiques des paradis fiscaux, souvent sanctuaires de l'argent sale, comme on le sait, car le blanchiment est une activité très rémunératrice. La France, qui a joué un rôle précurseur dans la lutte contre cette forme de criminalité, doit dénoncer le refus exprimé il y a quelques mois par le Président Bush de s'y associer. Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie 2001, explique bien qu'il s'agissait, ce faisant, de défendre des intérêts financiers déterminés, car « les centres « off-shore » n'ont pas été créés par accident : leur existence trouve son explication à Wall Street et dans les autres places financières mondiales, toutes soucieuses de disposer d'arrière-cours, de paradis fiscaux protégés de toute réglementation ». M. Germain Gengenwin - C'est du projet de budget que nous sommes censés traiter ! M. Jean-Pierre Brard - C'est exactement ce dont je vous parle : l'argent de la fraude fiscale représente autant d'argent volé à l'Etat ! M. Jean-Jacques Jégou - Mais vous nous parlez d'argent sale ! M. Jean-Pierre Brard - Le lien est patent, et l'Union européenne serait bien inspirée de conditionner l'adhésion de certains pays, telle la République tchèque ou la Hongrie, au respect d'un minimum de morale collective. Des réponses que vous apporterez, mais aussi des amendements qui seront adoptés, dépendra le comportement du groupe communiste et apparenté, partenaire loyal et exigeant de la majorité plurielle, au moment du vote, tant de ce texte que du projet de loi de financement de la sécurité sociale. M. Jean-Jacques Jégou - Tiens ! Des menaces ? M. Jean-Pierre Brard - Non ! Nous souhaitons contribuer à la définition du meilleur budget possible. Il nous faut pour cela, comme l'a souligné le ministre, être volontaires et réalistes. C'est ce sur quoi nous serons jugés, et non pas par défaut, comme l'opposition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste) M. Pierre Méhaignerie - La première caractéristique de ce budget 2002 est qu'il ne sera pas exécuté, et le Gouvernement le sait - il le laisse même entendre. Il en a décidé ainsi parce qu'il a conscience que les mesures qu'un budget de vérité exigerait provoqueraient dans la majorité des dissensions profondes. En quoi ce projet est-il virtuel ? Sa base de départ ne correspondra pas à la réalité puisque au 31 août dernier, on relevait déjà un déficit supplémentaire de quelque 24 milliards de francs. La prévision de croissance est peu crédible, les dépenses sont minorées, et le recours à des expédients ne pourra être indéfiniment renouvelé. Tout cela rappelle étrangement le budget de 1993, qui a fait apparaître un déficit supplémentaire de 166 milliards par rapport à la loi de finances initiale. Tout cela, notre rapporteur général l'oublie ! Vous parlez de patriotisme économique, Monsieur le ministre, mais il consiste aussi à porter un regard lucide sur la situation et à considérer les acteurs économiques comme des agents responsables, afin de les mobiliser. Il convient aussi d'écouter les propositions de l'opposition d'autant que vous partagez largement notre diagnostic... Une démarche responsable et lucide serait autrement plus efficace que de repousser les décisions difficiles au lendemain des élections. Elle aurait sans doute permis d'éviter la grève « fourre-tout » d'hier... Mais un budget de vérité remettrait en question vos déclarations précédentes, Monsieur le ministre. Ainsi vous disiez : « Nous entendons maintenir le cap fixé depuis 1997, dont les trois éléments nécessaires pour développer l'emploi et la solidarité qui devront être jugés sur la durée de la législature : la maîtrise de la dépense publique, la baisse des prélèvements et la réduction des déficits ». Où en sommes-nous ? La maîtrise de la dépense publique n'est pas au rendez-vous, car les 500 milliards de prélèvements obligatoires n'ont pas été répartis de manière à permettre une action contre-cyclique. La baisse des prélèvements n'est pas significative et le risque est grand qu'à la fin de 2002, leur taux soit équivalent à celui de 1997. De même, s'agissant des déficits, il est probable que leur niveau global soit exactement identique à celui d'il y a quatre ans. Nous aurons ainsi connu une législature de croissance sans réduction significative des déficits et la future majorité, quelle qu'elle soit, devra vraisemblablement faire adopter un collectif de printemps de 60 à 80 milliards. Si la France n'est pas la seule à voir ses déficits s'aggraver, elle est le seul pays qui n'a mené aucune réforme de structures, comme en atteste l'enlisement de la réforme de l'Etat ou de celle des retraites du secteur public. Non seulement le Gouvernement rompt l'équité avec les générations futures, mais il ne s'inscrit pas non plus dans une perspective européenne volontariste, fondée sur une politique mixte adaptée. Monsieur le ministre, ce budget ne correspond ni à vos propos, ni à votre diagnostic - qui rejoint du reste souvent le nôtre - et il est toujours surprenant de constater combien les déclarations que vous faites aux journalistes tranchent - souvent agréablement - avec celles que vous réservez à notre assemblée ! Si le Gouvernement a commandé plusieurs rapports et études, les plus marquants émanant de MM. Charzat, Pisani, Ferry ou Charpin, il n'a tenu compte d'aucune des propositions, parfois pertinentes, qu'ils contenaient. L'année dernière, j'avais salué le pilotage économique conjoncturel au titre de la consommation et l'alignement de l'allocation logement sur l'aide personnalisée au logement. Cette année, je note avec satisfaction la baisse des cotisations salariales et la PPE - élément de justice et d'efficacité qui tend à revaloriser le travail manuel et les métiers les plus difficiles. Encore eussions-nous préféré que vous privilégiez une réduction des cotisations salariales, plus directement profitable à la fiche de paie. Votre projet appelle à l'évidence de nombreuses critiques. Le coût des 35 heures est ainsi proprement insupportable. M. Jean-Pierre Brard - C'est une obsession ! Vous rétablirez les 39 heures ! M. Pierre Méhaignerie - Aucun de nos voisins ne s'est engagé dans cette voie et ceux qui, tels les Allemands dans le secteur de la métallurgie, avaient conclu des accords de réduction du temps de travail ont toujours pris le soin de laisser toute latitude aux salariés d'en bénéficier ou non. Est-il raisonnable d'envisager de les appliquer dans la fonction publique sans réforme de structure préalable ? Nous avons déjà connu cet été des perturbations dans la distribution du courrier et de sérieux dysfonctionnements sont à craindre demain dans les hôpitaux. Cela n'est pas acceptable. Il est évident qu'il faut laisser aux salariés la liberté de choisir entre le repos compensateur et les heures supplémentaires. Pourquoi vouloir apporter une réponse uniforme à des situations nécessairement diversifiées ? La position du Gouvernement serait plus crédible s'il n'avait pas autant fragilisé les comptes publics en multipliant des mesures coûteuses mal ou non financées tout en faisant l'économie de réformes de structures indispensables. S'agissant des effectifs de la fonction publique, il faut avoir le courage de poser le problème en termes de productivité des services, de sur-législation et de sur-administration. Est-il par exemple raisonnable que la gestion de l'eau relève dans notre pays de six administrations différentes ? Les entrepreneurs étrangers sont moins heurtés par le niveau de notre fiscalité que par le fait qu'il faille pour régler le moindre problème s'adresser à huit ou neuf administrations différentes, presque toujours en désaccord et lentes à statuer. Qui peut nier qu'il soit urgent de moderniser l'Etat ? Du reste, le salarié français est le premier à payer les conséquences de ce défaut d'adaptation. Savez-vous, Monsieur Brard, que la France se situe au douzième rang européen en terme de salaire net versé par salarié ? M. Jean-Pierre Brard - Et le salaire indirect ? M. Pierre Méhaignerie - Libre à vous de considérer comme décent que nombre de salariés doivent vivre avec 6 200 F par mois mais ne vous étonnez pas que certains secteurs souffrent d'une pénurie de main-d'_uvre ! L'adage est dans notre pays bien vérifié : « big gouvernment, small salaries ». M. Jean-Pierre Brard - Citez votre mentor ! C'est Tony Blair ! M. Pierre Méhaignerie - Dès lors, il ne sert à rien de poursuivre dans la voie qui consiste à alléger les impôts tout en multipliant les dépenses publiques non financées. Il faut à l'inverse conduire une action structurelle sur les dépenses et sur les leviers de la croissance. A défaut, nous replongerons dans le cycle : plus d'impôts pour les uns, plus de cotisations pour les autres ! Pour y remédier, il faut redynamiser la croissance et accroître l'efficacité de l'Etat. S'agissant de la réforme de l'Etat, nul n'est besoin de nouveau rapport. Tout a déjà été dit et mis en sommeil : il suffit de relancer le processus. S'agissant des leviers de la croissance, il existe bien des mesures sans incidence financière qui pourraient utilement être adoptées. Dans une économie moderne, dit Tony Blair,... M. Jean-Pierre Brard - Encore lui ! Vous l'aimez parce qu'il vous ressemble ! M. Pierre Méhaignerie - ...les entreprises de l'Etat doivent coopérer et non s'affronter. Dès lors, est-il légitime, dans notre pays, d'accabler nos entreprises de nouvelles contraintes ? La seule solution à la pénurie de main-d'_uvre dans certains secteurs, c'est d'assouplir la règle des 35 heures, en particulier pour les entreprises qui bénéficient de réductions de leurs cotisations sociales. Il existe un autre chiffre inquiétant, c'est le rapport de un à trois entre les investissements français à l'étranger et les investissements étrangers en France, qui, d'ailleurs, ne sont pas tous créateurs d'emplois. Si l'Allemagne a pris des mesures pour renforcer son site industriel, la France a suivi le chemin inverse. S'y ajoute le sentiment diffus que la culture du non-travail l'emporte sur l'éthique du travail (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe UDF). Je n'évoquerai pas ceux de nos amendements qui n'ont aucune chance d'aboutir pour m'en tenir à trois amendements au sujet desquels la commission des finances a longuement débattu. Le premier concerne, en cette année du centenaire de la loi de 1901, des associations dont vous avez, Monsieur le ministre, parlé avec force. Il est inadmissible que certaines, auxquelles on n'avait rien demandé depuis quinze ans, se soient réveillées un matin de cette année avec de nouvelles règles fiscales particulièrement contraignantes pour peu que leurs activités accessoires dépassent un certain seuil. M. Augustin Bonrepaux - C'est le gouvernement précédent qui l'a voulu ! M. Pierre Méhaignerie - Ainsi, la fiscalité qui s'impose à certaines d'entre elles n'est pas acceptable et elle compromet leur existence, alors même que leur rôle social n'est pas discuté. La circulaire fiscale qui leur est applicable doit donc évoluer en profondeur (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). S'agissant du logement - qui fera l'objet d'un deuxième amendement -, M. Dumont a formulé plusieurs propositions intéressantes. Il ne sert à rien de lancer des programmes de 6 000 logements en accession si l'on rogne sur le prêt à taux zéro. Quant au secteur social locatif, il y a lieu de se mobiliser pour mettre fin à l'érosion des réalisations. Un troisième amendement vise à consentir un crédit d'impôt aux éleveurs qui investiront dans des dispositifs antipollution. De tels investissements sont vitaux pour tout l'Ouest de notre territoire - et notamment pour la Bretagne - et les éleveurs, qui travaillent le plus souvent dans le cadre d'exploitations familiales, doivent être incités à les réaliser. Notre propos n'est certainement pas de rejeter tout en bloc. Du reste, les oppositions les plus vives ne se manifestent-elles pas plutôt au sein de votre majorité - où certains, Monsieur le ministre, vous tiennent pour un social-libéral invétéré - qu'entre vous-même et une grande partie de l'opposition ? Partout en Europe, les réformes sont d'essence sociale-libérale. Il faudrait renforcer l'efficacité de l'Etat, accroître la responsabilité des acteurs, mieux récompenser l'initiative et l'effort, favoriser l'égalité des chances plutôt que l'assistance, corriger les inégalités à l'avantage des métiers difficiles ou manuels, trop peu reconnus. Le projet de budget pour 2002 présenté par un gouvernement qui se dit le plus à gauche en Europe ne reprenant aucune de ces orientations, vous aurez compris que le groupe UDF ne pourra l'approuver (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). M. Noël Mamère - Je précise que je m'exprime ici au nom des seuls députés Verts. Force est de reconnaître, Monsieur le ministre, que votre tâche n'était pas facile tant les incertitudes sont grandes pour 2002. Nous ne vous reprocherons pas les difficultés économiques actuelles. La gravité exceptionnelle des événements survenus aux Etats-Unis le mois dernier rendrait indécent de les imputer au Gouvernement. Au contraire, il faut reconnaître que le gouvernement de Lionel Jospin, grâce aux mesures justes et courageuses qu'il a prises dès le début de la législature, a su rétablir la confiance et créer les conditions d'une croissance durable. Les écologistes récusent l'idée de la croissance à tout prix. En effet, ce qui accroît le PIB aujourd'hui peut l'amputer demain. De l'agriculture au nucléaire, les exemples sont légion. L'enchaînement des catastrophes les plus diverses depuis plusieurs années devrait d'ailleurs nous conduire à réfléchir sur le coût financier pour la collectivité de certains choix d'hier. Saura-t-on un jour ce qu'a coûté aux contribuables le naufrage de l'Erika ? Combien ont coûté les tempêtes de décembre 1999 et les inondations de l'hiver 2000 ? A-t-on chiffré les conséquences de la crise de la vache folle, du poulet à la dioxine, ou bien encore de la pollution de l'eau par les nitrates ? Combien a coûté à la collectivité l'accident du Mont-Blanc et combien lui coûtera demain l'explosion de l'usine AZF, sans parler même de la tragédie humaine ? On pourrait multiplier les exemples, de l'effondrement des mines abandonnées aux conséquences de la mise en décharge des déchets pendant plus de quarante ans. Toutes ces catastrophes ne menacent pas seulement notre sécurité et notre santé, elles mettent aussi en péril les finances publiques. D'ores et déjà, les assureurs refusent d'assurer certains risques. Il n'y a pourtant aucune raison de faire supporter à l'Etat et aux collectivités les conséquences de choix privés. On ne connaît que trop la maxime de certains entrepreneurs : « privatiser les profits et socialiser les pertes »... Tous ces phénomènes affectent directement les capacités budgétaires du pays. Si nous ne modifions pas profondément certains modes de production, notre budget sera chaque année davantage amputé par la prise en charge de leurs conséquences désastreuses à long terme. Pour une commune, il suffit d'avoir à désamianter quelques bâtiments d'écoles pour que toutes ses capacités d'investissement soient absorbées pendant plusieurs années... Pour autant, nous ne sous-estimons pas que l'augmentation de la production de richesses contribue à réduire le chômage, améliorer le niveau de vie et crée des recettes fiscales supplémentaires permettant de financer des réformes importantes comme les 35 heures ou l'amélioration des services publics. Les besoins en la matière sont loin d'être tous satisfaits. L'investissement public pourrait être bien supérieur dans de nombreux secteurs cruciaux pour l'avenir : rénovation des ensembles HLM hérités des années 60, modernisation du réseau ferroviaire avec de nouvelles lignes TGV et des axes pour le transport des marchandises... La France affiche une croissance supérieure à celle de plusieurs de ses voisins, même après un certain ralentissement. Si les rentrées fiscales sont inférieures aux prévisions et si le chômage augmente légèrement, il serait malhonnête de dire que nous sommes entrés en récession. Pour autant, une certaine relance budgétaire est souhaitable. Les Verts estiment, sur ce point, qu'il aurait été préférable de financer des investissements publics plutôt que de baisser certains impôts. Du logement aux transports collectifs, en passant par la rénovation des universités, l'Etat et les collectivités locales pourraient soutenir l'activité tout en contribuant à améliorer les conditions de vie de tous nos concitoyens, et à asseoir le développement. Ce serait plus réaliste et plus concret que les appels au patriotisme économique et surtout à l'heure de la mondialisation et alors que la France a depuis longtemps fait le choix d'une économie ouverte. Mieux vaudrait rechercher des ressources budgétaires nouvelles. Les Verts estiment possible de dégager des marges de man_uvre sans augmenter les impôts, ni déséquilibrer durablement les finances publiques. Pour cela, nous croyons nécessaire de redéfinir certaines priorités, afin de réduire certaines dépenses et en augmenter d'autres. Les récents événements montrent que les systèmes de défense strictement nationaux ne sont pas adaptés aux menaces d'aujourd'hui. Il est urgent, d'« européaniser » notre défense. Cela permettrait de faire de substantielles économies sur le budget militaire, que l'Etat pourrait affecter à d'autres secteurs. De même, les crédits routiers pourraient être partiellement transférés vers les investissements ferroviaires, comme en Suisse. La situation économique française, plutôt meilleure qu'ailleurs, n'est pas étrangère à la politique menée par le Gouvernement depuis plus de quatre ans - je pense bien sûr aux emplois-jeunes, aux 35 heures, à la réforme de la justice, à la mise en place de la police de proximité, à la hausse constante des budgets de l'environnement et de l'éducation... Continuer à tenir les engagements de notre majorité est en soi un motif de satisfaction. Mais dans le même temps, les Verts ont du mal à discerner de nouvelles priorités politiques dans ce budget. Peut-être est-ce en raison de la fin de législature ? Avec le Premier ministre, vous attachez une grande importance à la baisse des impôts, engagée il y a un an et désormais palpable pour nos concitoyens. La baisse de l'impôt sur le revenu et la prime pour l'emploi ont certes pour effet de distribuer du pouvoir d'achat dans une période où le ralentissement de la croissance peut le rendre nécessaire. Espérons toutefois que cela n'ira pas gonfler les bas de laine ! Ces mesures n'auront d'intérêt que si elles se traduisent par une augmentation de la consommation. Or, rien ne permet pour l'instant de l'affirmer. Il y a même fort à craindre qu'en cette période troublée, nos concitoyens accroissent leur épargne de précaution. Il est en revanche certain que ces baisses d'impôts réduisent nos capacités financières à un moment où il aurait été utile de disposer de ressources pour financer les 35 heures dans la fonction publique ou pour investir dans les transports, l'environnement, la police, la justice, le logement par exemple. Beaucoup d'investissements de long terme ne pourront jamais être financés par des fonds privés. Notre pays continue à compter trop de mal logés et à souffrir d'un sous-investissement dans les transports collectifs. La baisse des impôts ne constitue pas une réforme fiscale en soi. Certaines mesures ont certes permis un début de simplification, encore timide. Il est de tradition de dire qu'une réforme fiscale n'est possible qu'avec une baisse des impôts concomitante de façon à la rendre indolore. A l'inverse, on doit regretter que la baisse des impôts ne se soit pas accompagnée d'une réelle réforme des prélèvements. Sans croire un seul instant à un « grand soir fiscal », les Verts estiment néanmoins possible une fiscalité socialement plus juste et écologiquement plus efficace. Sans entrer dans le détail de réformes qu'il faudrait discuter longuement ici, mais aussi avec les syndicats, les représentants des entrepreneurs, les associations de consommateurs ou le mouvement mutualiste, je dirai seulement que la baisse de l'impôt sur le revenu qui ne touche en France qu'un ménage sur deux nous paraît contestable. Nous craignons que sur le plan de la redistribution, elle soit neutre, ou même n'aggrave les inégalités. C'est d'autant plus vrai que la progressivité de l'impôt sur le revenu est déjà mise à mal par les effets pervers du quotient familial. Les Verts défendent depuis longtemps quelques principes simples pour la refondation de notre système fiscal : élargissement de l'assiette des prélèvements à l'ensemble des revenus, extension du principe pollueur-payeur par le biais des éco-taxes et instauration d'une taxe sur les mouvements de capitaux. La protection sociale devrait être financée par l'ensemble des revenus et non pas par les seuls revenus salariaux, comme c'est quasiment le cas aujourd'hui. Il faudrait amplifier le mouvement amorcé par le CSG. L'instauration de la CSG par le gouvernement de Michel Rocard montre d'ailleurs qu'une réforme fiscale est possible ! Au passage, remarquons que cet impôt a montré l'efficacité de la retenue à la source, laquelle devrait être appliquée à l'impôt sur le revenu. Il faudrait aussi généraliser le principe pollueur-payeur grâce à une éco-taxe. C'était l'idée de la TGAP, laquelle n'a malheureusement pas connu le développement qui aurait dû être le sien. C'est d'autant plus dommage que notre système économique continue à polluer et à dégrader l'environnement à grande échelle. La TIPP n'a pas non plus évolué comme elle l'aurait dû. Le timide rattrapage entre prix du sans plomb et du gas-oil engagé depuis deux ans est stoppé. L'augmentation annuelle n'était pourtant que de sept centimes et au bout de sept ans, le différentiel aurait encore été d'un franc en moyenne en faveur du gas-oil. Pour les Verts, ce double recul n'est pas acceptable. Il l'est d'autant moins que le mécanisme de la TIPP a montré que la fiscalité sur les carburants avait des effets directs et forts sur les comportements des consommateurs. Ainsi la TIPP a clairement incité les constructeurs automobiles, notamment français, à mettre au point des moteurs qui consomment moins. C'est un effet direct du haut niveau de la TIPP. C'est positif puisque cela permet de réduire la consommation d'énergie. En revanche, l'avantage fiscal du gas-oil a entraîné une vente artificiellement élevée de véhicules diesel très polluants. Il est donc plus que temps de supprimer la différence de prix entre les deux carburants. Mais la question de la fiscalité écologique est évidemment beaucoup plus vaste, et elle mériterait des engagements sur une longue période. Un mot enfin sur la taxe Tobin. Ce ne serait pas une recette miracle, mais le moyen d'adapter notre système de prélèvements obligatoires à une économie de plus en plus mondialisée. La suppression des frontières économiques, si elle a des effets bénéfiques, peut avoir aussi des effets pervers, et notamment la concurrence fiscale entre les Etats. C'est pour combattre cette logique que les écologistes soutiennent depuis toujours la construction européenne. Si le champ d'intervention des acteurs économiques change, celui de la puissance publique doit changer aussi. La mise en place de la monnaie unique a déjà permis d'éviter une crise monétaire. Mais l'absence d'harmonisation fiscale risque de tirer l'ensemble des budgets nationaux vers le bas, et donc de priver à terme l'Etat et les collectivités locales de beaucoup de leurs ressources. Certains s'y résigneraient peut-être, pour nous c'est inacceptable. Voilà pourquoi il convient de trouver de nouvelles ressources fiscales, et la taxe Tobin répondrait à cet objectif. Elle aurait aussi l'avantage de freiner la volatilité des capitaux et la spéculation financière. Les Verts souhaitent que la mise en place de la taxe Tobin, qui doit naturellement être européenne, soit accélérée, comme l'a d'ailleurs souhaité le Premier ministre. Les Verts sont également attentifs à la fiscalité liée à l'économie solidaire ou aux bâtiments à « haute qualité environnementale ». Nous espérons que la discussion de ce budget permettra d'avancer dans ce sens. Telle est notre appréciation générale sur un projet dont nous comprenons les contraintes, mais dont nous regrettons les timidités. M. François d'Aubert - Voilà votre premier budget en euros, mais heureusement le dernier budget de cette législature - car il fera tache dans les comptes du pays... Est-ce un budget efficace, dans une conjoncture troublée ? Rien n'est moins sûr. Le budget, acte politique majeur, devrait être d'autant plus crédible que les incertitudes s'amplifient. Or, votre projet va au contraire alimenter la méfiance des acteurs économiques. D'abord parce que vos prévisions de croissance surréalistes rencontrent l'incrédulité des plus optimistes. Vous maintenez un taux de référence de 2,25 %, quand l'Allemagne prévoit 1,5 %, et la Commission de Bruxelles un taux de 1 à 2 % dans la zone euro. La plupart des experts tablent sur une croissance comprise entre 1,1 % et 1,9 %, et notre pente actuelle ne dépassera pas 1,5 %. Ensuite, votre projet de budget s'appuie sur des « fondamentaux » dont certains s'effritent dangereusement. Vous citez l'investissement productif, les déficits des administrations publiques, la modernisation de l'outil industriel comme des indicateurs de la capacité de résistance de notre économie aux « chocs d'incertitudes ». Mais le chômage est reparti à la hausse depuis juin, ce qui affectera le moral des ménages et la consommation. Quant à l'investissement productif, il n'a augmenté au premier trimestre que de 0,7 %, contre 2,4 % au dernier trimestre 2000. Le commerce extérieur recule de 0,3 %, malgré la baisse des prix du pétrole et la sous-évaluation de l'euro. La troisième locomotive de la croissance est donc en panne. Au second semestre de 2001, le commerce extérieur était en déficit, après avoir été sauvé au premier semestre par des ventes de paquebots et d'avions - or l'aviation civile est la première victime des attentats du 11 septembre. Malgré les boulets imposés par les 35 heures ou la loi de pseudo-modernisation sociale, malgré le poids des prélèvements obligatoires, ce pays a encore du ressort et des atouts, mais sa compétitivité globale se détériore. Dans ces conditions, la France a-t-elle une chance d'échapper à la morosité générale ? Attention à éviter l'illusion de « l'oasis », d'une France miraculeusement préservée et continuant une croissance autonome. Ce projet peu crédible fait suite à l'exécution chaotique du budget 2001. Vous n'avez cessé de réviser le taux de croissance pour l'année en cours : de 3,3 %, on est revenu à 2,9 puis 2,7 et 2,3 - et l'INSEE vient d'annoncer un taux de 2,1 %. Par voie de conséquence, le déficit paraît flotter - entre 200 et 250 milliards - très au-dessus des 186 milliards annoncés. Les charges de la dette vont donc s'accroître, d'autant plus que des moins-values fiscales sont inévitables. Ce budget a fait en outre l'objet d'un « bidouillage » généralisé. Il abuse des prélèvements sur recettes, lesquels augmentent de 31,5 milliards, soit 11,4 % - un record. Les recettes non fiscales s'accroissent de 14 % : vous ponctionnez 9 milliards sur EDF-GDF, 18 milliards sur la CADES, 1 milliard au FISAC, 700 millions à l'ORGANIC, 9 milliards à la Caisse des dépôts et consignations. La ponction sur l'excédent de la CADES apparaît ni plus, ni moins, comme un détournement, celle-ci, alimentée par la CRDS, étant destinée à financer le déficit de la sécurité sociale. Dès lors, quelle peut être la crédibilité de vos engagements en matière de logement social par exemple, quand vous ponctionnez sans vergogne le 1 % logement de 5 milliards ? Vous ne rompez en rien avec les pratiques des années précédentes. Vous cherchiez alors - c'était l'époque de la « cagnotte » - à dissimuler l'ampleur des recettes liées à la croissance. Le maquis de plus en plus dense qui existe entre lois de finances et de financement de la sécurité sociale n'a pas amélioré la transparence des comptes publics, loin s'en faut. Quelle crédibilité apporter aux « effets d'annonce » qui se sont multipliés ces dernières semaines, sans être financés dans le budget 2002 ? Le plan Sapin revalorise les salaires de 1,2 % dans la fonction publique, pour un coût de 9 milliards. Où se traduit-il dans le budget ? Les 16 000 nouvelles embauches évaluées à 3 milliards, le plan banlieues Bartolone-Jospin, qui coûtera 35 milliards : où sont les crédits ? Le dispositif Guigou visant à créer 50 000 emplois aidés supplémentaires est estimé à 1,2 milliard : où est le financement ? Vous comprendrez donc que ce projet de budget inspire une certaine méfiance, d'autant que son exécution coïncidera partiellement avec la période électorale. Cela me rappelle fâcheusement les exercices budgétaires 1992 et 1993, où le budget totalement irréaliste avait abouti à un déficit désastreux, dont nous subissons encore les conséquences en termes d'endettement. On est loin, Monsieur le ministre, de vos sympathiques élans sur la sincérité budgétaire, la transparence et la modernisation des méthodes, d'autant que nous avons adopté entre temps une nouvelle « constitution » budgétaire. N'est-on pas aujourd'hui dans l'inconstitutionnalité budgétaire ? L'article 32 de la loi organique du 1er août 2001 dispose en effet que « les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat. Leur sincérité s'apprécie en fonction des informations disponibles lors de l'élaboration et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler. » Le Conseil constitutionnel appréciera quand nous l'aurons saisi... Comment donc rendre toute son efficacité à la politique budgétaire et renouer avec un taux de croissance de 3 à 4 %, seul à même d'assurer le plein emploi ? Ne nous dissimulons pas nos handicaps, encore aggravés par votre gestion. Nos finances publiques sont profondément détériorées, les fruits de la croissance ayant été mal répartis et gaspillés. Depuis 1997, le supplément de recettes a atteint 450 milliards, mais la dépense publique en aura absorbé plus de 55 %. Les baisses d'impôts, avec seulement 25 %, ont à peine compensé l'alourdissement de la fiscalité des années 97-98-99 sur les classes moyennes, les familles et les épargnants. Vous avez réduit, un peu, le déficit budgétaire - on ne sait pas exactement de combien - alors que la majorité précédente l'avait allégé de 48 milliards entre 1993 et 1997, et dans un tout autre contexte économique. Vous affichez une maîtrise de la dépense publique, mais celle-ci est purement optique. Vous affirmez que les dépenses de l'Etat n'ont augmenté que de 5 %, alors que ce chiffre n'est dû qu'à des retraitements de périmètre et des débudgétisations massives, dont le FOREC est le symbole. Les dépenses de l'Etat ont été systématiquement sous-comptabilisées. L'augmentation véritable a été de 21 % entre 1997 et 2001, soit trois fois plus que votre chiffre officiel. La structure de cette dépense est de plus en plus malsaine. Les dépenses de personnel passent, en une législature, de 40 % à 42,5 % du total des dépenses. Votre politique de recrutement dans la fonction publique n'obéit qu'à la logique du « toujours plus », ce qui est loin de signifier « toujours mieux », et des services publics plus performants. Les hôpitaux et les maisons de retraite en offrent une parfaite caricature : alors qu'ils manquent de personnel, notamment pour assurer les urgences, tout ce que vous trouvez à faire avec le passage chaotique aux 35 heures, c'est d'ajouter la pénurie à la pénurie. Avec vos 45 000 créations d'emplois, étalées sur trois ans, l'encadrement dans les hôpitaux et les maisons de retraite sera encore moins bon qu'aujourd'hui. Nous le voyons bien : faute d'avoir réformé l'Etat, les frais généraux augmentent, comme en témoignent les dépenses consacrées aux administrations centrales. Vous affichez une baisse « historique » et structurelle des impôts, mais elle n'a pas été gagée par une maîtrise des dépenses. Nous pouvons saluer votre conversion tardive et alambiquée encore que vous n'ayez fait que la moitié du chemin : vous n'y voyez apparemment qu'un moyen de soutenir la consommation, alors que la corrélation est forte entre le niveau de charges et celui du chômage, et que cela s'appelle pratiquer une politique de l'offre, ce qu'il vous est interdit d'avouer, pour des raisons idéologiques. Les déficits structurels ne sont pas éliminés. Les comptes sociaux connaîtront un trou d'un milliard dès l'année prochaine. Seul reste excédentaire pour l'instant le solde des collectivités locales, mais il demeure fragile. Les finances publiques se sont donc singulièrement détériorées depuis trois ans : nous demandons donc un audit général des finances publiques de l'état de la sécurité sociale, à réaliser avant les élections, et de façon contradictoire, par une commission indépendante. Vos marges de man_uvre sont donc faibles, comme en témoignent les « mini-mesures » que vous avez annoncées hier. A mini marges de man_uvre, mini plan de consolidation de la croissance, à l'exception de l'affaire de l'UMTS, positive pour les télécommunications mais qui montre à quel point le Gouvernement s'était d'abord fourvoyé, avant de consentir un rabais. L'Agence des télécommunications, elle, avait vu juste. De tous les grands acteurs de l'économie mondiale, la France est le pays qui a le plus le « dos au mur ». La seule marge de man_uvre qui vous reste, ce sont les annulations de dépenses, voire l'augmentation du déficit. Mais convenons-en aujourd'hui : ce budget est mort-né. Qui peut dire qu'il résistera aux épreuves électorales de mai-juin 2002 ? Mme la Présidente - Il va falloir conclure. M. François d'Aubert - Vous avez oublié qu'il est des déficits acceptables - ceux qui servent à baisser les impôts, mais qui permettent d'opter aujourd'hui pour une relance par la demande, comme le font les Etats-Unis. Grâce à une politique de l'offre, ils ont pu accumuler des excédents, aujourd'hui mobilisables. Quant à nous, nous voyons bien l'impasse dans laquelle nous a mené la politique de la demande menée depuis cinq ans. Elle a empêché de résorber les déficits, de se donner des marges de man_uvre. Et voici nos finances publiques bien démunies pour faire face au retournement de conjoncture. Je ne parlerai pas des bombes à retardement, je demanderai simplement : comment s'en sortir ? Mme la Présidente - Veuillez conclure. M. François d'Aubert - Nous réussirons à rétablir les conditions de la confiance par des réformes de structures que vous avez oublié de faire : celles des retraites, de l'Etat, en réduisant son périmètre, en décentralisant davantage, en ouvrant le capital des entreprises publiques, en confortant les agences de régulation indépendantes et en recentrant l'Etat sur les missions principales que sont la sécurité intérieure et extérieure, la justice, la cohésion du territoire et la cohésion sociale : une réforme pour un Etat nouveau, qui favorise l'égalité des chances. Mme la Présidente - Veuillez conclure. M. François d'Aubert - Il faut, enfin, renforcer la coopération européenne, en recréant les condition d'un « policy-mix ». La politique actuelle de la Banque centrale européenne n'est pas à même actuellement de faire redémarrer la croissance. Il faut que les taux d'intérêt baissent. La BCE est certes indépendante, mais insuffisamment réactive au ralentissement de la croissance et aux besoins de liquidités dans la zone euro. Voilà donc le dernier budget de la législature. Il la clôture bien mal. Les fruits de la croissance ont été en partie gâchés. Vous avez abandonné les réformes de structures que vous n'avez eu ni le courage politique, ni la volonté de lancer, préférant trop souvent les réformes démagogiques et les effets d'annonce à la préparation de la France aux défis de toute nature qu'elle doit affronter. Le groupe DL votera donc contre votre projet de budget (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). M. Augustin Bonrepaux - Ce budget s'inscrit dans une conjoncture moins favorable que les précédents. Depuis le début de l'année, la conjoncture est marquée par le ralentissement important de l'économie américaine et l'atonie de la croissance au Japon, ce qui réduit la demande et conduit à un infléchissement de la croissance en Europe et en France. Cette situation a été aggravée par l'inflation des prix du pétrole et de l'alimentation. Malgré les mesures fortes que nous avions adoptées pour alléger la fiscalité pétrolière, elle a eu un impact défavorable sur l'évolution du pouvoir d'achat des ménages, donc de leur consommation. Les incertitudes nées des événements qui ont frappé les Etats-Unis viennent aggraver les risques, notamment sur les marchés financiers. Cette situation alimente des débats sur les prévisions économiques du budget. Je répondrai d'abord sur les éléments factuels, qui permettent d'envisager raisonnablement une amélioration de l'environnement économique. La plupart des conjoncturistes prévoient un début de reprise pour l'année 2002, ce qui nous permet d'avancer une hypothèse raisonnable de croissance du PIB de 2,5 % en France en 2002, dans une fourchette dont le point bas se situerait à 2,25 %. Le chiffre est basé sur une croissance de 2 % aux Etats-Unis, alors que l'inflation est maîtrisée en France depuis juillet 2001, ce qui ouvre la porte à une baisse des taux par la BCE qui serait favorable aux investissements. Les prévisions de croissance de l'opposition se sont systématiquement montrées erronées depuis 1997, alors que les hypothèses du Gouvernement étaient vérifiées, voire un peu dépassées. Ainsi M. Auberger prévoyait-il une croissance pour 1999 de 2,3 %. Elle a été de 3,2 %. Pour 2000, elle a été de 3,3 % alors que M. Auberger ne pensait pas qu'elle dépasserait 2,3 %. Nous n'avons donc pas de leçons à recevoir en matière de prévisions... pas plus qu'en matière de résultats puisque la croissance française résiste mieux que celle de la plupart de ses partenaires. Ces performances résultent de la volonté constante de soutenir la demande intérieure. Les politiques en faveur de l'emploi ont permis de créer 1,7 million d'emplois depuis 1997, soit la meilleure performance depuis trente ans. Elles s'accompagnent de baisses sans précédent des impôts pour soutenir le pouvoir d'achat et améliorer la rentabilité des activités productives, faisant ainsi progresser l'équipement. Le taux des prélèvements est ramené à 44,5 % du PIB. C'est dire si, depuis 1997, nous avons su effacer toutes les augmentations du gouvernement Juppé, qu'il s'agisse de la TVA ou de l'impôt sur les sociétés. Notre politique repose sur la conviction que la croissance française est susceptible de rester forte. Ainsi, le Gouvernement présente un projet de budget réaliste et volontaire dans un environnement mondial perturbé. La baisse des prélèvements sera poursuivie selon le plan triennal annoncé. Elle représentera 6 milliards d'euros en 2002, sur 30,5 milliards au total, et visera en priorité les ménages, notamment avec la baisse de l'impôt sur le revenu. Au terme de la réforme celui-ci sera allégé d'au moins 10 % pour 50 % des contribuables. L'effort porte en particulier sur les ménages les plus modestes. Il est accentué par la prime pour l'emploi, qui concerne les salaires compris entre 0,5 et 1,4 SMIC et encourage à exercer une activité professionnelle. Cette prime contribue à réduire les inégalités. Elle se montait en moyenne à 950 F en septembre 2001. En 2002, elle devrait atteindre 3 000 F pour un SMIC. Et avec la tranche supplémentaire annoncée par le ministre de l'économie, elle pourrait se monter à 6 000 F, toujours pour 2002 ! Les ménages modestes apprécieront. Parallèlement sont poursuivies les baisses d'impôts sur les entreprises. Le taux effectif de l'IS sera ramené à 33,3 % en 2003, soit moins que la moyenne européenne, et à 15 % pour les 250 000 premiers francs de bénéfice des petites entreprises. La suppression de la part salariale de la taxe professionnelle sera aussi achevée. Un encouragement particulier à l'investissement productif sera traduit par l'extension des catégories de titres admissibles aux plans d'épargne en actions et par le relèvement de leurs plafonds. Le régime des fonds communs de placement à risques ou dans l'innovation sera modernisé et l'internationalisation des groupes français ainsi que l'implantation en France de groupes étrangers seront favorisées. Enfin, plusieurs mesures nouvelles stimuleront l'investissement des entreprises, notamment un amortissement exceptionnel de 30 % des investissements réalisés avant le 31 mars et le remboursement de la dette née du décalage d'un mois du remboursement de la TVA. M. Jean-Jacques Jégou - C'est Byzance ! M. Augustin Bonrepaux - D'autres mesures peuvent être citées en faveur du logement, de l'environnement, de l'énergie et du mouvement associatif. L'une en particulier, signe de notre solidarité, encouragera la recherche sur des maladies infectieuses touchant les pays en voie de développement. Les baisses d'impôts n'empêchent pas de financer nos priorités. En effet, les Français attendent avant tout du Gouvernement qu'il donne les moyens de fonctionner à nos services publics - qui sont après tout la meilleure façon d'assurer la solidarité. La première de nos priorités est l'emploi. En 2002, 400 000 emplois-jeunes bénéficieront de 3 milliards d'euros, 120 000 jeunes en difficulté bénéficieront du programme TRACE, 260 000 contrats emploi-solidarité seront mis en place et 700 postes seront créés dans les services de l'emploi. Cette action doit être complétée par un effort constant de formation des jeunes. En 2002, le budget de l'éducation nationale dépassera pour la première fois 400 milliards de francs et 7 700 postes seront créés. Depuis 1977, 27 000 postes d'enseignants et 13 500 de non-enseignants auront donc été créés, et c'est ce qui a permis de réussir la dernière rentrée scolaire. Quant au budget de la culture, il atteindra enfin 1 % du budget général. Autre priorité du budget : la sécurité. Les effectifs de police et de gendarmerie augmentent respectivement de 3 000 et de 1 000 postes. Au total, depuis 1997, 250 000 personnes supplémentaires assurent la sécurité, avec une attention particulière pour les zones sensibles. Mais, Monsieur le ministre, cela n'est pas une raison pour réduire insidieusement les effectifs de gendarmerie dans les départements ruraux. Il y a d'autres dépenses plus inutiles à supprimer d'abord. Les crédits du ministère de la justice, eux, ont augmenté de 25 % depuis 1997. En 2002, 3 000 postes seront créés. Il s'agit d'appliquer la loi sur la présomption d'innocence et de garantir l'accès de tous à la justice en relevant les plafonds de l'aide juridique. Le ministère de la justice serait d'ailleurs bien inspiré d'étudier les propositions de la mission d'évaluation et de contrôle pour utiliser les crédits de façon plus efficace. M. Philippe Auberger - Ce serait une première ! M. Augustin Bonrepaux - Les préconisations de la mission sont souvent suivies avec attention par le Gouvernement. M. Philippe Auberger - Jamais ! Aucune ! M. Augustin Bonrepaux - De son côté, le budget de l'environnement augmentera de 6 %, soit 60 % depuis 1997. Trois cents postes seront créés. En matière de solidarité, un effort constant est mené depuis 1997 pour la retraite des agriculteurs. Elle sera portée cette année au niveau du minimum vieillesse, ce qui représente un effort considérable. Il reste à examiner notre proposition de loi sur la retraite complémentaire pour que la retraite globale atteigne 75 % du SMIC, mais les progrès réalisés sont déjà considérables. Enfin, les concours de l'Etat aux collectivités locales progressent de 8,4 %, dont 2,9 % pour les dotations comprises dans l'enveloppe du contrat de croissance et de solidarité. Cette progression est exceptionnelle, vous en conviendrez, Monsieur Auberger, et elle contraste avec le dispositif imaginé par M. Juppé, dont le pacte de stabilité tendait à limiter la croissance des dotations à celle de l'inflation ! J'observe d'ailleurs que cette mesure n'appelle pas de critiques. L'augmentation de la dotation est principalement affectée à la péréquation, DSU et DSR progressant, chacune, de 5 %. M. Jean-Jacques Jégou - Donc, tout va bien ! M. Augustin Bonrepaux - Quand quelque chose ne va pas, je le dis ! Le Gouvernement s'attache à renforcer la coopération intercommunale depuis qu'en 1992 la gauche en a pris l'initiative, par un texte que vous n'avez pas voté. M. Philippe Auberger - Il était inapplicable ! M. Augustin Bonrepaux - Nous proposerons cependant un amendement tendant à garantir une progression égale pour toutes les collectivités concernées, et nous appelons l'attention du Gouvernement sur la nécessité de veiller à ce qu'il en soit ainsi à l'avenir. La péréquation et la coopération intercommunale sont en effet des facteurs déterminants de la dynamisation des zones rurales. On constate enfin que ces mesures s'inscrivent dans le cadre d'une évolution maîtrisée des finances publiques. En 2002, les dépenses de l'Etat augmenteront de 0,5 % en volume, au lieu de 0,3 % en 2001, pour tenir compte de la dégradation de l'environnement international tout en respectant les engagements pris auprès de la Commission européenne. Le Gouvernement choisit donc de ne pas afficher à tout prix un déficit en baisse, de ne pas réduire brutalement les dépenses et de ne pas augmenter les prélèvements obligatoires, ce qui aurait risqué d'accentuer les effets des difficultés conjoncturelles, on l'a vu en 1995 et 1997. De fait, la meilleure réponse aux critiques de l'opposition se trouve dans les chiffres, qui montrent que le déficit de l'Etat s'établira à 2,4 % du PIB au lieu de 3,6 % en 1997. De même, le déficit des administrations publiques a été ramené de 3,5 % à 1,4 % du PIB au cours de cette période et la dette publique poursuit sa réduction, pour s'établir à 3 points au-dessous de ce qu'elle était en 1997. On mesure le chemin parcouru, depuis le début de la législature, dans le redressement des comptes publics. Nous souhaitons encore améliorer le projet. A cette fin, nous proposerons des amendements relatifs au régime « micro-foncier », au régime fiscal des chèques-vacances, à la suppression de la vignette pour les artisans, à l'allégement de la redevance télévision pour les ménages modestes. Notre rapporteur général présentera aussi un amendement visant à régler la question de la fiscalité des associations, legs encombrant du gouvernement précédent. Encore les services fiscaux devront-ils s'astreindre à faire preuve d'objectivité dans la définition de ce qui est « non concurrentiel » et « non lucratif ». Ainsi, le projet de budget pour 2002 poursuit la politique suivie, avec succès, depuis 1997 : maîtrise des dépenses, réduction du déficit et baisse des prélèvements obligatoires. M. Philippe Auberger - Si seulement c'était vrai ! M. Augustin Bonrepaux - Ce projet, prudent, ménage des marges de man_uvre. Les mesures annoncées hier par le ministre vont dans le bon sens, et nous nous en félicitons. C'est pourquoi le groupe socialiste votera ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Philippe Auberger - Ce débat est marqué par la prochaine entrée en vigueur de l'euro et par l'application de la loi organique qui remplace l'ordonnance de 1959. Cette loi dispose que la sincérité des comptes s'apprécie en fonction des prévisions économiques qui les fondent et qui doivent donc être elles-mêmes sincères. Le sont-elles ? On ne peut faire grief au Gouvernement de ne pas avoir tenu compte de l'impact des attentats du 11 septembre - les délais ne lui permettaient pas. En revanche, ses estimations de croissance sont incontestablement excessives et exagérément optimistes. L'exercice en devient irréel et le budget irréaliste. En 2001, vos estimations ont déjà dû être revues sept fois à la baisse, tant votre prévision initiale était erronée ; et en dépit de ces réductions successives, ce qui sera le taux réel de croissance pour l'année en cours n'a pas encore été admis par le Gouvernement. L'INSEE table pourtant sur 1,2 %, tout comme le FMI, auquel vous aimez, habituellement, à vous référer. Le ralentissement sera beaucoup plus fort que vous feignez de le croire : toutes les enquêtes de conjoncture montrent un net fléchissement et, depuis quelques mois, le nombre des demandeurs d'emploi augmente. Certes, vous avez lancé un appel à une sorte de responsabilité civique économique ; mais qui peut croire en son utilité ? Tout indique, donc, que la prévision de croissance pour 2002, que vous fixez à 2,5 %, n'est pas davantage sincère. Elle supposerait en effet un véritable retournement de la conjoncture, alors même que les Etats-Unis, le Japon et l'Allemagne sont entrés en récession ou en passe d'y entrer. Une reprise significative de la croissance en France supposerait un redressement des exportations, très hypothétique, une reprise des investissements, peu vraisemblable, et une bonne tenue de la consommation, alors que le revenu disponible des ménages va probablement se tasser du fait de la dégradation de l'emploi. Les prévisions du Gouvernement relèvent donc davantage du v_u politique que de l'anticipation raisonnable. Elles n'ont même pas l'apparence de la sincérité et elles viennent d'être dénoncées par le commissaire européen chargé des finances. Dans ces conditions, on peut avoir de très sérieux doutes sur la sincérité des prévisions budgétaires. Pour 2001, le Gouvernement maintient la prévision d'un déficit de 186,5 milliards de francs alors que les recettes sont inférieures d'au moins 25 milliards aux prévisions, si bien que l'on s'achemine vers un déficit de l'ordre de 210 milliards de francs. Pour 2002, l'écart sera sans doute supérieur encore puisque ni le produit de l'impôt sur le revenu ni celui de l'impôt sur les sociétés ne pourront atteindre les niveaux prévus ; quant au produit de la TVA et de la TIPP, il sera largement fonction de la plus ou moins bonne tenue de la consommation. Le déficit annoncé sera donc vraisemblablement dépassé d'au moins 3 ou 4 milliards d'euros. Encore ce résultat est-il obtenu moyennant un recours exagéré à des recettes non fiscales, qui augmentent de 3,1 milliards d'euros. Tout ce qui est disponible a été utilisé et pratiquement tous les allégements fiscaux seraient financés avec ces recettes occasionnelles. Quel bel exemple de vertu budgétaire ! C'est bien la politique de la terre brûlée ! Enfin, on notera une nouvelle fois la grande difficulté du financement du FOREC, dont les comptes sont, par ailleurs, de plus en plus opaques, au point qu'un conseil interministériel vient d'être créé pour en améliorer la lisibilité. Un beau travail l'attend ! Surtout, pour alimenter ce compte, on a dû faire appel aux droits sur les alcools, à la taxe sur les véhicules à moteur, à un transfert de la taxe sur les conventions d'assurances, à une hausse du prix des tabacs, etc... Bref, la notion de ressources affectées ne répond plus à aucun critère précis. La conséquence de toutes ces manipulations, transferts et anticipations, c'est que le Gouvernement s'est privé de toutes marges de man_uvre au cas, hautement probable, où la croissance escomptée ne serait pas au rendez-vous. C'est donc une politique budgétaire à l'opposé de la politique américaine. Ayant rétabli en quelques années l'équilibre budgétaire, les Etats-Unis sont en mesure d'apporter un soutien appuyé à la conjoncture. Un plan de soutien doté de 110 milliards de dollars a été lancé à cet effet. A l'inverse, malgré les bonnes années 1998-2000, la France n'a pas su dégager les réserves nécessaires pour mener la politique conjoncturelle active qui s'impose aujourd'hui. Annoncer que l'on va laisser jouer les stabilisateurs automatiques n'est qu'une manière pudique d'admettre que l'on va laisser filer le déficit budgétaire. Du reste, le Gouvernement refuse d'actualiser la prévision de déficit transmise à la Commission européenne pour 2001 dans le cadre du plan triennal des finances publiques - fixée à 1,4 % du PIB - alors même qu'il sait pertinemment qu'elle ne sera pas tenue, et ce en parfaite contradiction avec l'article 50 de la nouvelle loi organique. Le creusement du déficit est d'autant plus grave qu'il entame la confiance en la monnaie européenne au moment même de son introduction. De la même façon, la reprise aurait dû entraîner une diminution significative des prélèvements obligatoires, elle-même annonciatrice d'une possible baisse des taux. Las, M. Duisenberg a d'ores et déjà averti que l'Allemagne, la France, l'Italie et le Portugal faisaient l'objet de sa part d'une attention constante du fait de la dégradation de leurs finances publiques... M. le Président de la commission - Transmettez-lui nos salutations ! M. Philippe Auberger - Le défaut de concertation des politiques budgétaires au sein de la zone euro ne peut que freiner la consolidation de la monnaie unique. Alors, y a-t-il une autre politique ? Dès la présentation du projet de budget en conseil des ministres, j'avais souhaité que le Gouvernement adresse au Parlement une lettre rectificative portant notamment réajustement de la prévision de croissance après les événements du 11 septembre. Cela n'a pas été fait et la prévision budgétaire est donc dépourvue de toute sincérité. Force est de constater que l'évolution indiscutable de la conjoncture n'a pas conduit le Gouvernement à revoir son projet en profondeur. L'impact des attentats sur la croissance 2002 n'a ainsi été évalué qu'à 0,5 point. Le rapport économique et financier annexé au PLF pour 2002 évoque 6 milliards d'euros de redéploiements de crédits. Notre rapporteur général parle pour sa part de 7,2 milliards d'euros de redéploiements et de 5,2 milliards d'euros de crédits supplémentaires. On en arrive alors à 73 milliards de francs de mesures nouvelles, soit un chiffre jamais atteint dans le passé. N'y a-t-il pas mieux à faire que de prétendre soutenir la conjoncture en engageant de telles dépenses ? Ou bien le Gouvernement est-il seulement tenté de donner un coup de pouce appuyé à des dépenses à visée électoraliste ? Et qu'on ne vienne pas nous faire le procès de vouloir porter atteinte aux dépenses nouvelles de la fonction publique ! Certes, le chiffre des créations d'emploi pour 2002 est élevé : 15 900 pour les seuls emplois civils. Par ailleurs, le rapport économique et financier prévoit 70 000 emplois publics supplémentaires en 2002. Cela fait beaucoup si l'on considère que ces chiffres aboutissent, pour la fonction publique d'Etat, à 28 milliards de francs de dépenses supplémentaires. Or, il précise que les dépenses de la fonction publique ont représenté en moyenne au cours des trois dernières années les trois-quarts des mesures nouvelles. Dès lors, le crédit de 6 milliards d'euros dégagé par redéploiement semble suffisant pour financer les mesures nouvelles. S'il en avait été ainsi, la physionomie de ce projet en aurait été profondément modifiée. En effet, il devenait possible de financer les allégements fiscaux nouveaux sans faire appel à des ressources exceptionnelles. Il aurait même été possible de diminuer légèrement le déficit, et, partant, de présenter un budget mieux construit. Enfin, des ressources nouvelles auraient pu être dégagées pour compenser les moins-values fiscales qui ne vont pas manquer d'apparaître et pour financer les actions ponctuelles de relance que la conjoncture rend inéluctables. Dans la situation présente, le Gouvernement se voit contraint de soutenir la conjoncture. Cela a été proposé dès le début du mois de septembre par l'ancien conseiller économique du Premier ministre, M. Pierre-Alain Muet, dans une chronique remarquée du mensuel Alternatives économiques : « Pour effacer le trou d'air actuel, il faut que les ménages et les entreprises soient conduits à anticiper sur la reprise. L'Etat peut les y inciter. La reprise est à notre portée si l'on ose utiliser la politique budgétaire à des fins conjoncturelles ». Mme Nicole Bricq - C'est ce que nous proposons ! M. Philippe Auberger - Je souscris entièrement à cette analyse alors que les mesures homéopathiques annoncées hier ne modifieront ce projet de budget qu'à la marge. Elles ne sont pas à la hauteur de la situation. M. le ministre a parlé à plusieurs reprises de « consolidation ». Mais on ne consolide que ce qui est branlant ! Vous admettez donc que la croissance que vous annoncez pour 2002 est loin d'être assurée (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Sans parler à votre sujet, Monsieur le ministre, comme le fait de façon peu charitable un journal du soir, du sapeur Camember, seules trois mesures se détachent du « lot » présenté hier : un nouveau chèque pour les titulaires de la prime pour l'emploi à quelques semaines de l'élection présidentielle, un tête à queue en ce qui concerne les licences UMTS auquel même les plus activistes ne songeaient pas, la vente prochaine, dans un contexte boursier défavorable, de l'un des derniers bijoux de famille, le capital d'Autoroutes du Sud de la France ; En définitive, ce projet porte la marque d'une double imprévoyance. Imprévoyance, d'abord, dans son élaboration : les recettes sont évaluées de façon optimiste et aucune marge de man_uvre n'est conservée pour le cas où la conjoncture ne serait pas celle espérée. Le déficit attendu pour 2002 est supérieur à celui annoncé pour 2001 ; ceci traduit bien l'absence de réelle maîtrise de nos finances publiques. Du reste, il y a très peu de chances pour que ce budget se réalise dans les conditions prévues et l'on peut donc bien parler d'un budget irréaliste. En outre, ce projet traduit aussi l'imprévoyance passée, alors même que la conjoncture était meilleure qu'aujourd'hui. En effet, des surplus importants ont été dégagés au cours des années 1998 à 2000 et ils auraient dû nous permettre d'anticiper les effets d'un retournement éventuel. Nous ne l'avons pas fait et il est désormais trop tard. Une part excessive des surplus a été consacrée à une augmentation des dépenses publiques, en sorte que le taux des prélèvements obligatoires sera analogue en 2002 à celui atteint en 1997. Le déficit public n'a été que partiellement et très insuffisamment réduit et nous connaissons l'une des situations des finances publiques les plus critiques des pays de la zone euro, laquelle nous empêche de préparer convenablement la reprise et d'envisager une baisse significative des taux d'intérêt. Il est patent que la Banque centrale européenne sera très réticente pour diminuer les taux, en raison du niveau des déficits publics de certains pays dont le nôtre. En définitive, la politique budgétaire menée depuis 1997 a été une politique à courte vue. Le Gouvernement s'est comporté comme si les années fastes allaient durer indéfiniment. Il s'est donc rendu coupable d'une double imprévoyance. C'est pourquoi le groupe RPR repoussera ce projet de budget (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF). La discussion générale est close. M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'état de mes cordes vocales... M. Jean-Pierre Brard - C'est le PLFSS ! M. le Ministre - Chacun sait, Monsieur Brard, qu'il n'y a pas de lien direct entre la consommation de médicaments et l'état de santé ! (Sourires) Au risque de malmener quelque peu l'ordre chronologique de vos interventions, je répondrai tout d'abord à MM. Auberger, Méhaignerie et d'Aubert. L'opposition présente sur ce projet de budget des critiques convergentes qui appellent de ma part une observation globale : la droite est longue sur la critique, courte sur les propositions (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe socialiste). M. Auberger a insisté - et comment lui donner tort ? - sur la nécessité d'être attentif aux équilibres publics et en particulier sur le niveau des déficits. Il a raison : il importe que les responsables et les citoyens mesurent à quel point nous sommes entrés dans un univers où la dépense publique est utile mais ne peut être que limitée. Nous ne disons pas autre chose depuis 1997 et nous avons été les premiers à définir une norme de dépense qui nous engage réellement. De même, la question pluriannuelle que nous avons introduite va dans le bon sens. Du reste, vous êtes nombreux, dans vos collectivités, à pratiquer la prévision pluriannuelle et vous avez pu en appréhender toute la nécessité. Ce point ne fera donc pas débat entre nous. En revanche, votre argumentation, Messieurs Auberger et d'Aubert, et, dans une moindre mesure, Monsieur Méhaignerie, serait plus convaincante si, après avoir aussi vivement critiqué ce projet de budget, vous n'étiez pas dans l'incapacité de suggérer la moindre économie et si les mouvements auxquels vous appartenez ne cessaient ici et là de proposer des dépenses supplémentaires. M. Jean-Jacques Jégou - Ce n'est pas vrai ! M. le Ministre - Je vais vous démontrer que si. J'ai fait analyser par des experts que nul ne peut soupçonner d'esprit partisan... M. Philippe Auberger - M. Schrameck par exemple ? M. le Ministre - Non, des experts du ministère des finances. J'ai fait chiffrer le coût, disais-je, des propositions du RPR en matière de politique familiale, rendues publiques le 9 octobre dernier et qui ne constituent qu'une toute petite partie de son projet. Rétablissement de l'AGED, 1,2 milliard de francs ; restauration du plafond du quotient familial à son niveau de 1997, 2 milliards ; attribution d'une demi-part fiscale supplémentaire au troisième enfant, 2,5 milliards - toutes mesures qui, soit dit au passage, privilégient les hauts revenus ; prolongation des allocations familiales jusqu'à 22 ans, 6,5 milliards ; revalorisation des allocations logement, 8 milliards ; création d'une allocation dite de libre choix de garde, 33 milliards au bas mot - excusez du peu ! ; aide fiscale pour les grands-parents, plusieurs milliards. Le coût annuel total de ces mesures atteindrait 53 milliards de francs, 8 milliards d'euros ! Je n'en dirai pas davantage, Monsieur Auberger, vous connaissez l'histoire du pompier pyromane... M. Jean-Pierre Brard - Quel réquisitoire ! M. Philippe Auberger - Etes-vous contre ces mesures ? Nous aurons cinq ans pour les appliquer. M. le Ministre - Je vous suggère de prendre encore plus de temps pour y réfléchir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) Au fond, l'opposition développe un seul argument : le Gouvernement aurait gaspillé les fruits de la croissance. Je vais m'efforcer de démontrer brièvement pourquoi cela ne tient pas. C'est en effet laisser penser que la croissance était acquise en 1997. Or, si tel avait été le cas, un homme aussi avisé que le Président de la République aurait-il alors décidé de dissoudre l'Assemblée nationale - décision dont par ailleurs je me félicite puisqu'elle nous a permis de devenir la majorité (Sourires). Dans un environnement international identique pour tous les pays d'Europe, la France a régulièrement connu une croissance supérieure à celle de ses partenaires depuis 1997, alors que c'était l'inverse auparavant. Il y a bien à cela une raison. Contrairement à ce que vous prétendez, faisant d'ailleurs fi de toute réalité, les choix politiques du Gouvernement et de sa majorité n'ont pas été étrangers au redémarrage de la croissance. Nous en aurions gâché les fruits, ajoutez-vous. Mais comment le million de chômeurs qui a retrouvé du travail, les bénéficiaires de la CMU, les titulaires d'emplois jeunes, les salariés qui ont bénéficié d'une augmentation de 19 % de la masse salariale, les contribuables qui ont vu leurs impôts baisser, pourraient-ils vous croire ? De même, comment vous croire quand sur la période la dette publique a été réduite de plus de trois points par rapport au PIB ? On le voit, votre argument ne tient pas. Pis, il se retourne contre vous car il révèle ce que vous tenez, vous, pour du gaspillage ! Certes, personne ne nierait les difficultés actuelles nées du ralentissement américain, de la récession japonaise et bien sûr, des conséquences des attentats du 11 septembre. Il est de notre rôle de responsables politiques de réagir et c'est ce que nous faisons avec ce projet de budget centré autour de quelques priorités : éducation, sécurité, environnement, baisse des impôts. Quant aux mesures de consolidation qui l'accompagnent, ce ne sont pas des « mesurettes », comme vous les qualifiez, Monsieur Auberger. Ne faites donc pas comme si le choix des Français au printemps prochain était déjà arrêté. Nul ne sait quel il sera. Demeurez donc modestes ! M. d'Aubert, après avoir lui aussi développé les mêmes thèmes, a demandé un audit général des finances publiques avant les prochaines élections. Quelle idée de la part d'un parlementaire que de proposer de dessaisir le Parlement au profit d'une commission ad hoc. Lorsque j'étais Président de l'Assemblée nationale, j'ai toujours refusé « l'ad hocratie ». Le Parlement a pleine compétence pour juger de la situation des finances publiques. M. d'Aubert a ensuite évoqué le produit des licences UMTS. Son montant ne sera pas diminué, seules les modalités de calcul ont été modifiées pour tenir compte à la fois de certaines difficultés techniques particulières et de la situation financière du secteur des télécommunications. Convaincu qu'il faut faire le choix de l'UMTS, le Gouvernement, en concertation notamment avec l'ART, a recherché une solution garantissant que l'intégralité du territoire national serait couverte et les intérêts de l'Etat préservés. Il a été décidé que le ticket d'entrée serait moins élevé et qu'une partie du paiement ultérieur serait proportionnelle au chiffre d'affaires réalisé. M. Méhaignerie a approuvé la prime pour l'emploi. Il a eu d'autre part une jolie formule en anglais sur les dépenses publiques et les petits salaires. L'Etat doit être efficace, il doit se réformer et croyez-moi, il le fait, à commencer par le ministère que je dirige avec Mme Parly. Mais il ne faudrait pas passer d'un extrême à l'autre : vous voyez bien, à la lumière de l'actualité, qu'en cas de difficulté, on se retourne vers l'Etat ! Noël Mamère nous a quittés, il occupe de hautes responsabilités (Sourires). M. Jean-Pierre Brard - Une haute destinée l'attend ! M. le Ministre - Il a fait un discours très intéressant et donné son accord au Gouvernement. Sur l'IR, nous avons une approche un peu différente mais quand on dit qu'il est injuste d'alléger l'IR parce que seuls 50 % des gens le paient, on oublie que beaucoup de ceux qui le paient ne roulent pas sur l'or. Et par ailleurs n'oublions pas l'existence de la PPE. Mais nous aurons sûrement l'occasion de débattre encore de cette question. L'essentiel est que M. Mamère ait apporté son soutien au Gouvernement de façon irrévocable (Exclamations et rires sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). M. Philippe Auberger - Le vote n'aura lieu que mardi ! M. le Ministre - Dans une intervention solide, M. Bonrepaux a apporté son soutien aux propositions du Gouvernement. Il a répondu de façon pertinente à M. Auberger au sujet de ses prévisions... M. Philippe Auberger - Il ne pouvait pas me répondre, j'ai parlé après lui ! M. Jean-Pierre Brard - Mais le disque est si rayé... M. le Ministre - Connaissant votre goût de la répétition, M. Bonrepaux savait qu'il ne serait pas à côté de la plaque en parlant de ce que vous aviez dit l'an dernier ! (Rires) En tout cas, il a été pertinent. Il a insisté sur un certain nombre d'amendements chers au groupe socialiste concernant en particulier le chèque-vacances qui tient à c_ur à M. Emmanuelli, le micro-foncier, la vignette des artisans, la redevance pour les personnes modestes. Sans déflorer la discussion qui aura lieu plus tard à ce sujet, il m'est permis de dire à M. Bonrepaux qu'il peut aborder avec confiance cette discussion : le Gouvernement sera attentif à ses propositions, frappées au coin de la justice, de l'efficacité et de la compétence (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Brard, enfin, à qui je répondrai en dernier puisqu'il a parlé le premier... M. Jean-Pierre Brard - C'est comme au paradis ! (Rires) M. le Ministre - J'ai apprécié le fond de son intervention et son analyse générale, et je le remercie de son satisfecit à propos des bio-technologies. S'agissant du CIR, c'est une vieille discussion entre nous. Il faut concilier la justice fiscale et le souci de ne pas faire peser des charges trop lourdes sur les contribuables. D'autre part, il a développé un certain nombre de propositions intéressant le financement des services publics. A cet égard, nous devons garder le souci de l'équilibre général des finances publiques et les orientations générales décidées en Europe, mais cela n'exclut pas la possibilité d'apporter des inflexions. Je commenterai en particulier cinq propositions qui m'ont semblé très importantes. D'abord, le financement des constructions et rénovations d'écoles grâce à des prêts à taux privilégié de la Caisse des dépôts : cette proposition répond au souci de la majorité plurielle de faire le maximum pour l'éducation, et après y avoir réfléchi avec mes collègues, et notamment avec Mme Parly, je suis disposé à y souscrire. En second lieu, le groupe communiste propose d'aller plus loin que la commission en ce qui concerne la redevance télé. Je m'en tiens là-dessus à l'amendement de la commission. Votre troisième proposition concerne le foncier bâti payé par les personnes âgées modestes. L'enjeu financier est considérable, mais le Gouvernement acceptera de faire un geste. De même pour votre proposition de taxer les entreprises pétrolières à hauteur de 1,2 milliard... M. Christian Cuvilliez - Cela ne coûte rien ! M. le Ministre - Cela coûte à quelqu'un. Reste deux questions importantes. Pour les hôpitaux, on ne peut recourir à la technique de la taxe sur les salaires, car elle aurait des incidences sur beaucoup d'autres secteurs. En revanche, on pourra faire quelque chose dans le cadre de la sécurité sociale. Enfin, le Gouvernement est favorable à une augmentation de la PPE au titre de l'année en cours. J'ai entendu les observations des groupes de la majorité plurielle, radicaux, verts, socialistes, et comme il sied dans le cadre d'un partenariat loyal, celles du groupe communiste et apparentés. Je puis donc préciser que le Gouvernement proposera un doublement de la prime pour l'emploi au titre de 2001. J'indique à ceux qui ont estimé qu'il s'agissait de « mesurettes », que le montant moyen de cette prime s'élève à 1 000 F pour une famille aux revenus très modestes, ce qui est loin d'être négligeable, et représentera 3 400 F supplémentaires en fin d'année pour un couple de smicards avec deux enfants. La politique ne tient pas seulement à de grandes idées et à de grands projets : elle s'attache aussi au concret. Vous voterez au terme de ce débat, en particulier grâce au dialogue entretenu avec la majorité, sur des mesures concrètes. Il y aura ceux qui seront hostiles à cette prime pour l'emploi, et celles et ceux qui auront permis, par leur engagement, que des millions de personnes bénéficient en fin d'année de quelques milliers de francs supplémentaires. Voilà ce que je voulais vous dire, en vous remerciant pour le début de ce débat. Le Gouvernement veut rester sérieux sur les finances publiques, tout en soutenant la croissance et en se montrant attentif à la justice sociale ainsi qu'aux préoccupations de sa majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). MOTION DE RENVOI EN COMMISSION Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du Règlement. M. Jean-Jacques Jégou - Après votre démonstration, Monsieur le ministre, je pourrais féliciter l'artiste. Mais l'opposition, quelque peu caricaturée dans ce morceau de bravoure, a encore des choses à dire, dut-elle se répéter. Nous savons bien, en effet, que l'exercice auquel nous sacrifions depuis hier est une figure imposée. J'appartiens à l'opposition, vous au Gouvernement, et l'organisation du débat ne permet pas un dialogue constructif entre les deux. Vous venez de l'illustrer : vous ne dialoguez qu'avec votre majorité. C'est un constat que l'on fait depuis plusieurs années : la Vème République est ainsi faite, et la démocratie bien encadrée. Mes convictions et quelques illusions persistantes - je suis effrayé de penser que j'en suis à mon seizième budget - me conduisent néanmoins à défendre cette motion de renvoi en commission au nom du groupe UDF. Je fonderai mes observations sur un examen attentif de ce projet de loi de finances, qui mériterait mieux que les réponses convenues que notre rapporteur général, pour lequel nous avons pourtant beaucoup d'amitié, nous a apportées en commission. Ce budget est une caricature au regard de l'espoir suscité par la réforme de l'ordonnance de 1959, qui a donné naissance à la loi organique du 1er août 2001. Cette motion est d'autant plus nécessaire qu'elle intervient après la présentation, à l'instant, des quelques mesures de soutien de la croissance que vous-même n'avez pas osé présenter comme un plan de relance. Vous avez raison, elles n'en constituent pas un, et si certaines ont le mérite d'exister, les autres ont au moins celui de ne pas creuser le déficit. Encore n'est-ce plus tout à fait vrai, puisque vous venez d'alourdir la facture. Sur la forme, il aurait été utile d'approfondir la discussion sur les grands équilibres ou sur les mesures annoncées en commission des finances. Mais j'ai vu la semaine dernière, en commission, certains de nos collègues de la majorité plurielle désespérer de ne pouvoir dire mot et même se consumer d'envie devant quelques amendements de l'opposition qu'ils n'avaient apparemment pas eu la possibilité de déposer. Tout cela est fort peu réjouissant, et n'améliore guère la qualité de nos débats. Le huis clos de la commission des finances devrait pourtant être le lieu privilégié pour mener les débats de fond qui permettent de réformer et de nouer des dialogues qui n'existent plus nulle part. Avant d'examiner votre projet je rappellerai brièvement les chapitres précédents. Plusieurs étapes se sont succédé depuis 1997 : cette croissance gâchée pour ne pas employer le mot qui vous fâche, Monsieur le ministre, qui n'a pas été utilisée comme nous l'aurions souhaité ; votre surprise face au ralentissement, et l'absence de réaction devant les événements du 11 septembre même si, comme l'a reconnu Philippe Auberger, il était alors bien tard pour pouvoir modifier votre projet. Depuis quatre ans que vous êtes au pouvoir, sans revenir sur les conditions de votre retour - cela pourrait raviver de douloureux souvenirs - vous avez, jusqu'au printemps de cette année, surfé sur la vague de la croissance. Reste pourtant gravée dans ma mémoire la loi de finances pour 1993 que vos prédécesseurs nous avaient proposée à l'automne 1992. Elle tablait sur une croissance de 2,6 %, avec un déficit à 165 milliards de francs. Nous avons fini l'année avec une récession de 0,8 %, et un déficit de 317 milliards. Le déficit de 1993 atteignait ainsi le taux record de 6,3 % du PIB. Dix ans plus tard, nous n'avons pas encore réussi à combler ce déficit ! Certes, tout n'est pas blanc ou noir. Mais vous avez voulu injustement imputer à l'ancienne majorité la responsabilité de ce trou abyssal. En 1997, vous avez bénéficié d'une reprise que l'ancienne majorité, un peu aveuglée peut-être par la perspective du passage à l'euro, n'avait pas décelée, ou à laquelle elle n'avait pas voulu croire. Pendant quatre années, les recettes inattendues se sont multipliées provenant de la TVA, imprudemment - j'en conviens - relevée de deux points par l'ancienne majorité, ou de l'impôt sur les sociétés, sans parler des cagnottes dont je n'aurais pas la malice de rappeler l'incompréhension qu'elles ont suscitées chez les Français. L'an passé, Philippe Auberger disait : « Vos hypothèses économiques ne résistent pas à l'examen. Le déficit de l'an prochain s'annonce plus élevé que celui de 2000, alors que nous sommes déjà mal placés dans ce domaine au sein de l'Union européenne. » Quant à Pierre Méhaignerie, il déclarait : « S'agissant de la dépense publique, vos experts ès tuyauterie budgétaire se sont livrés, pour la troisième année consécutive, à des manipulations. Il s'agit, cette fois, de nous faire croire que la hausse sera de 1,5 % quand elle est, en fait, supérieure à 4 %. Vos hypothèses de départ sont extraordinairement peu fiables, ne serait-ce qu'en ce qui concerne l'inflation, estimée à 1,2 %. Décider de créer des emplois publics sans se soucier de l'efficacité du service rendu, c'est s'obstiner dans l'exception française, celle qui consiste à toujours alourdir l'administration sans aucun effort de productivité. Le tout est accompli grâce à des tours de passe-passe budgétaires, et avec la particularité que vous tenez un langage différent selon que vous vous adressez à la Commission européenne ou à votre majorité ». Enfin, je tenais pour ma part ce projet de budget pour « euro-incompatible », estimant que malgré les engagements pris à Bruxelles, aucun effort n'était fait pour maîtriser les dépenses publiques ni pour réduire le déficit. J'ajoutais que la Cour des comptes vous infligerait, comme à chaque loi de règlement, un cinglant démenti, car les dépenses, selon nos calculs, augmenteraient non de 1,5 % en volume comme vous le prévoyiez, mais de 4,3 %, ce qui rendait impossible la réduction du déficit. Bref, je considérais que la croissance continue des dépenses de fonctionnement nous mettait à la merci du premier grain. Certes, l'année précédente le problème était différent : c'était l'affaire de la cagnotte, et nos débats portaient surtout sur les taux de prélèvements obligatoires, dont vous contestiez l'augmentation. Nous vous demandions alors de mettre ces milliards de surplus de recettes sur la table pour opérer les réformes que les Français attendaient. Cette fameuse cagnotte a coûté son poste à un ministre mais, surtout, l'augmentation non maîtrisée des dépenses a grignoté jusqu'au dernier franc cette manne venue directement du portefeuille de nos concitoyens et de nos entreprises. Charles de Courson faisait alors la démonstration suivante : en mai 1997, (...) le taux de prélèvements obligatoires était de 44,9 % du PIB. Votre première décision fiscale a été, en novembre 1997, d'accroître de plus de 23 milliards l'impôt sur les sociétés, au prétexte que les prévisions de recettes étaient sous-évaluées d'autant. Or la loi de règlement 1997 a montré qu'il n'en était rien. Vous avez donc accru de 0,3 point de PIB les prélèvements obligatoires cette année-là. Pour 1998, au lieu d'une baisse annoncée de 0,2 % des prélèvements obligatoires, hors la prise en charge par l'Etat des cotisations sociales, c'est une hausse de 0,2 point qui a eu lieu et que vous avez dissimulée en accélérant les remboursements de TVA. Pour 1999, vous avez à nouveau annoncé une baisse de 0,2 point, mais il vous a fallu avouer une nouvelle hausse de 0,4 point, soit plus de 35 milliards de pression fiscale supplémentaire, sans doute encore probablement sous-estimée de 0,1 point. Charles de Courson en concluait que vous surestimiez systématiquement la croissance du PIB en valeur, parfois même en volume, pour afficher une baisse du taux de prélèvements obligatoires. Cette brillante démonstration résume toute l'affaire de cette législature. J'oublie deux éléments clés, qui contribuent à l'immobilisme du Gouvernement : le décalage avec sa majorité plurielle avec qui il ne peut plus rien négocier ; votre élection inattendue qui vous a contraints à appliquer un programme élaboré dans la précipitation et qui n'était pas fait pour être appliqué. Votre plus grande erreur a été de vous obstiner à le mettre en _uvre, quel qu'en soit le prix : 35 heures à la charge du contribuable, APA, CMU et j'en passe. Notre pays vit ainsi depuis cinq ans dans le statu quo dont les Français ne veulent plus. Vous avez appliqué votre projet de 1997, que certains dans votre propre majorité ont qualifié de bâclé, sans réfléchir avec votre majorité plurielle, en manifestant toujours la même volonté de dépense, et en nous faisant croire que la gauche d'aujourd'hui n'était plus celle d'hier. C'était l'époque du décalage total entre le discours du bon gestionnaire et la réalité d'une gauche qui n'avait pas évolué. Et comme vous n'imaginiez pas en 1997 ou 1998 que la croissance pouvait vous donner des marges de man_uvre, vous n'avez rien fait ni pour la sécurité, ni pour la santé, ni pour les retraites, ni pour la modernisation de l'Etat et le pays est toujours immobilisé dans une organisation qui date de la Libération. Pendant ce temps, l'Espagne, l'Allemagne, l'Italie ou les Pays-Bas ont engagé les réformes qui les feront passer dans le troisième millénaire. Il est vrai qu'ils n'ont pas à appliquer les 35 heures... Il est toujours facile après coup de critiquer l'imprévoyance, mais vous avez vous-même dit hier que la croissance s'était essoufflée dès le second semestre 2000. Tous nos partenaires ont réagi. Vous seul avez fait semblant de ne pas voir. Vous dites vouloir éviter la tyrannie du court terme. Je vous rassure : vous en êtes très loin ! L'année 2000 a marqué un tournant dans la vie économique américaine. L'investissement des entreprises s'est effondré, la consommation des ménages a décéléré. La croissance est passée de 5 % à une quasi-stagnation dans l'année. Les Etats-Unis ont donc assoupli la politique monétaire et baissé massivement les impôts. Les effets du retournement de tendance sont arrivés fin 2000 en Europe avec le fléchissement de la consommation. En 2001, les exportations ont cessé de croître. Les chefs d'entreprise ont dépassé le stade de la perplexité : ils ont mis un frein à l'investissement et aux embauches. Le moral des ménages en a été affecté dès le printemps, d'autant plus que les plans de licenciement se multipliaient. Et le projet de loi de modernisation sociale n'arrange rien : les plans vont se précipiter avant son adoption définitive. Ne jugeriez-vous pas opportun de reporter sa discussion dans le conjoncture actuelle ? Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2001, votre prévision de croissance était de 3,3 %. Elle se situe aujourd'hui autour de 2 %. Mais vous refusez de voir la réalité : les Français ont déjà payé en 1993, ils recommenceront dix ans après. C'est dès le début de cette année que vous auriez dû réagir et adapter votre politique. Les Etats-Unis, l'Espagne, l'Allemagne, l'Italie ont agi immédiatement. Ils ont pris, parfois dans l'urgence, des mesures fiscales. Le plan Schroeder a vu le jour dès le début 2001 dans un grand consensus. Il baisse l'impôt sur les sociétés, supprime les plus-values de cessions et fixe le taux marginal de l'impôt sur le revenu à 42 %. Il fait la part belle aux investissements des entreprises et à la consommation des ménages. En bref, il fait le pari de l'avenir. Les Pays-Bas ont engagé une réforme dans le même consensus, en baissant fortement l'impôt sur le revenu et en supprimant l'impôt sur le capital notamment. Certes, le Gouvernement a proposé des mesures fiscales, mais on ne peut parler de réforme : la baisse d'impôts étalée sur trois ans ne correspond même pas aux ponctions réalisées entre 1999 et 2001 ! C'est ce que l'on pourrait appeler une réforme « Canada dry ». Hier, Monsieur le ministre, vous avez fait observer à mon collègue Gilles Carrez des allégements dont les Val-de-Marnais avaient bénéficié de 1,6 milliard d'allégements fiscaux au cours des deux dernières années. Mais combien d'impôts supplémentaires ont-ils payé depuis 1997 ? M. le Ministre - Permettez-moi d'intervenir pour vous garder d'une confusion fréquente. Il est vrai, par exemple, que le produit de la TVA sur les automobiles a progressé cette année, mais cela n'empêche que le taux est passé de 20,6 à 19,6 %. Il en est de même pour tous les prélèvements : depuis 1997, les recettes fiscales ont augmenté du fait de la croissance mais les impôts, eux, ont baissé. Vous savez qu'une commune, qu'elle soit dans le Val-de-Marne ou non, peut diminuer ses taux et voir ses recettes croître parce que la base aura augmenté. La baisse des impôts depuis quatre ans est incontestable, et elle va de pair avec cette augmentation des recettes qui nous a permis de réduire les déficits publics. M. Jean-Jacques Jégou - Nous ferons la balance. Vous nous resservez toujours la même argumentation, mais la comparaison de nos taux de prélèvements obligatoires avec ceux de nos voisins est parlante. Il est vrai que nos partenaires n'ont pas à financer les 35 heures... Et parmi les propositions de l'opposition, M. Auberger en a cité quelques-unes, qui seraient bien plus utiles et pour un coût bien inférieur à 105 milliards ! Votre optimisme persistant vous a également empêché de réagir devant la bulle financière qui se créait, générée par les nouvelles technologies et les start-up virtuelles. Heureusement, ce phénomène n'est pas comparable avec la crise immobilière du début des années 1990. Quant à l'UMTS, je me contenterai de dire que le système des retraites a aujourd'hui du plomb dans l'aile. Les Français ont de quoi être inquiets, considérant que les recettes sont à la fois moins importantes et plus étalées dans le temps. Bien sûr, il y a eu la tragédie du 11 septembre et nous ne pouvons pas ignorer les conséquences économiques qui en résulteront et qui ne sont pas encore chiffrables. Mais elle n'a fait que renforcer une tendance qui existait déjà. L'économie américaine est maintenant tétanisée, frappée en plein c_ur, mais le retournement de la conjoncture venait déjà des Etats-Unis. Et vous ne réagissez pas plus aujourd'hui, cinq semaines après les attentats, qu'au printemps dernier. D'autres gouvernements, comme ceux des Etats-Unis ou de l'Allemagne, ont revu immédiatement leurs estimations économiques à la baisse. Mais d'après vous, la France pourrait s'en passer. Le retour à la méthode Coué permet de promettre le beau temps aux Français, comme l'a fait M. Bonrepaux tout à l'heure. Il est vrai que la bonne tenue de l'économie tient aussi au moral des Français. Il n'en reste pas moins que vous avez décidé de ne rien décider. Certes, vous avez annoncé hier quelques mesures, mais elles sont loin du plan de relance qu'on aurait été en droit d'attendre. Et plusieurs de vos propositions correspondent à des amendements de l'opposition, qui ont tous été refusés ! M. Claude Gaillard remplace Mme Marie-Hélène Aubert au fauteuil présidentiel. PRÉSIDENCE de M. Claude GAILLARD vice-président M. Jean-Jacques Jégou - Le versement anticipé de la PPE, prime pour l'emploi qu'à force d'augmenter, les Français appelleront bientôt prime pour les élections, n'est pas satisfaisant. D'abord, la consommation des ménages se maintient aujourd'hui à un niveau tout à fait correct - et prions pour qu'il le reste. Plusieurs députés socialistes - Prions ! M. Jean-Jacques Jégou - Il faut bien que certains le fassent quelquefois pour vous ! Ensuite, l'objectif initial de la prime n'était pas d'améliorer la consommation, mais de soutenir un pouvoir d'achat stagnant, du fait des 35 heures, et d'inciter au retour au travail. Quant aux mesures de soutien aux entreprises, elles ne sont pas critiquables, hormis le fait qu'elles ne figurent pas dans le projet de loi de finances. Les amendements qui ont été refusés venant de notre part seront repris par le Gouvernement. Tant mieux ! L'essentiel est que les entreprises profitent. Cela étant, comment pourrions-nous résister, même avec ces modestes mesures, au retournement de conjoncture, alors que vos ardoises ne cessent de s'allonger ? De fait, votre budget ne résiste pas à l'examen : il démontre votre insincérité et l'absence totale de gestion. Ainsi, le déficit est en train de filer. Déjà, le déficit pour 2000 est supérieur à celui que nous avions voté. Celui de 2001 a depuis longtemps dépassé les limites que vous lui aviez fixées en loi de finances. Quant à celui de 2002, il est bien en deçà de la vérité. Et si nous n'avons aucune raison de ne pas répondre à votre appel au patriotisme économique, rien n'empêche pour autant, un débat sincère. De débat, il y en a bien eu un, mais dans la presse, entre économistes, sur la question suivante : faut-il, comme certains de nos partenaires le font déjà, « faire jouer les stabilisateurs automatiques » ? Mais dans cette enceinte, nous n'en avons pas débattu. Et s'il est de votre responsabilité de trancher la question, vous pourriez au moins ne pas occulter les faits : si vous décidez de faire plonger le déficit, dites-le ! S'agissant des recettes, vos prévisions sont irréalistes. Certes, depuis la publication de votre projet, vous les avez déjà revues à la baisse, mais elles sont encore trop optimistes et vous ne l'ignorez pas : les chiffres risquent d'être très désagréables. Bien entendu, vous êtes dans votre rôle lorsque vous souhaitez ne pas casser la confiance des ménages pour soutenir la consommation. Il n'en reste pas moins qu'un langage lucide et responsable inspire plus confiance qu'une succession d'incantations. Enfin, s'agissant des dépenses, vous dites ne les augmenter que de 0,5 % du PIB, ce qui est déjà trop par rapport au plan pluriannuel présenté à Bruxelles, et vous nous avez même dit hier qu'en cinq budgets, elles n'auront augmenté que de 1,8 %. A qui voulez-vous faire croire une chose pareille ? Les dépenses ont augmenté et elles augmenteront de façon bien plus importante, et vous le savez bien. Mais cette année encore, les effets d'annonce ont systématiquement précédé les mauvais résultats. Cette augmentation se fera, quoi qu'il advienne, parce qu'il ne suffit pas de définir des normes pour qu'elles soient respectées. Il y a d'abord les dépenses qui financent ce que vous appelez vos priorités : ainsi, hier, vous annonciez fièrement que le budget du ministère de l'éducation dépassait les 400 milliards. Cette manière de présenter les choses montre le fossé qui nous sépare. Est-ce toujours la mentalité des années 1980 qui domine, selon laquelle le meilleur ministre est celui qui obtient le plus du ministre des finances ? (M. le président de la commission proteste) Je pourrais aussi vous parler de l'environnement, que vous preniez en exemple pour établir votre bilan, en évoquant des crédits en augmentation de 60 %, et mille emplois créés. Mais pour quel service ? Nous, élus locaux, savons bien que l'argent qui a été ponctionné aux organismes décentralisés pour abonder les crédits du ministère de l'environnement ne sont toujours pas utilisés ! Je siège au conseil d'administration de la CDC avec votre ami Balligand, qui vous dira, comme moi, que le ministère de l'environnement est incapable de formuler le moindre projet ! Et en plus des dépenses qui financent vos priorités, d'autres serviront à financer vos promesses. Ainsi, le seul financement des 35 heures suppose 105 milliards de dépenses pour l'année à venir. Certes, ce changement dans le rythme de travail a fait plaisir à quelques-uns et, sur le moment, à de nombreux Français, et surtout à de nombreuses femmes, qui connaissent quelque répit dans leur lourde double journée. Mais aujourd'hui, nombreux sont ceux qui me disent : « Je préférerais gagner plus d'argent que travailler moins ». M. le Président de la commission - Eh bien, il y a les heures supplémentaires ! M. Jean-Jacques Jégou - Il n'en est plus guère question avec la RTT ! Et je ne vous parle pas des commerçants et des artisans qui mettront la clé sous la porte, ne sachant ou ne voulant pas subir ces nouvelles contraintes ! Enfin, la question du financement des 35 heures sur le budget de l'Etat n'est toujours pas tranchée. Les recettes du tabac n'y suffisent plus, même si l'on augmente le prix du paquet de cigarettes pour le plus grand bien des fumeurs. S'agissant des créations d'emplois dans la fonction publique, on ne peut plus en tenir compte, ni faire le total des dépenses engagées pour les financer. Le seul calcul que l'on peut faire, et dont vous ne vous vantez pas, c'est l'augmentation de 14,2 % des crédits « fonction publique » depuis 1998, soit plus de 100 milliards de francs. Ce sont autant de dépenses qui grèveront le budget pendant des décennies. Finalement, c'est une façon très onéreuse de faire baisser les chiffres du chômage et, de surcroît, l'efficacité de l'Etat n'en est pas pour autant renforcée. M. le Rapporteur général - Il me semble percevoir quelques répétitions dans votre discours. M. Jean-Jacques Jégou - Elles ont des vertus pédagogiques... En matière, toujours, de politique de l'emploi, vous proposez d'augmenter la subvention à l'ANPE de 120 millions d'euros. Ce seront ainsi 4 600 personnes qui seront embauchées par l'ANPE, alors qu'il y a un million de chômeurs en moins ! Soit, comme pour les emplois créés dans la fonction publique, vous espérez faire baisser le chômage en créant des emplois improductifs - mais, à ce rythme, nous sommes loin du compte ! -, soit vous croyez si peu en votre politique de l'emploi que vous vous sentez obligé de créer des postes nouveaux pour que l'on puisse s'occuper des nombreux chômeurs à venir. Je passe sur les dépenses telles que l'allocation aux personnes âgées, que vous vous contentez d'instituer tout en laissant la charge financière aux conseils généraux. A vous les compliments, à eux le paiement ! Je ne peux passer, en revanche, sur les dépenses courantes que vous ne voulez pas maîtriser plus que d'habitude. Cette attitude ne date pas d'hier : je parlais tout à l'heure du décalage entre votre discours et la réalité de votre politique. Ainsi pour la MEC dont vous êtes, Monsieur le ministre, l'instigateur. Cette mission avait été créée pour évaluer et améliorer le fonctionnement et l'efficacité de l'Etat. J'en fais partie depuis son installation et je déplore sa perte de crédibilité : jamais, je dis bien jamais, vous n'avez voulu suivre une seule de ses recommandations ! Il vous aurait pourtant été facile de vous abriter derrière le travail des parlementaires pour avoir le courage d'opérer les réformes que nous vous avons proposées ! Pour illustrer mon propos, je vais à nouveau parler de la police nationale. Hier, vous avez annoncé une augmentation de 17 % des crédits pour la sécurité au cours de la législature. En 2002, vous allez augmenter les effectifs de 3 000 policiers supplémentaires, qui s'ajouteront à ceux qui ont été recrutés l'an passé. Vous persistez donc à apporter de fausses réponses à de vraies questions : oui, l'insécurité augmente malgré ces 17 % d'augmentation et la délinquance progresse ; mais, non, ce n'est pas le nombre de policiers qui est en cause ! Redéployez des agents administratifs pour faire le travail de bureau, pendant que les policiers feront le travail de terrain pour lequel ils sont rétribués ! Faire suivre les affaires par la justice, dans les jours qui suivent les infractions ! Faites ce que tous les autres pays font ! Les exemples sont nombreux de pistes de réformes que la MEC a données, et qui n'ont jamais été suivies d'effet. Vous avez fait semblant d'engager la réflexion sur la question « du mieux d'Etat » avec l'outil que vous avez créé, la MEC. Pourtant, à chacune de nos remarques sur vos dépenses, vous nous dites : des économies ? Oui, mais alors vous aurez moins de policiers, moins d'infirmiers, moins d'instituteurs... Vous savez bien, pourtant, que la question n'est pas là ! Améliorer le fonctionnement de l'Etat ce n'est pas un vain mot : il s'agit de déterminer quels services l'Etat doit rendre en priorité, quels services les Français attendent, et y consacrer tous les moyens dont nous disposons pour le faire dans les meilleures conditions. Voilà ce que les Français attendent de leurs responsables politiques, de l'Etat et de l'administration ! La création de la MEC était cette occasion inespérée de réfléchir à l'amélioration du fonctionnement de l'Etat. M. le Rapporteur général - Elle l'est toujours. M. Jean-Jacques Jégou - Car cet Etat, dont les structures sont vieillissantes, grignote, jour après jour, un peu plus de pouvoir, sans s'interroger sur son efficacité. Mais, au lieu de ce discours responsable que nous attendons tous de votre part, vous acquiescez à toutes les demandes, qu'elles soient fondées ou non, et parfois vous les devancez, le pire exemple étant, une fois encore, celui de la fonction publique. Une dépêche d'agence ne nous a-t-elle pas annoncé l'augmentation de 1 % des rémunérations de la fonction publique en mars 2002 - heureuse coïncidence ! - au lieu des 0,5 % négociés avec les syndicats. Vous avez donc, sans aucune demande préalable des fonctionnaires mais à quelques semaines des présidentielles, prévu de doubler l'augmentation des traitements. Quel exemple pour les salariés du secteur privé dont le pouvoir d'achat stagne à cause des 35 heures et qui vont une nouvelle fois être confrontés, avec la baisse de la croissance, à la crainte du chômage ! Vous voulez caresser tout le monde dans le sens du poil, mais vous ne convaincrez personne avec de telles méthodes. Si vous aviez bien voulu débattre avec l'ensemble des parlementaires, nous aurions pourtant pu alimenter votre réflexion. L'UDF a de nombreuses propositions à faire mais, je le sais bien, elles resteront sans échos car le Gouvernement, malgré ses appels au patriotisme économique continue de faire semblant de croire que l'opposition est muette. Nous demandons, depuis longtemps déjà, un allégement réel des charges sociales salariales. Je sais que vous me répondrez « PPE », puisque vous avez décidée quelques semaines après que nous eûmes démontré l'utilité réelle d'une baisse des charges au profit des petits salaires. Mais votre PPE, même doublée, conserve ses défauts : son extrême complexité, d'une part, le retard mis à en bénéficier, d'autre part, puisqu'un salarié qui commencera à travailler le 1er janvier n'aura droit à rien avant l'année suivante. Par ailleurs, votre proposition de verser cette prime plus tôt et à tous revient à nier l'idée de départ, qui était d'inciter au retour au travail. Notre proposition était plus simple : il s'agissait de poursuivre la baisse des charges sur les salaires, avec un bénéfice immédiat. Je comprends que, parce qu'elle émane de l'opposition, cette idée ne puisse être retenue. Mais peut-être qu'au nom du patriotisme économique, vous pourriez y réfléchir à nouveau ! Une autre proposition me semble primordiale si l'on veut relancer la croissance : la relance des investissements. En effet, l'Etat investit de moins en moins, puisque les dépenses de fonctionnement engloutissent la quasi-totalité des recettes disponibles. Pourquoi, dans un ultime effort, ne pas dégager quelques marges de man_uvre en faveur d'investissements productifs ? Il faudra bien qu'un jour l'Etat recommence à investir ! Il est heureux que les collectivités locales n'aient jamais cessé, car la récession serait bien pire ! Toujours parmi nos propositions, pourquoi n'envisagez-vous pas de baisser les impôts « économiquement actifs » qui paralysent notre tissu économique, font fuir les investisseurs à l'étranger, empêchent les entreprises d'investir et les salariés de consommer ? Pourquoi avoir enfoui le rapport Charzat alors qu'il proposait une politique fiscale véritablement incitative et novatrice ? J'ose dire ici que 90 % de ce rapport doit être appliqué de façon urgente. Sans doute est-ce pour cela qu'il n'est toujours pas publié ! Ses propositions pourraient en effet servir de base à la réforme fiscale dont la France a besoin. Oui, M. Charzat a raison lorsqu'il dit que la place de la France « dépend de sa capacité à mobiliser la créativité individuelle et collective » et que « ne pas se donner les moyens d'y participer mettrait en danger le bien-être des Français, leur emploi, leur sécurité, leur art de vivre ». Selon lui, nous risquons, si rien ne change, de devenir un lieu de mémoire, l'aire de repos des leaders de la mondialisation. Nous risquons la fossilisation. Ce rapport de bon sens ose même - et je me fais un plaisir de le reprendre puisque je me bats pour la même cause depuis longtemps - défendre la place financière de Paris. Je le cite : « On ne peut écarter avec certitude un scénario noir, celui du dépérissement et de la marginalisation de la place financière de Paris. Or, celle-ci est un atout majeur pour l'économie, pour l'emploi et même pour l'indépendance nationale ». Et il enchaîne sur la nécessité de réformer la taxe sur les salaires - dont le nom même constitue un repoussoir à la création d'emploi. Certes, si l'on supprime la taxe sur les salaires, cela veut dire qu'il faut réintégrer la TVA, mais tout le monde n'est-il pas d'accord sur ce point ? Je profite de l'occasion pour insister sur le caractère inepte de la taxe sur les salaires : les hôpitaux ne la paient-ils pas pour demander ensuite une augmentation de leur dotation visant à la compenser ? Pourquoi ne pas économiser le travail de quelques fonctionnaires en la supprimant sans plus tarder ? La place financière de Paris représente plus de 600 000 emplois, soit plus que l'industrie automobile. Ce rapport est truffé de propositions intelligentes, sans doute est-ce pour cela que vous ne l'avez pas exploité ? Nous ne pouvons que le regretter et nous avons déposé plusieurs amendements qui s'en inspirent directement. Je vous entends d'ici, Madame la ministre, Monsieur le ministre, nous demander quel est le coût induit de ces amendements et comment réduire les déficits si nous proposons de nouvelles dépenses fiscales. Peut-être, mais vous ne pouvez ignorer qu'il est des amendements qui rapportent plus qu'ils ne coûtent. Au terme de cette législature, le constat est sans appel : cinq ans, c'est un peu court pour effectuer les réformes dont le pays a besoin mais c'est bien long lorsque le Gouvernement n'a aucune stratégie et pratique une politique au fil de l'eau. Vous avez fait perdre cinq années à la France, au terme d'une législature pour rien ! « Tout ça pour ça » aurait dit le cinéaste. Afin de débattre sur des bases concrètes - et ne serait-ce que pour associer au projet de loi de finances pour 2002 votre mini plan de relance -, le groupe UDF demande le renvoi de ce texte devant la commission des finances de notre assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances - Rien de ce qui vient d'être dit ne justifie le renvoi de ce texte en commission : nous nous sommes réunis une dizaine d'heures et nous avons eu le loisir d'examiner 450 amendements. Au reste, la discussion des articles qui débutera selon toute vraisemblance ce soir même, nous permettra de revenir sur l'ensemble des sujets que les différents orateurs ont abordés. J'invite donc notre assemblée à rejeter cette motion de renvoi en commission. Je m'arrête un instant sur les propos que vient de tenir M. Jégou au sujet de la mission d'évaluation et de contrôle pour lui dire que je ne puis partager son pessimisme. Nombre des préconisations de la MEC commencent d'être exécutées, comme l'attestent notamment certains éléments des budgets des ministères de l'équipement et de l'intérieur. Je considère pour ma part qu'il faut laisser la MEC travailler car la culture du contrôle n'étant pas très présente à l'Assemblée nationale, il faut un peu de temps pour qu'elle se diffuse dans l'institution (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. le Président - Nous en venons aux explications de vote. Mme Béatrice Marre - Je m'étonne que M. Jégou, qui est un commissaire assidu et responsable, se laisse aller à grossir le trait au point d'entamer quelque peu le crédit de son propos. Je conçois que la défense d'une motion de renvoi soit une figure imposée mais cela justifie-t-il l'emploi de termes tels que « caricature, manipulation, hémiplégie, immobilisme, méthode Coué » ? De tels qualificatifs ne nous incitent guère à analyser avec tout le sérieux qu'elles réclament le reste de vos propositions. Du reste, puisque vous laissez entendre que la commission ne travaille pas et que le Gouvernement ne l'écoute pas, à quoi bon renvoyer le texte devant elle ? Pourquoi différer la discussion alors même que nombre d'amendements - tels que ceux relatifs à la fiscalité des associations - ont été adoptés à l'unanimité par les commissaires ? Sur le fond du projet, votre critique essentielle porte sur la croissance, à la fois mal utilisée et mal évaluée. Mais chacun sait que les prévisions sont hasardeuses et je n'aurai pas la cruauté de rappeler le caractère hautement hasardeux de celle du Président de la République... Un député socialiste - Ou de son directeur de cabinet ! (Sourires) Mme Béatrice Marre - ...qui nous a permis de redevenir majoritaires dans cet hémicycle ! Les querelles des prévisionnistes sont de peu d'intérêt pour nos concitoyens. En tant que responsables politiques, notre priorité doit être de créer les conditions de la confiance. Du reste, vous avez bien voulu admettre que vous n'aviez rien à redire sur notre proposition de plan de relance : dès lors, le renvoi en commission n'a aucune utilité. Fondé sur quelques priorités très claires, ce budget est simple et sans ambiguïté. Sa principale ambition est de restaurer la confiance des entreprises comme des ménages. Gageons que votre seule proposition - qui était d'en reporter le vote - aurait bien mal servi cet objectif ! Bien entendu, le groupe socialiste votera contre cette motion de renvoi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Yves Deniaud - Le groupe RPR partage largement les analyses de M. Jégou sur les principales caractéristiques de ce projet de budget. S'agissant de la MEC, nous déplorons également que nombre de ses très intéressantes propositions ne trouvent aucune traduction dans le PLF : elles ont été tout bonnement abandonnées ! Parce qu'il est fondamentalement insincère, ce projet de budget doit être retravaillé. C'est pourquoi notre groupe votera pour l'adoption de la motion de renvoi en commission présentée par notre collègue Jégou (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). M. Pierre Hériaud - M. Jégou a parfaitement résumé la situation : le Gouvernement n'a tiré aucun profit de la période de croissance soutenue des années 1998-2000. Alors que les recettes progressaient sensiblement, les prélèvements obligatoires ont continué d'augmenter, cependant que la dette et les déficits publics se creusaient. Rien n'a été résolu au cours de la législature et la France ne se trouve pas en position favorable au sein de l'Union européenne. En outre, le Gouvernement ajoute chaque jour à l'incertitude en annonçant au fil de l'eau de nouvelles mesures telles que la nouvelle évaluation des licences UMTS ou la vente d'Autoroutes du Sud de la France. Aux yeux du groupe DL, ces modifications en cours de route justifient à elles seules l'adoption de cette motion de renvoi (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30. La séance est levée à 20 heures. Le Directeur du service |
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